Notes
-
[1]
Cf. Z. Corak, « Croatian Monuments : Wounds Suffered from Other People’s Illnesses », dans Zvonimir Separovi? (ed.), Documenta Croatica, Zagreb, Vigram-Zagreb i Videm Kresko, 1992, p. 97.
-
[2]
La citation exacte est : « Tandis que l’élite européenne s’inquiétait du « tribalisme » des Croates, l’Europe perdait en Croatie ses églises romanes, ses églises baroques et ses palais vénitiens » (NdT), dans Alain Finkielkraut, Comment peut-on être croate ?, Paris, Gallimard, 1992, p. 35.
-
[3]
Marcus Tanner, A Nation Forged in War, New Haven, Yale University Press, 1996, p. 73-75.
-
[4]
Andrew Baruch Wachtel, Making a Nation Breaking a Nation : Literature and Cultural Politics in Yugoslavia, Stanford (Ca.), Stanford University Press, 1998, p. 24-25.
-
[5]
Cf. M. Tanner, A Nation Forged in War, op. cit., p. 10.
-
[6]
Cf. le discours de Niko Bartulovi? dans A. B. Wachtel, Making a Nation Breaking a Nation…, op. cit., p. 90-91.
-
[7]
Daria Sito Su?i?, « The Fragmentation of Serbo-Croatian into Three New Languages », dans Transition, 2 (24), 29 novembre 1996 ; cf. <http:// www. omri. cz/ Publications/ Transition/ Features/ Feature. VO2N24. html>.
-
[8]
Cité par A. B. Wachtel, op. cit., p. 139.
-
[9]
Daria Sito Su?i?, art. cité.
-
[10]
Cf. Le Nouvel Observateur, Reporters sans Frontières, Le Livre noir de l’ex-Yougoslavie : purification ethnique et crimes de guerre, Paris, Arléa, 1993, p. 125.
-
[11]
A. B. Wachtel, op. cit., p. 185.
-
[12]
Daria Sito Su?i?, art. cité.
-
[13]
Cf. C. Michael MacAdams, « The Demise of “Serbo-Croatian” », Zagreb, site internet du Centre d’information croate : <hhttp:// www. algonet. se/ bevanda/ mceng. htm>.
-
[14]
Cité par Dubravka Ugreši?, The Culture of Lies, Londres, Phoenix House, 1998, p. 64-65.
-
[15]
Cf. C. Michael MacAdams, « Croatia : Myth and Reality » cf. <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ macadams/ myth/ midi01. htm>.
-
[16]
Pour une critique du livre de Hrovje Sosi?, Croatian Political Dictionary, Rijeka, Tiskara Rijeka, 1993, cf. Feral Tribune, 29 décembre 1997, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ feral/ feral53. html>.
-
[17]
Pour une excellente discussion des réformes linguistiques intervenues dans la Croatie indépendante, cf. Chris Hedges, « Words Replacing Bullets in Latest Balkan Battle », The Globe and Mail, 16 mai 1996.
-
[18]
Daria Sito Su?i?, art. cité.
-
[19]
Marijan Krmpoti?, « Why is Croatian Language Still Suppressed in Croatia ? », dans NDH, décembre 1997, <hhttp:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ ndh/ ndh2. html >.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Matica Hrvatska Iseljnika, « Croatian Language and Literature », <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ index. htm>.
-
[22]
George Schöpflin, « The Functions of Myth and a Taxonomy of Myth », dans Geoffrey Hosking, George Schöpflin, Myths and Nationhood, Londres, C. Hurst & Company, 1997, p. 31.
-
[23]
Slavenka Drakuli?, Cafe Europa : Life After Communism, Londres, Abacus, 1996, p. 12-13.
-
[24]
Richard Holbrooke, To End a War, New York, Random House, 1998, p. 232.
-
[25]
Predrag Luci?, « Dr Tudjman and Mr. George », Feral Tribune, 3 août 1997, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ feral/ feral49. html>.
-
[26]
D. Ugreši?,The Culture of Lies, op. cit., p. 259-260.
-
[27]
Maja Freundlich, « Bull’s Eyes : Trials on the Way to the Promised Land », Vjesnik, 20 décembre 1998, <hhttp:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ vjesnik/ vjesnik29.html>.
-
[28]
Cité par Robert M. Hayden, Milica Baki?-Hayden, « Orientalist Variations on the Theme Balkan : Symbolic Geography in Recent Yugoslav Politics », Slavic Review, printemps 1992, p. 9.
-
[29]
Cité par Boris Buden, « Mission : Impossible », dans ARKzin, 83, 31 janvier 1997, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ ARKzin/ arkzin5. html>.
-
[30]
Cité par R. M. Hayden, M. Baki?-Hayden, art. cité, p. 2-4.
-
[31]
Stjepan Meštrovi?, Slaven Letica, Miroslav Goreta, Habits of the Balkan Heart : Social Character and the Fall of Communism, College Station (Texas), A & M University Press, 1993, p. 29.
-
[32]
Ibid., p. xiii.
-
[33]
Ibid., p. 108.
-
[34]
Ibid., p. 66-67 et 111.
-
[35]
Ibid., p. 30.
-
[36]
Cf. Ivo Banac, « Préface » à Zvonimir Separovi? (ed.), Documenta Croatica, Zagreb, VIGRAM-Zagreb i VIDEM Krsko, 1992, p. 9.
-
[37]
Ibid., p. 11.
-
[38]
Les objectifs de recherche furent définis dans une déclaration du chef de projet Andrija Zelko Lopi? à l’agence d’information iranienne (IRNA) située à Zagreb. Cf. TanJug News Agency, Belgrade, novembre 1995, p. 4.
-
[39]
Cf. Feral Tribune, 29 décembre 1997 pour un compte rendu de Antun Bauer, Franjo Sanjek et Nedjeljko Kujundzi? (eds), Who are Croats and Where did They Come From : a Revision of an Ethnogenesis, Zagreb, Collection of Works of the Society for the Study of Ethnogenesis of Croats, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ feral/ feral53. html>.
-
[40]
« Three Fourths of Croats Have No Slav Genes ? », dans Croatia Weekly, 24 décembre 1999, <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ croatian_genes. htm>.
-
[41]
Trpimir Macan, The History of the Croatian People, Zagreb, University of Zagreb/ Matica Hrvatska Iseljenika, 1994, p. 2.
-
[42]
Brian Hall, The Impossible Country, Boston, David Godine, 1994, p. 19.
-
[43]
D’après Globus, reproduit dans Predrag Kalianin, Stresses of War, Belgrade, Institute for Mental Health, 1993, p. 2.
-
[44]
Peter Alter, Nationalism, Londres, Edward Arnold, 1992, p. 7.
-
[45]
Ibid., p. 19.
-
[46]
Dušan Ke?manovi?, The Mass Psychology of Ethnonationalism, New York, Plenum Press, 1996, p. 36.
-
[47]
Ibid., p. 41.
-
[48]
Bozidar Ze?evi? (ed.), The Uprooting : a Dossier of the Croatian Genocide Policy against the Serbs, Belgrade, Velauto International, 1992, p. 10.
-
[49]
Norman Cigar, Genocide in Bosnia : The Policy of « Ethnic Cleansing », Texas, A & M University Press, 1995, p. 73.
-
[50]
Michael Ignatieff, Blood and Belonging : Journeys into the New Nationalism, Toronto, Viking Books, 1993, p. 14.
-
[51]
Éditorial, « Here We Go Again ! », The Zajednicar, 3 mai 2000, <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ miro_kacic. htm>.
-
[52]
Miro Ka?i?, Le croate et le serbe : illusions et falsifications (en collab. avec Ljiljana Sari?), trad. du croate par Samir Bajri?, Paris, Honoré Champion, 2000 (coll. « Bibliothèque de grammaire et de linguistique »), http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ miro_kacic. htm.
« La configuration géographique de la Croatie, son apparence actuelle est une image tragique de la menace qui a mis en péril son existence. Elle illustre une sorte de trouble visuel qu’il conviendrait aussi de corriger comme toute anomalie … Mais la forme que revêt la Croatie est en même temps un symbole de résistance. Ayant demeuré pendant des siècles à la frontière militaire du monde occidental, la Croatie combat désormais pour un monde qui ne peut survivre qu’à condition que cet espace historique survive. » [1]
1Entre 1991 et 1996, un débat important a fait rage au sein du tout jeune État indépendant de Croatie. Les discussions ne portaient pas uniquement sur le passé, mais sur le présent et l’avenir. Elles ne concernaient pas la Serbie ou la Yougoslavie communiste, mais l’importance capitale du croate en tant que langue nationale. Ce débat renfermait un message simple : la Croatie avait mérité le droit de fonder un État indépendant puisqu’elle possédait une langue, une culture et une histoire anciennes et singulières. Toute affiliation culturelle ou linguistique avec la Serbie constituait un dévoiement historique. Il devint dès lors acceptable d’évoquer la nécessité de procéder à un rje?nik cleansing ou « nettoyage linguistique », comme corollaire des opérations de guerre en Yougoslavie et du tristement célèbre « nettoyage ethnique ». Cet article tentera d’analyser l’émergence de la langue croate en formulant l’hypothèse selon laquelle, si les nationalistes croates étaient parfaitement dans leur droit de créer leur propre langue au service du nationalisme, il n’en demeure pas moins que nombre des « faits » qui sous-tendent cette entreprise de révisionnisme linguistique apparaissent des plus discutables.
2 Je m’efforcerai aussi de montrer dans quelle mesure la réforme de la langue n’était qu’un élément inclus dans une politique plus globale de distanciation entre la Croatie et la Serbie, conçue selon des termes culturels, historiques, psychologiques et raciaux. Les Croates se sont présentés comme plus « occidentaux » et donc plus éclairés, civilisés et démocrates que leurs voisins serbes. Comme l’a affirmé en 1992 Alain Finkielkraut, l’européanéité de la Croatie confère une légitimité aux aspirations souverainistes d’un pays proche de l’Europe par « ses églises romanes, ses églises baroques et ses palais vénitiens » [2]. Les objectifs du séparatisme linguistique reposaient sur la conviction que l’affirmation d’une langue croate distincte démontrerait la réalité de la culture et de l’identité croates et légitimerait, finalement, l’existence d’un État indépendant. Dans la mesure où les frontières du territoire croate, qui renferme une minorité serbe représentant 11 % de la population, furent violemment contestées à la veille de la proclamation d’indépendance, il fallait établir la singularité et la supériorité de la Croatie au-delà de toute contestation. Les nationalistes ont instrumentalisé la langue pour en faire un outil primordial de la construction identitaire et de la formation de l’État croate.
Y a-t-il eu dans le passé une langue croate ?
3 Les origines du croate moderne, comme celles du serbe, de l’allemand ou de l’italien, ne doivent pas être recherchées dans l’Antiquité, mais plutôt dans l’œuvre des nationalistes romantiques du 19e siècle qui ont eu recours à un langage standardisé pour unifier leurs peuples dans des ensembles nationaux homogènes. Les langues nationales européennes sont issues de divers dialectes régionaux, chacun possédant un vocabulaire, une structure grammaticale et une prononciation qui lui sont propres. La tradition attribue à Ljudevit Gaj le mérite d’avoir unifié la langue croate à partir d’un grand nombre de dialectes parmi lesquels on distingue trois formes principales. Dans la région de Zagreb, le dialecte kajkavski, proche du slovène, était dominant. Les populations d’Istrie, du nord de la Dalmatie et des îles croates de l’Adriatique, parlaient le ?akavski, tandis que le dialecte štokavski dominait les régions de Dubrovnik, du sud de la Dalmatie et de la Bosnie-Herzégovine. Ljudevit Gaj créa la langue croate à partir du štokavski, dans la mesure où ce dialecte était le plus communément pratiqué par les populations croates et qu’il était associé au souvenir des écrivains de la Renaissance qui exerçaient leur art à Dubrovnik, bastion pendant des siècles de la culture slave [3].
4 La préférence de Ljudevit Gaj pour le dialecte štokavski s’expliquait aussi par la montée du nationalisme linguistique serbe. En Serbie, le linguiste Vuk Stefanovi? Karadzi? avait très tôt adopté le štokavski pour unifier la langue serbe. Le štokavski était la langue du « petit peuple » et ne tarda pas à remplacer le slavernosrbski, un dialecte serbe plus littéraire. Ce faisant, Ljudevit Gaj espérait que l’existence d’une langue commune servirait de facteur d’unification aux Slaves du Sud, contre la puissance grandissante de l’Empire hongrois. Vuk Stefanovi? Karadzi? souhaitait de la même manière unir les Slaves du Sud contre la menace continuelle de l’Empire ottoman. Chaque linguiste percevait les avantages fonctionnels d’une langue standardisée, utilisée à la fois comme moyen d’unification des classes inférieures et supérieures et comme facteur de coalition des Slaves du Sud face aux menaces extérieures.
5 Contrairement aux allégations des nationalistes contemporains, les différents dialectes qui formaient la Yougoslavie présentaient d’importantes similitudes. Comme l’a remarqué Andrew Baruch Wachtel, alors même que l’Italie était un cas typique pour la mise en œuvre d’une standardisation linguistique, les différences dialectales observées entre des régions comme celles de Milan et de la Sicile, n’auraient jamais pu être surmontées sans un apprentissage spécifique. En revanche, les représentants des différents dialectes slaves méridionaux pouvaient facilement se comprendre. A. B. Wachtel soutient ainsi que la formation d’une langue commune au Slaves du Sud était un processus plus naturel et plus aisé à réaliser que la standardisation de l’italien [4]. Une unification linguistique fut atteinte en 1850 lorsque linguistes serbes et croates se réunirent à Vienne pour s’entendre sur un programme de réforme linguistique en cinq points. La fondation en 1866 de l’Académie yougoslave (à Zagreb et non à Belgrade) contribua au renforcement des liens culturels et linguistiques entre Croates et Serbes, ouvrant la voie à l’illyriennisme et au yougoslavisme, deux programmes prônant un rapprochement politique des Slaves du Sud.
6 Bien que les Croates possèdent en effet leur propre alphabet, le glagolica, la plupart des historiens admettent que cette forme scripturale fut introduite en Dalmatie au 9e siècle par les frères moines Cyrille et Méthode, qui ont également inventé l’alphabet cyrillique aujourd’hui en vigueur en Serbie, en Bulgarie, en Russie, en Ukraine et dans plusieurs autres pays [5]. Ce particularisme scriptural a souvent été invoqué pour démontrer l’existence d’une langue croate, alors même que l’origine commune des deux alphabets est avérée, relativisant l’idée selon laquelle la langue croate est plus occidentalisée. Il est important d’ailleurs de noter qu’un alphabet différent ne signifie pas ipso facto une langue différente. Dans la Yougoslavie communiste, le serbo-croate pouvait aussi bien s’écrire avec l’alphabet latin qu’avec l’alphabet cyrillique.
La montée du serbo-croate
7 Après la première guerre mondiale et l’effondrement des Empires austro-hongrois, germanique et turc, les Serbes, les Croates et les Slovènes se réunirent pour former leur premier État commun dans l’histoire. Illustration d’un relatif degré d’unification culturelle, une forme de serbo-croate standardisé (dérivé du štokavskian) fut adoptée en 1918, permettant ainsi aux linguistes du pays de parler pour la première fois d’une « unité de la culture yougoslave » et d’une « unité nationale achevée » [6]. Le jeune État demeura cependant dominé par des intérêts, une monarchie et une armée serbes. Les Croates revendiquèrent leur autonomie, mais la situation n’évolua pas jusqu’en 1939. Dès lors, il était trop tard. Animés d’un profond ressentiment engendré par une longue domination serbe, les Croates obtinrent en 1941 la création d’un État indépendant sous tutelle nazie.
8 Au cours de leurs brefs égarements fascistes dans le cadre de l’État indépendant croate (1941-1945), les nationalistes tentèrent de détruire les bases culturelles et linguistiques communes qui avaient servi à la création de la Yougoslavie. Ils remplacèrent l’alphabet phonétique serbo-croate standard par un alphabet étymologique dans lequel la racine d’un mot était préservée dans toutes ses déclinaisons – une construction inventée de toutes pièces. Le gouvernement entreprit également de purger le vocabulaire d’un nombre important de mots supposés serbes, dans le but de forger une langue croate plus « pure ». De nombreux mots furent prohibés [7]. Cette première tentative d’« épuration lexicale » avait pour fin ultime de séparer la langue, la culture et l’histoire croates du cousin serbe honni. De cette époque date le discours opposant l’européanéité du peuple croate à l’aspect plus « oriental », plus ottoman des Serbes, et c’est à cette fin que fut employé le nationalisme linguistique croate. Le ministre de l’Éducation de l’époque, Mile Budak, affirma que la culture croate avait été contaminée par ce qu’il appelait des « barbarismes » et des « turkismes » qui avaient « détruit tout ce qui est de nature croate », conférant à la langue un « caractère serbe » [8]. Il était ainsi impératif de procéder à une purification pour renverser des décennies de rapprochement culturel et linguistique entre intellectuels serbes et croates. En pratique, la campagne de Budak eut pour seul effet de semer une confusion linguistique, peu de personnes ayant compris comment il fallait parler et écrire.
La politique de la langue dans la Yougoslavie de Tito
9 La fin de la seconde guerre mondiale marqua la fin du croate en tant que langue nationale séparée. Sous la domination communiste de Tito, l’accord de Novi Sad sur l’unité linguistique fut conclu en 1954. Cet accord unifiait officiellement le croate et le serbe sous la forme du serbo-croate, avec des variantes occidentale (croate) et orientale (serbe). Une langue commune représentait un élément important du projet de Tito fondé sur « la fraternité et l’unité », visant à établir une unité culturelle et politique sous la bannière du socialisme. En niant l’existence d’une langue croate distincte, Tito espérait simplement résoudre le problème du nationalisme. Une nouvelle fois, une langue croate distincte servant des intérêts particularistes se trouvait rattachée au serbe, non pour encourager le nationalisme, mais pour l’abolir. Les initiatives politiques de Tito furent sources de cruelles désillusions pour les Croates qui s’étaient vu promettre, après la seconde guerre mondiale, que leurs droits culturels seraient garantis, quand bien même leur langue dût changer d’appellation. Cependant, comme nombre des promesses faites par Tito, celle-ci fut promptement oubliée et les Croates qui poussèrent à la reconnaissance de leur langue furent qualifiés de nationalistes et de fascistes [9]. Le statut de la langue croate s’est affirmé comme un sujet extrêmement épineux sous le régime de la République fédérale socialiste de Yougoslavie.
10 Les changements étaient cependant inévitables. Lorsque la vieille garde titiste commença à s’effacer, un groupe de Jeunes Turcs communistes accéda au pouvoir dans les différentes républiques. En Croatie, la nouvelle génération de l’élite communiste entreprit, à la fin des années 1960, d’encourager une réforme linguistique. En 1967, le célèbre romancier croate Miroslav Krleža se lança, à la tête d’un groupe de 130 éminents universitaires, dans une croisade pour la reconnaissance du croate comme langue distincte pour l’éducation et la littérature [10]. Rejetant « la fraternité et l’unité », Krleža et ses collègues œuvrèrent pour la reconnaissance de la Croatie comme nation indépendante bénéficiant d’un certain degré d’autonomie nationale. La « Déclaration concernant le nom et le statut de la langue littéraire croate » de mars 1967 avait une visée polémique, dans la mesure où elle rejetait l’accord de Novi Sad et exigeait la reconnaissance de la spécificité de la langue croate [11].
11 Ce groupe, connu sous le nom de « Maspok », fut à l’origine du « Printemps croate » de 1971, au cours duquel Krleža et ses partisans furent emprisonnés. Parmi eux figurait un jeune homme fougueux du nom de Franjo Tudjman. Krleža devint un martyr pour la nation à travers sa défense de la langue nationale contre l’hégémonie culturelle serbe. Bien que le « Printemps croate » ait été présenté comme un calvaire pour les intellectuels croates, la plupart des réformes exigées furent satisfaites sans heurts. À partir de 1971, Croates, Serbes et Monténégrins se virent accorder le droit d’utiliser leur langue nationale dans leurs constitutions respectives. Seule la Bosnie-Herzégovine conserva le serbo-croate [12]. Les Croates obtinrent également une autonomie pour la culture et l’éducation. Des ouvrages magnifiant les chefs-d’œuvre de la littérature croate, tels que Cinq siècles de littérature croate, furent publiés. Le ministre de l’Éducation supprima les programmes d’inspiration yougoslave, permettant à chaque république d’enseigner sa propre histoire. L’histoire yougoslave et le thème « fraternité et unité » furent progressivement remplacés par la langue, l’histoire et la tradition croates.
La « nouvelle purification » de la langue sous l’égide de F. Tudjman et du HDZ
12 La mort de Tito en 1980 signa la fin de la fédération yougoslave et rapidement des revendications autonomistes montèrent des républiques. L’arrivée au pouvoir de Franjo Tudjman à la fin des années 1980 fut facilitée par son image de martyr de l’histoire et de la langue croates. L’une de ses premières décisions, après l’élection triomphale d’un gouvernement HDZ en 1991, fut de « purifier » à nouveau la langue pour créer une langue croate distincte qui ne pourrait être confondue avec la langue serbe. Dès que les Croates eurent conquis leur indépendance dans le cadre d’un État souverain, il devint indispensable de mettre en valeur la singularité de la culture, des traditions, de la religion et de la langue croates. Une série de mesures furent introduites afin de séparer les Croates des Serbes et de démontrer que la longue association politique entre ces deux peuples n’était rien d’autre qu’une anomalie historique extrêmement préjudiciable aux intérêts croates. Les Croates ne voyaient dans le serbo-croate qu’un « simple instrument » ayant servi, tout au long de l’histoire de la Yougoslavie, à fondre des peuples hétérogènes dans une nation unique. « La seule raison d’être du “serbo-croate”, affirmait un historien procroate, et la seule pour laquelle il a été imposé à des populations récalcitrantes, c’est le projet de création artificielle d’une Yougoslavie, unie par la force contre la volonté de la majorité de ses peuples » [13].
13 Après l’indépendance, les écrivains et les linguistes croates furent en mesure de revendiquer le croate comme leur seule et unique langue nationale. Nombre de Croates croyaient en un âge d’or linguistique qu’il convenait de redécouvrir. Un lieu caché où la langue croate résidait comme pure, authentique et immaculée, dans l’attente d’un dépoussiérage qui la débarrasserait, après des décennies, des impuretés et des oripeaux serbes et communistes. Le célèbre écrivain croate Slobodan Novak décrivait ainsi la « pureté » retrouvée de la Croatie en proclamant de manière triomphale :
« La Croatie est en train de se laver des souillures de l’unitarisme yougoslave et grand serbe qui se sont répandues à sa surface pendant un siècle. La Croatie ne fait que revenir à sa forme originelle et retrouver sa nature profonde. Si aujourd’hui la Croatie en est réduite à opérer des incisions douloureuses dans sa langue, son histoire, ses savoirs et même les noms de ses villes et de ses rues, cela montre seulement le niveau de contamination et à quel point toutes les facettes de sa vie et de sa connaissance ont été polluées » [14].
15 Pour Novak et beaucoup d’autres, la perte de la langue nationale fut l’un des legs les plus douloureux du communisme. La régénérescence du croate a pour fonction de restaurer la singularité et le prestige de la nation. Elle doit confirmer la séparation définitive entre Serbes et Croates et permettre à la Croatie d’occuper la place qui lui revient dans l’Europe occidentale et non orientale. Par ailleurs, toute ressemblance entre le serbe et le croate serait la preuve d’une duplicité et d’une domination serbe. Les efforts passés de Ljudevit Gaj, de l’évêque Juraj Strossmeijer et de membres de l’Académie yougoslave pour créer et unifier le serbo-croate au profit des Croates, et non des Serbes, ont été commodément oubliés. L’amnésie historique fut un phénomène courant dans chaque camp pendant la guerre de Yougoslavie. À la veille de l’indépendance, l’opinion prévalait que si l’on parvenait à établir la légitimité de la langue croate, l’idée d’une nation croate séparée s’imposerait d’elle-même, une nation qui, par sa langue, serait plus occidentale et pacifique que ses voisines yougoslaves. La refonte linguistique était conçue comme partie intégrante d’un ensemble de mythes et de symboles destiné à libérer la nation de décennies de pillages et de corruption communiste.
16 Les linguistes ont souvent prétendu que Croates et Serbes correspondaient à deux peuples distincts qui l’étaient demeurés, en dépit des manigances serbes et communistes du 20e siècle. C. Michael MacAdams, historien américain procroate, a fait l’inventaire des milliers de mots prétendument différents entre les deux langues. Il donne ainsi l’exemple du mot odojce, qui désigne en serbe un enfant nourri au sein et en croate un porc. Un autre exemple est celui de voz, qui désigne un wagon de train en serbe et un chariot à foin en croate. Un exemple plus édifiant est le mot deva qui désigne la Vierge Marie en serbe et un chameau en croate. Sur la base de ces différences, l’auteur affirme que le serbe et le croate sont plus éloignés que le norvégien et le danois ou que le flamand et le hollandais [15]. Les démonstrations de C. M. MacAdams, comme celles d’autres nationalistes croates, sont délibérément trompeuses dans la mesure où, en anglais, des mots comme runt (nabot, avorton) et wagon (chariot, wagon) sont aussi à double sens.
17 Les variations régionales des dialectes et des mots ne traduisent pas l’existence de langues différentes, mais simplement la persistance depuis le 19e siècle de formes dialectales régionales. Pour les linguistes scrupuleux qui ont étudié l’émergence des langues croate, serbe, monténégrine et bosniaque, il apparaît clairement qu’elles correspondent à une seule et même langue. On peut dire avec assurance qu’il s’agit d’une langue commune dans la mesure où la langue parlée présente des différences terminologiques, grammaticales et syntaxiques représentant moins de 3 % à 7 % de l’ensemble de la langue. De ce fait, il paraît bien difficile de ramener le croate, comme le souhaite Novak, à sa « vraie nature », à moins d’un processus long et conscient d’invention. Les nouveaux dictionnaires furent les premiers éléments du renouveau à faire leur apparition. Le Dictionnaire séparé (Razlkovni Rje?nik) de Stjepan Brodnjak comprend 35 000 entrées, principalement constituées de termes techniques et archaïques. Le Dictionnaire politique croate (1993) de Hrovje Sosi? est aussi alambiqué et n’aborde aucune des périodes controversées de l’histoire de la Croatie, telles que la période terrifiante de la seconde guerre mondiale [16]. Le zèle manifesté pour « dé-serbiser » la langue a conduit à réviser des textes clairement identifiés comme « croates ». Le manuel de langue de Jasna Baresi?, Dobro Dosli, a dû être épuré de tous les « serbismes » qu’il contenait par d’autres linguistes croates qui ont mené ce travail jour après jour, dans la mesure où l’on repérait sans cesse de nouvelles « impuretés ». Même Krlež;a, un grand défenseur de la langue croate, a vu son œuvre retraduite du serbo-croate pour les nouveaux manuels scolaires.
18 Dans de nombreux cas, on a créé une langue entièrement nouvelle. Malgré les efforts pour ressusciter l’âge d’or de la langue croate, la plupart de ces termes n’avaient aucune origine historique. Des problèmes surprenants et inédits sont ainsi apparus dans le cadre de cette « épuration lexicale ». Par exemple, le terme tisuca, qui veut dire mille en serbo-croate, avait été banni par les gouvernements communistes et remplacé par le mot hiljada, qui, paradoxalement, était un vieux mot croate. Ce terme fut alors réprouvé par les nationalistes qui lui préférèrent tisuca parce qu’il avait été supprimé par les communistes. F. Tudjman s’est associé à ce révisionnisme linguistique en inventant des termes pour le jeu de tennis dont beaucoup se sont révélés peu pratiques, comme l’expression priptavanje pour tie-break [17].
19 Les journaux contrôlés par le gouvernement ont inséré dans leurs colonnes des rubriques recensant les mots « non croates » ne devant pas être employés par le public. Il apparut également très important de savoir quelles personnes étaient croates et lesquelles ne l’étaient pas. Les Croates originaires de Serbie et de Bosnie-Herzégovine se virent dans l’obligation de se soumettre à des tests de niveau linguistique pour pouvoir prétendre à la citoyenneté croate. Il apparut extrêmement difficile, pour nombre de nouveaux arrivants, de satisfaire aux nouvelles exigences linguistiques fixées par le gouvernement. En août 1995, des membres du parti HDZ tentèrent encore de durcir ces exigences de façon draconienne. Un député suggéra de réintroduire l’alphabet étymologique et identifia 30 000 mots à éliminer de la langue croate. Un autre projet de loi prévoyait la création d’un Bureau pour la langue croate qui aurait eu compétence pour infliger des amendes et des peines d’emprisonnement aux individus coupables de parler un croate « incorrect ». Bien que de tels projets de lois n’aient pas été adoptés et même ouvertement dénoncés par les médias proches de l’opposition, la fièvre langagière n’est pas retombée [18]. Le type de ravages qu’une telle législation aurait pu produire est inimaginable.
20 Les voix les plus radicales, comme celles des rédacteurs du magazine d’extrême droite NDH, proposèrent de forger une langue nationale entièrement nouvelle. Prônant l’utilisation de l’orthographe korienski, un journaliste affirma même que l’adoption d’un nouveau dialecte était le seul moyen pour créer une langue authentiquement croate. Il était pourtant évident qu’un tel langage ne pourrait jamais atteindre à la précision et à la « pureté » historique. Ce problème était mineur pour l’auteur : « Seuls le renouveau et la résurrection du caractère unique de la langue croate et de l’orthographe korienski (car ainsi les langues croate et serbe deviendraient mutuellement inintelligibles) sont en mesure de détruire les ambitions serbes sur les territoires croates et de nous libérer de la crainte d’une “unification” violente entre certaines parties de la Croatie et la Serbie » [19]. En créant ainsi leur propre Babel, les Croates se mettraient, selon l’auteur, à l’abri des agressions serbes :
« … La perte de toute compréhension mutuelle entre les langues croate et serbe est la meilleure garantie que la Croatie ne rejoindra jamais plus une association yougoslave qui pourrait conduire au rétablissement d’un État commun avec les Serbes, car nous aurions désormais des langues, des cultures et des religions différentes. Dans la mesure où [Serbes et Croates appartiennent à] deux civilisations différentes, il ne peut y avoir entre nous de coexistence. Travaillons dur, avec amour, pour apprendre la langue croate épurée de tous ces stigmates non croates qui lui ont été imposés et pour ressusciter son caractère croate » [20].
22 Peu importe que le « caractère croate », auquel l’auteur faisait référence, fût incompréhensible à l’immense majorité des Croates eux-mêmes. Ce qui importait, ce n’était pas la réalité historique de la langue, mais son statut de séparation. Lorsque les linguistes croates prétendaient restaurer un âge d’or linguistique, leur travail n’était que pure invention. Les différences entre le « serbe », le « croate » et le « bosniaque » étaient de niveau dialectal et régional, nullement d’ordre national. Au sein même de la Croatie, les Istriens, les Dalmates et les populations vivant dans la région de Zagreb parlaient tous des dialectes particuliers qui auraient pu, sans grand effort, être transformés en langues différentes.
23 Comme le déplora un journaliste pendant le conflit, « il n’est pas inconcevable que les planificateurs de la langue finissent par enseigner aux jeunes générations les moyens de l’incompréhension réciproque ». La Fondation du patrimoine croate, une agence gouvernementale croate, admit clairement que les différences linguistiques pouvaient avoir autant un fondement politique que réel. En 1999, les membres de cette institution déclarèrent que « tout comme l’Espagne démocratique reconnut, après la chute du fascisme, que le galicien était une langue différente de l’espagnol et du portugais, de même le croate et le serbe peuvent être considérés comme deux langues différentes en raison de leurs développements historiques culturels séparés et de leurs différences fonctionnelles ». Les auteurs concluaient en affirmant : « Il a été démontré au-delà de toute contestation que les Croates forment une nation depuis mille trois cents ans et qu’ils possèdent pour les dix derniers siècles des documents et une littérature rédigés dans leur langue maternelle » [21].
24 Le théoricien du nationalisme George Schöpflin a qualifié ce type de croyance de « mythes de l’élection », lorsqu’une nation se considère comme expressément choisie par Dieu ou l’Histoire pour accomplir une mission spéciale, en raison du caractère noble ou singulier des vertus qui la définissent. Bien que ce type de mythe soit enraciné dans la tradition chrétienne, la sécularisation de la religion dans le cadre du nationalisme contraint les acteurs à rechercher d’autres arguments pour établir la supériorité de leur nation sur ses rivales. Dès lors, ce sont les prédispositions de la nation croate pour la « civilité », les « lettres » et l’« européanéité » qui la classent au-dessus de ces proches voisins et servent de légitimation à l’affirmation d’une supériorité morale et culturelle [22]. La pensée était réconfortante qui consistait à croire que, si la Croatie rejoignait l’Occident, tous ses problèmes avec la Serbie appartiendraient au passé. Cependant, Tudjman et ses alliés n’ont jamais été en mesure de donner plus que l’illusion de l’« occidentalité » aux Croates et encore n’étaient-ils pas de très bons illusionnistes. Slavenka Drakuli? fit une remarque très juste dans Cafe Europa, en écrivant que « l’Europe n’est pas une mère redevable de quoi que ce soit envers un enfant longtemps ignoré, ni une princesse à courtiser. Elle n’est pas non plus un chevalier envoyé pour nous libérer, une pomme ou un gâteau à déguster, une robe en soie ou le mot magique de “démocratie’’ » [23]. L’existence d’une langue séparée n’a jamais été, comme on a voulu le faire croire, la clé ouvrant les portes sacrées de l’« Europe ».
25 En dépit des efforts des linguistes croates et de leurs homologues bosniaques et serbes, l’essentiel de leurs réalisations n’a été que des effets de manche rhétoriques. Le véritable test pour la langue croate a peut-être eu lieu lors des négociations précédant l’accord de Dayton entre Serbes, Croates et musulmans bosniaques. Au cours des discussions sur le découpage de la Bosnie-Herzégovine, les participants avaient le choix entre plusieurs traductions simultanées, « serbe », « croate » et « bosniaque ». Bien qu’il fût possible de sélectionner un des trois canaux, il n’y avait en fait qu’un seul traducteur pour les trois « langues ». Le négociateur américain Richard Holbrooke nota que personne ne semblait s’en soucier. La langue était une question de fierté nationale, non de moyen technique. Tous les participants parlaient anglais et tous parlaient couramment la « langue » de leur interlocuteur [24]. La création de différences était l’un des objectifs prioritaires des élites nationalistes croates pendant l’éclatement de la Yougoslavie.
Replacer la langue croate dans son contexte
26 Afin d’être correctement compris, il convient de situer le nationalisme linguistique dans son contexte. Il fut un instrument, parmi beaucoup d’autres, du régime de F. Tudjman pour légitimer des abus flagrants de pouvoir, au nom d’une prétendue révolution nationale. Ce qui s’est révélé être dans les faits le renversement d’un régime communiste par une clique d’anciens communistes et d’opportunistes nationalistes a été camouflé derrière un nouvel âge d’or du nationalisme. La création d’une nouvelle langue devait convaincre les Croates de la justesse de la sécession avec la Yougoslavie. Cela servit plus tard à renforcer la croyance en l’existence de différences irréconciliables entre Serbes et Croates qui ne pourraient jamais être dépassées, sinon par la séparation. F. Tudjman, comme architecte du nouveau nationalisme et « sauveur » de la nation croate, acquit un prestige personnel immense en se ralliant et en encourageant cette pseudo-révolution. Le rôle historique de F. Tudjman fut le sujet d’un documentaire financé par les autorités croates et intitulé « Tudjman – le George Washington croate », montrant des événements marquants de son existence et des interviews, sur des commentaires de l’acteur américain Martin Sheen [25]. Diffusé à la télévision croate en août 1997, ce film présentait F. Tudjman comme le champion de la démocratie et le martyr de la nation [26]. Certains articles de journaux le dépeignirent aussi comme le « Moïse » croate, arrachant son peuple à l’adoration trompeuse du « veau d’or » et du titisme autrefois vénérés. Certains Croates crurent voir dans leur pays une terre promise exigeant une lutte constante, car « chaque jour est un Exode d’Égypte » [27]. Le « salut » de la langue faisait partie d’un projet national plus ambitieux, visant à démontrer la singularité et la supériorité à tous les niveaux de la Croatie.
27 Un des aspects essentiels de cette croyance repose sur le mythe selon lequel la Croatie se situerait historiquement sur la ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest. Du fait d’un long rattachement à l’Autriche et à la Hongrie et du rôle majeur que la Croatie a joué dans la défense de l’Europe occidentale face à l’expansionnisme ottoman, les Croates se perçoivent comme un peuple occidental. Considérant, au contraire, les Serbes comme un peuple oriental et, par conséquent, issu d’une civilisation inférieure à celle des Croates, il est apparu naturel à ces derniers de rejoindre le giron de l’Europe occidentale, pour rompre avec leurs voisins « orientaux » de Serbie. « Les Croates, comme l’a déclaré F. Tudjman dans un discours, appartiennent à une culture, à une civilisation différente qui n’est pas celle des Serbes. Les Croates font partie de l’Europe occidentale, de la tradition méditerranéenne. Bien avant Shakespeare et Molière, nos écrivains furent traduits dans les langues européennes. Les Serbes appartiennent à l’Orient. Ils sont un peuple de l’Est, comme les Turcs et les Albanais. Ils appartiennent à la culture byzantine. » [28]
28 Pour F. Tudjman et nombre de Croates, l’idée que la Croatie fît partie des Balkans heurtait leurs traditions et les valeurs ancestrales. Ainsi que F. Tudjman l’admit au cours d’un entretien, « compte tenu de sa situation géopolitique, de son histoire longue de quatorze siècles, de sa civilisation et de sa culture, la Croatie s’intègre en Europe dans une sphère couvrant l’Europe centrale et méditerranéenne. Nos liens politiques avec les Balkans entre 1918 et 1990 ne sont qu’une courte parenthèse dans l’histoire croate et nous sommes déterminés à ne jamais la rouvrir » [29]. Il fallait ainsi rejeter les Serbes et leur « forme asiatique de gouvernement » [30]. La Croatie se situe, par son histoire, du côté du monde occidental, alors que les Serbes se rattachent à l’Est. Il apparut ainsi fondamental de souligner le fait que la langue serbe utilisait l’alphabet oriental cyrillique, tandis que le croate recourait à l’alphabet latin jugé plus occidental. Par conséquent, la langue devait concourir à un projet croissant de différenciation.
29 L’apparition en 1981 de la Vierge Marie à un groupe d’écoliers dans la ville de Medjugorje (Herzégovine) fut également utilisée pour séparer l’Est et l’Ouest, c’est-à-dire les Serbes et les Croates. Medjugorje devint, pendant la guerre, un objet de réflexion sociologique lorsque Stjepan Meštrovi?, Slaven Letica et Miroslav Goreta parvinrent à en faire un objet de propagande au service de la cause croate. Ce n’était manifestement pas un hasard, estimaient les auteurs, si « la ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest longe[ait] approximativement la frontière actuelle entre la Croatie et la Serbie, à travers la Krajina » [31]. L’apparition de la Vierge, un an seulement après la mort de Tito, était le signe que la nation croate était particulière et distincte. Pour S. Meštrovi? et ses collaborateurs, Medjugorje « symbolis[ait] la rupture progressive entre les cultures orientale et occidentale » [32]. Autrement dit, l’indépendance de la Croatie était d’une certaine manière prophétisée et encouragée par Dieu lui-même.
30 Medjugorje est devenue plus tard « la Fatima de notre époque », symbole des « aspirations de la Slovénie et de la Croatie espérant trouver à l’Ouest plus de pluralisme et de démocratie, à l’opposé des propensions orientales de la Serbie pour un nationalisme de type fasciste et un système politique monolithique » [33]. Cette analogie a été prolongée dans le développement d’un discours décrivant les Croates comme représentants d’une « culture matriarcale », caractérisée par une tendance à la passivité, un comportement prévenant et policé, opposée à la « culture patriarcale » des Serbes qui manifestent un caractère plus belliqueux et destructeur [34]. L’élément central de ce mythe reposait sur l’idée de bonté propre au catholicisme, faisant des Croates des gens plus civilisés, pacifiques et éclairés. Medjugorge devenait un symbole géographique des traditions religieuses et culturelles de la Croatie, tandis que le catholicisme plaidait en faveur d’une « assise culturelle universaliste … authentiquement occidentale » [35]. Là encore le « mythe de l’élection » (G. Schöpflin) fonctionnait à plein : les Croates se présentaient comme une nation supérieure, plus occidentale et plus européenne, ainsi que Finkielkraut l’avait également affirmé. L’indépendance de la Croatie se justifierait par de tels arguments.
31 À l’élément culturel, s’ajouta un discours racial. Les Croates ont souvent été considérés comme un « groupe iranien », assimilé par les populations slaves peu de temps avant leur installation dans l’ouest de la péninsule balkanique [36]. À l’inverse, les Serbes ont souvent été qualifiés de « Vlachs orthodoxes des Balkans », qui émigrèrent en Bosnie et en Croatie à l’époque ottomane [37]. En 1995, une équipe de chercheurs croates tenta de démontrer que les ancêtres des Croates étaient des aryens originaires de Perse. Affirmant que le terme Hrvat dérivait de l’ancien mot perse Hu-Urvat, ces ethnologues entreprirent le plus grand projet archéologique de l’histoire de la Croatie, en quête des anciennes origines iraniennes des Croates. De tels chantiers bénéficièrent d’un fort soutien de F. Tudjman [38], ainsi qu’un autre projet impliquant le président de l’Académie croate des sciences de l’éducation à l’Université de Zagreb, Nedjeljko Kujundzi?, qui crut pouvoir rattacher les Croates aux premières tribus celtes, tandis que les Serbes descendraient de samaritains numides [39]. En décembre 1999, alors que F. Tudjman était mourant, une nouvelle conférence avança que Croates et Serbes avaient des origines ethniques différentes. Par ailleurs, au cours d’une conférence à Zagreb sur l’identité et la continuité de la nation et de l’État croates, un représentant du prestigieux Ruder Boskovi? Institute prétendit que 75 % des Croates ne présentaient aucun lien génétique avec les slaves et formaient une race originaire du Sud-Ouest de l’Asie, sur « la base d’éléments de preuve archéologiques et biogénétiques » [40].
32 À l’inverse, une théorie divergente a établi que les Croates étaient les seuls vrais slaves, ayant occupé la région des Balkans au moins quatre cents ans avant les Serbes. Cette théorie constitue la thèse centrale des écrits nationalistes de l’historien Trpimir Macan de l’Université de Zagreb. À l’appui de cette thèse, T. Macan cite deux tablettes datant du 2e siècle avant. J.-C. et contenant les mots Horathos et Horuathos, d’où dérive le terme Hrvat (croate). Il soutient que les Serbes descendent d’un ensemble de tribus hétérogènes ; les Serbes ne seraient pas des slaves, mais des vlachs, des tziganes et des bergers romanisés [41]. Une autre thèse formulée par un groupe radical basé à Zagreb, prétend que les Serbes sont des Arabes, comme le prouvent leurs doigts carrés. Les Croates seraient, par leurs doigts plus arrondis, d’une race différente [42].
33 Le milieu médical a parfois contribué par ses études à conforter la cause croate. En 1995, le doyen de l’École de médecine de Zagreb, Ivica Kostovi?, publia les travaux de l’Institut croate pour la recherche cérébrale, qui concluaient : « On ne peut pas sérieusement établir l’existence de différences entre les cerveaux des Serbes et des Croates … [mais] des différences dans les formes externes des crânes peuvent être établies ». Ainsi I. Kostovi? notait que « ces différences anthropologiques sont manifestes, notamment au niveau racial … mais aucune différence concernant le fonctionnement cérébral ne peut être déduite de ces différences anthropologiques » [43]. La résurgence d’une pseudo-science phrénologique fut l’un des éléments les plus courants de la propagande croate. Les théories de I. Kostovi?, tout comme celles des archéologues, des historiens et des sociologues croates, se sont révélées éminemment suspectes et irréelles. À tous les niveaux, les nationalistes croates se sont dépeints comme à la fois différents et meilleurs que leurs voisins serbes. Soucieux de justifier son indépendance et ses manigances en Bosnie-Herzégovine, le gouvernement croate a employé un discours de différenciation pour soutenir les intérêts croates. Une langue distincte était un facteur clé de cette stratégie nationale, mais cette langue fut conçue pour conforter des discours sur l’existence de différences raciales et de civilisation, ainsi que pour convaincre chacun que la Croatie était une nation distincte ayant le droit d’exister par elle-même.
34 Pour les spécialistes du nationalisme, la stratégie de différenciation mise en œuvre par F. Tudjman n’eut rien d’un phénomène nouveau, pas plus que la tentative de diabolisation des Serbes à des fins politiques. Peter Alter a vu dans le « mépris et l’hostilité envers les autres peuples » une dimension importante de l’identité [44]. Une analyse complétée plus tard par l’idée selon laquelle les « groupes sociaux ont également tendance à définir leur identité et leur conscience nationales dans des termes négatifs … Des rencontres avec ce qui est “étranger” – qu’il s’agisse d’une langue, d’une religion, de coutumes ou de systèmes politiques différents – permettent aux individus de prendre conscience des liens étroits, des valeurs partagées et du territoire commun qui les rapprochent » [45]. Le psychiatre Dušan Ke?manovi? a lui aussi insisté sur l’importance de l’Autre dans la construction des identités. « La contre-identification, explique-t-il, renforce une obligation de respect pour les “standards nationaux” et “l’observation de rites proscrits” ». L’identification d’un « groupe ennemi » « atténue, réduit ou neutralise complètement les antagonismes intragroupes » [46]. La notion de contre-identification se rapproche du concept de « pseudo-spéciation », théorisé par D. Ke?manovi?, une expression qui désigne la tendance manifestée par l’espèce humaine à se diviser en groupes séparés, créant ainsi des « pseudo-espèces » se comportant comme si elles constituaient effectivement des espèces distinctes, dotées de traditions, d’habitudes culturelles et de caractères psychologiques différents [47].
35 L’exemple du nationalisme croate révèle plusieurs de ces processus à l’œuvre. Les Croates se sont eux-mêmes érigés en peuple élu par le biais du « mythe de l’élection », diabolisant les Serbes, décrits comme orientaux, arriérés, barbares et cruels. Pour être juste avec les Croates, précisons que les Serbes ont procédé exactement de la même manière. Les Serbes se sont perçus aussi comme une nation unique et élue, invoquant au cours du conflit les mythes du peuple élu pour justifier leur droit d’intervention au Kosovo, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Pour ne citer qu’un historien, les Serbes forment un peuple « purement spirituel », « tourné vers le Christ et le royaume céleste » [48]. L’identification de la Serbie à la « nouvelle Byzance » et des Serbes à un « peuple divin », devint une image de plus en plus populaire. L’idée prévalait également que les Serbes avaient beaucoup de points communs avec les Juifs comme compagnons de souffrance victimes de persécutions [49]. En réaction à de telles caricatures, les Croates mirent en avant leur occidentalité et leur européanéité, dans une logique où le nationalisme linguistique remplissait une fonction essentielle.
36 Au plus fort du conflit entre Serbes et Croates, Michael Ignatieff eut recours au « narcissisme des petites différences », théorisé par Sigmund Freud, pour analyser la guerre en Yougoslavie. Ainsi que l’a déclaré M. Ignatieff, « plus une différence réelle entre deux peuples était insignifiante, plus cette différence avait de chance de surgir dans leur imagination ». « Sans la haine de l’Autre, ajoutait-il désabusé, il n’y aurait pas d’identité nationale clairement définie à idolâtrer et à adorer » [50]. De fait, les Serbes et les Croates ont eu et conservent beaucoup en commun. Ces deux peuples sont racialement indiscernables et les régimes de F. Tudjman et S. Miloševi? présentent également une étonnante ressemblance. Quoi qu’il en soit, les ressemblances n’ont jamais été aussi frappantes qu’en ce qui concerne la langue, où le « nettoyage linguistique » s’est révélé être la véritable imposture.
37 La disparition de F. Tudjman en décembre 1999, à l’âge de 77 ans, a marqué la fin du long règne de l’Union démocratique croate (HDZ), peu avant les élections. Ivica Racan et les sociaux-démocrates se sont emparés du pouvoir au début de l’année 2000, alors que Stipe Mesi? devenait président. Depuis, la Croatie s’est rapprochée de l’Union européenne et les positions ethno-nationales de ses dirigeants se sont nettement atténuées. La fin du régime de F. Tudjman a signifié l’avènement d’une nouvelle ère en Croatie. Le changement de gouvernement est cependant intervenu après que le nationalisme linguistique croate eut atteint la majeure partie de ses objectifs. Le langage a subi une profonde transformation et peu de gens continuent aujourd’hui à parler du serbo-croate comme d’une réalité. La Croatie célèbre cette année le 10e anniversaire de son indépendance, comme nation libérée de la brutalité serbe et de l’autoritarisme du HDZ. Certains continuent néanmoins à se battre contre des moulins à vent.
38 Un journal croate a poursuivi la lutte pour la langue croate, en lançant une vaste campagne de pétitions après qu’en mai 2000, la Bibliothèque du Congrès américain eut refusé de reconnaître le croate et décidé de continuer à utiliser le « serbo-croate ». « Le monde entier a reconnu la langue croate, sauf un traînard », écrivit ce journal. La lutte était donc loin d’être terminée. « Un des principaux objectifs du peuple croate, pouvait-on lire dans un éditorial du journal, en rompant avec la Yougoslavie communiste, en plus de l’instauration d’un État libre et démocratique, fut de restaurer le croate comme langue officielle vieille de mille ans » [51]. Quelques ouvrages sur la singularité de la langue croate furent également publiés, un peu comme si la guerre de Yougoslavie se poursuivait. Le livre de Miro Ka?i?, Croatian and Serb. Delusions and Forgeries, a été traduit en français en 2000, avec l’ajout d’un chapitre intitulé « Pourquoi le croate ne peut être confondu avec le serbo-croate » [52]. À l’évidence, le processus de révisionnisme linguistique se poursuit, même s’il est aujourd’hui beaucoup moins virulent. La défaite de Slobodan Miloševi? lors des élections en Serbie pourrait bien avoir fait se dissiper le spectre serbe qui hante la Croatie depuis les années 1980. Alors, seulement, pourrait voir le jour un processus de construction nationale visant à unir et non à diviser. ?
39 (Traduit de l’anglais par Mickaël Vaillant)
Notes
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[1]
Cf. Z. Corak, « Croatian Monuments : Wounds Suffered from Other People’s Illnesses », dans Zvonimir Separovi? (ed.), Documenta Croatica, Zagreb, Vigram-Zagreb i Videm Kresko, 1992, p. 97.
-
[2]
La citation exacte est : « Tandis que l’élite européenne s’inquiétait du « tribalisme » des Croates, l’Europe perdait en Croatie ses églises romanes, ses églises baroques et ses palais vénitiens » (NdT), dans Alain Finkielkraut, Comment peut-on être croate ?, Paris, Gallimard, 1992, p. 35.
-
[3]
Marcus Tanner, A Nation Forged in War, New Haven, Yale University Press, 1996, p. 73-75.
-
[4]
Andrew Baruch Wachtel, Making a Nation Breaking a Nation : Literature and Cultural Politics in Yugoslavia, Stanford (Ca.), Stanford University Press, 1998, p. 24-25.
-
[5]
Cf. M. Tanner, A Nation Forged in War, op. cit., p. 10.
-
[6]
Cf. le discours de Niko Bartulovi? dans A. B. Wachtel, Making a Nation Breaking a Nation…, op. cit., p. 90-91.
-
[7]
Daria Sito Su?i?, « The Fragmentation of Serbo-Croatian into Three New Languages », dans Transition, 2 (24), 29 novembre 1996 ; cf. <http:// www. omri. cz/ Publications/ Transition/ Features/ Feature. VO2N24. html>.
-
[8]
Cité par A. B. Wachtel, op. cit., p. 139.
-
[9]
Daria Sito Su?i?, art. cité.
-
[10]
Cf. Le Nouvel Observateur, Reporters sans Frontières, Le Livre noir de l’ex-Yougoslavie : purification ethnique et crimes de guerre, Paris, Arléa, 1993, p. 125.
-
[11]
A. B. Wachtel, op. cit., p. 185.
-
[12]
Daria Sito Su?i?, art. cité.
-
[13]
Cf. C. Michael MacAdams, « The Demise of “Serbo-Croatian” », Zagreb, site internet du Centre d’information croate : <hhttp:// www. algonet. se/ bevanda/ mceng. htm>.
-
[14]
Cité par Dubravka Ugreši?, The Culture of Lies, Londres, Phoenix House, 1998, p. 64-65.
-
[15]
Cf. C. Michael MacAdams, « Croatia : Myth and Reality » cf. <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ macadams/ myth/ midi01. htm>.
-
[16]
Pour une critique du livre de Hrovje Sosi?, Croatian Political Dictionary, Rijeka, Tiskara Rijeka, 1993, cf. Feral Tribune, 29 décembre 1997, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ feral/ feral53. html>.
-
[17]
Pour une excellente discussion des réformes linguistiques intervenues dans la Croatie indépendante, cf. Chris Hedges, « Words Replacing Bullets in Latest Balkan Battle », The Globe and Mail, 16 mai 1996.
-
[18]
Daria Sito Su?i?, art. cité.
-
[19]
Marijan Krmpoti?, « Why is Croatian Language Still Suppressed in Croatia ? », dans NDH, décembre 1997, <hhttp:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ ndh/ ndh2. html >.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Matica Hrvatska Iseljnika, « Croatian Language and Literature », <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ index. htm>.
-
[22]
George Schöpflin, « The Functions of Myth and a Taxonomy of Myth », dans Geoffrey Hosking, George Schöpflin, Myths and Nationhood, Londres, C. Hurst & Company, 1997, p. 31.
-
[23]
Slavenka Drakuli?, Cafe Europa : Life After Communism, Londres, Abacus, 1996, p. 12-13.
-
[24]
Richard Holbrooke, To End a War, New York, Random House, 1998, p. 232.
-
[25]
Predrag Luci?, « Dr Tudjman and Mr. George », Feral Tribune, 3 août 1997, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ feral/ feral49. html>.
-
[26]
D. Ugreši?,The Culture of Lies, op. cit., p. 259-260.
-
[27]
Maja Freundlich, « Bull’s Eyes : Trials on the Way to the Promised Land », Vjesnik, 20 décembre 1998, <hhttp:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ vjesnik/ vjesnik29.html>.
-
[28]
Cité par Robert M. Hayden, Milica Baki?-Hayden, « Orientalist Variations on the Theme Balkan : Symbolic Geography in Recent Yugoslav Politics », Slavic Review, printemps 1992, p. 9.
-
[29]
Cité par Boris Buden, « Mission : Impossible », dans ARKzin, 83, 31 janvier 1997, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ ARKzin/ arkzin5. html>.
-
[30]
Cité par R. M. Hayden, M. Baki?-Hayden, art. cité, p. 2-4.
-
[31]
Stjepan Meštrovi?, Slaven Letica, Miroslav Goreta, Habits of the Balkan Heart : Social Character and the Fall of Communism, College Station (Texas), A & M University Press, 1993, p. 29.
-
[32]
Ibid., p. xiii.
-
[33]
Ibid., p. 108.
-
[34]
Ibid., p. 66-67 et 111.
-
[35]
Ibid., p. 30.
-
[36]
Cf. Ivo Banac, « Préface » à Zvonimir Separovi? (ed.), Documenta Croatica, Zagreb, VIGRAM-Zagreb i VIDEM Krsko, 1992, p. 9.
-
[37]
Ibid., p. 11.
-
[38]
Les objectifs de recherche furent définis dans une déclaration du chef de projet Andrija Zelko Lopi? à l’agence d’information iranienne (IRNA) située à Zagreb. Cf. TanJug News Agency, Belgrade, novembre 1995, p. 4.
-
[39]
Cf. Feral Tribune, 29 décembre 1997 pour un compte rendu de Antun Bauer, Franjo Sanjek et Nedjeljko Kujundzi? (eds), Who are Croats and Where did They Come From : a Revision of an Ethnogenesis, Zagreb, Collection of Works of the Society for the Study of Ethnogenesis of Croats, <http:// www. cdsp. neu. edu/ info/ students/ marko/ feral/ feral53. html>.
-
[40]
« Three Fourths of Croats Have No Slav Genes ? », dans Croatia Weekly, 24 décembre 1999, <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ croatian_genes. htm>.
-
[41]
Trpimir Macan, The History of the Croatian People, Zagreb, University of Zagreb/ Matica Hrvatska Iseljenika, 1994, p. 2.
-
[42]
Brian Hall, The Impossible Country, Boston, David Godine, 1994, p. 19.
-
[43]
D’après Globus, reproduit dans Predrag Kalianin, Stresses of War, Belgrade, Institute for Mental Health, 1993, p. 2.
-
[44]
Peter Alter, Nationalism, Londres, Edward Arnold, 1992, p. 7.
-
[45]
Ibid., p. 19.
-
[46]
Dušan Ke?manovi?, The Mass Psychology of Ethnonationalism, New York, Plenum Press, 1996, p. 36.
-
[47]
Ibid., p. 41.
-
[48]
Bozidar Ze?evi? (ed.), The Uprooting : a Dossier of the Croatian Genocide Policy against the Serbs, Belgrade, Velauto International, 1992, p. 10.
-
[49]
Norman Cigar, Genocide in Bosnia : The Policy of « Ethnic Cleansing », Texas, A & M University Press, 1995, p. 73.
-
[50]
Michael Ignatieff, Blood and Belonging : Journeys into the New Nationalism, Toronto, Viking Books, 1993, p. 14.
-
[51]
Éditorial, « Here We Go Again ! », The Zajednicar, 3 mai 2000, <http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ miro_kacic. htm>.
-
[52]
Miro Ka?i?, Le croate et le serbe : illusions et falsifications (en collab. avec Ljiljana Sari?), trad. du croate par Samir Bajri?, Paris, Honoré Champion, 2000 (coll. « Bibliothèque de grammaire et de linguistique »), http:// www. dalmatia. net/ croatia/ language/ miro_kacic. htm.