1. INTRODUCTION
1.1. Objectifs généraux : parole et manipulation des objets dans les pratiques de construction collective du savoir
1Cet article est issu d’une étude longitudinale d’un groupe interdisciplinaire constitué d’agronomes et d’informaticiens engagés durant plusieurs années dans un projet d’élaboration d’un langage spatial pour modéliser des tenues agricoles. Le suivi des activités de ce groupe présente deux types d’intérêts. D’une part, il contribue à l’analyse des pratiques scientifiques et professionnelles expertes dans leur dimension à la fois praxéologique, située, incarnée et matérialisée : l’analyse détaillée de ces pratiques permet en effet de montrer comment les raisonnements accomplis pour comparer, abstraire, conceptualiser des cas sont étroitement liés non seulement à la parole-en-interaction mais aussi à des activités multimodales complexes, comportant gestes, regards, positions corporelles et articulées avec des manipulations d’objets matériels divers, comme des cartes, des documents écrits, des visualisations inscrites au tableau.
2D’autre part, en attirant l’attention vers l’importance de la parole, du corps et de la matérialité, cette analyse pose des problèmes méthodologiques peu traités jusqu’ici, concernant l’articulation de l’analyse de l’interaction sociale avec l’analyse de la production de visualisations. Souvent les interactions orales en face à face et la textualité ou les représentations visuelles ont été traitées dans des paradigmes distincts, selon un partage du travail entre spécialistes de l’oralité et spécialistes du texte ou de l’image. Les articuler ne signifie pas simplement superposer différentes matérialités signifiantes mais signifie surtout temporaliser des objets pour les articuler au temps de l’action, afin d’en reconnaître la dimension émergente, dynamique, transformée par et dans l’interaction.
3Les deux enjeux – celui conceptuel de l’étude des pratiques scientifiques et expertes, celui méthodologique de l’articulation entre parole et objets matériels – convergent tout particulièrement lorsqu’on se penche sur le type d’activités étudiées ici : des réunions au fil desquelles des documents et des visualisations sont discutés, transformés, voire créés. Leur étude offre l’occasion de mieux comprendre comment fonctionnent les pratiques de lecture et d’inscription, comment les artefacts écrits et visuels sont indissociables de l’action qui les a produits et comment le savoir se construit dans l’interaction en prenant une forme matérialisée dans des inscriptions.
1.2. Un cas empirique exemplaire : l’élaboration de modélisations de l’espace à travers l’inscription de représentations cartographiques et informatiques
4L’objet empirique sur lequel porte cette étude est une série de réunions au cours desquelles des agronomes et des informaticiens élaborent et mettent à l’épreuve un langage conceptuel permettant de représenter l’espace d’exploitations agricoles (pour une présentation de ce projet, voir l’article de Le Ber & Brassac ici même). Notre propos n’est pas de retracer une histoire de ces réunions qui ont fait l’objet d’enregistrements en 2001, 2003 et 2005 et de leurs avancées scientifiques ; il est plus modestement de réfléchir sur la base de ces données vidéo à l’analyse des pratiques qui ont caractérisé ces réunions, à la fois par rapport aux différents objets – matériels et conceptuels – sur lesquels elles se sont focalisées et par rapport à la manière dont ils ont été traités interactionnellement par les participants. Cela nous permettra de donner des exemples des différentes démarches adoptées par les participants au fil des ans.
5Notre analyse se centrera ici sur un ensemble de discussions qui, d’une réunion à l’autre, se focalisent et manipulent des objets différents :
6● l’enjeu de la réunion de 2001 est constitué par la lecture intersubjective d’un type particulier de représentation cartographique, les chorèmes, qui ont été produits par les agronomes sur la base de cartes cadastrales, de notes ethnographiques et d’autres informations concernant des exploitations agricoles. L’enregistrement de cette réunion documente ainsi un cas exemplaire de lecture et d’interprétation des représentations cartographiques, questionnant leur intersubjectivité et évidence visuelle (voir 2) ;
7● dès la réunion de 2001, puis dans la réunion de 2003, un enjeu supplémentaire apparaît, constitué par la rédaction, sur la base des chorèmes, de graphes conceptuels. Le passage du chorème au graphe, d’une représentation cartographique à une représentation informatique, pose une série de difficultés qui provoquent un questionnement à la fois des modes de représentation des objets et des spécificités des langages de représentation (voir 3) ; ● la réunion de 2003 est centrée sur les graphes : la discussion porte sur leur production et comparaison et vise une typologie des tenues agricoles et un perfectionnement du langage conceptuel adéquat pour les décrire (voir 4) ;
8● la réunion de 2005 vise à instrumenter cette comparaison, qui n’est plus directement effectuée par les participants, comme dans la réunion précédente, mais réalisée à l’aide d’un logiciel agissant sur une base de cas. Les discussions se centrent ainsi sur les résultats produits automatiquement, qui sont discutés et évalués (voir 5).
9D’une réunion à l’autre, ce sont donc différents types de visualisation et de supports matériels qui sont mobilisés dans les discussions et pour le raisonnement spatial. Notre analyse a précisément pour objectif de caractériser ces pratiques de raisonnement dans leur dimension à la fois matérielle et interactionnelle.
1.3. Une conception praxéologique et interactionnelle du raisonnement expert
10Notre analyse considère les pratiques scientifiques et expertes comme des activités situées, organisées interactionnellement et faisant intervenir une diversité de ressources – telles que la parole et les gestes – compris les gestes de traçage et d’inscription, les regards, les manipulations d’objets. Cela produit une vision du savoir comme émergeant des modes d’interaction des participants, comme étant sensible au contexte, comme étant matérialisée dans des objets inscrits et dans des activités d’inscription. Le raisonnement est configuré par ces paroles et ces gestes en interaction et ne peut pas être réduit à leurs résultats : les objets de savoir qui en résultent sont étroitement dépendants des pratiques indexicales qui les ont produits.
11Cette approche des pratiques professionnelles et scientifiques est issue de plusieurs courants qui ont mis l’accent sur le dimension praxéologique et interactive des activités de travail, que ce soit dans les social studies of sciences ou dans les workplace studies, inspirés tous les deux à titres divers par l’ethnométhodologie et par l’analyse conversationnelle.
12D’une part, les social studies of sciences se caractérisent à partir des années 1970 par la prise en compte des activités situées des chercheurs dans leurs laboratoires : généralement appréhendées par une approche ethnographique (Latour & Woolgar, 1979 ; Knorr-Cetina, 1981), moins souvent grâce à des enregistrements (Lynch, 1985), ces activités caractérisent la « science en train de se faire » – qui se distingue radicalement de la « science faite » telle qu’elle est observable dans ses produits finis et dans ses versions rétrospectives de l’histoire de ses découvertes (Latour, 1989). Ces travaux ont permis de décrire les processus d’émergence du savoir, voire de sa découverte – comme le montre l’étude d’une nuit de travail de deux astronomes découvrant un « pulsar » par Garfinkel, Lynch et Livingston (1981). L’analyse des enregistrements de ces séances permet de rendre compte de la manière située dont le travail est organisé en interaction, dont les participants rendent progressivement pertinentes certaines catégories qui permettront de stabiliser un objet de savoir, de le rendre un objet « galiléen », i.e. un objet doté de propriétés vérifiables, objectivables, systématisables.
13D’autre part, les workplace studies développent, à partir des années 1990, une description fondée sur des enregistrements vidéo des pratiques
14professionnelles dans des espaces de travail complexes, souvent caractérisés par une juxtaposition d’activités différentes, des cadres de participation multiples et changeants, des interactions médiatisées par des technologies, des manipulations d’objets (Heath, Luff, Knoblauch, 2004 ; Hindmarsh, Luff, Heath, 2000, Goodwin, 2000a, Goodwin & Goodwin, 1996).
15Ces deux courants n’ont pas seulement permis d’aborder la production du savoir du point de vue de l’interaction ; ils permettent aussi de penser l’interaction de manière verbale et multimodale, en y intégrant d’une part la gestualité, les regards, les postures corporelles, les mouvements des participants comme contribuant centralement à l’organisation de l’interaction et à la construction du sens (Goodwin, 1986, 2000b) ; en y intégrant d’autre part la mobilisation, dans l’interaction, d’artefacts constitués de documents, visualisations, ordinateurs et autres objets (Heath, Luff, Sanchez-Svensson, 2002 ; Heath & vom Lehn, 2004 ; Luff & Heath, 2001 ; Roth, 2003, 2004 ; Roth & Lawless, 2002 ; Mondada, 2004, 2005a, 2007 ; Jeantet, 1998 ; Vink, 1999 ; Brassac & Gregori, 2000 ; Brassac, 2004). Ces élargissements de la perspective interactionnelle sont particulièrement importants pour l’étude des pratiques scientifiques et expertes (Mondada, 2005b) : ainsi que l’ont montré Callon (1986) et Latour (1985) dans la théorie de l’acteur réseau, ou Lynch (1985, 1988) dans une perspective ethnométhodologique, le savoir se constitue à travers des « chaînes de traduction » où les inscriptions jouent un rôle majeur dans la transformation progressive d’un matériau prélevé dans la nature ou produit en laboratoire en un objet mathématique, mesurable et mesuré. Dès lors, documenter la manière dont les visualisations sont produites, tracées, discutées, modifiées, lues, interprétées in situ, dans le travail incarné des chercheurs et des experts, constitue un enjeu majeur, qui aborde la question du rôle des visualisations dans les pratiques scientifiques et professionnelles de manière radicalement différente que dans les analyses des documents scientifiques comme produits finis, détachés des pratiques qui les ont conçus et réalisés. Bien que l’analyse des visualisations basée sur des cartes, des diagrammes, des représentations visuelles ait montré l’importance de certaines propriétés structurantes de ces objets (Latour, 1985 ; Lynch, 1988 ; cf. Goody, 1979 pour la literacy), fonctionnant comme des affordances pour l’action, l’analyse des conduites interactionnelles au sein desquelles ces propriétés visuelles sont effectivement traitées par les participants, acquièrent une pertinence, et sont réflexivement renforcées dans leur effets, permet de mieux comprendre ces propriétés en action aussi bien que les activités pratiques qui leur donnent sens.
16C’est l’objectif que nous poursuivons dans cet article, qui porte sur la manière dont les pratiques situées et incarnées d’un groupe d’agronomes et d’informaticiens élabore au fil des discussions, des désaccords, des controverses des représentations de l’espace qui ne se réduisent à aucun moment
17ni à la parole échangée ni aux cartes posées sur la table de travail. Les visualisations produites prennent sens à travers la parole qui les décrit et l’expression verbale de leurs lectures et interprétations divergentes ; loin d’être dotées d’un sens inscrit une fois pour toutes et disponible dans son évidence visuelle, ces visualisations sont opaques, dotées d’un sens qui reste à construire intersubjectivement dans la discussion, voire dans la négociation et l’argumentation. Si la parole joue un rôle majeur dans cette construction du sens, d’autres ressources multimodales sont constitutives : les gestes accomplis sur les cartes les animent et produisent, dans l’interaction, une intelligibilité qu’elles n’ont pas en tant qu’objet inerte autonomisé des pratiques de lecture et d’écriture.
1.4. Défis méthodologiques et analytiques
18L’observation documentée de ces pratiques de discussion, interprétation, inscription des visualisations nécessite un dispositif d’enregistrement spécifique : jusqu’ici elles sont restées largement inconnues voire invisibles du fait même de la difficulté de les documenter, en l’occurrence de les enregistrer dans leurs détails gestuels, temporels, contextuels. L’analyse que nous présentons n’a été rendue possible que grâce à un dispositif d’enregistrement multi source, permettant à la fois de rendre compte des interactions et du cadre participatif global des séances, grâce à une caméra filmant le groupe dans son ensemble en perspective (fig. 1), et du travail de traçage, de pointage, de lecture des cartes grâce à une caméra filmant verticalement la table de travail (fig. 2). À ces deux caméras s’en est ajoutée une troisième lorsque le travail des participants investissait un troisième espace, celui du tableau (fig. 4 correspondant au plan large de fig. 3).
19L’enjeu de cette démarche ne se limite toutefois pas à la manière dont les activités ont été documentées par des enregistrements vidéo : une fois enregistrées, ces activités ont à être décrites et transcrites afin de rendre disponibles à l’analyse les détails constitutifs que l’enregistrement rend observables. C’est pourquoi cet article développe un mode de transcription spécifique pour les gestes effectués sur des visualisations, de manière à en préserver les trajectoires, la temporalité, ainsi que leur synchronisation
20avec la parole. C’est pourquoi tous les extraits analysés dans cet article sont non seulement constitués de la transcription de la parole (ligne numérotée) mais aussi de descriptions de gestes ou de regards (deuxième voire troisième ligne ajoutées à la précédente), délimitées et rapportées à la parole grâce à des repères visuels (astérisques ou autres signes). Ce système est décrit en détail dans Mondada (2004, 2006, à paraître) : nous n’en donnerons qu’un exemple ici :
21Les détails multimodaux de chaque participant sont notés par un signe spécifique : ici + pour Laurence et * pour Pierre-Alain. Ainsi à la ligne 1, deux activités gestuelles sont décrites : celle de Pierre-Alain gesticulant et celle de Laurence écrivant. Chaque activité est délimitée, au début et à la fin, par le même signe (PAL gesticule jusqu’à la ligne 3, LAU écrit jusqu’à la ligne 2). En outre, les trajectoires des gestes peuvent être indiquées, distinguant entre la préparation du geste [...], son extension maximale (où le geste est décrit) et son maintien (----), ainsi que sa rétractation [...] (cf. Kendon, 2004 sur ces distinctions). C’est le cas ici du geste de Pierre-Alain dont la préparation se fait sur l’aspiration en position initiale (1) et la rétractation se fait pendant qu’il dit « (c’est) » (3). Dans cet extrait, sont transcrits non seulement les gestes mais les regards : il est ainsi possible de montrer le changement d’attention de Laurence, qui passe d’un regard sur son texte lors de son écriture (1-2) à un regard sur le chorème (3), après que Pierre-Alain ait invoqué la vue (2). La description des gestes est enrichie par des extraits d’image (screen shots) tirés de la vidéo : dans tous les cas, les images sont rapportées à la parole et donc situées précisément dans le temps (les figures 5 et 6 correspondent au moment où PAL finit de dire « causse », ligne 2). Dans certains cas, nous avons aussi reproduit l’image de détails des visualisations qu’ils tracent ou commentent. Les conventions de transcription sont explicitées en annexe de cet article.
22Sur la base de ces détails, vers lesquels s’orientent les participants dans l’organisation de leur action, il est possible de rendre compte pas à pas de l’organisation émergente et incrémentale de leurs raisonnements et de reconstituer la manière dont ces processus se déploient dans le temps, en étant sensibles à la coordination des paroles et des mouvements des co-participants.
2. LIRE LES CHORÈMES : INTERPRÉTER, CONTESTER, CORRIGER UN PROBLÈME PRATIQUE DE CONCEPTION, DE VISION ET D’INSCRIPTION : FIGURER LA PROXIMITÉ
23La première réunion enregistrée du groupe porte en grande partie sur la lecture collective de chorèmes, un type de carte produit tour à tour par les deux agronomes, Viviane ou Michel. Cette lecture collective vise à développer et à stabiliser un langage cartographique commun. En effet, bien que ces chorèmes obéissent à des conventions de notation explicitées, les agronomes découvrent dans le fil de leur travail qu’il n’y a pas d’accord sur leur
24interprétation. C’est pour pallier à cette situation qu’ils s’engagent dans cette lecture commune, à laquelle participent aussi les informaticiens, Laurence et Bernard, qui vont ensuite transformer ces chorèmes dans une autre forme de représentation, le graphe conceptuel.
25Dans l’analyse que nous proposons de cette lecture des chorèmes, nous nous focaliserons sur une distinction conceptuelle qui a posé de nombreux problèmes au fil de toutes les séances : la définition et délimitation des relations de proximité et d’éloignement. Celles-ci varient fortement dans les descriptions et ce n’est dès lors pas étonnant qu’elles posent un problème de figuration. Nous allons nous pencher sur un long extrait afin d’étudier l’émergence progressive de la solution trouvée localement et collaborativement à ce problème. Cela nous permettra d’insister sur les différentes ressources mobilisées dans sa résolution – c’est-à-dire plus généralement sur les ressources par lesquelles les controverses cartographiques surgissent et se résorbent, ainsi que par lesquelles la carte acquiert sa visibilité et son sens (Mondada, 2005a).
26Le passage que nous allons étudier commence par le constat d’un désaccord entre les deux agronomes quand au caractère « proche » (vs « éloigné ») d’une portion de territoire .2.1. Un désaccord initial
27Voici la position de Viviane :
28Et celle de Michel, exprimée une minute plus tard :
29Le point de départ est un différend entre Viviane qui affirme verbalement et gestuellement une distinction et Michel qui en nie la pertinence conceptuelle (« cette notion-là moi j’l’ai pas » 25) et rapporte la position de Viviane à du discours mais pas à du visuel (il n’a pas « regardé » (27) la carte de cette manière). Le phénomène n’apparaît ainsi pas, à ce stade, comme étant inscrit dans l’espace visuel de la carte : il n’est pas visible pour Michel.
2.2. L’émergence du problème de figuration
30Le désaccord amène les participants à questionner les possibilités du système de représentation utilisé (et non, par exemple, à nier la compétence de Michel, ou à réaffirmer l’autorité ou les connaissances de Viviane).
31Le problème de figuration est ici clairement posé (« comment l’rendre » extr. 4, l. 32 ; « comment est-ce qu’on l’explicite » extr. 5, l. 84), tout comme la difficulté de sa solution (33). De manière intéressante, d’un fragment à l’autre, le problème semble gagner un statut général, reconnu et partagé (usage du pronom « on » 85 et non seulement « je » 86) alors qu’au début il était associé au point de vue exclusif de Viviane (« pour moi » 34, 43), tout en étant étayé par les deux participants lors de la formulation collective d’une des explications (40-41). Le problème se généralise aussi par le fait que les participants ne le posent pas uniquement à propos d’un chorème particulier, mais en convoquant d’autres cas pour constater sa transversalité.
32L’asymétrie entre Michel et Viviane se double d’une gestualité très différente : alors que Viviane – celle qui « voit » – étaye son affirmation en indiquant des figures sur la carte, Michel – qui ne voit pas – ne fait aucun geste. En effet, pendant toute la discussion du problème, Viviane fait une série de gestes sur le rectangle incriminé : elle indique et parcourt sa partie supérieure quand elle parle de sa proximité, en la détachant ainsi du reste de la figure ; elle pointe vers les deux parties (extr. 2 : 1, extr. 4 : 33, extr. 5 : 86), qu’elle sépare par un stylo posé au travers de la forme géométrique (extr. 2, fig.8; extr. 4 : 43) ; elle souligne les côtés des différentes parties en les encadrant (extr. 4 : 34-35) ; elle couvre leur surface de petits traits diagonaux (non tracés) en utilisant son stylo comme pointeur (geste noté par « hachurage » dans les extr. 4 : 43 et 5 : 87). En marquant la différence entre les deux parties du rectangle qu’ils distinguent, ces gestes préfigurent la solution (cf. Roth & Lawness, 2002 ; Mondada, 2004). Mais la relation topologique qu’ils indiquent n’a jamais fait l’objet d’une explicitation jusqu’ici et n’a jamais été traitée par les agronomes comme étant une solution pour la figuration.
33La résolution du problème de la figuration sera le moyen de parvenir à construire un point de vue commun, inscrit et matérialisé dans la carte, rendant visible ce que pour l’instant Viviane est la seule à voir.
2.3. La résolution collaborative du problème
34Bien que la solution soit contenue dans le geste de Viviane, ce n’est pas elle qui la formule, mais Laurence, l’informaticienne :
35Laurence indique la solution en se basant sur une série de ressources qui en garantissent l’efficacité et la partageabilité :
36● elle introduit un nouveau concept, celui de « quartier », traité comme connu par les participants (« les histoires de quartier » 90) et l’utilise pour reformuler le problème (« quartier de proximité » formé de manière analogue à « aire de proximité », et « quartier: plus loin/ ») ;
37● elle accompagne ces catégories par des gestes qui les rendent visibles sur le plan (90-91) et qui montrent littéralement que le rectangle peut être considéré comme un seul ensemble ou comme deux ensembles ; d’autres gestes rendent visible l’opposition de manière iconique (94) ;
38● elle fait référence à une solution conceptuelle déjà trouvée par le groupe le jour avant et donc ayant déjà le statut d’objet partagé.
39Cette solution est immédiatement appropriée par Viviane, qui reprend la référence au jour précédent et qui refait sur la carte (99-105) les mêmes gestes qu’elle faisait au début de la discussion, cinq minutes plus tôt (cf. extrait 2, l. 1). Cette fois le geste incarne la solution, alors qu’auparavant il ne faisait que dire le problème.
2.4. Le rétablissement de l’accord et l’achèvement d’une nouvelle visibilité et d’un nouveau regard sur la carte
40Dans l’extrait précédent, Laurence propose donc une solution qui est immédiatement adoptée par Viviane ; celle-ci se charge ensuite d’en accomplir le caractère partageable par Michel, qui au début de la discussion
41« n’avait pas » la notion d’éloignement (extr. 3). De manière intéressante, Viviane lui demande cette fois s’il « voit » la notion (110-111) – reprenant ce que Laurence disait à propos d’avoir « la sensation de: de proximité » (94-96) :
42Pour convaincre Michel, les mêmes gestes sont à nouveau effectués par Viviane, explicitement orientés vers la constitution d’une visibilité (« tu verrais » 110, 111) pour celui qui ne voyait rien au début. Au début de l’extrait, le verbe « voir » est au conditionnel – repris à la troisième personne par Michel (« on verrait » 113). Mais par la suite, ce dernier contraste ce qu’il ne voyait pas au passé (« j’avais l’impression de voir un seul ensemble » 114) et ce qu’il est possible de voir au futur (« dans le regard/ tu vas t’dire y a y a deux choses/ » 115-6), en opérant la distinction entre une seule entité et sa séparation en deux entités. De manière intéressante, Michel associe étroitement le dire et le voir, le caractère visible des entités ou de leurs propriétés étant pris en charge par des verbes de parole. Le visible est ici indissociable du dicible.
43À la fin de l’extrait (118-121), Michel re-parcourt la figure par des gestes analogues à ceux de Viviane – encerclant les figures, hachurant une partie pour la distinguer d’une autre – qu’ils ne faisait pas au début, exhibant sa compréhension nouvelle.
44La visibilité est constituée et reconnue collectivement dans une pratique descriptive re-formulative dont l’efficace repose sur la multimodalité, i.e. sur l’articulation fine entre description verbale et figuration gestuelle – les deux produisant une visibilité nouvelle de la carte. Dans ce sens, la visibilité n’est pas une caractéristique de l’inscription mais un accomplissement assuré par les pratiques cartographiques, où la gestualité joue un rôle fondamental, imbriquée dans la manipulation d’objets permettant de pointer, dans le corps du pointeur, ainsi que dans sa parole. La compréhension, voire découverte, acquise grâce à cette succession de gestes est elle-même incarnée dans des gestes analogues : la vision intersubjective de la carte est le produit d’interprétations négociées qui se matérialisent dans des accords non seulement verbaux mais aussi kinésiques.
2.5. L’inscription de la solution
45Une dernière étape reste à franchir dans ce processus : après une réinterprétation de la carte livrant une nouvelle forme de visibilité des phénomènes qui y étaient inscrits, celle-ci peut être tracée sur la carte elle-même : ce n’est pas uniquement le regard sur elle qui se transforme, mais aussi sa matérialité, corrigée par les participants.
46Une fois que Michel s’est rangé à la vision de Viviane (extr. 7), celle-ci peut procéder au traçage de la solution proposée par Laurence : dans une nouvelle et dernière reformulation de la description de la figure, Viviane trace deux rectangles là où il y en avait un seul auparavant. Pendant qu’elle les inscrit, elle utilise dans sa re-description la catégorie de « quartier » introduite par Laurence, qu’elle associe à la notion de « proximité » (129). Le problème initial – consistant à savoir comment figurer la relation « proche » – est ainsi résolu.
47Nous avons ainsi proposé une analyse pas à pas de l’émergence progressive d’une solution et des différentes phases au fil desquelles est progressivement assuré son caractère raisonnable, visible, évident, partageable – passant par une difficulté de description-interprétation, le constat d’une insuffisance dans la figuration, la résolution par l’introduction d’une nouvelle catégorie, la reformulation multimodale et distribuée de la description initiale, et enfin le traçage de la solution. Cette longue séquence permet de reconstruire à la fois l’apparition du problème – marquée par l’incertitude, le désaccord, la divergence des perspectives – et sa résolution – accomplissant un accord, un réalignement des perspectives. Cette dernière opère une reconfiguration à plusieurs niveaux : ce n’est pas seulement la description du référent qui se transforme, mais aussi le langage de la représentation (linguistique, gestuelle, cartographique) ainsi que la matérialité de la carte.
48Ce processus permet de reconsidérer la relation de la carte à l’espace, et plus généralement du discours à ses référents et à leurs inscriptions visuelles :
49● la production du sens se fait au fil de multiples reformulations qui sont déclenchées par des désaccords et qui ne laissent pas intacts leurs objets ;
50● le sens n’est lui-même pas unique, mais prolifère en vertu des différentes perspectives possibles sur l’objet – ici l’espace. La carte est une médiation qui privilégie une version des faits et qui se trouve déstabilisée dès qu’il s’agit de tenir compte de points de vue différents et divergents. ;
51● le sens de la carte n’est ni inscrit dans ses figures ni dans sa légende, mais est le produit constamment ré-accompli de sa lecture multimodale, faisant intervenir autant la parole que les gestes. Détachée des actions qui la parcourent, la manipulent, la pointent, la reformulent et la discutent, la carte est muette ;
52● la visibilité des propriétés et des entités de l’espace, inscrites sur la carte, est donc produite par une série complexe d’activités imbriquées entre elles : dire, regarder, voir, pointer, tracer.
3. DU CHORÈME AU GRAPHE : ENJEUX CONCEPTUELS DANS LE PASSAGE D’UN MODE DE REPRÉSENTATION À L’AUTRE
53Dès la première rencontre, les participants ne se limitent pas à mettre à l’épreuve la consistance intersubjective de leur lecture des chorèmes, mais réfléchissent à la transformation de ces chorèmes en graphes. Le passage d’un mode de représentation à l’autre est l’occasion de comparaisons permettant à la fois de révéler les manques d’un système par rapport à l’autre et les apports conceptuels de l’un par rapport à l’autre. Ces comparaisons sont invoquées dans des discussions où les désaccords sont nombreux et où ils génèrent la recherche de solutions conceptuelles alternatives. Ces dynamiques interactionnelles ont pour effet à la fois d’interroger les propriétés des langages chorématique et informatique et d’enrichir le langage conceptuel nécessaire pour modéliser le domaine.
54Nous avons choisi un extrait pour montrer le travail effectué sur le graphe et son développement au fil du raisonnement collectif et des références aux chorèmes. Laurence vient de dessiner un graphe alors que Michel
55énonce une objection concernant un manque de différenciation entre deux aspects qu’il y voudrait voir distingués (3.1) ; la réponse à cette objection produit deux nouveaux graphes tracés par Laurence sur une nouvelle feuille (3.2). Mais cette solution est à nouveau mise en cause par le constat que les deux graphes ne sont pas vraiment différents. Cela déclenche une recherche de la différenciation, qui génère deux propositions successives, toutes les deux de Viviane (3.3-3.4). Laurence relance toutefois la mise en doute de la dernière solution, en faisant intervenir une nouvelle dimension, l’expression de la temporalité (3.5). À travers ces différentes phases, nous voyons ainsi progressivement émerger une visualisation générée par la controverse.
3.1. L’émergence du problème : « ça différencie pas »
56Laurence vient de proposer un graphe. L’extrait commence avec sa critique par Michel :
57Le problème est soulevé par Michel en faisant successivement référence – par les déictiques (« ici » et « là ») et par les gestes sur le chorème et sur le graphe – à deux espaces distincts. À travers la comparaison entre des modes de représentation différents, Michel fait apparaître un problème de différenciation manquée. En un premier temps, Laurence répond à ce constat avec un accord faiblement énoncé (7), puis par une action : elle retourne sa feuille avant même la fin du tour de Michel (9). Cette action permet de créer une nouvelle surface d’inscription, vierge de toute écriture, qui lui permettra de tracer la nouvelle solution.
3.2. L’inscription de deux graphes
58Le retournement de la feuille par Laurence et sa prise en main du crayon pour écrire créent un contexte qui rend intelligible l’action successive comme un redémarrage : elle formule à voix haute, tout en l’écrivant, un nouveau graphe, qu’elle complète de manière collaborative :
59L’identification des différences que vise Michel passe par l’écriture de deux graphes qui puissent les exhiber, par le fait même d’être placés côte à côte : un espace de comparaison est ainsi créé sur la nouvelle feuille.
60Le premier graphe est écrit par Laurence dès la ligne 10, introduit par « j’ai » et simultanément verbalisé et noté sur le papier (fig. 13). Bien que cette écriture reprenne ce qu’elle avait inscrit dans le graphe précédent, elle ne relève pas uniquement de son authorship : à la ligne 13, Viviane propose une spécification de « champ » (10) en « champ cultivé » (13) : cette suggestion est énoncée alors que Laurence n’a pas encore écrit l’objet contenu et juste avant qu’elle l’inscrive – le placement temporel de cet énoncé obéissant à la vitesse de son écriture et permettant d’anticiper – et ainsi de suggérer – l’objet inscrit suivant (cf. Mondada, 2005c et les travaux sur la rédaction conversationnelle pour des phénomènes similaires à l’écrit : Krafft, 2005). Il est d’ailleurs auto-réparé par Viviane (15 « cultivé » corrigé en « clôturé »), ratifié par Laurence qui l’inscrit sans rature et par le continuateur de Michel (17).
61Le deuxième graphe est introduit par « ou bien » (19) qui articule les deux comme des alternatives différentes et qui est énoncé alors que Laurence va à la ligne, commençant à inscrire à nouveau le terme « parc », suivi d’un tiret (fig. 14). Si ce point de départ semble s’imposer, la suite l’est moins : Laurence suspend son écriture pour la demander à Michel (21).
62Non seulement elle cesse d’écrire, mais en formulant sa question elle pointe vers le chorème (vers là même où Michel pointait au début de l’extrait : elle accomplit ainsi non seulement un geste référentiel mais aussi un alignement avec l’objection initiale de Michel, prise ainsi en compte). La production du graphe est donc réalisée de manière collaborative entre Laurence et Michel, en faisant intervenir trois types de ressources :
63● des ressources linguistiques, la verbalisation étant un passage obligé avant de passer à l’inscription ;
64● des ressources cartographiques, le chorème étant pointé comme l’objet de référence devant être formulé ;
65● des ressources informatiques, le graphe étant le langage formel dans lequel inscrire la formulation.
66La question posée par Laurence (21) ne reçoit pas de réponse immédiate (voir la longue pause, l. 22) ; pendant la pause qui suit, Laurence prépare l’environnement visuel où elle inscrira la réponse, sous forme d’un cercle. Dans le dessin des graphes, alors que le rectangle indique les entités, le cercle indique les relations : en dessinant cette figure, Laurence projette très précisément le type et la forme de la réponse qu’elle attend – la formulation d’une relation, voire de l’objet qu’elle contiendra. La réponse de Michel énonce précisément cet enchaînement (« contient champ pâturé » 23).
67Cette réponse est évaluée, après une pause, par des rires de tous les participants, initié par Michel lui-même, qui traite le résultat comme équivalent au premier graphe. Ce rire marque donc l’échec de la différenciation des graphes, relançant la recherche des différences.
3.3. Première tentative de différenciation des deux graphes
68La relance de la recherche collective est effectuée par la question de Laurence, qui identifie deux dimensions où il est possible d’introduire de la différenciation, au niveau de la relation ou au niveau de l’objet : cette formulation ne se fonde pas sur les propriétés du référent à décrire, ni sur sa représentation chorématique ; elle se fonde sur la logique du graphe et la rend pertinente comme base pour un diagnostic du problème. Cela est renforcé par le fait que durant son tour, et au-delà, elle trace autour des entités qu’elle vient d’écrire, les cercles et les rectangles manquants.
69La question de Laurence, produit, en deuxième partie de paire, un premier diagnostic négatif : « la relation est la même/ » (33), confirmant en expansion du tour le type de relation (« contient » 35) qui laisse entendre que c’est du côté des objets qu’il faut chercher la solution. Cette réponse est suivie d’une seconde de pause (36), pendant laquelle elle n’est ni confirmée ni infirmée par les autres participants. Ce qui suit est un chevauchement où d’une part Michel explicite que c’est « le statut de l’objet » qui est en cause (38) et où d’autre part Viviane produit un enchaînement non préférentiel (commençant par « oui mais : sauf » 37) : le désaccord qu’il introduit est non seulement verbalisé mais est accompagné d’un mouvement de Viviane qui s’approche de la feuille de Laurence et y trace quelque chose. Le concept « ensemble composé » (42) est d’abord inscrit sous la forme d’un grand rectangle autour du deuxième graphe (cf. fig. 17), le constituant
70comme un « seul objet », comme le dit aussi Michel (49), par opposition au premier graphe qui est traité comme articulant « deux objets » (43). En demandant son nom (« tu l’appelles comment » 50), Laurence le traite aussi comme une entité unique, pour laquelle Viviane fournit, après quelques pauses et retards, le terme de « parc ».
3.4. Deuxième tentative
71La première tentative de différenciation des deux graphes consiste donc à traiter l’un comme articulant deux entités et l’autre comme étant un objet composite. Cette proposition est toutefois suivie d’une nouvelle objection de Michel :
72L’objection de Michel (58-60) porte sur le nom donné par Viviane à l’objet composite (« parc »), qui exclut « l’aspect euh (.) culture fourragère » 59-60). Viviane lui répond par un désaccord très rapide, énoncé avant la fin du tour précédent, en chevauchement, qui ajoute une différenciation ultérieure. Viviane fait sa proposition en s’approchant du graphe et en esquissant par des gestes la solution proposée, consistant à faire dépendre de « parc » deux entités, « des zones en herbe » (64) et une deuxième entité qui n’est pas formulée dans son tour inachevé (64). Mais cela est suffisant pour Laurence, qui en chevauchement avec Michel et Viviane, commence à inscrire les deux entités avant même de les verbaliser (« du parc avec de l’herbe » 71-72, « du cultivé » 74). L’ajout de Michel ne fait que reformuler cette solution (« prairie naturelle/ (.) .h et prairie artificielle » 78-79), tout en y ajoutant un commentaire sur l’inadéquation éventuelle de ces termes avec le référent géographique décrit, qui déclenche des rires collectifs. La conclusion de Laurence (92) ne reprend d’ailleurs pas cette formulation mais celle qui est inscrite et qu’elle re-parcourt avec un geste du crayon.
3.5. Un dernier problème : le rôle de la temporalité
73Cette dernière proposition est inscrite comme la précédente ; les deux amendent le graphe et intègrent les suggestions de Viviane, qui rendent compte de la différence entre les deux représentations. Cela aurait pu suffire pour stabiliser la représentation obtenue. Cependant, Laurence repose une question concernant le statut de la seconde différenciation, qui va pousser Viviane à introduire une nouvelle dimension, le temps, non représentable dans ce type de visualisation :
74La question posée par Laurence (94-95) opère la distinction entre « objets » et « attributs ». Le geste qu’elle fait en posant la question souligne que dans le premier cas il s’agit de deux objets distincts, alors que dans le second, ils relèvent d’un objet unique : le parc. Cette question est suivie d’une absence de réponse dans un premier temps (la pause ligne 96), puis par une expansion du tour de Laurence chevauchée par une réponse de Viviane, laissant apparaître un désaccord (« mais oui mais on re- on revient sur un problème de temporalité » 98-99). Cette réponse introduit un nouvel aspect dans la discussion, la temporalité, tout en le traitant comme un thème recyclé de la discussion précédente. Cette introduction est suivie d’un long développement (non cité en entier ici) qui se fonde cette fois sur des pointages vers le chorème et non sur la logique propre au graphe. Cet aspect échappe ainsi momentanément aux capacités représentationnelles du graphe pour renvoyer vers un aspect pourtant contenu dans la représentation chorématique.
75Dans cette discussion sur le graphe, interviennent donc plusieurs ressources mobilisées dans la multimodalité de l’interaction :
76● le graphe informatique, sa représentation visuelle et ses propriétés. Le graphe est un objet non préexistant à l’interaction, il est produit au fil de l’interaction dans une activité d’écriture collective ;
77● le chorème, sa représentation visuelle et les informations qu’il contient. Le chorème préexiste à l’interaction, il est régulièrement convoqué comme fondement, référent, point de comparaison pour la construction du graphe ;
78● l’objet spatial visé, l’exploitation dont il est question et son environnement géographique, la région du Causse, qui ne sont pas les premiers référents du graphe (qui se présente davantage comme une reformulation du chorème posant des problèmes conceptuels que comme une représentation d’une ferme particulière) mais qui peuvent être invoqués ponctuellement.
79● Les ressources gestuelles (gestes de pointage ou gestes iconiques, avec le stylo, avec la main, opérant une animation du graphe en train de se faire, voire préfigurant son écriture à venir ou soulignant un détail de l’écriture déjà inscrite ; gestes d’animation de la figure ou gestes d’inscription et de traçage), qui donnent vie – et contribuent à produire – les objets matériels énumérés précédemment. Ces gestes sont fondamentaux pour le travail conceptuel émergeant, anticipant souvent la solution verbalisée.
80● Les ressources linguistiques, mobilisées dans la verbalisation des descriptions qui seront inscrites sous la forme du graphe, dans la lecture des visualisations déjà là, dans la formulation de critiques, désaccords, objections. On voit bien que le graphe évolue de manière progressive au fil de la discussion caractérisée par de nombreuses dissensions, très productives pour son enrichissement.
81L’écriture du graphe manifeste ici non seulement une activité de lecture en temps réel mais aussi une activité de production : celle-ci est réflexivement organisée par la parole mais aussi par le traçage du graphe en train de se faire, qui permet, par sa forme particulière, de projeter la suite et donc de l’anticiper et de s’y aligner. Le graphe apparaît ainsi doté d’une temporalité et d’une syntaxe, puisqu’il se déploie incrémantalement et linéairement selon un répertoire de formes dont la disposition est contrainte et donc prévisible. Un tel objet se prête ainsi tout particulièrement à des actions collaboratives, qu’elles soient de l’ordre de la co-construction ou de la réparation.
4. COMPARER DES GRAPHES
82La réunion de 2003 est consacrée à une nouvelle pratique, celle de la comparaison entre les graphes, deux par deux, l’un fonctionnant comme source et l’autre comme cible. Cette comparaison hérite de nombreuses procédures des réunions précédentes, marquées par la référence à une variété de représentations alternatives de l’objet (notamment les chorèmes mais aussi les graphes complets qui en ont été dérivés dans les séances précédentes), permettant de contester, d’enrichir, d’argumenter l’appariement entre source et cible.
83Dans les extraits que nous montrerons, relatifs au même appariement, on montrera comment procède la comparaison et les formes de désaccord qu’elle suscite.
4.1. Assimiler : procéder aux appariements entre graphes cible/source
84Le premier extrait montre comment est établie la comparaison entre source et cible, de manière incarnée, multimodale et collective :
85L’activité en cours est ici explicitement formulée par Jacques comme un « regrou- » (1) ou un acte d’« assimiler » (2) qu’il ne prend pas en charge lui-même (alors même qu’il est en train de proposer et de tracer les appariements) mais qu’il impute à Laurence (cf. les dislocations à gauche du pronom « toi » 1, 2). Jacques procède à cette « assimilation » en tirant un trait entre deux points des graphes source et cible : mais de manière intéressante, il introduit le premier point, la « bergerie un/ » (2), en pointant non vers le graphe cible où elle est pourtant représentée mais vers un autre
86graphe, le graphe initial original contenant une représentation plus complète de la ferme : il établit ainsi une équivalence entre ces deux représentations – qui seront par la suite souvent évoquées de manière contradictoire. En revanche, le deuxième point, le « siège 1 » est introduit par un déictique (« ça » 3) pointé sur le graphe source. Une fois identifiés les deux points, Jacques procède à l’assimilation proprement dite : il trace une ligne horizontale entre les deux points (3-5).
87Le traçage du graphe cible et du graphe source procède en parallèle : Jacques ne trace pas d’abord le source, puis le cible, enfin les appariements entre les deux, mais avance en développant progressivement les deux.
88Jacques complète d’abord le graphe cible (en écrivant une relation, « relie » 7) puis à nouveau explicite l’opération qu’il impute à nouveau à Laurence (« tu veux assimiler » 8). La formulation de cette relation est relativement complexe : Jacques l’inscrit d’abord (7), puis la verbalise (8) tout en l’encerclant. Alors qu’il s’adresse à Laurence, il est chevauché par Viviane qui produit une hétéro-réparation de « relie » en « relie loin » (9-10), répétée trois fois, tout en pointant vers le sous-graphe original. Pendant ce temps, en chevauchement, Laurence confirme une autre formulation, « relie » (11). Ce faisant, elle ne s’aligne pas avec l’hétéro-réparation de Viviane. En revanche, Jacques inscrit et reprend « relie loin » (13-14).
89Alors que Laurence anticipe immédiatement la suite du raisonnement, en fournissant l’objet qui relie (« par la draille » 15) en chevauchement, Jacques procède à l’appariement, à la fois verbal et graphique (16-17), avant de reprendre la proposition de Laurence, qu’il inscrit (« par la draille/ » 17). En chevauchement, Pierre-Alain fournit un argument préparant l’appariement entre la « draille » du cas cible et la « route » du cas source (18, 21). Cet appariement est évalué localement comme non problématique (24).
90Dans cet extrait, ce sont donc bien trois appariements qui ont été tracés en une douzaine de secondes ; toutefois on remarque à travers l’hétéro-réparation de Viviane et le maintien d’une autre formulation de Laurence, des dissensions potentielles. Celles-ci sont plus ouvertes dans d’autres cas que nous examinerons ci-dessous.
4.2. Diverger
91L’appariement entre un graphe source et un graphe cible pose constamment une série de problèmes soulevés par le niveau d’abstraction requis par la comparaison, auquel certains participants résistent en apportant d’autres détails rendant la comparaison impossible.
92Nous allons suivre ici un cas de désaccord et les difficultés que pose l’exercice :
93Jacques commence à tracer un contour autour du cas cible (voir fig. 21) tout en imputant verbalement la responsabilité de ce traçage à Laurence dans une série de formulations de son « dire » lui attribuant non seulement des discours mais surtout des intentions (1-2). Ce déplacement énonciatif se poursuit dans l’interruption du traçage pour inscrire le nom de Laurence en haut de la feuille (4) et dans une séquence insérée où Laurence est prise à partie (4) et répond, thématisant ce que Jacques est en train de faire (6), les deux s’alignant dans le rire (6-8).
94La poursuite du traçage de l’appariement (articulée par « ça ça ressemble à » (9) qui formule l’opération effectuée) se fait par un rapide pointage de Jacques vers le graphe source original, sur une autre feuille plus loin devant lui – montrant l’orientation de Jacques non seulement vers les deux objets à comparer mais vers le document qui légitime la forme – simplifiée – du graphe source. C’est à ce moment que Viviane en chevauchement mentionne un élément du cas source, « le villa:ge » (10) : Jacques vient alors de projeter, par « en gros » et l’hésitation « euh::: » (9), la suite de la comparaison ; il continue sans tenir compte de la mention de Viviane, mais – au lieu de poursuivre la délimitation du cas source concerné – il insère une correction de son traçage précédent du cas cible (en incluant la relation « relie loin » 11). Ce n’est que pendant la pause verbale de la ligne 12, que Jacques trace le contour délimitant la totalité du cas source. On voit donc que le traçage de l’appariement ne va pas de soi, mais est effectué de manière discontinue, caractérisée par l’insertion de nombreuses séquences ou gestes qui vérifient, corrigent, voire contestent le processus en train de se faire.
95Pendant que Jacques cercle la totalité du cas source qu’il va apparier au cas cible (12-13), Viviane intervient avec une série de « non » (13) :
96● ceux-ci sont temporellement situés par rapport au traçage en train de se faire de Jacques, qui tout en n’étant pas encore complet permet à Viviane d’en anticiper la forme et donc de la contester ;
97● en outre cette dissension réintroduit la mention du « village » dans une formulation argumentative (« parce que là y a village en plus alors que:: y: » 13-14) même si celle-ci demeure incomplète ;
98● cette mention est ultérieurement renforcée par le pointage par Viviane du mot « village » inscrit dans le graphe source, qui luimême est coordonné par rapport à l’avancée du geste de la main de Jacques et projette très précisément le moment où le « village » (pointé dans la figure 24) sera lui aussi englobé dans la délimitation que Jacques est en train de dessiner :
99Le geste de Viviane est lui-même un geste comparatif, puisqu’il se déplace ensuite vers le graphe cible (14) où il pointe vers quelque chose qui « manque ».
100Malgré cette intervention à la fois verbale et visuelle interférant avec le traçage de Jacques, celui-ci poursuit l’appariement jusqu’à la fin, notamment en traçant la ligne horizontale entre les deux graphes (17) : il le fait alors que Viviane dit à voix très haute « I MANQU- i manque quelque chose là » (17) et alors que lui-même lui répond « non non on est d’accord que c’est:: que: mais le raisonnement de laurence/ c’était » 18-19, i.e. en attribuant à nouveau ce qu’il fait à Laurence. On a donc ici un cas intéressant de désaccord articulant plusieurs voix : des voix exprimées verbalement et des voix exprimées graphiquement, des voix (cf. Goffman, 1981, Goodwin & Goodwin, 2004) dont l’animateur s’identifie à l’auteur (comme dans le cas de Viviane, qui prend totalement en charge ses énoncés et ses gestes) et des voix où le traceur renvoie à un autre auteur (c’est le cas de Jacques qui trace mais qui renvoie à Laurence la responsabilité de ce qu’il fait) et où il y a disjonction entre ce que fait Jacques le traceur (délimiter puis apparier) et ce que dit Jacques le locuteur (« mais tout à fait » 15, « non non on est d’accord » 18).
101Il est intéressant aussi de remarquer que Laurence, à qui est imputée l’opération en cours, ne se prononce aucunement sur son contenu durant cet extrait : elle ne le fera qu’ensuite, après la reformulation du cas par Jacques.
102Cette reformulation est elle-même indicative de certaines difficultés surgissant au fil de la description verbale :
103Face aux objections de Viviane, Jacques réaffirme l’authorship de Laurence et s’engage dans la reformulation des graphes qu’il lui prête (18-19) – en obtenant l’accord de Viviane (20), qui se positionne juste après cette réaffirmation, se présentant ainsi comme un accord portant sur la version de Laurence et non sur la version elle-même.
104La description du cas cible rencontre un problème multiple de formulation concernant la « draille » :
105● le problème surgit après la mention de la draille (19) et lors de la mention de l’autre repère pertinent, le parcours sectionnal. C’est en énonçant ce mot, après avoir dit « parcours », qui dans ce contexte projette « sectionnal », que Jacques s’arrête et initie la réparation avec de très longues aspirations (« .hhhh » 21), un « euh::: » également prolongé (21), une interruption au milieu de « sectio- », plus un marqueur de reformulation (ENFin bon » 22).
106● Ce dernier opère le passage à la réparation elle-même, qui prend la forme de tentatives de reformulation, elles-mêmes interrompues et auto-réparées : « la draille » mentionnée intialement (19) est reprise en « l’bout de la dra- » (22), puis carrément niée (« c’est pas la draille » 23, 27), reprise à nouveau en « le bout d’la draille » 27, « l’autre bout de la draille » 28, « loin sur la drouaille » 31, « un p- point sur la drouaille » 31-32. On notera que durant ces reprises le terme même de « draille » se déforme phonétiquement en « drouaille ».
107● La négation de la draille (23) ouvre une séquence où Jacques se tourne corporellement vers Viviane d’abord puis vers Laurence, en ménageant à chaque fois des points potentiels de transition (24, 26), sous forme de pauses et grâce à des expansions du tour précédent (25) : ces points de transition ne sont toutefois saisis ni par Viviane ni par Laurence pour prendre leur tour (la manière dont Laurence le tente tardivement, 30, avec un « EUh::: » prolongé montre qu’elle n’a pas grand’chose à dire sur ce point).
108● Finalement, la multiplication des formulations de la draille constitue un environnement où Laurence prend la parole pour proposer à son tour une re-description du graphe (33).
109La description de Laurence est intéressante à examiner, puisque, après les objections de Viviane et les difficultés de Jacques, elle propose un argument en faveur de l’appariement – même si celui-ci continuera à être contesté par ses coparticipants.
110La description de Laurence est une version produite à toutes fins pratiques, orientée vers la comparaison et l’appariement, opérant des sélections à cette fin (on notera par exemple qu’elle ne mentionne pas le village). C’est ainsi qu’elle produit pour les deux graphes, deux descriptions homologues (« y a une route qui relie: le siè:ge/ (.) au champ » 36 et « ici t’as une draille qui relie la bergerie/ au parcours » 42, sous la forme « y a/ tu as + un N + qui relie + le N + au N »). Ses descriptions sont appuyées par des gestes de pointage vers le graphe de gauche et vers le graphe de droite (fig. 25 et fig. 27).
111À la fin de la première formulation, Laurence ménage une pause (37) constituant un point de transition où une objection ou un accord seraient susceptibles de trouver leur place ; en cette position, Jacques pointe à distance vers le graphe original correspondant et acquiesce (40). Ce pointage est intéressant car il convoque une autre représentation, fonctionnant à la fois comme un garant et comme un argument pour un désaccord. Toutefois, Jacques n’exprime aucune objection à cet endroit ; il laisse Laurence poursuivre (42) avec le second graphe.
112La conclusion de Laurence (« et dans les deux cas c’est loin » 43) fonde la comparaison. L’appariement est ainsi basé d’une part sur des descriptions prenant une forme analogue et d’autre part sur l’explicitation d’une propriété commune.
113Cela ne suffit toutefois pas : Jacques énonce une objection (45) qui relancera le débat.
114Dans cette série d’extraits on a donc un exemple de la manière dont fonctionne la comparaison entre deux graphes : elle se fonde sur une re-description des cas orientée vers les besoins de la comparaison et sur l’annotation visuelle des graphes. De manière intéressante, les cas examinés ici montrent une variété de manières de faire au fil des désaccords.
115Dans le premier extrait analysé, Jacques procède par comparaisons ponctuelles, effectuées pas à pas durant la construction du graphe cible. Chaque comparaison est ratifiée par Laurence.
116Dans le deuxième extrait, en revanche, Jacques apparie des portions importantes des deux graphes, qu’il délimite en traçant une ligne autour des entités pertinentes. Cette manière de faire, plus globale que la précédente, est explicitement indiquée comme étant plus grossière (voir les préfaces par « en gros » 1, 9) et se fonde à la fois sur le traçage et sur des formulations verbales minimales, surtout déictiques (« ça » 9) mais sans procéder pas à une description verbale étendue du graphe.
117Dans le troisième extrait, Jacques essaie de décrire verbalement le graphe, mais se heurte à une difficulté de formulation concernant la « draille » dont il produit une série de variantes. C’est ce qui amène Laurence, dans le quatrième extrait, à proposer sa formulation verbale minimalement basée sur des gestes (de pointage) vers les graphes. Cette formulation offre non seulement une solution au problème, mais aussi un modèle de description, qui sélectionne les éléments pertinents et les agence syntaxiquement de manière homologue à la forme que prend le langage du graphe et selon une disposition qui les rend homogènes. On constate ainsi que la comparaison est un accomplissement pratique réalisé par des agencements de formes créant des espaces comparables.
118Les quatre extraits, renvoyant tous au même cas d’appariement (dont le traitement dure environ 15 minutes dans la séance), montrent non seulement une diversité de manières de mobiliser la parole et le geste/le traçage mais aussi une diversité de renvois à d’autres documents (le sous-graphe original) et de sélections de détails différents. Ainsi Viviane, qui argumente contre l’appariement, souligne l’objet « village » que Laurence ne mentionne pas et que Jacques inclut, mais sans le thématiser, dans son traçage.
119Au-delà du cas précis, ces extraits montrent le fonctionnement d’un raisonnement pratique, la comparaison, et la manière dont il se fonde à la fois sur des ressources multimodales et sur des dynamiques interactionnelles.
5. COMPARER SUR LA BASE D’UNE BANQUE DE DONNÉES ET DE LA PRODUCTION AUTOMATIQUE D’APPARIEMENTS
120Dans la réunion de 2005, la comparaison entre graphes est fournie par le logiciel ROSA ; le travail de la réunion vise à vérifier que les appariements proposés par le logiciel sur la base d’une base de cas soient pertinents et donc à évaluer le logiciel lui-même.
121Dans le cas que nous allons analyser, les participants sont réunis autour d’une table et regardent vers le tableau blanc sur lequel est projetée l’image de l’écran de l’ordinateur de Bernard. La séance est filmée par trois caméras, dont deux sont visibles sur la figure 28 (une caméra verticale, un caméra filmant l’écran, plus une caméra sur les participants, dont est tirée la figure 28).
122Bernard a sélectionné un cas source (« peul 1 ») dans une liste qui se présente sur son écran à gauche ; la source apparaît dans la partie basse de l’écran.
123 Dès que le résultat de la recherche apparaît à l’écran, Laurence se lève et se déplace vers le tableau en constatant que « celui-là il marche » (1) :
124La formulation du cas commence dès le déplacement de Laurence, mais les perturbations qu’elle manifeste (nombreuses hésitations, reprises, bribes...) montrent qu’avant de commencer véritablement l’analyse comparative les participants ont à se coordonner entre eux : elle se déplace de sa place au tableau (1-6), elle prend en main un feutre (6), pendant que Bernard prend en main la souris (6) et arrange l’image de l’écran (7).
125Le déplacement et le positionnement face au tableau intègrent le fait que Bernard est en train de recentrer l’image : en la déplaçant vers la gauche il augmente l’espace blanc disponible pour l’action que Laurence s’apprête à accomplir ; même si celle-ci traite le mouvement de l’image comme une difficulté pour son action (« °°bouge pas tout l’temps°° » 9), on a là une coordination entre les deux participants : en effet, en observant la temporalité du geste de Bernard on se rend compte qu’il s’ajuste à l’action projetée de Laurence (il retourne à son ordinateur quand elle saisit le feutre) et qu’il se coordonne avec elle ; de son côté, Laurence commence sa description quand l’image est stabilisée (11).
126Une fois l’écran stabilisé et l’espace pour l’action à venir arrangé, Laurence initie une activité de lecture-écriture (11-13) que nous allons analyser dans le détail.
127L’inscription de « Champ » commence déjà à la ligne 11 ; ensuite, tout en ayant formulé « qui est proche » Laurence ne l’écrit pas immédiatement, mais ne fait que l’entamer, avec un trait vertical, avant de regarder ce qui apparaît plus haut à l’écran, avant de continuer.
128Ce que regarde et lit Laurence, la partie supérieure de l’écran, pourrait être reproduit comme suit (la partie lue est en grisée) :
129Laurence suit du regard la première colonne où sont listés les « ingrédients » du graphe. Ceux-ci sont disponibles aussi pour les autres co-participants, qui se joignent à elle dans une lecture collective :
130La lecture-écriture de Laurence au tableau est ratifiée par Bernard (15) et par l’absence, lors de points de transition (16), de prises de parole réparant ou critiquant ce qui précède ; en outre, elle est collectivement partagée par une formulation chorale de la fin du graphe (17-19), qui est inscrite après avoir été énoncée par trois participants et après que Laurence ait interrompu son écriture pour regarder le haut de l’écran projeté. L’écriture de ce premier graphe suscite d’ailleurs chez Viviane la reconnaissance – précédée d’un change-of-state token « oh » du cas comme un de ceux qui avaient déjà été traités auparavant (22-23).
131On voit ainsi que la notation du cas est ici partagée dans une activité collective de lecture-écriture, qui crée une vision intersubjective entre celle qui l’inscrit et les autres participants, fondée sur ce qui est disponible publiquement à l’écran.
132La lecture du deuxième graphe à apparier au premier est entamée tout de suite après :
133La lecture se fait en suivant la segmentation du tableau, ligne par ligne, du deuxième item de chaque ligne ; cette segmentation produit autant d’unités de construction du tour que d’items, dont la prononciation est séparée par des pauses, constituant autant de points de transition pour les autres participants – exploités par les acquiescements de Bernard qui manifestent le suivi de cette progression sous la forme d’une co-lecture (comme
134le montre l’énonciation simultanée de « bergerie » 29-30). De cette manière, la lecture de Laurence est accomplie comme une activité partagée et jamais comme une activité solitaire.
135La phase suivante est dédiée au traçage du graphe :
136En même temps que Pierre-Alain énonce une forme de généralisation, catégorisant le cas comme un « archétype » (36, continuant lignes 40-41), Laurence initie la dernière étape, l’inscription du second graphe comme elle l’avait fait pour le premier. Son écriture est accompagnée d’une auto-dictée de bribes de ce qu’elle inscrit, produisant à nouveau le caractère publiquement manifeste de son action et de son déroulement pas à pas.
137À la ligne 44, Laurence énonce une conclusion visant à ratifier l’accord collectif : elle ne fait pas que l’expliciter (« on est d’accord/ » 44, « on retrouve la même structure » 46) mais se retourne vers ses co-participants pour les solliciter, en multipliant les points pertinents de transition, grâce
138aux pauses (45, 48) mais aussi grâce aux regards et à la posture corporelle, tournée vers eux et non plus vers le tableau.
139On voit bien qu’isoler la représentation finale du résultat de cette action sous forme de texte comme dans la figure suivante :
140signifierait gommer les actions qui ont établi ces représentations et qui en ont permis la comparaison. Ce qui frappe dans cette dernière étape du travail du groupe est le fait que le logiciel et la projection au tableau de ses résultats produisent un dispositif de publicisation de la comparaison visée qui permet une configuration différente de la discussion. Dans la réunion précédente (comparaison manuelle des graphes, 2003), non seulement les désaccords étaient nombreux mais les adhésions, responsabilités, identifications aux propositions énoncées étaient très contrastées (soit en termes conflictuels, opposant la version de l’un à la version de l’autre, soit en termes de distanciation, différenciant la version énoncée et la version prise en charge). Dans cette réunion, le passage par la machine (cf. « lui/ (.) i trouve » 25), elle-même dotée d’agentivité, permet une mise à distance et une objectivation de la proposition énoncée, que tous les participants se mettent à lire, à interpréter, à réécrire collectivement, dans un engagement commun.
141Dans cet extrait, nous pouvons constater la superposition de plusieurs artefacts en action :
142● Les graphes sur l’écran de l’ordinateur de Bernard et projetés sur le tableau blanc : ces graphes sont générés in situ par le traitement de la requête des participants par le logiciel et disparaîtront lors de la requête successive.
143● Les graphes tracés par Laurence durant la discussion, transformant les graphes produits par le logiciel et les inscrivant sous une nouvelle forme, visuelle, produite collaborativement avec les autres participants. Ces graphes seront effacés à la fin de cette étape de la discussion.
144● Les graphes, chorèmes, cartes, notes des participants qui jonchent la table sur laquelle ils travaillent : certains documents sont préexistants à la séance, d’autres – comme les notes – sont produits in situ. Tous ont une permanence que n’ont pas les autres visualisations, grâce à leur inscription sur du papier.
145Nous avons ici à faire à des objets de natures très différentes : des objets privés ou publiquement partagés, des objets permanents ou labiles, des objets préexistants ou créés in situ, des objets stables ou transformés au fil de la discussion, ainsi que des objets créés par les participants ou bien générés par un logiciel. Ce qui caractérise la situation étudiée est la superposition de ces ressources, dont les participants exploitent, grâce au dispositif de projection sur un tableau blanc, les propriétés spécifiques les plus adéquates à leurs fins pratiques. Cela prend notamment la forme d’une réduplication, puisque le graphe projeté n’est pas seulement lu mais est réécrit au tableau, la comparaison ne se faisant pas directement sur la base du graphe généré informatiquement mais sur sa réécriture. La réécriture récupère ainsi quelques propriétés caractéristiques des graphes perdues dans le logiciel : leur forme spatialisée d’une part, leur dimension dynamique et temporelle de l’autre, permettant par exemple des réparations.
146Contrairement aux graphes tracés sur le moment même, qui permettaient aux participants d’interroger leur émergence dynamique, de la valider ou bien de la contester (4.), les graphes produits par le logiciel ne sont pas questionnés en tant que tels, tels qu’ils sont composés : c’est plutôt l’appariement qui fait l’objet de la discussion. Ainsi, le fait de déléguer au logiciel la construction des graphes les dote d’une forme d’évidence et d’indiscutabilité et déplace l’attention dans la discussion vers un autre objectif que leur critique, la focalisant plutôt sur leur comparaison – une activité qui repose sur l’acquis de l’existence d’entités à comparer.
147Reste que dans tous les cas observés, les objets matériels mobilisés sont dotés de formes de temporalité différentes, évoluant différemment dans le temps de l’interaction, et sont animés, « enacted », dotés d’intelligibilité, voire réalisés dans des pratiques spécifiques. Détacher ces objets de leur temporalité située dans ces pratiques, par exemple dans une typologie des supports matériels, consisterait à ignorer totalement la manière dont ils assument un sens et une pertinence. Une approche praxéologique et interactionnelle telle que proposée dans l’analyse qui précède permet au contraire de comprendre l’organisation située des pratiques d’inscription et leur articulation fine avec les pratiques de raisonnement dans l’interaction.
6. CONCLUSIONS
148Les analyses que nous avons développées dans cet article permettent d’énoncer un certain nombre d’enjeux : ceux-ci concernent la méthodolo
149gie d’observation des pratiques d’inscription, de visualisation, voire de raisonnement (6.1.), l’analyse des pratiques de raisonnement visuel du groupe au fil de ses activités dans le temps, couvrant plusieurs années et surtout caractérisée par différents types de représentations visuelles (chorèmes, graphes, banques de données informatisées) (6.2) et plus généralement l’étude des pratiques de visualisation dans les activités scientifiques et professionnelles (6.3).
6.1. Bilan méthodologique : analyser des artefacts en interaction
150Les analyses que nous avons détaillées dans cet article contribuent à une réflexion méthodologique sur la temporalité des objets et plus précisément des documents et des visualisations, en proposant des outils d’analyse de leur émergence et dynamique. L’enjeu consiste à rendre observables, documentables et analysables ces pratiques de raisonnement, de visualisation, de vision professionnelle.
151Une telle approche ne considère pas les visualisations comme des objets autonomes, détachables des pratiques d’écriture, de traçage, d’effacement et de lecture, appréhendables dans leurs propriétés sémiotiques inhérentes (des lignes, des couleurs, des configurations graphiques). Au contraire, la « mentalité analytique » proposée se penche sur la temporalisation des objets dans l’interaction : dès qu’ils sont mobilisés dans une activité pratique, les objets ne sont plus des entités matérielles inertes, préexistantes, figées, mais acquièrent une existence et un devenir inscrits dans le temps. Il est donc fondamental de pouvoir saisir cette temporalité des objets dans un dispositif qui en permette à la fois l’enregistrement et la re-présentation (ou transcription) pour l’analyse.
152Le dispositif adopté ici pour l’enregistrement prend en compte des échelles spatio-visuelles très différentes : l’espace interactionnel de la réunion est défini par la distribution des participants autour d’une table et par leurs regards dirigés à la fois vers leurs co-participants et sur les documents éparpillés sur la table. Le regard articule ainsi l’espace interactionnel avec l’espace des documents. Le dernier rend pertinente une échelle plus limitée et plus détaillée que le premier, nécessitant une prise de vue spécifique (par une caméra verticale).
153La transcription des phénomènes rendus accessibles et documentables par ces différentes vues se préoccupe avant tout de rendre la précision temporelle de l’imbrication entre la parole et les gestes sur les documents. Elle le fait doublement, par une description des gestes finement articulée à la transcription de la parole et par la notation temporelle des esquisses dessinées par les participants, rapportée à la transcription. C’est grâce à ces formes détaillées de synchronisation de différentes ressources qu’il est possible d’analyser la coordination des gestes d’écriture et de la parole, l’anticipation sur la base de la trajectoire gestuelle d’un point de dissension faisant l’objet d’un désaccord, la projection d’une action successive destinée à remplir une portion de représentation visuelle. C’est grâce à elle aussi qu’il est possible de manière plus générale de rendre compte de l’articulation fine entre la construction progressive des tours de parole et le dessin ou la lecture des visualisations. Cette articulation permet de documenter la dimension interactionnelle, coordonnée, mutuellement ajustée des pratiques visuelles des participants.
6.2. Bilan des analyses
154L’analyse des extraits d’interactions du groupe d’agronomes et d’informaticiens montre combien les visualisations constituent à la fois des points de stabilisation des objets de savoir et de cristallisation des controverses. En étant publiquement déployées, en fournissant une surface d’inscription et d’objectivation des propositions émergeant dans la discussion, les visualisations fonctionnent comme un lieu de matérialisation de certains moments et résultats de l’interaction. De manière intéressante cependant, ces points de fixation ne signifient pas pour autant une stabilisation indiscutable et irréversible des solutions atteintes à ce moment là : en exhibant une solution et en lui donnant une forme objectivée, ils sont aussi des points sur lesquels se focalise le désaccord. Celui-ci est visible non seulement dans la parole – dans les objections, les négations, et d’autres expressions du désaccord – mais aussi dans la suspension de l’inscription, voire dans sa correction et son effacement.
155Les extraits analysés montrent la productivité de ces désaccords (cf. déjà Lynch, 1985), qui permettent un amendement constant des solutions, un enrichissement progressif des objets de savoir, qui concerne non seulement les référents visés – les exploitations agricoles qu’il s’agit ici de modéliser – mais aussi, et peut-être surtout, le langage des représentations visuelles utilisé. Le travail des agronomes et des informaticiens oscille en effet constamment entre la recherche du mode de représentation le plus adéquat du référent et le questionnement du langage qui permet cette représentation – notamment dans sa capacité à figurer l’espace, les pratiques spatiales et leurs dynamiques temporelles.
156Cela montre l’importance des visualisations pour le raisonnement expert : le suivi des pratiques de raisonnement dans leur déroulement pas à pas dans le temps de l’interaction montre que le savoir n’est pas fixé une fois pour toutes, mais est progressivement inscrit dans des chaînes de
157représentation. Celles-ci passent par la référence à une constellation d’objets représentationnels, qui sont ici éparpillés sur la table, outre que par la réinscription successive et répétée des mêmes objets sous des formes représentationnelles différentes. Deux aspects apparaissent tout particulièrement dans les analyses précédentes :
158● d’une part, les processus de « découverte », d’émergence du savoir tels qu’ils s’accomplissent de manière située, dans des gestes et des formulations verbales dotées de temporalités diverses. Plusieurs extraits permettent de documenter des anticipations par le geste ou par l’inscription d’une solution qui ne sera formulée qu’après. Ainsi la temporalité de l’émergence d’un nouvel objet de discours est souvent différente pour chaque modalité, dans un décalage plus ou moins important entre elles (voir le premier cas analysé, chap. 2.3. où Viviane indique gestuellement la solution bien avant de pouvoir la formuler, ou bien celui, chap. 3.3., où elle fait un geste montrant la bifurcation des alternatives avant même de les expliciter), voire dans une distribution ultérieure de leur prise en charge par différents participants (ainsi dans les deux cas cités c’est Laurence qui formule verbalement les solutions avant de les inscrire). ;
159● d’autre part, les processus de comparaison, tels qu’ils s’accomplissent dans la réinscription et dans la reformulation. Les extraits permettent à plusieurs reprises d’éclairer les conditions pour qu’une comparaison puisse se faire : celle-ci est accomplie par l’aménagement de formes homologues, qu’elles soient verbales ou visuelles, dans lesquelles s’inscrivent les objets à différencier et comparer. Au contraire, les pratiques de comparaison échouent quand les participants contribuent à la description par des détails qui produisent la spécificité du cas décrit. Ainsi l’abstraction qui caractérise la comparaison n’est pas un processus mental et désincarné mais plutôt un accomplissement pratique et situé, matérialisé dans les gestes et le formatage des ressources dans leur matérialité.
160Dans ce sens, l’évolution des pratiques du groupe au fil du temps est intéressante, montrant le recours à un nombre d’artefacts croissants, qui reposent toujours sur la tentative de considérer les résultats de la phase précédente comme acquis. On voit là l’émergence d’une démarche de capitalisation du savoir, qui progressivement se dote d’objets dont elle essaie de limiter la dimension controversée pour construire des objets plus complexes : ainsi la première phase porte sur la lecture des chorèmes et règle les désaccords liés à ce mode de représentation, la seconde introduit les graphes et mène à un accord quant à la manière de les écrire et de transformer les chorèmes. On a ici un travail à la fois d’expertise (de la part des informaticiens responsables des graphes) et d’apprentissage (de la part des agronomes qui finissent par s’approprier ce langage). Dans la troisième
161phase les graphes sont rendus indépendants des chorèmes pour être comparés : mais cette autonomie ne sera achevée que par leur informatisation dans la quatrième phase et par la délégation de leur authorship au logiciel. De manière intéressante, bien que cette trajectoire soit celle d’une réification progressive des représentations, censées être de moins en moins interrogées en tant que telles pour déplacer l’attention vers les objets représentés et vers leur comparaison, typologisation, généralisation, elle a lieu en présence de tous les types d’inscriptions qui continuent à joncher la table de travail et à être convoqués par les participants allant chercher les premières versions des cartes et continuant à pointer vers elles dans le cours de leur travail. Dans ce sens, l’évolution vers une démarche outillée (réalisée avec le logiciel) n’est pas du tout linéaire, tout en exploitant les propriétés spécifiques des inscriptions convoquées à chaque nouvelle phase, de manière superposées aux précédentes.
6.3. Contributions à l’étude de la construction du savoir et les visualisations
162En tenant compte des enregistrements effectués dans le même groupe de travail sur une durée de plusieurs années, ainsi que de la spécificité des inscriptions visuelles sur lesquelles ils travaillent, en passant progressivement de l’une à l’autre, notre analyse se veut ainsi une contribution à la fois à une étude longitudinale de la complexification croissante des langages cartographiques et conceptuels du groupe, à une réflexion générale sur la temporalité des visualisations dans les pratiques scientifiques et professionnelles et à une méthodologie d’analyse qui permette d’en rendre compte dans leur dimensions temporelle, localement située, multimodale telles qu’organisées dans l’interaction sociale. Ces processus éclairent plus généralement la nature des visualisations : celles-ci ne sont pas dotées d’un sens autonome et allant de soi, malgré les légendes et les conventions explicitées auxquelles elles obéissent. Les visualisations apparaissent ici comme étant étroitement liées aux gestes qui les animent, qu’il s’agisse de gestes iconiques effectués au-dessus de la surface inscrite, ou de gestes indicaux pointant vers un point particulier, accomplissant ainsi sa mise en évidence, voire des gestes parcourant les figures qui en redessinent son évidence visuelle. En outre, les visualisations apparaissent indissociables des paroles qui les accompagnent et qui soit en assurent la visibilité – donnant à voir certains points, sélectionnant des aspects pertinents, singularisant tel ou tel détail – soit la débordent en exhibant au contraire les limites de la représentation visuelle. Ainsi dans les discussions analysées ici, la temporalité des pratiques de l’espace est une dimension qui est souvent mentionnée comme échappant à la fixation de la représentation visuelle, et comme permettant d’opposer des efficacités représentationnelles différentes. Les visualisations résultent ainsi être des objets dont l’intelligibilité et la visibilité même sont un accomplissement pratique sans cesse renouvelé au fil des interactions, grâce aux ressources multimodales déployées dans le temps. Cela en retour éclaire les pratiques perceptives sur lesquelles reposent ces discussions : regarder une carte, exercer une vision professionnelle (Goodwin, 1994, 1999) est une pratique sociale ancrée dans un corps pointant et parlant, coordonné avec les actions des autres participants, dans la création conjointe, organisée interactionnellement, de focus d’attention communs.
REMERCIEMENTS
163Ce projet a bénéficié du soutien du programme GETM – Société de l’Information, CNRS – IGN – Cemagref (2002-2005).
CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION
NOTATION DES GESTES (VERSION LM 2.0.6)
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