Couverture de RAC_023

Article de revue

L'ingénierie hétérogène portugaise

À la découverte de solutions viables

Pages 279 à 306

Notes

  • [1]
    Traduit de l’anglais par Anna Porter et révisé par Dominique Vinck. Cet article est une version révisée par l’auteur, en fonction des indications du Comité de rédaction de la Revue d’Anthropologie des Connaissances, d’un chapitre publié dans Bill Williams, José Figueiredo, & James Trevelyan (eds.), Engineering practice in a global context : understanding the technical and social, Taylor & Francis, 2013, pp. 159-184.
  • [2]
    « Celui qui part en mer doit apprendre à prier », proverbe cité par Diffie et Winius (1977) et retrouvé en portugais et en sept autres langues européennes (Strauss, 1994, p. 970).
  • [3]
    Localisé dans ce qui est aujourd’hui la région du Sahara occidental, connu aussi comme le cap de la Peur. Les marins de l’époque savaient tous que les navires qui contournaient ce cap disparaissaient à jamais, et une des explications fournies à ce sujet fut qu’il y résidait des monstres marins qui attaquaient les bateaux et les détruisaient.
  • [4]
    Représentation générale des vents, des courants et des routes approximatives de navigation des navigateurs portugais à l’époque d’Henri le Navigateur (environ 1430-1460). Carte créée par Walrasiad sur base de la description dans Gago Coutinho, 1951.
  • [5]
    La formation des marins pour appliquer ces connaissances avait lieu à la Casa da India, détruite lors du grand tremblement de terre de Lisbonne de 1755. Aujourd’hui, les touristes à Lisbonne qui boivent leur café pendant qu’ils admirent la vue du Tage depuis la place du Terreiro do Paço ne sont peut-être pas conscients du fait qu’ils se trouvent à quelques pas seulement de l’école de formation en technologie maritime qui permit à Lisbonne de devenir le centre d’un empire commercial qui s’étendait à presque tous les coins du monde.
  • [6]
    Les auteurs appliquent les codes publiés initialement dans Trevelyan (2008) ; une version plus récente peut être consultée en ligne pour Trevelyan (2010) à l’adresse suivante : http://school.mech.uwa.edu.au/~jamest/eng-work/publications/Trevelyan-ES2010-Reconstructing-Engineering-w-appendices.pdf.
  • [7]
    Bien que l’étude portugaise soit basée sur la technique et les questions de l’entretien des chercheurs de l’UWA, ainsi que sur leur système de codification, il n’a pas encore été possible de définir la fiabilité inter-évaluateur entre les deux études, parce que les entretiens furent réalisés en deux langues différentes. Pour cette raison, il convient d’être prudent lors de comparaisons entre les résultats de ces études.
  • [8]
    Les noms des participants ont été changés afin de garantir leur anonymat.
  • [9]
    Voir par exemple Tilli et Trevelyan (2007) : « Une hypothèse sous-jacente de notre raisonnement sur le travail d’ingénierie est que la formation et l’expérience forment une composante essentielle des premières années de la carrière d’un ingénieur. Cette hypothèse est basée sur des données des entretiens de l’étude cadre, lors desquels tous les participants ont dit que deux à cinq ans étaient nécessaires pour qu’un débutant devienne « compétent ». Bien que chaque participant ait une interprétation différente de la compétence, tous définirent cette période de début de carrière comme « importante ».

Introduction

1Récemment encore, la réponse à la question « Que font les ingénieurs ? » était considérée comme évidente, notamment : « Ils pratiquent l’ingénierie, c’est-à-dire la conception technique et la résolution de problèmes. » Cependant, avec la parution d’un nombre croissant d’études empiriques, il semblerait qu’une réponse plus nuancée à cette question serait requise, ainsi que plus de recherches empiriques. En conséquence, nous avons décidé de collecter des données au sein de notre contexte national afin de compléter les recherches en cours dans d’autres pays.

2Ce chapitre présente une étude empirique du travail des ingénieurs au Portugal. Les données proviennent d’un sondage en ligne de 177 ingénieurs débutants sur le temps qu’ils consacrent à différentes activités, ainsi que d’entretiens avec un échantillon de 22 ingénieurs sur leur travail.

3Les données provenant des entretiens furent collectées au cours de l’année 2012. Lors de l’écoute des participants interrogés, ainsi que pendant la transcription et l’analyse postérieure des enregistrements, nous nous sommes retrouvés face au défi de saisir la vie active de ces ingénieurs : en effet, des tables de données et citations pour illustrer leurs vies nous semblaient insuffisantes pour refléter les descriptions qu’ils partagèrent avec nous. Afin de synthétiser les perceptions de la pratique de la profession sur le lieu de travail, nous nous sommes inspirés d’une étude sur la technologie maritime du XVe siècle menée à bien par le sociologue John Law. Law proposa le concept d’ingénierie hétérogène pour saisir comment l’innovation technique avait permis aux navigateurs portugais de découvrir les solutions qui permirent au Portugal d’atteindre une position dominante dans les domaines de la technologie et du commerce aux XVe et XVIe siècles. Il décrit ces utilisateurs portugais de technologie de l’époque comme des ingénieurs hétérogènes opérant au sein d’un réseau d’acteurs, et nous avons adapté cette approche pour présenter le portrait de la pratique de l’ingénierie contemporaine résultant de nos données.

4Nous avons décidé de suivre une logique chronologique pour structurer cet article : la première partie présente la description de Law de l’ingénierie hétérogène au XVe siècle. Ensuite, notre propre étude des ingénieurs contemporains sera abordée.

L’ingénierie hétérogène

« Si tu veux apprendre à prier, prends la mer » [2]

5Le terme « ingénierie hétérogène » fut créé pour la première fois par John Law dans son analyse du rôle de la technologie dans l’expansion portugaise des XIVe et XVe siècles (Law 1987, 2003). Il signale qu’avant 1433, le redoutable cap Bojador sur la côte nord-ouest de l’Afrique incarnait l’extrême limite pour tous les navires européens se dirigeant vers le sud [3]. Law décrivit le développement de l’innovation technologique dans la forme des galères et caravelles, ainsi que des instruments de navigation qui permirent aux marins portugais de résoudre le problème présenté par le cap Bojador en proposant un chemin de retour s’appelant « volta do mar largo », c’est-à-dire « détour de la haute mer » (figure 1). Ceci dépendait d’informations concernant les vents dominants et de connaissances poussées sur l’interprétation de données astronomiques grâce à des instruments comme l’astrolabe, le quadrant et le compas magnétique pour définir un itinéraire de navigation efficace. Ces connaissances furent enregistrées dans des documents s’appelant « regimentos » et éphémérides (voir exemples dans la figure 2). Le retour du cap Bojador fut accompli via un itinéraire indirect et contre-intuitif : les navires portugais pénétraient directement l’Atlantique en s’éloignant de la côte africaine afin de capter les vents et les courants qui les mèneraient finalement sains et saufs au Portugal, comme décrit dans la figure 1.

Figure 1

« A volta do mar largo » (détour de la haute mer) [4]

Figure 1

« A volta do mar largo » (détour de la haute mer) [4]

Figure 2

Éphéméride (tableau astronomique) de l’Almanach perpétuel d’Abraham Zacuto

Figure 2

Éphéméride (tableau astronomique) de l’Almanach perpétuel d’Abraham Zacuto

(Zacuto, 1496)

6Le fait que les marins portugais étaient les seuls en possession des connaissances et de la formation nécessaires pour mener à bien ce voyage en mer conféra au Portugal un avantage crucial par rapport à ses concurrents européens, et lui permit de dominer les nouvelles routes commerciales ouvertes vers l’Inde, la Chine et le Japon (voir figure 3). Cette dominance devint très rentable au cours des siècles suivants grâce à l’accès exclusif des Portugais au commerce des épices. En effet, le Portugal contrôlait non seulement le commerce entre l’Asie et l’Europe, mais aussi une part importante de ce commerce entre les différentes régions d’Asie (Fernandez-Armesto, 2007, pp. 480-481).

Figure 3

Croissance exponentielle de l’expansion maritime portugaise

Figure 3

Croissance exponentielle de l’expansion maritime portugaise

(Magee & Devezas, 2011)

7Law déclare que l’avantage concurrentiel du Portugal repose sur trois facteurs principaux : les documents, les instruments et des individus formés [5]. Il argumente que les métaphores utilisées préalablement pour décrire la construction de systèmes et pour caractériser les extraordinaires avancées technologiques et d’ingénierie de cette période étaient insuffisantes parce que les constructeurs de systèmes « reliaient des éléments en un ensemble qu’ils espéraient durable », mais ces métaphores ne décrivaient qu’une partie restreinte de la réalité à laquelle étaient confrontés ces marins (Law, 1987, p. 120). Il signale que les explorateurs portugais de l’époque faisaient face à un éventail de facteurs complexes et fluides dans leur lutte constante pour maîtriser la nature, la technologie et leurs adversaires commerciaux. Il propose une description qui repose sur une vision du processus technologique qui repose sur un réseau d’acteurs, dans lequel le navigateur « se trouve au cœur de son propre réseau ». Selon Law, la réussite des marins portugais fut le résultat de l’application d’une « combinaison d’ingénierie sociale et technique dans un environnement riche en acteurs physiques et sociaux indifférents ou ouvertement hostiles ». Il qualifie cette combinaison d’« ingénierie hétérogène », c’est-à-dire une activité qui a lieu au sein d’un réseau où les processus de développement de solutions et de maîtrise de défis scientifiques et technologiques sont influencés de façon décisive par un éventail hétérogène de composantes, allant des rudes forces naturelles de la mer aux facteurs économiques et politiques auxquels étaient confrontés les explorateurs marins.

8Law défend la thèse que les Portugais avaient créé un système qui leur permit de contrôler la moitié du monde pendant 150 ans en établissant un réseau stable composé d’acteurs comme les navires, les voiles, les marins, les navigateurs, les minéraux, les épices, les vents, les courants, les astrolabes, les étoiles, les armes à feu, les éphémérides, les offrandes et les lettres de change, tous entrelacés en un tissu fragile, mais durable. En se basant sur la théorie de l’acteur-réseau (Latour, 1987), il considère que cet acteur-réseau est composé d’acteurs humains et non humains et postule que la décision d’inclure des éléments en tant qu’acteurs repose sur l’identification de ceux dont la présence influence visiblement et spécifiquement l’acteur-réseau.

9Pour résumer, le réseau d’acteurs décrit par Law démontre comment les ingénieurs hétérogènes portugais de l’époque étaient uniques en termes d’application de la technologie pour trouver les solutions requises pour faire face aux défis de l’exploration maritime. Plus loin, dans cet article, nous argumenterons que les ingénieurs contemporains sont confrontés aux demandes d’un réseau d’acteurs complexes, qui est certes moins violent, mais qui présente toutefois de nombreux défis.

Étude contemporaine

10Malgré le fait que la plupart des travaux de recherche sur la formation des ingénieurs ont tendance à interpréter la pratique de l’ingénierie comme étant principalement un exercice de conception et de résolution de problèmes techniques, il existe un nombre croissant d’études empiriques sur les ingénieurs réalisées par des spécialistes des études des sciences et technologies, de l’ingénierie et des sciences de l’organisation, par exemple, qui suggèrent que ce sujet est bien plus complexe que cela et que les aspects sociaux et techniques sont inextricablement liés dans les situations de travail (Bucciarelli, 1994 ; Vinck, 2003 ; Faulkner, 2007 ; Downey, 1998). Ces études sont, pour la plupart, à petite échelle, mais elles furent complétées en 2007 par une étude plus importante sur les ingénieurs en Australie, au Pakistan et en Inde, réalisée par James Trevelyan et ses collègues (Tilli & Trevelyan, 2008) à l’Université d’Australie occidentale (University of Western Australia – UWA). Ces chercheurs identifièrent une dimension sociale de la pratique de l’ingénierie qu’ils nomment « coordination technique », c’est-à-dire l’assurance, de façon informelle, de la coopération volontaire et consciencieuse d’autres personnes dans des contextes techniques. Ils proposent aussi un modèle visuel afin de saisir la pratique de l’ingénierie, telle que décrite dans leur étude, et signalent aussi le besoin de plus de recherche sur l’ingénierie en tant que processus sociotechnique exigeant un apprentissage distribué et continu de la part des praticiens en situation de travail (Trevelyan, 2009, 2010).

11Notre étude repose sur une recherche ayant deux objectifs :

  1. La collecte et l’analyse de données empiriques sur le temps que les ingénieurs portugais consacrent à des activités sur le lieu de travail (activités individuelles et activités menées à bien en interaction avec d’autres).
  2. La collecte et l’analyse de données empiriques sur les paramètres du lieu de travail des ingénieurs portugais, du point de vue d’ingénieurs pratiquant la profession.

Méthodologie

12Pour cette étude, nous avons opté pour une approche fondée sur des méthodes mixtes conformément à un schéma séquentiel explicatif. Cette approche convient pour ce type d’étude, car l’analyse préliminaire de données quantitatives est suivie par la collecte et l’analyse de données qualitatives pour expliquer les résultats de la phase quantitative (Creswell & Plano Clark, 2011, chapitre 3). Pour atteindre le premier objectif, nous avons réalisé l’analyse d’un sondage de 177 ingénieurs. Sur la base de ces résultats, 18 ingénieurs pratiquant la profession furent interviewés pour la collecte de données qualitatives correspondant au deuxième objectif. Le premier objectif vise à répondre à des questions du type « Que se passe-t-il ? » (Shavelson & Towne, 2002, p. 99). Le deuxième objectif, par contre, a pour but de répondre à des questions complexes entrant dans la catégorie qu’ils qualifient comme « Pourquoi ou comment ceci se passe-t-il ? ».

13Pour le sondage, nous avons fait un sondage en ligne auprès d’anciens étudiants en ingénierie pour enquêter sur le temps qu’ils consacrent à diverses activités sur le lieu de travail. Pour atteindre le deuxième objectif, nous avons réuni des données sur les perceptions individuelles des ingénieurs concernant l’exercice de leur profession en situation de travail et nous avons analysé les données qualitatives pour établir une définition pouvant s’appliquer à leurs pratiques en situation de travail. De nombreuses recherches systématiques sur la pratique d’ingénierie sont fondées sur une recherche qualitative (Bailey & Barley, 2011 ; Faulkner, 2007 ; Downey, 1998), qui est une méthode appropriée pour construire une description qualitative à partir des entretiens avec des ingénieurs. Afin de rendre possible une comparaison avec les études australiennes, nous avons utilisé une structure d’interview identique à celle des chercheurs de l’UWA. L’échantillon fut également sélectionné pour s’assurer que les ingénieurs participant au sondage représentent un vaste éventail de domaines d’ingénierie et qu’il comprenne des professionnels à différents stades de leur carrière.

14Enfin, après analyse et codification des données des 22 entretiens d’ingénieurs à l’aide d’un logiciel d’analyse qualitative, nous avons identifié une série de facteurs mentionnés de façon cohérente dans les descriptions faites par les individus interviewés sur leur pratique professionnelle en situation de travail, et les avons représentés de façon visuelle.

Sondage portant sur la perception du temps de travail

Procédé

15Une étude quantitative de 177 ingénieurs débutants fut réalisée par sondage en ligne auprès d’ingénieurs récemment diplômés, afin de saisir leurs perceptions des activités auxquelles ils consacrent leur temps au cours d’une semaine typique. Comme Bailey, nous définissons les ingénieurs débutants comme étant ceux qui ont moins de 7 ans d’expérience professionnelle (Bailey & Barley, 2011, p. 267). Ils furent sélectionnés pour des raisons de facilité logistique, car les coordonnées de diplômés récents sont plus faciles à obtenir que celles de la population générale d’ingénieurs et nous avions anticipé un taux de réponse plus élevé. De plus, nous voulions comparer nos résultats à ceux de l’étude australienne, dans laquelle la population échantillonnée était constituée de diplômés suivis pendant les premières années de leur carrière. Nous avons donc demandé à des ingénieurs récemment diplômés de deux écoles d’ingénieurs de remplir un questionnaire en ligne, disponible en anglais et en portugais. Le taux de réponse des ingénieurs contactés fut de 15 %. Afin de pouvoir comparer nos résultats avec ceux de l’étude d’anciens élèves en ingénierie australiens de l’UWA, un même format d’enquête fut utilisé.

16Les questions étaient réparties en deux groupes : le premier porte sur les interactions en face à face ou via des documents ; le second concerne les interactions avec des systèmes abstraits et des données, ainsi qu’avec du matériel.

17Interaction en face à face ou par téléphone avec d’autres individus :

  • avec une ou deux autres personnes face à face
  • observation sur place et interaction avec d’autres individus faisant le travail
  • réunions
  • formations ou cours
  • appels téléphoniques.

18Les interactions avec d’autres personnes via des textes ou des documents (y compris rapports, cahiers des charges, dessins, plans, calendriers, procédures, consignes de travail, manuels de fonctionnement ou d’entretien, nomenclatures, budgets, documents relatifs aux offres, factures, contrats, etc.) :

  • SMS, chat
  • courriels, requêtes
  • lecture ou révision de documents officiels
  • rédaction, préparation de documents officiels.

19Interactions avec des systèmes ou données abstraites :

  • recherche d’informations sur internet, dans des systèmes de classement, bases de données, bibliothèques, etc.
  • calculs, modélisation, simulation, analyse de données
  • conception, dessin, création de codes logiciels
  • débogage des machines, systèmes ou codes logiciels.

20Interactions avec du matériel, travail sur terrain :

  • opération, tests, travail avec le matériel ou les systèmes
  • études, mensures, inspections ou observations sur chantier
  • entretien des systèmes informatiques et de classement utilisés dans le travail, installation ou mise à jour de logiciels, etc.
  • autres tâches sur le terrain avec du matériel, de l’équipement, etc.
  • recherche d’objets mal rangés.

21Les répondants furent invités à rapporter le temps de travail hebdomadaire pour chacune des activités, en sélectionnant un des intervalles suivants : rien, <2 heures, 2-5 heures, 5-15 heures, ou >15 heures. Conformément à la procédure appliquée lors de l’étude de l’UWA, ces intervalles ont été codés par 0, 1, 3, 7 et 15 respectivement afin de calculer le temps hebdomadaire perçu consacré aux diverses activités. Les données relatives aux 177 répondants sont résumées dans le tableau 1.

Tableau 1

Ventilation du temps moyen perçu par les ingénieurs débutants portugais (177 répondants)

Tableau 1
177 ingénieurs débutants Interaction Temps moyen de travail pour l’ensemble des répondants (heures / semaine) % du temps % du temps cumulé Interaction avec des systèmes ou des données abstraites [recherche d’informations sur internet, dans des bases de données, dans des systèmes de classement] 4 8 8 Interaction avec des systèmes ou des données abstraites [calcul, modélisation, simulation, analyse de données] 4 7 15 Interaction avec des systèmes ou des données abstraites [conception, dessin, création de codes logiciels] 5 9 23 Débogage de logiciels, machines ou systèmes 3 6 29 Opération, tests, travail avec le matériel ou les systèmes 3 5 34 Études, mensures, inspections ou observations sur chantier 2 3 37 Entretien des systèmes informatiques, du système de classement ; installation/mise à jour de logiciels, etc. 2 3 40 Autres tâches sur le terrain avec de l’équipement, du hardware, de l’équipement de construction, etc. 2 3 43 Recherche d’objets mal rangés 0 1 44 Conversation avec une ou deux autres personnes face à face 5 9 52 Interaction avec d’autres personnes ou la supervision de personnes sur le chantier 3 5 58 Réunions (administratives ou techniques) 3 6 64 Formations ou cours 1 2 66 Appels téléphoniques/audioconférences 3 5 71 SMS, chat 2 4 75 Courriels, correspondance postale, requêtes 6 10 85 Documents officiels : lecture ou relecture 4 7 92 Documents officiels : rédaction ou préparation 4 8 100 TOTAL 55 100

Ventilation du temps moyen perçu par les ingénieurs débutants portugais (177 répondants)

Résultats et discussion

22Le tableau 1 montre que les participants à notre sondage déclarent consacrer environ 44 % de leur semaine de travail à des tâches individuelles (partie non grisée de la colonne de droite). Pendant les 56 % du temps restant (partie grisée de la colonne de droite), ils effectuent des activités requérant une interaction avec d’autres personnes, telles des réunions, des tâches de supervision, la rédaction de rapports, etc. L’étude australienne portant sur les ingénieurs débutants au cours de leurs premières années de carrière (Tilli & Trevelyan, 2008) avait révélé un schéma semblable, mais plus marqué : 60 % du temps de travail concernait l’interaction avec d’autres personnes.

23Ces résultats sont surprenants, parce que les deux études portent sur des ingénieurs en début de carrière et non sur des ingénieurs plus expérimentés. L’historienne Rosalind Williams a remarqué que, dès les années 1930 aux États-Unis, du point de vue de l’ascension professionnelle, il était logique que les ingénieurs migrent vers la gestion, comme l’ont fait nombre d’entre eux (Williams 2002, pp. 39-40), et cela malgré le fait que beaucoup d’ingénieurs à l’époque méprisaient les gestionnaires, qui se gavaient de mots (« management bullshit » était une expression commune) plutôt que de se concentrer sur les tâches et qu’ils ne comprenaient pas comment fonctionnaient réellement les choses. Nous pouvions nous attendre à ce que les ingénieurs plus expérimentés ayant évolué vers un rôle de gestion au cours interagissent relativement souvent avec d’autres personnes. Plusieurs études préalables confirment ce constat, déclarant que les ingénieurs plus expérimentés consacrent entre 40 % et 75 % de leur temps à la communication ; la plupart estiment que le temps consacré à ces tâches est d’environ 60 % (Trevelyan, 2009, p. 4). Les résultats du sondage de l’UWA auprès des jeunes ingénieurs « étaient remarquablement cohérents avec les interviews et les données relatives à l’étude sur le terrain des ingénieurs plus expérimentés » (Trevelyan, 2010, p. 7). Ils permettent de conclure qu’une caractéristique intrinsèque de l’ingénierie est de supposer des interactions nombreuses avec d’autres personnes, ce qui ne correspond pas à l’idée reçue et encore courante selon laquelle les ingénieurs se concentrent d’abord sur des tâches techniques en général solitaires, et qu’ils ne commencent à beaucoup interagir avec d’autres personnes qu’à des stades plus avancés. Les données de notre enquête soutiennent cette interprétation et suggèrent que les aspects sociotechniques de l’ingénierie pourraient jouer un rôle significatif dans la vie professionnelle de la plupart des ingénieurs, y compris en début de carrière.

Étude qualitative

24Si les sondages en ligne permettent la collecte de données d’échantillons relativement importants en un espace de temps court, ils manquent de flexibilité et ne sont pas interactifs, ce qui représente un désavantage. Les résultats de notre sondage initial nous motivèrent à explorer plus en profondeur les profils du travail d’ingénieur et plus particulièrement ses aspects sociotechniques, ce qui nous conduisit d’autres techniques de collecte de données. La recherche qualitative sert fréquemment à recueillir des connaissances de ce type en procédant par exemple à des entretiens avec des professionnels, une analyse de documents et une observation des participants in situ. Compte tenu du fait que nous n’avons pas trouvé de documents pertinents pour une analyse, et parce que l’observation requiert beaucoup de temps pour produire des données (Chism et al., 2008), nous avons choisi d’adopter la première de ces techniques pour éclaircir et enrichir nos données quantitatives. Par conséquent, la deuxième étape de notre étude présente des données collectées lors d’interviews d’ingénieurs exerçant la profession.

Procédé

25Des données qualitatives ont été collectées lors d’entretiens semi-dirigés auprès d’un échantillon de 22 ingénieurs travaillant au Portugal. Ces entretiens ont duré entre une et deux heures. L’échantillon fut sélectionné de façon à refléter une grande variété d’ingénieurs, dont des ingénieurs débutants (ayant moins de 7 ans d’expérience de professionnelle), des ingénieurs à mi-parcours (ayant entre 7 et 15 ans d’expérience) et des ingénieurs expérimentés (ayant plus de 15 ans d’expérience) (Bailey & Barley, 2011, p. 267).

26Lors de ces rencontres, les personnes chargées de la conduite de l’entretien (des chercheurs universitaires ayant de l’expérience en industrie et en gestion de PME) ont joué le rôle de débutants intéressés par les connaissances spécialisées des participants. Un script général basé sur les 55 questions utilisées par les chercheurs australiens (Trevelyan, 2007) fournit la structure générale pour des entretiens de type empathique contenant des questions de relance pour encourager les participants à étoffer des thèmes qui pouvaient leur sembler importants. En outre, des notes furent prises pour enregistrer les passages où les participants démontraient une emphase particulière pour certains points dans leur discours (Glaser & Holton, 2004).

27Ces entretiens eurent lieu dans la langue demandée par les participants. Pour la plupart, il s’agissait du portugais. Les entretiens enregistrés furent transcrits dans leur langue d’origine et analysés au moyen du logiciel d’analyse de données qualitatives NVivo, qui facilite la codification flexible de données et la détection de schémas. Les sections suivantes décrivent les codifications utilisées.

Application des codes de l’UWA

28L’étude de l’UWA suivit une procédure usuelle pour la construction d’une théorie ancrée (Glaser, 2005) passant par la codification des réponses aux entretiens, utilisant initialement une codification ouverte, puis une codification sélective et théorique jusqu’à saturation. Ce procédé produisit 85 codes au total, que nous avons regroupés en 10 catégories (Trevelyan, 2008). Nous avons choisi d’utiliser le même ensemble de catégories pour l’entretien et pour la codification.

29À titre d’exemple du processus de catégorisation et de codification, le tableau 3 montre comment les 16 codes se regroupent pour former la catégorie de « coordination technique » (voir tableaux 2 et 3 et pour la description des codes voir tableau 4). Les codes pour les 9 autres catégories (Trevelyan, 2008) peuvent être consultés en ligne [6].

Tableau 2

Profils des 22 ingénieurs interviewés

Tableau 2
Ingénieur Diplôme Domaine Sexe Expérience (années) Description du poste 1 Industriel m 3 Consultant en génie industriel 2 Civil m 18 Ingénieur structure indépendant / développeur logiciel pour la conception structurelle 3 Mécanique m 38 Directeur de site pour une entreprise nationale d’ingénieurs 4 Civil m 8 Concepteur en construction dans une entreprise internationale de construction 5 Électrique m 20 Gestionnaire de projets 6 Électrique et informatique m 13 Gestionnaire de produits dans une entreprise internationale de logistique de transport 7 Électrique m 22 Responsable du développement commercial / gestionnaire de ressources dans une PME 8 Civil f 10 Agent de travaux publics, indépendant, sous contrat pour une administration locale 9 Mécanique m 13 Planificateur stratégique pour une entreprise leader du marché énergétique 10 Mécanique m 22 Directeur technique des services à la clientèle pour une entreprise leader en télécommunications 11 Électrique m 32 Directeur général et membre du conseil d’une entreprise leader en télécommunications 12 Civil m 7 Directeur de site pour une entreprise nationale d’ingénieurs 13 Civil f 23 Ingénieur structure et propriétaire d’une PME en construction (7 membres du personnel) 14 Électrique m 12 Gestionnaire de projets dans une multinationale de micro-électronique 15 Civil f 6 Gestionnaire pour un consortium de construction d’autoroutes 16 Électronique m 12 Gestionnaire de programme pour une multinationale en micro-électronique 17 Informatique m 21 Gestionnaire de projets pour une entreprise internationale de logiciels 18 Électrique m 14 Directeur de stratégie pour une entreprise leader du marché énergétique 19 Informatique m 14 PDG d’une entreprise de marketing (start-up universitaire, 32 membres du personnel) 20 Informatique m 17 Gestionnaire de projets pour une multinationale en micro-électronique 21 Architecture / Civil f 9 Concepteur et gestionnaire pour une PME en construction (start-up universitaire, 3 membres du personnel) 22 Civil m 10 Gestionnaire de projets pour une entreprise internationale de réhabilitation et préservation de bâtiments

Profils des 22 ingénieurs interviewés

Tableau 3

Catégories de codification de l’étude de l’UWA

Tableau 3
Catégorie de codes Nombre de codes 1 Gestion du développement personnel et de sa carrière 8 2 Coordination technique, travail avec d’autres personnes 16 3 Procédés d’ingénierie, gestion de projets et d’opérations 13 4 Procédés financiers 6 5 Marchés publics, achat de produits ou de services 3 6 Développement des ressources humaines, formation 4 7 Développement d’entreprise ou marketing, vente de produits ou services 11 8 Technique : création de nouveaux concepts, résolution de problèmes, programmation 13 9 Technique : révision, vérification, tests et diagnostic de problèmes 10 10 Travail technique pratique, construction ou réparations 2

Catégories de codification de l’étude de l’UWA

Tableau 4

Codes classés dans la catégorie « Coordination technique »

Tableau 4
Codes Description du code Coordination des éléments internes, tutorat Coordination du travail des pairs, subalternes et supérieurs. Vérifications techniques du travail, repérage d’obstacles, éventuellement donner des conseils ou un retour, peut vérifier la compétence technique, évaluer les besoins en formation ou donner une formation informelle si nécessaire. Supervision du personnel Superviser le personnel dont l’ingénieur est le supérieur responsable. Coordination des éléments extérieurs Coordonner la collaboration avec des organismes extérieurs, par exemple les entrepreneurs travaillant sur le même projet, les organisations communautaires, etc. Coordination avec le client Communiquer avec le client, faciliter la revue de solutions et leur approbation, coordonner l’installation, la mise en marche, la supervision des essais d’homologation. Plaidoyer/compromis Plaidoyer pour une vue technique ou commerciale particulière, viser à changer le cadre dans lequel un problème est vu. Le compromis est probablement fondamental pour obtenir un accord éventuel. Ingénierie de chantier Coordonner et superviser les travaux sur le chantier : s’assurer que le travail est effectué en fonction des dessins et des cahiers des charges, planification du travail de chantier, coordination avec les contremaîtres. Supervision des entrepreneurs Coordonner et superviser le travail effectué par des entrepreneurs ; s’assurer que les travaux sont effectués en fonction des cahiers des charges et des exigences. Mentorat de supérieurs Mentorat, conseils, coordination, formation et supervision de membres du personnel supérieurs ou plus expérimentés Supervision interculturelle Coordination, supervision de personnes issues d’autres cultures. Rapport d’avancement Rapporter les progrès relatifs au projet, les solutions, la consommation de ressources et de ressources financières auprès des superviseurs, aux chefs d’équipe et à ses pairs. Oral, écrit ou en réunion. Délégation des tâches techniques Allouer les responsabilités pour les tâches techniques : atteindre un équilibre entre l’expertise technique et l’expérience d’un côté et le coût et la disponibilité de l’autre ; décider s’il est nécessaire d’embaucher du personnel supplémentaire ou des entrepreneurs, etc. Sélectionner les méthodes de travail et les outils appropriés. Délégation de la tâche de supervision Allouer la tâche de supervision technique appropriée pour une activité particulière, afin d’assurer que les niveaux de performance et de qualité soient mesurés, maintenus et enregistrés. Procédures de révision Revue et développement des normes et des procédures dans l’organisation et les structures organisationnelles. Mise sur pied et pilotage d’une équipe Mettre sur pied et mener une équipe pour un projet. Forger une vision et un objectif communs, superviser et encadrer les membres de l’équipe. Réseautage Réseautage : développer et entretenir un réseau de contacts pour soutenir la mise en œuvre d’un projet. Organisation d’événements sociaux Organiser des activités sociales et de loisir au sein de l’organisation.

Codes classés dans la catégorie « Coordination technique »

Codes supplémentaires

30Il fut décidé d’utiliser un protocole de codification multiple pour fournir une description générale des pratiques étudiées. Ceci signifie qu’un aspect de la profession particulier mentionné par un participant pourrait être inclus dans plusieurs codes. Bien que, dans la plupart des cas, les 10 catégories de codification de l’UWA et les 85 codes respectifs conviennent à nos données (voir figure 5), d’autres aspects de la pratique d’ingénierie ressortent de notre analyse et suggèrent que d’autres résultats pourraient être obtenus en attribuant des codes supplémentaires afin de compléter la description des entretiens. Par conséquent, lors de l’analyse des cinq premiers entretiens, une prise de notes et une codification théorique furent utilisées (Glaser & Holton, 2004). Nous avons aussi décidé d’utiliser dix catégories de codification supplémentaires. Quatre d’entre elles comprennent plusieurs codes.

31Les catégories supplémentaires se trouvent dans le tableau 5.

Tableau 5

Catégories de codes supplémentaires

Tableau 5
Catégorie de code Nombre de codes 1 Équipe 1 2 Entreprise 1 3 Réputation 2 4 Jugement professionnel 1 5 Relations avec le client 2 6 Règlements/codes 1 7 Instruments/technologie 1 8 Contraintes 2 9 Réseaux du contexte 3 10 Sous-traitants 1

Catégories de codes supplémentaires

32Ces catégories de codification supplémentaires ont été appliquées aux 22 transcriptions d’entretiens, en plus des 10 catégories de l’UWA. Les sections suivantes ci-dessous décrivent les résultats obtenus.

Résultats

33Le tableau 5 montre le nombre de participants et le nombre total de références enregistrés pour les codes originaux de l’UWA et pour les codes supplémentaires que nous avons utilisés. Nous avons par exemple remarqué que des références codées comme « développement personnel et de sa carrière » selon les codes de l’UWA furent exprimées par les 22 ingénieurs interviewés et que le nombre total de ces références était de 140. Voir tableau 6.

Tableau 6

Analyse de codification des entretiens (22 participants)

Tableau 6
Codes de l’UWA Nombre de participants Nombre de références Coordination technique 22 321 Technique : création de nouveaux concepts, résolution de problèmes, analyse, recherche 22 141 Développement personnel et de sa carrière 22 140 Gestion des processus d’ingénierie 21 108 Technique : tests, mensurations, inspections, révisions, vérifications 16 61 Développement de l’entreprise 20 58 Procédés financiers 19 52 Ressources humaines 17 32 Approvisionnement 10 15 Travail pratique 0 0
Tableau 6
Codes supplémentaires Participants Références Entreprise 20 83 Équipe 19 53 Réputation – personnelle 19 68 Réputation – entreprise 15 50 Jugement professionnel 18 50 Client – besoins 13 25 Client – satisfaction 17 58 Règlement/codes 7 28 Instruments/technologie 22 54 Contraintes – budget 15 27 Contraintes – temps 16 35 Réseau du contexte – secteur du marché 18 62 Réseau du contexte – national 19 45 Réseau du contexte – international 20 91 Sous-traitants 12 57

Analyse de codification des entretiens (22 participants)

34Les résultats de l’application des codes de catégories de l’UWA sont résumés dans la figure 5, où le nombre total de références pour chaque catégorie de code est exprimé en pourcentage du nombre total de références dans les catégories de codes de l’UWA. Dans les sous-sections suivantes, nous fournirons plus de détails sur la coordination technique, la catégorie de l’UWA qui représente le pourcentage le plus élevé dans la figure 5. Ensuite, nous présenterons les nouvelles catégories de codification que nous avons créées et donnerons des exemples de certaines perceptions d’ingénieurs exerçant la profession.

Figure 5

Ventilation des catégories pratiques de l’UWA pour les ingénieurs interviewés, appliquées aux données issues de nos entretiens

Figure 5

Ventilation des catégories pratiques de l’UWA pour les ingénieurs interviewés, appliquées aux données issues de nos entretiens

Coordination technique

35Dans la figure 5, nous avons remarqué que les ingénieurs interviewés, comme leurs collègues australiens, passent une partie considérable de leur temps à coordonner d’autres personnes et des informations dans des contextes relativement informels (ce qui a été codé comme coordination technique). James Trevelyan résume cette tendance comme suit : « Bien que la coordination semble non technique, une analyse nous a fourni des preuves de l’importance critique de l’expertise technique. La coordination concerne d’habitude des relations individuelles avec des supérieurs, des collègues, des subordonnés et des personnes de l’extérieur. La coordination du travail d’autres personnes semble importante dès le début de la carrière d’un ingénieur. » Dans notre analyse des transcriptions, la gestion des projets, caractérisée par des méthodes formelles et écrites, fut incluse dans la catégorie procédés de gestion de l’ingénierie et fut donc classée séparément des procédés non formalisés codifiés comme coordination technique.

36La coordination technique représente 35 % des activités codifiées, selon le système de codes de l’UWA, et est donc la catégorie proéminente dans les descriptions faites par les interviewés de leurs activités en situation de travail. Ceci fut aussi le cas des collègues australiens dans l’étude de l’UWA, où cette donnée représentait 27,4 % (Trevelyan, 2007). Les résultats pour les autres activités codifiées dans ce système sont, pour la plupart et de façon générale, équivalents à ceux obtenus en Australie : par exemple, la catégorie création de nouveaux concepts, codée comme techniques, qui inclut des activités de conception et de résolution de problèmes, représente 15 % dans nos données et 13,5 % pour l’étude australienne. Les résultats pour les procédés de gestion de l’ingénierie représentent respectivement 12 % et 19 %. Le schéma général de perceptions des ingénieurs portugais de leurs pratiques en situation de travail est donc semblable à celles des ingénieurs interviewés en Australie [7].

37Les extraits suivants d’interviews d’ingénieurs participant à cette enquête illustrent certaines interactions typiques qui furent codifiées dans la catégorie coordination technique. Vicente Chagas [8], un ingénieur de niveau intermédiaire qui travaille pour une entreprise internationale de réhabilitation de bâtiments, commente ses responsabilités dans un projet important pour un client étranger :

38

« J’ai géré le processus entier de notre côté. Ceci veut dire que j’ai lancé le processus d’appel d’offres pour des sous-traitants et puis j’ai dû gérer les contacts avec ceux-ci, surveiller le projet aux différentes étapes, et j’ai agi comme lien entre les concepteurs, l’architecte et notre client pendant la durée du projet. »

39Mohsen, un ingénieur de projets au début de la trentaine, décrit son rôle dans une entreprise multinationale de conception de processeurs :

40

« À mi-chemin se trouvent les ingénieurs produit, alors ils tentent de combler le fossé entre celui qui pense exclusivement à la création d’un prototype et ceux qui en font des millions. Du point de vue de l’ingénierie, c’est ce que l’on nomme l’ingénierie des produits, quelqu’un qui a une compréhension approximative de la conception et de la création de quelque chose de neuf, et qui comprend ce qu’est l’aspect “Fab”. » (Le mot « Fab » voulant dire « fabrication ».)

41Alfredo Valdemar, un ingénieur électricien avec vingt ans d’expérience en télécommunications décrit combien son parcours d’ingénieur est important pour renforcer le lien entre les aspects techniques et de gestion dans son rôle actuel :

42

« Au cours de ma carrière, mon travail est devenu de moins en moins technique et de plus en plus managérial. Or je maintiens un lien fort avec le côté technique. Ces dernières années, j’ai principalement été responsable de la gestion de projets, qui comprend une composante importante de gestion liée à un côté technique fort. En d’autres termes, la part technique est nécessaire pour relier les différents membres de l’équipe, pour aider les membres de l’équipe plus techniques à concevoir des solutions et les mettre en œuvre. »

Clients

« Notre client est notre raison de vivre. » « Les commentaires des clients sont désormais devenus un indicateur de performance important (Key Performance Indicator) pour nous. »

43Des variations sur ces commentaires d’ingénieurs ont été entendues maintes fois lors des entretiens et, comme l’indique le tableau 5, ce thème est souligné par les 83 références faites aux besoins du client et à la satisfaction du client.

44Bien que les ingénieurs travaillant pour des entreprises moins importantes aient logiquement un contact plus direct avec les clients que ceux employés par des entreprises importantes, nationales ou multinationales, où les rôles sont plus spécialisés, les relations multidimensionnelles avec les clients furent régulièrement mentionnées dans les propos de nos participants, soit en tant qu’utilisateurs de produits finaux, soit comme d’autres entreprises (dans le cas d’opérations entre entreprises).

45Un ingénieur produit comme Mohsen, qui a des relations directes avec des entreprises clientes, a dû cultiver sa capacité d’écoute et d’explication :

46

« Devant moi se trouve le client, et en tant qu’ingénieur produit je dois aider le client à comprendre. C’est pourquoi une conversation soutenue avec le client demande des capacités de gestion aussi, et c’est pour cela qu’on les développe. »

47D’autre part, João Fanha, un chef d’entreprise et ingénieur de rang supérieur à la tête du « service expérience client » qui gère plus de 2 millions de clients d’une importante entreprise de télécommunications, dit qu’il n’est que rarement en contact direct avec les utilisateurs finaux, mais qu’il est responsable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 de leur expérience des produits de l’entreprise et qu’il s’attend à être appelé en cas d’urgence majeure, à n’importe quel moment.

48

« Si vous êtes concernés par le service à la clientèle, alors votre disposition à résoudre les problèmes des clients à n’importe quel moment fait partie de votre ADN. En même temps, je suppose qu’une partie de votre cerveau pense systématiquement : “Si je fais ceci ou cela, peut-être cela mènera-t-il à des améliorations.” »

Réputation

49La réputation de l’entreprise et de l’ingénieur sont deux thèmes mentionnés par les interviewés.

50Raimundo Pinheiro est un ingénieur logiciel et PDG d’un service de conseil en ligne qui a démarré comme start-up universitaire de deux personnes. Maintenant, il est à la tête d’une entreprise de 32 personnes leader dans son secteur, et pense que ces deux éléments sont importants pour maintenir la croissance rapide de sa start-up en services de conseil :

51

« Nous avons réellement beaucoup travaillé à notre réputation dans le secteur, concernant l’entreprise en tant que marque [il utilise le mot anglais « brand »] et aussi dans le contexte de la création de l’image de marque personnelle [il utilise le mot anglais « branding »]. »

52Martina Mendes, gestionnaire de projets débutante dans un consortium important de construction, pense que les normes exigeantes qu’elle s’impose l’ont aidée à progresser au cours de sa carrière pendant une période de ralentissement économique et de coupes majeures dans le secteur de la construction :

53

« Je ne suis pas vraiment du genre à faire un travail moyennement bon et de le livrer comme ça. J’aime penser que mon travail est impeccable, pour que la personne qui vient le chercher dise “C’est fantastique”. Donc, dans ce sens-là, je respecte mes propres normes. Et je pense que ceci m’a aidé à progresser dans ma carrière. En fait, compte tenu des circonstances actuelles, je pense que je ne serais probablement pas ici si mon attitude était différente. »

Jugement professionnel

54Bien que les codes dans cette catégorie aient été mentionnés moins souvent que ceux décrits ci-dessus (mentionnés par 14 des 18 participants), les répondants qui en ont parlé ont régulièrement révélé un sentiment fort. Certains répondants ont décrit ce genre de décision comme étant une des parties les plus difficiles de leur travail, qui demande des capacités qui ne peuvent être acquises qu’avec de l’expérience professionnelle. Dans certains cas, ce jugement concernait des relations avec les clients, mais dans d’autres, il s’agissait de prendre des décisions dans le domaine technique, comme indiqué dans les deux exemples ci-dessous.

55Sonia Marques, ingénieur civil âgée d’une trentaine d’années et qui fait partie d’une équipe de trois partenaires dans une PME dans le domaine de la construction, commente ses dilemmes éthiques lorsqu’elle donne des estimations de délais de livraison :

56

« Notre marché se préoccupe non seulement des prix, mais aussi des délais de livraison. Tout le monde ment à ce sujet et promet de livrer le projet endéans un mois alors qu’ils ne le feront pas, mais c’est ce que tout le monde dit. Alors, si je suis entièrement honnête dans mes promesses, le client confiera son projet à une autre entreprise, qui le terminera en autant de temps que nous, mais qui aura menti à ce sujet dès le début. C’est terrible, mais c’est comme ça ! […] Je ne peux pas accuser mon compétiteur de mentir, alors j’ai choisi le moindre mal : le travail prendra le temps qu’il prendra, mais les gens comprennent rarement que donner un délai un peu plus long (un mois, plus ou moins) pour une maison qui représente l’investissement d’une vie entière, ce n’est vraiment pas grand-chose. »

57Arsenio Bento, concepteur en construction expérimenté, décrit comment il doit prendre des décisions en conception structurelle quand il travaille sous pression :

58

« C’est simple : j’ai tendance à ne pas refuser de travail parce que je perdrais le client… D’habitude, les représentants de l’entreprise cliente travaillent déjà à plein temps sur un projet important et une fois que le projet m’est remis, la date butoir a déjà été dépassée, alors je n’ai plus que deux jours ou quelque chose comme ça pour tout terminer et voilà. Ça veut dire deux jours pour vérifier ces structures. C’est insuffisant pour réviser les résultats des analyses, et hors de question de les faire soi-même, mais voilà, c’est comme ça… à prendre ou à laisser ! […] Il est clair qu’on pourrait faire quelque chose de mieux si on avait plus de temps. Et parfois cela peut vraiment mener à des problèmes… » Et à ce moment-là, il raconte une anecdote sur une nouvelle station d’épuration dans laquelle des fissures sont apparues dans sa structure.

59Souvent, il a remarqué qu’il faut deux à cinq ans pour que des nouveaux diplômés acquièrent les compétences nécessaires pour apporter de la valeur à leurs employeurs [9]. Cependant, nos entretiens suggèrent que ce qui est acquis peut aller au-delà des compétences et capacités, et inclure un type de jugement professionnel en milieu de travail qui permet par exemple à Sonia de décider quels délais de livraison sont concurrentiels dans le contexte d’un appel d’offres, tout en étant compatibles avec son éthique professionnelle. De façon semblable, c’est un jugement spécifiquement lié au contexte en place qui permet à Arsenio de décider comment appliquer les valeurs de l’Eurocode afin de garantir la sécurité structurelle, tout en travaillant avec des délais relativement serrés ; ou qui aide un ingénieur débutant dans l’entreprise de João Fanha à décider s’il doit contacter son chef de département le week-end à cause de plaintes de clients dans leurs centres d’appels.

Autres codes : équipe, entreprise, règlements/codes, instruments/technologie, contraintes et sous-traitants

60En appliquant le système de codification de l’UWA, nous avons codé les références au travail d’équipe comme coordination technique, et les références à l’entreprise où les ingénieurs étaient employés comme développement personnel et de sa carrière. En outre, comme le permet le protocole de codification multiple (tableau 5), nous avons aussi décidé de coder l’équipe et l’entreprise séparément, vu qu’ils furent souvent cités comme acteurs influençant directement les pratiques quotidiennes.

61De même, nous avons pensé qu’il était nécessaire d’inclure les catégories instruments/technologie, sous-traitants et contraintes. Bien que le thème des règlements/codes ne fut pas mentionné aussi régulièrement que les autres codes, nous avons décidé que le nombre de références aux connaissances écrites codifiées (comme dans les exemples de cahiers des charges, règlements d’appels d’offres, Eurocodes et les procédés formels de qualité ou sécurité) était suffisant pour établir une catégorie spécifique de codification.

Le lieu de travail comme réseau

62Nous avons remarqué que deux de nos répondants ont fait référence à une métaphore comparant les défis relevés dans leur travail quotidien à un écosystème.

63Nóe Reis, un jeune ingénieur logiciel qui travaille pour une entreprise multinationale leader du marché de l’informatique « mainframe », considère qu’il est responsable du maintien de l’équilibre délicat d’un écosystème dans lequel les besoins du client, de son entreprise et des membres de son équipe coexistent :

64

« De tous ceux impliqués, c’est le client qui est notre raison de vivre. Mais je ne peux quand même pas assurer la satisfaction du client aux dépens d’un de nos collègues qui doit travailler pendant tout le week-end. C’est quelque chose qui m’inquiète : chaque personne impliquée dans cet écosystème doit être contente de ce que nous faisons, et doit s’efforcer de maintenir l’équilibre en place. Nous travaillons pour tous ceux qui sont concernés, pas seulement pour le client, mais aussi pour l’équipe, pour l’organisation – parce que L [l’entreprise] doit être satisfaite aussi. »

65Raimundo Pinheiro, PDG, lorsqu’il remarque qu’il ne fait presque plus de travail pratique, se sert d’une métaphore comparant son rôle dans une start-up qui est rapidement devenue une entreprise qui emploie une trentaine de personnes à un écosystème :

66

« Pour moi, le concept de l’écosystème a du sens. En effet, c’est bien mon rôle dans l’entreprise, plus ou moins. Le client ne nous exploite pas et nous ne trompons pas le client. De cette manière, j’arrive à maintenir l’équilibre entre les choses et établir un commerce équitable [il utilise le terme anglais « fair-trade »] et c’est comme cela que nous avons grandi. […] Alors, si nous parvenons à un juste équilibre, où non seulement notre client apprécie notre produit final, mais aussi le processus grâce auquel ce produit est livré, cela garantit la satisfaction de tous ceux qui sont concernés, sur base de leurs rôles dans le processus entier. »

La pratique dans des contextes plus larges : contexte international, national et secteur du marché

67Bien qu’aucune des questions posées n’ait abordé les dimensions internationales du travail des participants, des allusions y portant furent particulièrement fréquentes dans les transcriptions des entretiens. Au départ, cela nous a surpris, car ce fut même le cas d’ingénieurs travaillant pour de petites entreprises et desquels on s’attendait à une concentration exclusive sur des opérations locales. Les aspects mentionnés comprennent des allusions à des clients internationaux, à la langue, aux défis opérationnels, à l’expérience des ingénieurs travaillant sur des projets à l’étranger ou à leurs projets potentiels d’émigration à l’avenir. De même, le contexte national et son impact sur le marché et sur les entreprises en termes de la sécurité de l’emploi sont décrits dans le tableau 5. Ceci est compréhensible, vu que le pays était frappé par un ralentissement économique majeur à l’époque du déroulement des entretiens, ce qui avait un impact particulièrement important sur le secteur de la construction et autres secteurs connexes (Reuters, 2012).

Discussion

Le rôle de la coordination technique

68Il convient de souligner que, dans l’étude de l’UWA ainsi que dans la nôtre, les remarques faisant allusion aux aspects regroupés sous coordination technique sont le plus souvent faites lorsque les ingénieurs décrivent leurs pratiques en situation de travail. Nous sommes conscients qu’il faut être prudent lors de l’interprétation des résultats obtenus par cette transformation de données qualitatives en données quantitatives (Creswell & Plano Clark, 2011, p. 231) et par la modification des questions de l’entretien, leur passation ou l’échantillon, cela pourrait modifier le nombre de mentions d’un élément particulier. Cependant, l’importance de cette catégorie de pratiques dans les échantillons étudiés au Portugal et en Australie suggère qu’elle représente une dimension significative de la pratique du métier d’ingénieur aujourd’hui, ce qui mérite une étude plus approfondie.

Généralisations basées sur les données

69Karl Weick pense que « le processus de théorisation est composé d’activités comme l’abstraction, la généralisation, la relation, la sélection, l’explication, la synthèse et l’idéalisation » (Weick, 1995). Dans cette optique, nous avons jugé utile de prendre du recul par rapport aux détails du processus de codification de l’analyse qualitative et poser la question suivante : « Existe-t-il un thème généralisable commun aux descriptions des ingénieurs ? » Une réponse possible et que nous jugeons intéressante est qu’une part importante de la pratique décrite pourrait être identifiée comme la découverte de solutions réalisables. Une grande partie des idées exprimées par les participants, que ce soit des ingénieurs débutants, de mi-carrière ou de rang supérieur, de PME ou de start-up, d’entreprises nationales ou internationales, d’ingénieurs avec un parcours en ingénierie civile, électrique, mécanique ou logicielle, concerne le processus continu de recherche de solutions efficaces et viables afin d’assurer un service fiable et une réussite commerciale. Ce type de solution requiert la coordination d’informations et de personnes dans des contextes techniques et commerciaux, et implique une interaction avec une série de facteurs complexes, y compris le temps, le budget et des contraintes issues de règlements, la maîtrise des coûts techniques, les besoins et les demandes du client, ainsi que le travail avec d’autres collègues et d’autres entreprises.

Conclusion

70Les données quantitatives résultant du sondage auprès de 177 ingénieurs débutants présentées dans cet article impliquent que les aspects sociotechniques de l’ingénierie pourraient jouer un rôle significatif dans la carrière de la plupart des ingénieurs, y compris en début de carrière. De plus, l’analyse des données qualitatives des entretiens auprès de 22 ingénieurs à différents stades de leurs carrières fournit un portrait de leur travail en entreprise à la recherche de solutions viables en coordonnant des informations et des personnes dans des contextes techniques.

71Ces solutions supposent de réussir l’interaction avec un ensemble hétérogène d’acteurs au sein d’un réseau complexe, pour fournir un service fiable et commercialement viable. Cet ensemble comprend des acteurs humains, tels les membres de l’équipe, les collègues et les clients, ainsi que d’autres acteurs tels la technologie, les règlements, les délais, les budgets, la réputation et les sous-traitants, comme l’indique le tableau 6. Cette vision de l’ingénieur exerçant sa profession correspond à l’analyse en termes d’acteur-réseau proposée par John Law pour caractériser les navigateurs portugais du XVe siècle et qui, grâce à leur déploiement réussi de technologies pour trouver des solutions « forgées dans des situations de conflit », avaient obtenu un avantage concurrentiel (Law, 1987, p. 111).

72Il est courant que les ingénieurs terminent leur éducation formelle en pensant que les principaux facteurs permettant de déterminer ce qui est possible et ce qui ne l’est pas en ingénierie sont presque exclusivement liés aux sciences pour l’ingénieur, basées en grande partie sur les sciences physiques et exprimées dans le langage des mathématiques. Les données réunies par d’autres chercheurs ainsi que les nôtres auprès de professionnels de l’ingénierie suggèrent que la réalité à laquelle font face les jeunes ingénieurs est bien plus complexe que cela, faisant appel à des compétences sociales et de communication, ainsi qu’à des capacités de jugement que leur formation universitaire et technique ne leur a souvent pas fournies. On pourrait s’attendre à ce que l’identification de ces capacités et compétences et l’étude de leurs méthodes d’acquisition par des ingénieurs débutants pourraient aider les diplômés en ingénierie à faire la transition entre le monde étudiant et la profession, ainsi que proposer des manières de donner de la valeur à ceux qui emploient ces compétences. Les résultats de notre étude montrent que ces facteurs peuvent jouer un rôle dans ce processus.

Remerciements

Ce projet a bénéficié du soutien d’une bourse de la Fondation portugaise pour la science et la technologie (Fundação para a Ciência e a Tecnologia – FCT) du Ministère portugais de l’Éducation et des Sciences, en tant que partie du projet What Engineers Do PTDC/CPE-PEC/112042/2009.

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  • Zacuto A. (1496). Almanach Perpetuum de Abraõo Zacuto, p. 1, stored in the Portuguese National Library, Lisbon.

Mots-clés éditeurs : interaction sociotechnique, compétences sociotechniques, ingénierie hétérogène

Date de mise en ligne : 17/06/2014

https://doi.org/10.3917/rac.023.0279

Notes

  • [1]
    Traduit de l’anglais par Anna Porter et révisé par Dominique Vinck. Cet article est une version révisée par l’auteur, en fonction des indications du Comité de rédaction de la Revue d’Anthropologie des Connaissances, d’un chapitre publié dans Bill Williams, José Figueiredo, & James Trevelyan (eds.), Engineering practice in a global context : understanding the technical and social, Taylor & Francis, 2013, pp. 159-184.
  • [2]
    « Celui qui part en mer doit apprendre à prier », proverbe cité par Diffie et Winius (1977) et retrouvé en portugais et en sept autres langues européennes (Strauss, 1994, p. 970).
  • [3]
    Localisé dans ce qui est aujourd’hui la région du Sahara occidental, connu aussi comme le cap de la Peur. Les marins de l’époque savaient tous que les navires qui contournaient ce cap disparaissaient à jamais, et une des explications fournies à ce sujet fut qu’il y résidait des monstres marins qui attaquaient les bateaux et les détruisaient.
  • [4]
    Représentation générale des vents, des courants et des routes approximatives de navigation des navigateurs portugais à l’époque d’Henri le Navigateur (environ 1430-1460). Carte créée par Walrasiad sur base de la description dans Gago Coutinho, 1951.
  • [5]
    La formation des marins pour appliquer ces connaissances avait lieu à la Casa da India, détruite lors du grand tremblement de terre de Lisbonne de 1755. Aujourd’hui, les touristes à Lisbonne qui boivent leur café pendant qu’ils admirent la vue du Tage depuis la place du Terreiro do Paço ne sont peut-être pas conscients du fait qu’ils se trouvent à quelques pas seulement de l’école de formation en technologie maritime qui permit à Lisbonne de devenir le centre d’un empire commercial qui s’étendait à presque tous les coins du monde.
  • [6]
    Les auteurs appliquent les codes publiés initialement dans Trevelyan (2008) ; une version plus récente peut être consultée en ligne pour Trevelyan (2010) à l’adresse suivante : http://school.mech.uwa.edu.au/~jamest/eng-work/publications/Trevelyan-ES2010-Reconstructing-Engineering-w-appendices.pdf.
  • [7]
    Bien que l’étude portugaise soit basée sur la technique et les questions de l’entretien des chercheurs de l’UWA, ainsi que sur leur système de codification, il n’a pas encore été possible de définir la fiabilité inter-évaluateur entre les deux études, parce que les entretiens furent réalisés en deux langues différentes. Pour cette raison, il convient d’être prudent lors de comparaisons entre les résultats de ces études.
  • [8]
    Les noms des participants ont été changés afin de garantir leur anonymat.
  • [9]
    Voir par exemple Tilli et Trevelyan (2007) : « Une hypothèse sous-jacente de notre raisonnement sur le travail d’ingénierie est que la formation et l’expérience forment une composante essentielle des premières années de la carrière d’un ingénieur. Cette hypothèse est basée sur des données des entretiens de l’étude cadre, lors desquels tous les participants ont dit que deux à cinq ans étaient nécessaires pour qu’un débutant devienne « compétent ». Bien que chaque participant ait une interprétation différente de la compétence, tous définirent cette période de début de carrière comme « importante ».

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