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Article de revue

L’Image fantôme ou l’écriture au miroir du cliché

Pages 21 à 40

Notes

  • [1]
    Cette collaboration au service culturel du journal Le Monde comme critique de photographie et de cinéma se prolongea jusqu’en 1985.
  • [2]
    Hervé Guibert, L’Image fantôme, Paris, Minuit, 1981 (désormais abrégé en IF, intégré au corps du texte et suivi du numéro de page).
  • [3]
    Id., Le Mausolée des amants : journal (1976-1991), Paris, Gallimard, 2001 (désormais abrégé en MA, intégré au corps du texte et suivi du numéro de page).
  • [4]
    Charles Baudelaire, « Le Poème du hachisch », Les Paradis artificiels, Œuvres complètes (désormais abrégé en OC), t. I, éd. par Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 429-430.
  • [5]
    Transcription d’un entretien radiophonique consacré à la publication de L’Image fantôme, le 1er oct. 1981, rediffusé sur France Culture, en déc. 2005, à l’occasion du 50e anniversaire d’Hervé Guibert.
  • [6]
    Sur cette redéfinition des enjeux de l’autobiographie et de l’autofiction, voir Philippe Gasparini, Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Seuil, 2004.
  • [7]
    On citera notamment Susan Sontag, Sur la photographie (1979), trad. de l’anglais en collaboration avec l’auteur (Paris, Bourgois, 1993), Roland Barthes, La Chambre claire (Paris, Seuil, 1980) et Serge Tisseron, Le Mystère de la chambre claire (Paris, Les Belles Lettres, 1996). Ces trois ouvrages insistent tous sur un imaginaire érotique fortement lié à la pratique photographique, imaginaire proche de celui que l’on retrouve dans le texte de Guibert. 
  • [8]
    Bruno Blanckeman, « Nouvelle et Autofiction : le cas Guibert », paru en 2001 dans La Nouvelle aux frontières des autres genres : du Moyen Âge à nos jours, éd. par Vincent Engel et Michel Guissard, t. II, Bruxelles, Academia Bruylant, Bruxelles, disponible sur URL : http://www.herveguibert.net/#!nouvelle-et-autofiction/c13vb, consulté le 28 mai 2015.
  • [9]
    Susan Sontag, « Dans la caverne de Platon », Sur la photographie, op. cit., p. 28.
  • [10]
    Guibert utilise cette image dans Le Mausolée des amants pour désigner l’activité du photographe : « Mais là les deux garçons me sourient, je leur souris, et il me semble qu’à travers cet échange de sourires, et aussi le fait que je prenne la peine de les voir (et de “dépenser” quelque chose pour eux-mêmes si rien probablement ne doit leur en revenir), il se passe un vrai rapport… » (MA, p. 77).
  • [11]
    Il s’agit du deuxième texte du recueil, « L’Image fantôme », mais premier récit en fait si l’on considère que le premier texte fait fonction de préambule nouant un pacte avec le lecteur.
  • [12]
    Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », Journaux intimes, OC, t. I, op. cit., p. 676-708.
  • [13]
    Roland Barthes, La Chambre claire [1980], Œuvres complètes (désormais abrégé en OC), t. V, éd. par Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, p. 865.
  • [14]
    La scène fondatrice du genre se retrouve au tout début des Confessions de Rousseau : dans une prosopopée fantasmatique, Rousseau s’imagine depuis la mort présentant son livre à Dieu et aux autres hommes au moment du jugement dernier.
  • [15]
    Bruno Blanckeman, « Nouvelle et Autofiction : le cas Guibert », art. cit.
  • [16]
    Dominique Maingueneau, Le Contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993. Il propose la définition suivante de la paratopie : « L’appartenance au champ littéraire n’est donc pas l’absence de tout lieu, mais plutôt une difficile négociation entre le lieu et le non-lieu, une localisation parasitaire, qui vit de l’impossibilité même de se stabiliser. Cette localité paradoxale, nous la nommerons paratopie » (p. 28).
  • [17]
    Dans son journal Le Mausolée des amants, Guibert reprend sur un mode quasi fantasmatique cette idée d’une ontologie du moi révélée par la photographie à travers le motif déjà rencontré dans L’Image fantôme des lunettes déshabilleuses : « [...] comme si je le sondais, c’est une seconde de vérité ou de mensonge qui va se produire, mais quelque chose va apparaître, quelque chose va se révéler, quelque chose va se trahir. Je veux savoir quelque chose de plus, je vais l’emprisonner, et il sera comme une preuve. Le secret de l’autre sera mon secret. Et ce visage qui me fixe peut bien se décomposer : il est déjà mort » (p. 91).
  • [18]
    Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », Journaux intimes, OC, t. I, op. cit., p. 676.
  • [19]
    L’invention de Morel fait référence à une nouvelle de l’écrivain Bioy-Casarès et à laquelle Guibert fait allusion dans L’Image fantôme.
  • [20]
    On reconnaît les thèses développées par Sartre dans L’Imaginaire (Paris, Gallimard, 1946) et à qui Barthes rendit hommage en lui dédiant son essai sur la photographie La Chambre claire.
  • [21]
    La formule est empruntée au romancier et essayiste Milan Kundera (L’Art du roman : essai, Paris, Gallimard, 1986, p. 51).
  • [22]
    Voir Roland Barthes, La Chambre claire, op. cit., p. 856.
  • [23]
    Guibert rencontra Barthes en 1977 après avoir déposé dans la boite aux lettres de celui qui était alors un éminent professeur au Collège de France, un exemplaire de son premier livre, La Mort propagande. Les deux hommes entretinrent ensuite une correspondance. Guibert avait souhaité prendre une photo de la mère de Barthes, l’ironie du sort en ayant décidé autrement puisque Barthes ne reçut la demande de Guibert que très peu de temps après la mort de sa mère.
  • [24]
    L’hommage chez Guibert n’est nullement incompatible avec la recherche d’une voie propre. Si l’on peut penser à juste titre que Guibert fut marqué par La Chambre claire, il s’est aussi singularisé dans la mesure où il extrait des photographies moins une mélancolie du passé qu’une mélancolie et un désir d’écriture à venir. Guibert nous semble vouloir en effet dépasser l’idée barthésienne selon laquelle la photographie serait sans avenir, que « c’est là son pathétique, sa mélancolie » (Barthes, op. cit., p. 861).
  • [25]
    Bruno Blanckeman, « Nouvelle et Autofiction : le cas Guibert », art. cit.
  • [26]
    Michel Charles, Rhétorique de la lecture, Paris, Seuil, 1977.
  • [27]
    Julien Gracq, Lettrines, Paris, José Corti, 1967, p. 30.
  • [28]
    Barthes citant Blanchot, La Chambre claire, op. cit., p. 873.
  • [29]
    Ibid., p. 834.
  • [30]
    Guibert note dans son journal Le Mausolée des amants : « […] (l’admiration de Handke me poussant dans cette mise en écriture photographique du quotidien, insensée parce qu’infinie) » (MA, p. 36).
  • [31]
    Entretien avec François Jonquet, Globe, fév. 1992, p. 108.
  • [32]
    Guibert n’a cessé dans son journal Le Mausolée des amants de dire à quel point il rêvait de lire toute la Recherche.
  • [33]
    Marthe Robert, Roman des origines, origines du roman, Paris, Grasset, 1972. L’origine du roman et de la fiction en général serait à chercher dans cette tendance fabulatrice, observable chez tout enfant et qui le pousse à réécrire sa légende familiale en s’inventant d’autres parents plus conformes à ses désirs.
  • [34]
    Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, OC, t. III, éd. par Éric Marty, op. cit., p. 705-706.
  • [35]
    Interview donnée à France Culture le 7 déc. 1977.
  • [36]
    Jacques Rancière, « Des régimes de l’art et du faible intérêt de la notion de modernité », Le Partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La Fabrique Éd., 2000, p. 31 sq.
  • [37]
    Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », Journaux intimes, OC, t. I, op. cit. : « Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? / Parce que la mer offre à la fois l’idée de l’immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l’homme le rayon de l’infini. Voilà un infini diminutif. Qu’importe s’il suffit à suggérer l’idée de l’infini total ? Douze ou quatorze lieues (sur le diamètre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offerte à l’homme sur son habitacle transitoire » (p. 696).
  • [38]
    Susan Sontag, « Dans la caverne de Platon », op. cit., p. 35.
  • [39]
    « Je disparaîtrai et je n’aurai rien caché », entretien avec François Jonquet, Globe, fév. 1992, p. 108.
  • [40]
    Charles Baudelaire, « Le Poème du hachisch », Les Paradis artificiels, OC, t. I, « Bibliothèque de la Pléiade », op. cit., 1975, p. 429-430.

1 En débutant en 1977 une collaboration avec Le Monde[1], journal si longtemps réticent aux images, le jeune Hervé Guibert semble désireux d’explorer à titre personnel les rapports entre l’écriture et l’image. Ses premières œuvres tentent par différentes approches d’entrelacer photographie et récit. Deux dates attestent de cette interrogation lancinante : en 1978, il photographie ses grands-tantes. Parallèlement à l’exposition qu’il leur consacre, il publie un roman-photo, Suzanne et Louise, dessinant une sorte de chronique familiale ; 1981 voit la publication d’un recueil de nouvelles, L’Image fantôme[2], sans photographies cette fois, mais qui fonctionne comme un autoportrait de l’artiste en images.

2 Il nous a paru intéressant de partir de ce dernier texte en le confrontant à ce que Guibert dit de son rapport à l’image et à l’écriture dans le journal qu’il a rédigé tout au long de sa vie, Le Mausolée des amants[3]. Si L’Image fantôme nous paraît fondateur, c’est que l’écrivain y élabore les principaux éléments d’une poétique soucieuse d’articuler image et récit, et ce à deux niveaux : la photographie serait instrument de révélation du moi, en même temps qu’outil heuristique pour définir une écriture. Écrire et se dire chez Guibert semblent donc se faire au miroir des clichés. Guibert redéfinit l’écriture de soi par le recours à sa passion des images : il offre ainsi un paradoxal autoportrait où chaque récit tente de restituer une série d’instantanés organisés en une constellation offrant une petite mythologie du moi. Le format de la nouvelle et le rythme de lecture induit, en jouant sur l’éclat et le discontinu, convenaient parfaitement à ce projet d’un autoportrait fragmenté. Pour autant, de nombreuses remarques, tant dans le journal que dans cet autoportrait de l’artiste en images, attestent que la passion des images chez Guibert semble déboucher sur un désir mélancolique d’écriture. Si l’écrivain reconnaît se nourrir constamment d’images pour relancer le processus fictionnel, l’image s’avère en définitive chez lui plus ambiguë : perçue comme une mémoire oublieuse, elle n’a pas la puissance orphique du récit seul capable de restituer la profondeur du passé. L’Image fantôme doit ainsi son originalité au refus chez l’écrivain que la photographie puisse bloquer l’imaginaire, ce qui expliquerait le dispositif original d’un recueil exploitant toutes les variations fantasmatiques qu’autorise l’absence de photographies. Guibert jouerait avec le démon des possibles romanesques, rêvant ainsi mélancoliquement devant chaque photographie aux textes fantômes engendrés par la puissance de l’imagination. L’écriture naîtrait paradoxalement du deuil de l’image. Cette autofiction à l’ère de la reproductibilité technique pose néanmoins la question de la valeur des images. Dans la lignée de Barthes, Guibert fait de la photographie une pratique sociale démocratique en même temps que constitutive de mythologies personnelles, ce qui n’est pas sans danger si l’on se souvient qu’un autre artiste qui fit des images l’unique passion de sa vie, Baudelaire, notait déjà que le régime esthétique de la modernité condamnait l’artiste à une « forme banale de l’originalité » [4].

Autoportrait de l’artiste en images

3 Dans L’Image fantôme, Guibert tente de constituer un autoportrait original à partir de commentaires sur des images absentes, invisibles, voire ratées.

4

Ce qui a déclenché l’écriture, c’était le regret de photos ratées en fait, de photos que je n’ai pas pu faire, de photos qui se sont révélées invisibles, fantomatiques et donc j’ai essayé d’écrire pour retrouver le sentiment que j’avais voulu donner avec ces photos. J’essaye de photographier les gens que j’aime bien ou de faire des photos quand je suis en voyage, un peu comme tout le monde, mais je suis plutôt mauvais technicien donc je rate beaucoup de photos, et j’ai essayé souvent, enfin par l’écriture, de rattraper ce que je n’avais pas réussi avec la photo [5].

5 Un tel projet appelle d’emblée deux commentaires. D’une part parce qu’en évaluant les pouvoirs réciproques de l’image et du récit, Guibert livre certains principes de son esthétique. On songe aux anciens débats de l’esthétique classique à propos de la compétition entre les arts pour savoir lequel de la poésie ou de la peinture devait l’emporter. D’autre part parce que Guibert inscrit ce texte dans la lignée d’une écriture de soi articulant document et fiction selon le principe bien connu désormais de l’autofiction. Dès le texte liminaire « Les Lunettes à lire la pensée », il cherche visiblement à renouveler le genre autobiographique à l’ère des images. Ce préambule fonctionne comme un seuil où s’instaure avec le lecteur un pacte autobiographique dont l’originalité passe précisément par le recours à l’imaginaire de l’enfance. On retrouve d’emblée les topoï constitutifs des récits de l’écriture de soi, mais comme filtrés par « les lunettes à lire la pensée », celles « qui déshabillent » (IF, p. 9), présentées comme le point d’origine fantasmatique de ce texte. Les souvenirs tels que la première photo, la première vue érotique, le premier amour, s’ils s’inscrivent dans le cadre des expériences décisives de l’enfance selon les canons du genre, sont comme revisités et renouvelés par ces lunettes qui suffisent à faire dériver le texte du côté du plaisir du jeu fictionnel, si caractéristique de l’autofiction. La mise à nu du sujet passe par l’inventaire des fantasmes ou fantasmagories nés des images. Chaque photographie devient, du fait même de son absence, pré-texte à un court récit, l’ensemble du recueil formant une constellation du moi selon Hervé Guibert. Ainsi, en superposant d’emblée les protocoles du roman (« j’ai imaginé que la photographie pouvait conjuguer ces deux pouvoirs ») et de l’autobiographie (« j’ai eu la tentation d’un autoportrait », IF, p. 9), Guibert joue avec les mythologies de son enfance, tout en ouvrant l’autobiographie sur l’acte intime de la fabulation fantasmatique ou onirique [6].

6 C’est bien l’image qui sert de vecteur à cette écriture de soi et qui intéresse manifestement Guibert dans L’Image fantôme. Les raisons sont à chercher dans la rencontre chez le tout jeune écrivain entre un imaginaire érotique qui lui est propre, et une pratique, la photographie, qui tient lieu très souvent chez Guibert de préliminaire. Si le mouvement narratif singulier du texte lie si bien écriture de soi et pratique photographique, c’est avant tout parce que la tentative de dire l’intime et les fantasmes rejoint tout un imaginaire concernant la photographie [7] : dans un geste de raptus fantasmatique, prendre un cliché, c’est prendre et posséder un corps. Selon Bruno Blanckeman, sous l’influence conjuguée de la photographie et du cinéma, « l’écriture de la nouvelle […] relève effectivement d’une logique compulsive et visionnaire » [8]. Elle permet à l’écrivain de livrer ses fantasmes de façon originale, puisque le récit onirique naît paradoxalement de la perte de l’image. Un simple coup d’œil jeté à la table des matières suffit à faire ressortir l’agressivité prédatrice de l’acte photographique, la violence du raptus photographique, ou bien encore le désir de possession fantasmatique induit par la photographie : « Fantasme de photographie I, II, III, IV », « L’Image érotique », « Le Fétiche », « Photo porno », « Porno bis », « Retour à l’image amoureuse ». Certains fantasmes de Guibert trouveraient facilement un écho chez l’essayiste Susan Sontag qui fait remarquer que :

7

Photographier les gens c’est les violer […] ; c’est les transformer en choses que l’on peut posséder de façon symbolique. De même que l’appareil photo est une sublimation de l’arme à feu, photographier quelqu’un est une sublimation de l’assassinat […] [9].

8 Tout se passe comme si l’appareil se refermait sur la lumière emprisonnée comme un piège sur sa proie. Guibert semble tirer une jouissance particulière dans cette capture de l’ombre, dans cette « dépense gratuite » [10] qu’est l’acte de prendre un cliché. Chez lui la violence du raptus n’empêche pas l’authenticité du rapport comme il le souligne dans son journal : « [...] quel droit le photographe a-t-il de cette appropriation ? Il effleure son sujet, il le braque puis il le “remercie” » (MA, p. 76-77). Dans « Fantasme de photographie » Guibert rêve sur le mode fantastique (et sadique ?) que « l’appareil cette fois se détacherait de son pied pour aller toucher les acteurs, les encercler, les caresser » (IF, p. 32). Dans « L’Exercice barbare », il se plaît, à propos d’un fait divers, à imaginer que l’assassin n’est autre que le photographe. Cette nouvelle de Guibert se laisse aisément relire selon un autre paradigme, fantasmatique cette fois : non seulement la description anthropométrique vire au pornographique en révélant des détails de l’intimité, mais « l’ensemble des détails quitte la photo pour s’animer dans une sorte de cinéma imaginaire » (IF, p. 155). On songe à l’extraordinaire film de Michael Powell, Le Voyeur (1960) qui a pour sujet un psychopathe qui tue des femmes au moyen d’une arme dissimulée dans son appareil photographique. Ce n’est pas tant leur corps qu’il désire que leur présence sous forme d’images les montrant en train de vivre leur propre mort.

9 Plus attendu dans une autofiction, mais non moins révélateur de la volonté d’inscrire l’écriture de soi dans une tradition revisitée, l’autoportrait est placé sous le signe du désir incestueux, de l’Œdipe et du roman familial. Mais c’est le regard porté sur certaines photographies qui permet une mise à nu du cœur de Guibert. Dans la nouvelle liminaire homonyme [11], il livre à son lecteur, sous la forme des aphorismes qu’affectionnait Baudelaire dans Mon cœur mis à nu[12], l’une des clés de sa vie et de son esthétique : « La photographie est aussi une pratique très amoureuse » (IF, p. 11). Évoquant le souvenir d’une après midi où il désirait photographier sa mère, Guibert souligne combien l’enjeu de mise à mort symbolique du père était fort : en visant à évacuer le père « du théâtre où la photo allait se produire », le fils cherche à accomplir une union incestueuse dans « une connivence nouvelle, débarrassée du mari et du père, juste une mère et son fils (n’était-ce pas en réalité le décès de mon père que je voulais mettre en scène ?) » (IF, p. 12). Liée à une montée de la jouissance érotique, l’image devient transgressive, Guibert prenant conscience par cette « image d’une femme qui jouit » que « le plaisir d’elle à moi était d’autant plus fort que l’interdit volait en éclat » (IF, p. 14-15). On retrouve ce désir d’une possession fantasmatique des parents dans « Inventaire du carton à photos » (IF, p. 34-44), désir cette fois teinté de mélancolie. À la manière de Barthes qui voyait toute photo marquée du sceau de ce « futur antérieur » (« j’observe avec horreur un futur antérieur dont la mort est l’enjeu » [13]), Guibert livre cette confidence face à une photo de ses parents jeunes :

10

Certains corps peuvent m’être désirables alors que je sais que leur devenir est de me dégoûter […]. Je découvre aussi, grâce à ces photos, le charme de mes parents, une notion qu’en aucun cas je n’avais pensé leur associer : ils sont jeunes, ils sont parfois plus jeunes que moi, et je découvre leur sourire, leur peau bronzée, leur corps minces, je me prends à pouvoir les désirer (IF, p. 38-39).

11 La nouvelle « Photo animée » prolonge cette rêverie fantasmatique incestueuse : « Je me suis vu, avec sidération, sucer le sein gonflé et veiné de ma mère. Je me suis dit, en voyant mon père à l’âge de trente ans : “s’il se présentait ainsi, aujourd’hui, devant moi, j’aimerais bien coucher avec lui” » (IF, p. 51).

12 Dans son autoportrait, Guibert ne pouvait pas non plus passer sous silence l’une des difficultés majeures de toute écriture de soi : le fantasme d’une écriture qui ressaisisse le sujet depuis la mort, soit une auto-thanato-graphie[14]. Le choix d’un autoportrait en images questionne en effet à un double titre le rapport du sujet à sa propre mort : deuil d’instants singuliers, et deuil du sujet photographié. La nouvelle « L’Album » conjugue ces deux aspects : face à une photographie de lui, Guibert interroge sa mort à la manière de Barthes, selon une poétique qui appartient en propre au roman : « […] j’étais attentif aux transformations de mon visage comme aux transformations d’un personnage de roman qui s’achemine lentement vers la mort » (IF, p. 67). Ainsi que le souligne très justement Bruno Blanckeman : « En ce sens, les nouvelles relèvent de ce que Guibert nomme, dans L’Image fantôme, une écriture mélancolique. Elles portent le deuil de ces aventures singulières, pour reprendre le titre équivoque d’un autre recueil, elles en consignent la défection, elles célèbrent ainsi différentes morts à soi » [15].

13 Chaque nouvelle, en explorant ces deuils du moi, semble se situer dans une sorte de non-lieu, entre document photographique et rêverie fantasmatique. C’est bien depuis cet espace imaginaire de l’écriture (le linguiste Dominique Maingueneau propose de le nommer « paratopie » [16]) que Guibert envisage de saisir sa vie, en habitant a-topique de l’entre-deux : entre Eros et Thanatos, entre vie réelle et vaporisation dans l’imaginaire, entre photographie et texte. L’Image fantôme oscille ainsi entre une ontologie du moi [17], que restitue la photographie, et une phénoménologie des impressions suscitées et rendues par l’écriture. Cette esthétique n’est pas sans rappeler celle de Baudelaire qui écrivait en ouverture de son journal Mon cœur mis à nu : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là » [18]. Dans la nouvelle « L’Autoportrait », Guibert évoque sa fascination pour cinq autoportraits de Rembrandt. C’est alors sa propre image posthume qui s’impose à sa réflexion :

14

Je m’y identifiais. Mes propres autoportraits, je les aurais voulus ainsi. En choisissant ceux-là, c’étaient aussi les miens que je choisissais. Je déchirai la plupart des photos qui me représentaient, et ainsi par cette absence d’image, comme par le rejet des trois autoportraits de Rembrandt que je n’aimais pas, je fixai mon propre autoportrait, je délimitai une image posthume (IF, p. 65).

15 Lorsque Guibert écrit : « […] je me laisse photographier, non pas comme quelqu’un qui est encore vivant, mais comme quelqu’un qui était encore vivant au moment de la photographie » (MA, p. 132), on songe de nouveau à Barthes qui voyait dans toute photographie le retour du mort.

16 Il semblerait donc que dans son rapport aux images, L’Image fantôme entretienne un lien particulier avec l’invention de Morel [19], une machine photographique véritablement prédatrice dont Guibert évoque le souvenir dans « Holographie » (IF, p. 53). Grâce à cet appareil, son inventeur piégeait pour l’éternité ses invités sur une île en capturant leur image, entraînant ainsi leur mort. C’est pour avoir été éconduit par la femme qu’il aimait que Morel conçut ce projet fou de se lier à elle contre son gré, en glissant sa propre image aux côtés de celle qu’il aimait. Dans L’Image fantôme cette référence est sans doute révélatrice du fantasme qui sommeille chez Guibert, celui de substituer à sa relation décevante au réel un monde imaginaire conforme dans les moindres détails à ses désirs [20]. C’est un fantasme du même ordre qui trouve à s’exprimer dans « Retour à l’image amoureuse », Guibert avouant à l’un de ses amants voir dans la photo prise une manipulation ou un sort jeté à l’amoureux : « — […] en prenant ta photo je te lie à moi si je veux, je te fais entrer dans ma vie, je t’assimile un peu, et tu n’y peux rien… » (IF, p. 164). Guibert offre ainsi au lecteur, sous forme d’autoportrait fragmenté, des instants fantasmatiques qui constituent autant de variations imaginaires, de figures fulgurantes du moi, d’« ego expérimentaux » [21]. La vérité subjective ne se limite plus aux seuls effets de la conscience, l’écriture de soi inclut désormais l’imaginaire et les composantes oniriques et fantasmatiques de la psyché. La photographie a pu constituer pour Guibert une voie oblique originale pour explorer ces états du moi vaporisés par l’imaginaire, ouvrant ainsi la porte de l’inframonde des pulsions érotiques.

Mémoire oublieuse de la photographie et mélancolie de l’écriture

17Mais si l’image est bien le déclencheur de fantasme, c’est, nous y reviendrons, le récit qui en prolonge l’impression. De fait, dans ce texte des débuts, marqué par l’hybridation générique (bien des nouvelles tiennent du documentaire, de l’anecdote, ou de la trace lapidaire consignée dans le journal), Guibert n’a cessé d’entretenir un rapport paradoxal à l’image comme en témoigne le titre quasi oxymorique du recueil. Derrière l’image pré-texte, l’écrivain ne cesse de dire sa mélancolie du récit. Il n’est pas interdit de penser que sous la fascination des images perce une hantise de la page blanche. Si la photographie ne doit en aucun cas bloquer le récit et la dérive fantasmatique nécessaire au projet d’une mise à nu, elle apparaît néanmoins comme une arme à double tranchant : relance fantasmatique du récit, mais aussi dévoratrice du temps de l’écriture. « La photo me prend de plus en plus […], mais je sais qu’un jour, bientôt, je vais secouer cette prise, brutalement » (MA, p. 72) note Guibert dans son journal. Plus loin l’écrivain précise : « L’impression, malgré quelques récidives […], quelques velléités, qu’à partir de L’image fantôme, que mon écriture est morte, et qu’elle se publie maintenant à l’envers, comme une œuvre posthume dont je serais le spectateur vivant » (MA, p. 181).

18 Si la photographie s’immisce volontiers dans l’esthétique de Guibert au point de faire de son écriture un « bain révélateur » de la scène fantasmatique, elle représente également un contre-modèle dans une double mesure : d’une part, parce qu’elle reste à la surface des choses, quand le récit par sa puissance orphique atteint les profondeurs du réel ; d’autre part, parce qu’elle se trouve par sa nature réduite à la capture du seul instant, semblant privée de la durée qui reste l’apanage du roman ou du cinéma. En témoigne cette remarque de Guibert dans son journal à propos de la vidéo :

19

Mais si la vidéo parvient à faire le lien entre photo, écriture et cinéma, elle m’intéresse. Reconstituer en vidéo un instant vécu est un peu moins impossible qu’avec la photographie, qui produit alors un faux : avec la vidéo on s’approche alors d’un autre instant […] ( MA, p. 413).

20 En fait, la photographie constitue chez Guibert un outil heuristique puissant pour penser l’écriture du journal. En revanche la poétique du récit bref lui semble plus à même de restituer le film intérieur de la conscience, la chaîne des images fantasmatiques que déclenche telle ou telle photographie. L’écriture de la nouvelle dans L’Image fantôme constitue un entre-deux, et bien souvent Guibert semble vouloir rêver d’une ouverture romanesque, à la façon de Barthes regardant une photographie de Kertesz [22]. À partir de la certitude du « cela a été » – « toute photographie est certificat de présence », c’est là la valeur testimoniale de cet art –, Barthes laissait aller son imagination, multipliant les questions, jouant avec le démon des possibles si caractéristique de la création romanesque. En quelques lignes, il ouvrait la photographie sur un espace romanesque miniature : le personnage représenté existe-t-il encore ? Où ? Comment a-t-il survécu ? Guibert lui rend un discret hommage dans deux nouvelles, celle intitulée « La Photo, au plus près de la mort » où il relate le désir qu’il eut de photographier la mère de Barthes [23] (IF, p. 148-149), et celle intitulée ironiquement « La Menace », dont la chute « Mais ceci n’est plus une photographie, c’est un roman » (IF, p. 86) dit bien à quel point toute photographie chez Guibert suscite l’appel mélancolique du récit [24]. Dans ce cas la menace ne serait-elle pas plutôt liée à la photographie ? On comprend alors mieux son refus d’en faire un objet passif pour l’inscrire dans une dynamique de relance du processus fictionnel. Derrière chaque photographie, il y aurait un roman en puissance qui constitue l’un des enjeux de cette écriture de soi sous forme fragmentaire, comme le souligne très justement Bruno Blanckeman :

21

Les nouvelles constituent des clichés de la personnalité que l’auteur multiplie avec fébrilité, qu’il agence en albums-recueils, comme pour additionner compulsivement ce que lui-même appelle des « certificats de présence ». […] En même temps chaque nouvelle obéit à une logique visionnaire. L’auteur y projette, en minuscule, les composantes d’une fable toujours possible, qui intégrerait à sa façon la matière du réel [25].

22 Faudrait-il alors traquer derrière chaque image fantôme un texte fantôme ? Nous empruntons cette notion à Michel Charles [26] qui déploie une conception rhétorique de la lecture du texte littéraire, conçue comme variation par rapport à des horizons possibles (Gracq les appelait des « fantômes de livres » [27]). La progression du roman, pour l’écrivain et le lecteur, est ainsi conçue comme abandon à chaque instant de récits possibles. Le livre s’élabore toujours au prix de rejets de livres virtuels, mais « dans leur lumière ». Il nous semble fécond d’appliquer cette théorie à la tension entre image absente et présence du récit chez Guibert. Nous voudrions en effet montrer que c’est bien dans la lumière de récits possibles que Guibert regarde les images.

23 La fascination de Guibert pour l’image est d’autant plus forte qu’elle constitue le déclic qui semble rendre possible le récit. C’est là son essence paradoxale, définie par Blanchot comme écart et ouverture vers une profondeur :

24

[…] « l’essence de l’image est d’être toute dehors, sans intimité, et cependant plus inaccessible et mystérieuse que la pensée du for intérieur ; sans signification, mais appelant la profondeur de tout sens possible ; irrévélée et pourtant manifeste, ayant cette présence-absence qui fait l’attrait et la fascination des Sirènes » [28].

25 Ce qui a pu guider Guibert dans cette voie originale, c’est vraisemblablement le concept de punctum que Barthes déploie dans La Chambre claire et dans lequel il a pu retrouver un certain nombre de ses préoccupations esthétiques : « Le punctum est […] une sorte de hors-champ subtil, comme si l’image lançait le désir au-delà de ce qu’elle donne à voir […] » [29]. Barthes fait cette analyse à propos de la photo érotique, qui par opposition à la photo pornographique, entraîne le spectateur hors cadre. Guibert partage sans conteste ce point de vue, puisque l’une de ses nouvelles « Porno bis » prolonge ce jeu avec le hors cadre, la fiction prenant en charge cette pure logique du désir fantasmatique :

26

Le corps de la photo érotique est un corps manipulable, on peut le prendre par la main, et le mener vers la pornographie, vers sa propre pornographie. On fantasme : voilà ce que j’aimerais faire avec ce corps-là, voilà ce que j’aimerais toucher, voilà à quoi j’aimerais le soumettre, à quoi j’aimerais qu’il me soumette. C’est un corps ouvert, possible, un corps flou. Le corps de la photo pornographique est un corps bloqué, hyperréaliste, gonflé et saturé (IF, p. 103).

27 Si le récit donne corps au fantasme né de l’image, il invente aussi le fantasme d’une forme neuve, une photographie in-vue, transcendant son caractère d’instantané pour s’ouvrir au mouvement et à la profondeur, apanages du récit : « J’ai rêvé plusieurs fois, ces derniers temps, de l’existence d’un type de photographie qui déborde dans sa restitution de l’instant qu’elle a capturé, un peu comme du cinéma, mais plutôt comme une sorte d’holographie temporelle […] » (MA, p. 372-373).

28 Il faudrait toutefois se garder de ne voir dans la photographie que ce qui enclenche le récit. Activité constamment réflexive, elle permet à l’écrivain de développer les principes d’une poétique à l’œuvre aussi bien dans L’Image fantôme que dans le journal Le Mausolée des amants. Ce qui ressort avant tout, c’est la confrontation entre l’immédiateté de l’écriture du journal et la puissance du récit liée à l’expérience de la durée. Une polarité s’esquisse, opposant la photographie, comme « pratique oublieuse », au récit aux pouvoirs orphiques supérieurs. Dans les deux cas, la photographie permet en retour d’interroger les enjeux d’une écriture qui diffère selon les genres. Dans Le Mausolée des amants, Guibert semble rechercher une poétique du journal fondée sur l’immédiateté photographique. Ses modèles sont Kafka et l’écrivain allemand Peter Handke [30]. La photographie devient alors la métaphore de sa propre écriture, elle en souligne certains enjeux, comme dans « L’Écriture photographique » :

29

L’écriture de la lettre et l’écriture du journal sont les deux écritures les plus proches […] : ce sont deux écritures d’une même texture, d’une même immédiateté photographique. […] C’est une écriture brute, qui ne supporte pas la retouche, et qui supporte mal le travail de réécriture : on pourrait croire que le journal est comme une planche-contacts, un alignement de prises de vues, en attente d’un développement, mais non (IF, p. 74-75).

30 Guibert avoue ne rien vouloir corriger dans son journal, pour rester fidèle à cette première impression instantanée. C’est d’ailleurs ce qui le séduit dans les notations brèves du Journal de Kafka où il reconnaît « de pures photographies » ou « des clichés de son état intérieur », des « photos mentales d’un homme paralysé » (IF, p. 76-77).

31 Au cours d’un entretien Guibert révélait combien l’écriture du journal était pour lui le point névralgique de sa création littéraire, d’où procède tout le reste :

32

Très souvent un écrit naît parce qu’il y a, à l’intérieur du journal, un thème ou un personnage qui, devenant trop insistant, déséquilibrait ou brisait cet équilibre quotidien – encore que je ne l’écrive pas chaque jour (je ne le date pas non plus). Mes parents, par exemple, est en grande partie sorti du journal ; Fou de Vincent intégralement. Le journal permet de jeter des ponts entre des univers différents : passer de mes grand-tantes à des récits érotiques. Mes livres sont des appendices et le journal, la colonne vertébrale, la chose essentielle [31].

33 Guibert esquisse une poétique qui nous semble pouvoir caractériser le dispositif d’écriture mis à l’œuvre dans L’Image fantôme, mais pour partie seulement. Dans le recueil, l’esthétique de la nouvelle cherche en effet à résoudre cette quadrature du cercle : garder les notations aphoristiques et quasi photographiques de l’écriture du journal (chaque nouvelle fonctionnant alors comme un cliché instantané), tout en ouvrant l’écriture, non par des retouches ou des corrections, mais par une dynamique visionnaire qui appelle une fable en puissance. Paradoxalement, c’est la puissance du récit que Guibert ne cesse de réaffirmer orgueilleusement, et qui le définit en tant qu’écrivain à un moment où il cherche à fonder son esthétique. C’est ce que rappelle au fond la nouvelle « L’image fantôme » dont la coda semble esquisser un principe poïétique selon lequel le récit n’est rendu possible que du deuil, de la perte de l’image : « Donc ce texte n’aura pas d’illustration, qu’une amorce de pellicule vierge. Et le texte n’aurait pas été si l’image avait été prise. […] Car ce texte est le désespoir de l’image, et pire qu’une image floue ou voilée : une image fantôme… » (IF, p. 17-18).

34 L’écriture semble non seulement se nourrir de la photographie, mais lui reprendre son bien propre, comme pour mieux la dépasser, ouvrant ainsi l’image à un jeu de résonances fantasmatiques que seul le récit est à même de développer. L’écriture est bien comme nous l’avions vu ce « bain révélateur » donnant accès à l’autre scène fantasmatique, si décisive dans le projet d’une mise à nu de soi. C’est donc bien une poétique du récit qui est chargée de prendre le relais des images et de pallier non seulement les ratés du photographe, mais plus encore les limites de ce qui n’est jamais qu’une image en surface. Guibert va jusqu’à renverser l’ordre logique ou chronologique qui a présidé à l’élaboration de L’Image fantôme, recueil né de photographies ratées : au moment d’évoquer son désir d’acheter des photographies originales lors d’une exposition new-yorkaise, Guibert avoue au passage, dans « Les Photos préférées », avoir songé non seulement à les acheter avec l’argent rapporté par ce livre, mais à les incorporer au livre même. Mais « à mesure que j’avance, elles deviennent étrangères à mon récit, qui devient vraiment un négatif de photographie » (IF, p. 123). Le récit devenu négatif de la photographie, c’est bien celui qui par la seule puissance des mots est capable d’engendrer des images, de lever une présence-absence. La mélancolie n’est plus celle de la photographie, mais bien de l’écriture, comme l’atteste la nouvelle au titre ironique « L’image parfaite », laquelle ne peut être que prise en charge par l’écriture. D’abord frustré de n’avoir pu photographier de jeunes garçons à l’ile d’Elbe et qui lui semblaient faire un tableau parfait, il en vient naturellement à cette conclusion qui légitime son projet :

35

[…] l’abstraction photographique se sera effectuée toute seule, sur la plaque sensible de la mémoire, puis développée et révélée par l’écriture, que je n’ai d’abord mise en train que pour me défaire de mon regret photographique. Il me semble maintenant que ce travail de l’écriture a dépassé et enrichi la transcription photographique immédiate […] (IF, p. 24).

36 Guibert se livre alors à une réflexion sur les pouvoirs comparés de la photographie et du récit. Concernant leur pouvoir de réminiscence respectif, il conclut en termes quasi proustiens [32] à la supériorité du récit qui, lui seul, est capable de ré-enchanter le souvenir, de ramener à la surface l’émotion vécue autrefois et captive de l’oubli.

37

Si je l’avais photographiée immédiatement, et si la photo s’était révélée « bonne » […], elle m’appartiendrait, mais l’acte photographique aurait oblitéré, justement, tout souvenir de l’émotion, car la photographie est une pratique englobeuse et oublieuse, tandis que l’écriture, qu’elle ne peut que bloquer, est une pratique mélancolique […] (IF, p. 24).

38 La photographie apparaît froide tant elle fait écran à la remontée des souvenirs, incapable qu’elle est d’évoquer quoi que ce soit après coup, au point qu’à deux reprises Guibert la compare à une « mémoire aveugle ». Elle finit par devenir aussi étrangère à celui qui la regarde qu’un objet dans les mains d’un amnésique (IF, p. 38). Seul le récit pourra restituer l’émotion engainée dans la mémoire, permettant ainsi à l’autoportrait une ouverture sur les profondeurs du moi. Par delà la fascination indéniable de Guibert pour les images, c’est bien du deuil de l’image que procède l’écriture de soi. En se substituant aux souvenirs, les photos familiales aboutissent à des clichés figés, au double sens du terme, à des images stéréotypées, interchangeables, quand le récit lui donne accès à la pointe extrême du moi, dévoilant sous forme d’instantanés agencés en un étrange album qu’est L’Image fantôme, le tremblé et le vertige de fantasmes :

39

On dit que la raison d’être de la photo de famille est de conserver des souvenirs, mais elle crée des images qui se substituent au souvenir, qui le recouvrent, et qui sont une espèce d’histoire digne, aplanie et interchangeable qu’on fait circuler d’une famille à l’autre […]. Non pas une histoire littéraire, mais une histoire superficielle (IF, p. 38).

40 Comme Proust qui notait dans la Recherche que les êtres chers sont moins ressemblants sur les photographies que dans nos souvenirs, Guibert se fait l’explorateur d’une mémoire fantasmatique bien plus riche que la mémoire photographique.

41 Ainsi, en cherchant fébrilement à se mettre à nu dans un recueil album constitué de clichés magnifiés par la puissance fantasmagorique et visionnaire de l’écriture, Guibert semble avoir trouvé une voie originale, celle d’une autofiction à l’ère de la reproductibilité technique des images, mais qui réalise le tour de force de n’en livrer aucune au sens photographique du terme. L’image aura permis à Guibert de fonder une poétique qui réaffirme la toute puissance orphique du récit. En un sens, l’image ne vaut que d’être une présence absentée : onirique et non réelle. Parti de photos de son enfance qui traditionnellement participent à la création de mythes familiaux, Guibert s’en nourrit pour nous livrer ses mythologies personnelles grâce à un récit ouvert à l’imaginaire. Rien n’est plus révélateur à cet égard que le petit « roman familial » auquel il se livre face à une photographie, cherchant le détail qui permettrait de réécrire sur le plan fantasmatique sa filiation, et donc de devenir écrivain, si l’on s’en réfère aux analyses de Marthe Robert [33], laquelle voit dans cette tendance fabulatrice observable chez tout enfant l’origine même du roman :

42

Parmi cette masse de photos, je cherche encore, en vain, une photo énigmatique, ou une photo qui poserait un mystère : une ressemblance qui remettrait en cause une filiation, un geste ébauché trouble qu’aurait saisi par mégarde la photo […] qui réécrirait une autre histoire familiale que celle qu’on m’a toujours racontée (« Inventaire du carton à photos », IF, p. 42).

Mythologies individuelles ou forme banale de l’originalité ?

43Revenant une nouvelle fois au rapport que son écriture entretient avec la photographie dans la nouvelle « Les Photos préférées », Guibert note à propos de son livre :

44

Il parle de la photo de façon négative, il ne parle que d’images fantômes, d’images qui ne sont pas sorties, ou bien d’images latentes, d’images intimes au point d’en être invisibles. Il devient aussi comme une tentative de biographie par la photographie : chaque histoire individuelle se double de son histoire photographique, imagée, imaginée (IF, p. 123-124).

45 Cette tentative de constituer une autobiographie fragmentée, au miroir des images des autres, s’opposant aux autobiographies totalisantes, rappelle étrangement cette confidence de Barthes au début de Sade, Fourier, Loyola, lequel rêvait d’une biographie trouée, fragmentée, réduite à quelques biographèmes où l’imaginaire d’autres individus lecteurs viendrait se nicher :

46

[…] (au thème de l’urne et de la stèle, objets forts, fermés, instituteurs du destin, s’opposeraient les éclats du souvenir, l’érosion qui ne laisse de la vie passée que quelques plis) : si j’étais écrivain, et mort, comme j’aimerais que ma vie se réduisît, par les soins d’un biographe amical et désinvolte, à quelques détails, à quelques goûts, à quelques inflexions, disons : des « biographèmes », dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin et venir toucher, à la façon des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion ; une vie trouée en somme […] [34].

47 Chez Guibert le livre n’est plus qu’un négatif, un autoportrait en creux, au miroir des photos des autres, véritables et néanmoins absentes du corps du texte : « Elles passent dans mon histoire, elles s’y cognent et parfois elles s’y installent, mais elles ne seront jamais à moi » (IF, p. 124).

48 Cette forme moderne et hybride d’autobiographie, entre texte et photo, semble favoriser l’épanchement de l’imaginaire, tant chez Guibert que chez le lecteur. L’étrange album de photos que constitue L’Image fantôme, donnant de la vie de l’écrivain une image fragmentée ou trouée, invite à son tour le lecteur à un investissement fantasmatique. Dans « Photo d’identité II », récit d’un rêve légèrement teinté de fantastique, le lecteur est bien à l’image de ce garçon qui capture l’image et la vie de Guibert, et colle au nez de l’écrivain ses propres photos sur la vitre d’un wagon de métro : « Je savais très bien que ce visage ne pouvait être que le mien (ou celui d’un sosie ?), et en même temps ce ne pouvait être moi » (IF, p. 59). Tous les ingrédients du fantastique (le sosie, l’indécision, l’effet d’inquiétante étrangeté) se trouvent condensés dans cette mise en abyme troublante et vertigineuse, puisque le jeune garçon apparaît tour à tour comme la figuration possible de l’écrivain qui n’a cessé de se nourrir des photos des autres, aussi bien que la mise en abyme du lecteur trouvant à se nicher dans les fantasmes de l’écrivain : « Il me suivait jour et nuit, me photographiait et passait son temps à faire des montages, à réinclure mon image dans des lieux où je n’étais allé […] » (IF, p. 59). Le dispositif mis en œuvre par Guibert invite certainement le lecteur à nuancer la sentence de Barthes définissant l’image comme « ce dont je suis exclu » [35]. Chez Guibert au contraire, le flou de l’image est toujours appel, ouverture vers l’imaginaire. Le spectateur-lecteur est ainsi invité à sortir du cadre et du récit ; quittant son propre espace-temps, il trouve à se redéployer dans cet ailleurs sur lequel ouvre toute photographie. Ce qui a profondément séduit Guibert dans cet art, c’est qu’il soit à ce point capable de déloger le spectateur de sa propre temporalité et spatialité. Tel est bien en définitive le sujet de la nouvelle onirique « Photo d’identité II ».

49 Cette forme hybride d’autoportrait non seulement renouvelle l’approche de l’autofiction de façon originale, mais prend tout son sens dans ce que le philosophe Jacques Rancière nomme « le régime esthétique des arts » [36]. Analysant l’art comme ce qui offre différentes configurations du sensible, Rancière distingue trois régimes de l’art en général, et qui peuvent s’appliquer aux images. Le régime éthique des images instaure avec elles un rapport rituel, leur valeur de vérité étant transcendante (par exemple les icônes) ; le régime représentatif ou mimétique des beaux-arts correspond aux poétiques classiques qui distribuent le réel selon des hiérarchies (sujets, ordre d’expression, etc.) et que les poétiques romantiques libertaires ont déconstruit. Les photographes pictorialistes en sont un bon exemple puisque c’est en respectant les codes de la peinture académique (composition, choix du sujet) que ces photographes tentèrent de conférer une légitimité à leur pratique. On trouve dans L’Image fantôme des traces d’un tel régime, notamment dans « L’Image parfaite » où l’on voit Guibert sensible à la beauté d’une scène marine, presque irréelle, « un tableau étrange, à l’ordonnance parfaite » (IF, p. 23) ; quant au troisième régime, le régime esthétique de l’art, il se caractérise par l’hétérogénéité des manières de faire, voir, dire, découper le monde. Inauguré au xix e siècle, et prolongé par les différentes avant-gardes, un tel régime repose sur un principe d’égalité des sujets de représentation, sur le brassage indifférencié des atomes du réel. La naissance de l’esthétique selon Rancière souligne bien que dorénavant l’art appartient à un destinataire indéterminé et indifférencié. Dans ce nouveau régime, le sujet est n’importe qui ou quoi, le lecteur n’importe qui, l’auteur n’importe qui. C’est bien le lecteur ou spectateur qui est au centre, par sa capacité à subjectiver l’œuvre d’art.

50 L’art de Guibert tient précisément à sa capacité à symboliser par l’imaginaire n’importe quelle photo, même la plus banale, à transcender les frontières génériques, enfin à refuser un partage du sensible où certains sujets seraient interdits. En témoigne cette note dans son journal, où l’écrivain refuse l’infigurable, caractéristique de ce nouveau régime des images qui cherche à photographier la jouissance au plus près, sans pour autant renoncer à une forme de légitimité liée au régime éthique des images (en l’occurrence l’image de suaire) : « Hier soir je recueille entre mes fesses du sang sur un mouchoir vierge. Fantasme de défloration : je fais une photographie de ma jouissance (de même la bougie qui m’aura pourfendu ne sera pas nettoyée), et je pends ce suaire » (MA, p. 93). Même principe d’égalité des sujets, et ce à l’infini :

51

Je me défendrai toujours d’être un photographe : cette attraction me fait peur, il me semble qu’elle peut vite tourner à la folie, car tout est photographiable, tout est intéressant à photographier, et d’une journée de sa vie, on pourrait découper des milliers d’instants, des milliers de petites surfaces, et si l’on commence pourquoi s’arrêter (MA, p28).

52 Il nous semble que L’Image fantôme correspond bien à ce mouvement de subjectivation démocratique où tout se vaut. Ce qui n’est pas sans poser à l’écrivain deux difficultés, l’une d’ordre poïétique, l’autre d’ordre esthétique. Si tout style a ses contradictions à vaincre, L’Image fantôme est bien l’œuvre d’un apprenti-écrivain qui tente de trouver des solutions personnelles. Du point de vue poïétique, la photographie paraît sans fin, tout étant digne en un sens d’être capturé. C’est là sa limite, sa folie, Guibert qualifiant « cette mise en écriture photographique du quotidien [d’]insensée parce qu’infinie » (MA, p. 36). Pour conjurer cette menace de prolifération, Guibert opte dans L’Image fantôme pour une poétique de « l’infini diminutif » [37] au sens baudelairien du terme, une restitution fragmentaire et trouée de sa vie au miroir des images. Le fantasme d’une « écriture photographique » aboutit donc à des poétiques très différentes chez Guibert : notation quasi photographique et sans retouches dans le journal ; sensibilité et dérive imaginaire sous forme de fragments et d’éclats dans cet autoportrait en images.

53 S’agissant de la seconde difficulté – d’ordre esthétique – Guibert se trouve vite confronté à la question de la valeur des photographies, et ce d’autant qu’elles s’inscrivent dans une pratique sociale largement démocratisée. En reprochant aux photos de familles de « crée[r] des images qui se substituent au souvenir, qui le recouvrent, et qui sont une espèce d’histoire digne, aplanie et interchangeable qu’on fait circuler d’une famille à l’autre » (« Inventaire du carton à photos », IF, p. 38), Guibert semble pressentir le danger inhérent à ce régime de l’art, celui de « la forme banale de l’originalité », si caractéristique de la modernité selon Baudelaire. Susan Sontag soulignait déjà combien l’œuvre du temps finissait par artialiser la moindre photographie, fut-elle la plus banale : « Le temps finit par situer presque toutes les photographies, même les moins professionnelles, au niveau de l’art » [38]. Le recours à l’imaginaire, la capacité à subjectiver son être au miroir des clichés des autres, le choix d’une esthétique du fragment et du discontinu peuvent apparaître dès lors comme autant d’indices d’une volonté de forger une poétique répondant à une double exigence : une mise à nu radicale de soi d’une part [39], une recherche d’un dispositif original visant constamment à échapper aux clichés et à la banalité. Si la photo est aussi souvent jugée insuffisante dans son pouvoir épiphanique, c’est bien pour permettre de laisser la place à une dérive fictionnelle plus singulière, elle-même contenue dans un dispositif-cadre inédit.

54 Mais Guibert a t-il su échapper totalement à l’écueil de cette « forme banale de l’originalité » constitutive du régime esthétique de l’art moderne ? Barthes, après Baudelaire, remarquait dans ses Mythologies que l’époque moderne, dans un usage dégradé de la notion, permettait à n’importe quel sujet de se constituer une mythologie personnelle. Faut-il s’étonner alors que L’Image fantôme offre un autoportrait de l’écrivain qui par de nombreux symptômes rappelle « l’homme sensible moderne » défini par Baudelaire dans « Le Poème du hachisch » ?

55

Un tempérament moitié nerveux, moitié bilieux […] ; ajoutons un esprit cultivé, exercé aux études de la forme et de la couleur ; un cœur tendre, fatigué par le malheur, mais encore prêt au rajeunissement ; […] une grande finesse de sens […], je crois que j’ai rassemblé les éléments généraux les plus communs de l’homme sensible moderne, de ce qu’on pourrait appeler la forme banale de l’originalité [40].

56 La banalité dans le régime esthétique de l’art tient, nous l’avons vu, à cette égalité démocratique des sujets – l’homme sensible pouvant désormais puiser en lui, dans son imaginaire intime, des sujets précis, fantasmagoriques, agencés de façon à produire une petite constellation ou mythologie personnelle. La seule représentation possible est bien celle d’un sujet assumant sa banalité – l’imaginaire photographique ou fantasmatique de Guibert n’ayant rien de très original. Pour autant, Guibert semble résister à cette injonction moderne de la banalité, mais à l’intérieur d’un dispositif original : c’est bien la forme qui arrache le texte à la banalité des fantasmes, qui lui résiste. Pris dans une époque marquée par Barthes et la question de l’autofiction, Guibert tente néanmoins de faire entendre une voix singulière, qui tient moins à un discours renouvelant l’approche de la photographie, qu’à un dispositif, celui de l’album où la fiction remplace le cliché sans totalement le déjouer.

57 Guibert nous livre ainsi non seulement un accès à ses mythologies personnelles, mais invente une poétique de l’album tout à fait originale : collection d’images fantasmatiques mais sous forme de petites nouvelles ; fulgurance d’instants qui se jouent dans la chambre mentale de l’écrivain et que capture une écriture tendue entre la sécheresse des notations de journal intime et la puissance envoutante du récit ; instantanés d’un moi bien réel mais vaporisé dans l’imaginaire ; continuités et discontinuités du sujet, entre unité mythique et morcellement orphique. En renouvelant les rapports entre texte et image, Guibert revisite à nouveaux frais la question de l’autofiction. Il a su faire de l’image non seulement l’outil d’une mise à nu des fantasmes, mais aussi l’instrument réflexif à travers lequel il interroge tout autant son moi intime que son désir d’écriture. C’est ce que souligne à sa façon le petit dialogue (fictif ?) de Guibert avec un lecteur lui reprochant des « récits [qui] suintent l’homosexualité » :

58

– [...] Comment voulez-vous parler de photographie sans parler de désir ? […] il en va juste de la vérité de l’écriture. Je ne saurais pas vous dire cela plus simplement : l’image est l’essence du désir, et désexualiser l’image, ce serait la réduire à la théorie… (« L’Homosexualité », IF, p. 89).

59 Si l’image est bien l’essence du désir, alors elle ne peut, dans un régime de l’art où tous les sujets ont gagné en dignité, où le partage du sensible assume le fragment, que révéler une forme banale de l’originalité, celle propre à la dérive fantasmatique et à un imaginaire irréductiblement ancré dans son époque. L’Image fantôme n’eût sans doute pas été possible sans les Mythologies ou sans La Chambre claire où Barthes finissait par dévoiler son rapport aux images et au deuil de sa mère, livrant une partie de son moi intime au miroir des images. Ce texte s’inscrit bien dans un champ littéraire précis. Pour autant le dispositif de l’album apparaît comme l’une des réussites éclatantes de Guibert, où transperce sous les fantasmes le désir tout aussi violent d’entrer de façon définitive sur la scène littéraire. La quête du moi fantasmatique se double d’une autre aventure, celle d’un jeune écrivain à la recherche d’une écriture originale, entre la fulgurance du cliché et l’image-temps se déployant dans le récit et qui, plus tard, au moment de l’approche de la mort, se déploiera dans le film.


Date de mise en ligne : 29/12/2015

https://doi.org/10.3917/r2050.059.0021

Notes

  • [1]
    Cette collaboration au service culturel du journal Le Monde comme critique de photographie et de cinéma se prolongea jusqu’en 1985.
  • [2]
    Hervé Guibert, L’Image fantôme, Paris, Minuit, 1981 (désormais abrégé en IF, intégré au corps du texte et suivi du numéro de page).
  • [3]
    Id., Le Mausolée des amants : journal (1976-1991), Paris, Gallimard, 2001 (désormais abrégé en MA, intégré au corps du texte et suivi du numéro de page).
  • [4]
    Charles Baudelaire, « Le Poème du hachisch », Les Paradis artificiels, Œuvres complètes (désormais abrégé en OC), t. I, éd. par Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 429-430.
  • [5]
    Transcription d’un entretien radiophonique consacré à la publication de L’Image fantôme, le 1er oct. 1981, rediffusé sur France Culture, en déc. 2005, à l’occasion du 50e anniversaire d’Hervé Guibert.
  • [6]
    Sur cette redéfinition des enjeux de l’autobiographie et de l’autofiction, voir Philippe Gasparini, Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Seuil, 2004.
  • [7]
    On citera notamment Susan Sontag, Sur la photographie (1979), trad. de l’anglais en collaboration avec l’auteur (Paris, Bourgois, 1993), Roland Barthes, La Chambre claire (Paris, Seuil, 1980) et Serge Tisseron, Le Mystère de la chambre claire (Paris, Les Belles Lettres, 1996). Ces trois ouvrages insistent tous sur un imaginaire érotique fortement lié à la pratique photographique, imaginaire proche de celui que l’on retrouve dans le texte de Guibert. 
  • [8]
    Bruno Blanckeman, « Nouvelle et Autofiction : le cas Guibert », paru en 2001 dans La Nouvelle aux frontières des autres genres : du Moyen Âge à nos jours, éd. par Vincent Engel et Michel Guissard, t. II, Bruxelles, Academia Bruylant, Bruxelles, disponible sur URL : http://www.herveguibert.net/#!nouvelle-et-autofiction/c13vb, consulté le 28 mai 2015.
  • [9]
    Susan Sontag, « Dans la caverne de Platon », Sur la photographie, op. cit., p. 28.
  • [10]
    Guibert utilise cette image dans Le Mausolée des amants pour désigner l’activité du photographe : « Mais là les deux garçons me sourient, je leur souris, et il me semble qu’à travers cet échange de sourires, et aussi le fait que je prenne la peine de les voir (et de “dépenser” quelque chose pour eux-mêmes si rien probablement ne doit leur en revenir), il se passe un vrai rapport… » (MA, p. 77).
  • [11]
    Il s’agit du deuxième texte du recueil, « L’Image fantôme », mais premier récit en fait si l’on considère que le premier texte fait fonction de préambule nouant un pacte avec le lecteur.
  • [12]
    Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », Journaux intimes, OC, t. I, op. cit., p. 676-708.
  • [13]
    Roland Barthes, La Chambre claire [1980], Œuvres complètes (désormais abrégé en OC), t. V, éd. par Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, p. 865.
  • [14]
    La scène fondatrice du genre se retrouve au tout début des Confessions de Rousseau : dans une prosopopée fantasmatique, Rousseau s’imagine depuis la mort présentant son livre à Dieu et aux autres hommes au moment du jugement dernier.
  • [15]
    Bruno Blanckeman, « Nouvelle et Autofiction : le cas Guibert », art. cit.
  • [16]
    Dominique Maingueneau, Le Contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993. Il propose la définition suivante de la paratopie : « L’appartenance au champ littéraire n’est donc pas l’absence de tout lieu, mais plutôt une difficile négociation entre le lieu et le non-lieu, une localisation parasitaire, qui vit de l’impossibilité même de se stabiliser. Cette localité paradoxale, nous la nommerons paratopie » (p. 28).
  • [17]
    Dans son journal Le Mausolée des amants, Guibert reprend sur un mode quasi fantasmatique cette idée d’une ontologie du moi révélée par la photographie à travers le motif déjà rencontré dans L’Image fantôme des lunettes déshabilleuses : « [...] comme si je le sondais, c’est une seconde de vérité ou de mensonge qui va se produire, mais quelque chose va apparaître, quelque chose va se révéler, quelque chose va se trahir. Je veux savoir quelque chose de plus, je vais l’emprisonner, et il sera comme une preuve. Le secret de l’autre sera mon secret. Et ce visage qui me fixe peut bien se décomposer : il est déjà mort » (p. 91).
  • [18]
    Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », Journaux intimes, OC, t. I, op. cit., p. 676.
  • [19]
    L’invention de Morel fait référence à une nouvelle de l’écrivain Bioy-Casarès et à laquelle Guibert fait allusion dans L’Image fantôme.
  • [20]
    On reconnaît les thèses développées par Sartre dans L’Imaginaire (Paris, Gallimard, 1946) et à qui Barthes rendit hommage en lui dédiant son essai sur la photographie La Chambre claire.
  • [21]
    La formule est empruntée au romancier et essayiste Milan Kundera (L’Art du roman : essai, Paris, Gallimard, 1986, p. 51).
  • [22]
    Voir Roland Barthes, La Chambre claire, op. cit., p. 856.
  • [23]
    Guibert rencontra Barthes en 1977 après avoir déposé dans la boite aux lettres de celui qui était alors un éminent professeur au Collège de France, un exemplaire de son premier livre, La Mort propagande. Les deux hommes entretinrent ensuite une correspondance. Guibert avait souhaité prendre une photo de la mère de Barthes, l’ironie du sort en ayant décidé autrement puisque Barthes ne reçut la demande de Guibert que très peu de temps après la mort de sa mère.
  • [24]
    L’hommage chez Guibert n’est nullement incompatible avec la recherche d’une voie propre. Si l’on peut penser à juste titre que Guibert fut marqué par La Chambre claire, il s’est aussi singularisé dans la mesure où il extrait des photographies moins une mélancolie du passé qu’une mélancolie et un désir d’écriture à venir. Guibert nous semble vouloir en effet dépasser l’idée barthésienne selon laquelle la photographie serait sans avenir, que « c’est là son pathétique, sa mélancolie » (Barthes, op. cit., p. 861).
  • [25]
    Bruno Blanckeman, « Nouvelle et Autofiction : le cas Guibert », art. cit.
  • [26]
    Michel Charles, Rhétorique de la lecture, Paris, Seuil, 1977.
  • [27]
    Julien Gracq, Lettrines, Paris, José Corti, 1967, p. 30.
  • [28]
    Barthes citant Blanchot, La Chambre claire, op. cit., p. 873.
  • [29]
    Ibid., p. 834.
  • [30]
    Guibert note dans son journal Le Mausolée des amants : « […] (l’admiration de Handke me poussant dans cette mise en écriture photographique du quotidien, insensée parce qu’infinie) » (MA, p. 36).
  • [31]
    Entretien avec François Jonquet, Globe, fév. 1992, p. 108.
  • [32]
    Guibert n’a cessé dans son journal Le Mausolée des amants de dire à quel point il rêvait de lire toute la Recherche.
  • [33]
    Marthe Robert, Roman des origines, origines du roman, Paris, Grasset, 1972. L’origine du roman et de la fiction en général serait à chercher dans cette tendance fabulatrice, observable chez tout enfant et qui le pousse à réécrire sa légende familiale en s’inventant d’autres parents plus conformes à ses désirs.
  • [34]
    Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, OC, t. III, éd. par Éric Marty, op. cit., p. 705-706.
  • [35]
    Interview donnée à France Culture le 7 déc. 1977.
  • [36]
    Jacques Rancière, « Des régimes de l’art et du faible intérêt de la notion de modernité », Le Partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La Fabrique Éd., 2000, p. 31 sq.
  • [37]
    Charles Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », Journaux intimes, OC, t. I, op. cit. : « Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? / Parce que la mer offre à la fois l’idée de l’immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l’homme le rayon de l’infini. Voilà un infini diminutif. Qu’importe s’il suffit à suggérer l’idée de l’infini total ? Douze ou quatorze lieues (sur le diamètre), douze ou quatorze de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offerte à l’homme sur son habitacle transitoire » (p. 696).
  • [38]
    Susan Sontag, « Dans la caverne de Platon », op. cit., p. 35.
  • [39]
    « Je disparaîtrai et je n’aurai rien caché », entretien avec François Jonquet, Globe, fév. 1992, p. 108.
  • [40]
    Charles Baudelaire, « Le Poème du hachisch », Les Paradis artificiels, OC, t. I, « Bibliothèque de la Pléiade », op. cit., 1975, p. 429-430.

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