Couverture de RAC_010

Article de revue

Le carnet de surveillance dans le diabète

Entre usage médical et traces de vie

Pages 380 à 408

Notes

  • [1]
    1 La communauté médicale enseigne aujourd’hui qu’il existe plusieurs formes de diabète (Tourniaire, 1994 ; Sélam et al., 2003). Les diabètes sont des maladies de la sécrétion d’insuline. Ils ont pour conséquence immédiate une élévation anormale du taux de sucre ou glucose dans le sang. Nous ferons référence dans cet article au diabète dont la régulation n’est possible que par l’injection d’insuline. Il s’agit principalement du diabète de type I, ou diabète insulinodépendant. D’autres diabètes peuvent être traités aussi par insuline. C’est le cas pour certains malades atteints de diabète de type 2, ou non insulinodépendant, pour lesquels les traitements antidiabétiques oraux classiques n’ont pas une action suffisante. On parle dans ce cas de diabète insulino-requérant.
  • [2]
    La glycémie désigne le taux de glucose dans le sang (plus exactement le plasma). Elle est mesurée en général en grammes par litre de sang ou en millimoles par litre de sang.
  • [3]
    La connaissance du chiffre de glycémie est obtenue grâce à l’utilisation d’un lecteur de glycémie. Cet appareil indique, dans un délai de quelques secondes et avec une précision proche de celle qui est obtenue en laboratoire, le taux de sucre circulant, par l’analyse d’une goutte de sang prélevée au bout du doigt. Cette mesure permet au diabétique d’adapter la dose d’insuline qu’il va s’injecter, pour une régulation la plus fine.
  • [4]
    La glycémie est un paramètre biologique qui fluctue tout au long d’une journée et d’un jour à l’autre, sous de multiples influences (hormonale, alimentation, activité et autres facteurs environnementaux). Elle varie également avec l’âge et en situation de gestation notamment. Connaître « sa glycémie du moment » est supposé permettre une adaptation au plus juste de la quantité d’insuline injectée. Dans la pratique médicale du traitement du diabète, l’objectif est de maintenir les glycémies dans une fourchette de mesure, permettant d’éviter les hyperglycémies (trop de sucre dans le sang) comme les hypoglycémies (trop peu de sucre dans le sang). Une régulation fine est possible par les doses pluriquotidiennes d’insuline injectées, en lien avec la connaissance préalable de la glycémie.
  • [5]
    On estimait, en 2008, la population de diabétiques déclarés à 2,5 millions, dont 200 000 diabétiques insulino-dépendants en France et donc potentiellement utilisateurs d’un carnet et parmi ces 200 000, 18 000 porteurs d’une pompe à insuline.
  • [6]
    Recommandations d’autosurveillance de l’Association Française des Diabétiques (http:// www. afd. asso. fr/ Vivreaveclediab%C3%A8te/ Autosurveillance/ tabid/ 68/ Default. aspx)
  • [7]
    L’HbA1c (hémoglobine glycosylée, souvent appelée « hémoglobine glyquée ») est une valeur biologique permettant de déterminer la concentration de glucose dans le sang, mais sur une longue période. Elle reflète des variations des glycémies sur trois mois. Certains diabétologues se fient uniquement à ce résultat, et non aux glycémies pluriquotidiennes pour juger de l’observance insulino-diététique de leurs patients. C’est pour cela qu’elle a été nommée « molécule-espion pour les diabétologues » par Christiane Sinding (2000).
  • [8]
    Selon les modèles de lecteurs, les mémoires peuvent contenir 100 à 600 glycémies, avec date et heure de la mesure. Sur le marché français, il existe actuellement près d’une vingtaine de modèles différents.
  • [9]
    Exemple : le « diabcarnet » proposé par l’Association des Jeunes Diabétiques et la société Voluntis - hhttp:// www. diabcarnet. com/  ;http:// www. voluntis. com/
  • [10]
    Il n’y a pas une seule et unique insuline pour remplacer celle qui est produite par le pancréas. Il existe différentes insulines dont les modes d’action sont très différents. Schématiquement, il y a des insulines « lentes » dont le mode d’action est à libération progressive et les insulines « rapides » qui agissent dans un délai très court pour abaisser la glycémie.
  • [11]
    Le « pédofil » de Boa Vista, ou la référence scientifique-montage photo-philosophique, dans Latour (1993).
  • [12]
    Cela ne signifie pas forcément qu’il entre dans les chiffres de l’hypoglycémie. Il peut passer de 3g/l à 1,5g/l de glycémie (médicalement parlant, il ne sera pas en hypoglycémie, celle-ci se situant en dessous de 0,7 g/l).
  • [13]
    Le diabcarnet par exemple, en note de bas de page 9.

INTRODUCTION

1Les pratiques de prise en charge du diabète [1] s’appuient, depuis longue date, sur une série de gestes techniques, sortes d’attendus médicaux que le malade doit réaliser dans la gestion de sa maladie. Lorsque la maladie est découverte chez un patient, en France, la surveillance de la glycémie [2] et l’injection d’insuline sont assurées par les infirmières hospitalières ou à domicile, pour être ensuite enseignées au malade. Le diabétique s’est vu ainsi imposer un « travail de soignant », passage de relais du professionnel de santé au profane, entre l’hôpital et le domicile (Bachimont, 1998). Le suivi empirique de la maladie a donné une large place à l’instauration d’autocontrôles pour la gestion de la maladie, depuis les années 1956-1976 (Coussaert, 1988). D’abord estimée par des traces de glucose retrouvées dans les urines (réactifs à la glycosurie commercialisés à partir de 1958), la précision concernant la glycémie s’est affinée par la mise au point de lecteurs [3] de glycémies au début des années 1980. Dans la prise en charge actuelle du diabète, des équipements ont peu à peu envahi le quotidien du malade dans un dessein d’amélioration des glycémies [4] et de prévention des complications. En plus de l’insuline, substance vitale injectée à la seringue ou avec un autre dispositif comme le stylo ou la pompe à insuline, le malade s’est vu équiper de dispositifs permettant le monitoring de la maladie et la connaissance des réactions glycémiques du corps. Cette surveillance est rendue possible par l’utilisation de deux sources d’information : les chiffres de glycémie contenus dans le lecteur et les annotations complémentaires que peut inscrire le malade dans son carnet.

2La surveillance initiée par le médecin comme un attendu naturel, en termes de comportement du patient, ne va pourtant pas de soi. Si certains patients semblent se conformer aux attendus médicaux, ce n’est pas le cas pour tous, ne fût-ce que du fait qu’ils s’approprient le carnet, pensé a priori comme un simple support d’information. Du coup, la surveillance peut être questionnée en examinant les matériaux que constituent les données du lecteur de glycémie et celles du carnet.

3Dans le cadre d’un travail de recherche sur l’éducation thérapeutique que nous réalisons auprès des patients diabétiques, nous avons été amenée à qualifier l’environnement du malade. Le carnet y est apparu comme un objet accompagnant beaucoup d’entre eux, en particulier les patients traités par insuline (à la différence des patients traités par antidiabétiques oraux).

4Au premier abord regardé comme un objet, sans intérêt majeur (en partie, du fait qu’il ait été institué de longue date), le carnet se révèle être un point de rencontre entre le médecin et le malade autour de la surveillance du diabète. Il pourrait être traité comme un simple support d’information mais, pensé en tant qu’objet intermédiaire (Vinck, 2009b) entre la maladie et le malade, et le malade et son médecin, il permet de saisir plusieurs registres de phénomènes à l’œuvre. Tout d’abord, le carnet est censé répertorier les traces de l’état de santé de la personne, notamment son activité (physique et nutritionnelle) et la qualité de son travail de patient-soignant. En ce sens, il est le lieu de la construction d’une représentation de la maladie et du patient. Dans son rôle d’outil de diagnostic, il apporte une illusion de complétude pour le médecin (Grosjean & Lacoste, 1998), mais également un sentiment de rationalisation dans la gestion de la maladie. Les caractéristiques concrètes du carnet vierge, ainsi que les prescriptions auxquelles se conforment plus ou moins les patients en termes de remplissage, fournissent aussi des indications portant sur ceux qui l’ont conçu. En ce sens, cet objet intermédiaire constitue aussi une forme de représentation de ses concepteurs et prescripteurs (médecins, éditeurs, industries pharmaceutiques). Outre ces deux processus de représentation, de la maladie et du patient d’un côté, des concepteurs et prescripteurs médico-industriels de l’autre, le carnet est aussi le lieu d’un processus de traduction. Il l’est dans la mesure où le passage, soit de la maladie et du comportement du patient à leurs traces dans le carnet, soit des intentions médico-industrielles à leur concrétisation sous la forme d’un carnet et de ses règles d’usage, conduisent à des déplacements et à des transformations, du carnet et des traces qu’on y trouve, qui échappent parfois aux intentions de leurs auteurs. Enfin, en tant qu’objet auquel se confronte le patient pour y inscrire et y lire des informations, il est un médiateur de sa relation à sa propre maladie, à ses activités et comportements. De même, en tant qu’objet présenté par le patient au médecin qu’il consulte, il est un des médiateurs de leur relation. Aussi, la notion d’objet intermédiaire nous fournit un premier cadre qui permet de structurer globalement l’approche que nous pouvons faire du carnet et des traces qu’on y trouve. Toutefois, dans le présent article, si nous prenons en compte ces processus de représentation, de traduction et de médiation, nous nous limiterons aux rapports qu’entretiennent les patients à leur carnet, pour se l’approprier, en faire un outil de gestion de sa maladie et produire de la connaissance sur lui-même et sa maladie. Nous laisserons donc globalement de côté ce qui se joue du côté des médecins ou autres prescripteurs ou fabricants de carnets.

5 Le travail de régulation de la dose d’insuline, introduit par la surveillance glycémique, place le carnet dans une position paradoxale où, entre recommandations et pratiques, des oscillations s’observent entre usage ou non-usage. Dans la masse d’informations à intégrer pour contrôler son diabète, quels intérêts l’utilisateur trouve-t-il au carnet ? Nous chercherons à répondre à la question centrale de l’inscription des traces (glycémies, annotations personnelles) dans la constitution de connaissances et leur importance pour le malade. Relatant ses travaux de 1989 menés sur la neurophysiologie et chirurgie cérébrale, Susan L. Star (2010) met particulièrement en évidence le décalage qu’elle observe entre les rapports officiels, rendus propres pour la lecture finale, et les carnets du médecin physiologiste, porteurs d’annotations irrégulières, de différentes taches, répandues dans le cours de l’expérimentation. Par ces carnets, le lecteur peut se rendre compte des vicissitudes de l’expérience de laboratoire. Star définit la matérialité comme médiateur dans la conduite de la science.

6Suivant cette voie, nous nous proposons de regarder comment sont remplis ces carnets et comment sont constituées les informations traçant la maladie. Star insiste sur la recherche du langage spécifique utilisé, ainsi que sur l’importance de pister tout ce qui paraît anormal, bizarre. Nous tenterons de voir comment le malade et les professionnels de santé se saisissent du carnet et de son contenu. L’observation des pratiques de malades met en évidence des formes très différentes d’appropriation du carnet, notamment le type de connaissances qu’élabore le patient en interaction avec d’autres et avec ces équipements.

7Nous souhaitons, à la suite des travaux de sociologie des sciences, nous appuyer sur les notions d’équipement (Vinck, 1999, 2006, 2009b), d’ajustement (Winance, 2001, 2003) et d’attachement (Latour, 2000 ; Hennion, 2004), pour montrer les usages de ce carnet, les pratiques d’écriture et de lecture, l’élaboration de connaissances, de règles et de pratiques et leur inscription dans la maladie et dans la vie du diabétique. Dominique Vinck (2009b) voit l’équipement non seulement comme une base matérielle, mais surtout comme un attribut qui modifie les propriétés de ce qui est équipé. En outre, il caractérise le collectif de ceux qui le produisent, le mobilisent et le transforment. Le travail d’équipement est particulièrement intéressant à examiner parce qu’on y voit se jouer la façon dont les acteurs façonnent le carnet et comment ce carnet contribue à transformer le malade en autosoignant. La notion de travail d’équipement attire notre attention sur ce que font les acteurs pour disposer des appuis leur permettant d’être en mesure d’agir. Il ne s’agit pas seulement de rendre compte du travail du patient pour se soigner mais aussi du travail d’équipement qu’il réalise pour pouvoir faire son travail de patient. Qu’apporte le carnet par rapport à d’autres équipements, par exemple les relevés mémorisés par le lecteur de glycémie ? Nous verrons comment la matérialité de l’équipement influence le recueil et en quoi le processus d’ajustement amène à personnaliser son usage. Si le travail d’équipement conduit à doter les acteurs de nouveaux attributs, l’ajustement est un « processus à travers lequel les acteurs tentent de mettre à l’épreuve la matérialité commune, à travers lequel ils tentent en quelque sorte de rejouer les liens qui unissent la singularité et son dispositif. Ils testent l’un après l’autre les différentes attaches entre la singularité et son dispositif pour définir lesquels sont devenus rigides et lesquels sont souples et transformables » (Winance, 2001). Nous explorerons donc en quoi les ajustements faits par les utilisateurs de carnets leur sont utiles par rapport aux traces de leur activité et les inscrivent dans une trajectoire de patient, au sens d’Anselm Strauss (1992). La notion de trajectoire renvoie non seulement à l’évolution de la maladie, mais aussi à « l’organisation du travail déployée à suivre son cours, et du retentissement que ce travail et son organisation ne manquent pas d’avoir sur ceux qui s’y trouvent impliqués ». Les trois notions de travail d’équipement, d’ajustement et de trajectoire renvoient toutes à des processus, plus ou moins collectifs, de construction et de reconstruction de liens plus ou moins stabilisés. Aussi la notion d’attachement (Hennion, 1994 ; Latour, 2000) trouve-t-elle sa place dans notre cadre analytique ; elle nous permet de qualifier en quoi les traces, leur conservation et leur consultation, influencent les relations construites par le patient, par rapport à sa maladie, à son univers sociotechnique et aux connaissances qui y sont produites. Pour Bruno Latour (2000), il ne s’agit pas d’opposer attachement et détachement (à la maladie), mais de regarder si l’on est « bien ou mal attaché ». Il souligne l’intérêt de qualifier les types d’attachement, ce à quoi s’essaie justement notre enquête.

MÉTHODE

8Notre travail repose, tout d’abord, sur des entretiens réalisés auprès d’une quarantaine de patients venus en hospitalisation ou en consultation, échantillon de personnes rencontrées entre octobre 2007 et mars 2008 [5]. Nos entretiens enregistrés ont abordé l’histoire de leur maladie, la révélation de leur diabète, la façon dont les équipements ont été ajoutés dans leur vie et par qui. Nous avons demandé à quel moment le carnet avait été utilisé pour la première fois, comment ils le situaient par rapport à leur maladie, son utilité, son usage, les difficultés. La question de l’accession au carnet a été également abordée : comment se le procuraient-ils, qu’est-ce qui était fait des carnets anciens, étaient-ils encore consultés, pourquoi, à quelle fréquence. Le rapport des autres avec le carnet a aussi fait l’objet de notre questionnement : qui avait accès au carnet, quels échanges étaient faits à son sujet.

9Trente des quarante personnes transportaient avec eux leur carnet. Nous avons donc pu les observer et avons pris des notes à propos des carnets que nous présentaient les patients en leur demandant de décrire la démarche qu’ils avaient pour le remplir : à quels moments était-ce fait, en une fois, en plusieurs temps, pourquoi. Comment étaient inscrits les commentaires personnels, à quelles fins, cela leur servait-il ensuite. Nous avons cherché dans les carnets des situations qui semblaient inhabituelles (apparaissant soit par des couleurs différentes, soit par des commentaires plus abondants) pour nous les faire expliquer par les patients.

10Nous avons aussi eu la possibilité d’étudier les carnets sur une longue durée grâce à quatre personnes. Ces patients sont revenus et nous ont prêté les carnets qu’ils avaient conservés depuis le début de la maladie. L’analyse rendue possible sur plusieurs années chez des mêmes personnes nous a permis de nous rendre compte et de poser la question de la variabilité des formats des carnets, de l’évolution des annotations avec le temps, de la raison de conservation des carnets.

11Sans prétendre fournir une vision exhaustive des pratiques qui entourent la tenue du carnet de surveillance, les matériaux qui nous étaient fournis et les entretiens menés auprès des patients, mais aussi auprès de dix soignants travaillant au sein d’un service de diabétologie (médecins, infirmières et diététiciennes) nous permettent d’esquisser une première analyse des carnets et des pratiques qui les entourent.

12Certaines informations contenues dans le carnet ne sont pas forcément visibles et interprétées par le médecin, lors d’une lecture rapide, le temps d’une consultation. Nous avons recherché systématiquement les annotations communes aux carnets, mais aussi les irrégularités et les singularités. Nous avons également cherché à comprendre quelle maîtrise des inscriptions la personne diabétique avait acquise et ce qu’elle trouvait de bien, comme de moins bien, dans le carnet. Nous avons comparé la façon dont le carnet avait été introduit dans leur vie, l’usage qui avait été préconisé à l’origine, les écarts par rapport aux injonctions de départ, et entre les usages. Pour les séries de carnets d’un même patient, nous avons recherché s’il y avait une évolution dans le remplissage et quelles en étaient les raisons.

13Nous avons essayé de recueillir symétriquement les conceptions des soignants concernant le carnet et l’interprétation qu’ils avaient de leur utilisation par les patients. Il s’agit de leur faire décrire leurs pratiques et la manière dont les choses se passent en leur faisant expliciter les différences observées selon les patients.

14Une troisième source d’information pour notre enquête repose sur l’observation de trois séries de cinq jours de séances d’éducation menées auprès des diabétiques. Ces observations étaient structurées autour de l’identification des thèmes abordés par les participants et intervenants, de la nature des échanges, tant sur le contenu que sur l’aspect pédagogique, sur les éléments entrant dans l’interaction, comme les objets. Cela nous a permis de nous rendre compte si le carnet était consulté et comment, s’il faisait l’objet de l’attention des utilisateurs comme des prescripteurs. Ces observations permettent de saisir une part des pratiques qui entourent l’usage des carnets.

15Enfin, la consultation de sites internet consacrés au diabète (sites d’industriels, d’associations de malades, de sociétés savantes) et de forums de discussion nous a permis de mesurer l’importance apportée au carnet et de recueillir la façon dont ceux-ci sont présentés et discutés.

16À travers les matériaux observés, nous avons pris conscience que les variations de l’équipement, d’un malade à l’autre, peuvent être vues comme des variations liées aux interactions (Vinck, 2009a). En quoi le carnet qui accompagne le malade dans sa vie de diabétique est-il important pour l’activité du malade ? Pour certains professionnels de santé, derrière la tenue ou le refus du carnet se cache la problématique d’acceptation de la maladie. Au contraire, en suivant les patients, on se rend compte que cette interprétation venant des soignants dissimule les questions, pour les patients, du dévoilement de leur intimité, de leur rapport au monde et de la démarche expérimentale, à investir par le malade pour produire des connaissances singulières adaptées aux situations.

ÉQUIPER LE PATIENT POUR GÉRER LA MALADIE

17Pour gérer le diabète et les doses d’insuline, faut-il ou non utiliser un carnet ? Un lecteur seul ne suffirait-il pas ? En quoi la prise en compte du carnet, comme objet intermédiaire, chargé d’une force descriptive et analytique (Vinck, 2009b), ouvre-t-elle vers une compréhension de l’intérêt des annotations qu’il renferme et de leurs dimensions dans la maladie ?

18Si l’on en croit les recommandations médicales, le carnet est un élément indispensable pour le suivi des glycémies et la gestion de la maladie. Il rentre dans l’arsenal thérapeutique et est compris comme le travail attendu auprès du malade. Les travaux de sociologie de la médecine et de la maladie ont permis de mettre en évidence la participation mutuelle, médecin-malade, dans la gestion de la maladie chronique (Armstrong, 1984 ; Bachimont, 1998 ; Barbot, 2002). Cette tenue du carnet est souvent décrite comme allant de soi dans le transfert de compétences qui s’opère du médecin vers le malade, et que le courant de sociologie interactionniste (Strauss et al., 1982 ; Herzlich, & Pierret, 1991) a souligné à travers la pluralité des modes d’interaction à l’œuvre.

19Le recours au carnet est également recommandé par les associations de malades : « ce n’est pas un carnet de notes, mais un outil qui vous permettra de mieux gérer le soin de votre diabète » [6]. Introduit par le médecin comme élément régulateur et de contrôle (Reynaud, 1989) du patient sur sa maladie, le carnet est supposé permettre au praticien de comprendre l’adaptation des doses d’insuline et ses effets sur l’évolution de la maladie. Curieusement, le carnet ne bénéficie pas d’une appellation unique. Là où les médecins le désignent comme carnet d’autosurveillance, d’autocontrôle, certaines associations de malades lui préfèrent l’appellation de carnet de suivi, de santé, de traitement. La façon dont le carnet est présenté au malade n’est pas sans influence sur l’envie qu’il a ou non de le commencer et sur ce qu’il va en faire. Si toutes les définitions s’accordent pour donner au carnet une dimension de relevés biologiques (à travers les glycémies, voire d’autres paramètres comme l’HbA1c  [7], les résultats urinaires ou anthropométriques comme le poids), la définition donnée par une des associations de malades ajoute la dimension empirique de ressenti des symptômes. Le carnet est présenté comme un « outil précieux, permettant de suivre, comprendre et mieux maîtriser la maladie ». Cette présentation du carnet souligne l’importance de la compréhension, par soi-même, de la maladie en vue de sa gestion. Pour l’Association Française des Diabétiques, « ce carnet de santé ne doit pas être vécu comme un instrument de contrôle de l’autorité médicale sur vous. On n’est jamais le mauvais élève de sa maladie ; ça n’est pas un carnet de bonnes ou de mauvaises notes, mais un instrument pour suivre et comprendre la maladie et mieux la maîtriser ». Cette référence permet non seulement d’évoquer l’asymétrie médecin-malade, dans le sens développé par Talcott Parsons et Renée Fox (1972), mais aussi l’importance donnée aujourd’hui à l’éducation (Fournier, 2002) et à l’autonomie laissée au malade. Ce regard sur les appellations du carnet nous fait émettre l’hypothèse d’une construction du carnet ainsi que d’un rapport à la connaissance (compréhension/contrôle) différents selon les conceptions que s’en font les acteurs, médecins et malades. La portée de ces appellations sur les inscriptions peut induire une qualité et une utilisation des traces différentes suivant l’interprétation personnelle. Adopter la philosophie prônée par l’association de malades procure aux traces une dimension pour laquelle la personne doit s’impliquer pour trouver de l’intérêt et donner du sens à ses annotations. Quelles informations peut alors potentiellement contenir le carnet, mais aussi quelles données le malade choisit-il d’y apposer ?

20La plupart du temps, le carnet réunit trois types d’informations (figure 1) : mesures, traitement, observations. Il s’agit de chiffres (dates, glycémies mesurées, doses d’insuline injectées), mais aussi d’observations libres, relatives à l’alimentation ou l’activité. Pour le corps médical, la notation de la glycémie par le patient se fait en vue d’une « double lecture » (Grimaldi et al., 2005) : horizontale quand elle permet d’adapter l’insuline en fonction des différents moments sur une journée donnée ; verticale, quand la lecture se fait sur les glycémies de plusieurs matins, midis ou soirs.

tableau im1
Figure 1 : Comment remplir le carnet (source : AJD - Aide aux Jeunes Diabétiques)

21L’observation de carnets montre alors que le format de celui-ci fixe les normes en termes d’informations utiles. La personne qui fait connaître le carnet a aussi son importance dans la croyance du patient en son utilité pour l’instaurer. Même si, dans la plupart des réponses obtenues, le médecin ou l’hôpital sont les principaux acteurs dans l’introduction du carnet, il est arrivé que des patients entendent parler pour la première fois du carnet par leur pharmacien ou une connaissance également diabétique. Pour ces derniers, s’est posée la question de l’utilité du carnet et de l’importance d’effectuer des relevés. Les prescripteurs du carnet en désignent l’usage.

22Cette question est d’autant plus abordée que les relevés de glycémie peuvent être faits de deux façons, qui, selon les personnes, sont vues soit comme complémentaires, soit comme redondantes. Pour cette dernière raison, les explications données à la non-utilisation du carnet viennent de ce qu’il fait double emploi avec le lecteur de glycémie qui garde en mémoire les données mesurées. Ils se demandent alors quels intérêts ils ont à tenir encore un carnet aujourd’hui et pourquoi relever et retranscrire toutes ces données, puisque les lecteurs de glycémie sont maintenant équipés d’une mémoire horodatée [8] et que certains modèles calculent même des moyennes sur plusieurs jours. Le relevé des glycémies représente également une grande contrainte. Ce travail impose des gestes qui sont répétés, entre 2 et 8 fois par jour. Chez les utilisateurs de carnet, des astuces sont trouvées pour alléger cette contrainte pluriquotidienne. Les attitudes vont d’un relevé groupé des glycémies (à l’aide de la mémoire du lecteur) tous les trois jours, au transfert automatique des données sur l’ordinateur (possible sur certains modèles de lecteurs qui sont munis d’un logiciel de connexion informatique) pour les imprimer.

23Enfin, six de nos patients considéraient avoir acquis une connaissance suffisante de leur maladie ainsi que des automatismes concernant la régulation de l’insuline, les dispensant du carnet. Le témoignage suivant reprend différents arguments évoqués.

24Au début, on m’a dit de tenir un carnet. C’est ce qui m’a le plus dérangé : c’était une grosse contrainte d’écrire à chaque fois. Si je faisais un repas de midi à 15 h, comment je pouvais le mettre ? Les cases du carnet ne correspondaient pas à ma journée. Je n’avais pas envie de remplir un cahier, alors ce qu’on a convenu avec le médecin, c’est que : une semaine avant la consultation, je tienne un carnet. J’imprime mes glycémies et au Stabilo, je fais des commentaires. Le médecin demande ça à chaque consultation : il le regarde. Toute ma vie, j’aurais à faire des glycémies 7 fois par jour et des injections 4 fois par jour, je ne vais pas en plus tenir un carnet et en plus mes résultats biologiques sont bien. Au début, c’est vrai, c’est utile : maintenant pas... (M. I., 22 ans, diabète découvert depuis 2 ans)

25Comment le malade utilise-t-il ses relevés de glycémies ? Le lecteur est en général utilisé pour trois indications. La glycémie est mesurée juste avant un repas et permet de résoudre l’algorithme : « à une glycémie mesurée entre 1,2 à 1,5 g/l, faire une injection de x unités d’insuline. Entre 1,6 et 2 g/l, faire y unités. Entre 2 et 2,5 g/l, faire z unités, etc. ». Cette régulation permet de répondre à l’activité immédiate : manger. Le second moment clé qui provoque la mesure est celui déclenché par les sensations propres au malade. La personne ressent un malaise, qu’elle reconnaîtra comme une hyperglycémie, ou une hypoglycémie. La glycémie du moment lui permettra d’intervenir sur l’insuline injectée, sur la décision de s’alimenter en dehors des repas. Enfin, le troisième moment utilisé pour le recueil glycémique est celui qui intervient deux heures après la prise d’un repas et qui est celui de la « glycémie postprandiale ». L’utilisation de la trace est alors à double visée diagnostique : est-ce que la quantité d’insuline injectée juste avant le repas suffisait par rapport au contenu (en sucres) du repas. Est-ce que l’estimation que j’ai faite du contenu glucidique de mon repas était juste ? Cette fonction est celle de validation de la dose. Nous nous trouvons ainsi placés devant un apport triple des glycémies : application d’une règle d’utilisation de l’insuline, vérification de ses symptômes, validation de sa stratégie de traitement.

26L’usage du lecteur de glycémie permet l’application de la règle d’utilisation de l’insuline et la régulation immédiate. En revanche, les patients utilisateurs nous précisent leur intérêt pour le carnet. Avec lui, le retour sur les glycémies, mais aussi sur les observations propres, pour validation de sa stratégie est d’autant plus facile si des observations sont constituées (comme la composition du repas). Dans les carnets consultés, les repas ne sont pas notés systématiquement. Ils le sont quand ils sortent des habitudes (repas de fête, repas pris chez quelqu’un d’autre, composition du repas inhabituelle).

27Objet dont le sociologue peut se saisir, le carnet se pose alors comme objet d’étude autant dans sa matérialité que dans le sort des traces qu’il contient. Cette importance de la prise en compte des objets est soulignée dans les travaux sur la sociologie de l’acteur réseau. Dans un débat sur ce thème, Lorenza Mondada et al. (2007) suggèrent de mieux prendre en compte « la manière dont les objets interviennent dans la coordination entre différents types de personnel ». Le rôle que peut potentiellement jouer le carnet dans la coordination entre soignants et malade, en lien étroit avec leur activité, demande alors à être examiné.

DES AJUSTEMENTS POUR LES TRACES

28Sans vouloir considérer les patients qui sur-remplissent leur carnet comme étant la norme, nous nous sommes posée la question des différences de remplissage et de la non-utilisation de la totalité des cases pré-imprimées. Aux dires des diabétiques eux-mêmes, la matérialité du carnet affecte le recueil d’information et l’inscription de traces. Médecins, éditeurs de carnet et patients se demandent quel type de carnet serait le mieux adapté aux patients (et aux soignants) ; ils s’interrogent sur l’« équipement qui convient » (Vinck, 2006).

29Cette question a fait surgir sous nos yeux une multitude de carnets. Nous retrouvons autant de carnets qu’il y a de laboratoires pharmaceutiques fabriquant l’insuline, les stylos, les pompes à insuline ou les lecteurs. Le carnet n’est pas complètement standardisé. Chacun semble vouloir se démarquer du concurrent en proposant un carnet différent. Est-ce le fait que les malades soient amenés à avoir en main des carnets de formes différentes qui les poussent à chercher ce qui leur convient le mieux et à construire leurs propres usages ? Il est difficile de le dire. Quoi qu’il en soit, manifestement, ils cherchent à définir une méthode, une stratégie d’usage du carnet, un type de carnet. Ils y cherchent et ils y construisent notamment des éléments invariants, qui leur semblent nécessaires à leur propre travail de recueil de données. Le carnet est généralement personnalisé, à travers l’intitulé des colonnes que le patient modifie parfois ou qu’il juge utile de renseigner. Entre le moment où le malade découvre le carnet et celui où il se l’approprie, différents ajustements s’opèrent qui ne relèvent pas que de la pure forme. La condition de l’utilité est le postulat. Il y a une imbrication étroite de ce que la personne fait avec le carnet et de ce qu’elle fait ou veut faire avec sa vie et sa maladie. Selon Myriam Winance (2003), « à travers l’ajustement, ce que la personne peut être, faire, sentir... est à la fois mis en question et défini. Des possibilités sont ouvertes et d’autres fermées pour elle ».

30C’est ce qui retient l’attention à la comparaison de carnets de patients différents, mais aussi sur des séries de carnets d’un même patient. Le carnet se présente sous la forme d’un agenda, de format de poche la plupart du temps, et porte le nom du laboratoire ou la mention « Carnet de surveillance », ou la photographie d’un léopard, ou le dessin d’une personne en train de se piquer. Dans sa forme la plus classique, le carnet permet six mois d’annotations. Il planifie généralement une semaine sur une double page (pour certains modèles : un jour, voire un mois sur une double page). Il met, en lignes, les journées et, en colonnes, les moments de la journée (exemples en figures 2 et 3 sur deux modèles de carnet de format et de laboratoires différents). Les colonnes portent des intitulés permettant de noter les glycémies mesurées et les doses d’insuline injectées, à tous les moments de la journée, au rythme des petits déjeuners, déjeuners et dîners, avant et après le repas.

tableau im2
Figure 2 : Exemple d’une double page de carnet représentant une semaine
(format 6 x 9 cm)
Glyc. = glycémie
Urines/sucre : colonne destinée aux analyses urinaires qui permettent de déceler la présence de sucre dans les urines
Urine/acét. : colonne destinée aux analyses urinaires qui permettent de déceler la présence d’acétone. L'acétonurie est le témoin de l'utilisation des graisses de réserve de l'organisme : soit parce que le sucre est abondant, mais ne peut pas être utilisé correctement par suite d'un manque d'insuline, soit parce qu'il n'y a pas suffisamment de sucre disponible (hypoglycémie ou jeûne prolongés).

31Regarder l’adaptation du malade aux différents carnets, par l’observation de séries appartenant à des mêmes personnes, aide à comprendre leurs voies d’appropriation de ces carnets. On remarque une évolution dans l’exhaustivité des relevés, qui peut être due à la détermination des traces utiles. Les activités de la vie laissent aussi apparaître des blancs sur des périodes (manque de temps, carnet non pris le temps d’un week-end...).

32La taille du carnet intervient dans l’attention que le malade lui porte. Il est parfois jugé de trop petite taille et limitant la possibilité d’y noter des informations. Il peut être aussi volumineux et impossible à transporter dans une poche ou un petit sac à main ; il risque alors de ne pas être rempli. Apparaissent alors les carnets « maison ».

33Ça fait longtemps que j’ai lâché le carnet fourni par le prestataire. J’ai décidé de me reprendre en main. J’en ai fabriqué un à partir d’un modèle d’une copine. Il est bien plus pratique. (Mlle C)

34À partir d’un cahier d’écolier ou d’un agenda classique, l’anonymat du carnet est rendu possible. Avec le second, les dates sont déjà apposées. La variété des formats d’agenda offre aux personnes un éventail encore plus vaste de possibilités (choix du nombre de jours par page ou par double page, disposition en format paysage ou portrait) et l’éventualité d’intégrer cette activité de traçage avec d’autres qui font partie de leur vie, professionnelle par exemple. Ils offrent autant de possibilités au malade d’ajuster son carnet à ses besoins, concernant aussi bien le contenu (notamment les liens entre des informations hétérogènes) que l’adaptation à un usage pluriquotidien, à son insertion dans une vie qui ne se réduit pas à la maladie et dans une société qui n’est pas faite que de soignants et de malades. Pour répondre à une utilisation intensive, trois patients ont souligné l’importance d’utiliser des carnets à couverture rigide, et le revêtent d’un protège-carnet le rendant anonyme. Deux autres préfèrent le papier glacé parce qu’il supporte l’application d’une éponge pour effacer les traces de sang, impossibles à éviter lors de la piqûre d’autosurveillance glycémique.

35Enfin, à côté de la forme papier, a émergé le format informatique. Deux variantes d’utilisation existent : les feuilles que les patients se sont fabriquées sur tableur Excel® et les carnets de suivi par internet. Pour les fichiers « maison », comme le dit plus haut Mlle C., ce carnet peut être partagé, discuté, échangé, amélioré. Des patients vont même jusqu’à proposer leur modèle de tableau à d’autres, rendant public au moins le format, par le biais d’échanges sur les forums de discussion. Ce format est quelquefois utilisé pour un partage de ses glycémies avec son médecin, par envoi par courrier électronique. Les fichiers Excel® observés reprennent les colonnes du carnet, et les avantages fournis par les lecteurs (formules de calcul des moyennes des glycémies, extrêmes de glycémie...), et pour l’un d’entre eux, les techniques de resucrage lors de l’hypoglycémie (nombre de sucres pris, jus de fruit). Dans les trois exemples de tableaux que des patients avaient imprimés pour la consultation, aucun ne contenait de cases observations pour le texte libre.

36Pour les carnets de suivi par internet [9] – d’apparition plus récente et accessibles par internet ou via des supports comme le téléphone en accès vocal ou mobile, PDA... –, nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer des utilisateurs. Pour les industriels et les médecins, l’intérêt de ce format est la possibilité d’avoir des statistiques des glycémies sur plusieurs jours à différents moments de la journée. Il offre également l’avantage de la transmission automatique des données au médecin, sans avoir à attendre une consultation ultérieure et d’avoir une plus grande réactivité du médecin dans sa réponse. Ils sont cependant encore loin d’être adoptés par la majorité des patients ; les médecins nous ont dit qu’ils étaient destinés à un public de diabétiques jeunes. Aussi avons-nous axé notre analyse sur les formes « papier » du carnet, car ils constituent la pratique la plus courante chez les patients rencontrés, et aussi la plus observable. Ils nous ont aussi permis de nous entretenir avec quelques infirmières et diététiciennes pour lesquelles les carnets électroniques ne sont pas forcément visibles. Ces derniers sont lus par les seuls médecins qui disposent, sur leur ordinateur de consultation, d’un logiciel adapté à recevoir les données du lecteur de glycémie.

37Dans ses travaux, Winance propose une anthropologie de l’ajustement à travers le cas du choix d’un fauteuil roulant par les personnes handicapées, (2001). Elle décrit les processus à l’œuvre entre fabricants de fauteuils, soignants, le patient et son entourage. Elle révèle des dimensions de l’ajustement articulées autour de l’ajustement matériel et de l’ajustement émotionnel. Pour l’objet carnet, la matérialité délimite le patient dans un espace restreint qui est parfois terrain de négociation avec le médecin. Celui-ci fixe les moments de contrôles glycémiques a minima, leur fréquence. Le tâtonnement, qui est pratiqué et est rendu visible par les doses inscrites d’insuline, variables selon les jours, rend compte du rôle potentiellement médiateur joué par le carnet, non seulement vis-à-vis du médecin, mais surtout vis-à-vis de la prescription et à travers elle, de la maladie. Winance montre bien que, dans le choix d’un fauteuil roulant, il y a une confrontation entre les perceptions des différents acteurs. Il y a un travail d’ajustement mutuel pour faire surgir un « corps-dans-un-fauteuil » capable d’agir. La matérialité ne se résume pas au fauteuil lui-même, mais à la conjonction entre singularité et fauteuil. Dans notre cas, l’ajustement effectué par le malade pour prendre en compte les annotations du carnet, relève de la réunion de ses perceptions, de l’expérience qu’il va acquérir dans la maladie, de celle qu’il va engranger au fil des consultations médicales, et à travers son entourage ou ses connaissances. Dans cette appropriation, on voit se jouer tout un travail d’équipement et d’ajustement en lien avec le carnet, qui renvoie à des « espaces de circulation » (entre médecins, malades, industriels) de l’information (Vinck, 2009a), à des enjeux de mise en visibilité/invisibilité, à la construction d’ « appuis conventionnels » pour soi-même et pour des lecteurs ciblés. L’ajustement matériel est celui qui rend possible un retour sur les traces. La figure 3 en offre une illustration. Comment la patiente est-elle arrivée au diagnostic qu’elle inscrit : « pb [problème] du stylo Mixtard 40 du soir fêlé !!! ». Elle le fait grâce à un retour sur les traces. Mme V. observe que sa glycémie du matin, habituellement entre 0,8 et 1g/l, à partir du vendredi 5 matin, augmente (et ce sur tous les matins pendant une semaine, jours qu’elle a surlignés en jaune). Elle ne fait rien dans les 24 heures et sa glycémie du samedi matin se révèle aussi élevée que la veille. Le samedi 6, elle se fait un contrôle en soirée (3,07g/l) et décide de s’injecter trois unités de plus (qu’elle note). Elle note aussi qu’il faut peut-être attribuer sa glycémie à un repas pris au restaurant (elle inscrit « resto »), mais elle continue à observer que ses glycémies « s’affolent » les matins suivants. Elle décide d’augmenter de deux unités le lundi 8 soir, puis de six le mercredi 10 soir, ce qui représente alors une augmentation de près de 45 % par rapport à ses besoins habituels, cette insuline du soir étant destinée à agir la nuit, afin de rendre les glycémies du matin dans la fourchette normale. Elle ne comprend pas ces augmentations, alors qu’elle a modifié les doses d’insuline en conséquence. C’est alors qu’elle se met à suspecter le stylo injecteur du soir. Elle utilise un stylo et de l’insuline différents le matin et le midi, ce qui explique que les glycémies soient restées correctes à midi et le soir, contrairement à celles qui sont mesurées au lever. Elle décide de changer de stylo. Observant un retour à des glycémies plus « habituelles », elle confirme son diagnostic quant à l’affolement de ses glycémies et note sur son carnet « problème de stylo fêlé », qui explique qu’elle n’a jamais complètement reçu l’insuline qu’elle pensait s’injecter. L’efficacité de ce changement se ressent aussitôt par l’hypoglycémie qu’elle fait dans la nuit qui suit. Cet exemple est particulièrement illustratif de la démarche essai-erreur qu’a intériorisée la patiente. Suivant un raisonnement clinique, elle a neutralisé les facteurs pouvant faire fluctuer la glycémie (variations de son alimentation, de son activité physique – elle continue comme habituellement et note « Sports/rando » en observations), pour voir émerger l’hypothèse sur l’insuline inefficace par perte de la dose.

tableau im3
Figure 3 : Exemple de carnet représentant un mois sur une double page (format 9 x 17,5 cm)

38À côté de l’ajustement matériel, l’ajustement émotionnel est vu par Winance comme des possibilités nouvelles qui s’ouvrent au patient qui découvre son nouveau fauteuil roulant, permettant l’émergence d’activités nouvelles. L’exemple du carnet et des traces qu’il contient n’est pas aussi chargé émotionnellement que celui de la personne dans son fauteuil. Il ouvre cependant des possibilités qui entraînent vers l’habilitation. Habilitation de la personne qui se rend compte de l’efficacité de son jugement sur la façon dont elle se traite, habilitation de la personne dans son rapport aux autres, quand elle se connaîtra suffisamment pour accepter les invitations à dîner sans craindre les hyperglycémies.

39Les patients arrivent tous à se forger un répertoire alimentaire en mettant directement en lien nature des aliments et insuline nécessaire.

40Au début, je me servais du carnet et d’une petite table de composition des aliments. Je m’en suis beaucoup servi. Je le lisais systématiquement. Et puis, on s’aperçoit qu’on mange souvent la même chose... Je commençais à connaître les teneurs par cœur. Je faisais même des calculs très précis en visant lequel des jus de fruits irait le mieux pour la dose d’insuline. Aujourd’hui, j’ai sauté les étapes. Je ne calcule plus à partir du poids de l’aliment, de sa teneur en glucides, la quantité d’insuline. Je me fie à l’œil : je compte directement en unités d’insuline. Dans l’assiette, je fais des tas de deux unités [d’insuline !] à l’œil de coquillettes par exemple ! Je me trompe rarement. (M. I.)

41Certaines personnes vont également jusqu’à tester de nouveaux aliments et vérifier leurs effets sur leur glycémie, un avantage donné par la mesure par le lecteur. Elles quittent l’évaluation quantitative du nombre de glucides ingérés, pour se rapprocher de l’aspect qualitatif que procure le plaisir de manger et de l’expérimentation.

42La première chose que j’ai essayé d’apprendre de la diététicienne, c’était combien d’unités d’insuline je devais m’injecter quand je mangeais un paquet de fraises Tagada ! (Henri, 20 ans)

43Cette surveillance par le carnet induit, chez le patient, certes une très bonne connaissance de son traitement, mais aussi des conséquences sur sa vie. Il se construit souvent sa propre interprétation en matière de facteurs influençant ses glycémies. Des difficultés émergent lorsque les repas sont pris à l’extérieur. Les objets-aliments prennent la signification de « sains ou malsains » (Vigarello, 1993), repas notés et glycémies engendrées à l’appui. La personne peut en venir à modifier son rapport aux « objets comestibles ». Certains aliments sont repérés comme étant mauvais, car « trop sucrés ». Les choix alimentaires du mangeur (Fischler, 1993) peuvent en être fortement conditionnés, ses relations avec les autres mangeurs perturbées. Entre les connaissances véhiculées depuis deux siècles sur le danger du sucre pour le diabétique et la construction idéelle qu’il s’est faite des aliments, le patient s’est souvent forgé un répertoire alimentaire propre à son organisme, éliminant les aliments qui influenceraient négativement sa glycémie. Devant les sollicitations nombreuses, les tentations, il oppose parfois un refus, de peur de perturber son diabète. Ce refus le conduit parfois à se détourner des autres et à renforcer l’image négative que véhicule la maladie. La tentation est également grande pour certains malades d’une « quête » d’une alimentation optimale pour atteindre des glycémies parfaites, comme d’autres le sont d’une santé parfaite (Sfez, 2001). Les carnets sont alors des appuis pour ces expériences alimentaires. Dans cette même quête, certains patients témoignent d’une volonté affirmée de maîtriser leur maladie. Cela représente la majorité de notre échantillon. Ils multiplient les mesures, les traces et les opérations de traitement de ces traces pour développer une connaissance fine et systématique de leur maladie, leur permettant de mettre en place une régulation précise de ses évolutions.

44C’est une personne que l’on suit depuis longtemps, elle est maintenant sous pompe à insuline. Elle est particulièrement perfectionniste. Il lui est arrivé de mettre son réveil plusieurs fois la nuit pour vérifier ses glycémies et adapter les doses d’insuline nocturne. Elle est en quelque sorte à la recherche de glycémies parfaites. Elle essaie de faire descendre son hémoglobine glyquée, du coup elle frôle souvent l’hypoglycémie. (Mme M., infirmière, au sujet de Mme D., diabétique)

45Les différents exemples que nous venons de voir montrent un processus de cognition distribuée dans lequel est engagé le patient, qui se prolonge au-delà de la sphère médicale, ce qu’avait analysé Aaron Cicourel (1994, 2002). Pour celui-ci (1994), « l’idée de cognition sociale distribuée met en lumière le fait que des individus travaillant en coopération sont susceptibles d’avoir des connaissances différentes et doivent engager un dialogue pour rassembler leurs sources et négocier leurs différences ». Dans le cas de la gestion du diabète, la coopération concerne non seulement le médecin et son malade, mais également les ressources que le malade implique à travers les expériences d’autres diabétiques (connus dans son entourage, ou virtuelles, venant des forums de discussions sur Internet), les messages véhiculés par les médias. Outre son rôle de médiation de l’information renvoyée par le corps (mesuré ou ressenti) et liée aux activités (alimentation, injection, sport...) et son emploi quant aux relations, le carnet tient aussi un rôle de réhabilitation quand il fait l’objet de discussions soignants-patients, au sujet de la réintégration d’aliments « injustement » proscrits par le malade. Dans le travail de Winance, le résultat de ce processus d’ajustement est l’incorporation du dispositif (le fauteuil). Dans notre situation, noter dans le carnet tend à représenter, chez ceux qui le tiennent, un geste prolongeant celui des piqûres par le relevé de glycémie et l’injection d’insuline. Cela en devient un accomplissement naturel du rôle d’autosoignant, parfaitement adapté aux circonstances et aux occasions. Cela serait en quelque sorte un réflexe, une réalisation « seen but unnoticed », « fait naturel » de la vie de diabétique (Quéré, 1987 ; Garfinkel, 2007).

L’ATTACHEMENT AUX TRACES

46L’automatisme d’annoter le carnet étant acquis, on peut se poser la question de son utilité à long terme pour le malade. Les mémoires des lecteurs, les rythmes des consultations, les changements de traitement incitent à donner aux traces un caractère éphémère, relevant de la régulation ad hoc de la maladie et faisant passer les traces au statut d’anciennes après la consultation trimestrielle avec le spécialiste. Il y a pourtant des patients qui sont attachés à leur carnet et aux traces qu’il contient. Quand on interroge les patients, il n’est pas rare d’en rencontrer qui ont conservé leurs carnets depuis le début, à moins qu’ils ne s’en soient défaits lors d’un déménagement. Chaque situation n’étant pas reproduite à l’identique, les insulines ayant changé, pourquoi cet attachement ? Le point commun décrit par les personnes est que le carnet leur permet de se constituer « leur » référence.

47Il y a une véritable activité d’analyse à revenir sur le carnet. Il faut avoir envie de s’y plonger. De noter, cela permet d’expliquer pourquoi il a fallu augmenter ou baisser les doses d’insuline. Il est facile de reprendre son carnet, je ne sais pas comment font ceux qui ne notent rien. La mémoire du lecteur ne me suffit pas. Je sais bien que l’on est dans une société de plus en plus « paperless », mais pour moi, c’est plus long d’allumer son ordinateur pour noter sa glycémie. En plus, il y a la mémoire visuelle, je me souviens quelquefois de quelle forme était le carnet, quel labo, quand je veux revenir sur certains événements, reprendre un carnet. C’est plus facile de revenir dessus. (Mme L)

48Le carnet prolonge leur mémoire. De plus, à côté des données théoriques supposées permettre d’ajuster les doses d’insuline en fonction de la glycémie et du contenu des repas, les diabétiques sont confrontés à des variations individuelles telles que les doses doivent nécessairement être adaptées pour chacun. Aussi, les personnes s’engagent dans un travail d’ajustement des doses en tout début de maladie, mais aussi chaque fois que se produit un changement, de type d’insuline par exemple [10]. Pour cette réalité, les diabétiques, les diabétiques se constituent des références personnelles qui leur permettent de différencier les insulines, d’en déterminer la dose en fonction du moment de la journée, du type d’alimentation, de leur activité, etc. Cette mention de la référence que se constitue le malade rejoint Latour (1993) [11] pour qui « la référence n’est pas ce que l’on désigne du doigt [...], mais plutôt ce qui demeure constant à travers une série de transformations ». Comme les scientifiques, chargés de regarder comment la savane avance, cartographient les lieux, à travers des repérages, des échantillonnages de terre et la construction d’un diagramme, les diabétiques tracent l’histoire et les événements de leur vie et de leur glycémie sur de longues périodes pour tenter de se construire une idée de leur maladie et de ce qui l’influence. Le carnet, et le retour sur les inscriptions en ce sens, leur permettent une modélisation de la réponse de leur propre corps aux situations de vie. Le carnet offre des prises par rapport auxquelles les diabétiques organisent leurs traces et leurs lectures de ces traces, apprennent à s’y repérer pour pouvoir les utiliser et se constituer, par exemple, des situations de référence. Avec de tels repères, ils se fabriquent des raccourcis et des théories locales leur permettant d’anticiper les actions d’ajustement à réaliser en termes de dose d’insuline ou de repas. Ce retour sur les traces consignées dans le carnet impose au malade une activité d’analyse des événements passés, dans laquelle des composantes telles l’intérêt, la curiosité, l’apprentissage interviennent, ce qui explique en partie les différents niveaux de compréhension des glycémies selon les malades.

49La mémoire visuelle évoquée par Mme L. tient à la matérialité du carnet, y compris le fait d’être un objet dimensionnel, ce que les formes numériques ne réussissent pas encore à reproduire. Cette matérialité joue dans la mémoire qu’ont les personnes de l’emplacement où elles ont porté des mentions particulières sur le carnet et pour se souvenir des événements glycémiques sur lesquels elles souhaitent revenir. Cet attachement aux traces est un attachement à ses propres connaissances, qui viennent conforter le patient. Il ne s’agit pas seulement d’un chiffre retenu dans un carnet, mais d’un processus mémorisé correspondant à une association mesure-traitement-événement-action, état représentationnel mis en mémoire, « qui servira à organiser des activités ultérieures » (Hutchins, 1994). Les illustrations sur la constitution de la référence jalonnent la vie du patient. Prenons le cas de la grossesse et des besoins en insuline. Les diabétologues encouragent les diabétiques sous insuline à passer sous pompe, parce que les besoins pendant la grossesse sont accrus et que la régulation par la pompe permet de répondre finement aux besoins physiologiques. Certaines patientes pensent cependant qu’ils ne préviennent pas assez de la proportion dans laquelle ces besoins vont augmenter, des multiples questions qu’elles se posent sur la grossesse et leur bébé. Dans le cas particulier de la grossesse, il est fréquent de voir les futures mamans tenir scrupuleusement leur carnet et le réutiliser à l’occasion d’une grossesse ultérieure. La conservation des carnets joue un rôle de diagnostic de référence pour la maman, qui ne se souvient plus d’une grossesse à l’autre de la proportion d’augmentation de ses glycémies et des besoins conséquents en insuline. Elle y trouve un double intérêt : la confirmer dans le choix des doses injectées et la rassurer par rapport à des peurs de surdosage.

50La tenue du carnet n’est pas sans rappeler celle qu’effectuent les sportifs avec leurs carnets d’entraînement, notant leurs activités physiques, les distances parcourues, les temps effectués, les états de forme, les parcours, certains paramètres biologiques (pouls, poids...), développant ainsi une culture de la performance de leur propre corps et une volonté de maîtrise. Ces conduites amènent la personne à une connaissance particulièrement fine d’elle-même. L’investissement dans les inscriptions contenues dans le carnet permet d’atteindre un degré équivalent de connaissance pour les patients, grâce auquel ils construisent leur autonomie. Ils observent, produisent des inscriptions et les analysent, établissent des relations, élaborent des connaissances qui peuvent leur paraître empiriquement plus solides que le discours médical officiel et dont la construction est rarement exposée. Au patient revient le fait de gérer le conflit entre du savoir empirique établi localement et un discours autorisé auquel il faudrait croire aveuglément. La fabrique locale des connaissances par le patient est faite de tels mélanges, confrontations et hybridations dont on connaît, finalement, peu de choses. Les patients n’en restent pas aux notices des médicaments et aux prescriptions médicales pour effectuer leurs propres corrections et régulations. Ils s’appuient sur de la connaissance locale qui échappe largement à la régulation médicale.

51L’attachement aux traces est aussi attachement à ses sensations. Pour Annemarie Mol et John Law (2004), rapportant les critiques de Sullivan, la prise de conscience de ses sensations (self-awareness) est aussi importante que la mesure des glycémies elles-mêmes. Certains malades déclarent ressentir, plus que d’autres, les variations de glycémie et se fient à leurs sensations du moment sans effectuer de mesure. Cette pratique n’est pas encouragée par le médecin qui remet en cause sa fiabilité et leur demande de s’appuyer sur la mesure par le lecteur de glycémie. Nous nous retrouvons ici dans une situation de contrôle intuitif, basée sur les sensations éprouvées, dans laquelle la rationalité médicale laisse peu de place. Pour le médecin, cette pratique est dangereuse, parce que le malade ne se situe pas forcément dans la fourchette glycémique où il pense être. L’explication médicale est que ce que ressent le patient provient plus du « décrochage » glycémique que de la réalité mesurée. Par exemple, un malade qui a l’impression de sentir venir l’hypoglycémie, ne perçoit parfois que la chute brutale de la glycémie [12]. Sensations versus mesure instrumentée et inscription systématique des données, avec ou sans l’aide du carnet, font apparaître des manières très diverses, selon les personnes diabétiques, d’observer leur corps et de le contrôler. Il est également des patients qui ne souhaitent pas que leur médecin sache le nombre d’hyper- ou d’hypoglycémies qu’ils ont faites dans la semaine.

52Cette activité de gestion de soi ne se limite pas à la gestion du soin. Elle concerne aussi la gestion de sa personne, de son image et de ses relations aux autres. Le carnet est chargé d’enjeux de reconnaissance et de maîtrise de son image vis-à-vis des autres, de reconnaissance en tant que « bon soignant ». Pour le malade, il s’agit « de se régler à la bonne distance » (Kaufmann, 2002), bonne distance avec le médecin, avec son entourage, mais aussi avec la maladie.

53On peut lire sur une minorité de carnets une forme de justification morale, L’annotation est mobilisée pour démontrer au médecin que l’on suit bien la prescription, pour lui montrer où l’on en est dans le suivi de l’insuline, mais aussi pour justifier des glycémies ou des conduites. Un carnet bien rempli, prêt à être présenté au médecin, deviendrait-il un « certificat de bonnes mœurs » ? Le médecin est alors vu dans un rôle de validation du bon comportement via la reconnaissance du passage vers l’état de personne saine, c’est-à-dire, tout au moins, celle qui a des glycémies normales. Les conséquences du carnet semblent alors davantage relever de la reconnaissance sociale que de la régulation thérapeutique.

54La lecture fait penser également à une mise en scène (Goffman, 1959) du patient lui-même à travers son carnet. Contrairement au journal intime, le malade sait que le carnet va être regardé par son médecin. Il agit en conséquence en y mentionnant ou pas certaines informations le concernant. Ce mode de régulation de la maladie chronique consiste en un mouvement incessant fait d’allers et retours, en matière de sollicitations de la mémoire, mais aussi d’allers-retours entre acteurs intéressés par la maladie et attachés à elle. Monsieur B. se souvient que son médecin lui avait demandé l’autorisation de photocopier des pages de son carnet. À quelles fins ? Dans son travail sur l’expertise médicale, Nicolas Dodier (1993) met en évidence le travail de jugement mené par le médecin du travail, la reconstruction des cas selon les situations de face à face avec l’individu, de discussions des conditions de travail avec les cadres de l’entreprise, d’analyse de statistiques épidémiologiques. Le médecin s’appuie sur des facteurs « internes » en lien avec son expertise pure, mais aussi sur des facteurs « externes », correspondant aux activités effectives du sujet, à sa singularité. De manière similaire, les pages de carnet peuvent servir au diabétologue à la recherche d’exemples de carnets bien tenus à montrer à d’autres patients. Elles peuvent aussi être destinées à des fins de recherche médicale, de constitutions de données empiriques sur les effets d’une nouvelle insuline, à l’enseignement à des étudiants. Les annotations personnelles prennent alors la visibilité de données servant à autrui, avec un risque d’interprétation déformante des personnes qui reviendront sur ces écrits. Antoine Hennion (2004) voit en ces éléments (corps, collectifs, objets), des attachements qui sont médiateurs : « à la fois déterminants et déterminés, ils portent des contraintes et font rebondir le cours des choses ».

55Cette intrusion dans la sphère privée peut être mal vécue, surtout lorsque le diabétique découvre les traces écrites du thérapeute sur son carnet de malade. Quelquefois à l’encre rouge, des consignes d’ajustement de traitement y sont apposées, ressenties comme une intrusion dans son journal. Cela montre toute l’ambivalence de l’attitude soignante où la recherche de l’autonomie de la personne est affirmée, alors que l’emprise thérapeutique reste toujours très présente à travers ce rituel du partage des informations tracées dans le carnet d’auto-surveillance. Pour les patients interrogés, il est rare que l’entourage consulte leur carnet. Ils ne leur en laissent pas l’occasion. Ils les tiennent volontairement à distance. Sabrina (15 ans) explique qu’elle ne laisse pas sa maman regarder son carnet. Elle manifeste trop d’inquiétude aux moindres variations de sa glycémie et a tendance à l’observer avec appréhension. Elle ne veut pas non plus lui montrer les données manquantes qui désignent les moments où elle s’est fait son injection sans mesure préalable de la glycémie.

56Quand on regarde la manière dont Howard Becker (1963) a décrit la façon dont on devient fumeur de marijuana. On comprend que l’attachement du fumeur est fonction « de la conception qu’il se fait des utilisations possibles de celle-ci, et cette conception évolue en fonction de son expérience de la drogue ». Becker nous montre comment le fumeur est obligé de passer par l’apprentissage de la façon de fumer pour percevoir les effets de la marijuana, mais aussi par le questionnement à d’autres fumeurs pour identifier les moments de plaisir apportés par la drogue ou en déterminant chez eux quelques-uns des symptômes qu’il a ressentis lui-même. Il a besoin de redéfinir ses symptômes pour les qualifier d’agréables. Le diabétique se construit également ses attachements aux traces de sa maladie, en identifiant ses sensations de bonnes glycémies, en les conservant comme période de référence. Ces périodes le rassurent quant à la stabilité de la maladie, mais aussi quant au contrôle de la situation. Cet attachement aux traces du carnet passe aussi par les autres (famille, médecin) qui se rassurent sur la bonne santé de la personne. Ce travail d’attachement aux traces semble être une condition, mais aussi une étape pour continuer à poursuivre l’autoprise en charge.

57L’intérêt de cet objet carnet est qu’il permet de regarder à quoi est attaché ou s’attache le malade dans la gestion de la maladie. Cette dernière fait du malade un soignant à part entière pour lequel la dimension de décision thérapeutique prend largement appui sur une approche quasi-expérimentale que lui permettent les instruments de mesure qui accompagnent la maladie chronique aujourd’hui. Car cette expérience n’est pas que pour soi, comme nous l’avons vu et comme pourrait le suggérer le caractère individuel de la prise en charge. Elle est éprouvée, construite dans le réel et partagée (Dubet, 1995). Cette démarche montre qu’il s’agit aussi d’une expérience sociale, dans la mesure où elle est confrontation aux autres à travers le rendu à faire au médecin, et par l’expérience qui est renvoyée à d’autres patients. La particularité est qu’elle peut devenir une seconde nature de l’individu réflexif, plutôt qu’une expérimentation. Cela la démarque de l’expérimentation en lieu clos de l’hôpital ou du laboratoire, et cela la différencie par son caractère d’auto-expérimentation, souvent nommé expérience de la maladie.

58La dimension possiblement intégrative du carnet apparaît alors pour un tiers des patients de notre échantillon, constituant la biographie de la personne. Des annotations nouvelles font penser à cette transformation du carnet en élément intégré à la vie de la personne. Il arrive que le carnet prenne la fonction d’agenda. Sont inscrits les dates de rendez-vous avec le médecin, les changements de traitement. L’agenda va parfois au-delà des frontières de la maladie pour devenir un carnet de vie. Y figurent alors les dates anniversaires, les événements de vie de la personne. Le carnet devient alors journal, traceur de vie, marqueur de l’autonomie ou de la liberté acquise.

Conclusion

59 Notre intérêt, pour le carnet de surveillance dans le diabète, nous a conduit à regarder l’apport de ces inscriptions pour la constitution des connaissances. À première vue, les annotations du patient étaient destinées à refléter son état glycémique et à lui permettre d’assumer pleinement le rôle d’autosoignant que lui impose la maladie chronique. Cette lecture empruntait le chemin de la normativité médicale, avec des traces, marqueurs de la régulation insulinique exercée par le malade. Ce travail pluriquotidien de recueil induit une contrainte importante dans la vie du diabétique, expliquant les raisons de non-utilisation du carnet. Même si nous ne pouvons prétendre à une représentativité de notre population de diabétiques, les situations qui se sont ouvertes à la rencontre des usagers et de leurs carnets, nous ont permis de montrer des pistes nombreuses pour une prise en compte approfondie des traces. La première s’appuie sur l’importance de la matérialité du carnet pour le malade. Nous avons pu voir que le format du carnet, tel que proposé par les industriels, introduisait des normes pour la nature des annotations et pour la désignation des usages qui en découlent. Pourtant, les inscriptions du patient évoluent dans le temps et avec la pratique. Au fur et à mesure de l’utilisation, il définit des invariants qui lui sont propres et donnent aux traces la propriété de « traces utiles », à un équipement construit par et pour soi-même, échappant au cadre imposé par le format initial du carnet. Les nombreux ajustements dont peut faire l’objet le carnet, témoignent des dimensions multiples qu’il peut revêtir selon les circonstances. Habillé d’une couverture, le carnet (et les inscriptions qu’il contient) devient anonyme pour une mise en discrétion de la maladie. Coloré ou surligné, il met en visibilité certaines traces, et devient un objet de réflexion et de travail. Le carnet semble rendre le malade habilité à gérer son diabète, mais exerce aussi une influence dans les relations qui le relient aux autres. Les traces ne sont pas sans incidence sur les conduites alimentaires que la personne va s’autoriser, par exemple. Le carnet est alors médiateur d’une démarche expérimentale, qui peut conduire à une catégorisation du sain et du malsain pour la maladie. Les ajustements semblent être une étape nécessaire, avant que s’opèrent les attachements. À côté des connaissances médicales, issues de la mesure de la glycémie, de la détermination mathématique des quantités de glucides et des doses d’insuline, le diabétique va s’attacher à ses sensations, faisant du carnet une utilisation non seulement basée sur des chiffres, mais aussi sur des symptômes. Il va aussi s’attacher au statut que vont lui conférer les traces : celui de « bon soignant » vis-à-vis du monde médical, mais aussi celui de maîtrise des traces, quand il cherchera à ajuster jusqu’à atteindre des glycémies parfaites. Le caractère ouvert des carnets fait passer les traces du statut de « traces pour soi » à « traces pour autrui » (le médecin et les autres malades), le faisant basculer dans le registre de la justification et de la coopération. Le carnet de supervision, de contrôle de la maladie devient outil de références, constituées par une série de transformations, issues de sa propre expérience et de celle des autres. La temporalité est enfin la dimension des traces, atteinte à travers le sort auquel est destiné le carnet. L’utilisation ad hoc lui donne la qualité de traces éphémères. Le retour sur les traces renforce le caractère de régulation par les traces, mais aussi permet d’évoquer celui de mémoire des inscriptions.

60Le carnet, en tant qu’équipement ajusté par le patient, devient objet d’interaction avec la personne et pas seulement objet accompagnant la maladie. Il agit sur le comportement, ou en induit une modification, influence le format des traces. L’objet intermédiaire que constitue le carnet peut prendre des valeurs variables, selon la nature de ce qui y est inscrit, la qualité des traces, la valeur sociale qu’elles peuvent symboliquement prendre dans le rapport médecin-malade. Cet ajustement est un processus qui permet l’habilitation de la personne dans son rapport au monde, à la substance insuline qui nourrit les interactions entre corps et perceptions.

61La différence entre carnets remplis de façon minimaliste et ne renseignant guère plus que le lecteur de glycémie, et ceux qui fourmillent d’annotations et obligent à pousser l’investigation au-delà des dimensions biologiques de la maladie nous a montré l’importance des traces laissées dans les carnets. Elles reflètent autant l’activité du malade, ses comportements, ses ressentis que son appropriation du carnet, de ses propres traces et de la construction d’une connaissance portant sur lui-même, sa maladie, son alimentation, les médicaments et leur manipulation et sur l’institution médicale. L’écriture, par opposition à l’oralité, est fortement individualisée parce qu’elle oriente le temps et met à distance la pensée (Lohisse, 1998). Elle situe l’individu scribalisé comme un être se posant des questions, alors que l’oralité le place en situation d’appartenance et d’identification à sa communauté. Le carnet permet d’apposer des éléments incitant à la réflexion et à la prise de distance par rapport aux manifestations de la maladie mesurées à un temps T. Les échanges avec le médecin autour des écrits du carnet font prendre la position d’expert dans l’analyse des situations, le statut de preuve du carnet aidant. Cet intérêt pour les traces écrites portées par le carnet papier ouvre, par opposition, un nouveau terrain à explorer : celui des traces apportées par les nouveaux systèmes de monitoring électroniques [13], à distance, qui posent les questions de la confidentialité des données, de l’ouverture de ces données « directement et en direct » au médecin, à n’importe quel moment, de la conservation des traces, mais aussi de leur réutilisation. Ces traces électroniques permettent-elles de rendre compte comme le carnet papier du travail de réflexivité mené sur les traces ? Avec les compilations (moyennes, médianes, extrêmes) qui peuvent être réalisées avec le carnet électronique, des traces s’effacent, en laissant probablement apparaître de nouvelles traces, dont il serait intéressant de regarder si elles rendent compte de ce que Star (2010) nomme « l’ampleur du travail invisible ».

Remerciements

62Mes remerciements vont à Thomas Reverdy et Dominique Vinck du laboratoire PACTE, à Virginie Masdoua, Monica Olbrich et Hubert Roth, pour leurs commentaires sur les versions précédentes de ce texte, aux patients qui m’ont ouvert leurs carnets, en particulier Valérie L. et David B. pour leur confiance et disponibilité, aux relecteurs anonymes de la revue.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : diabète, démarche expérimentale, autosurveillance, (auto)soin, carnet, trace, contrôle, diagnostic personnel

Mise en ligne 15/09/2010

https://doi.org/10.3917/rac.010.0380

Notes

  • [1]
    1 La communauté médicale enseigne aujourd’hui qu’il existe plusieurs formes de diabète (Tourniaire, 1994 ; Sélam et al., 2003). Les diabètes sont des maladies de la sécrétion d’insuline. Ils ont pour conséquence immédiate une élévation anormale du taux de sucre ou glucose dans le sang. Nous ferons référence dans cet article au diabète dont la régulation n’est possible que par l’injection d’insuline. Il s’agit principalement du diabète de type I, ou diabète insulinodépendant. D’autres diabètes peuvent être traités aussi par insuline. C’est le cas pour certains malades atteints de diabète de type 2, ou non insulinodépendant, pour lesquels les traitements antidiabétiques oraux classiques n’ont pas une action suffisante. On parle dans ce cas de diabète insulino-requérant.
  • [2]
    La glycémie désigne le taux de glucose dans le sang (plus exactement le plasma). Elle est mesurée en général en grammes par litre de sang ou en millimoles par litre de sang.
  • [3]
    La connaissance du chiffre de glycémie est obtenue grâce à l’utilisation d’un lecteur de glycémie. Cet appareil indique, dans un délai de quelques secondes et avec une précision proche de celle qui est obtenue en laboratoire, le taux de sucre circulant, par l’analyse d’une goutte de sang prélevée au bout du doigt. Cette mesure permet au diabétique d’adapter la dose d’insuline qu’il va s’injecter, pour une régulation la plus fine.
  • [4]
    La glycémie est un paramètre biologique qui fluctue tout au long d’une journée et d’un jour à l’autre, sous de multiples influences (hormonale, alimentation, activité et autres facteurs environnementaux). Elle varie également avec l’âge et en situation de gestation notamment. Connaître « sa glycémie du moment » est supposé permettre une adaptation au plus juste de la quantité d’insuline injectée. Dans la pratique médicale du traitement du diabète, l’objectif est de maintenir les glycémies dans une fourchette de mesure, permettant d’éviter les hyperglycémies (trop de sucre dans le sang) comme les hypoglycémies (trop peu de sucre dans le sang). Une régulation fine est possible par les doses pluriquotidiennes d’insuline injectées, en lien avec la connaissance préalable de la glycémie.
  • [5]
    On estimait, en 2008, la population de diabétiques déclarés à 2,5 millions, dont 200 000 diabétiques insulino-dépendants en France et donc potentiellement utilisateurs d’un carnet et parmi ces 200 000, 18 000 porteurs d’une pompe à insuline.
  • [6]
    Recommandations d’autosurveillance de l’Association Française des Diabétiques (http:// www. afd. asso. fr/ Vivreaveclediab%C3%A8te/ Autosurveillance/ tabid/ 68/ Default. aspx)
  • [7]
    L’HbA1c (hémoglobine glycosylée, souvent appelée « hémoglobine glyquée ») est une valeur biologique permettant de déterminer la concentration de glucose dans le sang, mais sur une longue période. Elle reflète des variations des glycémies sur trois mois. Certains diabétologues se fient uniquement à ce résultat, et non aux glycémies pluriquotidiennes pour juger de l’observance insulino-diététique de leurs patients. C’est pour cela qu’elle a été nommée « molécule-espion pour les diabétologues » par Christiane Sinding (2000).
  • [8]
    Selon les modèles de lecteurs, les mémoires peuvent contenir 100 à 600 glycémies, avec date et heure de la mesure. Sur le marché français, il existe actuellement près d’une vingtaine de modèles différents.
  • [9]
    Exemple : le « diabcarnet » proposé par l’Association des Jeunes Diabétiques et la société Voluntis - hhttp:// www. diabcarnet. com/  ;http:// www. voluntis. com/
  • [10]
    Il n’y a pas une seule et unique insuline pour remplacer celle qui est produite par le pancréas. Il existe différentes insulines dont les modes d’action sont très différents. Schématiquement, il y a des insulines « lentes » dont le mode d’action est à libération progressive et les insulines « rapides » qui agissent dans un délai très court pour abaisser la glycémie.
  • [11]
    Le « pédofil » de Boa Vista, ou la référence scientifique-montage photo-philosophique, dans Latour (1993).
  • [12]
    Cela ne signifie pas forcément qu’il entre dans les chiffres de l’hypoglycémie. Il peut passer de 3g/l à 1,5g/l de glycémie (médicalement parlant, il ne sera pas en hypoglycémie, celle-ci se situant en dessous de 0,7 g/l).
  • [13]
    Le diabcarnet par exemple, en note de bas de page 9.
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