Couverture de R2050_065

Article de revue

Robert Merle : du succès à la pérennité de l’œuvre

Pages 33 à 36

Notes

  • [1]
    Ancien chercheur au CNRS, Olivier Merle, fils de Robert Merle, est professeur des universités et romancier. Depuis 2003, il a publié neuf romans, pour la plupart parus aux éditions de Fallois. Noir négoce (Paris, de Fallois, 2010) a obtenu en 2011 le prix Océanes, et Electropolis (Paris, de Fallois, 2013) le prix Charles-Exbrayat en 2013.
  • [2]
    Cet entretien a été mené le 6 mai 2018 par Anne Wattel (E. A. 1061 – ALITHILA – Analyses littéraires et histoire de la langue, Université de Lille, annesw@wanadoo.fr).
  • [3]
    Brigitte Heymann, « La réception de Robert Merle en RDA : les raisons d’un succès », in Images de la France en République démocratique allemande : une histoire oubliée, dir. par Dorothee Röseberg, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 157-178.

Gallimard disait que le Merle se vend bien et se vend longtemps. Mais se vend-il toujours[2]?

1D’ordinaire, on note une baisse sensible des ventes d’un auteur peu de temps après sa mort. Cette baisse est rapide et irrémédiable. L’auteur ne produit plus et ses lecteurs fidèles, qui lisaient son roman à chaque nouvelle parution, sont orphelins. Et il ne se crée pas un nouveau lectorat, d’où la chute des ventes.

2 Pour mon père, cette chute ne s’est pas produite, ou à la marge. Gallimard nous verse chaque année des droits d’auteur très proches de ceux qu’il versait à mon père avant sa mort, alors que son dernier roman publié chez cet éditeur date de 1974.

3 Certains ouvrages résistent particulièrement bien à l’érosion des ventes. Par exemple, La mort est mon métier. Il se vend environ dix mille exemplaires en France par an de ce roman, paru pourtant il y a plus de soixante-cinq ans. Pour un roman, une telle longévité est tout à fait remarquable.

Au regard des chiffres de vente, pourriez-vous nous indiquer s’il est une œuvre de Robert Merle dont le succès ne s’est jamais démenti? Ses romans de politique-fiction, si symptomatiques d’une période – guerre froide, angoisse atomique… – sont-ils toujours prisés ?

4J’ai évoqué à l’instant La mort est mon métier mais Malevil, roman d’anticipation sur une catastrophe nucléaire, se porte aussi assez bien. Il s’en vend en France environ trois à quatre mille exemplaires par an alors qu’il est paru il y a quarante-cinq ans, soit une moyenne d’une dizaine par jour. Il y a l’angoisse de la guerre atomique, bien sûr, mais aussi celle des centrales nucléaires et de leurs inévitables et terrifiants accidents. Gageons que, tant que la France n’aura pas (enfin) abandonné le nucléaire, ce roman continuera à se vendre très bien dans ce pays. Il reste hélas d’actualité.

5En revanche, les autres romans de politique-fiction, comme Un animal doué de raison, se vendent assez mal. Je ne saurais dire s’ils sont datés car un événement de l’actualité peut remettre en selle des livres qu’on croyait oubliés. C’est le cas en ce moment du roman Les Hommes protégés dont les ventes se redressent et qui suscite l’intérêt de réalisateurs (film et TV).

L’œuvre de Robert Merle fut traduite dans plus de vingt langues différentes, majoritairement dans les pays de l’Est, et surtout en République tchèque, Allemagne et Hongrie. Et Brigitte Heymann, qui étudie la réception de Robert Merle en RDA, indique la place éminente occupée par l’auteur, qu’elle présente comme « l’auteur contemporain le plus connu et le plus lu » du pays, ses romans faisant partie des classiques des programmes universitaires. Elle précise notamment que « Robert Merle occupe avec 1 462 000 exemplaires la 3e place parmi les auteurs étrangers après Mark Twain et Balzac. Comparé aux auteurs allemands, il se situe entre Zweig et Goethe et devant Thomas Mann et Heine »[3]. Ce rayonnement de Robert Merle à l’étranger et plus particulièrement dans les ex-démocraties populaires se confirme-t-il au xxi e siècle ? Êtes-vous toujours sollicité par des maisons d’édition étrangères qui souhaitent faire traduire l’œuvre de votre père et en obtenir les droits ?

6Je suppose que le travail de Brigitte Heymann, qui est une universitaire allemande, est sérieux. J’avoue que je suis stupéfait par ce chiffre et ce classement que je n’ai pas les moyens de vérifier. C’est tout à fait étonnant.

7J’ai pu cependant constater la renommée de mon père lors d’un voyage à Berlin en hiver il y a une dizaine d’années. Visitant le musée juif, j’ai donné mon manteau au vestiaire où l’on m’a demandé mon nom pour l’inscrire sur le ticket. Quand je l’ai donné, la jeune femme qui s’occupait du vestiaire a dit spontanément : « Comme l’écrivain ? ». J’en ai été assez bluffé.

8Je crois que mon père est extrêmement connu en ex-RDA. C’est ce que m’a d’ailleurs toujours affirmé son éditeur allemand (Aufbau Verlag), qui précisait que sa notoriété en ex-RFA est moindre.

9Il est exact que cette notoriété reste très vive dans les ex-démocraties populaires. En 2001, peu de temps avant sa mort, mon père a reçu à Budapest le prix de l’auteur étranger le plus lu en Hongrie. Je suis régulièrement sollicité pour la (re)publication de ses ouvrages, en Russie, en Hongrie, en République tchèque, et même en Lettonie par exemple.

10Cependant, je note que les Anglais (éditions Pushkin Press) ont publié pour la première fois les trois premiers tomes de Fortune de France en 2015 et 2016, et que le quatrième tome va paraître au premier semestre de cette année 2018.

11Enfin, pour en finir avec la notoriété, une amie réalisatrice m’a raconté récemment une anecdote amusante. Elle se trouvait en Iran pour la présentation de son propre film et pour y donner une série de cours sur le cinéma. Elle a assisté à une conversation entre une des stagiaires, une jeune chinoise de vingt-trois ans, et un stagiaire iranien. Évoquant la littérature allemande, elle parlait (en anglais) d’un roman racontant l’histoire du chef d’un camp d’extermination, roman qui l’avait beaucoup marquée et qu’elle attribuait à un romancier allemand dont elle ne se souvenait plus du nom. S’immisçant dans la conversation, mon amie leur a donné le titre du roman (La mort est mon métier) et de l’identité de l’auteur (français).

12Quand le nom de l’auteur et sa nationalité s’effacent au profit d’une œuvre dont on parle aussi bien en Chine qu’en Iran, c’est que l’œuvre a atteint quelque chose d’intemporel et d’universel.

Avez-vous été sollicité, ces dernières années, par des réalisateurs, metteurs en scène qui envisagent d’adapter l’œuvre de votre père ?

13Très régulièrement. J’ai environ une quinzaine de sollicitations par an de maisons de production ou de réalisateurs qui m’interrogent pour savoir si les droits cinéma de tel ou tel roman sont libres. Le roman le plus demandé est Malevil. C’est d’ailleurs le seul projet qui est allé à son terme depuis la mort de mon père (Malevil produit par Chloé Grunwald pour France 3, réalisé par Denis Malleval et dont le scénario et les dialogues ont été écrits par Jean Rouaud). Et Malevil est de nouveau sous option pour une série télévisée sous forme de saisons avec plusieurs épisodes. Récemment, Fortune de France a été aussi sous option pendant deux ans, malheureusement le projet n’a pas trouvé les financements nécessaires.

14C’est la grosse difficulté du cinéma : il y a de très nombreux producteurs et réalisateurs qui souhaiteraient adapter telle ou telle œuvre, mais le projet ne va pas jusqu’au bout par manque d’argent. Et, hélas, mon père n’échappe pas à cette dure contrainte économique.

15En dehors de Malevil, Les Hommes protégés ou Madrapour, qui n’ont encore jamais été adaptés en film ou en téléfilm, suscitent beaucoup d’intérêt alors que ceux qui (hormis Malevil) ont déjà été adaptés (Week-end à Zuydcoote, La mort est mon métier, L’Île, Un animal doué de raison, Le Propre de l’homme, etc.) sont plus rarement demandés.

16Depuis l’affaire Weinstein, le roman Les Hommes protégés intéresse de très nombreux réalisateurs ou producteurs. Nous verrons si ces intentions pourront se concrétiser.

S’il s’avère que les œuvres de votre père se vendent toujours, se lisent toujours, comment expliquez-vous, vous qui êtes romancier, la pérennité de certains de ses romans ?

17Il est difficile de répondre à ce genre de questions.

18Je crois d’abord que mon père est un excellent romancier au sens premier du terme. Il sait construire une intrigue, donner de l’épaisseur à ses personnages, user de rebondissements, surprendre le lecteur, etc. Il possède aussi un art consommé des dialogues, ce qui est difficile et n’est pas donné à tout le monde. Dans certains de ses ouvrages (pas tous), il manie remarquablement les techniques de l’écriture sans que celles-ci nuisent à son imagination ou ne l’altèrent. C’est évidemment une des clés du succès.

19Cependant, je ne crois pas que cela suffise à expliquer la pérennité de certains de ses romans, et ceci en dépit du dédain assez manifeste de quelques critiques littéraires du microcosme parisien qui le trouvent trop « populaire » (mon Dieu, le vilain mot…) et pas assez intellectuel à leur goût. En un sens, presque quinze ans après sa mort, mon père déjoue leur pronostic.

20 La raison en est que son œuvre traite de thèmes universels et intemporels qui touchent le lecteur. C’est le cas de toutes les œuvres qui demeurent malgré l’usure du temps. Quelles que soient les époques, l’être humain est rongé par des doutes, des angoisses, des pulsions de mort, des haines, mais il est aussi sauvé par l’amour de la vie, la fraternité, la tolérance. La littérature exprime tout cela. Et mon père, dans certains de ses romans, a su exprimer tout cela.


Date de mise en ligne : 24/07/2018

https://doi.org/10.3917/r2050.065.0033

Notes

  • [1]
    Ancien chercheur au CNRS, Olivier Merle, fils de Robert Merle, est professeur des universités et romancier. Depuis 2003, il a publié neuf romans, pour la plupart parus aux éditions de Fallois. Noir négoce (Paris, de Fallois, 2010) a obtenu en 2011 le prix Océanes, et Electropolis (Paris, de Fallois, 2013) le prix Charles-Exbrayat en 2013.
  • [2]
    Cet entretien a été mené le 6 mai 2018 par Anne Wattel (E. A. 1061 – ALITHILA – Analyses littéraires et histoire de la langue, Université de Lille, annesw@wanadoo.fr).
  • [3]
    Brigitte Heymann, « La réception de Robert Merle en RDA : les raisons d’un succès », in Images de la France en République démocratique allemande : une histoire oubliée, dir. par Dorothee Röseberg, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 157-178.

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