Notes
-
[1]
Les TP se déroulent dans des salles avec des paillasses, en blouse blanche et l’élève manipule du matériel de laboratoire : éprouvette, bécher, microscope…
-
[2]
En tension parce qu’il n’existe pas de problème appartenant de manière indiscutable à l’une ou l’autre de ces catégories.
-
[3]
Les sciences historiques sont mobilisées et discutées dans d’autres champs scientifiques : histoire, sociologie, anthropologie. Nous les cantonnons dans cet article aux sciences biologiques et géologiques. Jean Gayon nomme ces sciences « idiographiques », c’est-à-dire les sciences des objets uniques, ce qui est au plus près de notre utilisation (Gayon, 2004, p. 1).
- [4]
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Voir sur http://dx.doi.org/10.5281/zenodo.3820268
-
[7]
Un faux-négatif ou un faux-positif est un résultat erroné dans la détection d’une substance dans le cas d’analyses chimiques. Plusieurs tests doivent être réalisés pour vérifier la présence ou l’absence effective de la substance recherchée.
-
[8]
Il est entendu qu’il n’existe pas de problèmes purement historiques ou fonctionnalistes. La distinction que nous faisons permet plutôt d’orienter les problèmes traités vers le pôle historique ou fonctionnaliste.
Introduction
1Les sciences du vivant et de la Terre, et plus particulièrement les sciences de l’évolution, portent à la fois sur des processus, des mécanismes intemporels que l’on cherche à expliquer, et sur des patrons, des évènements passés que l’on cherche à reconstituer. Ces deux ensembles, relevant des sciences dites fonctionnalistes et historiques, ne constituent pas des catégories strictement étanches, dans la mesure notamment où les patrons reposent bien sur des processus, mais cette distinction permet de révéler des épistémologies et des enjeux didactiques contrastés. Alors que les processus peuvent être abordés par l’expérimentation, et sujets à une approche hypothético-déductive canonique, l’étude des patrons repose nécessairement sur des inférences inductives. S’il s’agit par exemple de chercher des explications à l’extinction quasi complète des dinosaures à la fin du Crétacé, on pourra faire converger un faisceau d’arguments et proposer une explication plausible, voire très probable, mais par définition non directement observable. Ainsi, les causes de la crise Crétacé-Tertiaire, et plus généralement de tout évènement unique situé dans le passé, et relevant en ce sens des sciences dites historiques, conserveront nécessairement un degré incompressible d’incertitude.
2Dans une étude précédente nous avons pu mettre en évidence une sous-représentation, et surtout une non-reconnaissance, des sciences historiques dans le cadre de l’enseignement en France des sciences de la vie et de la Terre (SVT), menant à des impasses épistémologiques et didactiques (Paulin, Charlat, & Triquet, 2019). Une explication possible est que le caractère incertain des résultats des sciences historiques pourrait générer une tension au sein de l’institution scolaire dans son rapport au vrai. Loin de considérer l’incertitude comme une fragilité des sciences historiques, nous voyons là au contraire une occasion précieuse d’aborder des éléments essentiels d’épistémologie, qui concernent finalement aussi bien les sciences fonctionnalistes que les sciences historiques.
3C’est dans cette perspective que nous questionnons ici la prise en charge de l’incertitude dans le cadre de l’enseignement des SVT. Nous présentons un nouveau corpus de données et d’analyses à partir duquel nous cherchons à évaluer le degré de traitement de l’incertitude dans des énoncés de travaux pratiques, donnés lors d’une évaluation terminale. Ces activités expérimentales sont des moments privilégiés pour travailler cet élément incontournable de l’activité scientifique puisqu’elles confrontent l’élève à la fiabilité des mesures, à la qualité de l’échantillonnage ou encore à la validité des conclusions construites et des inférences, au regard des données mobilisées. Nous chercherons à repérer dans ce corpus si les précautions d’usage sont prises pour traiter explicitement l’incertitude dans les démarches expérimentales proposées aux élèves.
Cadres théoriques et questions de recherche
4Notre étude se situe dans le champ de l’enseignement des sciences du vivant et de la Terre et les travaux pratiques que nous analysons sont des activités scolaires qui peuvent être envisagées comme le résultat d’une transposition didactique, au sens de Chevallard (1985), c’est-à-dire nécessairement recontextualisées pour être enseignables. Ces activités n’ont évidemment pas prétention à une quelconque découverte scientifique mais visent bien un apprentissage de savoirs à la fois pratiques et théoriques. La transposition didactique a un fort caractère de nécessité, dans la mesure où le « savoir savant » ne saurait être directement importé dans la classe, mais elle peut s’avérer problématique et mener à des décalages ou des déformations préjudiciables à la compréhension de l’activité scientifique. D’après certains auteurs, elle doit pour cette raison être placée sous surveillance (Antibi & Brousseau, 2002 ; Arsac, Develay, & Tiberghien, 1989).
5Cette vigilance doit s’exercer d’autant plus fortement sur des activités à teneur expérimentale comme celles étudiées ici, puisqu’en tendant à mimer les pratiques de laboratoire [1], elles exacerbent le risque d’un manque de distinction entre l’objectif d’apprentissage des savoirs et la pratique scientifique elle-même. Paul A. Kirschner a analysé cet écueil dans les années 1990, en questionnant la pertinence d’une croyance ancrée chez les prescripteurs des programmes, selon qui la manière dont la science se pratique serait la meilleure manière de l’enseigner (Kirschner, 1992). Ces réflexions font écho à d’autres travaux, notamment en didactique des SVT, portant sur la « démarche expérimentale », une modalité d’enseignent pratiquée en France, impliquant des manipulations de la part de l’élève. Déjà à la fin des années 1970, en faisant de l’acronyme OHERIC un sigle (Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion), André Giordan (1978) avait relevé qu’une telle démarche d’apprentissage, calquée sur une pratique scientifique (réelle ou supposée) comportait un risque de confusion avec cette dernière ; critique reprise par d’autres auteurs, dans un ouvrage collectif, la même année (Astolfi, et al., 1978). D’autres didacticiens, au sujet de la démarche d’investigation (qui a succédé à la démarche expérimentale depuis les années 2000) ont montré la persistance d’une approche de type « OHERIC » dans l’enseignement des sciences (Cariou, 2011 ; Mathé, Meheut, & de Hosson, 2008 ; Orange, 2012 ; Triquet, Gandi, & Guillaud, 2012). Des travaux complémentaires sur l’épistémologie mise en œuvre par les enseignants de SVT ont relevé le positivisme simpliste (Khan, 2002) ou l’inductivisme naïf (Darley, 1996, 2007) imputable à ce tropisme vers l’expérimental. Notre étude s’inscrit dans la lignée de ces travaux et interroge in fine la transposition de l’incertitude dans des activités scolaires visant non pas la découverte mais bien l’enseignement de connaissances stabilisées.
6Nous distinguerons dans cette analyse deux catégories distinctes d’incertitudes, qualifiées de quantitative ou d’ontologique. La première porte sur les incertitudes de mesures, ou les incertitudes statistiques, quand il s’agit d’estimer une valeur à partir d’un échantillon, ou de prédire des évènements avec un degré de confiance plus ou moins élevé. La seconde, l’incertitude ontologique, plus importante selon nous, rend compte de l’impossibilité fondamentale d’avoir accès à une connaissance entière et figée des objets biologiques et géologiques, quelle que soit la pertinence des descriptions produites. Pour tâcher d’écarter toute ambiguïté sur notre propos, précisons que nous ne questionnons pas ici l’existence du réel, mais, comme beaucoup d’autres (voir par exemple Nietzsche, 1873/2002 ; Feyerabend, 1979 ; Atlan, 2014 ; Barrau, 2016), tenons pour acquise la différence entre « le mot » et « la chose », en reconnaissant que le langage même implique un degré incompressible d’abstraction. Nous nous démarquons ainsi d’un positivisme primaire, qui voudrait que la science donne un accès certain à une vérité unique et définitive, mais souhaitons également nous écarter de son image en miroir, la posture relativiste primaire, aussi stérile et infondée selon nous, qui verrait la science comme équivalente à toute autre méthode d’accès à la connaissance. Au contraire, nous reconnaissons à la méthode scientifique une originalité qui lui donne son efficacité propre : la possibilité même du doute, et comme seule contrainte l’exigence d’une cohérence logique entre ses propositions et le « réel sensible » au sens de Delsol (1985), c’est-à-dire les éléments du réel auquel nous avons accès.
7À partir de ce positionnement, nous considérerons avec attention le traitement des objets incontournables de l’enseignement scientifique que constituent les faits et les modèles. Avec Piaget, nous gardons à l’esprit « qu’il n’y a pas de faits bruts ; même l’éclipse, le coup de tonnerre, le précipité dans l’éprouvette, portent une théorie plus ou moins naïve, plus ou moins élaborée, jamais absente » (1967). Nous sommes par ailleurs attachés à la distinction essentielle entre les modèles et les objets qu’ils représentent : une maquette de molécule d’ADN ne devrait pas être nommée une molécule d’ADN et la représentation tridimensionnelle d’une protéine sur un écran d’ordinateur devrait être distinguée de la protéine elle-même. Ainsi, nous chercherons à préciser si le modèle est bien présenté comme médiateur « entre un champ théorique dont il est une interprétation, et un champ empirique dont il est une formalisation » (Sinaceur, 2006, p. 759) ou au contraire s’il est directement considéré comme un objet naturel, qui pourrait être étudié comme tel. D’autres avant nous (Desbeaux-Salviat & Rojat, 2006 ; Orange Ravachol, 2016) ont pu noter que cette distinction n’est pas suffisamment opérée dans l’enseignement, y compris dans les programmes scolaires.
8Pour analyser le rapport à l’incertitude dans les sujets traités, nous aurons besoin de préciser leurs caractéristiques épistémologiques, qui conditionneront les degrés d’incertitude attendus. Nous nous référons pour ce faire aux travaux d’épistémologues et de didacticiens des sciences biologiques et géologiques (de Ricqlès & Padian, 2009 ; Gayon, 2004 ; Gohau, 2012 ; Gould, 1998 ; Morange, 2011 ; Orange Ravachol, 2012). Ces auteurs ont notamment mis l’accent sur cette tension [2], évoquée plus haut, entre un pôle mobilisant les sciences historiques [3] et un autre mobilisant les sciences fonctionnalistes. Comme nous l’avons déjà précisé, les sciences historiques portent sur la reconstitution d’événements passés alors que les sciences fonctionnalistes concernent les mécanismes sous-jacents. Les objets des sciences historiques sont uniques car ayant existé une seule fois et ne pouvant être isolés dans un laboratoire. Au contraire, les objets des sciences fonctionnalistes sont ubiquistes, reproductibles et peuvent être manipulés dans une pratique expérimentale. Notons que certains objets peuvent être appréhendés à la fois dans des perspectives historique et fonctionnaliste. Ainsi, au-delà des objets, ces deux champs scientifiques peuvent être plus facilement distingués par les approches et les questions posées. Un généticien par exemple peut, dans une approche fonctionnaliste, étudier dans une boite de pétri les mutations permettant à une bactérie de résister à un antibiotique, ou, dans une perspective historique, s’interroger sur l’origine de cette même résistance dans la nature.
9Ces deux catégories de sujets, fonctionnalistes ou historiques, sont en principe également soumises aux deux formes d’incertitudes précitées. Sur le plan quantitatif, les mécanismes, tout comme les évènements passés, peuvent être caractérisés avec un degré plus ou moins élevé de précision. Sur le plan de l’incertitude ontologique, les mécanismes comme les évènements passés peuvent trouver des explications plausibles voire très probables, qui n’en restent pas moins, in fine, des élaborations mentales. Mais reconnaissons que l’incertitude ontologique des objets historiques est plus palpable. En ce sens, elle constitue à nos yeux une porte d’entrée idéale vers des terrains épistémologiques plus complets. Nous serons également attachés à préciser la portée, généralisante ou circonscrite, des questions posées. S’agit-il d’identifier l’origine d’un échantillon de sable en particulier, ou au contraire de proposer un modèle général sur l’origine des sables calcaires ? S’agit-il de classer ce fossile particulier, ou d’inférer l’histoire évolutive des hominidés dans leur ensemble ?
10D’une façon générale, nous chercherons dans notre analyse à préciser la présence ou l’absence des précautions qui s’imposent, comme l’usage du conditionnel, le champ lexical du probable, l’explicitation des marges d’erreurs et des intervalles de confiance, l’évocation d’explications alternatives, ou les marques de précautions dans la généralisation des résultats. Nous serons attentifs au piège typologique, c’est-à-dire à la confusion entre objet naturel et modèle, niant la possibilité d’une variabilité par rapport à un standard. À partir des catégories prédéfinies, des attendus plus spécifiques peuvent être formulés. Dans les problèmes d’ordre historique, un traitement explicite de l’incertitude ontologique sera de rigueur. Les conclusions formulées dans ce cadre devront être de l’ordre du vraisemblable plutôt que du vrai. Dans les sujets mobilisant des données chiffrées, un traitement explicite de l’incertitude quantitative sera particulièrement nécessaire. Enfin, dans les sujets de portée générale, nous attendrons une discussion relative à la taille des échantillons ou au nombre d’observations, de même qu’une explicitation au moins rudimentaire des cadres théoriques mobilisés pour justifier les généralisations.
Méthodologie
Corpus
11La problématique est abordée à partir d’un corpus de sujets d’une épreuve du baccalauréat de la filière scientifique. Ces séances, dites d’Évaluation des Capacités Expérimentales (ECE), mises en place en 2013, seront maintenues dans le nouveau baccalauréat français. Selon le texte de cadrage, cette épreuve « permet d’évaluer la maîtrise du candidat à résoudre une situation problème donnée dans l’énoncé en proposant une stratégie de résolution qui inclut la mise au point et la mise en œuvre d’un protocole. » [4]
12Il est évidemment délicat d’aborder des questions épistémologiques complexes à partir de sujets d’examen, tant les contraintes horaires et matérielles imposent une simplification qui ne témoignera peut-être pas de la diversité et de la richesse des autres contenus utilisés au cours de l’année. Nous gardons cette limitation à l’esprit, mais notons néanmoins que ces épreuves ne sont pas présentées comme des situations simplifiées ou illustratives. Au contraire, le texte de cadrage [5] est ambitieux sur les compétences scientifiques que ces activités permettent de travailler.
13L’épreuve de travaux pratiques que nous analysons comporte deux étapes pour une durée totale d’une heure : (étape A) « Proposer une stratégie et mettre en œuvre un protocole pour résoudre une situation problème », (étape B) « Communiquer et exploiter les résultats pour répondre au problème ». Depuis 2018, 80 sujets sont mis en ligne au mois d’avril et chaque académie en choisit 20. Seules la situation-problème et les indications de matériel sont disponibles sous forme d’une liste non exhaustive. Les barèmes d’évaluation ainsi que les protocoles complets restent confidentiels, mais nous avons eu accès aux corrigés de 20 sujets. Les énoncés analysés ont été téléchargés depuis site eduscol, et restent disponibles en tant que matériel supplémentaire associé à cet article [6].
Traitement des données
Catégorisation
14Les sujets sont classés en quatre groupes, en fonction de leur portée générale ou ponctuelle, et de la nature historique ou fonctionnaliste des questions traitées. Les attentes en termes de traitement de l’incertitude ontologique sont bien différentes selon ces catégories. L’incertitude quantitative, quant à elle, concerne particulièrement les démarches mobilisant des mesures ou des tests, et sa prise en charge dépendra moins directement de la nature des problèmes.
Les marqueurs de l’incertitude
15Pour évaluer le traitement de l’incertitude, nous proposons des marqueurs de précautions épistémologiques, que nous mobiliserons en fonction de leur pertinence dans les différents sujets. Ces marqueurs peuvent être textuels, qualitatifs ou quantitatifs. Pour évaluer le traitement de l’incertitude quantitative, nous relevons dans les énoncés la présence ou l’absence des marges d’erreur, ou des intervalles de confiance quand ceux-ci seraient pertinents. Nous vérifions que la taille des échantillons (le nombre d’observations) est suffisante pour établir une moyenne effectivement représentative, qui tiendrait compte de la possible variabilité des traits ou des phénomènes étudiés. Nous notons également si la question de la fiabilité des tests ou la précision des mesures est explicitée. Une telle précaution peut être notamment nécessaire pour éliminer les faux-négatifs ou les faux-positifs [7] dans le résultat d’un test. Notons qu’un marqueur numérique de précaution (par exemple une marge d’erreur) pourra être absent d’un énoncé mais considéré comme présent si une phrase ou une note l’explicite d’une autre façon. De la même manière, s’il est précisé que l’échantillon manipulé est considéré a priori comme typique ou représentatif d’un ensemble, l’incertitude quantitative concernant la taille des échantillons sera considérée comme traitée.
16En résumé, les marqueurs d’incertitude quantitative retenus sont les suivants :
- marge d’erreur : fluctuations dues aux instrument de mesure.
- échantillonnage : nombre d’observations à la disposition de l’élève.
- précision et fiabilité : répétabilité des mesures ; prise en compte des faux-négatifs ou faux-positifs.
18Concernant l’incertitude ontologique, nous relèverons dans les énoncés l’utilisation du conditionnel, ou la présence de termes relevant du probable ou du partiel. Nous considérerons, le degré de prudence langagière des conclusions, concernant les sujets de portée générale, ou de portée restreinte quand ils concernent des objets de nature historique. Nous relèverons également la présence ou non des cadres théoriques dans les introductions, nécessaires pour borner la portée des conclusions. Nous noterons enfin si les échantillons travaillés sont présentés comme particuliers, et donc éventuellement variables par rapport à une moyenne, ou implicitement considérés comme typologiques.
19En résumé, les marqueurs d’incertitude ontologiques retenus sont les suivants :
- Termes relevant du probable, utilisation du conditionnel : dans les sujets concernés, ces termes sont attendus dans les introductions ou les questions, pour conduire l’élève à une conclusion vraisemblable.
- Cadre théorique : sa présence est nécessaire dans les introductions pour baliser le travail. Il participe du traitement de l’incertitude parce qu’il permet de situer la conclusion construite par l’élève dans un référentiel de connaissances qu’il ne faut pas redémontrer.
- Échantillon typologique : un échantillon naturel (un fragment de roche, un fossile…) constitue un élément unique d’un ensemble plus vaste dans lequel il est inscrit, présentant potentiellement une certaine variabilité. Si un seul échantillon est fourni, l’élève ne pourra pas généraliser sa conclusion, et nous considérerons cet échantillon comme typologique.
- Généralisation ou conclusion prudentes : Excepté dans certains sujets fonctionnalistes de portée non générale, le champ sémantique du probable doit être mobilisé dans les conclusions.
21Pour l’ensemble des sujets, nous indiquerons, sous forme de tableaux, la présence (notée 1) ou l’absence (notée 0) des marqueurs attendus en fonction des sujets. Nous reconnaissons le caractère schématique d’une telle approche chiffrée, mais elle nous paraît susceptible, dans le cadre de cette étude exploratoire, de faire émerger des premières pistes de réflexions, en tenant compte de la diversité de l’ensemble des sujets Suite à la présentation des résultats globaux, quatre sujets représentatifs des différentes catégories seront présentés et discutés en détail. Ils nous permettront d’expliciter la manière de mobiliser nos marqueurs d’analyse.
Résultats
Répartition des sujets
22Avant de quantifier des tendances pour les 20 sujets analysés, nous présentons dans le tableau 1 la répartition de l’ensemble des 80 sujets rendus disponible en avril 2019, en croisant leur nature historique ou fonctionnaliste [8] et leur degré de généralisation. Un exemple des problèmes à traiter est indiqué pour chacun des quatre groupes. Nous remarquons que toutes les catégories sont représentées, même si elles sont d’importances inégales. Sans surprise c’est le pôle fonctionnaliste qui est majoritaire (trois quarts des sujets). Nous avons montré dans un précédent article que l’enseignement des SVT est très orienté sur ces problèmes, en raison notamment d’un potentiel manipulatoire plus élevé que les problèmes historiques (Paulin, et al., 2018). Nous notons également que les problèmes de portée potentiellement générale, pour lesquels une prise en charge explicite de l’incertitude ontologique est attendue, sont très représentés, avec 46 sujets sur 80.
Tableau 1. Effectifs et exemples des différentes catégories de sujets, définies selon leur nature historique ou fonctionnaliste et leur degré de généralisation
Sujets de portée ponctuelle (un cas particulier est traité) | Sujets de portée générale (conclusion à valeur universelle) | Total | |
---|---|---|---|
Sujets historiques | 9 sujets Ex : On cherche à déterminer l’origine possible d’un sable de Fontainebleau. | 11 sujets Ex : On cherche à déterminer un climat du passé dans les Alpes. | 20 |
Sujets fonctionnalistes | 25 sujets Ex : On cherche à déterminer si une enzyme d’une personne particulière est fonctionnelle. | 35 sujets Ex : On cherche à expliquer un phénomène immunitaire général, la sélection clonale | 60 |
Total | 34 | 46 |
Tableau 1. Effectifs et exemples des différentes catégories de sujets, définies selon leur nature historique ou fonctionnaliste et leur degré de généralisation
Prise en charge de l’incertitude quantitative
23Seuls les sujets mobilisant des données chiffrées sont considérés dans cette section dédiée à l’incertitude quantitative. Dans tous les cas, elle sera considérée comme traitée si des éléments textuels pallient le manque de données effectivement disponibles. Comme dans les tableaux qui suivent, l’absence d’un marqueur est notée « 0 » et sa présence « 1 ». La case du tableau est grisée si le marqueur en question n’est pas attendu.
Tableau 2 : Prise en charge de l'incertitude quantitative dans 11 énoncés (1 : adéquat, 0 : insuffisant, case grisée : marqueur non pertinent)
Marqueurs d’incertitude quantitative | ||||
---|---|---|---|---|
N° du sujet | Manipulation à réaliser par l’élève | Marge d’erreur | Échantillonnage | Précision et fiabilité |
20 | Comptage du phénotype de 50 drosophiles | 0 | 1 | |
4 | Comptage et tri de grain de sable | 0 | 1 | |
35 | Comptage de grains d’amidon | 0 | 1 | |
29 | Test ELISA : degré d’immunité d’un patient | 0 | 0 | |
58 | Mesure de la consommation d’O2 de levures | 0 | 0 | |
66 | Mesure de l’activité d’une enzyme. | 0 | 0 | |
73 | Mesure de la consommation d’O2 de levures. | 0 | 0 | |
50 | Mesure de la consommation d’O2 | 0 | 0 | |
79 | Mesure de la concentration en glucose d’un muscle. | 0 | 0 | |
51 | Mesures de paramètres crâniens | 1 | 0 | |
16 | Radiochronologie : mesure de l’âge d’une roche) | 1 | 1 |
Tableau 2 : Prise en charge de l'incertitude quantitative dans 11 énoncés (1 : adéquat, 0 : insuffisant, case grisée : marqueur non pertinent)
24D’après cette première analyse, l’incertitude quantitative est majoritairement non prise en charge : 6 énoncés sur 11 ne présentent aucun des marqueurs attendus. Le degré de prise en charge varie néanmoins selon les indicateurs. Concernant l’effort d’échantillonnage, il est suffisant, ou en tout cas pris en compte, dans les activités de comptage, grâce à des données supplémentaires qui permettent d’établir des moyennes représentatives. De même, dans l’activité de radiochronologie (datation d’une roche), des données de 8 prélèvements sont apportées en annexe. En revanche, la précision des mesures et la fiabilité des tests (par exemple, le suivi de la concentration d’O2 dans un milieu) ne sont pas discutées. L’unique résultat apporté par l’élève doit alors permettre de conclure, sans vérification de sa répétabilité. Les marges d’erreurs ne sont évoquées que dans 2 des 11 activités où cette précaution semblerait nécessaire.
Prise en charge de l’Incertitude ontologique
25L’ensemble des 20 sujets nécessite un traitement de l’incertitude ontologique, mais à différents degrés selon la nature du problème traité. Il n’y a pas lieu, par exemple, de traiter la question de la généralisation dans des problèmes limités à un cas particulier. Cependant, certaines des conclusions doivent rester prudentes. C’est pourquoi la colonne « généralisation et/ou conclusion prudente » est parfois grisée, parfois non, en fonction du sujet. De la même manière, dans les activités « fonctionnalistes particulières », l’échantillon ne peut pas être implicitement typologique puisqu’il n’est pas attendu de généralisation. Par ailleurs dans les sujets historiques, l’objet d’étude est unique si bien que le marqueur « typologie » pourrait ne pas s’appliquer. Cependant, quand le sujet porte par exemple sur un massif montagneux dont l’élève ne manipule qu’un échantillon, rien n’assure que le massif entier est à l’image de l’échantillon en question. Nous gardons donc ouverte la colonne « typologie » pour ce type de sujet. Les tableaux 3 et 4 portent respectivement sur les sujets relevant des sciences historiques et fonctionnalistes.
Tableau 3 : Gestion de l'incertitude ontologique pour les sujets de nature historique (1 : adéquat, 0 : insuffisant).
Marqueurs d’incertitude ontologique | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|
N° du sujet | Nature du problème | Descriptif de l’activité | Termes relevant du probable, usage du conditionnel | Cadre théorique | Échantillon non typologique | Généralisation ou/et conclusion prudente |
1 | HG Historique Généraliste | Déterminer le sens de subduction | 0 | 1 | 0 | 0 |
32 | HG | Rechercher des liens de parenté | 1 | 0 | 0 | 1 |
51 | HG | Identification d’un fossile d’une espèce humaine | 0 | 0 | 0 | 0 |
4 | HP Historique Particulier | Rechercher l’origine possible d’un sable | 1 | 1 | 1 | 0 |
16 | HP | Déterminer l’âge d’un massif alpin | 0 | 0 | 1 | 0 |
42 | HP | Déterminer l’origine d’une ophiolite | 0 | 1 | 0 | 0 |
Tableau 3 : Gestion de l'incertitude ontologique pour les sujets de nature historique (1 : adéquat, 0 : insuffisant).
26La gestion de l’incertitude ontologique est globalement faible pour les 6 sujets analysés mais variable selon les marqueurs. Les cadres théoriques sont présents dans 3 activités sur 6. Par contre la prudence dans la généralisation est traitée une seule fois pour 3 sujets de portée générale. Une activité sort du lot avec 3 marqueurs positifs sur les 4 attendus, comme nous le détaillerons dans une partie suivante.
Tableau 4 : Gestion de l'incertitude ontologique pour les sujets fonctionnalistes (1 : adéquat, 0 : insuffisant, case grisée : marqueur non pertinent)
Marqueurs d’incertitude ontologique | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|
N° du sujet | Nature du problème | Descriptif de l’activité | Termes relevant du probable, usage du conditionnel | Cadre théorique | Échantillon non typologique | Généralisation ou/et conclusion prudente |
15 | FG Fonctionnaliste Généraliste | La géothermie en Islande | 0 | 1 | 0 | 1 |
46 | FG | Sélection clonale et récepteurs moléculaires | 0 | 1 | 0 | 0 |
50 | FG | Rechercher un lien entre couleur et teneur en sucre des tomates | 0 | 0 | 0 | 0 |
63 | FG | Mesurer la photosynthèse | 0 | 0 | 0 | 0 |
74 | FG | Établir un lien entre photosynthèse et activité des stromatolites | 0 | 0 | 0 | 0 |
78 | FG | Rechercher les longueurs d’onde les plus favorables à la photosynthèse. | 1 | 1 | 0 | 0 |
79 | FG | Recherche d’un régime alimentaire adapté à l’effort | 0 | 1 | 0 | 0 |
20 | FP Fonctionnaliste Particulier | Identifier le chromosome porteur d’un gène | 1 | 0 | ||
29 | FP | Comprendre l’intérêt d’un traitement sérologique | 0 | 1 | 0 | |
66 | FP | Déterminer l’efficacité d’une enzyme | 0 | 1 | 0 | |
73 | FP | Déterminer quelles levures utiliser pour un vin biologique | 0 | 1 | 0 | |
58 | FP | Chercher une souche de levure efficace contre un polluant | 0 | 1 | ||
35 | FP | Déterminer la qualité d’une farine de maïs | 1 | |||
44 | FP | Déterminer si une plante est mellifère | 1 |
Tableau 4 : Gestion de l'incertitude ontologique pour les sujets fonctionnalistes (1 : adéquat, 0 : insuffisant, case grisée : marqueur non pertinent)
27La prise en charge de l’incertitude ontologique reste très limitée dans les sujets fonctionnalistes, et manque particulièrement dans les sujets de portée générale, ou une plus grande prudence est attendue.
Analyse détaillée de quatre sujets
28Afin d’expliciter l’utilisation de nos marqueurs et de pointer quelques éléments de discussion, analysons maintenant plus en détail un sujet de chaque catégorie.
Sujet n° 29 : Le tétanos (type : fonctionnaliste particulier)
29Cet énoncé porte sur un cas particulier : une personne recevant différentes injections suite à une blessure, censées lui fournir d’abord des anticorps antitétaniques exogènes (sérothérapie), puis dans un second temps stimuler leur production par la personne elle-même en la vaccinant. Il est demandé à l’élève de chercher à vérifier l’intérêt du protocole mis en œuvre. Il doit proposer pour cela une manipulation fondée sur des dosages d’anticorps aux différentes étapes envisagées. Notre attendu en ce qui concerne l’incertitude ontologique est assez limitée : la sérothérapie et la vaccination reposent sur des principes théoriques qui pourraient certes être rappelés, mais une telle prise de recul n’aurait pas sa place ici, dans une situation de mise en application très concrète et concernant une personne unique. La définition du tétanos ainsi que la concentration d’anticorps qui assure la protection sont rappelées. En revanche nous pourrions attendre ici une évocation de la précision associée aux tests utilisés, et éventuellement au risque d’une mauvaise estimation de la présence d’anticorps. Il faudrait notamment s’assurer que les résultats des dosages ne sont ni des faux-positifs ni des faux-négatifs, par exemple en vérifiant la répétabilité des tests. Mais nous n’observons in fine aucun traitement de ces deux éléments d’incertitudes. La conclusion attendue est cependant affirmative et l’élève doit déduire que le protocole a fonctionné sur la personne. Or, une des prémisses de l’argument posée comme vrai (le résultat des tests) ne tient pas compte de la possibilité d’erreur d’un test sanguin. Une remédiation possible aurait été de préciser par une phrase que d’autres tests réalisés ont donné le même résultat, ou d’attendre dans la formulation de la conclusion une remarque limitant la portée du test réalisé telle que : « d’après le résultat du test, qui devrait être cependant confirmé par d’autres, nous pouvons conclure… ».
Sujet n° 46 : Récepteurs des lymphocytes et sélection clonale (type : fonctionnaliste généraliste)
30Dans cet exercice, l’élève est censé montrer que la sélection clonale des lymphocytes T (que nous allons définir plus bas) est liée à la variabilité de leurs récepteurs membranaires, à partir (i) de l’observation, dans un logiciel de visualisation, de deux modèles moléculaires de récepteurs T et (ii) de la comparaison des séquences génétiques correspondantes.
31La sélection clonale est un cadre théorique aujourd’hui solidement établie, selon lequel notre système immunitaire peut reconnaître l’ensemble des antigènes présents dans le milieu extérieur grâce à l’existence d’une immense variabilité de certains récepteurs cellulaires (les récepteurs T) présents sur les lymphocytes T (un sous-groupe de globules blancs). Cette immense diversité, préexistant à toute rencontre avec les antigènes eux-mêmes, serait issue d’une production endogène aléatoire de ces récepteurs. Cette théorie, élaborée dans les années 1950, a été testé et validée dans les années 1980. Elle apporte une explication élégante et convaincante à l’étonnante capacité des vertébrés à répondre à une multitude quasi-infinie d’antigènes différents.
32L’énoncé commence par exposer l’hypothèse de la sélection clonale formulée par Franck Burnet en 1954, dans une tentative louable d’inscrire le sujet dans un contexte historique. Puis il est demandé à l’élève de montrer que la sélection clonale est bien liée à la diversité intrinsèque des récepteurs T, c’est-à-dire de valider la théorie de Brunet à partir de deux modèles moléculaires numériques de récepteurs T ; raisonnement qui nous apparaît comme tautologique (ou circulaire) dans ces conditions.
33En termes d’incertitude, nos attentes sont importantes. L’exercice repose sur la manipulation de modèles (modèle théorique de la sélection clonale, modèles de molécules) et nous attendions ici une explicitation de cette incertitude ontologique, ou au moins des précautions discursives. Les formulations du corrigé ne vont pas dans ce sens. Il est question dans les textes du barème de « molécules » sans que le terme de modèle ne soit repris. Un tel glissement pourrait laisser penser que l’élève voit effectivement des molécules sur son écran, là où il ne voit que des reconstitutions théoriques. La conclusion est du même ordre. L’élève « voit » que les récepteurs sont bien là où ils doivent être et donc la sélection clonale (le terme théorie n’est plus là…) est liée à la variabilité des récepteurs. Le traitement de l’incertitude ontologique est simplement absent puisque les modèles sont présentés comme des objets naturels. L’élève est ainsi amené à penser que la comparaison mobilisée de deux modèles numériques de récepteurs permet de conclure dans le sens général attendu. Une inflexion de la problématique aurait pu suivre une piste plus modeste, et épistémologiquement défendable, en proposant à l’élève de s’interroger sur l’adéquation ou la contradiction des modèles moléculaires avec cette théorie : « Expliquez en quoi les deux modèles présentés sont cohérents avec la théorie de la sélection clonale ? »
Sujet n° 4 : Condition de formation d’une roche sédimentaire (type : historique particulier)
34L’objectif est ici la recherche, à partir de la morphologie de grains de sable, de l’origine possible d’un sable prélevé dans la forêt de Fontainebleau. Les grains d’origine éolienne (sable du désert) sont mats et les grains d’origine marine sont luisants. Nous attendons ici un traitement statistique en matière d’incertitude quantitative : le nombre de grains doit être suffisant et la conclusion apportée prudente car l’histoire de ce sable échappe en partie à l’aspect des grains.
35Ces attentes sont en partie comblées. L’intitulé du problème précise qu’il faut chercher l’origine « possible » de ce sable et des données statistiques sont présentes. L’élève dispose d’un tableau qui contient des résultats obtenus précédemment pour 14 lots de sable d’une centaine de grains chacun. Cette précaution indique une intention réelle de prise en compte de la variation entre échantillons. Mais nous notons que le nombre total de grains effectivement comptabilisés par l’élève est limité au regard du reste des données disponibles, si bien que le résultat du comptage de l’élève ne pourra en aucun cas infléchir la conclusion
36Cet exemple est instructif pour deux raisons. D’une part, le traitement de l’incertitude y est assez abouti, même si la conclusion officielle élimine le terme « possible » à propos de l’origine du sable, qui était pourtant présent dans la question de départ. Mais d’autre part, l’activité de comptage de l’élève, qu’elle soit correcte ou non, ne changera pas le résultat global (qui combine ses observations avec le tableau fournit). Pour contourner cette difficulté, liée à des contraintes pratiques évidentes, il aurait pu être demandé à l’élève de questionner la concordance de ses résultats avec les données préremplies. Ce constat nous semble intéressant dans le sens où il questionne l’objectif de ces « évaluations des capacités expérimentales » (ECE) qui serait in fine de vérifier la compétence des élèves à manipuler correctement. Ici, il doit savoir utiliser une loupe binoculaire, et distinguer un grain mat d’un grain luisant. Un tel objectif nous semble tout à fait légitime et atteignable. Cependant, un objectif d’argumentation scientifique est également affiché, ce qui dans le temps imparti, conduit ou oblige à des réductions qui posent des problèmes épistémologiques.
Sujet n° 51 : Un nouveau fossile du genre humain (type : historique généraliste)
37On cherche à faire évaluer par l’élève 3 hypothèses concernant un nouveau fossile d’homininés. Celui-ci pourrait faire partie de la lignée humaine actuelle, de celle d’Homo erectus, ou encore constituer une nouvelle espèce. Pour aborder ce problème, l’élève doit mesurer trois traits sur un modèle numérique du crâne fossile et les comparer avec trois mesures présentées dans un tableau fournit dans l’énoncé. L’élève doit conclure à partir du degré de correspondance entre ces deux lots de mesures.
38Pour préciser la complexité réelle de ce sujet, et les précautions qui s’imposeraient, considérons un moment le contexte et la littérature scientifique dont il s’inspire. Le crâne est celui d’un Homofloresiensis, découvert en 2003 sur l’île de Florès. Sa place dans le buisson humain a été travaillée par plusieurs équipes de paléoanthropologues et diverses hypothèses se sont succédé pour mener vers l’idée que cette lignée n’est ni celle d’un sous-groupe d’Homosapiens, ni celle d’Homoerectus. L’hypothèse actuelle est une origine en lien avec celle d’Homohabilis.
39En juillet 2013, un premier article est publié à partir de 248 crânes, caractérisés par 24 points de mesure (Baab, McNulty, & Harvati, 2013). Les moyennes établies et le traitement statistique ont permis de conclure que le crâne en question avait peu de points communs avec Homo sapiens et peu également avec des Homo sapiens présentant des pathologies de type microcéphalie. Cette étude a permis d’exclure avec un degré de confiance élevé une filiation directe avec notre espèce et les chercheurs ont proposé comme nouvelle hypothèse une filiation avec Homo erectus. En juin 2017, une autre étude prend en compte 133 points de mesure concernant le crâne, la mâchoire mais également les bras, les jambes et les épaules (Argue, Groves, Lee, & Jungers, 2017). Plusieurs espèces sont ainsi comparées. Cette étude remet d’abord en question (à partir de nouvelles datations radiochronologiques) la date d’apparition de l’espèce qui est repoussée à 1.75 millions d’années, une période contemporaine à celle des fossiles d’Homohabilis. La conclusion de l’étude est intéressante dans sa formulation : « Lorsque nous avons fait l'analyse, il y avait des éléments très clairs en faveur d’une relation avec Homo habilis. Homo floresiensis occupait une position très primitive sur l’arbre de l’évolution humaine » et « Nous sommes sûrs à 99 % qu’Homo floresiensis n'est pas lié à Homo erectus et à presque 100 % qu’il n’est pas non plus un Homo sapiens mal formé » a déclaré le professeur Mike Lee. Les conclusions sont étayées par des données abondantes et recoupées, mais la prudence reste de mise.
40Pour ce problème, notre attente en termes de traitement de l’incertitude est maximale : incertitude quantitative, sur la précision des mesures et leur diversité, et incertitude ontologique, sur la prudence nécessaire pour modéliser à l’échelle de l’espèce à partir d’un seul crâne. L’énoncé répond pour partie à une de ces attentes en précisant que l’exactitude des mesures crâniennes est attendue à 5 % près. Mais aucun autre élément de précaution n’est présent. La conclusion attendue est d’autant plus surprenante qu’elle mobilise un processus déductif. Elle est de la forme « étant donné que les deux mesures effectuées et leur rapport n’appartiennent pas aux intervalles indiqués, on en déduit que ce crâne appartient à une autre espèce que les deux proposées ». Rappelons qu’en logique formelle, une déduction articule deux prémisses posées comme vraies (elles sont alors des axiomes ou des postulats) qui ne peuvent déboucher que sur une conclusion certaine. La déduction échappe ainsi par son formalisme à l’incertitude. Utiliser une telle inférence déductive dans le cadre de cette analyse nous semble inapproprié, tant les prémisses comportent un haut degré d’incertitude. Notons au passage que l’usage, dans ces protocoles, du champ sémantique de la déduction est courant et peut être un indice de l’attrait dans l’enseignement de cette forme de validation qui « sonne vrai » dans le sens de définitif. La réponse attendue par le correcteur gomme en réalité toute la complexité et l’épaisseur du travail ayant permis d’avancer des explications vraisemblables. Là encore, une modification de la question, dans le sens d’une corroboration des mesures effectuées avec des mesures nombreuses et préexistantes validant l’hypothèse la plus vraisemblable, aurait été pertinente, efficace en termes d’évaluation et satisfaisante sur un plan épistémologique.
Tendances générales
41Globalement, d’après nos marqueurs, la prise en charge de l’incertitude dans les activités prescrites est faible mais pas inexistante. Elle est surtout non systématique, certains marqueurs étant parfois traités dans un sujet et pas dans un autre de même nature, sans qu’une logique apparaisse. Les incertitudes dont nous parlons ne semblent donc pas constituer des éléments explicitement attendus dans l’élaboration de ces sujets nationaux. Comme attendu, nous observons des tentatives de prise en compte de l’incertitude dans les sujets d’ordre historique, mais elles restent en deçà des exigences. Concernant l’incertitude quantitative, elle est traitée correctement dans les activités de comptage (grains de sable ou de farine par exemple), par l’apport de données complémentaires dans un tableau annexe, qui permettent d’obtenir un résultat plus solide. Les marges d’erreurs ou les intervalles de confiance sont peu évoqués (2 fois sur 11 activités). La question de la précision des mesures ou de la fiabilité des tests est rarement considérée. Dans tous les cas, une seule mesure ou un seul test est réalisé par l’élève, sans que la répétabilité du résultat soit questionnée. L’erreur de mesure ou les faux-négatifs (ou faux-positifs) ne sont pas envisagés.
42Concernant l’incertitude ontologique, nous observons que les activités portent souvent sur un échantillon unique, considéré par défaut comme typologique, sauf dans un cas où ce présupposé est rendu explicite. Quand cette précision est absente, l’échantillon devient implicitement porteur de généralisation. Il est, en quelque sorte, déjà considéré comme un modèle. Les autres marqueurs de l’incertitude ontologique sont peu traités mais là encore quelques variations peuvent s’observer. Le champ sémantique du probable ou du vraisemblable est quasi absent des énoncés et des conclusions attendues dans les corrigés, donnant un ton très affirmatif à l’ensemble des sujets.
43Les cadres théoriques sont présentés dans les introductions de 13 des 20 sujets, mais ils sont peu mobilisés dans les conclusions qui sont, de fait, peu prudentes. Parfois c’est la mobilisation du « modèle » qui est mise à mal. Ainsi, la représentation tridimensionnelle d’une molécule devient la molécule elle-même. Nous observons finalement le mouvement inverse de celui que nous avons présenté plus haut (ce piège typologique des échantillons uniques prenant sans précaution le statut de modèle). Ici, c’est au contraire le modèle (par exemple, un modèle moléculaire) qui se trouve naturalisé, manipulé comme un objet naturel, perdant alors son statut de construction intellectuelle à but explicatif. Ainsi, les modèles moléculaires peuvent être utilisés comme éléments de preuve pour valider une théorie (par exemple la sélection clonale), de façon circulaire, et sans aucune précaution discursive.
44Ces mouvements contraires (un échantillon mobilisé comme un modèle, un modèle mobilisé comme un échantillon) laissent peu de place aux deux types d’incertitude que nous étudions ici. En effet si l’échantillon est d’emblée représentatif et si le modèle est mobilisé comme un élément naturel, il n’est plus besoin de s’inquiéter de la validité du passage du réel à la théorie, et inversement : il n’est plus nécessaire de multiplier les échantillons ou au contraire de rappeler que les conclusions s’inscrivent dans un système explicatif préétabli. Il devient même alors envisageable d’utiliser un processus déductif, lui-même logique mais malheureusement fondé sur des prémisses douteuses : si ce cygne représente tous les cygnes, il me permettra à lui seul de déduire la couleur de tous les cygnes. Nous voyons là une explication plausible à la forme trop affirmative d’un grand nombre des conclusions que nous avons pu lire.
Discussion et Perspectives
45Constatant la place réduite laissée, dans l’enseignement, aux sciences dites « historiques », par opposition aux sciences « fonctionnalistes », nos travaux précédents nous ont mené vers un enjeu peut-être plus général et critique de l’enseignement : le difficile rapport au vrai, ou à son corolaire, l’incertitude. La présente analyse visait à préciser le degré de précautions épistémologiques effectivement atteint dans une séance d’évaluation de travaux pratiques de SVT au baccalauréat. Nous avons distingué différents groupes de sujets, selon qu’ils relevaient des sciences historiques ou fonctionnalistes, et selon leur degré de généralisation. Dans toutes ces catégories, l’incertitude quantitative, la plus facile à appréhender puisqu’elle impliquerait simplement de tenir compte du degré de précision d’une mesure, d’une estimation ou d’une prévision, est loin d’être traitée à la hauteur du nécessaire. Plus problématique encore, l’incertitude ontologique, conséquence de la distance irréductible entre le réel et sa description, est passée sous silence. Nous discuterons ici des causes possibles et des implications de ce constat, en questionnant d’abord la nécessité d’une prise en compte de l’incertitude dans l’enseignement des sciences. Nous tâcherons ensuite de proposer des explications quant à son absence manifeste. Enfin, nous aborderons la question épineuse de la mise en pratique de nos propositions : à quel stade de la formation, et de quelle manière, pourrait-on et devrait-on enseigner l’incertitude ?
46Nous avons jusqu’ici tenu pour acquise la nécessité d’un enseignement de l’incertitude en science. Prenons un moment pour considérer les arguments sous-jacents. Le premier fait référence à la nature de l’activité scientifique elle-même, à la science qui se construit. Les recherches en histoire des sciences démontrent à quel point les regards sur un même objet peuvent différer selon les lieux, les cultures et les époques. Y voir un simple progrès vers une « connaissance » du monde toujours plus précise et exacte serait une réduction simpliste. Il ne fait aucun doute à nos yeux que l’évolution des théories scientifiques, les petits pas comme les « révolutions », accroissent le plus souvent leur pouvoir explicatif et multiplient leurs domaines d’applications pratiques. Mais la part subjective et chaotique de ces trajectoires est également largement admise. Force est de reconnaître que les avancées scientifiques reposent sur des « données » de plus en plus détaillées, mais également sur les élaborations mentales qui leur donnent du sens, sur des modèles, sur des idées, ayant germé un jour, dans un certain contexte. Certaines idées, en accord avec de nombreux observables, prennent l’apparence illusoire de faits bruts, qui ne seraient sous-tendus par aucun cadre théorique. D’autres idées, d’autres modèles, finalement compatibles avec encore plus d’observables, pourraient pourtant leur succéder un jour.
47L’enseignement devrait-il rendre compte de cette dimension de la méthode et des contenus scientifiques ? À l’heure où nous écrivons ces lignes, la pandémie de Covid-19 se propage et assigne à résidence la moitié de l’humanité, situation inédite et anxiogène. Le besoin de comprendre, d’anticiper, bien légitime, se traduit par une demande pressante d’explications auprès des scientifiques du champ concerné. Les réactions sont parfois incrédules vis-à-vis de la prudence ou des nuances apportées par les uns et les autres quand ils révèlent au grand jour cette habitude, cette pratique presque quotidienne de l’incertitude. Cette crise nourrit notre réflexion et renforce finalement notre propos sur la nécessité de penser l’enseignement de l’incertitude scientifique. Laissons Jürgen Habermas en appeler à une prise de conscience collective de ce rapport à l’incertitude (Truong, 2020) :
D’un point de vue philosophique, je remarque que la pandémie impose aujourd’hui, dans le même temps et à tous, une poussée réflexive qui, jusqu’à présent, était l’affaire des experts : il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir. Aujourd’hui, tous les citoyens apprennent comment leurs gouvernements doivent prendre des décisions dans la nette conscience des limites du savoir des virologues qui les conseillent. La scène où se déroule une action politique plongée dans l’incertitude aura rarement été éclairée d’une lumière aussi crue. Peut-être cette expérience pour le moins inhabituelle laissera-t-elle des traces dans la conscience publique.
49Nous envisageons de manière prégnante aujourd’hui les intérêts d’ordre général d’un apprentissage à l’école des différents types d’incertitude, garant d’un plus grand esprit critique. Une telle formation pourrait fonder une confiance renouvelée des élèves face à la complexité des objets de savoirs et leur offrirait une assise solide plutôt que déstabilisante, en leur donnant à constater une démarcation évidente vis-à-vis des positions dogmatiques, propres aux « vérités alternatives », aux divers obscurantismes et intégrismes qui constituent des menaces tangibles pour nos sociétés. En reconnaissant l’incertitude comme principe constitutif de la démarche scientifique, il devient paradoxalement plus aisé de pointer et critiquer la caractéristique propre à ces positions dogmatiques : la certitude. Enfin, reconnaître la part de créativité inhérente à l’activité scientifique pourrait être une occasion de partager son caractère fondamentalement ludique, et par là même de recréer des liens entre des secteurs disciplinaires trop isolés : sciences « dures », sciences humaines, littérature, langues, arts…
50Comment expliquer une telle absence du traitement de l’incertitude dans l’enseignement des sciences ? Une partie de la réponse se trouve, selon nous, dans une forme d’inertie et d’héritage, les enseignants ayant eux-mêmes d’abord été des élèves nourris de certitudes. Un changement dans ce domaine constituerait une rupture, évidemment difficile à opérer. La quasi-inexistence des réflexions épistémologiques dans la formation des scientifiques, y compris à l’université, et a fortiori des formations dans ce domaine pourtant central, est aussi vraisemblablement en cause. Ce manque étonnant concerne non seulement les enseignants du secondaire, mais également les enseignants-chercheurs du supérieur et leurs collègues chercheurs. Dans le meilleur des cas, ces professionnels de la science se forment « sur le tas » à l’épistémologie, et intègrent une certaine prise de recul vis-à-vis de leurs activités d’enseignement ou de recherche.
51Au-delà de cette inertie, la maigre place laissée à l’incertitude dans l’enseignement relève aussi d’un problème de transposition, c’est-à-dire de la difficulté de viser l’apprentissage de savoirs stabilisés en mimant la démarche scientifique elle-même. En maintenant cette confusion entre démarche d’enseignement et démarche scientifique, les choix curriculaires faits en France depuis des décennies n’ont pas réellement permis de dépasser l’écueil analysé par Kirschner (1992). Distinguer nettement ces deux éléments permettrait de traiter de manière explicite et plus convaincante les incertitudes dont nous parlons.
52La difficulté se situe aussi dans la complexité des objets enseignés eux-mêmes. Donner à voir les incertitudes implique pour l’enseignant de préciser où elles se trouvent, et une incertitude non clarifiée pourrait au contraire devenir confusion, puis inconfort ; celui de l’enseignant lui-même, mettant en lumière ses propres limites ; celui de l’élève perdant confiance en son professeur. Pour qu’une telle situation, finalement inévitable, soit bien vécue, il faudrait revisiter en profondeur la relation enseignant / enseigné, et proposer un nouveau cadre ou les fragilités des uns comme des autres seraient perçues comme des occasions de discussions fertiles, et non comme des fautes, des failles. Nous abordons ici le terrain important de la place du vécu émotionnel, des enseignants comme des élèves, et de sa contribution aux processus d’apprentissage.
53Devrait-on finalement considérer la maigre place de l’incertitude dans l’enseignement des sciences comme un état de fait regrettable mais inéluctable ? Ou au contraire, les explications évoquées ci-dessus nous offrent-elles, en creux, des solutions souhaitables et effectivement envisageables ? Notre penchant va vers cette seconde option. Un premier chantier consisterait à donner une place centrale à l’épistémologie dans l’enseignement des sciences et en amont dans la formation des enseignants. Les recherches en histoire des sciences peuvent être mobilisées dans cette action et elles offrent des entrées en matière fertiles, puisqu’elles mettent particulièrement en évidence le caractère théorique des « découvertes » scientifiques. Chaque sujet pourrait être l’occasion d’une mise en contexte, notamment sociale et historique. Notons qu’un tel exercice pourrait donner tout son sens à l’interdisciplinarité, un autre grand défi de l’enseignement. La distinction entre sciences fonctionnalistes et sciences historiques (à ne pas confondre ici avec l’histoire des sciences !) pourrait également constituer une bonne entrée en matière vers l’épistémologie (Paulin, et al., 2018, 2019). Reconnaissons ici un signe encourageant tangible : les derniers programmes mis en œuvre à la rentrée 2019 font davantage de place à l’épistémologie et à l’histoire des sciences. Il est question dans les textes officiels de comprendre comment un savoir scientifique se construit et dans quel contexte historique il a émergé. Le mouvement est enclenché et il y a lieu de s’en réjouir. Mais reste à former les enseignants de sciences, peu familiarisés avec les fondements épistémologiques de leurs disciplines.
54Quant aux travaux pratiques, qui constituent une part importante de l’enseignement des sciences du vivant et de la Terre, plusieurs solutions sont envisageables pour mieux les accorder à l’épistémologie de ces disciplines. La première, sans ambition réelle d’apprentissage, pourrait être nommée « Ne pas nuire » : elle consiste à réduire la diversité des sujets et à ne retenir que ceux pour lesquels l’analyse a montré une prise en charge (presque) suffisante de l’incertitude (ex. : le comptage des grains de sable, la datation d’une roche par la méthode radiochronologique…). Elle n’a évidemment pas notre faveur mais permettrait de limiter les conséquences fâcheuses. La seconde pourrait être nommée « Avertir » : prévenir l’élève, dans un énoncé lié à l’introduction, de toutes les zones d’incertitude présentes dans l’activité. Il pourrait préciser, par exemple, qu’un échantillon donné est estimé représentatif de sa catégorie dans le cadre de cette évaluation. Les incertitudes seraient ainsi rendues visibles à défaut d’être travaillées. La dernière possibilité, plus ambitieuse en termes d’apprentissage, serait de « travailler l’incertitude ». Cette stratégie consisterait à faire de la caractérisation de l’incertitude un objectif d’apprentissage en soi, et un attendu de ces activités pratiques. Elle pourrait donner lieu à des questions du type : « Vous préciserez les éléments d’incertitude présents dans cette activité et les moyens de leur prise en charge ». Placée avant la conclusion, une telle question pourrait avoir un réel effet incitateur sur la formation des élèves et des enseignants. Nous proposons également qu’une grille de lecture sur les précautions épistémologiques, dont nous avons parlées, soit mise à disposition des enseignants. Elle pourrait s’inspirer des marqueurs que nous avons mobilisés dans cette étude et que nous pensons pertinents pour aider au travail de préparation des travaux pratiques.
55Mais jusqu’où aller dans l’incertitude ? Faudrait-il questionner en classe la rotondité de la terre ? L’évolution des espèces ? Ou limiter une telle approche critique à des théories qui nous semblent aujourd’hui moins factuelles ? Il n’y a selon nous aucune limite à tracer. Apprendre à considérer la rotondité de la terre comme une construction théorique plutôt qu’un fait établi permettrait justement de montrer la force des constructions théoriques, qui peuvent tenir bon contre le bon sens d’une époque, contre l’évidence même. La rotondité de la terre, de même que la non-fixité des espèces ou la relativité du temps et de l’espace sont loin d’être des évidences. Ce sont d’abord des constructions mentales, nouvelles et révolutionnaires à leur naissance, ayant finalement pris une place centrale dans nos sociétés du fait de leur résistance à l’épreuve du doute. C’est le doute, et son expression ciblée, la critique, qui donne leur force aux théories scientifiques. Retirer l’incertitude, c’est retirer à la science son atout majeur face à d’autres formes de « connaissances » avec qui elle entre parfois en conflit frontal.
56Pas de démarcation infranchissable donc, entre des faits établis et des théories débattues, mais peut-être une limite dans la capacité des élèves, et notamment des plus jeunes à apprendre sans certitude. Serait-il pertinent, par exemple, d’enseigner à un enfant de trois ans que l’image sur la première page de son abécédaire est une représentation d’un avion, et non un avion ? Peut-être pas… La confusion entre l’objet et sa représentation, entre le modèle et la réalité, serait-elle une erreur inévitable, inhérente aux catégorisations abstraites du langage lui-même ? La distinction entre l’objet et sa représentation pourrait chez les plus jeunes constituer un frein à l’apprentissage, plutôt qu’un moteur. Cette question échappe à notre champ de compétence, mais il nous semble que la marge de manœuvre reste immense avant qu’elle ne devienne actuelle.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : incertitude, enseignement, évolution, sciences historiques
Mise en ligne 28/10/2020
https://doi.org/10.3917/raised.024.0101Notes
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Les TP se déroulent dans des salles avec des paillasses, en blouse blanche et l’élève manipule du matériel de laboratoire : éprouvette, bécher, microscope…
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[2]
En tension parce qu’il n’existe pas de problème appartenant de manière indiscutable à l’une ou l’autre de ces catégories.
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[3]
Les sciences historiques sont mobilisées et discutées dans d’autres champs scientifiques : histoire, sociologie, anthropologie. Nous les cantonnons dans cet article aux sciences biologiques et géologiques. Jean Gayon nomme ces sciences « idiographiques », c’est-à-dire les sciences des objets uniques, ce qui est au plus près de notre utilisation (Gayon, 2004, p. 1).
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[5]
Ibid.
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[6]
Voir sur http://dx.doi.org/10.5281/zenodo.3820268
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[7]
Un faux-négatif ou un faux-positif est un résultat erroné dans la détection d’une substance dans le cas d’analyses chimiques. Plusieurs tests doivent être réalisés pour vérifier la présence ou l’absence effective de la substance recherchée.
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[8]
Il est entendu qu’il n’existe pas de problèmes purement historiques ou fonctionnalistes. La distinction que nous faisons permet plutôt d’orienter les problèmes traités vers le pôle historique ou fonctionnaliste.