Gérald Bronner : Je ne suis pas un spécialiste de l’islam, j’interviens comme spécialiste des croyances. L’idéologie djihadiste présente des éléments narratifs classiques dans le monde des croyances comme le millénarisme, la posture victimaire et les théories du complot, mais aussi des spécificités. C’est le propre de la sociologie de travailler sur l’hybridation entre les invariances des phénomènes sociaux et les variables. Virginie Tournay : Ces échanges sont tout à fait naturels, en quoi sont-ils significatifs ?SG : Lors de ces échanges informels, amicaux, des professionnels vont parfois convaincre des dominants de changer de point de vue, ces derniers devenant alors des « radicaux ». Ils se distinguent des professionnels par le fait que leur « conversion » a été le fait d’échanges rationnels sur la question. Sensibles sur le choix de rupture, ils l’adoptent sans pour autant être bornés. Ils se sont fait leur opinion en discutant, la défendent, vont même essayer de convaincre d’autres dominants de les rejoindre, mais ils restent à l’écoute des contre-arguments et sont susceptibles de changer de nouveau de choix. Ce sont des flotteurs en opposition aux professionnels qui sont des inflexibles. Ces échanges génèrent une dynamique d’opinion continue, et la question centrale est de pouvoir anticiper dans quelle direction elle va se développer et dans quel rapport de force elle va éventuellement se stabiliser. Il s’agit d’anticiper si une idée controversée présente un risque de se propager au point de constituer une norme nouvelle pour les groupes sociaux, ou si au contraire elle est amenée à rester minoritaire ou à baisser…