Notes
-
[1]
Dreamlands : des parcs d’attractions aux cités du futur, Catalogue d’exposition, dir. par Quentin Bajac et Didier Ottinger, Paris, Centre Pompidou, 2010.
-
[2]
Mike Davis, Le Stade Dubaï du capitalisme [2006], traduit de l’anglais par Hugues Jallon et Marc Saint-Upéry, Paris, Les Prairies ordinaires, « Penser/croiser », 2007, p. 11.
-
[3]
Jeff Koons, Paris, Centre Georges Pompidou, 26 nov. 2014 - 27 avril 2015.
-
[4]
Pierre Huyghe, Celebration Park, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (MAMVP), 2006.
-
[5]
The House of Horrors, installation présentée dans le cadre de l’exposition The Razzle Dazzle of Thinking en 2010 à l’ARC/MAMVP, et intégrée aux collections permanentes du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
-
[6]
Arnaud Labelle-Rojoux, « Merveilles du monde », in Dreamlands, op. cit., p. 293.
-
[7]
Claude Rutault, n°1 bis le môme vers le gris, éd. des Cendres, 2003, p. 1532.
-
[8]
Sandrine Dubel, « Ekphrasis et enargeia: la description antique comme parcours », in Dire l’évidence (philosophie et rhétoriques antiques), dir. par Carlos Lévy et Laurent Pernot, Paris, L’Harmattan, « Cahiers de philosophie de l’Université Paris XII-Val de Marne », 1997, p. 249-264.
-
[9]
Georges Perec, « En rev’nant de l’Expo… », Perec/rinations, Paris, Zulma, 1985, p. 48-50.
-
[10]
Claude Rutault, n°1 bis le môme vers le gris, op. cit., 2003, p. 1599.
-
[11]
Georges de Scudéry, Ibrahim ou l’Illustre Bassa [1643], tragi-comédie, Paris, Société des textes français modernes, 1998.
-
[12]
Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile [Hypnerotomachia Poliphili, 1499], adapté de l’italien par Jean Martin [1546], éd. de Gilles Polizzi, Paris, Imprimerie nationale, « La Salamandre », 1994.
-
[13]
Louis Richeome, La Peinture spirituelle, Lyon, Pierre Rigaud, 1611.
-
[14]
Frank Lestringant, « La Promenade au jardin ou la peinture spirituelle du Père Richeome », in Récits/Tableaux, éd. par Jean-Pierre Guillerm, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires de Lille, « UL3 », 1994, p. 82.
-
[15]
Louis Marin, Utopiques: jeux d’espaces, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1973.
-
[16]
Jean Cocteau, « 10 juin – Coney Island – Nous fermons le cercle », Mon premier voyage (Tour du monde en 80 jours) [1936], Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », 2009, p. 238.
-
[17]
Champfleury, L’Homme aux figures de cire, préface de Patrick Mauriès, Paris, Le Promeneur, « Le Cabinet des lettres », 2004.
-
[18]
Louis Aragon, Les Voyageurs de l’impériale, Paris, Gallimard, 1942.
-
[19]
Raymond Queneau, Pierrot mon ami, Paris, Gallimard.
-
[20]
Cf. Sophie Basch, « “Le Grand Entrepôt dramatique” ou les écrivains à la Foire », in Dreamlands, op. cit., p. 211-216.
-
[21]
Hervé Guibert, Vice [1991], Paris, Gallimard, « L’Arbalète », 2013, p. 11.
-
[22]
Ibid., p. 49.
-
[23]
Ibid., p. 51-52.
-
[24]
Ibid., p. 95.
-
[25]
Le terme est employé dans un sens explicitement forain et festif: « Le Palais des Mirages est une attraction où l’on emmène les enfants, le mercredi après-midi… » (ibid., p. 65).
-
[26]
François Cusset, « Questions pour un retour de Dubaï », postface à Mike Davis, Le Stade Dubaï du capitalisme, op. cit., p. 49-88.
-
[27]
Marc Augé, « Un ethnologue à Euro Disneyland », Le Monde diplomatique, août 1992.
-
[28]
Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Paris, Flammarion, 2010, p. 415.
-
[29]
Ibid., p. 415-417.
-
[30]
Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, Paris, Flammarion, 1998, p. 217.
-
[31]
Id., Plateforme, Paris, Flammarion, 2001.
-
[32]
Id., La Possibilité d’une île, Paris, Fayard, 2005, p. 410-411.
-
[33]
Dominique Rabaté, « L’Écrivain mis à mort par ses personnages mêmes », in Fins de la littérature, t. II, Historicité de la littérature contemporaine, dir. par Dominique Viart et Laurent Demanze, Paris, Armand Colin, « Recherches », 2012, p. 226.
-
[34]
Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, op. cit., p. 101.
-
[35]
Ibid., p. 427.
-
[36]
Hugues Jallon, Le Début de quelque chose, Paris, Verticales, 2011, p. 19. Le texte a fait l’objet d’une adaptation théâtrale par Myriam Marzouki, créée à l’occasion du programme officiel du Festival d’Avignon, en juillet 2013.
-
[37]
Ibid., p. 62.
-
[38]
Ibid., p. 40-41.
-
[39]
Ibid., p. 123-124.
-
[40]
Yves Citton, « La Fin de l’hégémonie et le début de quelque chose », in Fins de la littérature, t. II, Historicité de la littérature contemporaine, op. cit., p. 49.
-
[41]
Hugues Jallon, conversation avec l’auteur, juillet 2013.
-
[42]
Hugues Jallon, Le Début de quelque chose, op. cit., p. 25.
-
[43]
Bruce Bégout, Zéropolis, Paris, Allia, 2002.
-
[44]
Id., Le ParK, Paris, Allia, 2010, p. 11.
-
[45]
Ibid., p. 147.
-
[46]
Ibid., p. 31.
-
[47]
Ibid., p. 32.
-
[48]
J.-G. Ballard, La Foire aux atrocités [The Atrocity Exhibition, 1969 et 1990], trad. de l’anglais par François Rivière, Paris, Champ libre, 1976.
-
[49]
Bruce Bégout, Le ParK, op. cit., p. 105.
-
[50]
Ibid., p. 23.
-
[51]
Ibid., p. 45.
-
[52]
Ibid., p. 61.
-
[53]
Ibid., p. 119.
-
[54]
Mark von Schlegell, New Dystopia, Berlin, Sternberg Press, 2011.
-
[55]
Didier Daeninckx, Cannibale [1998], Paris, Gallimard « Folio », 1999.
-
[56]
Zoos humains: de la Vénus hottentote aux reality show, dir. par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch et al., Paris, La Découverte, « Textes à l’appui », 2002. Sur le sujet, voir aussi l’exposition du Musée du quai Branly (nov. 2011-juin 2012), et son catalogue : Exhibitions: l’invention du sauvage, dir. par Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch et Nanette Jacomijn Snoep, Arles, Actes Sud ; Paris, Musée du quai Branly, 2011.
-
[57]
Didier Daeninckx, Cannibale, op. cit., p. 21.
-
[58]
Dominique Viart, in Dominique Viart et Bruno Vercier, La Littérature française au présent, [2005], Paris, Bordas, 2008, p. 260.
-
[59]
Jean-Patrick Manchette, L’Affaire N’Gustro, Paris, Gallimard, « Série noire », 1971.
-
[60]
Cité in La Littérature française au présent, op. cit., p. 366.
-
[61]
Didier Daeninckx, Cannibale, op. cit., p. 21-22.
-
[62]
Dominique Gonzalez-Foerster, texte et images publiés dans le catalogue de Pierre Huyghe, Celebration Park, Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 2006, p. 116.
-
[63]
Bruce Bégout, Zéropolis, op. cit., p. 69-70.
-
[64]
Cyprien Gaillard, Geographical Analogies, Zürich, JRP-Ringier, 2010.
1 Allégorie du monde, miroir de la ville, concentré de la société du spectacle, le parc d’attractions n’attire pas seulement les foules, il hante également divers champs de la création contemporaine. On sait comment il intéresse et fascine les architectes : dans le texte Learning from Las Vegas, fondateur d’une conception postmoderne de l’architecture, Robert Venturi et Denise Scott-Brown ont marqué la connivence forte entre la cité de l’entertainment et les mondes enchantés de Disney ; tandis que l’architecte Rem Koolhaas développe dans son essai-manifeste New York Delirium une analogie forte entre Coney Island et New York. En 2012 au Centre Pompidou, l’imposante exposition Dreamlands proposa de voir dans les expositions universelles du xix e siècle le modèle des futurs parcs d’attractions [1], eux-mêmes devenus l’horizon des nouvelles mégalopoles de type Las Vegas ou Dubaï, ainsi commentée par l’anthropologue américain Mike Davis :
Cité des mille et une villes, Dubaï déploie vers le firmament une architecture gonflée aux stéroïdes. Chimère fantasmagorique plus que simple patchwork, elle incarne l’accouplement monstrueux de tous les rêves délirants des Barnum, Gustave Eiffel, Walt Disney, Steven Spielberg [2]…
Espèce d’espace d’exposition
3Le parc d’attractions traverse également les expositions d’art contemporain. La raison tient sans doute au développement actuel des musées, avec leurs extensions commerciales, leur politique d’expositions-blockbuster et leurs records de fréquentation : assimilation entre les lieux culturels et ceux du spectacle. Les musées sont devenus eux aussi des amusement parks – et d’ailleurs la récente rétrospective de Jeff Koons au Centre Pompidou [3], avec ses longues travées sur fonds d’images publicitaires, de sculptures folkloriques, d’un Michael Jackson en céramique ou d’un Hulk polychrome, offrait au visiteur la sensation d’un concentré d’Amérique, de Las Vegas à Disneyworld, d’un road-movie en Pennsylvanie d’où est originaire l’artiste et où son père tenait un magasin d’antiquités.
4 Mais l’analogie trouve aussi un autre fondement : si Pierre Huyghe intitule Celebration Park son exposition rétrospective au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris [4], si Elaine Sturtevant transforme la traditionnelle visite au musée en un train fantôme [5], c’est que le parc leur apparaît comme un format possible de l’exposition, dont l’origine se situe dans les expositions universelles, mais également dans d’autres espaces de divertissement : jardins renaissants ou classiques, parcs de ruines, sans oublier les cimetières, « sorte de parcs à thèmes funèbres et silencieux, note de son côté l’artiste Arnaud Labelle-Rojoux, peuplés d’anges et de pleureuses de pierre » [6].
5 Autre exemple très emblématique : sous le titre Park : plan d’évasion, l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster avait aménagé dans Kassel un jardin utopique lors de la Documenta X de 1997, rassemblant dans un même lieu divers éléments empruntés au réel : une cabine téléphonique venue de Rio de Janeiro, un rocher pris sur la plage de Copacabana, un bout de jardin zen japonais avec son alignement de cailloux et son petit banc de pierre, une chaise venue de Chandigarh, la ville planifiée et construite par Le Corbusier en Inde, etc. En organisant la co-présence de réalités prises d’un bout à l’autre du globe, Dominique Gonzalez-Foerster forme ce qu’on pourrait appeler un « jardin suspendu du présent », locus amoenus pacifié de la mondialisation, cette « hétéro-géographie » manifestant le caractère hétérotopique des parcs d’attractions. Mais nous verrons comment la littérature contemporaine s’emploie majoritairement à détourner l’utopie divertissante du parc d’attractions en une dystopie apocalyptique.
Périégèse du parc
Une seule œuvre, une promenade, pas une exposition. Claude Rutault [7]
7Plus profondément encore, il se joue entre le parc d’attractions et l’espace d’exposition une structure commune : la déambulation narrative. Périégèse et diégèse. À côté de la juxtaposition spatiale des œuvres, de la parataxe, la déambulation est un autre trait fondamental de l’exposition. « Parcours thématiques » ou chronologiques, cheminements plus ou moins dirigés du spectateur, signalétique au sol pour gérer le flux du public : la manifestation est structurée en partie autour de ce fait déambulatoire. On se souvient des noms de rues saugrenus donnés par Breton et son groupe à l’Exposition Internationale du Surréaliste organisée en 1938 à la Galerie des Beaux-Arts de Paris ; tandis que Le Corbusier proposait de diviser le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en trois cheminements différents, selon qu’on soit touriste, simple amateur, ou véritablement spécialiste de l’art.
8 La déambulation permet de transformer l’exposition en récit. Là encore, même la plus « objective », et peut-être surtout la plus historienne et rétrospective des monstrations, est susceptible de s’agencer comme un récit, déroulant de salle en salle la carrière d’un artiste ou un chapitre de l’histoire de l’art – voire comme un contre-récit, quand il s’agit de réévaluer tel mouvement artistique, ou de réintroduire par exemple une vision plus féministe dans la grande Histoire de l’art.
9 Ce caractère périégétique de l’exposition se retrouve dans les comptes rendus critiques, qui multiplient les écritures déambulatoires. Comme l’explique une spécialiste de la rhétorique antique, « la périégèse est d’abord, à partir de l’époque hellénistique, une visite guidée sous la houlette d’un cicérone, promenade commentée à travers les curiosités d’un site ; mais quand l’accent est mis sur l’activité d’énonciation, le parcours se fait pur discours, la périégèse devient livre » [8]. Depuis l’ekphrasis, c’est là une longue tradition de la littérature sur l’art : « en rev’nant de l’expo » [9], le commentaire se fait volontiers périégétique. Promenades au musée, visite guidée du Louvre par la noce dans L’Assommoir de Zola, récits voire rêves d’exposition… Les « promenades », c’est encore le terme générique que l’artiste Claude Rutault donne à certaines de ses fictions semi-théoriques et déambulatoires, textes très écrits par lesquels il revisite son travail, allant jusqu’à imaginer une visite de nuit de ses tableaux :
faire le tour de l’exposition la nuit c’est revenir d’où l’on n’est jamais parti. entrées et sorties multiples et indifférentes. pas de comptes à rendre, se promener la nuit en aveugle dans l’appartement, sans bruit pour ne réveiller personne. savoir que les toiles sont là, les effleurant à peine. s’arrêter juste avant de les heurter, sans besoin de vérifier. […] plus de distinction entre spectateur et acteur. la peinture, toiles brutes, n’attendent que la nuit [10].
11 Souvenons-nous encore que la description périégétique de l’art abonde dans les romans baroques et les poèmes épiques du milieu du xvii e siècle, qu’il s’agisse de décrire les grandes galeries de tableaux ou de suivre un personnage parmi les pièces nombreuses et successives d’un majestueux palais dans Ibrahim ou l’Illustre Bassa [11] – la juxtaposition de ces descriptions constitue finalement un récit. À la Renaissance, Le Songe de Poliphile [12] de Colonna offrait au lecteur un récit d’initiation et une promenade architecturale à travers un paysage de ruines dans un jardin jonché de signes et de bas-reliefs. C’est encore la forme que prendra le recueil du père jésuite Louis Richeome, La Peinture spirituelle [13], que Frank Lestringant s’amuse à désigner en des termes contemporains comme « une exposition in situ de tableaux et de statues réels ou imaginaires ». La fiction structurante est une visite guidée de la maison de Probation des Pères à Rome, « dont les salles, le cloître et les jardins se peuplent de peintures vivantes, de statues animées qui s’éveillent au fil de l’itinéraire. […] Au pas de promenade, on parcourt successivement l’église de Saint-André, le réfectoire des moines, la salle de récréation, les appartements et les jardins du couvent, où s’achève l’initiation » [14]. Aussi anachroniques soient-elles, ces références à la littérature du xvii e siècle ne sont pas sans fondement: on se rappellera à cet égard qu’en s’intéressant aux structures spatiales de l’utopie, le philosophe Louis Marin poursuivit sa réflexion jusqu’à voir dans les mondes de Disneyland une « utopie dégénérée » [15]. Et c’est sans nul doute cette dégénérescence utopique que la littérature contemporaine explore en grande part en s’invitant dans la grande industrie du divertissement.
La littérature au parc
12De la diégèse de l’exposition au récit périégétique de la promenade, passons enfin à la façon dont la littérature subit elle aussi l’attraction du parc d’attractions. Le fait n’est pas si nouveau: les écrivains n’ont pas manqué de fréquenter telle « fête foraine de cauchemar » [16] ou de hanter les baraques de figures de cire des Champs-Élysées, héritiers bâtards des cabinets de curiosités et que visite un court récit de Champfleury [17]. Si Louis Aragon consacre la première partie des Voyageurs de l’impériale [18] à la visite de l’exposition universelle de 1898, Raymond Queneau raconte dans Pierrot mon ami, paru en 1942 [19], les aventures d’un jeune garçon employé à l’Uni-Park, l’ancienne fête foraine de la porte Maillot avec son « Alpinic Railway » et son « Palace de la Rigolade ». Entre autres nombreux exemples [20].
13 Dans la production contemporaine, s’il est un texte qui assure pleinement le lien entre le musée et le parc d’attractions, c’est le bain de vice (décors et actes) imaginé par l’écrivain-photographe Hervé Guibert dans son « photo-texte » [21] intitulé Vice, paru en 1991. Tandis que les photographies datent de 1978 et consistent en des vues d’exposition (objets ou mannequins exposés, vitrines, réserves…) prises au Musée Grévin, à Florence, au Musée de l’Homme ou au musée de l’École vétérinaire, la rédaction du texte remonte à la fin des années soixante-dix et s’organise dans sa deuxième partie en un « Parcours » [22] de lieux: muséographiques (la galerie de zoologie, le musée de l’École de médecine, le cabinet d’un taxidermiste), sensuels (le hammam); mortifères (le cimetière d’enfants, le cimetière des Capucins) ou purs lieux de divertissement (le Palais des Mirages, le palais des monstres désirables). Le tout s’apparente à une exposition universelle du désir dont on peut citer le « Règlement » :
La ville, l’État devront désormais ménager un certain nombre de lieux vacants, dans le seul but de petites actions vicieuses, libertines, proprement luxueuses dans les pertes de temps qu’elles occasionneront aux citoyens.
Des accessoires, des décors seraient plantés au détour de certaines rues, dans les terrains vagues, des maisons en démolition, des théâtres faussement abandonnés, secrètement entretenus. De fausses nuits succéderaient à de fausses canicules, des exotismes temporels, et de latitudes diverses, créant dans la ville tout un parcours ludique, excessivement mobile. D’autres lieux montés de toutes pièces disparaîtraient sitôt le vice consommé: ce seraient comme des pièges tendus, mais des pièges à plaisir […]. Le vice deviendrait un service public gratuit. L’État organiserait des concours qui récompenseraient les créateurs d’architecture et de machines vicieuses inédites [23].
15 Après une première partie vouée à la description méticuleuse d’objets liés au corps (le martinet, le coton-tige, la minerve, etc.), le « Parcours » s’effectue en une série de visites dans des lieux troubles et troublants qui plongent le lecteur dans l’opacité et les ambivalences de la sexualité, à l’image du Musée du vice logé par la police dans une boîte à double fond:
Maintenant le bruit mat des boots de cuir noir pointues qui se répercute sur le carrelage, derrière le mur, à l’infini, est celui d’une petite femme au visage de momie, qui s’est entièrement bandé les seins et a replié ses longs cheveux noirs sous une casquette, pour tromper le gardien, quant à son sexe, et pénétrer dans la crypte des hommes dévoyés [24].
17 Avec Hervé Guibert, l’« attraction » [25] s’approfondit, s’intensifie, s’érotise, en même temps que l’auteur imagine un parcours libidinal qui contrevient très évidemment, dans une logique toute sadienne, aux bonnes mœurs et au puritanisme des parcs d’attractions modernes. Mais chez Guibert en somme, le parc d’attractions est ici maintenu dans sa capacité utopique : il est le lieu et l’objet d’un désir qui échappe aux normes sociales.
18 Dans la littérature contemporaine, cette « attraction du parc » se manifeste notamment à travers des textes qui frayent avec la sociologie critique et qui accusent le basculement de l’utopie divertissante dans la dystopie. Outre un retour de Dubaï effectué par François Cusset [26] ou la visite d’un ethnologue – Marc Augé – à Euro Disneyland [27], mentionnons d’abord Michel Houellebecq: dans La Carte et le Territoire, le personnage-artiste Jed Martin contemple une France « redevenue une destination privilégiée du tourisme sexuel » [28] et transformée, suite aux crises économiques, en un parc d’attractions, au croisement du musée, du tourisme et du supermarché:
N’ayant guère à vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes – ce qu’on appelle un art de vivre –, la France avait résisté sans difficultés à ces aléas […] ; on assistait ainsi à un retour de plus en plus net des recettes, des danses, et même des costumes régionaux [29].
20 Il faut dire que dans sa critique du libéralisme et de la mondialisation décadente, l’œuvre de Michel Houellebecq croise bien des îles dystopiques aux attractions douteuses: club naturiste du cap d’Agde dans Les Particules élémentaires, avec « son ambiance sexuelle social-démocrate » [30] ; chaîne de villages de vacances en Thaïlande, Eldorador Aphrodite, où l’on s’adonne au tourisme sexuel (Plateforme [31]); et dans La Possibilité d’une île la secte élohimite dirigée par une autre figure d’artiste, Vincent. Son ultime machine, créée dans un hangar et qui succède aux fresques calamiteuses de l’ancien gourou s’apparente à une « installation » d’art contemporain immersive:
Dès que j’eus ouvert la porte hermétique, blindée qui menait à l’intérieur, je fus ébloui par une lumière aveuglante, et pendant trente secondes je ne distinguai rien […]. Progressivement mon regard s’accoutuma, je reconnus des formes et des contours ; […] la luminosité de l’ensemble était encore accrue, il avait vraiment travaillé dans le blanc sur blanc, et il n’y avait plus du tout de musique, juste quelques frémissements légers, comme des vibrations atmosphériques incertaines. J’avais l’impression de me mouvoir à l’intérieur d’un espace laiteux […] [32].
22 Qu’il s’agisse d’un musée touristique de la France, des fresques du gourou ou d’une installation d’art contemporain pour l’établissement de la secte, les formes de la culture participent à l’économie générale d’un monde devenu centre de loisirs.
23 Dans La Carte et le Territoire, la transformation de la France en gigantesque musée du bien-être culturel et rustique pour touristes étrangers est en somme un point d’aboutissement logique et consenti, entraperçu par les séries d’œuvres de l’artiste Jed Martin, reproductions photographiques agrandies des cartes Michelin qui font l’objet d’une exposition à succès. Ainsi que l’analyse Dominique Rabaté, le terroir (auquel la France du xxi e siècle va se résumer d’après les thèses explicites du roman) est indissociable de sa médiation touristique et technique. Michelin emblématise (en sponsorisant évidemment l’exposition) cette double mutation du capitalisme post-industriel: le Guide Michelin offre ce qu’il faut voir, savoir et goûter d’une France provincialisée et muséifiée, et les anciennes cartes, remises à la mode par Jed Martin, se vendent au prix de collectors [33]. Comme à Las Vegas ou Disneyland, on trouve dans ce réaménagement du territoire une savante combinaison d’éléments hétéroclites permettant la fusion du dépaysement et du confort, du divertissement et de la consommation: « Cette juxtaposition d’éléments vieille France ou terroir et d’équipements hédonistes contemporains produisait parfois un effet étrange, presque celui d’une faute de goût; mais c’était peut-être ce mélange improbable, se dit Jed, que recherchait la clientèle de la chaîne, ou du moins son cœur de cible » [34]. Cette mutation n’est pas limitable à l’hexagone: visitant la Ruhr, l’artiste a vu « comment la plupart des anciennes usines sidérurgiques avaient été transformées en lieux d’expositions, de spectacles, de concerts, en même temps que les autorités locales tentaient de mettre sur pied un tourisme industriel, fondé sur la reconstitution du mode de vie ouvrier au début du xx e siècle » [35]. D’une exposition à l’autre, des cartes Michelin photographiées par le visionnaire Jed Martin au parc d’attractions touristique, seule change l’échelle: on passe d’une micro-vision « terroir » du territoire à sa mise en œuvre effective à l’échelle européenne. Et de l’exposition d’art, à l’exposition universelle.
24 Autre texte, et autrement critique, Le Début de quelque chose est un récit d’Hugues Jallon qui transforme l’utopie touristique du village de vacances, variante touristique du parc d’attractions, en un lieu mortifère. Une fois les touristes arrivés dans leur « complexe hôtelier vaguement méditerranéen » [36], le charme premier du lieu dévoile bientôt sa facticité clinique ; paradis artificiel pour des Européens « au bout du rouleau », qui viennent ici se « [v]ider la tête » [37] comme on va à l’hôpital, l’endroit est fait pour traiter les névroses de l’homme occidental :
C’est une bulle, un refuge. Tout est fait pour qu’on ne s’occupe de rien.
Les jours s’écoulent. Nous emmagasinons. […]
Il n’y a pas de livres, pas de journaux, pas de magazines, rien à l’exception de ceux que nous avons emportés avec nous. Les premiers jours, nous nous les échangeons, mais ils finissent empilés dans un coin, leurs pages gondolées, cornées, déchirées, jaunies par l’eau et le soleil.
La forme des nuages, les couleurs, les reliefs du sable, c’est fou comme on s’arrête aux petites choses.
Ici les jours passent, sans histoire [38].
26 Mais progressivement, ou insidieusement, tandis que parviennent les échos d’une guerre civile au dehors, le désordre s’installe, la nourriture manque, des enfants disparaissent et le village prend alors les allures d’un camp de réfugiés, d’un espace concentrationnaire, laissé à l’abandon :
27 Des blessés?
Un tunnel s’est effondré dit-on, mais sans détail, combien étaient bloqués à l’intérieur avec leurs affaires, entrant, sortant, tous coincés à se débattre, suffoquant dans le noir, sans pouvoir reculer.
29 Et à l’intérieur, des solutions d’hébergement?
N’y pensez pas [39].
31 La trame narrative apparemment linéaire du récit, sa dérive catastrophiste peuvent être discutées: ainsi pour Yves Citton, « Le Début de quelque chose ne nous raconte pas l’“histoire” d’un camp de vacances qui “se transformerait” en camp d’internement: il analyse la superposition des deux », c’est-à-dire « l’agencement » [40] de ces deux dynamiques – ou comment ce qui vise à notre bien-être maximisé produit dans le même temps une infélicité anxiogène.
32 Par-delà le sujet de ce récit, écrit comme par tropismes sarrautiens – Hugues Jallon se réappropriant un procédé littéraire venu des avant-gardes littéraires à des fins de critique sociale et politique –, le dispositif d’énonciation ne doit pas manquer de nous intéresser: « Ça ne parle pas d’art, commente Hugues Jallon lui-même, mais c’est une exposition, ou du moins une visite » [41]. En effet: une voix indéterminée décrit ou raconte à une autre voix l’arrivée des estivants, leur circulation, leurs activités de loisir. Les deux voix observent, décrivent, écoutent (espionnent) les vacanciers, sans qu’on sache à quel titre a lieu cette observation (clients potentiels, promoteurs touristiques, gérants du site, responsables de « l’agence » de voyage ou militaires ?), ni même si celle-ci se fait de manière directe ou par écrans de surveillance interposés :
Et?
Rien, regardez, ils traînent.
Les voilà, je les vois, ils restent groupés, ils piétinent dans le hall, les semelles crissent sur le sol, de grande dalles claires et luisantes parcourues de veines roses [42].
34 Avec ce dispositif d’énonciation – sans narrateur stable ni personnage principal –, il s’agit précisément d’exposer le dispositif, de « faire parler » les dispositifs qui nous enserrent, nous agencent.
35 Autre texte, autre ParK: dans son premier roman, après la visite analytique de Las Vegas dans Zéropolis [43], l’essayiste Bruce Bégout imagine un site, une île privée au large de Bornéo qui combinerait toutes les formes existantes de parc:
Le ParK est un parc. Mais pas un parc comme les autres. Il existe toutes sortes de parcs, pour les plantes, les animaux, les hommes, les entreprises, les véhicules, et même pour les appareils hors service, des parcs de loisirs, de détention, de stationnement, de protection. Le ParK est tout cela, et plus encore. Sa majuscule signale sa singularité absolue. Ce lieu exprime en quelque sorte l’essence universelle des parcs réels et possibles. C’est le parc de tous les parcs […] [44].
37 Fiction critique, Le Park rassemble toutes les manières, ludiques ou terrifiantes, de parquer les êtres humains: là, un camp de réfugiés, des zoos humains (tels ceux de l’Exposition coloniale de 1931), les centres d’accueil de réfugiés se confondent avec les manèges des foires, une réserve animale et autres activités ludiques offertes par une base de loisir. Enfer et Paradis inextricablement mêlés. Ou encore, au comble de l’oxymore: un casino Las Vegas et un camp d’extermination nazi, « Disneyland et Treblinka » [45]. Loin d’être séparés ou contigus, ces espaces se combinent entièrement, mélangent populations et bâtiments, confondent leurs fonctions de protection, d’entertainment ou d’isolement. D’où « de curieux téléscopages » [46] :
Le train fantôme achève son parcours tumultueux sur les quais froids et brumeux d’une gare sibérienne où l’attendent des soldats au regard méchant, qui tiennent en laisse des chiens-loups piaffant d’impatience sanguinaire [47].
39 C’est là encore une autre Foire aux atrocités [48], le livre de J.-G. Ballard apparaissant comme un archi-texte majeur, dont la structure est largement modélisée sur le parc d’attractions. Dans le « dispositif claustrophilique » [49] imaginé par Bruce Bégout, impossible de faire la part des spectateurs et des acteurs: gardiens tortionnaires ou bagnards suant, enfants estropiés ou hôtesses sexy et déportés politiques, tous forment d’ailleurs en fin de journée la traditionnelle parade, monstrueuse, dans la Grand Rue du ParK. On est là dans une version hyperbolique de la société du spectacle.
40 Très logiquement, le parc d’attractions contient des espaces d’exposition: le Pavillon des visionnaires est un musée promotionnel et se consacre aux grandes figures historiques du parcage (où l’on croise Heinrich Himmler et Walt Disney), évoquées via « des images, des séquences vidéo, des documents sonores, des installations, des animations, tout un ensemble d’archives dépoussiérées » [50]. Notons encore un « Micromusée qui n’a qu’une salle, qu’une œuvre et qu’un visiteur par jour » [51], tandis que le mystérieux créateur du Park, nommé Licht, invente dans sa tour d’ivoire une chambre des prodiges, une Wunderkammer – terme allemand désignant les cabinets de curiosités du xvii e siècle –, installation ou « neuro-architecture » [52] qui donne forme et visibilité aux sécrétions neurophysiologiques du corps. Y découvrant la sculpture de sa propre tumeur cérébrale, Licht s’interroge: « Que dois-je faire de ce salon des horreurs? » [53].
41 Ces textes, auxquels on peut ajouter La Foire aux atrocités de J.-G. Ballard et le roman d’exposition New Dystopia [54] de Mark von Schlegell écrit parallèlement à l’exposition Dystopia du Capc de Bordeaux (2011), ont en commun d’être des fictions dystopiques du parc d’attractions, selon là encore une longue tradition contre-utopique des récits insulaires. Du désenchantement douceâtre à l’apocalypse infernale, la dystopie se manifeste ici via une tendance globale vers le récit d’anticipation.
42 Mais d’autres fictions critiques s’emploient au contraire à revisiter une histoire antérieure de l’exposition et du parc d’attractions. C’est notamment le cas du court roman de Didier Daeninckx, Cannibale [55]. Paru en 1998, ce roman d’évasion met en exergue la présence d’un village kanak offert au regard des spectateurs à Vincennes lors de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris. Dans ces exhibitions anthropozoologiques, des individus exotiques mêlés à des bêtes sauvages étaient mis en scène derrière des grilles ou des enclos. On parle aujourd’hui de « zoos humains », terme popularisé par plusieurs historiens français spécialistes du phénomène colonial [56]. Proche d’un travail d’historien mais passant par la fiction, Didier Daeninckx explore ici un symbole oublié de l’époque coloniale, totalement refoulé de notre mémoire collective :
[…] on nous a parqués derrière des grilles, dans un village kanak reconstitué au milieu du zoo de Vincennes, entre la fosse aux lions et le marigot des crocodiles. Leurs cris, leurs bruits nous terrifiaient. […] Au cours des jours qui ont suivi, des hommes sont venus nous dresser, comme si nous étions des animaux sauvages. Il fallait faire du feu dans des huttes mal conçues […] [57].
44 Fictionnalisation d’un fait historique avéré et longtemps oublié, Cannibale s’inscrit dans la veine d’un « néopolar » français, selon le terme de Jean-Patrick Manchette, où « le roman policier [s’autorise] des incursions dans le domaine politique » [58], à l’image de L’Affaire N’Gustro [59] inspirée par l’assassinat de l’opposant marocain Ben Barka: « Le polar, pour moi, c’est le roman d’intervention sociale très violent » [60], déclarait Manchette.
45 Travail d’historien ou de sociologue autour d’un moment refoulé de l’histoire coloniale et métropolitaine française, Cannibale s’inscrit également dans le genre populaire du récit (et du film) d’évasion. La stratégie d’énonciation adoptée est guidée par des intentions politiques: le récit est pris en charge, non par un responsable ou un spectateur de l’exposition ethnologique, mais par un personnage-narrateur « kanak », terme officialisé par les accords de Nouméa et qui marque l’ancrage profond du passé colonial :
J’étais l’un des seuls à savoir déchiffrer quelques mots que le pasteur m’avait appris, mais je ne comprenais pas la signification du deuxième mot écrit sur la pancarte fichée au milieu de la pelouse, devant notre enclos: « Hommes anthropophages de Nouvelle-Calédonie » [61].
47 Avec sa forte inscription dans la littérature populaire, l’ouvrage de Didier Daeninckx fait remonter à la mémoire un oubli de masse.
Dystopic Park
48Ce retournement de l’utopie en dystopie éclaire en retour d’autres travaux d’artistes contemporains, où le parc d’attractions fait lui-même figure de ruine. Chez l’artiste français Raphaël Zarka, un film montre un skate park abandonné du sud de la France, gagné par les herbes sauvages. Sous le titre générique Forest Park Forest Zoo (2007), l’Américaine Amy O’Neill crée les « répliques » d’un parc d’attractions abandonné de Pennsylvanie. Inspiré d’un conte pour enfants, ce Lunapark est aujourd’hui un site entropique que l’artiste documente par la photographie ou le film, et dont elle reproduit les « attractions » obsolètes par le biais de la sculpture: une cage de zoo, le toit du Barbados sheep, la cage du léopard des neiges, le puits abandonné, la maison-botte, etc. Ces objets et leurs répliques témoignent d’un processus culturel qui voit le folklore nord-américain avalé par la culture mainstream.
49 Devenus eux aussi des amusement parks, les musées et autres lieux de l’art n’échappent pas non plus à cette ruinification: ainsi en 1999 le trio constitué par Dominique Gonzalez-Foerster, Philippe Parreno et Pierre Huyghe avait filmé les Giardini désertés entre deux biennales de Venise : « Dans certains pavillons écrit Dominique Gonzalez-Foerster, il y a des graffitis, des vitres cassés, des ordures, la nature a repris le dessus, une impression de zone abandonnée – ambiance post-atomique entre Stalker et Tchernobyl » [62]. Bruce Bégout évoque de son côté le devenir-musée et le devenir-ruine de Las Vegas dans son essai Zéropolis:
On visitera Las Vegas comme Le Louvre ou la National Gallery, avec le même respect exagéré pour le génie de nos ancêtres. À la différence près que Las Vegas sera son propre musée à ciel ouvert. On s’inclinera sur les vitrines rassemblant les reliques étincelantes que la société du spectacle de la fin du 2e millénaire a laissé choir derrière elle [63].
51 Universel, hétéroclite, et très exactement contemporain de l’apparition du musée, le parc de ruines est au fond la version philosophique et sceptique de l’exposition universelle, davantage positiviste et progressiste. Il est surtout la face mélancolique du parc d’attractions. De cette origine perdue ou impensée, il nous reste une réalité tangible: la maison hantée, branlante et poussiéreuse, ultime survivance du parc de ruines dans les joies fugaces de l’amusement park.
52 La vision des parcs d’attractions en ruine offre le revers mélancolique de la société du spectacle. Un autre artiste, Cyprien Gaillard collectionne lui aussi des réalités variées du monde, à travers une série de photographies polaroïds, Geographical Analogies [64], qu’il épingle dans des boîtes tel un entomologiste du présent: mais il s’agit cette fois de réalités dégradées, accidentées ou vandalisées, du passé comme du présent (temples antiques ou aztèques, murs tagués de banlieues, grillages arrachés, immeubles détruits à Glasgow ou à Meaux, stations de métro désaffectées): il y a là l’idée d’un « parc de ruines », d’une Réunion de monuments qui ne se restreint plus à l’échelle du jardin, mais se déroule simultanément aux quatre coins du monde. Parmi ces clichés apparaissent de nombreux lieux voués au divertissement: théâtres et cinémas désaffectés des shrinking cities américaines, boîtes de nuit vides, amphithéâtre abandonné de La Courneuve, piscine de Tchernobyl, parcs d’attractions de l’ex-Russie communiste, skate park de Fort Miley installé à San Francisco dans un ancien bastion militaire, jusqu’au Superdome d’Atlanta, habituellement voué aux matchs de football mais où se réfugièrent les victimes du cyclone Katrina en 2005… Tous ces sites consacrés au loisir rejoignent le vaste park contemporain de ruines. L’industrie culturelle se trouve ici retournée comme un gant : nous sommes passés du tourisme des ruines à la ruine même du divertissement.
Notes
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[1]
Dreamlands : des parcs d’attractions aux cités du futur, Catalogue d’exposition, dir. par Quentin Bajac et Didier Ottinger, Paris, Centre Pompidou, 2010.
-
[2]
Mike Davis, Le Stade Dubaï du capitalisme [2006], traduit de l’anglais par Hugues Jallon et Marc Saint-Upéry, Paris, Les Prairies ordinaires, « Penser/croiser », 2007, p. 11.
-
[3]
Jeff Koons, Paris, Centre Georges Pompidou, 26 nov. 2014 - 27 avril 2015.
-
[4]
Pierre Huyghe, Celebration Park, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (MAMVP), 2006.
-
[5]
The House of Horrors, installation présentée dans le cadre de l’exposition The Razzle Dazzle of Thinking en 2010 à l’ARC/MAMVP, et intégrée aux collections permanentes du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
-
[6]
Arnaud Labelle-Rojoux, « Merveilles du monde », in Dreamlands, op. cit., p. 293.
-
[7]
Claude Rutault, n°1 bis le môme vers le gris, éd. des Cendres, 2003, p. 1532.
-
[8]
Sandrine Dubel, « Ekphrasis et enargeia: la description antique comme parcours », in Dire l’évidence (philosophie et rhétoriques antiques), dir. par Carlos Lévy et Laurent Pernot, Paris, L’Harmattan, « Cahiers de philosophie de l’Université Paris XII-Val de Marne », 1997, p. 249-264.
-
[9]
Georges Perec, « En rev’nant de l’Expo… », Perec/rinations, Paris, Zulma, 1985, p. 48-50.
-
[10]
Claude Rutault, n°1 bis le môme vers le gris, op. cit., 2003, p. 1599.
-
[11]
Georges de Scudéry, Ibrahim ou l’Illustre Bassa [1643], tragi-comédie, Paris, Société des textes français modernes, 1998.
-
[12]
Francesco Colonna, Le Songe de Poliphile [Hypnerotomachia Poliphili, 1499], adapté de l’italien par Jean Martin [1546], éd. de Gilles Polizzi, Paris, Imprimerie nationale, « La Salamandre », 1994.
-
[13]
Louis Richeome, La Peinture spirituelle, Lyon, Pierre Rigaud, 1611.
-
[14]
Frank Lestringant, « La Promenade au jardin ou la peinture spirituelle du Père Richeome », in Récits/Tableaux, éd. par Jean-Pierre Guillerm, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires de Lille, « UL3 », 1994, p. 82.
-
[15]
Louis Marin, Utopiques: jeux d’espaces, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1973.
-
[16]
Jean Cocteau, « 10 juin – Coney Island – Nous fermons le cercle », Mon premier voyage (Tour du monde en 80 jours) [1936], Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », 2009, p. 238.
-
[17]
Champfleury, L’Homme aux figures de cire, préface de Patrick Mauriès, Paris, Le Promeneur, « Le Cabinet des lettres », 2004.
-
[18]
Louis Aragon, Les Voyageurs de l’impériale, Paris, Gallimard, 1942.
-
[19]
Raymond Queneau, Pierrot mon ami, Paris, Gallimard.
-
[20]
Cf. Sophie Basch, « “Le Grand Entrepôt dramatique” ou les écrivains à la Foire », in Dreamlands, op. cit., p. 211-216.
-
[21]
Hervé Guibert, Vice [1991], Paris, Gallimard, « L’Arbalète », 2013, p. 11.
-
[22]
Ibid., p. 49.
-
[23]
Ibid., p. 51-52.
-
[24]
Ibid., p. 95.
-
[25]
Le terme est employé dans un sens explicitement forain et festif: « Le Palais des Mirages est une attraction où l’on emmène les enfants, le mercredi après-midi… » (ibid., p. 65).
-
[26]
François Cusset, « Questions pour un retour de Dubaï », postface à Mike Davis, Le Stade Dubaï du capitalisme, op. cit., p. 49-88.
-
[27]
Marc Augé, « Un ethnologue à Euro Disneyland », Le Monde diplomatique, août 1992.
-
[28]
Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Paris, Flammarion, 2010, p. 415.
-
[29]
Ibid., p. 415-417.
-
[30]
Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, Paris, Flammarion, 1998, p. 217.
-
[31]
Id., Plateforme, Paris, Flammarion, 2001.
-
[32]
Id., La Possibilité d’une île, Paris, Fayard, 2005, p. 410-411.
-
[33]
Dominique Rabaté, « L’Écrivain mis à mort par ses personnages mêmes », in Fins de la littérature, t. II, Historicité de la littérature contemporaine, dir. par Dominique Viart et Laurent Demanze, Paris, Armand Colin, « Recherches », 2012, p. 226.
-
[34]
Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, op. cit., p. 101.
-
[35]
Ibid., p. 427.
-
[36]
Hugues Jallon, Le Début de quelque chose, Paris, Verticales, 2011, p. 19. Le texte a fait l’objet d’une adaptation théâtrale par Myriam Marzouki, créée à l’occasion du programme officiel du Festival d’Avignon, en juillet 2013.
-
[37]
Ibid., p. 62.
-
[38]
Ibid., p. 40-41.
-
[39]
Ibid., p. 123-124.
-
[40]
Yves Citton, « La Fin de l’hégémonie et le début de quelque chose », in Fins de la littérature, t. II, Historicité de la littérature contemporaine, op. cit., p. 49.
-
[41]
Hugues Jallon, conversation avec l’auteur, juillet 2013.
-
[42]
Hugues Jallon, Le Début de quelque chose, op. cit., p. 25.
-
[43]
Bruce Bégout, Zéropolis, Paris, Allia, 2002.
-
[44]
Id., Le ParK, Paris, Allia, 2010, p. 11.
-
[45]
Ibid., p. 147.
-
[46]
Ibid., p. 31.
-
[47]
Ibid., p. 32.
-
[48]
J.-G. Ballard, La Foire aux atrocités [The Atrocity Exhibition, 1969 et 1990], trad. de l’anglais par François Rivière, Paris, Champ libre, 1976.
-
[49]
Bruce Bégout, Le ParK, op. cit., p. 105.
-
[50]
Ibid., p. 23.
-
[51]
Ibid., p. 45.
-
[52]
Ibid., p. 61.
-
[53]
Ibid., p. 119.
-
[54]
Mark von Schlegell, New Dystopia, Berlin, Sternberg Press, 2011.
-
[55]
Didier Daeninckx, Cannibale [1998], Paris, Gallimard « Folio », 1999.
-
[56]
Zoos humains: de la Vénus hottentote aux reality show, dir. par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch et al., Paris, La Découverte, « Textes à l’appui », 2002. Sur le sujet, voir aussi l’exposition du Musée du quai Branly (nov. 2011-juin 2012), et son catalogue : Exhibitions: l’invention du sauvage, dir. par Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch et Nanette Jacomijn Snoep, Arles, Actes Sud ; Paris, Musée du quai Branly, 2011.
-
[57]
Didier Daeninckx, Cannibale, op. cit., p. 21.
-
[58]
Dominique Viart, in Dominique Viart et Bruno Vercier, La Littérature française au présent, [2005], Paris, Bordas, 2008, p. 260.
-
[59]
Jean-Patrick Manchette, L’Affaire N’Gustro, Paris, Gallimard, « Série noire », 1971.
-
[60]
Cité in La Littérature française au présent, op. cit., p. 366.
-
[61]
Didier Daeninckx, Cannibale, op. cit., p. 21-22.
-
[62]
Dominique Gonzalez-Foerster, texte et images publiés dans le catalogue de Pierre Huyghe, Celebration Park, Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 2006, p. 116.
-
[63]
Bruce Bégout, Zéropolis, op. cit., p. 69-70.
-
[64]
Cyprien Gaillard, Geographical Analogies, Zürich, JRP-Ringier, 2010.