Couverture de RAC_009

Article de revue

La conception des maladies de tiédeur dans la médecine chinoise

Pages 195 à 241

Notes

  • [1]
    Zhong Yi (de Zhong, « milieu », « centre » et Yi « médecine ») ou « médecine chinoise ». Je traduis Zhong Yi par « médecine chinoise » et non par « médecine traditionnelle chinoise » comme on peut le voir dans de nombreux ouvrages de médecine chinoise car la seconde expression se réfère à la version de la médecine chinoise systématisée à partir des années 1950 par le gouvernement de la République Populaire de Chine dans le cadre de son programme d’institutionnalisation d’une médecine nationale (cf. Unschuld, 1985; Hsu, 1999; Scheid, 2002). Pour ce faire, des textes médicaux anciens ont été épurés d’éléments perçus comme religieux et de références aux pratiques chamaniques, etc. Je me réfère donc dans cet article à la tradition classique de cette médecine.
  • [2]
    La tradition chinoise attribue à trois empereurs mythiques les premiers écrits sur la médecine et disciplines corollaires: Fu Xi qui serait à l’origine du Yi Jing “Livre des mutations” ; Shen Nong qui est l’auteur présumé du Shen Nong Ben Cao Jing “Traité de matière médicale de Shen Nong” (cet ouvrage aurait probablement été rédigé au 1e. siècle av. J.-C., au cours des Han de l’Ouest) et à qui l’on attribue également l’invention des techniques agricoles (d’où la signification de son nom Shen Nong « Divin Laboureur ») ; et, enfin, Huang Di.
  • [3]
    Il est difficile de résumer en quelques pages les principes fondamentaux de la médecine chinoise qui sont en général l’objet d’ouvrages entiers. Pour plus d’informations, le lecteur pourra se reporter aux ouvrages suivants : Chuzhen (1992-1994), Marié (1997), Kaptchuk (1999) et Maciocia (2008).
  • [4]
    Il est usuel dans les ouvrages de médecine chinoise de mettre une majuscule initiale aux noms des organes, des substances vitales de l’organisme, etc., pour signifier que leur sens en médecine chinoise est différent de celui en médecine occidentale.
  • [5]
    Ce terme est difficile à traduire. On trouve dans les ouvrages de philosophie ou de médecine chinoise diverses traductions (« énergie », « matière-énergie », « vapeur », « pneuma », « principe vital », etc.) mais aucune ne correspond à toutes les facettes du Qi selon la conception chinoise. C’est la raison pour laquelle j’utiliserai dans cet article le terme chinois (comme je le fais aussi pour les termes chinois de Yin et Yang).
  • [6]
    Pour une discussion des San Bao, voir Marié (1997, pp. 41-44) et Maciocia (2008, pp. 43-77).
  • [7]
    L’expression Wu Xing a souvent été traduite dans les ouvrages de médecine chinoise comme “Cinq Éléments” par analogie avec la notion d’élément comme constituant de base de la nature dans la philosophie grecque antique (Maciocia, 2008, p. 19). Cette assimilation des Wu Xing aux « éléments » d’Aristote était fréquente dans le passé (voir, par exemple, Ricci ou Duhalde, cités par Barnes, 2005, p. 90). Certains auteurs occidentaux, tout en se positionnant contre cette assimilation erronée, continuent néanmoins à parler des « Cinq Éléments » sous prétexte que cette expression est la plus usitée (voir, par exemple, Maciocia, 2008, p. 20). Pour ma part, je traduirai Wu Xing par “Cinq Mouvements” car Xing signifie littéralement “mouvement”, “processus”. En outre, comme cette théorie met l’emphase sur le mouvement et le changement, cette traduction est plus adéquate.
  • [8]
    Dans le Nei Jing, ces deux modes de transmission de la maladie par « conquête » et « révolte » sont dénommés respectivement « conquête du dominé » et « révolte contre le dominant ».
  • [9]
    Selon la conception chinoise, le Cœur est enveloppé par le Péricarde [Xin Bao Luo] ou « Enveloppe du Cœur » qui a pour fonction de le protéger contre les agressions externes. C’est en effet le Péricarde qui est agressé en premier. Lorsqu’au cours d’une Maladie de Tiédeur (cf. infra), le malade présente perte de conscience, délire ou agitation maniaque, par exemple, on dit que la Chaleur a pénétré dans le Péricarde (Chuzhen 1992-1994).
  • [10]
    Le Triple Réchauffeur (San Jiao), aussi dénommé « Trois Foyers », diffère des autres Organes-Fu par le fait qu’il n’a pas de forme physique. Sa nature et ses fonctions ont fait l’objet de nombreuses controverses au cours des siècles. Comme, contrairement aux autres Organes-Fu, il n’est pas couplé à un Organe-Zang, il est souvent dénommé « Organe solitaire » (Gu Fu). Il est la voie de circulation du Qi qui stimule les activités physiologiques des Zang-Fu (c’est pourquoi on dit qu’il régit tous les Qi) et des Liquides organiques. Il regroupe les activités des Organes Zang-Fu et se subdivise en trois parties ou « Foyers » qui englobent les Organes et leurs différentes activités fonctionnelles. On distingue ainsi : le « Foyer Supérieur », qui englobe le Cœur, le Péricarde et les Poumons, le « Foyer Moyen » qui inclut la Rate et l’Estomac et le « Foyer Inférieur » qui réunit les Reins, la Vessie, l’Intestin Grêle et le Gros Intestin. Comme nous le verrons, le système de diagnostic différentiel des Maladies de Tiédeur selon les Trois Foyers, qui a été mis sur pied par le médecin Wu Ju Tong (1758-1836) sous la Dynastie Qing, permet de suivre la progression de la maladie à l’intérieur de l’organisme.
  • [11]
    Il y a aussi six « Organes Particuliers (ou « Curieux ») » [Qi Heng Zhi Fu] qui sont le Cerveau [Nao], les Moelles [Sui] (qui incluent la moelle osseuse, la moelle épinière et les matières cérébrales), les Os [Gu), l’Utérus [Nu Zi Bao], les Vaisseaux [Mai] et, de nouveau, la Vésicule Biliaire [Dan]. Cette dernière est perçue à la fois comme un Organe-Fu de par son action dans le fractionnement de la nourriture impure et comme un Organe curieux car elle stocke une substance pure (la bile). En dehors de la Vésicule Biliaire, les Organes Curieux n’ont pas de relation superficie/profondeur avec les Organes-Zang. En outre, ils ne sont pas classés selon les Cinq Mouvements.
  • [12]
    Les Méridiens sont dénommés en chinois Jing ou Jing Mai. Le premier terme a le sens de « chaîne d’un tissu », « méridien » (au sens géographique), « route du Nord au Sud », etc. Mai, en médecine chinoise, désigne le Vaisseau pour le Qi ou le Sang. C’est aussi le terme utilisé pour désigner le pouls. Enfin, Luo a le sens d’ « attacher », « lier ». En médecine chinoise, il désigne les Collatéraux des Méridiens principaux qui forment un réseau qui recouvre l’ensemble du corps (Marié, 1997, pp. 79-80).
  • [13]
    Ce sont: Du Mai, Ren Mai, Chong Mai, Dai Mai, Yin Qiao Mai, Yang Qiao Mai, Yin Wei Mai et Yang Wei Mai.
  • [14]
    Les « Neuf orifices » [Jiu Qiao] du corps sont les sept orifices de la tête (yeux, bouche, oreilles, nez/narines), l’orifice de l’appareil génito-urinaire externe et l’anus.
  • [15]
    On parle aussi d’ « Atteintes externes » [Wai Gan] et d’ « Atteintes (ou Blessures) internes » [Nei Shang] pour les deux premières catégories de maladies.
  • [16]
    Comparativement, la médecine occidentale n’attribue aux émotions qu’un rôle secondaire ou accessoire dans le déclenchement d’une maladie. En outre, la plupart des fonctions de l’Esprit sont attribuées au cerveau (Maciocia, 2008, p. 75).
  • [17]
    Par exemple, toute personne vivant ou travaillant dans un environnement humide sera sujette à une maladie de type Tiédeur-Humidité qui pourra survenir à n’importe quelle saison.
  • [18]
    Pour une analyse de ces diverses méthodes de diagnostic différentiel des syndromes, voir Marié (1997), Kaptchuk (1999) et Maciocia (2008).
  • [19]
    Les termes Chaleur [Re] et Feu [Huo] sont parfois utilisés de manière interchangeable dans les ouvrages de médecine chinoise. Ils traduisent néanmoins des réalités différentes. Chaleur et Feu se distinguent d’abord par une différence de degré (la Chaleur est plus modérée que le Feu). De plus, le Feu, comme facteur pathogène externe, se réfère soit à la Canicule [Shu] de l’Été, soit à une Chaleur extrême qui peut survenir à n’importe quelle saison soit, enfin, à la transformation d’une autre Perversité climatique en Feu (par exemple, le Froid contracté en Hiver peut se transformer en Chaleur à l’intérieur de l’organisme, voir infra). Comme nous le verrons dans la suite de cet article, l’une des écoles de pensée importantes en médecine chinoise est l’  « École de la Prédominance du Feu » [Zhu Huo Xue Pai] fondée par Liu Wansu [1120-1200). Enfin, le Feu est aussi l’énergie naturelle du corps indispensable à la constitution du Qi (on parle de « Jeune Feu » [Shao Huo]). Quand il est en excès, il devient pathogène et peut blesser le Qi (on parlera dans ce cas de « Grand Feu » ou de « Feu Vigoureux » [Zhuang Huo]). Il devient alors une cause interne de maladie (cf. Marié, 1997, p. 103).
  • [20]
    Chang Xia : période de dix jours située autour du solstice d’été.
  • [21]
    « Toxine » est la traduction usuelle du terme chinois Du (cf. Liu G., 2001 ; Wiseman, 1995). Ce mot n’a pas le même sens qu’en médecine occidentale où il renvoie essentiellement à une protéine sécrétée par certaines bactéries et qui est toxique pour l’organisme. En médecine chinoise, Du « Toxine » se réfère à la toxicité de la Chaleur (ou du Feu) qui se manifeste dans l’organisme par des symptômes localisés (gonflements, abcès, rougeurs, chaleur, etc.). On parle aussi de « Chaleur toxique » (cf. Marié, 1997, p. 104). En tant que facteur pathogène externe, Du Re ou Du Huo accompagne généralement le Vent-Chaleur. En médecine chinoise, les symptômes localisés de diverses maladies infectieuses de la médecine occidentale (amygdalites, oreillons, etc.) s’interprètent en référence à la notion de la Toxine de Chaleur (ou de Feu).
  • [22]
    La situation est différente dans les maladies de causes internes où la cause est distincte de ses effets (les tableaux pathologiques ou syndromes qui en résultent). Elle ne peut donc être déduite uniquement par l’observation des signes et des symptômes de la maladie, d’où l’importance de l’interrogatoire du malade pour en déterminer la cause exacte. Par exemple, un syndrome de Vide de Yin du Rein peut être dû soit au surmenage, soit à une activité sexuelle excessive. Seul l’interrogatoire du patient permettra d’en établir la cause (Maciocia, 2008, p. 277).
  • [23]
    Les expressions Wen et Re traduisent des degrés différents de chaleur du facteur pathogène. Dans les ouvrages de médecine chinoise ils sont souvent assimilés, l’expression Wen traduisant à la fois tiédeur et chaleur.
  • [24]
    Pour une histoire des épidémies au cours des diverses dynasties, cf. Wong & Wu (1936), Lu & Needham (1967), Elvin (1973), Dunstan (1975), McNeill (1976), Leung (1993), Soon (1994) et Dong et al. (1995).
  • [25]
    Pour une traduction en français commentée de l’ouvrage de Zhang Ji, voir Wong (1983), Despeux (1985) et Nguyen Van Nghi & Nguyen-Recours (1987). Pour une traduction en anglais, voir Mitchell et al. (1999).
  • [26]
    Ce sont les noms des six paires de Méridiens principaux auxquels on se réfère en acupuncture ou en moxibustion. Dans le Shang Han Lun, ils renvoient à différentes étapes de pénétration de l’agent pathogène externe à l’intérieur de l’organisme et non à la théorie des Méridiens en acupuncture. Je remercie l’un des referees de cet article d’avoir attiré mon attention sur ce point.
  • [27]
    Le pouls Yin est le pouls qui est pris au niveau Chi « Pied », le pouls Yang, celui qui est pris au niveau Cun « Pouce » sur l’artère radiale au niveau du poignet.
  • [28]
    Les facteurs pathogènes de nature chaude ou tiède tendent à endommager les Liquides organiques (d’où la soif) et non le Yang du corps comme c’est le cas dans les Coups de Froid. C’est pourquoi la crainte de Froid est absente ou légère dans les Maladies de Tiédeur.
  • [29]
    Comme, par exemple, avec Mahuang (Herba ephedrae) ou Guizhi (Ramulus cinnamoni), deux remèdes de nature tiède et de saveur piquante. Les remèdes piquants ont pour but de « libérer la superficie ». Ils peuvent être de nature tiède ou fraîche. Ils sont indiqués, dans le premier cas, dans le traitement des Atteintes par le Vent-Froid avec un syndrome de superficie se manifestant par crainte du froid, enduit lingual mince et blanc, etc., ou par de la toux, des difficultés respiratoires, des œdèmes, des abcès ou douleurs rhumatismales de type Vent-Humidité. Ils sont indiqués, dans le second cas, dans le traitement des syndromes de superficie dus au Vent-Chaleur (cf. Chuzhen, 1992-1994). Selon un des principes de base de la médecine chinoise, la nature des remèdes doit être opposée à celle des symptômes ou des syndromes. C’est pourquoi l’on dit : « Chauffer ce qui est froid, refroidir ce qui est chaud » (Su Wen) et « Pour traiter le froid, il faut utiliser des remèdes chauds. Pour traiter la chaleur il faut utiliser des remèdes froids » (Shen Nong Ben Cao Jin). Utiliser des remèdes de nature tiède dans les Maladies de Tiédeur ne peut donc qu’aggraver la maladie, léser encore davantage les Liquides organiques et faciliter la progression de l’affection à l’intérieur de l’organisme (Liu G., 2001).
  • [30]
    Elvin (1973) estime un taux de mortalité de l’ordre de 20% au cours de cette grande épidémie.
  • [31]
    La région de Jiangnan se situe dans la partie sud de la Chine et inclut les provinces actuelles Jiangsu, Zheijiang et Anhui ainsi que la ville de Shanghai.
  • [32]
    Il est difficile d’établir un diagnostic rétrospectif univoque des maladies épidémiques qui ont ravagé la Chine dans le passé pour plusieurs raisons : l’emphase en médecine chinoise sur le syndrome et non sur la maladie comme entité nosologique ; la dénomination générique des épidémies dans les chroniques locales chinoises comme Yi « épidémie » ou Da Yi « grande épidémie » (le terme chinois Da « grand » insistant sur la sévérité particulière de l’affection épidémique) ; la nature changeante des maladies infectieuses au cours du temps ; et, enfin, le fait que le diagnostic de certaines maladies infectieuses puisse seulement être établi de manière certaine par le biais d’examens de laboratoire spécifiques.
  • [33]
    Il est difficile d’identifier cette affection épidémique pour les raisons évoquées précédemment. Selon certains médecins chinois actuels, il se serait agi d’une « grande grippe » (Liu Y., août 2006. Communication personnelle). Pour certains historiens chinois, qui s’appuient sur les sources littéraires et les chroniques locales qui mentionneraient l’invasion de rats et l’apparition de grosseurs ou excroissances sur le corps des individus infectés, il se serait agi de la peste bubonique. Dunstan (1975) et Benedict (1996) réfutent cette hypothèse. Ces deux historiennes soulignent l’ambigüité des descriptions de l’épidémie dans ces deux types de sources ainsi que l’absence de référence à une mortalité dans la population de rats. La mortalité murine, qui précède généralement l’apparition de cas humains de la maladie, est en effet l’un des deux signes qui permettent aux historiens des maladies d’établir rétrospectivement le diagnostic de peste bubonique (l’autre étant l’apparition de bubons sur le corps de l’individu infecté).
  • [34]
    Cette membrane interstitielle est située à mi-distance entre la partie interne et externe du corps. Wu You Ke élabora la décoction Da Yuan Yin à partir de plusieurs substances pour atteindre cette région du thorax, diminuer la chaleur, assécher l’humidité et faciliter la circulation du Qi dans l’organisme afin d’en expulser la perversité pestilentielle (Liu G., 2001).
  • [35]
    La fièvre et les sensations de corps chaud résultent de la lutte entre le Xie Qi et le Zheng Qi. En raison de cette lutte, la fonction de réchauffement du corps qui est assurée normalement par le Zheng Qi est quelque peu entravée, d’où l’apparition d’une légère aversion pour le froid et de frissons légers. En outre, comme les facteurs pathogènes de nature tiède ou chaude endommagent les Liquides organiques, on observe aussi de la soif. Cette dernière est, toutefois, légère puisque la maladie n’en est qu’à son stade initial (Chuzhen, 1992-1994 ; Liu G., 2001).
  • [36]
    Wang Meng Yin publia, par exemple, un ouvrage sur les formes saisonnières et non saisonnières des affections cholériformes. Le choléra tel qu’on le définit actuellement est dénommé en chinois Huo Luan. Autrefois, en Chine, comme en Occident, le terme “choléra” (et ses équivalents dans d’autres langues) servait à designer la diarrhée saisonnière ou sporadique. John Snow, au cours de la troisième pandémie de choléra dans le monde, a mis en lumière en 1841 la nature aquatique de cette maladie dont le germe causal – le Vibrio cholera – a seulement été identifié en 1883 par le bactériologiste allemand Robert Koch à Calcutta et en Alexandrie. Depuis, le nom “choléra” désigne uniquement la maladie due à cette bactérie.
  • [37]
    Cf. Wen & Seifert (2000) et Liu G. (2001) pour une analyse des différents syndromes.
  • [38]
    Fièvres éruptives (variole, rougeole, scarlatine, etc.), encéphalite japonaise, méningite cérébro-spinale, fièvres typhoïde et paratyphoïde, dengue, infection VIH/Sida, syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), grippe, par exemple. La grippe bénigne ou légère pourrait ainsi correspondre, selon les signes et symptômes et leur évolution, aux syndromes « Tiédeur du Printemps », « Humidité-Tiédeur » ou « Canicule cachée ».
  • [39]
    Coups de soleil ou allergies, par exemple.
  • [40]
    La médecine occidentale reconnaît aussi actuellement l’impact des changements climatiques et environnementaux sur l’écologie des agents infectieux comme facteur-clé dans l’émergence des maladies infectieuses.

INTRODUCTION

1Le rôle des déréglements climatiques et environnementaux dans l’apparition de maladies fébriles et le déclenchement d’épidémies est reconnu depuis très longtemps en Chine. La médecine chinoise[1], tout comme autrefois la médecine hippocratique, considère ainsi que des facteurs climatiques - tels que le Vent, la Chaleur, le Froid, l’Humidité ou la Sécheresse - seraient la cause directe de nombreuses maladies. Ils seraient susceptibles d’envahir l’organisme par la peau et les poils ou par les voies respiratoires et progressent de la superficie vers la profondeur de l’organisme en occasionnant des troubles fonctionnels variés. Jusqu’à la fin du 17e siècle, les maladies fébriles d’origine exogène étaient principalement perçues comme résultant de l’invasion du corps par le Vent et le Froid pathogènes. Celles qui présentaient des manifestations de tiédeur ou de chaleur et que l’on dénommait alors « Maladie de Tiédeur » ou « Maladie de Chaleur » étaient considérées comme provenant de la transformation du Froid en Chaleur à l’intérieur de l’organisme. La fondation de « l’École des Maladies de Tiédeur » [Wen Bing Pai Xue], au début de la Dynastie Qing (1644-1911), rompit avec cette conception. Elle montra que les Maladies de Tiédeur étaient de nature différente des Atteintes par le Froid, qu’elles étaient causées par des facteurs climatiques de nature tiède ou chaude et constituaient une catégorie distincte de maladies. Elle montra également que les affections épidémiques étaient causées par des facteurs pestilentiels ou des Toxines de Tiédeur épidémique qui se trouvaient dans l’environnement.

2Cet article retrace l’évolution des idées médicales chinoises relatives aux maladies fébriles d’origine externe. Il montrera l’évolution du concept de Maladie de Tiédeur au cours des siècles ainsi que le rôle et l’importance des épidémies dans la refonte des discours et des pratiques relatives à ces maladies. Il comporte deux parties : la première revoit les principes fondamentaux de la médecine chinoise, la seconde retrace l’évolution des idées médicales chinoises sur les maladies fébriles d’origine externe.

FONDEMENTS THÉORIQUES DE LA MÉDECINE CHINOISE

3La médecine chinoise est un système de pensée et de pratiques indépendant qui s’est développé sur plus de deux millénaires. Ses fondements théoriques ont été formulés à partir des écrits et des réflexions de lettrés ainsi que des observations et des expériences cliniques de médecins chinois réputés et à la lumière de la philosophie chinoise antique. Loin de constituer un savoir monolithique, réticent au changement, elle est le résultat d’un processus continu de pensée critique, d’observations et d’expériences cliniques. C’est ainsi, par exemple, à partir des échecs répétés dans le traitement de maladies d’origine exogène mais aussi de l’observation des caractéristiques différentielles des épidémies qui ont frappé la Chine à partir de la fin du 17e siècle que la doctrine des Maladies de Tiédeur a vu le jour et s’est progressivement constituée.

4Les fondements théoriques de la médecine chinoise ont été énoncés il y a plus de deux mille ans dans le Huang Di Nei Jing « Classique de l’Interne de l’Empereur Jaune » (ou, tout simplement Nei Jing « Classique de l’Interne »). Comme son titre l’indique, et de manière à marquer son importance fondamentale pour la médecine chinoise, cet ouvrage est, par tradition, attribué au légendaire « Empereur Jaune » que l’on considère généralement comme l’inventeur de la médecine, de l’acupuncture et de la moxibustion. [2] Cela ne signifie nullement, toutefois, que Huang Di en soit le véritable auteur. En réalité, cet ouvrage canonique de la médecine aurait été élaboré sur une longue période durant l’époque des Royaumes Combattants (Zhang Guo, 453-221 av. J.-C.), des Han antérieurs (ou Xi Han « Han de l’Ouest », 206 av. J.-C. - 6 apr. J.-C.) et postérieurs (ou Dong Han « Han de l’Est », 25-220 apr. J.-C.). Il serait en quelque sorte la synthèse des courants de pensée et des observations cliniques de ces différentes périodes. Étant donnée l’extrême complexité des principes de la médecine chinoise tels qu’ils sont exposés dans cet ouvrage, certains historiens émettent

« L’hypothèse d’une origine inspirée ou révélée de certains aspects des théories médicales chinoises » ... qui n’auraient pu « être découverts sans que leurs inventeurs n’aient eu accès à des modes de perception du monde et de l’être humain qui nous dépassent » (Marié, 1997, p. 15).

5Le Nei Jing se présente sous la forme de dialogues entre l’Empereur et son médecin Qi Bo et comprend deux parties : la première (Su Wen « Simples Questions ») expose les fondements théoriques de la médecine chinoise et comporte de nombreuses descriptions de maladies. Elle représente, en ce sens, une source importante d’informations sur les maladies dans l’ancien temps. La seconde partie de l’ouvrage (Ling Shu « Pivot spirituel ») traite principalement de l’acupuncture. Le Nei Jing est l’un des ouvrages canoniques de la médecine chinoise que tout étudiant doit connaître parfaitement. Les fondements théoriques de la médecine chinoise qui sont énoncés dans cet ouvrage sont toujours d’actualité. Ils recouvrent notamment les concepts de globalité, des San Bao ou « Trois Trésors » (Essence vitale, Qi et Esprit), de Yin et Yang, des Wu Xing ou « Cinq Mouvements », des substances vitales de l’organisme, des manifestations externes des Organes, des Méridiens et Collatéraux, de l’étiologie, du diagnostic différentiel des syndromes et des principes de traitement des maladies. [3]

La dimension globale de la médecine chinoise

6Selon la pensée chinoise, l’homme est inextricablement lié à la nature. Il forme un tout avec elle. Le Nei Jing-Su Wen stipule ainsi que « Les êtres humains sont engendrés par le Qi du Ciel et de la Terre » [Ren Yi Tian Di Zhi Qi Sheng] et que « Le Ciel, la Terre, et les êtres humains sont en interaction mutuelle » [Tian Di Ren Xiang Tong Yi]. Ces deux phrases signifient, en d’autres termes, que la nature fournit un environnement favorable à l’existence humaine et que l’organisme se règle et s’adapte aux changements qui surviennent à l’intérieur de celui-ci. En ce sens, tout évènement dans la nature (variation climatique saisonnière, facteur climatique survenant à contretemps, modification de l’environnement d’origine naturelle ou humaine, changement du cadre de vie, etc.) affecte l’individu (y compris son état de santé). Lorsque l’organisme ne parvient pas à s’adapter, des maladies peuvent survenir.

7Ce concept de globalité s’exprime également dans la conception du corps humain. Celui-ci est vu comme un tout intégré et interactif. Il forme un tout par le biais des Méridiens [4] et des Collatéraux qui rejoignent les Organes, relient les membres et les articulations ; par l’interdépendance sur le plan fonctionnel des Organes ; et, enfin, par la circulation régulière des substances vitales dans l’organisme. En ce sens, la condition de l’une des parties du corps reflète dans une certaine mesure la condition du corps dans son entier. Ainsi, par exemple, en observant la couleur et l’éclat du teint, la couleur, la grosseur et la forme de la langue ou les caractéristiques du pouls (pouls fin, ténu, lent, rapide, tendu, profond, flottant, etc.) de son patient, le médecin peut évaluer l’état entier du corps de ce dernier. En outre, la médecine chinoise reconnaît l’interdépendance étroite entre les processus mentaux et émotionnels et les activités fonctionnelles des Organes (voir infra). La notion de globalité se retrouve donc dans la physiologie, la pathologie, le diagnostic et le traitement.

Les San Bao ou « Trois Trésors » (Essence vitale, Qi et Esprit)

8Selon la médecine chinoise, la vie repose sur l’intégration du Corps et de l’Esprit, c’est-à-dire, du Xing et du Shen. Le terme Xing « Forme », « Corps » désigne les structures matérielles de l’organisme (peau et poils, tendons, chair, os, organes, méridiens, etc.). Le terme Shen a deux acceptions. Il désigne, dans le sens large, les manifestations visibles de l’extérieur des activités vitales de l’organisme (morphologie, couleur du visage, expression, manière de s’exprimer, comportement, attitudes, etc.) ou, en d’autres termes, sa vitalité [Shen Qi]. Il désigne, dans le sens étroit, l’ensemble des fonctions de l’esprit ou du psychisme qui sont engendrées par les activités vitales de l’organisme. Le Xing est donc la base matérielle du Shen. Sans Xing, le Shen ne peut exister. En outre, les différentes activités de l’Esprit peuvent influer sur l’organisme : tout dérèglement émotionnel, par exemple, peut entraver la circulation du Qi et du Sang et perturber le fonctionnement des Organes (voir infra).

9L’intégration du Corps et de l’Esprit est exprimée en médecine chinoise sous la forme des « Trois Trésors » [San Bao] qui sont le Jing « Essence vitale », le Qi et le Shen « Esprit ».

10Le Jing « Essence vitale » est la base matérielle du Qi et de l’Esprit. C’est le fondement et la source de la vie. On distingue l’Essence du « Ciel Antérieur » [Xian Tian] qui est héritée des parents au moment de la conception et détermine la constitution de base de l’individu et l’Essence du « Ciel Postérieur » [Hou Tian] qui est extraite des aliments et de l’eau (boissons) par le biais des fonctions de réception et de digestion de la Rate et de l’Estomac.

11Le Qi, [5] sur lequel nous parlerons de manière plus approfondie dans les substances de base de l’organisme, est, dans la philosophie chinoise antique, le substrat matériel de l’univers qui produit chaque chose dans le monde à travers ses mouvements et ses transformations. En médecine chinoise, ce terme désigne une matière subtile dotée d’une force vitale puissante et en perpétuel mouvement. C’est la substance la plus fondamentale de l’organisme dont il préserve l’activité vitale. En effet, toutes les étapes de la vie de l’homme, de la naissance à sa mort, sont liées au Qi.

12Le Shen, que nous avons traduit précédemment par « Esprit », désigne donc dans le sens restreint l’ensemble des activités de l’esprit, de la conscience et de la pensée (conscience, pensée, cognition, mémoire, intelligence, sagesse, affectivité, sentiments, etc.) qui relèvent toutes du Cœur (et non du cerveau comme dans la conception occidentale). On dit d’ailleurs que le Cœur « abrite » l’Esprit. [6]

13Yin-Yang et Wu-Xing ou « Cinq Mouvements »

14La théorie du Yin-Yang et celle des Wu Xing « Cinq Mouvements » constituent la base de la théorie médicale chinoise. La première dérive de la philosophie chinoise antique. Le Yin et le Yang sont deux principes antithétiques mais interdépendants qui traduisent la dualité inhérente à tout être ou à tout phénomène dans l’univers. Ils expliquent comment les choses fonctionnent entre elles et par rapport à l’univers. À l’origine, ces deux concepts se référaient à la position d’un objet par rapport au soleil : en ce sens, est Yang ce qui est exposé au soleil, Yin, ce qui ne l’est pas. Par la suite, leur sens a été étendu à d’autres domaines : à la température (ils renvoient respectivement au froid et au chaud), à la saison (Automne-Hiver/Printemps-Été), à la localisation (bas/haut, gauche/droite, antérieur/postérieur, interne/externe), à l’orientation (Nord/Sud, Ouest/Est), au mouvement (passif/actif), etc. Toutefois, Yin et Yang sont des concepts relatifs : il n’y a ni Yin ni Yang absolu. Par leurs mouvements et leurs mutations (opposition, divisibilité infinie, contrôle et équilibre mutuels, transformation, etc.), ils sont le fondement de toute chose et de tout changement dans l’univers.

15Appliquée à la médecine, la théorie du Yin-Yang permet de définir la santé par l’équilibre dans le corps de ces deux principes antithétiques mais interdépendants, la pathologie par la rupture de cet équilibre : on parlera alors d’ « Excès (ou « Plénitude »), [Shi] » de l’un ou de « Déficience (ou « Vide »), [Xu] » de l’autre. En matière de diagnostic, cette théorie permet de distinguer les aspects Yin et Yang dans les symptômes. Cela constitue d’ailleurs la première étape du diagnostic. En matière de thérapeutique, elle permet de différencier les stratégies (par exemple, « Clarifier la Chaleur » ou « Rafraîchir le Sang » par des ingrédients de nature froide ou fraîche appartiennent au Yin ; « Réchauffer les Méridiens » ou « Restaurer le Yang » par des ingrédients de nature chaude appartiennent au Yang) et les méthodes de traitement (la moxibustion, qui consiste à chauffer les points d’acupuncture avec des cônes d’armoise, est ainsi une technique Yang). Elle permet, enfin, de classer les remèdes selon leur nature, saveur et tendance directionnelle (par exemple, les remèdes de nature froide ou fraîche, de saveur piquante, amère ou salée et qui ont une action de descente et d’enfoncement dans le corps sont considérés comme étant de nature Yin).

16La théorie des Wu Xing ou « Cinq Mouvements »[7] constitue le prolongement de la théorie du Yin-Yang. Elle permet de comprendre la nature et ses lois. Elle se réfère en effet aux

17« Cinq étapes de transformation cyclique générée par l’alternance du Yin et du Yang et, par extension, à cinq modes d’expression de la Nature. Ces cinq types de manifestation du Qi sont symboliquement représentés par le Bois, le Feu, la Terre, le Métal et l’Eau » (Marié, 1997, p. 53).

18Chacun de ces Mouvements a ses propres caractéristiques : on dit ainsi que le Bois [Mu] se courbe et se dresse, le Feu [Huo] flambe et s’élève, la Terre [Tu] reçoit la semence et donne les récoltes, le Métal [Jin] est malléable et change de forme et, enfin, que l’Eau [Shui] humidifie et coule vers le bas. En outre, il y a un aspect Yin et un aspect Yang dans chacun d’entre eux. Les Cinq Mouvements, qui représentent donc des étapes de mutation particulières du Qi à un moment donné, sont interdépendants et s’influencent mutuellement, chacun d’entre eux pouvant soit « engendrer » [Xiang Sheng], c’est-à-dire, favoriser le Mouvement qui le suit, soit le « dominer » [Xiang Ke], c’est-à-dire, le contrôler, le réfréner. Dans le premier cas (engendrement), on parlera de relation « Mère-Fils » (par exemple, le Bois qui engendre le Feu est « sa Mère » et le Feu, qui est engendré par le Bois, est « son Fils »). Ces deux cycles sont complémentaires. Chaque Mouvement à l’intérieur de ces deux cycles est ainsi, par rapport aux autres, celui qui engendre, celui qui est engendré, celui qui domine ou celui qui est dominé : par exemple, le Feu engendre la Terre (donc la Terre est engendrée par le Feu) qui, elle-même, engendre le Métal, etc. ; mais la Terre domine l’Eau (l’Eau est donc dominée par la Terre) qui, elle-même, domine le Feu, etc. L’ordre des cycles d’engendrement et de domination est fixe. Il est également infini :

tableau im1

19La théorie des Cinq Mouvements, tout comme celle du Yin-Yang, permet donc de classer les objets du monde phénoménal. Appliquée à la médecine, elle permet d’expliquer les relations physiologiques des Organes. Chaque Organe (qui doit plutôt être vu comme un système fonctionnel complexe, voir infra) correspond en effet à l’un des Cinq Mouvements : par exemple, comme le Rein collecte et contrôle les liquides, on dit qu’il appartient à l’Eau et on parlera ainsi du Rein-Eau. En outre, les Organes sont interdépendants et s’influencent mutuellement. Cette relation d’influence mutuelle se fait soit selon la relation d’engendrement, soit selon celle de domination. Chaque Organe est ainsi dans une relation d’engendrement et/ou de domination par rapport à un autre.

20Cette théorie permet aussi d’expliquer les relations entre les Organes sur le plan pathologique et, en particulier, les modalités de transmission de la maladie d’un Organe à un autre. Celle-ci peut se faire selon ces deux cycles. Selon le cycle d’engendrement, elle peut s’effectuer soit selon l’ordre normal du cycle (cas, par exemple, du Foie-Bois malade qui transmet la maladie au Cœur-Feu ou du Cœur-Feu malade qui transmet la maladie à la Rate-Terre, etc.), soit, selon l’ordre inverse (cas, par exemple, du Foie-Bois malade qui transmet la maladie au Rein-Eau ou du Rein-Eau malade qui transmet la maladie au Poumon-Métal, etc.). On dira dans ce dernier cas que « le Fils agresse la Mère ». La transmission d’une maladie d’un Organe à un autre peut également se faire selon le cycle de domination : soit selon l’ordre normal (cas, par exemple, du Foie-Bois malade qui transmet la maladie à la Rate-Terre ou de la Rate-Terre malade qui transmet la maladie au Rein-Eau, etc.) et l’on parlera dans ce cas de « conquête » [Xiang Cheng] ; soit selon l’ordre inverse du cycle de domination (cas, par exemple, du Foie-Bois malade qui transmet la maladie au Poumon-Métal ou du Poumon-Métal malade qui transmet la maladie au Cœur-Feu, etc.) et l’on parlera alors de « révolte » [Fan Wu] ou d’« outrage » [Xiang Wu]. [8]

21Appliquée au diagnostic, la théorie des Cinq Mouvements permet d’analyser les caractéristiques externes du malade (couleur et éclat du teint, morphologie, caractéristiques du pouls, intonations de la voix, etc.) de manière à déterminer quel Organe est atteint (par exemple, un teint bleu-vert, un pouls tendu et une préférence pour le goût acide peuvent traduire une affection du Foie) mais aussi à établir le pronostic de la maladie et sa transmission éventuelle d’un Organe à un autre : quand, par exemple, le pouls et le teint suivent l’ordre normal du cycle d’engendrement, cela signifie que la maladie est légère et que le pronostic est favorable ; quand ils suivent le cycle de domination, la maladie est considérée comme grave et le pronostic est peu favorable.

22Sur le plan thérapeutique, cette théorie permet de définir la stratégie et la méthode de traitement : par exemple, en cas de Déficience (ou Vide) d’un Organe, on parlera de « Tonifier la Mère [l’Organe-mère] » pour renforcer son rôle d’engendrement (par exemple, en cas de Déficience du Poumon-Métal, on tonifiera la Rate-Terre, qui est sa « Mère ») ; en cas de Plénitude (ou Excès) d’un Organe, on parlera de « Disperser le Fils » (par exemple, en cas d’Excès du Foie-Bois, on procédera à une dispersion du Fils, le Cœur-Feu). On pourra également traiter l’Excès du Foie-Bois en renforçant l’action de domination du Poumon-Métal ou alors fortifier la Rate-Terre pour éviter que l’affection du Foie-Bois ne l’atteigne. On pourra enfin, en cas de Plénitude d’un Organe et de Déficience d’un autre, traiter les deux Organes simultanément : on parlera alors de « Contenir le Fort et Soutenir le Faible » (par exemple, en cas de Plénitude du Foie-Bois et de Déficience de la Rate-Terre, on pourra utiliser la méthode visant à « Contenir le Bois en Soutenant la Terre », etc.). La théorie des Cinq Mouvements permet enfin de classer les saveurs des remèdes (voir infra le tableau récapitulatif des principales correspondances des Cinq Mouvements dans la Nature et l’Homme).

Les substances fondamentales de base de l’organisme

23Le Qi, le Sang [Xue] et les Liquides organiques [Jin Ye] sont les substances de base essentielles aux activités physiologiques des Organes.

24Le Qi désigne, comme nous l’avons dit, une matière subtile dotée d’une force vitale puissante et en perpétuel mouvement. C’est la substance la plus fondamentale de l’organisme dont il assure et préserve l’activité vitale. On distingue plusieurs types de Qi selon leur origine, leur localisation et leurs fonctions dans l’organisme : Yuan Qi « Qi Originel », qui active la croissance et le développement de l’organisme ; Zong Qi « Qi Premier », qui stimule la fonction respiratoire et fait circuler le Qi et le Sang dans l’organisme ; Ying Qi « Qi Nourricier », qui produit, transforme, propulse et contient le Sang à l’intérieur des vaisseaux sanguins et des Méridiens ; Wei Qi « Qi Défensif » (aussi traduit par « Qi Protecteur »), qui circule dans les couches superficielles du corps, régule la transpiration, réchauffe l’ensemble de l’organisme et le défend contre les agressions externes ; Zheng Qi « Qi Droit » (aussi traduit par « Qi Correct »), qui désigne le Qi sain de l’organisme par opposition aux facteurs pathogènes externes ; Zang Qi « Qi des Organes », qui correspond au Qi nécessaire à l’activité physiologique des Organes ; Jing Qi « Qi des Méridiens » qui est le Qi qui circule dans les Méridiens et Collatéraux. Enfin, la médecine chinoise parle de Qi Fen « Couche du Qi », pour se référer, comme nous le verrons, à l’une des étapes de pénétration des Maladies de Tiédeur [Wen Bing] à l’intérieur de l’organisme et de Liu Qi et Xie Qi [ou Liu Xie Qi] pour désigner, respectivement, les « Six Qi » ou variations climatiques saisonnières normales et les « Six Excès » ou les « Six Perversités climatiques » qui sont des causes de maladies.

25Le Sang [Xue] est défini en médecine chinoise comme un liquide rouge, très nutritif, qui circule avec le Qi dans les vaisseaux sanguins et les Méridiens. Il a deux actions principales : nourrir et humidifier l’organisme. Il est également le support matériel de l’activité mentale et spirituelle (du Shen). L’abondance du Sang et sa circulation normale assurent le bon déroulement de ces activités. Quand il est insuffisant, des signes de lassitude mentale et de baisse de concentration peuvent apparaître. À l’inverse, des activités psychiques sont susceptibles d’affecter le Sang. L’excès de travail intellectuel, par exemple, peut entraîner une insuffisance du Sang. La Colère, émotion liée au Cœur (voir infra), peut provoquer une montée excessive du Sang dans le Cœur, etc.

26Les Liquides organiques [Jin Ye] sont tous les liquides normaux à l’intérieur de l’organisme. On les distingue selon leur nature, leur localisation et leurs fonctions. Les liquides Jin sont de nature fluide, limpide, et s’écoulent aisément à l’intérieur de l’organisme. Ils suivent la circulation de Qi et du Sang et se répandent dans tout le corps pour l’humidifier et le nourrir. Par contre, les liquides Ye sont de nature dense, visqueuse, et s’écoulent difficilement. Ils lubrifient les articulations, nourrissent le Cerveau et humidifient l’intérieur du corps. Les Liquides organiques sont aussi un composant important du Sang et peuvent compenser momentanément une baisse du volume sanguin. Enfin, ils assurent la régulation de la température corporelle et permettent l’adaptation de l’organisme aux variations climatiques saisonnières (par exemple, transpiration mais diminution de la quantité d’urine par temps chaud, augmentation de la quantité d’urine mais peu ou pas de transpiration par temps froid). En cas de dysfonctionnement de l’une ou l’autre de ces fonctions, on peut observer, respectivement, sécheresse de la peau et des autres tissus du corps, perturbation de la circulation sanguine et, enfin, déshydratation et/ou troubles végétatifs, etc.

La théorie des manifestations externes des organes [Zang Xiang]

27Selon le Nei Jing-Su Wen (chapitre 5), l’homme est pourvu de cinq Organes-Zang (Cœur-Xin, [9] Foie-Gan, Rate-Pi, Poumons-Fei et Reins-Shen) et de six Organes-Fu (Vésicule Biliaire-Dan, Estomac-Wei, Intestin Grêle-Xiao Chang, Gros Intestin-Da Chang, Vessie-Pang Guang et Triple Réchauffeur-San Jiao) [10]. Ces Organes sont perçus en médecine chinoise comme des systèmes fonctionnels complexes et interdépendants. [11] Ils ne correspondent pas forcément aux structures organiques de la médecine occidentale. Le corps est ainsi un ensemble d’Organes-fonctions étroitement liés entre eux par les Méridiens principaux et les Collatéraux [Jing Luo] qui sont, comme nous le verrons, les voies de passage et de circulation du Qi et du Sang à l’intérieur de l’organisme. De par leur localisation plus en profondeur à l’intérieur de l’organisme, les Organes-Zang sont de nature Yin. Ils sont décrits comme ayant une forme pleine et leur fonction commune est de produire, transformer, assurer la régulation et stocker les substances fondamentales du corps (Qi, Sang et Liquides organiques). Chaque Organe-Zang est couplé, selon la relation superficie/profondeur [Biao/Li], à l’un des Organes-Fu (par exemple, Cœur-Intestin Grêle, Poumon-Gros Intestin, etc.). Les Organes-Fu sont localisés plus en superficie dans le corps (ils sont donc de nature Yang), leur forme est creuse, tubulaire et leur fonction commune est d’assurer la réception et la décomposition des aliments liquides et solides ainsi que le transport et l’évacuation des déchets. Outre leur fonction commune, les Organes Zang-Fu ont chacun une fonction particulière : par exemple, le Poumon gouverne le Qi (air) et la respiration et régule le passage de l’Eau, c’est-à-dire qu’il participe au métabolisme des Liquides organiques, alors que la Vessie gouverne la réception et l’élimination de l’urine, etc.

28Outre sa relation sur le plan fonctionnel avec un Organe-Fu particulier, chaque Organe-Zang a une relation privilégiée avec un organe des sens (par exemple, Poumons-Nez, Foie-Yeux), un tissu corporel (Poumons-Peau et poils, Foie-Tendons, etc.), un liquide physiologique (Poumon-Sécrétions nasales, Foie-Liquide lacrymal, etc.), un processus mental ou émotionnel (Poumon-Tristesse, Foie-Colère, etc.), un son (Poumon-Sanglot, Foie-Cris, etc.), etc., spécifiques. Il est aussi associé comme nous l’avons dit à l’un des Cinq Mouvements ainsi qu’à un facteur climatique et une saison particulières (par exemple, Foie-Bois-Vent-Printemps, Poumon-Métal-Sécheresse-Automne, Cœur-Feu-Canicule-Été, etc.).

29Les Organes Zang-Fu sont non seulement liés sur le plan physiologique mais ils s’influencent aussi sur le plan pathologique. Par exemple, l’insuffisance du Qi du Poumon peut affecter le Zong Qi « Qi Premier », ce qui entraînera une perturbation de la fonction du Cœur relative aux Vaisseaux, d’où ralentissement de la circulation du Sang pouvant aller jusqu’à la stagnation. En outre, l’activité physiologique des Zang-Fu et leurs changements sur le plan pathologique sont perceptibles à la superficie du corps. En cas de dysfonctionnement du système fonctionnel du Foie, par exemple, le malade pourra présenter des troubles de la vision (vision trouble, strabisme), des crampes et faiblesse des tendons, des tremblements et spasmes des membres, etc. Des facteurs mentaux et émotionnels peuvent en outre entraver la fonction de l’Organe-Zang auquel ils sont associés. Quand ils s’expriment de façon soudaine, violente ou de manière persistante, ils entravent la circulation du Qi et du Sang et causent diverses maladies selon le système fonctionnel auquel ils sont reliés. On dit ainsi que la Colère blesse le système fonctionnel du Foie, la Joie excessive celui du Cœur, etc.

30Le tableau qui suit résume les principales correspondances des cinq Organes-Zang dans l’organisme et dans la nature selon la théorie des Cinq Mouvements :

tableau im2

Le système des Jing (Mai) Luo [12] (Méridiens et Collatéraux)

31Selon la théorie médicale chinoise, le Qi et le Sang circulent dans l’organisme en suivant un réseau de douze conducteurs principaux : les Douze Méridiens Principaux [Shi Er Jing Sheng]. Ceux-ci, qui ne doivent pas être assimilés aux vaisseaux sanguins, sont invisibles. Ils sont reliés aux Organes Zang-Fu et connectent l’intérieur du corps avec l’extérieur. Ils sont dénommés selon plusieurs critères associés : nom de l’Organe-Zang auquel ils sont reliés, nature Yin ou Yang de celui-ci, trajet sur les membres inférieurs (on parlera alors de « Méridien du Pied ») ou supérieurs (« Méridien de la Main ») du corps, sur leur face interne et antérieure [Tai Yin], interne et médiane [Jue Yin], interne et postérieure [Shao Yin], externe et antérieure [Yang Ming], externe et médiane [Shao Yang] ou externe et postérieure [Tai Yang]. On distingue ainsi :

tableau im3

32La majorité des points d’acupuncture sont situés sur les trajets de ces Douze Méridiens Principaux. Il y a également Huit Méridiens particuliers [Qi Jing Ba Mai]. [13] Ces derniers n’ont pas de relation directe avec les Organes Zang-Fu. Ils sont reliés aux Organes particuliers (en particulier au Cerveau et à l’Utérus) et, à l’exception du Ren Mai « Méridien Conception » et Du Mai « Méridien Gouverneur », ils ne possèdent pas de points d’acupuncture. Ils renforcent les connections entre les Méridiens principaux, règlent la circulation du Sang et du Qi dans ces derniers et relient entre eux les Organes particuliers tant sur le plan de la physiologie que de la pathologie. La médecine chinoise distingue aussi : Douze Méridiens Distincts (ou Branches Divergentes) [Shi Er Jing Bie] qui quittent les Méridiens principaux et assurent la communication avec des zones du corps non couvertes par ceux-ci ; diverses Ramifications ou Collatéraux tels que les Quinze Collatéraux Distincts [Bie Luo], les Collatéraux Superficiels [Fu Luo], les Capillaires [Sun Luo], les Méridiens Ligamentaires [Jing Jin] et les Zones Cutanées [Pi Bu]. Ces deux derniers se réfèrent, respectivement, aux zones tendino-musculaires et aux zones de la peau à la surface du corps. Les Collatéraux [Luo] circulent dans l’espace compris entre la peau et les muscles.

33Les Méridiens et les Collatéraux sont donc les principales voies de circulation du Qi et du Sang à l’intérieur de l’organisme. Ils font communiquer la superficie avec la profondeur, le haut avec le bas du corps et ont tous un trajet déterminé. En cas d’affections, ils deviennent les voies de transmission des perversités. C’est aussi par leur intermédiaire que la maladie d’un système fonctionnel du corps gagne un autre système fonctionnel. Par exemple, une affection du Foie peut gagner l’Estomac et le Poumon par le biais du Méridien du Foie Jue Yin du Pied qui passe par l’Estomac, traverse le diaphragme et pénètre dans le Poumon. Enfin, les troubles d’un Organe particulier sont perceptibles à la superficie du corps. Un trouble du Foie, par exemple, peut se traduire par des tremblements et spasmes des membres inférieurs, des troubles de la vision, des douleurs au niveau des côtes et des flancs, etc. En réalité, ces manifestations sont ressenties et transmises par le Méridien du Foie Jue Yin du Pied (et ses Collatéraux) qui commence derrière l’ongle du gros orteil, longe le bord interne du tibia, puis la zone médiane de la face interne de la cuisse (d’où les spasmes et tremblements des membres inférieurs), remonte vers l’abdomen inférieur, passe de part et d’autre de l’Estomac, se lie au Foie et se couple à la Vésicule Biliaire. Puis il traverse le diaphragme, se disperse sur les flancs et les côtes au niveau du thorax (d’où les douleurs à ce niveau), longe l’arrière-gorge, pénètre dans la zone du rhino-pharynx et rejoint le système oculaire (d’où les troubles de la vision). Une branche collatérale quitte le Foie, traverse le diaphragme, monte et pénètre dans le Poumon où elle se connecte avec le Méridien Du Mai (Méridien Gouverneur). La théorie des Méridiens est donc essentielle dans le diagnostic d’une maladie car elle permet d’expliquer les symptômes et de les replacer dans un cadre clinique précis. Elle l’est aussi dans le traitement des maladies, l’acupuncture, la moxibustion et le massage reposant en effet sur elle.

Etiologie des maladies [Bing Yin]

34Dans la pensée chinoise, l’être humain constitue donc un tout intégré et est en étroite relation avec son environnement. La santé est définie par l’équilibre entre le Yin et le Yang du corps. Cet équilibre est soutenu par un réseau de systèmes organiques fonctionnels interdépendants qui se génèrent et se contrôlent ou se limitent mutuellement. Il dépend également de l’harmonie du corps avec son environnement. Les causes (ou étiologie des maladies) sont donc les facteurs d’origines diverses qui, en rompant cet équilibre dynamique, provoquent des maladies. Ces causes, qui sont de plusieurs sortes, ont été classées de différentes manières au cours des siècles, la pensée chinoise sur l’étiologie des maladies ayant évolué au cours du temps. Se fondant sur la théorie du Yin et du Yang, le Nei Jing-Su Wen (chapitre 62) classe, par exemple, les causes des maladies en deux catégories :

35« L’apparition de perversités [Xie] déclenche des maladies soit au niveau Yin soit au niveau Yang. Quand c’est au niveau Yang, l’affection provient du Vent [Feng], de la Pluie [Pu], du Froid [Han] ou de la Canicule [Shu]. Quand c’est au niveau Yin, elle provient de l’alimentation [Yin Shi], du lieu de vie [Ju Chu] ou du déséquilibre du Yin et du Yang résultant d’une joie ou d’une colère [Xi Nu] » (traduction Chuzhen, 1992-1994).

36Selon ce système de classification, les causes externes (qui correspondent aux dérèglements climatiques) sont de nature Yang alors que les désordres mentaux et émotionnels ou le déséquilibre alimentaire sont de nature Yin. Dans le Jin Kui Yao Lüe « Abrégé du Coffre d’Or », le médecin Zhang Zhong Jing (cf. infra) des Han de l’Est distingua trois catégories de causes selon la localisation ou voie de déclaration des maladies. Selon lui, en effet,

37« Tous les maux du monde, aussi complexes qu’ils soient, n’ont pas plus de trois causes. Premièrement, les maladies dues aux perversités qui entrent dans les organes et viscères par les méridiens et collatéraux sont de "cause interne" [Nei Suo Yin]. Deuxièmement, les obstructions transmises par les vaisseaux sanguins par les quatre membres et les neuf orifices [14] sont les "atteintes externes cutanées" [Wai Pifu Suo Zhong]. Troisièmement, les maladies dues à l’intempérance sexuelle, aux blessures par arme blanche, aux piqûres d’insectes ou aux morsures d’animaux [appartiennent à la troisième catégorie]. Ainsi, les maladies viennent toutes sans exception [de ces trois causes] » (traduction Chuzhen, 1992-1994).

38Ce système de classification des causes des maladies a été remplacé sous la Dynastie Song par la « Théorie des trois étiologies » de Chen Wu Ze. Dans le San Yin Ji Yi Bing Zheng Fang Lun « Traité de la méthode [de différentiation] des syndromes selon les trois causes » (1174), Chen Wu Ze reprend et approfondit la théorie de Zhang Zhong Jing selon laquelle « tous les maux du monde n’ont pas plus de trois causes ». Il classe comme cet auteur les causes de maladies en trois catégories mais leur donne un sens différent. Ce sont : les « Causes externes » [Wai Yin], les « Causes internes » [Nei Yin] et les « Causes ni internes ni externes » [Bu Nei Bu Wai Yin]. [15] C’est cette classification qui est utilisée de nos jours. La première catégorie comprend les « Six Excès » [Liu Yin] ou « Perversités climatiques » [Xie Qi], qui correspondent aux dérèglements climatiques et sont, en règle générale, étroitement liés aux saisons et à l’environnement. La seconde catégorie comprend les « Sept Sentiments » [Qi Qing] qui sont des réactions mentales ou émotionnelles excessives face à des évènements extérieurs. Ce sont la Joie [Xi], la Colère [], la Tristesse [Bei], l’Accablement [You], la Nostalgie ou Pensée excessive [Si], la Peur [Kong] et la Frayeur [Jing]. Lorsqu’elles sont associées aux Organes internes, on parle alors des « Cinq Émotions » [Wu Jing] : Joie, Colère, Nostalgie, Tristesse et Peur (Marié, 1997, p. 104). Chacune d’entre elles correspond à un Organe particulier (voir tableau supra). Lorsqu’elles s’expriment de façon soudaine, violente ou qu’elles se manifestent de manière persistante, elles peuvent entraver les mouvements du Qi dans les Organes, provoquer un déséquilibre entre le Yin et le Yang, le Qi et le Sang, endommager les Organes auxquels elles correspondent (on dit ainsi que la Colère blesse le Foie, la Joie en excès blesse le Cœur, la Tristesse blesse le Poumon, etc.) et entraîner l’apparition d’une maladie (la Joie, par exemple, ralentit le Qi du Cœur, d’où palpitations, surexcitabilité, agitation, etc.). Les Émotions sont donc considérées comme des facteurs déclenchant des maladies d’origine interne. [16] À l’inverse, le dysfonctionnement d’un Organe pourra retentir sur l’état émotionnel et provoquer un déséquilibre émotionnel. Ainsi, par exemple, un Vide de Yin du Foie peut engendrer une montée du Yang de cet Organe et retentir sur l’humeur de la personne qui deviendra particulièrement irritable.

39Les Causes internes se différencient des Six Excès par le fait qu’elles atteignent directement les Organes Yin auxquels elles sont associées pour engendrer des déséquilibres internes. Les Six Excès, quant à eux, doivent d’abord pénétrer dans l’organisme par la peau, les poils ou par le nez et la bouche et franchir la barrière protectrice du corps avant de pouvoir atteindre les systèmes organiques fonctionnels (s’ils ne sont pas expulsés avant) (voir infra). Le Nei Jing-Su Wen (chapitre 63) dit ainsi :

40« Lorsque les maux externes envahissent le corps, ils commencent par envahir la peau et les cheveux ; s’ils ne sont pas expulsés, ils envahissent alors les Méridiens minuscules de communication [les Collatéraux Luo qui circulent dans l’espace compris entre la peau et les muscles] ; s’ils ne sont pas expulsés, ils envahissent alors les Méridiens principaux, puis les cinq Organes Yin... Voilà comment les maux externes vont de la peau et des cheveux aux cinq Organes Yin » (traduction Maciocia 2008).

41Enfin, la dernière catégorie « Ni interne Ni externe » regroupe des facteurs pathogènes variés tels que les déséquilibres alimentaires [Yin Shi], le surmenage ou l’inactivité [Lao Yi], les traumatismes et blessures diverses [Wai Shang], les parasitoses [Ji Sheng Chong], les maladies épidémiques [Yi Li], etc. Dans cette catégorie sont aussi incluses les productions pathogènes qui sont le produit d’un dérèglement du métabolisme et de la circulation des Liquides organiques (Mucosités [Tan Yin], Glaires [Yin Xie], Œdèmes [Zhong]) ou d’une perturbation dans la circulation du Sang (Stase de Sang [Yu Xue]).

42Dans la pensée chinoise, comme le souligne Kaptchuk (1999),

43« Une cause distincte et séparée est sans importance ; ce sont les relations au sein d’un modèle qui importent. C’est le patient en entier qui est traité, jamais pour une cause, mais bien pour la configuration unique de ses signes et symptômes. L’idée de causalité en médecine chinoise est en définitive une manière d’identifier et de qualifier les importantes relations entre l’environnement, le tempérament, le style personnel de vie, et la santé et la maladie » (Kaptchuk, 1999, p. 95).

Méthodes de diagnostic – Différentiation des syndromes

44Selon la conception chinoise de la globalité du corps, non seulement toutes les parties du corps sont en étroite correspondance mais aussi chacune d’entre elles est, d’une certaine manière, le miroir du tout. Cette conception de la globalité du corps est essentielle dans l’établissement du diagnostic d’une maladie. Pour émettre un diagnostic, le praticien en médecine chinoise procède en effet selon deux manières complémentaires. Il recueille tout d’abord les symptômes et signes cliniques par le biais de quatre examens :

45Observation [Wang Zhen « regarder »] : aspect général du patient ; vitalité ; attitude et mouvements ; couleur du visage ; tête, nuque, cou, organes des sens (yeux, oreilles, bouche, nez) ; couleur, forme, mobilité et enduit de la langue ; coloration et texture de la peau ; état des vaisseaux sanguins ; sécrétions et excrétions ; présence éventuelle d’une éruption cutanée (vésicules, macules ou papules, sérosités remplies de liquide, etc.). Par exemple, le visage et la langue rouges peuvent indiquer un syndrome de Chaleur, l’enduit lingual jaune, un syndrome interne ou de Chaleur, la langue craquelée, un Vide de Yin et des Liquides organiques, etc. En outre, les maladies de type Chaleur se traduisent souvent par une éruption cutanée.

46Audition/Olfaction [Wen Zhen « écouter et sentir »] : audition de la voix, respiration, toux, hoquets, éructations, etc. ; et olfaction de l’haleine, de l’odeur corporelle, des excrétas, etc. Par exemple, une voix faible peut indiquer un syndrome de Vide et de Froid, une voix éteinte, une déficience du Zong Qi, une toux sèche, la présence de Sécheresse, de Chaleur ou de Mucosités, une haleine fétide, la présence de Chaleur dans l’Estomac, etc.

47Interrogatoire [Wen Zhen « demander, interroger »] : recueil par l’interrogatoire du patient de données générales (identité, âge, situation familiale, activité professionnelle, lieu de résidence, origine ethnique, etc., certaines maladies étant, en effet, influencées par ces différents facteurs), [17] conditions de vie, antécédents, historique et développement de la maladie, questions spécifiques sur la présence éventuelle de sensations de froid ou de chaleur, transpiration, tremblements ou engourdissement des membres, céphalées et vertiges, douleurs (nature, localisation) ou d’autres symptômes concernant les émotions, les organes sensoriels, l’appétit, les selles et les urines, la qualité du sommeil, etc. On distingue, par exemple, la Fièvre avec Crainte de Froid qui peut traduire une attaque externe de Vent-Froid ou de Vent-Chaleur (voir infra), une sensation de Chaleur sans aversion pour le Froid, ce qui correspond généralement à une Chaleur interne, une alternance de Froid et de Chaleur, ce qui indique que le facteur pathogène se trouve à mi-chemin entre la superficie et la profondeur du corps, etc.

48Palpation [Qie Zhen « toucher »] : prise des pouls mais aussi palpation de la partie du corps affectée par la maladie. La palpation du corps permet, par exemple, de recueillir des informations sur la fraîcheur, la chaleur ou la sécheresse de la peau, de vérifier si la douleur est atténuée ou aggravée par la pression, etc. Selon la médecine chinoise, les pouls sont directement liés à l’activité fonctionnelle des Organes. Ils dépendent également du Zong Qi qui contrôle l’impulsion et la régularité du rythme cardiaque, du Qi de l’Estomac car l’Estomac est la source de la nourriture pour l’ensemble du corps ainsi que du Qi qui circule dans les vaisseaux et du Sang car les pouls sont le produit de la rencontre de ces deux forces. Les pouls se prennent sur l’artère radiale et des deux côtés du corps. Le poignet est divisé en trois zones (en partant du pouce) : « Pouce » [Cun], « Barrière » [Guan] et « Pied » [Chi]. Chacune d’entre elles correspond à un Organe particulier (par exemple, le pouls pris au niveau Cun du côté gauche correspond au Cœur ; celui qui est pris au niveau Cun du côté droit correspond au Poumon, etc.) ; en outre, à chacune de ces zones, on différencie trois niveaux de profondeur (« supérieur », « moyen », « inférieur »). La médecine chinoise distingue de la sorte 28 types de pouls pathologiques selon leur profondeur (pouls « flottant », « mou », « creux », « caché », etc.), dimension (pouls « court », « long », « vaste », « fin », etc.), vitesse (pouls « rapide », « vif », « paisible », etc.), rythme (pouls « précipité », « noué », etc.), forme (pouls « glissant », « rugueux », « tendu », « serré », etc.), force (pouls « plein », « faible », « dispersé », etc.), etc. En accord avec la théorie des Cinq Mouvements, les pouls sont aussi classés selon les saisons : au printemps, par exemple, le pouls normal qui correspond à l’emplacement du Cœur doit être ample et légèrement tendu, celui du Poumon, superficiel, vibrant et légèrement tendu, etc. (Marié, 1997, p. 179).

49Les caractéristiques des pouls que nous venons de décrire fournissent des indications sur la nature du syndrome présenté par le malade. On rencontre souvent en clinique l’association de deux ou trois pouls. Ainsi, par exemple, un pouls « superficiel » [Fu] et « rapide » [Shuo] peut indiquer un syndrome de Vent-Chaleur ou la présence de Chaleur à la superficie du corps. Par contre, un pouls « superficiel » [Fu] et « serré » [Jin] peut traduire le premier stade d’un syndrome d’atteinte externe par la Perversité Froid, un syndrome de Plénitude de la superficie dans une Atteinte par le Froid [Shang Han, voir infra] ou, également, un syndrome d’Obstruction [Bi] d’origine externe (Marié, 1997, p. 188).

50La seconde étape du diagnostic vise à déterminer à quels tableaux cliniques (ou pathologiques) appartiennent les différents signes et symptômes recueillis par les quatre examens. Elle vise, en d’autres termes, à différencier les syndromes [Bian Zheng Lun Zhi] dans une maladie. Pour comprendre cela, il est nécessaire de définir les concepts de « maladie » [Bing], « syndrome » [Zheng], « signe » [Zheng Hou] et « symptôme » [Zheng Zhuang] en médecine chinoise. On pourrait dire, tout d’abord, qu’en médecine chinoise, la « maladie » équivaut au symptôme de la médecine occidentale. Par exemple, la Céphalée, la Diarrhée, la Douleur de l’épigastre, ou la Toux sont considérées en médecine chinoise comme des « maladies » alors qu’elles ne sont que des symptômes d’une maladie en médecine occidentale (Maciocia, 2008, p. 450). Un syndrome [Zheng] en médecine chinoise est une constellation de signes et de symptômes. Il est le reflet de la cause, de la localisation, de la pathogénie, de la nature ou du caractère du trouble chez un patient spécifique et à un moment donné de la maladie. Une maladie (que ce soit au sens de la médecine chinoise ou à celui de la médecine occidentale) peut recouvrir différents syndromes et un même syndrome peut se retrouver dans plusieurs maladies. Par exemple, le rhume banal de la médecine occidentale peut recouvrir différents syndromes en médecine chinoise : syndromes de « Vent-Froid » (quand il survient en Hiver), de « Vent-Chaleur » (au Printemps), de « Vent-Chaleur de l’Été » (en Été ou à la fin de l’Été) ou de « Vent-Sécheresse » (en Automne). À l’inverse, le syndrome de « Vent-Tiédeur » de la médecine chinoise (cf. infra) peut se retrouver dans plusieurs maladies-entités de la médecine occidentale comme la grippe, la pneumonie lobaire ou la bronchite aiguë. A quelques exceptions près (cas de la rougeole [Ma Zhen], du paludisme [Nue Ji], de l’épilepsie [Dian Xian] et de la dysenterie [Li], il n’y a donc pas de correspondances terme à terme entre les « maladies » de la médecine chinoise et les « maladies » de la médecine occidentale (ibid.).

51En outre, la conception des signes et des symptômes en médecine chinoise est plus large qu’en médecine occidentale, la médecine chinoise prenant en compte des signes ou symptômes souvent non considérés comme pertinents en matière de diagnostic par la médecine occidentale (par exemple, un regard terne, une envie de boire par petites gorgées, des caractéristiques faciales ou psychologiques, etc.). Enfin, chaque signe et symptôme n’ont de sens qu’en relation avec les autres manifestations cliniques présentées par le patient. Un même symptôme peut ainsi avoir des significations différentes selon le contexte. C’est pourquoi l’on dit souvent que la médecine chinoise s’intéresse davantage aux relations qu’aux causes (Kaptchuk, 1999 ; Maciocia, 2008).

52La différentiation des syndromes a des implications importantes pour la conduite thérapeutique : les divers syndromes d’une maladie seront traités de manière distincte alors qu’un syndrome présent dans plusieurs maladies sera traité de manière identique. C’est le principe « Une même maladie, différents traitements. Des maladies différentes, un même traitement » [Tong Bing Yi Zhi, Yi Bing Tong Zhi]. L’identification des syndromes est donc essentielle pour établir une thérapeutique appropriée. Elle vise à identifier les déséquilibres de base sous-jacents aux manifestations cliniques présentées par le patient :

53« Plutôt que d’analyser les signes et symptômes un par un pour essayer d’en trouver la cause, comme le fait la médecine occidentale, la médecine chinoise travaille sur l’image globale fournie par tous les signes et symptômes afin d’identifier le déséquilibre sous-jacent. À cet égard, la médecine chinoise ne recherche pas les causes mais les tableaux pathologiques. Ainsi, lorsqu’on dit qu’un patient quelconque présente un Vide de Yin du Rein, il ne s’agit pas de la cause de la maladie (qu’il faut rechercher dans la vie de la personne) mais du déséquilibre sous-jacent à la maladie ou à la façon dont elle s’exprime. Bien évidemment, après avoir identifié le tableau pathologique la médecine chinoise va plus loin et cherche à identifier la cause du déséquilibre » (Maciocia, 2008, p. 449).

54L’identification ou le diagnostic différentiel des syndromes permet de déterminer la nature et la cause de la maladie, son siège, le (ou les) principes de traitement ainsi que le pronostic. La pensée médicale chinoise sur le processus de développement des maladies a évolué au cours des siècles. C’est pourquoi il existe différentes méthodes d’identification des syndromes, chacune d’entre elles pouvant être employée dans plusieurs cas. Le praticien en médecine chinoise utilise généralement en même temps plusieurs méthodes pour établir le diagnostic d’une maladie. Ces différentes méthodes sont principalement : l’identification selon les Huit Principes [Ba Gang] (Superficie/profondeur, Froid/Chaleur, Vide/Plénitude, Yin-Yang), les substances vitales de l’organisme (Qi, Sang et Liquides organiques), les Organes Zang-Fu, les Facteurs pathogènes, les Douze Méridiens principaux, les Six Niveaux, les Quatre Couches, et les Trois Foyers. [18] Nous reviendrons plus tard sur les trois dernières méthodes qui ont permis la différenciation des Atteintes par le Froid et des Maladies de Tiédeur.

Principes et méthodes de traitement

55Une fois le diagnostic différentiel des syndromes établi, le médecin définit un principe thérapeutique puis une méthodede traitement. Le principe de traitement découle directement de l’identification du syndrome. Par exemple, dans le syndrome de Chaleur du Sang [Xue Re Zheng] le principe thérapeutique qui en découle visera à « Rafraîchir le Sang et Clarifier la Chaleur » [Liang Xue Qing Re]. Pour « Rafraîchir » on utilisera alors la méthode dite de « Clarification » [Qing Fa] en utilisant, pour ce faire, une formule de pharmacopée spécifique (Marié, 1997, p. 223).

56L’une des étapes du traitement consiste à séparer la « Racine » [Ben] de la « Branche » [Biao] de la maladie. Les concepts de Racine et de Branche renvoient respectivement à deux choses principales en clinique : aspects principaux/aspects secondaires d’une maladie ou syndrome originel/syndrome dérivé. Selon le premier sens, par exemple, le Vent-Froid est la racine de la maladie et la crainte de Froid, la fièvre, le pouls flottant et serré, etc., en constituent sa branche. Selon le second sens, un syndrome de Vide de Qi de la Rate constitue la racine, le syndrome Humidité qui en découle, sa branche (Maciocia, 2008, p. 1189). La distinction entre Racine et Branche a un impact important sur le plan thérapeutique, le traitement visant, selon le contexte, à traiter en premier lieu soit la Racine, soit la Branche. D’autres principes de traitement incluent, selon le contexte, « Soutenir/Tonifier le Qi Droit [Zheng Qi] et Expulser les facteurs pathogènes », « Équilibrer le Yin et le Yang », « Équilibrer l’activité fonctionnelle des Zang-Fu », « Réguler les relations entre le Qi et le Sang » ou, encore, « Se conformer aux moments, aux lieux et aux situations humaines ». Ce dernier principe signifie que, pour comprendre une maladie et administrer un traitement, l’on doit tenir compte de différents éléments : saison (par exemple, on évitera en été les remèdes échauffants) ; caractéristiques (localisation, altitude, climat, nature du sol, etc.) de la région et de l’environnement du patient, certaines maladies étant, en effet, spécifiques à certaines régions ; caractéristiques personnelles du patient (âge, sexe, profession, mode de vie, type d’habitat, etc.) (cf. Marié, 1997, pp. 227-229 ; Maciocia, 2008, pp. 1187-1207).

57Lorsque le principe thérapeutique est déterminé, il reste à choisir la méthode de traitement. On distingue huit méthodes thérapeutiques de base [Ba Fa] qui sont : la Sudorification [Han Fa], pour chasser, par le biais de la transpiration provoquée, les facteurs pathogènes externes de la superficie du corps (on parle souvent de « Libérer la superficie ») ; la Vomification [Tu Fa], pour évacuer les mucosités, les aliments non digérés, etc., qui stagnent dans la poitrine et l’Estomac ; la Purgation [Xia Fa], pour évacuer les stagnations ou les Plénitudes par voie intestinale ; l’ Harmonisation [He Fa], pour réguler les mouvements du Qi et l’activité fonctionnelle des Zang-Fu ; le Réchauffement [Wen Fa], pour éliminer le Froid pathogène, tonifier et tiédir le Yang ; la Clarification (ou Rafraîchissement) [Qing Fa], pour rafraîchir avec des ingrédients froids ou frais la chaleur dans les syndromes de Chaleur ; la Tonification [Bu Fa], pour tonifier le Qi, le Sang, le Yin ou le Yang dans les syndromes de Vide ; et, enfin, la Dispersion [Xiao Fa] qui est utilisée dans les syndromes de Plénitude et de Stagnation et possède différentes actions thérapeutiques selon qu’elle est utilisée seule ou en association avec d’autres méthodes (par exemple, Tonifier le Qi et Mobiliser le Sang, Rafraîchir le Sang et Arrêter les saignements, Transformer l’Humidité, Chasser le Vent et Éliminer l’Humidité, etc. (cf. Marié, 1997, pp. 231-237 et Maciocia, 2008, pp. 1187-1207).

CLIMAT, SANTÉ ET MALADIE SELON LA MÉDECINE CHINOISE

58Comme nous l’avons vu, la médecine chinoise distingue depuis très longtemps trois catégories de causes de maladies : les « Causes externes », qui correspondent aux variations climatiques anormales ; les « Causes internes » qui correspondent aux débordements émotionnels ; et les « Causes ni internes ni externes » qui sont d’origine variée (alimentation, style de vie, morsures d’animaux, etc.). Les variations climatiques anormales sont donc perçues comme des facteurs pathogènes susceptibles d’envahir l’organisme et, en perturbant l’équilibre dynamique du Yin et du Yang, de provoquer un grand nombre de maladies. Selon le Nei Jing-Su Wen (chapitre 74), en effet :

59« Les cent maladies viennent du Vent, du Froid, de la Chaleur de l’Eté, de l’Humidité, de la Sécheresse et du Feu » (traduction Maciocia, 2008).

60En règle générale, le Vent [Feng], le Froid [Han], la Chaleur estivale ou Canicule [Shu], la Sécheresse [Zao], l’Humidité [Shi] et la Chaleur [Re] (ou Feu [Huo]) [19] sont perçus comme des changements climatiques normaux liés aux saisons. Le Vent, par exemple, est associé au Printemps bien qu’il puisse survenir à d’autres saisons ; le Froid est associé à l’Hiver, la Chaleur estivale ou Canicule exclusivement à l’Été, l’Humidité à l’Été prolongé, [20] la Sécheresse à l’Automne et la Chaleur à n’importe quelle saison. On dénomme ces variations climatiques saisonnières les « Six Qi » [Liu Qi]. Elles sont considérées comme nécessaires à la vie et à la croissance des êtres. Toutefois, lorsqu’elles surviennent à contretemps (Chaleur ou Tiédeur en Hiver, par exemple) ou en cas de changement violent et abrupt du temps (alternance rapide de temps froid et chaud, par exemple) qui dépasse la capacité d’adaptation de l’organisme, elles peuvent provoquer des maladies. On les dénommera alors les « Six Excès » [Liu Yin] ou les « Six Perversités climatiques » [Liu Xie Qi]. On dit qu’elles envahissent le corps par la peau et les poils ou par les voies respiratoires et progressent de la superficie vers la profondeur de l’organisme en occasionnant des troubles fonctionnels variés.

61Les Six Excès sont en général liés à un temps et une saison spécifiques. Ils peuvent, toutefois, survenir à d’autres saisons (cf. infra). Ils sont également associés à un Organe-Zang particulier. Chaque Organe peut donc tomber malade à une saison particulière. Ainsi, selon le Nei Jing-Su Wen (chapitre 38),

62« Chacun des cinq Organes Yin tombe malade à un moment précis... [une invasion externe] en Automne va envahir le Poumon ; au Printemps, elle va envahir le Foie ; en Été, elle va envahir le Cœur ; à la fin de l’Eté, elle va envahir la Rate ; et en Hiver, elle va envahir le Rein » (traduction Maciocia, 2008).

63Les Six Excès peuvent agir de manière isolée ou se combiner pour attaquer un individu. La médecine chinoise considère le Vent [Feng] comme le précurseur des affections d’origine externe. Il sert en effet de support aux autres Perversités climatiques pour envahir l’organisme et renforce leur virulence. On parlera dans ce cas de « Vent-Froid » [Feng-Han], « Vent-Sécheresse » [Feng-Zao], « Vent-Chaleur » [Feng-Re] ou « Vent-Humidité » [Feng-Shi]. C’est pourquoi il est dit dans le Nei Jing-Su Wen que « le Vent est à l’origine des cent maladies » [Feng Wei Bai Bing Zhi Zhang]. Les autres Excès peuvent aussi s’associer pour provoquer une maladie : on parlera, par exemple, de Chaleur-Sécheresse ou de Froid-Humidité, etc. Les Perversités climatiques peuvent aussi se transformer l’une en l’autre selon la constitution physique de l’individu. Ainsi, par exemple, le Froid pervers peut se transformer en Chaleur interne chez un individu dont la constitution physique est caractérisée par un excès de Yang. Dans certains cas (cf. infra), le facteur pathogène externe restera latent dans l’organisme et émergera plus tard sous une autre nature. Cela dépend, entre autres choses, de la capacité de résistance de l’individu. En réalité, les variations climatiques anormales n’affectent pas les individus de manière équivalente : le facteur déterminant dans le déclenchement d’une maladie est la capacité de résistance de l’organisme ou, plus exactement, selon les termes de la médecine chinoise, la force relative de son Zheng Qi, que nous avons traduit plus haut comme « Qi Droit » ou « Qi Correct », par rapport à celle du Xie Qi qui provient de l’environnement. Le Zheng Qi est la synthèse des Qi vitaux qui assurent le bon fonctionnement des Organes, des Méridiens et Collatéraux, du Qi et du Sang, l’équilibre dynamique du Yin-Yang dans l’organisme ainsi que l’équilibre ou l’harmonie entre le corps et l’environnement. C’est également la capacité de résistance de l’organisme par rapport à une agression externe. Le Zheng Qi est influencé par la constitution physique individuelle, l’alimentation, le mode de vie, l’activité physique, l’environnement, le climat ainsi que par l’état psychique de la personne. Sa force ou sa faiblesse relative à un moment donné par rapport à celle de la Perversité climatique est l’élément déterminant dans l’apparition d’une maladie alors que la Perversité n’en est que le facteur déclenchant (Chuzhen, 1992-1994 ; Kaptchuk, 1999 ; Maciocia, 2008).

64L’apparition d’une maladie d’origine externe dépend donc du résultat de la lutte entre la Perversité climatique et le Zheng Qi de l’individu. Quand ce dernier est fort, les maladies ne se développent pas aisément. Lorsqu’il est temporairement affaibli ou lorsque la Perversité est particulièrement virulente et dépasse les capacités de résistance de l’organisme, la maladie survient. Quand les deux sont de force équivalente, la Perversité climatique pénètre dans l’organisme mais sans remettre en cause son équilibre. Elle pourra, néanmoins, émerger plus tard sous une autre nature lorsque les conditions seront appropriées (cf. infra).

65Les Six Excès se manifestent dans le corps du malade par divers signes et symptômes. Certains symptômes se retrouvent dans la plupart des tableaux pathologiques (ou syndromes). C’est le cas, par exemple, de la fièvre [Fa Re] et de la crainte simultanée du froid [Wu Han]. Ces deux symptômes présents au stade initial de la maladie traduisent l’invasion du corps par un facteur pathogène externe. La fièvre, en médecine chinoise, est une sensation objective de chaleur émanant du corps du patient et qui est décelable à la palpation (corps, dos de la main ou front chauds au toucher). Elle peut être ou non accompagnée de fièvre effective, c’est-à-dire, d’une augmentation de la température corporelle qui peut être détectée par le thermomètre. Elle est le résultat de la lutte entre le facteur pathogène et le Zheng Qi. Son intensité varie selon la force relative de ces deux facteurs mais aussi de la constitution du patient : s’il est, par exemple, de constitution Yang, il sera davantage sujet à une forte fièvre que s’il est de constitution Yin. Par contre, la crainte du froid est une sensation subjective. Elle est due à l’obstruction par le facteur pathogène de l’espace compris entre la peau et les muscles, ce qui entrave la circulation du Qi Défensif [Wei Qi] qui n’arrive plus à réchauffer ces derniers. On distingue plusieurs degrés dans la crainte de froid : « Crainte du Vent » [Wu Feng], « Peur du froid » [Wei Han], « Crainte du Froid » [Wu Han] et « Frissons » [Han Zhan]. La disparition de la crainte du froid signifie que le facteur pathogène a pénétré à l’intérieur de l’organisme (Maciocia, 2008).

66D’autres manifestations cliniques sont spécifiques aux facteurs pathogènes. De par sa nature mobile et changeante, le Vent, par exemple, se manifeste par divers signes et symptômes caractérisés par l’inconstance et la mobilité comme, par exemple, des douleurs erratiques, du prurit ou des éruptions cutanées qui changent de place, des spasmes, des tremblements des membres ou des vertiges. L’invasion du corps par la Perversité Froid se traduira par des céphalées, des douleurs corporelles, des contractures (car l’une des propriétés du froid est de contracter), etc. La présence de Chaleur dans le corps se manifestera par fièvre élevée, sensation de chaleur, transpiration (car la Chaleur ouvre les pores de la peau), aversion pour la chaleur et recherche de froid, rougeur du visage et des yeux, urines sombres, etc. Comme elle a tendance à assécher les Liquides organiques, elle peut également se manifester par divers signes de sécheresse interne tels que langue sèche, soif anormale, selles sèches, urines rares et sombres, etc. Quand elle est excessive et se transforme en Feu, elle peut se concentrer dans des endroits particuliers du corps et être à l’origine d’ulcères, de furoncles ou d’abcès. On parlera, dans ce cas, de « Toxine de Chaleur » [Re Du] ou de « Toxine de Feu » [Huo Du]. [21] Enfin, on dit que le Feu, tout comme le Vent, apporte le mouvement. Il peut donc être à l’origine de « mouvements inopportuns » du Sang (d’où hémorragies, épistaxis, éruptions cutanées rouges) et/ou de l’Esprit (d’où discours confus, délire, etc.). La Chaleur estivale ou Canicule est différente de la Chaleur par une différence de degré et par le fait qu’elle se manifeste seulement en Été. Sa présence dans le corps se traduira par fièvre élevée et transpiration abondante. Elle se combine souvent à la Sécheresse. L’Humidité, bien que généralement associée à l’Été prolongé, peut survenir à d’autres saisons. On dit que de par sa nature lourde et trouble, elle tend à faire descendre les choses. C’est pourquoi les troubles qu’elle provoque atteignent d’abord la partie inférieure du corps. Sa présence dans le corps sera marquée par des douleurs prolongées, une sensation de lourdeur (tête, membres), une aversion pour les environnements humides, des excrétions abondantes et troubles, des éruptions cutanées remplies de sérosité ou suintantes, une diarrhée abondante, etc. La Sécheresse, enfin, est intimement liée à l’Automne. Elle s’infiltre dans l’organisme par le nez, la bouche, la peau et les poils et endommage facilement le Poumon, que l’on considère comme un Organe fragile qui aime l’humidité. C’est pourquoi sa présence dans le corps se traduira par toux sèche, douleurs thoraciques, etc. (Chuzhen, 1992-1994, Kaptchuk, 1999, Maciocia, 2008). Il est intéressant de signaler que certains signes et symptômes résultant de l’invasion du corps par un facteur pathogène externe sont identiques à ceux des pathologies d’origine interne. Toutefois, leur signification est différente. De même, la conduite diagnostique et thérapeutique est différente.

67Les facteurs pathogènes externes ne sont reconnus qu’à travers l’analyse des signes et des symptômes qu’ils traduisent dans le corps du malade. En médecine chinoise, on ne distingue donc pas la cause de la maladie de ses effets. [22] Dire, par exemple, qu’une maladie est due à une invasion de Vent-Chaleur ou de Vent-Froid externe signifie que la maladie a été provoquée par le Vent-Chaleur ou le Vent-Froid externe et qu’elle se traduit dans le corps par des manifestations cliniques de Vent-Chaleur ou de Vent-Froid. Les facteurs pathogènes externes sont donc en quelque sorte des « expressions de situations pathologiques » (Maciocia, 2008, p. 277) ou des « métaphores » (Kaptchuk, 1999, p. 90) qui mettent en relation les changements dans l’organisme avec les changements dans l’univers.

68En règle générale, les maladies causées par les Six Excès ont un début brutal, contrairement aux maladies attribuées à des causes internes qui se caractérisent par une évolution chronique. Dans le passé, jusqu’à l’émergence de l’École des Maladies de Tiédeur, toutes les maladies d’origine externe étaient regroupées dans la catégorie générique des « Atteintes par le Froid » [Shang Han] quelles que soient la nature de la Perversité climatique en cause et les manifestations cliniques de la maladie.

La catégorie générique des « Atteintes par le Froid » (ou « Coups de Froid »)

69Les premières références aux Maladies de Tiédeur (ou de Chaleur) [Wen [Re] Bing], [23] c’est-à-dire aux maladies qui se manifestent par divers symptômes de tiédeur ou de chaleur comme fièvre, sensation de corps chaud, aversion pour le froid, etc., proviennent du Nei Jing-Su Wen. Dans le chapitre 31, il est dit que « les Maladies de type Tiédeur appartiennent à la catégorie des maladies fébriles causées par le Froid [Shang Han] ». Il est aussi spécifié « qu’avant le solstice d’été, ces maladies sont dénommées Maladies de Tiédeur, [et qu’] après le solstice d’été, [elles sont dénommées] Maladies de Chaleur ». Une seconde mention intéressante pour notre propos et qui a été développée plus tard par l’École des Maladies de Tiédeur, concerne, comme nous le verrons, ce que l’on dénomme en médecine chinoise la Perversité latente [Fu Xie Qi]. Dans le chapitre 3, il est dit que « L’exposition en Hiver à un Froid pathogène se manifestera probablement comme Maladie de Chaleur au Printemps ». Cette phrase signifie deux choses : en premier lieu, que des facteurs pathogènes externes peuvent rester sous forme latente à l’intérieur de l’organisme et donner lieu plus tard à une maladie d’une autre nature et, en second lieu, que la Maladie de Chaleur résulte de l’invasion du corps par une Perversité climatique de nature froide. On considérait donc, à cette époque, que les maladies dues à des facteurs pathogènes externes étaient principalement provoquées par la Perversité Froid (et les Perversités Vent-Froid).

70L’inclusion des Maladies de Tiédeur dans la catégorie générique des Coups de Froid est réitérée dans le Nan Jing ou « Classique des Difficultés ». Cet ouvrage, qui est généralement attribué à Bian Que, célèbre médecin de la fin de la période des Royaumes Combattants (403-222 av. J.-C.), et qui se présente sous la forme de 81 questions-réponses à une série de problèmes suscités par l’étude du Nei Jing, stipule ainsi (58e Difficulté) que les maladies qui se manifestent par des symptômes de tiédeur [Wen] ou de chaleur [Re] et surviennent, respectivement, avant et après l’Été, appartiennent à la catégorie des « Coups de Froid » [Shang Han]. La catégorie générique des Shang Han regrouperait, selon cet ouvrage, cinq formes de maladies ou de syndromes : Zhong Feng « Atteinte par le Vent », Shang Han « Atteinte par le Froid (ou Coup de Froid) », Shi Re « Atteinte par l’Humidité-Chaleur », Wen Bing « Maladie de Tiédeur » et Re Bing « Maladie de Chaleur ».

71Il est nécessaire de préciser ici que le terme Shang Han se référait à la fois à la catégorie générique des maladies d’origine exogène et à des maladies fébriles spécifiques dues à une atteinte par le Froid. Dans le premier cas, la catégorie Shang Han regroupait des maladies diverses qui se caractérisent par des symptômes aigus à la phase initiale, les sensations de chaleur dans le corps en constituant le symptôme prédominant. Les maladies épidémiques faisaient partie de cette catégorie. Dans le second cas, ce terme renvoyait surtout aux refroidissements, à certaines affections respiratoires, etc. Actuellement, il se réfère aussi à la fièvre typhoïde de la médecine occidentale. Shang Han est d’ailleurs le nom chinois moderne de cette maladie. Ces deux classiques de médecine ne distinguent donc pas formellement les Maladies de Tiédeur des Atteintes par le Froid, les premières étant perçues comme résultant de la transformation du Froid en Chaleur à l’intérieur de l’organisme. En réalité, le Froid était considéré à cette époque comme la source majeure des maladies fébriles d’origine externe (Hanson, 1997 ; Liu G., 2001 ; Maciocia, 2008).

72Cette conception sera reprise par le médecin Zhang Zhong Jing au cours de la Dynastie Han de l’Est (25-220 apr. J.-C.). La Dynastie Han, qui se subdivise en deux périodes (Han de l’Ouest et Han de l’Est), est marquée par le développement de la médecine et de la pharmacopée chinoise. Plusieurs médecins de cette dynastie sont particulièrement réputés et leurs œuvres sont encore vénérées de nos jours : Shen Nong, à qui l’on attribue la rédaction du Shen Nong Ben Cao Jing « Traité de matière médicale de Shen Nong » qui est le premier traité de matière médicale connu ; Hua Tuo ( ?-208) connu pour les opérations chirurgicales qu’il aurait pratiqué et qui aurait développé l’anesthésie générale en utilisant du chanvre indien ; et Zhang Zhong Jing (150-219), encore connu sous le nom de Zhang Ji. Ce dernier naquit dans le district de Nanyang, dans la province actuelle du Henan, qui correspondait en ce temps-là à l’extrême sud de l’empire chinois. Il est l’auteur d’un ouvrage fondamental - le Shang Han Lun Za Bing Lun «  Traité des Coups de Froid et des maladies diverses » - dans lequel il discute des maladies d’origine externe et de celles qui sont dues à d’autres causes. Composé à l’origine de 16 rouleaux [16 Juan], cet ouvrage aurait disparu au cours des nombreuses guerres qui ont ravagé la fin des Han de l’Est. Wang Schu He (210-285), qui est l’auteur du célèbre Mai Jing, le « Classique des Pouls », aurait retrouvé des fragments épars de cet ouvrage qu’il aurait réorganisé en deux ouvrages : le Shang Han Lun « Traité des Coups de Froid » et le Jin Kui Yao Lüe « Abrégé du Coffre d’Or ». Le Shang Han Lun traite principalement des maladies d’origine externe alors que le Jin Kui Yao Lüe « Abrégé du Coffre d’Or », qui était conservé dans un coffre de métal (d’où son nom), concerne plus de quarante types de maladies dont les affections digestives, gynécologiques et pédiatriques. Dans la suite de cet article nous nous référerons au Shang Han Lun « Traité des Coups de Froid » qui a été réorganisé par Wang Schu He et non à l’ouvrage original Shang Han Za Bing Lun.

73Outre les guerres incessantes, la fin du règne des Han de l’Est a été caractérisée par diverses calamités naturelles (tornades, tremblements de terre, sécheresse, inondations, famines sévères, etc.) et une recrudescence des épidémies. [24] La désagrégation de l’empire des Han, les rébellions populaires, les guerres de répression, les calamités naturelles et les famines sévères ont fait le lit des épidémies. Les sources historiques rapportent ainsi 119 calamités naturelles au cours des 195 années de cette dynastie, parmi lesquelles plusieurs épidémies de fièvres aiguës (Hoizey, 1988), les épidémies étant en effet classées dans les chroniques locales chinoises, à cette époque et jusqu’au 18e siècle, parmi les calamités naturelles (Dunstan 1975). Dans la préface du Shang Han Lun, Zhang Zhong Jing explicite les raisons qui l’ont poussé à entreprendre la rédaction d’un tel ouvrage :

74«  À l’origine le nombre très élevé de mes ancêtres s’élevait à plus de deux cents. Mais à partir de la première année de l’ère Jian-an (196) et en moins de dix ans, plus des deux tiers moururent, dont 70% d’atteintes du froid... C’est pourquoi j’ai recherché activement les anciens enseignements, consulté une multitude de recettes et, me fondant sur le Su Wen, les Neuf juan (le Lingshu), le Grand traité du Yin et du Yang, le Catalogue de recettes pour les femmes enceintes, j’ai rédigé le Traité des atteintes de froid (Shanghanlun) en seize juan » (traduction Despeux, 1985).

75Dans le Shang Han Lun, Zhang Ji discute de l’étiologie, du diagnostic, de l’évolution et du traitement des maladies dues à des facteurs pathogènes d’origine externe. Il décrit notamment 287 formulaires qui sont encore utilisés de nos jours. Le Shang Han Lun[25] est considéré comme le premier ouvrage de médecine clinique et thérapeutique qui allie la théorie à la pratique, c’est-à-dire les doctrines classiques à la médecine des prescriptions, d’où son importance en médecine chinoise. Il est d’ailleurs l’un des classiques de médecine que tout étudiant doit parfaitement connaître. Avant sa parution, il y avait deux courants principaux en médecine chinoise : le courant théorique, essentiellement fondé sur les classiques médicaux, et le courant pratique (clinique) ou médecine des prescriptions et qui comprenait deux genres principaux de littérature (la matière médicale [Ben Cao] et les recueils de recettes ou formulaires [Fang Shu]). Cette littérature médicale consistait essentiellement en une discussion des symptômes (ou des maladies) et des substances thérapeutiques et recettes destinées à les soigner. Elle ne faisait aucune référence aux doctrines classiques sur la conception du corps et de l’individu et la place de ce dernier dans le cosmos telles qu’elles étaient exposées dans le Nei Jing, par exemple. Zhang Zhong Jing fusionna ces deux courants et commença à appliquer le traitement selon la théorie (Goldschmidt, 2009, p. 10). La notoriété de l’ouvrage de Zhang Ji

76« ne tient pas tant à ses recettes, moins abondantes que dans d’autres ouvrages postérieurs, qu’à son approche de chaque cas pathologique, à la finesse du diagnostic cherchant toujours à remonter à la cause fondamentale de la maladie et à dégager parmi un grand nombre de symptômes, dont certains ne sont habituellement pas pris en considération dans la médecine occidentale, celui qui est déterminant » (Despeux, 1982, p. 34).

77Zhang Ji est d’ailleurs généralement considéré comme le fondateur du diagnostic différentiel des syndromes [Bian Zheng Lun Zhi]. Dans cet ouvrage, il se fonde sur le Nei Jing-Su Wen qui décrit les différentes phases du développement des maladies causés par des facteurs pathogènes externes et stipule dans son chapitre 31, comme nous l’avons vu, que « les Maladies de type Tiédeur appartiennent à la catégorie des maladies fébriles causées par le Froid [Shang Han] ». Selon Zhang Ji, toutes les maladies d’origine externe évolueraient selon une séquence de six étapes, à savoir les étapes Tai Yang, Yang Ming, Shao Yang, Tai Yin, Shao Yin, et Jue Yin.[26] Il élabora un système de diagnostic basé sur l’analyse des signes et des symptômes qui permet de différencier les syndromes à chaque étape. Dans les trois premières étapes, qui sont globalement connues sous le nom de San Yang « les Trois Yang » et qui regroupent les étapes Tai Yang, Yang Ming et Shao Yang, les syndromes concernent les six Organes-Yang (les Organes-Fu) du corps. La maladie est plus superficielle que dans les étapes des « Trois Yin » (ou Tai Yin, Shao Yin et Jue Yin) qui concernent les cinq Organes-Yin (les Organes-Zang) du corps. Il montra que chaque étape de la maladie est marquée par différents syndromes [Zheng] ou constellations particulières de signes (caractéristiques du pouls, forme, couleur et grosseur de la langue, caractéristiques de l’enduit lingual, par exemple) et de symptômes (sensation de chaleur, fièvre plus ou moins élevée, soif, transpiration, aversion pour le vent ou le froid, céphalées, crainte de la chaleur, agitation, etc.) qui surviennent en général de manière isolée. Dans certains cas, toutefois, deux ou trois syndromes apparaîtront de manière concomitante ou un syndrome se transformera en un autre. Les manifestations cliniques de la maladie varient selon la force de la Perversité climatique par rapport à celle du Zheng Qi, selon le degré d’enfoncement de la maladie à l’intérieur de l’organisme et selon les Organes ou systèmes fonctionnels atteints : dans les Trois Yang, le Zheng Qi est fort malgré la prédominance du facteur pathogène externe, d’où des signes d’Excès et de Chaleur ; dans les Trois Yin, on assiste, par contre, au déclin progressif du Zheng Qi, d’où des signes de Froid et de Déficience. Le traitement visera, par des remèdes appropriés, à chasser le facteur pathogène dans le premier cas et à renforcer le Zheng Qi dans le second.

78Dans les maladies du Tai Yang, les symptômes concernent la partie superficielle [Biao] du corps. Il s’agira alors de « libérer la superficie », c’est-à-dire de chasser, par le biais de la sudorification, les éléments pathogènes siégeant à la superficie du corps. Les symptômes et les signes généraux des maladies du Tai Yang sont, selon Zhang Zhong Jing, le pouls flottant, des céphalées, un cou raide et un sentiment de froid. Les maladies du Tai Yang se subdivisent en plusieurs syndromes ou maladies ainsi que les articles 1 & 2, 3 et 6 du Shan Han Lun le stipulent :

79Articles 1 & 2 « On appelle Zhong Feng une maladie du Tai Yang avec fièvre, sudation, crainte du vent et pouls paisible [Huan] ;

80Article 3 « On appelle Shang Han une maladie du Tai Yang accompagnée ou non de fièvre, avec crainte du froid, courbatures dans tout le corps, vomissements et haut-le-cœur et un pouls dont le Yin et le Yang sont tous deux serrés [Jin].  [27]

81Article 6 « Lorsque dans une maladie du Tai Yang, le malade est fébrile, assoiffé [28] et ne craint pas le froid, on parle de « Maladie de Tiédeur » [Wen Bing]. Lorsque le malade ayant déjà transpiré est encore brûlant de fièvre, on parle de Tiédeur et Vent [Feng Wen]. Dans le cas d’une maladie Tiédeur et Vent, le Yin et le Yang des pouls sont tous deux émergés, le malade transpire spontanément, il a le corps pesant, est somnolent, respire par le nez bruyamment et a des difficultés d’élocution. Si le médecin purge (à tort), le malade souffrira de troubles urinaires, d’incontinence d’urine et aura le regard fixe. Si le médecin attaque à tort la maladie par le feu, la peau du patient deviendra légèrement jaune ; dans un cas plus grave le malade aura une crise d’hystérie et sera pris de temps à autre de convulsions. Si le médecin attaque la maladie par des fumigations, une seule erreur laissera la vie au malade, mais deux erreurs la lui ôteront » (traduction Despeux, 1985).

82Wen Bing et Feng Wen sont donc toujours considérés comme des syndromes spécifiques à l’intérieur de la catégorie générique des Coups de Froid. Dans son ouvrage, Zhang Ji traite surtout des pathologies dues à l’invasion du corps par les Perversités Vent-Froid qui sont, à son époque, toujours perçues comme la cause majeure des maladies fébriles d’origine externe. Comme il n’indiqua aucun remède spécifique pour les syndromes de type Tiédeur, ceux-ci continuèrent à être traités selon les principes établis pour les Coups de Froid, c’est-à-dire essentiellement avec des substances de nature tiède et de saveur piquante [29] (Hoizey, 1988 ; Hanson, 1997 ; Liu G., 2001). L’approche diagnostique et thérapeutique des Six Niveaux a ainsi été utilisée par les médecins chinois pendant plusieurs siècles pour diagnostiquer et traiter les maladies fébriles provoquées par des facteurs pathogènes externes.

Les premières critiques apportées à la théorie des Coups de Froid

83Au cours de la Dynastie Song (960-1279) et, tout particulièrement durant le règne de l’empereur Ren Zong (1022-1063), de nombreuses épidémies mortifères ravagèrent les différentes populations de la Chine. Ces épidémies ont été associées par les historiens aux mouvements de migration croissants de la population chinoise du Nord vers le Sud ainsi qu’à l’intensification du volume du commerce et des routes de commerce (Goldschmidt, 2009). Face à ces épidémies, le gouvernement impérial fonda un Bureau de Révision des Ouvrages de Médecine qui était chargé de collecter, réviser et publier les ouvrages médicaux, anciens ou contemporains. Ainsi, grâce à l’invention des caractères mobiles de l’imprimerie, de nombreux traités anciens de médecine jouirent d’une plus grande divulgation, ce qui, dans le même temps, favorisa les éditions commentées de ces ouvrages. C’est le cas du Shang Han Lun de Zhang Zhong Jing qui aurait ainsi fait l’objet de plusieurs centaines d’éditions critiques au cours des siècles.

84C’est ainsi au cours des Dynasties Song, Jin et Yuan (960-1368) que l’approche diagnostique et thérapeutique mise sur pied par Zhang Zhong Jing pour les maladies fébriles d’origine externe commença à être remise en question. En effet, face aux échecs répétés des traitements fondés sur les prescriptions du Shang Han Lun, certains médecins se mirent à critiquer l’adhésion aveugle de leurs contemporains envers les classiques de médecine, leur utilisation indiscriminée d’approches thérapeutiques anciennes qui ne seraient adaptées ni à la nature des maladies de l’époque ni aux différents climats et régions de la Chine ainsi que leur confusion conceptuelle et clinique entre Coups de Froid et Maladies de Tiédeur. Plusieurs d’entre eux fondèrent d’ailleurs des écoles de pensée.

85Le médecin Liu Wan Su (1120-1200), natif du He Jian, se fondant sur le Nei Jing ainsi que sur sa propre expérience clinique, établit la théorie de la « prédominance » du Feu. Dans le Su Wen Xuan Ji Yang Bing Shi « L’étiologie selon le Su Wen », il défendit l’idée selon laquelle tous les facteurs pathogènes externes se transformeraient en Feu à l’intérieur de l’organisme [Wu Qi Hua Huo]. Il montra également que les dérèglements émotionnels entraînaient aussi l’apparition de chaleur. Il est l’un des fondateurs de l’ « École de la Prédominance du Feu » [Zhu Huo Xue Pai]. Comme il prôna l’utilisation de remèdes de nature froide ou fraîche pour traiter ces maladies, cette école est aussi dénommée l’ « École du Froid et du Frais » [Han Lian Xue Pai]. Enfin, elle est connue sous le nom d’ « École de He Jian » [He Jian Xue Pai] en raison de l’origine de Liu Wan Su (Chuzhen, 1992-1994).

86Le médecin Wang Lü (connu aussi sous le nom de Wang An Dao, 1332-1391) dénonça, quand à lui, la confusion faite par ses contemporains entre Coups de Froid et Maladies de Tiédeur qui serait responsable de nombreuses erreurs médicales. Il proposa en outre des approches thérapeutiques spécifiques pour chacune de ces catégories de maladies (Hoizey, 1988 ; Hanson, 1997 ; Liu G., 2001). C’est la première mention d’une différentiation entre Coups de Froid et Maladies de Tiédeur qui conduisit peu à peu à la fondation de la doctrine des Maladies de Tiédeur.

Des Coups de Froid aux Maladies de Tiédeur

87Un tournant décisif dans l’approche médicale chinoise des affections fébriles d’origine externe eut lieu, en réalité, à la fin de la Dynastie Ming et au cours des premières années de la Dynastie Qing. Ces périodes furent marquées par une série de calamités naturelles (tremblements de terre, sécheresse, inondations, invasion de sauterelles, famines sévères, etc.) et d’épidémies. Les chroniques locales chinoises signalent, par exemple, une épidémie particulièrement sévère [Da Yi] au cours des années 1639-1644 (Dunstan, 1975), 10 provinces ayant notamment été atteintes en 1641, au moment du pic de l’épidémie (Elvin, 1973). [30] Elles rapportent également qu’au cours des années 1662-1795 (Dynastie Qing), les épidémies survenaient tous les deux ans (quand ce n’était pas deux à cinq fois par an dans la région du Jiangnan), [31] leur fréquence et leur gravité augmentant en été (Soon, 1994). Bien qu’il soit difficile d’établir un diagnostic rétrospectif univoque des affections épidémiques qui ont ravagé la Chine au cours de ces périodes, [32] des recherches portant sur l’histoire des maladies et sur la médecine montrent qu’elles incluaient probablement diverses maladies infectieuses et contagieuses de la médecine occidentale comme la variole, la rougeole, le choléra, le typhus, la dysenterie ou la peste bubonique, par exemple. Lors de la grande épidémie [33] qui ravagea plusieurs provinces chinoises au cours des années 1639-1644, le médecin Wu You Ke (aussi connu sous le nom de Wu You Xing, 1580-1660), natif de la province du Jiangsu (région de Jiangnan), eut l’opportunité d’assister à sa progression rapide et aux ravages qu’elle causait dans chaque village et dans chaque famille. Il se rendit aussi compte de l’inefficacité des traitements mis en œuvre, ce qu’il attribua à l’identification erronée, par ses contemporains, de l’étio-pathogénie et des manifestations cliniques de l’affection épidémique. Il en conclut également que les Maladies de Tiédeur étaient de nature distincte de celle des Coups de Froid et qu’elles se manifestaient de manière différente. C’est ce qui expliquerait, selon lui, l’inefficacité, sinon le caractère dangereux, des prescriptions thérapeutiques fondées sur le Shang Han Lun qui étaient jusqu’alors utilisées dans le traitement des affections épidémiques (Hoizey, 1988 ; Hanson, 1997).

88Dans le Wen Yi Lun « Traité des Maladies épidémiques de Tiédeur » (1642), Wu jeta les bases d’une nouvelle théorie étiologique et épidémiologique des affections épidémiques. Celles-ci ne sont plus directement attribuées aux variations climatiques anormales. Elles seraient causées par des « Qi pestilentiels » de différentes natures qui se trouveraient dans l’environnement (« entre le Ciel et la Terre ») :

89« Les affections pestilentielles [i.e., les maladies épidémiques de Tiédeur, Wen Yi] ne sont causées ni par le Vent, ni par le Froid, ni par la Sécheresse, ni par l’Humidité. C’est tout autre chose qui les suscite, une énergie étrange [Yi Qi] entre Ciel et Terre » (traduction Chuzhen, 1992-1994).

90Invisibles à l’œil nu, ces Qi pestilentiels seraient uniquement détectables par leurs effets. Ils varieraient en outre selon les maladies (« Une maladie, un Qi pestilentiel ») et selon les espèces. Ainsi, ceux qui frappent la population humaine seraient différents de ceux qui affectent les bovins, les ovins ou les oiseaux, par exemple. Wu expliqua de plus que ces Qi pestilentiels étaient de nature tiède ou chaude et qu’ils pénétraient dans le corps par le nez et la bouche – et non par la peau et les poils, comme on le disait alors - avant de s’installer dans une zone située dans le thorax entre la peau et les muscles (que les Chinois dénomment Mo Yuan). [34] Ces Qi pestilentiels seraient difficiles à déloger de cette zone par les thérapeutiques conventionnelles. Wu nota en outre que les Qi pestilentiels différaient des facteurs climatiques pathogènes par leur virulence et leur extrême capacité de diffusion : ils seraient ainsi capables d’envahir même les corps les plus sains et se diffuseraient rapidement dans une population, en affectant tous les individus avec des symptômes similaires, quels que soient leur âge et leur constitution physique (Elvin, 1973 ; Hoizey, 1988 ; Chuzhen, 1992-1994 ; Hanson, 1997 ; Liu G., 2001). Ainsi, bien que les affections épidémiques causées par les Qi pestilentiels ressembleraient aux maladies causées par les perversités Tiédeur et Chaleur par leur début brutal, leur évolution rapide, l’importance des manifestations cliniques de Chaleur, elles s’en différencieraient toutefois par leur virulence extrême.

91L’ouvrage Wen Yi Lun, qui fut écrit en réaction à la grande épidémie des années 1639-1644 (comme l’ouvrage Shang Han Lun l’avait été en réaction aux épidémies de la fin des Han de l’Est), se démarquait ainsi radicalement de la théorie conventionnelle sur les affections épidémiques. Il stimula d’autres médecins à poursuivre l’étude des caractéristiques différentielles des Maladies de Tiédeur.

92Au cours de la dynastie Qing, de nombreuses épidémies ravagèrent différentes régions et provinces de la Chine, et, en particulier, celle du Jiangnan. C’est pourquoi les principaux représentants de la doctrine des Maladies de Tiédeur sont originaires de cette région. Le médecin Ye Tian Shi (ou Ye Gui, 1666-1745) introduisit dans le Wen Re Lun « Traité sur les Maladies de Tiédeur-Chaleur » l’idée selon laquelle ces maladies évolueraient selon quatre étapes (ou Couches) à l’intérieur de l’organisme. Ces Couches sont les suivantes (en partant de la superficie vers la profondeur) : Couche de la Protection/Défense [Wei Qi Fen], Couche du Qi [Qi Fen], Couche de la Nutrition [Ying Fen] et Couche du Sang [Xue Fen]. Elles seraient caractérisées par des syndromes spécifiques qui correspondent à un degré d’enfoncement progressif de la maladie à l’intérieur de l’organisme. Ainsi, la maladie est considérée comme désordre externe quand elle affecte la première Couche et comme désordre interne quand elle gagne les trois suivantes. Sa gravité augmente en proportion. Plus elle s’aggrave, plus la force du Zheng Qi de l’individu décline. En règle générale, comme nous l’avons vu, les Perversités climatiques de nature tiède ou chaude attaquent d’abord la superficie du corps, c’est-à-dire la Couche de la Protection/Défense, et entravent la fonction de défense externe du corps qui est liée au système fonctionnel du Poumon, à la peau et aux poils. Ce dérèglement se traduit sur le plan clinique par fièvre élevée, corps chaud au toucher, absence ou légère aversion pour le froid, petits frissons, soif légère, céphalées, toux, bords et pointe de la langue rouges, pouls superficiel et rapide, etc. [35] À ce stade, la maladie est considérée comme bénigne. Suite à un traitement inapproprié ou en l’absence de traitement, le facteur pathogène de nature tiède ou chaude s’enfonce graduellement dans les autres Couches, provoquant divers désordres fonctionnels. À l’étape ultime de la maladie (Couche du Sang), il entraîne une déperdition et une agitation du Sang, d’où vomissements de sang, épistaxis, présence de sang dans les selles et les urines, apparition d’éruptions rouges sur le corps, agitation, délire, etc.

93Ye Tian Shi fonda un système de diagnostic différentiel des syndromes fondé sur ces quatre Couches qui permet de prévoir et de suivre la progression, la transformation et l’aggravation d’une Maladie de Tiédeur du début à la fin, c’est-à-dire de la superficie (Couche Wei) vers les profondeurs (Couches Qi, Ying et Xue) de l’organisme. Il permet également d’en apprécier sa gravité (de bénigne à moyennement grave puis à très grave) et de différencier les syndromes au cours de son évolution. Il sert ainsi de guide à la pratique clinique et à la thérapeutique.

94Grâce à ce système de diagnostic différentiel selon les Quatre Couches, l’étude des caractéristiques des Maladies de Tiédeur progressa rapidement. Wu Ju Tong (ou Wu Tang, 1758-1836) dans le Wen Bing Tiao Bian « Analyse systématique et différentiation des Maladies de Tiédeur » (1798), classa les Maladies de Tiédeur en deux catégories selon la présence ou non d’Humidité. Développant les idées de Ye Tian Shi, il mit sur pied un système de diagnostic différentiel complémentaire qui est fondé sur l’identification des changements pathologiques dans le Triple Réchauffeur [San Jiao] qui regroupe, comme nous l’avons vu, les cavités supérieure, moyenne et inférieure du corps où les facteurs pathogènes de nature tiède ou chaude sont susceptibles de stagner. Ce système de diagnostic différentiel permet de classer les Maladies de Tiédeur en trois catégories selon leur localisation. On distingue ainsi les « Syndromes de Tiédeur du Foyer Supérieur » (c’est-à-dire les affections des systèmes fonctionnels du Poumon, du Cœur et du Péricarde), les « Syndromes de Tiédeur-Chaleur du Foyer Moyen » (les affections des systèmes fonctionnels de la Rate, de l’Estomac et du Gros Intestin) et les « Syndromes de Tiédeur-Chaleur du Foyer Inférieur » (les affections des systèmes fonctionnels du Foie, du Rein et de la Vessie). La maladie débute en général dans le Foyer Supérieur. Si elle n’est pas soignée, elle se transmet au Foyer Moyen puis, de là, envahit le Foyer Inférieur. Ce système de diagnostic selon les « Trois Foyers » permet de localiser la maladie et de suivre sa progression et transformation à l’intérieur de l’organisme. Wu Ju Tong proposa également des principes de traitement pour chaque étape et chaque syndrome des Maladies de Tiédeur.

95Les méthodes de diagnostic différentiel selon les « Quatre Couches » et les « Trois Foyers » sont complémentaires. Utilisées aujourd’hui dans le diagnostic des Maladies de Tiédeur, elles permettent de différencier, tant sur le plan spatial que dans le temps, les syndromes, d’anticiper l’évolution de la maladie et de prévenir, par des approches thérapeutiques appropriées, sa progression en rafraîchissant, par exemple, la Chaleur interne et en renforçant les Liquides organiques.

96Deux autres représentants illustres de l’École des Maladies de Tiédeur sont Xue Sheng Bai et Wang Shi Xiong. Xue Sheng Bai (ou Xue Xue, 1681-1770) était un contemporain de Ye Tian-shi. Dans le Shi Re Tiao Bian Lun « Traité de la différentiation et du traitement des Maladies de Tiédeur-Humidité », il discuta de l’étio-pathogénie, de la différentiation et du traitement des Maladies de Tiédeur-Humidité. Il montra que dans ces maladies la Chaleur était comme encapsulée dans l’Humidité (d’où une fièvre élevée mais aucune sensation de corps chaud), ce qui entraîne un blocage du Qi qui ne peut plus circuler dans l’organisme. Il faut donc, dans ce cas, chasser l’Humidité, rafraîchir la Chaleur et favoriser la circulation du Qi dans l’organisme (Wen & Seifert, 2000 ; Liu G., 2001 ; Liu Y., 2006).

97Wang Shi Xiong (ou Wang Meng Ying, 1808-1867) discuta dans le Wen Re Jing Wei « Compendium des affections fébriles saisonnières » (1852) de l’étiologie, des symptômes et des principes de traitement des Maladies de Tiédeur et clarifia différents points de la théorie les concernant en montrant, par exemple, la dépendance étroite des Perversités Chaleur de l’Été et d’Humidité (Liu G., 2001). D’autres médecins de la dynastie Qing poursuivirent des recherches sur les différences entre Coups de Froid et Maladies de Tiédeur. Ainsi, par exemple, Zhou Yang Jun distingua dans le Wen Re Shu Yi Quan Shu « Livre complet sur les Maladies de Tiédeur » quatre catégories de maladies : Wen Bing « Maladies de Tiédeur [proprement dites] », Re Bing « Maladies de Chaleur », Shu Bing « Maladies de la Canicule » et Yi Bing « Maladies épidémiques ». Cette dernière catégorie engloberait notamment le syndrome connu sous le nom Da Tou Wen (« Syndrome de Tiédeur de la Grosse Tête ») qui se caractérise par le gonflement de la tête et du cou et serait due à une Toxine de Tiédeur épidémique [Wen Du]. Ce syndrome, qui peut se rencontrer dans les oreillons de la médecine occidentale, par exemple, aurait été la cause de nombreuses épidémies mortifères au cours des dynasties Ming et Qing (Dunstan, 1975 ; Hoizey, 1988 ; Hanson, 1997 ; Liu G., 2001). D’autres médecins de la dynastie Qing rédigèrent des ouvrages sur des maladies spécifiques (fièvres éruptives aiguës, peste bubonique, choléra, [36] etc.) ou discutèrent des manières de concilier les théories des Maladies de Tiédeur avec celles des Coups de Froid (Hoizey, 1988 ; Hanson, 1997).

La théorie des Perversités latentes [Fu Xie Qi ou Fu Qi] 

98Un autre concept important de l’École des Maladies de Tiédeur concerne ce que l’on dénomme en médecine chinoise la « Perversité latente (ou facteur pathogène caché) » [Fu Xie Qi ou Fu Qi]. La possibilité de latence d’une Perversité climatique à l’intérieur de l’organisme avait déjà été évoquée dans le Nei Jing-Su Wen dans la phrase « Si le Froid attaque en hiver, il provoquera une Maladie de type Chaleur au Printemps ». Toutefois, le concept de latence d’une Perversité climatique a seulement été développé au cours de la dynastie Qing. Fu Xie Qi ou, tout simplement, Fu Qi, désigne la Perversité climatique qui pénètre dans le corps à une saison déterminée, demeure latente et change de nature dans l’organisme (par exemple, Le Vent-Froid se transforme en Chaleur) puis se manifeste plus tard d’elle-même [Fu Xie Zi Fa] ou suite à l’invasion du corps, à une autre saison, par une autre Perversité climatique [Xin Gan You Fa]. Différemment de la présentation usuelle des Maladies de Tiédeur qui se manifestent tout de suite après l’agression par un syndrome de Superficie (avec fièvre aiguë, sensations de chaleur, absence ou légère crainte du froid, comme principaux symptômes), les maladies dues à un facteur pathogène caché se caractérisent par divers symptômes de chaleur interne (fièvre, bouche sèche, envie de boire, urines sombres, etc.).

99Ye Tian Shi, dans l’ouvrage Lin Zheng Zhi Nan Yi An « Etudes de cas comme guide pour la pratique clinique » (1746) qui a été compilé à partir de ses cours par ses étudiants et publié après sa mort, distingua deux types de maladies dues à une Perversité latente : Chun Wen « Maladie de la Tiédeur du Printemps » et Fu Shu « Maladie de la Canicule latente ». La première, qui se caractérise par fièvre, bouche sèche, soif, agitation, urines rares et jaune foncé, etc., serait la conséquence d’une attaque du corps en Hiver par la Perversité Froid, laquelle se serait transformée en Chaleur à l’intérieur de l’organisme jusqu’à ce que la tiédeur du Printemps ne la pousse à émerger sous la forme d’une Maladie de Tiédeur. La seconde, qui se caractérise par fièvre, agitation, soif, distension de l’épigastre, enduit lingual gras, urines rares et jaune foncé, etc., serait la conséquence d’une attaque du corps en Été par la Perversité Canicule. La Canicule demeurerait ensuite latente dans l’organisme, puis se combinerait en Automne ou en Hiver à la Perversité Humidité pour finalement émerger à l’une ou l’autre de ces deux saisons. Ces deux catégories de maladies se subdivisent en différents syndromes. Elles sont plus graves et ont une évolution plus longue que les maladies qui se manifestent tout de suite après l’attaque initiale du corps par une Perversité climatique (Liu G., 2001 ; Liu Y., 2006).

100La médecine chinoise distingue actuellement plusieurs catégories de Wen Bing selon leur saison d’apparition, la nature du facteur pathogène externe et le fait qu’elles surviennent après l’attaque du corps ou après une phase de latence dans l’organisme. On distingue ainsi :

tableau im4

101Toutes ces maladies, à l’exception de Chun Wen (qui survient au Printemps) et de Fu Shu (qui émerge en Automne ou en Hiver), se manifestent tout de suite après l’attaque du corps par un facteur pathogène par un syndrome de superficie. Feng Wen et Chun Wen, bien qu’apparaissant toutes deux au Printemps, sont deux maladies distinctes : la première, qui est un syndrome de superficie, est causée par l’attaque directe au Printemps des facteurs pathogènes Vent-Tiédeur. La seconde est un syndrome de Chaleur interne qui résulte de l’invasion du corps en Hiver par le Froid pathogène. Le Froid pathogène, qui s’est transformé en chaleur à l’intérieur de l’organisme, se révèle sous forme d’une Maladie de Tiédeur au Printemps. Enfin, la maladie Dong Wen « Maladie de la Tiédeur hivernale » survient quand la température en Hiver est anormalement élevée. Chacune de ces Maladies de Tiédeur se traduit par différents syndromes selon la Couche du corps atteinte (Couches Wei, Qi, Ying ou Xue) et sa localisation dans les Trois Foyers. [37]

CONCLUSION

102L’École des Maladies de Tiédeur a introduit des changements importants dans la perception et la compréhension médicales chinoises de l’étiologie, histoire naturelle, pathogénie et évolution des maladies fébriles d’origine exogène et des affections épidémiques. Bien que l’expression « Maladie de Tiédeur » apparaisse déjà dans le Classique de l’Interne, le Classique des Difficultés et le Traité des Coups de Froid, elle a pris un autre sens avec l’École des Maladies de Tiédeur. Dans ces trois premiers ouvrages, la Maladie de Tiédeur était perçue comme le résultat de la transformation de Froid en Chaleur à l’intérieur de l’organisme. L’École des Maladies de Tiédeur montra que les Wen Bing étaient de nature différente des Coups de Froid. Contrairement à ces derniers qui ne peuvent être causés que par une invasion du corps par le Vent-Froid pathogène, elles peuvent être provoquées par n’importe quel Excès, même par le Vent-Froid comme dans le cas de la Maladie de la Tiédeur du Printemps [Chun Wen]. C’est pourquoi le domaine des Wen Bing est très vaste. On peut dire, en termes modernes, que les Wen Bing et leurs syndromes sous-jacents correspondent à différents stades évolutifs d’un grand nombre de maladies infectieuses [38] et non infectieuses [39] de la médecine occidentale. La théorie des Wen Bing ainsi que l’approche diagnostique et thérapeutique qui lui est associée est d’ailleurs utilisée aujourd’hui en médecine chinoise comme outil conceptuel et pratique dans le diagnostic de nombreuses maladies infectieuses aiguës de la médecine occidentale, y compris de certaines maladies émergentes comme le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou la grippe aviaire H5N1 (cf. Liu G., 2001).

103L’École des Maladies de Tiédeur a introduit en outre de nouveaux concepts étio-pathogéniques pour expliquer l’origine, la diffusion et la virulence des affections épidémiques (Qi pestilentiels, Toxines de Tiédeur épidémique, invasion du corps par le nez et la bouche, spécificité de l’agent étiologique selon les espèces et selon l’affection épidémique, rôle favorisant des conditions climatiques et environnementales extrêmes, [40] etc.). Une découverte fondamentale de cette École concerne ainsi la nature infectieuse de ces maladies.

104Il existe aujourd’hui en Chine deux écoles de pensée sur les maladies fébriles d’origine exogène : l’École Shang Han et l’École Wen Bing. Toutes deux ont élaboré des méthodes de diagnostic et thérapeutiques spécifiques pour ces maladies. L’approche diagnostique et thérapeutique selon les Six Niveaux mise sur pied par Zhang Zhong Jing, qui a dominé pendant plus de 14 siècles la réflexion chinoise sur la pathogénie et le traitement des maladies fébriles d’origine externe, est aujourd’hui essentiellement utilisée pour diagnostiquer et traiter les maladies dues à une invasion du corps par les Perversités Vent et Froid (Atteintes par le Froid). Les méthodes selon les Quatre Couches et les Trois Foyers servent actuellement à diagnostiquer et traiter les Maladies de Tiédeur. La théorie des Maladies de Tiédeur est le résultat de plus d’un millénaire d’observations cliniques effectuées au cours des nombreuses épidémies qui ont ravagé la Chine à différentes époques et dans différentes régions et environnements. Elle est étroitement liée à l’observation des caractéristiques et de l’évolution des maladies et des affections épidémiques ainsi que des échecs thérapeutiques répétés.

ANNEXE : LISTE DES TERMES CHINOIS (FRANçAIS/PINYIN/CARACTèRES)

105Accablement Yōu 优

106Atteinte par le Froid (ou Coup de Froid) Shāng Hán 伤寒

107Atteinte par l’Humidité-Chaleur Shī Rè 湿热

108Atteinte par le Vent Zhòng Fēng 中风

109Barrière du Pouls Guān Mài 关脉

110Bois Mù 木

111Canicule (ou Chaleur de l’Eté) Shŭ 署

112Capillaires Sūn Luò孙络

113Causes externes (ou Atteintes externes) Wài Yīn 外因 (ou Wài Gӑn 外感)

114Causes internes (ou Atteintes internes) Nèi Yīn 内因 (ou Nei Shang内伤)

115Causes ni internes ni externes Bu Nèi Bu Wài Yīn 不内不外因

116Cerveau Nӑo脑

117Chaleur Rè 热

118Choléra Huò Luàn霍乱

119Cinq Émotions Wŭ Jing 五惊

120Cinq Mouvements Wŭ Xíng五行

121Clarification (ou Rafraîchissement) Qīng Fӑ 清法

122Colère Nü 怒

123Collatéraux Luò络

124Collatéraux Superficiels Fú Luò 浮络

125Conquête Xiāng Chéng 相乘

126Cœur Xīn心

127Couche de la Nutrition Yíng Fèn营分

128Couche de la Protection/Défense Wei Qî Fèn卫气分

129Couche du Qi Qî Fèn气分

130Couche du Sang Xuè Fèn血分

131Crainte du Froid Wú Hàn 恶寒

132Crainte du Vent Wú Fēng 恶风

133Déficience (ou Vide) Xù 虚

134Déséquilibre alimentaire Yin Shī 饮食

135Diagnostic Différentiel des Syndromes Biàn Zhèng Lùn Zhî 辨证论治

136Dispersion Xiāo Fӑ 消法

137Dominer Xiāng Kè 相克

138Douze Méridiens Principaux Shí Èr Jīng Shēng 十二 经生

139Douze Méridiens Distincts (ou Branches divergentes) Shí Èr Jīng Bié 十二经别

140Dysenterie Lî 痢

141Eau Shui 水

142Engendrer Xiāng Shēng 相生

143Épilepsie Diān Xián 癫痫

144Étiologie des Maladies Bîng Yīn 病因

145Esprit Shén 神

146Essence vitale Jīng 精

147Essence du Ciel Antérieur Xiān Tiān Jīng 先天精

148Essence du Ciel Postérieur Hòu Tiān Jīng 后天精

149Estomac Wèi 胃

150Excès (ou Plénitude) Shí 实

151Feu Huǒ 火

152Feu Vigoureux (ou Grand Feu) Zhuàng Huǒ 少火

153Fièvre (ou Émission de chaleur) Fā Rè 发热

154Fièvre typhoïde Shāng Hán 伤寒

155Foie Gān 肝

156Forme/Corps Xíng 形

157Frayeur Jīng 惊

158Frissons Hàn Zhàn 汗颤

159Froid Hán 寒

160Glaires Yīn Xié 饮邪

161Gros Intestin Dà Cháng大肠

162Han antérieurs (de l’Ouest) Xī Hàn 西汉

163Han postérieurs (de l’Est) Dōng Hàn东汉

164Harmonisation Hé Fӑ 和法

165Huit Méridiens Particuliers Qí Jīng Bā Mài 奇 经八脉

166Huit Méthodes thérapeutiques de base Bā Fӑ 八法

167Huit Principes (de diagnostic) Bā Gāng 八纲

168Humidité Shī 湿

169Intestin Grêle Xiӑo Cháng小肠

170Jeune Feu Shào Huǒ 少火

171Joie Xi 喜

172Liquides organiques Jīn Yè 津液

173Maladie Bîng 病

174Maladie de Chaleur Rè Bîng 热病

175Maladie de la Canicule Cachée (ou Latente) Fú Shŭ伏暑

176Maladie de Tiédeur Wēn Bîng温病

177Maladie de la Chaleur de l’Été (ou de la Canicule) Shŭ Wēn 署温 (ou Shŭ Bîng署病)

178Maladie de la Sécheresse de l’Automne Qīu Zào秋燥

179Maladie de la Tiédeur du Printemps Chūn Wēn春温

180Maladie de la Tiédeur Hivernale Dōng Wēn冬温

181Maladie de l’Humidité-Tiédeur Shī Wen湿温

182Maladie du Vent-Tiédeur Fēng Wēn风温

183Maladie épidémique Yî Lî 疫疠 (ou Yî Bîng 疫病)

184Maladie épidémique de Tiédeur Wēn Yî 温疫

185Manifestations externes des Organes Zàng Xiàng 脏象

186Médecine chinoise Zhōng Yī 中医

187Méridiens et Collatéraux Jīng Luò经络

188Méridien Conception Rén Mài 任脉

189Méridien Gouverneur Dŭ Mài 督脉

190Méridiens Ligamentaires Jīng Jîn 经筋

191Métal Jīn 金

192Moelles Sui 髓

193Mucosités Tán Yīn 痰饮

194Nostalgie (ou Pensée excessive) Sī思

195Œdème Zhǒng 肿

196Organes Zàng-Fŭ 脏腑

197Organes Particuliers Qí Héng Zhī Fŭ 奇恒之腑

198Os Gú骨

199Outrage Xiāng Wŭ 相侮

200Paludisme Nüè Ji 疟疾

201Parasitoses Jî Shēng Chóng 寄生虫

202Péricarde Xīn Bāo Luò 心包络

203Perversité Xié (ou Xié Qî) 邪 (ou 邪气)

204Perversité latente Fú Xié Qî (ou Fú Qî) 伏邪气 (ou 伏气)

205Peur Kǒng 恐

206Peur du Froid Wèi Hán畏寒

207Pied du Pouls Chi Mài 尺脉

208Pouce du Pouls Cùn Mài 寸脉

209Poumons Fèi 肺

210Purgation Xià Fӑ 下法

211Qi Qî 气

212Qi Défensif (Protecteur) Wèi Qî 卫气

213Qi Droit (Correct) Zhèng Qî 正气

214Qi des Méridiens Jīng Qî 经气

215Qi des Organes Zàng Qî 脏气

216Qi Nourricier Yíng Qî 营气

217Qi Originel Yuán Qî 原气

218Qi Pestilentiel Yî Qî 疫气

219Qi Premier Zōng Qî 宗气

220Quinze Collatéraux Distincts Bié Luò 别络

221Racine/Branche (d’une maladie) Běn/Biāo 本/标

222Rate Pí 脾

223Réchauffement Wēn Fӑ 温法

224Reins Shèn肾

225Révolte Fán Wŭ 烦侮

226Rougeole Má Zhěn 麻疹

227Royaumes Combattants Zhàng Guó战国

228Sang Xuè 血

229Sécheresse Zào 燥

230Signe Zhèng Hòu 症候

231Six Excès (ou les Six Perversités climatiques) Liù Yīn 六因 (ou Liù Xié Qî 六邪气)

232Six Qi Liu Qî 六气

233Stase de Sang Yū Xuè 淤血

234Sudorification Hàn Fӑ 汗法

235Superficie/Profondeur Biāo/Li 表里

236Surmenage ou Inactivité Láo Yî 劳逸

237Symptôme Zhèng Zhuàng 症状

238Syndrome Zhèng 症

239Syndrome de Chaleur du Sang Xuè Rè Zhèng 血热温

240Syndrome de Tiédeur de la Grosse Tête Dà Tóu Wēn大头温

241Terre Tŭ 土

242Tonification Bŭ Fӑ 补法

243Toxine de Chaleur Rè Dú 热毒

244Toxine de Feu Huǒ Dú 火毒

245Toxine de Tiédeur épidémique Wēn Dú 温毒

246Traumatismes et Blessures Wài Shāng 外伤

247Triple Réchauffeur Sān Jiāo 三焦

248Tristesse Bēi 悲

249Trois Méridiens Yang de la Main Shǒu Sān Yáng Jīng手三阳经

250Trois Méridiens Yang du Pied Zú Sān Yáng Jīng足三阳经

251Trois Méridiens Yin de la Main Shǒu Sān Yīn Jīng手三阴经

252Trois Méridiens Yin du Pied Zú Sān Yīn Jīng足三阴经

253Utérus Nü Zi Bāo 女子饱

254Vaisseaux Mài 脉

255Vent Fēng 风

256Vent-Chaleur Fēng Rè 风热

257Vent-Froid Fēng Hán 风寒

258Vent-Humidité Fēng Shī 风湿

259Vent-Sécheresse Fēng Zào 风燥

260Vésicule Biliaire Dӑn 胆

261Vessie Páng Guāng 膀胱

262Vitalité Shén Qî 神气

263Vomification Tù Fӑ 吐法

264Yin-Yang Yīn-Yáng阴阳

265Zones cutanées Pí Bù 皮部

RÉFÉRENCES

  • Barnes L.L. (2005). Needles, herbs, gods and ghosts. China: healing, and the West to 1848. Cambridge, Harvard University Press.
  • Benedict C. (1996). Bubonic plague in nineteenth-century China. Stanford, Stanford University Press.
  • Chuzhen (1992-1994). Fondements théoriques de la médecine chinoise. Traduction des ouvrages d’enseignement des instituts nationaux de médecine chinoise. Paris, Association Chuzhen, 6 tomes, 683 p.
  • Despeux C. (1982). « Introduction au Shanghanlun ». Revue Française d’Acupuncture, vol. 30, n°s 33-37, p. 33-47.
  • Despeux C. (1985). Shanghanlun. Le traité des « coups de froid » de Zhang Zhongjing. Traduction de Catherine Despeux. Paris, Editions de la Tisserande, Coll. Les Classiques de la médecine chinoise.
  • Dong L., Xi M., Thann F. (1995). Les maux épidémiques dans l’empire chinois. Préface du professeur Guy B. de Thé. Paris, L’Harmattan, Coll. Recherches asiatiques.
  • Du Halde J.-B. (1735). Description géographique, historique, chronologique, politique, et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise. Paris, P.G. Lemercier, vols. 1-4.
  • Dunstan H. (1975). « The late Ming epidemics: A preliminary survey ». Ch’ing-Shih Wen-Ti, vol. 3, n° 3, p. 1-51.
  • Elvin M. (1973). The pattern of the Chinese past. A social and economic interpretation. Stanford, Stanford University Press.
  • Goldschmidt A. (2009). The evolution of Chinese medicine. Song Dynasty, 960-1200. London, New York, Routledge.
  • Hanson M. (1997). Inventing a tradition in Chinese medicine: From universal canon to local medical knowledge in South China, the seventeenth to the nineteenth century. PhD Thesis in History and Sociology of Science, University of Pennsylvania.
  • Hoizey D. (avec le concours de M.-J. Hoizey) (1988). Histoire de la médecine chinoise. Paris, Payot, Coll. Médecines et sociétés.
  • Hsu E. (1999). The transmission of Chinese medicine. Cambridge, Cambridge University Press, Coll. Cambridge Studies in Medical Anthropology 7.
  • Kaptchuck T.J. (1999). Comprendre la médecine chinoise. La toile sans tisserand. Paris, SATAS.
  • Leung A.K.C. (1993). « Diseases of the pre-modern period in China ». In K.F. Kiple (ed.), The Cambridge world history of human diseases, Cambridge, Cambridge University Press, p. 354-361.
  • Liu G. (2001). Warm diseases. A clinical guide. Seattle, Eastland Press.
  • Liu Y. (2006). Cours sur le Wen Bing Tiao Bian de Wu Jutong. Paris, Institut Chuzhen de Médecine Chinoise, août.
  • Lu G., Needham J. (1967). « Records of diseases in ancient China ». In D. Brothwell, A.T. Sandison (eds.), Diseases in Antiquity, A Survey of the diseases, injuries and surgery of early populations, Springfield, Illinois, Charles C. Thomas, p. 222-237.
  • Maciocia G. (2008). Les principes fondamentaux de la médecine chinoise. Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson SAS, 2e édition.
  • Marié E., 1997. Précis de médecine chinoise. Fondements historiques, théorie et pratique. Saint-Jean-de-Braye, Éditions Dangles, Coll. Médicale et Paramédicale.
  • McNeill W.H. (1976). Plagues and peoples. Oxford, Basil Blackwell.
  • Mitchell C., Feng Ye, Wiseman N. (1999). Shang han lun. On Cold Damage. Translation & Commentaries. Brookline, Paradigm Publications.
  • Nguyen Van Nghi, Nguyen-Recours C. (1987). Maladies évolutives des 3 Yin et 3 Yang selon le Shanghan Lun de Zhang Zhongjing. Marseille, Editions N.V.N.
  • Ricci M. [1615] (1942). China in the sixteenth century: The journals of Mattew Ricci: 1538-1610. Trans. Louis J. Gallagher. New York, Random House.
  • Scheid V. (2002). Chinese medicine in contemporary China. Reality and synthesis. Durham and London, Duke University Press.
  • Soon S.S. (1994). « A study on background of doctrine of seasonal febrile diseases in Qing dynasty ». Uisahak, vol. 3, n° 2, p. 232-251 (article en coréen, résumé en anglais).
  • Unschuld P. (1985). Medicine in China. A History of Ideas. Berkeley, University of California Press.
  • Wen J.M., Seifert G. (2000). Warm disease theory: Wen bing xue. Translated by Jian Min Wen and Garry Seifert. Brookline, Paradigm Publications.
  • Wiseman N. (1995). Dictionary of Chinese Medicine. English-Chinese, Chinese-English. Hunan Science & Technology Press.
  • Wong C.K., Wu L.-T. (1936). History of Chinese medicine; being a chronicle of medical happenings in China from ancient times to the present period. Shanghai, National Quarantine Service.
  • Wong M. (1983). Shang han lun : médecine traditionnelle chinoise. Traduction et commentaires par Ming Wong. Paris, Masson.

Mots-clés éditeurs : maladies fébriles, maladies de tiédeur, épidémies, Chine, médecine chinoise

Date de mise en ligne : 01/07/2010

https://doi.org/10.3917/rac.009.0195

Notes

  • [1]
    Zhong Yi (de Zhong, « milieu », « centre » et Yi « médecine ») ou « médecine chinoise ». Je traduis Zhong Yi par « médecine chinoise » et non par « médecine traditionnelle chinoise » comme on peut le voir dans de nombreux ouvrages de médecine chinoise car la seconde expression se réfère à la version de la médecine chinoise systématisée à partir des années 1950 par le gouvernement de la République Populaire de Chine dans le cadre de son programme d’institutionnalisation d’une médecine nationale (cf. Unschuld, 1985; Hsu, 1999; Scheid, 2002). Pour ce faire, des textes médicaux anciens ont été épurés d’éléments perçus comme religieux et de références aux pratiques chamaniques, etc. Je me réfère donc dans cet article à la tradition classique de cette médecine.
  • [2]
    La tradition chinoise attribue à trois empereurs mythiques les premiers écrits sur la médecine et disciplines corollaires: Fu Xi qui serait à l’origine du Yi Jing “Livre des mutations” ; Shen Nong qui est l’auteur présumé du Shen Nong Ben Cao Jing “Traité de matière médicale de Shen Nong” (cet ouvrage aurait probablement été rédigé au 1e. siècle av. J.-C., au cours des Han de l’Ouest) et à qui l’on attribue également l’invention des techniques agricoles (d’où la signification de son nom Shen Nong « Divin Laboureur ») ; et, enfin, Huang Di.
  • [3]
    Il est difficile de résumer en quelques pages les principes fondamentaux de la médecine chinoise qui sont en général l’objet d’ouvrages entiers. Pour plus d’informations, le lecteur pourra se reporter aux ouvrages suivants : Chuzhen (1992-1994), Marié (1997), Kaptchuk (1999) et Maciocia (2008).
  • [4]
    Il est usuel dans les ouvrages de médecine chinoise de mettre une majuscule initiale aux noms des organes, des substances vitales de l’organisme, etc., pour signifier que leur sens en médecine chinoise est différent de celui en médecine occidentale.
  • [5]
    Ce terme est difficile à traduire. On trouve dans les ouvrages de philosophie ou de médecine chinoise diverses traductions (« énergie », « matière-énergie », « vapeur », « pneuma », « principe vital », etc.) mais aucune ne correspond à toutes les facettes du Qi selon la conception chinoise. C’est la raison pour laquelle j’utiliserai dans cet article le terme chinois (comme je le fais aussi pour les termes chinois de Yin et Yang).
  • [6]
    Pour une discussion des San Bao, voir Marié (1997, pp. 41-44) et Maciocia (2008, pp. 43-77).
  • [7]
    L’expression Wu Xing a souvent été traduite dans les ouvrages de médecine chinoise comme “Cinq Éléments” par analogie avec la notion d’élément comme constituant de base de la nature dans la philosophie grecque antique (Maciocia, 2008, p. 19). Cette assimilation des Wu Xing aux « éléments » d’Aristote était fréquente dans le passé (voir, par exemple, Ricci ou Duhalde, cités par Barnes, 2005, p. 90). Certains auteurs occidentaux, tout en se positionnant contre cette assimilation erronée, continuent néanmoins à parler des « Cinq Éléments » sous prétexte que cette expression est la plus usitée (voir, par exemple, Maciocia, 2008, p. 20). Pour ma part, je traduirai Wu Xing par “Cinq Mouvements” car Xing signifie littéralement “mouvement”, “processus”. En outre, comme cette théorie met l’emphase sur le mouvement et le changement, cette traduction est plus adéquate.
  • [8]
    Dans le Nei Jing, ces deux modes de transmission de la maladie par « conquête » et « révolte » sont dénommés respectivement « conquête du dominé » et « révolte contre le dominant ».
  • [9]
    Selon la conception chinoise, le Cœur est enveloppé par le Péricarde [Xin Bao Luo] ou « Enveloppe du Cœur » qui a pour fonction de le protéger contre les agressions externes. C’est en effet le Péricarde qui est agressé en premier. Lorsqu’au cours d’une Maladie de Tiédeur (cf. infra), le malade présente perte de conscience, délire ou agitation maniaque, par exemple, on dit que la Chaleur a pénétré dans le Péricarde (Chuzhen 1992-1994).
  • [10]
    Le Triple Réchauffeur (San Jiao), aussi dénommé « Trois Foyers », diffère des autres Organes-Fu par le fait qu’il n’a pas de forme physique. Sa nature et ses fonctions ont fait l’objet de nombreuses controverses au cours des siècles. Comme, contrairement aux autres Organes-Fu, il n’est pas couplé à un Organe-Zang, il est souvent dénommé « Organe solitaire » (Gu Fu). Il est la voie de circulation du Qi qui stimule les activités physiologiques des Zang-Fu (c’est pourquoi on dit qu’il régit tous les Qi) et des Liquides organiques. Il regroupe les activités des Organes Zang-Fu et se subdivise en trois parties ou « Foyers » qui englobent les Organes et leurs différentes activités fonctionnelles. On distingue ainsi : le « Foyer Supérieur », qui englobe le Cœur, le Péricarde et les Poumons, le « Foyer Moyen » qui inclut la Rate et l’Estomac et le « Foyer Inférieur » qui réunit les Reins, la Vessie, l’Intestin Grêle et le Gros Intestin. Comme nous le verrons, le système de diagnostic différentiel des Maladies de Tiédeur selon les Trois Foyers, qui a été mis sur pied par le médecin Wu Ju Tong (1758-1836) sous la Dynastie Qing, permet de suivre la progression de la maladie à l’intérieur de l’organisme.
  • [11]
    Il y a aussi six « Organes Particuliers (ou « Curieux ») » [Qi Heng Zhi Fu] qui sont le Cerveau [Nao], les Moelles [Sui] (qui incluent la moelle osseuse, la moelle épinière et les matières cérébrales), les Os [Gu), l’Utérus [Nu Zi Bao], les Vaisseaux [Mai] et, de nouveau, la Vésicule Biliaire [Dan]. Cette dernière est perçue à la fois comme un Organe-Fu de par son action dans le fractionnement de la nourriture impure et comme un Organe curieux car elle stocke une substance pure (la bile). En dehors de la Vésicule Biliaire, les Organes Curieux n’ont pas de relation superficie/profondeur avec les Organes-Zang. En outre, ils ne sont pas classés selon les Cinq Mouvements.
  • [12]
    Les Méridiens sont dénommés en chinois Jing ou Jing Mai. Le premier terme a le sens de « chaîne d’un tissu », « méridien » (au sens géographique), « route du Nord au Sud », etc. Mai, en médecine chinoise, désigne le Vaisseau pour le Qi ou le Sang. C’est aussi le terme utilisé pour désigner le pouls. Enfin, Luo a le sens d’ « attacher », « lier ». En médecine chinoise, il désigne les Collatéraux des Méridiens principaux qui forment un réseau qui recouvre l’ensemble du corps (Marié, 1997, pp. 79-80).
  • [13]
    Ce sont: Du Mai, Ren Mai, Chong Mai, Dai Mai, Yin Qiao Mai, Yang Qiao Mai, Yin Wei Mai et Yang Wei Mai.
  • [14]
    Les « Neuf orifices » [Jiu Qiao] du corps sont les sept orifices de la tête (yeux, bouche, oreilles, nez/narines), l’orifice de l’appareil génito-urinaire externe et l’anus.
  • [15]
    On parle aussi d’ « Atteintes externes » [Wai Gan] et d’ « Atteintes (ou Blessures) internes » [Nei Shang] pour les deux premières catégories de maladies.
  • [16]
    Comparativement, la médecine occidentale n’attribue aux émotions qu’un rôle secondaire ou accessoire dans le déclenchement d’une maladie. En outre, la plupart des fonctions de l’Esprit sont attribuées au cerveau (Maciocia, 2008, p. 75).
  • [17]
    Par exemple, toute personne vivant ou travaillant dans un environnement humide sera sujette à une maladie de type Tiédeur-Humidité qui pourra survenir à n’importe quelle saison.
  • [18]
    Pour une analyse de ces diverses méthodes de diagnostic différentiel des syndromes, voir Marié (1997), Kaptchuk (1999) et Maciocia (2008).
  • [19]
    Les termes Chaleur [Re] et Feu [Huo] sont parfois utilisés de manière interchangeable dans les ouvrages de médecine chinoise. Ils traduisent néanmoins des réalités différentes. Chaleur et Feu se distinguent d’abord par une différence de degré (la Chaleur est plus modérée que le Feu). De plus, le Feu, comme facteur pathogène externe, se réfère soit à la Canicule [Shu] de l’Été, soit à une Chaleur extrême qui peut survenir à n’importe quelle saison soit, enfin, à la transformation d’une autre Perversité climatique en Feu (par exemple, le Froid contracté en Hiver peut se transformer en Chaleur à l’intérieur de l’organisme, voir infra). Comme nous le verrons dans la suite de cet article, l’une des écoles de pensée importantes en médecine chinoise est l’  « École de la Prédominance du Feu » [Zhu Huo Xue Pai] fondée par Liu Wansu [1120-1200). Enfin, le Feu est aussi l’énergie naturelle du corps indispensable à la constitution du Qi (on parle de « Jeune Feu » [Shao Huo]). Quand il est en excès, il devient pathogène et peut blesser le Qi (on parlera dans ce cas de « Grand Feu » ou de « Feu Vigoureux » [Zhuang Huo]). Il devient alors une cause interne de maladie (cf. Marié, 1997, p. 103).
  • [20]
    Chang Xia : période de dix jours située autour du solstice d’été.
  • [21]
    « Toxine » est la traduction usuelle du terme chinois Du (cf. Liu G., 2001 ; Wiseman, 1995). Ce mot n’a pas le même sens qu’en médecine occidentale où il renvoie essentiellement à une protéine sécrétée par certaines bactéries et qui est toxique pour l’organisme. En médecine chinoise, Du « Toxine » se réfère à la toxicité de la Chaleur (ou du Feu) qui se manifeste dans l’organisme par des symptômes localisés (gonflements, abcès, rougeurs, chaleur, etc.). On parle aussi de « Chaleur toxique » (cf. Marié, 1997, p. 104). En tant que facteur pathogène externe, Du Re ou Du Huo accompagne généralement le Vent-Chaleur. En médecine chinoise, les symptômes localisés de diverses maladies infectieuses de la médecine occidentale (amygdalites, oreillons, etc.) s’interprètent en référence à la notion de la Toxine de Chaleur (ou de Feu).
  • [22]
    La situation est différente dans les maladies de causes internes où la cause est distincte de ses effets (les tableaux pathologiques ou syndromes qui en résultent). Elle ne peut donc être déduite uniquement par l’observation des signes et des symptômes de la maladie, d’où l’importance de l’interrogatoire du malade pour en déterminer la cause exacte. Par exemple, un syndrome de Vide de Yin du Rein peut être dû soit au surmenage, soit à une activité sexuelle excessive. Seul l’interrogatoire du patient permettra d’en établir la cause (Maciocia, 2008, p. 277).
  • [23]
    Les expressions Wen et Re traduisent des degrés différents de chaleur du facteur pathogène. Dans les ouvrages de médecine chinoise ils sont souvent assimilés, l’expression Wen traduisant à la fois tiédeur et chaleur.
  • [24]
    Pour une histoire des épidémies au cours des diverses dynasties, cf. Wong & Wu (1936), Lu & Needham (1967), Elvin (1973), Dunstan (1975), McNeill (1976), Leung (1993), Soon (1994) et Dong et al. (1995).
  • [25]
    Pour une traduction en français commentée de l’ouvrage de Zhang Ji, voir Wong (1983), Despeux (1985) et Nguyen Van Nghi & Nguyen-Recours (1987). Pour une traduction en anglais, voir Mitchell et al. (1999).
  • [26]
    Ce sont les noms des six paires de Méridiens principaux auxquels on se réfère en acupuncture ou en moxibustion. Dans le Shang Han Lun, ils renvoient à différentes étapes de pénétration de l’agent pathogène externe à l’intérieur de l’organisme et non à la théorie des Méridiens en acupuncture. Je remercie l’un des referees de cet article d’avoir attiré mon attention sur ce point.
  • [27]
    Le pouls Yin est le pouls qui est pris au niveau Chi « Pied », le pouls Yang, celui qui est pris au niveau Cun « Pouce » sur l’artère radiale au niveau du poignet.
  • [28]
    Les facteurs pathogènes de nature chaude ou tiède tendent à endommager les Liquides organiques (d’où la soif) et non le Yang du corps comme c’est le cas dans les Coups de Froid. C’est pourquoi la crainte de Froid est absente ou légère dans les Maladies de Tiédeur.
  • [29]
    Comme, par exemple, avec Mahuang (Herba ephedrae) ou Guizhi (Ramulus cinnamoni), deux remèdes de nature tiède et de saveur piquante. Les remèdes piquants ont pour but de « libérer la superficie ». Ils peuvent être de nature tiède ou fraîche. Ils sont indiqués, dans le premier cas, dans le traitement des Atteintes par le Vent-Froid avec un syndrome de superficie se manifestant par crainte du froid, enduit lingual mince et blanc, etc., ou par de la toux, des difficultés respiratoires, des œdèmes, des abcès ou douleurs rhumatismales de type Vent-Humidité. Ils sont indiqués, dans le second cas, dans le traitement des syndromes de superficie dus au Vent-Chaleur (cf. Chuzhen, 1992-1994). Selon un des principes de base de la médecine chinoise, la nature des remèdes doit être opposée à celle des symptômes ou des syndromes. C’est pourquoi l’on dit : « Chauffer ce qui est froid, refroidir ce qui est chaud » (Su Wen) et « Pour traiter le froid, il faut utiliser des remèdes chauds. Pour traiter la chaleur il faut utiliser des remèdes froids » (Shen Nong Ben Cao Jin). Utiliser des remèdes de nature tiède dans les Maladies de Tiédeur ne peut donc qu’aggraver la maladie, léser encore davantage les Liquides organiques et faciliter la progression de l’affection à l’intérieur de l’organisme (Liu G., 2001).
  • [30]
    Elvin (1973) estime un taux de mortalité de l’ordre de 20% au cours de cette grande épidémie.
  • [31]
    La région de Jiangnan se situe dans la partie sud de la Chine et inclut les provinces actuelles Jiangsu, Zheijiang et Anhui ainsi que la ville de Shanghai.
  • [32]
    Il est difficile d’établir un diagnostic rétrospectif univoque des maladies épidémiques qui ont ravagé la Chine dans le passé pour plusieurs raisons : l’emphase en médecine chinoise sur le syndrome et non sur la maladie comme entité nosologique ; la dénomination générique des épidémies dans les chroniques locales chinoises comme Yi « épidémie » ou Da Yi « grande épidémie » (le terme chinois Da « grand » insistant sur la sévérité particulière de l’affection épidémique) ; la nature changeante des maladies infectieuses au cours du temps ; et, enfin, le fait que le diagnostic de certaines maladies infectieuses puisse seulement être établi de manière certaine par le biais d’examens de laboratoire spécifiques.
  • [33]
    Il est difficile d’identifier cette affection épidémique pour les raisons évoquées précédemment. Selon certains médecins chinois actuels, il se serait agi d’une « grande grippe » (Liu Y., août 2006. Communication personnelle). Pour certains historiens chinois, qui s’appuient sur les sources littéraires et les chroniques locales qui mentionneraient l’invasion de rats et l’apparition de grosseurs ou excroissances sur le corps des individus infectés, il se serait agi de la peste bubonique. Dunstan (1975) et Benedict (1996) réfutent cette hypothèse. Ces deux historiennes soulignent l’ambigüité des descriptions de l’épidémie dans ces deux types de sources ainsi que l’absence de référence à une mortalité dans la population de rats. La mortalité murine, qui précède généralement l’apparition de cas humains de la maladie, est en effet l’un des deux signes qui permettent aux historiens des maladies d’établir rétrospectivement le diagnostic de peste bubonique (l’autre étant l’apparition de bubons sur le corps de l’individu infecté).
  • [34]
    Cette membrane interstitielle est située à mi-distance entre la partie interne et externe du corps. Wu You Ke élabora la décoction Da Yuan Yin à partir de plusieurs substances pour atteindre cette région du thorax, diminuer la chaleur, assécher l’humidité et faciliter la circulation du Qi dans l’organisme afin d’en expulser la perversité pestilentielle (Liu G., 2001).
  • [35]
    La fièvre et les sensations de corps chaud résultent de la lutte entre le Xie Qi et le Zheng Qi. En raison de cette lutte, la fonction de réchauffement du corps qui est assurée normalement par le Zheng Qi est quelque peu entravée, d’où l’apparition d’une légère aversion pour le froid et de frissons légers. En outre, comme les facteurs pathogènes de nature tiède ou chaude endommagent les Liquides organiques, on observe aussi de la soif. Cette dernière est, toutefois, légère puisque la maladie n’en est qu’à son stade initial (Chuzhen, 1992-1994 ; Liu G., 2001).
  • [36]
    Wang Meng Yin publia, par exemple, un ouvrage sur les formes saisonnières et non saisonnières des affections cholériformes. Le choléra tel qu’on le définit actuellement est dénommé en chinois Huo Luan. Autrefois, en Chine, comme en Occident, le terme “choléra” (et ses équivalents dans d’autres langues) servait à designer la diarrhée saisonnière ou sporadique. John Snow, au cours de la troisième pandémie de choléra dans le monde, a mis en lumière en 1841 la nature aquatique de cette maladie dont le germe causal – le Vibrio cholera – a seulement été identifié en 1883 par le bactériologiste allemand Robert Koch à Calcutta et en Alexandrie. Depuis, le nom “choléra” désigne uniquement la maladie due à cette bactérie.
  • [37]
    Cf. Wen & Seifert (2000) et Liu G. (2001) pour une analyse des différents syndromes.
  • [38]
    Fièvres éruptives (variole, rougeole, scarlatine, etc.), encéphalite japonaise, méningite cérébro-spinale, fièvres typhoïde et paratyphoïde, dengue, infection VIH/Sida, syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), grippe, par exemple. La grippe bénigne ou légère pourrait ainsi correspondre, selon les signes et symptômes et leur évolution, aux syndromes « Tiédeur du Printemps », « Humidité-Tiédeur » ou « Canicule cachée ».
  • [39]
    Coups de soleil ou allergies, par exemple.
  • [40]
    La médecine occidentale reconnaît aussi actuellement l’impact des changements climatiques et environnementaux sur l’écologie des agents infectieux comme facteur-clé dans l’émergence des maladies infectieuses.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions