Introduction
1L’industrie de la presse est bousculée par les nouveaux usages numériques. La reconfiguration du processus de création de valeur (non pas au profit aux entreprises médias conventionnelles mais plutôt à celles d’internet : Google, Facebook, Twitter, Youtube....), l’incapacité pour de nombreux éditeurs de contenu à négocier le virage d’internet (Casero-Ripollés et Izquierdo-Castillo, 2013), le déséquilibre qui semble émerger de l’opposition entre les acteurs historiques et les nouveaux entrants ainsi que l’introuvable modèle économique de la presse en ligne constituent un terrain particulièrement fertile pour la recherche. Les préoccupations convergent tout particulièrement vers la question de la monétisation de l’information. Comme pour d’autres produits culturels (musique, vidéo...), le paiement de l’information en ligne continue d’être confronté à un encastrement cognitif et culturel, au cœur des fondements originels d’internet, celui de la prégnance de la gratuité. Les internautes restent en effet majoritairement convaincus que l’information en ligne doit rester gratuite. C’est ce qui explique la faible percée du lectorat payant en ligne dans le monde. En 2015, 7 % des lecteurs ont franchi ce pas au Royaume-Uni, 8 % en Allemagne, 10 % en Allemagne, 11 % en France. C’est surtout dans les pays scandinaves où l’on observe les niveaux les plus importants : 15 % au Danemark, 20 % en Suède, 27 % en Norvège (Newman & al., 2016). Au Maroc, selon une étude réalisée en 2016 auprès de 2000 lecteurs pour le compte de la fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), 18 % des personnes interrogées seulement se sont dit disposées à s’abonner à un site de presse électronique. Tout l’enjeu consiste donc à multiplier les travaux de recherche autour des déterminants du paiement de l’information en ligne, une question qui préoccupe depuis le début des années 2000 les travaux tant en stratégie, en marketing qu’en économie des médias. Sans pour autant dégager d’orientations consensuelles. Dans cet article, nous proposons un modèle explicatif de l’intention d’achat de l’information d’actualité en ligne et mobilisons comme cadre théorique de recherche, le modèle d’acceptation technologique (Davis, 1986, 1989). Sur le plan empirique, notre dispositif méthodologique s’appuie sur deux analyses quantitatives, exploratoire et confirmatoire, auprès de deux échantillons d’étudiants d’un établissement d’enseignement supérieur à Casablanca. Nous commencerons dans un premier temps par décrire dans une revue de littérature le cadre théorique retenu. Ensuite nous détaillons le modèle de recherche, nos hypothèses et le déroulement de l’enquête. Enfin, la dernière partie est consacrée à l’analyse des résultats, à la discussion et aux limites de notre travail.
1 – Cadre théorique et conceptuel
2Très utilisé depuis les années 80 dans les recherches sur les systèmes d’information et le marketing, le modèle d’acceptation technologique (Technology Acceptance Model, TAM) développé initialement par Davis (1986, 1989) a retrouvé un regain d’intérêt à la faveur d’internet et des technologies de l’information. L’idée postulée par cette théorie est que le succès d’une technologie s’appuie sur son acceptation dans la vie sociale et professionnelle. Dans les travaux qui se sont inspirés de Davis, cette acceptation peut être mobilisée pour prédire les intentions d’achats sur internet. A travers le TAM, Davis (1986) a introduit une adaptation de la théorie l’action raisonnée (Fishbein et Azjen, 1975), courant privilégié initialement dans les recherches sur les systèmes d’information. TAM est devenu rapidement l’un des courants les plus populaires en raison de sa capacité d’adaptation à différentes situations (Rauniar et al., 2014). TAM s’appuie sur deux variables clés, l’utilité perçue et la facilité d’utilisation perçue. L’utilité perçue fait référence au degré de croyances d’une personne que l’utilisation de la technologie va permettre d’améliorer ses performances après l’adoption du système tandis que la facilité d’utilisation perçue concerne le degré de croyance que l’utilisation d’une technologie se ferait sans effort. Dans le modèle originel simplifié, ces construits influencent l’attitude vis-à-vis de l’usage. Celle-ci va influencer une intention comportementale (behavior intention) d’utiliser, laquelle va à son tour conditionner l’utilisation de la technologie ou du service proposé. TAM a connu plusieurs mises à jour. Dans TAM2 (Venkatesh et Davis, 2000), l’utilité perçue est influencée par des variables cognitives et sociales (normes subjectives, pertinence pour le travail, expérience...) tandis que TAM3 (Venkatesh et Bala, 2008) a intégré d’autres variables (amusement perçu, anxiété perçue, expérience, volonté...) au modèle. Venkatesh et al. (2003), ont combiné plusieurs modèles d’acceptation de la technologie pour développer une version revisitée du TAM, sous le nom de théorie unifiée de l’acceptation et de l’utilisation de la technologie (TUAUT). Ce modèle a connu lui aussi plusieurs extensions et adaptations qui tiennent compte des contextes ou des populations d’utilisateurs (Venkatesh et al., 2012). A l’issue de plusieurs travaux empirique, le TAM se démarque nettement de l’ensemble des autres modèles, particulièrement sur sa capacité à expliquer la variance des intentions d’utilisation et la possibilité d’y introduire d’autres facteurs pouvant améliorer la compréhension dans certains contextes (Jelassi et Ammi, 2011). Il a été validé empiriquement dans de nombreuses recherches et les outils utilisés avec le modèle se sont révélés être de qualité et statistiquement fiables (Legris et al., 2003).
3Le TAM a été initialement utilisé dans des contextes professionnels et organisationnels, mais de plus en plus de recherches y ont recours pour explorer des comportements individuels ou grands publics. Les recherches empiriques ont porté notamment sur l’e-commerce (Koufaris, 2002), les systèmes de gestion de connaissance (Bourdon & Hollet-Haudebert, 2009) ou l’utilisation des réseaux sociaux (Rauniar et al., 2014). Dans notre étude, nous nous appuyons sur un modèle TAM qui reprend l’utilité perçue et la facilité d’utilisation perçue dans la liste des variables explicatives de l’intention d’achat, qui correspond ici à l’intention de comportement (Behavior intention). L’intention d’achat dans la présente recherche est définie comme étant l’intention d’un client à s’engager dans des achats d’informations en ligne (Pavlou, 2003). Il est à noter que notre modèle TAM n’intègre pas l’attitude dans la liste de nos construits. En effet, l’impact de l’attitude dans les processus de décision ou d’utilisation de la technologie a été critiqué dans la littérature. Pour Davis et al. (1989), ce construit a un impact significatif sous la théorie de l’action raisonnée mais pas sous le modèle d’acceptation technologique. Un modèle parcimonieux qui ne reprend pas l’attitude a un meilleur pouvoir explicatif (Lee et al., 2009). Davis (1989) a également suggéré de retirer l’attitude du TAM, ce qui a montré un bon pouvoir prédictif et explicatif du comportement des usagers. Le recours au TAM simplifié (sans l’attitude) est d’ailleurs devenu très courant dans la recherche (Davis et al., 1992 ; Venkatesh et Davis, 2000 ; Venkatesh et al., 2002). Par ailleurs, le choix de l’intention d’achat comme variable à expliquer et l’ouverture sur d’autres construits contextualisés se justifie théoriquement (Pavlou, 2003 ; Ahn et al., 2004 ; Faqih, 2011, 2013 ; Hajli, 2015). L’une des principales critiques formulées le TAM porte cependant sur la nécessité d’y introduire constamment de nouvelles variables pour permettre d’apporter une meilleure compréhension des processus d’adoption de nouvelles technologies ou des intentions de comportements dans les contextes étudiés (Legris et al., 2003 ; Wixom et Todd, 2005). Ces recommandations sont prises en considération dans la présente recherche comme nous le verrons dans les prochains paragraphes consacrés à la présentation des variables retenues et à notre jeu d’hypothèses.
2 – Modèle de recherche
2.1 – Contenu perçu
4L’analyse des comportements des consommateurs de l’information d’actualité en ligne ne peut se limiter uniquement à la composante technologique ou aux qualités intrinsèques des sites de journaux électroniques. Certains travaux ont montré que l’amélioration du contenu en qualité et en variété pouvait contribuer à la compétitivité perçue des nouveaux médias. Jung et al. (2009) trouvent dans le cas de la télévision mobile que le contenu média joue un rôle important dans l’acceptation du service proposé par les consommateurs. Quant à Simon et Kadiyali (2007), ils attribuent une part des avantages des nouveaux médias à leur capacité à proposer un contenu illimité.
5D’autres recherches suggèrent que ce contenu doit rester gratuit sauf s’il est très spécialisé (Lopez, 2010, cité par Goyanes, 2014), ou que le lecteur n’arrive pas à trouver un contenu similaire sur des sites gratuits. Dans une démarche pragmatique, nous nous référons dans le cadre de cette recherche au contenu exclusivement journalistique. Il s’agit donc d’une définition proche de la notion d’« editorial content » qui se rapporte aux productions des journalistes, indépendamment des technologies utilisées, qu’il s’agisse de textes (écrits ou parlés), de données, de graphiques, d’images ou de vidéos. Nous émettons ainsi les hypothèses suivantes :
6H1 : le contenu perçu influence positivement l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
7H2 : le contenu perçu influence positivement l’utilité perçue dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
2.2 – Performance escomptée
8Dans les recherches ayant mobilisé le TAM, les attentes en termes de performances et de résultats ont été liées à l’utilisation de la technologie (Compeau et al., 1999). Ce construit est répertorié dans la littérature TAM et TUAUT, mais aussi dans les travaux en relation avec la théorie de la motivation (Vroom, 1964). Lee et al. (2003) associent la performance escomptée aux attentes de gains de performance des individus grâce à l’utilisation de la technologie. Venkatesh et al. (2003) définissent la performance escomptée comme étant « le degré de croyance d’un individu concernant les gains possibles en matière de performance au travail grâce à son usage du système » (p. 447). Quant à Bourdon et Hollet-Haudebert (2009), ils attribuent dans leur travail empirique sur les bases de connaissance la performance escomptée à « l’étendue des croyances de l’individu quant à sa capacité à accroître sa performance individuelle et celle de son organisation grâce à ses comportements de contribution au système » (p. 17). Nous pouvons considérer que les consommateurs ont aussi des attentes par rapport aux sites d’informations en ligne. Notre hypothèse est donc :
9H3 : la performance escomptée influence positivement l’utilité perçue dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
2.3 – Mentalité du gratuit
10Plusieurs travaux ont attribué les difficultés de monétisations des contenus en ligne, qu’il s’agisse d’information d’actualité ou d’autres produits, à la persistance de la « mentalité du gratuit ». Le paiement de l’information continue d’être confronté à un encastrement cognitif et culturel, au cœur des fondements originels d’internet, celui de la prégnance de la gratuité. Les internautes ont développé l’idée que le contenu en ligne devait rester gratuit et que c’était aux annonceurs de le financer. Ce phénomène tient en partie à l’histoire d’internet, créé au départ, du moins dans sa variante académique et non militaire, dans un esprit ouvert, collaboratif et de partage de l’information (Godefroy & Pénard, 2004). A ce jour, les recherches tant en économie des médias qu’en sciences de gestion et de l’information ont révélé un certain nombre de liens de causalité, mais il n’existe pas à ce jour de modèle de synthèse qui puisse combiner différentes conclusions empiriques. Ce qui plaide pour d’avantage de recherches. Dans le cas des offres d’industries culturelles en ligne (qu’il s’agisse du monde l’édition ou de l’audiovisuel), la littérature ne fait pas ressortir systématiquement des effets de corrélation négative entre des construits qui s’appuient sur la mentalité du gratuit et l’intention d’achat. Smith et Telang (2009) montrent ainsi que la diffusion de contenus gratuits stimule les ventes de contenus payants, lorsqu’il existe des efforts de différenciation entre versions gratuites et payantes d’une même œuvre. Dans le cas d’une autre industrie culturelle en ligne, celle de la vidéo, Martikainen (2011) ainsi que Bounie et al. (2006) cités par Dejean (2010) trouvent eux aussi que la présence de films piratés sur les réseaux pair-à-pair ne semble pas cannibaliser les ventes de DVD.
11Notre hypothèse est donc :
12H4 : la mentalité du gratuit influence négativement l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
2.4 – Equité perçue
13Certaines recherches en relation avec l’économie numérique ont exploré des considérations d’équité dans les intentions d’achat. Ces approches s’appuient sur une théorie développée en psychologie sociale, celle de l’équité (Adams, 1963 ; Walster et Berscheid, 1978). Celle-ci affirme que la perception par les agents d’une situation d’iniquité les amène à adopter des comportements différents. Dans le cas de l’information en ligne, l’injustice reflète la perception du client selon laquelle le paiement n’est pas nécessaire puisque les fournisseurs de services peuvent recevoir de l’argent auprès des annonceurs. Taylor (2001) va ainsi attribuer le refus de payer l’information d’actualité en ligne au sentiment d’injustice ressenti par les internautes qui ne trouvent aucune raison de financer un contenu qui à leurs yeux est financé par les annonceurs. En travaillant sur le Paywall (mur payant) de la version en ligne du New York Times, Cook et Attari (2012) constateront des attitudes similaires. Lorsque les personnes interrogées se voyaient proposer un argumentaire où le paiement en ligne de l’information était mis en perspective avec le risque de faillite, ou de fermeture du journal, elles étaient alors plus disposées à payer. Le même phénomène d’arbitrage par équité a été constaté dans le contexte marocain, cadre empirique de la présente recherche. Au mois d’octobre 2016, Le Desk (www.ledesk.ma), un journal électronique qui portait jusque-là, sur le modèle de son équivalent français, Mediapart, les espoirs d’une des expériences marocaines les plus prometteuses en matière de monétisation de l’information en ligne, révélait au grand jour ses difficultés financières, annonçant dans un communiqué l’imminence d’une fermeture. Seule une mobilisation des internautes à travers un appel à souscrire massivement pour aider un « journal indépendant » a finalement permis d’apporter de la trésorerie et de le maintenir en sursis. Nous proposons l’hypothèse suivante :
14H5 : l’équité perçue influence positivement l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
2.5 – Crédibilité perçue
15Si la question de la crédibilité de l’information et/ou de ses sources n’est pas un objet sous-exploré de la recherche académique, elle a connu un intérêt renouvelé à la faveur d’Internet. L’explosion de sources d’informations alternatives aux médias classiques s’est en effet accompagnée d’une montée des préoccupations autour de la crédibilité avec souvent une prolifération de la rumeur, d’informations non sourcées, non vérifiées (Sundar, 1998). Dans certaines situations, la viralité de la diffusion d’informations sur Internet a non seulement permis à ces informations d’être diffusées à grande échelle, mais aussi d’atteindre le statut de news. Les premiers travaux dans ce domaine remontent au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale avec les travaux américains sur la persuasion de Carl Hovland (Hovland et al., 1953), plus connus sous le nom du programme de recherche en communication de Yale. Dans la construction de Hovland, la crédibilité est une caractéristique universelle de toute source générale de communication, quel que soit son contexte professionnel. Certaines recherches montrent que la crédibilité des nouvelles peut influencer le comportement et la manière avec laquelle le récepteur du message s’engage avec le contenu, en particulier les comportements de recherche d’informations. Stroud et Lee (2013) par exemple retiennent la « crédibilité perçue des nouvelles » (perceived news credibility) en tant que variable modératrice dans le cas de la télévision par câble. Nos hypothèses sont :
16H6 : la crédibilité perçue influence positivement l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne
17H7 : la crédibilité perçue influence positivement l’utilité perçue dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne
2.6 – Usage des réseaux sociaux
18En à peine une douzaine d’années, les réseaux sociaux se sont imposés en tant que phénomène à la fois économique, politique, sociétal. Les Facebook, YouTube, Twitter, et autre WhatsApp fascinent et en même temps inquiètent par rapport aux effets disruptifs qu’ils induisent et qui déstabilisent de nombreux secteurs. Pour n’en citer que quelques-uns, les soupçons de pratiques anticoncurrentielles, utilisation des données personnelles des internautes souvent à leur insu ont alimenté d’intenses polémiques au cours de ces dernières années. La montée en puissance de ces plateformes reste l’un des faits marquants de ces dernières années dans le débat sur la presse en ligne. Kaplan et Haenlein (2010) définissent un réseau social comme « un groupe d’applications en ligne qui se fondent sur l’idéologie et la technologie du Web 2.0 et permettent la création et l’échange du contenu généré par les utilisateurs » (p. 61). L’On retrouve dans cette définition deux marqueurs clefs du fonctionnement des réseaux sociaux : le Web 2.0 et le contenu généré par les utilisateurs (user generated content). Les externalités de réseaux sont très importantes sur ces plateformes puisque l’utilité augmente avec le nombre d’utilisateurs. Mobilisé pour la première fois en 2004 pour décrire une nouvelle manière d’utilisation du World Wide Web par les développeurs informatiques et les utilisateurs finaux, le Web 2. 0 a commencé à désigner toute plateforme numérique par laquelle les contenus et les applications ne sont plus créés et publiés par des individus, mais modifiés continuellement par tous les utilisateurs de manière participative et collaborative (Kaplan & Haenlein, 2010). L’abondance de la production de contenu gratuit sur les réseaux sociaux reste l’un des principaux défis pour le paiement de l’information en ligne (Nel, 2010 ; Chyi & Chadha, 2011).
19La littérature identifie trois modèles économiques pour les réseaux sociaux : le modèle transactionnel, le modèle publicitaire (le plus fréquent) et le modèle de souscription (Horng, 2012). Dans le modèle transactionnel, la plateforme de réseau social sert de support à une transaction type e-commerce entre un acheteur et un vendeur. Pour sa part, le modèle publicitaire, où le réseau social se finance par la vente d’espaces aux annonceurs, se décline en, d’une part, « l’affiliation » et d’autre part, les bannières publicitaires. Dans les modèles d’affiliation, les sites Web dirigent le trafic vers un site « affilié » et reçoivent en contrepartie une commission ou un pourcentage des revenus des ventes qui en résultent (Enders et al., 2008). Quant aux modèles des bannières publicitaires, ils permettent aux opérateurs de plateformes de facturer des frais en échange de l’affichage de publicités sur leur site Web. Ce qui explique aussi leur course à l’audience (Canzer, 2006). Facebook par exemple, propose à des clients corporate (entreprise ou organisations) de créer des groupes spéciaux moyennant un sponsoring. Enfin, dans les modèles de souscription, la plateforme offre des services supplémentaires contre un paiement. C’est le cas du réseau social allemand Stayfriends qui propose certaines fonctionnalités gratuites (recherche d’anciens amis, visualisation de photos de classe notamment) tandis que d’autres nécessitent un abonnement ou de Linkedin qui offre un agrégateur de news payant, Pulse, ou des services de formation (www.linkedin.com/learning). Au regard de la variété de leurs modèles de revenus, les réseaux sociaux peuvent avoir des effets contrastés qui ne vont pas nécessairement dans le sens d’un consentement à payer l’information. Mangani (Mangani, 2017) prévient ainsi que les internautes peuvent prendre l’existence de services premium sur des plateformes de réseaux sociaux pour une tentative d’exploiter leur volonté de payer pour des services supplémentaires. Quant à Dou (Dou, 2004), il considère dans ces conditions que les réseaux sociaux risquent pratiquement de perdre les internautes qui ont une « mentalité du gratuit ». Un constat que reprennent dans des travaux plus récents Hon et al. (2016). En cas de facturation de services précédemment gratuits, le risque est de voir les internautes basculer vers d’autres sites proposant des services similaires, car les coûts de commutation sont relativement bas.
20Dans la présente recherche, nous postulons que l’usage des réseaux sociaux influence la mentalité du gratuit. Notre hypothèse est :
21H8 : l’usage des réseaux sociaux influence positivement la mentalité du gratuit dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
2.7 – Utilité perçue et facilité d’utilisation perçue
22Davis (1989) définit l’utilité perçue par « le degré de croyance que l’utilisation d’un système particulier par un individu va améliorer sa performance au travail ». Quant à la perception de la facilité d’utilisation, elle fait référence au « degré de croyance que l’utilisation d’un service s’appuyant sur les technologies de l’information se ferait sans effort ». Certains travaux ont constaté que l’utilité perçue influençait la valeur perçue (Chu & Lu, 2007). Dans le cas de l’information d’actualité en ligne, ces deux construits renvoient avant tout aux avantages technologiques des sites en termes de possibilité d’interactivité, de multimédia, d’immédiateté de l’information. Dans le prolongement des précédentes recherches ayant mobilisé le TAM, nous postulons que la facilité d’utilisation perçue influence positivement l’utilité perçue. En effet, plus un individu pourra interagir facilement avec une technologie, plus il la trouvera utile et aura l’intention de l’utiliser (Jung et al., 2009 ; Ha & Stoel, 2008). Même si traditionnellement l’utilité d’un produit peut être appréhendée en tant qu’indicateur de popularité, et le rend éventuellement éligible à une transaction marchande, il en va autrement pour le contexte empirique objet de la présente recherche, celui de l’information en ligne. En effet, les consommateurs dans le cas d’espèce n’utilisent pas toujours ce qu’il préfèrent et la plupart ne sont pas disposés à payer pour ce qu’ils utilisent (Chyi & Lee, 2013). Cette complexité est caractéristique du champ investi par la présente recherche, celui de l’information en ligne. Elle explique à la fois les difficultés de monétisation et l’absence d’un business model de la presse sur internet. C’est aussi la raison pour laquelle de nombreuses expériences éditoriales peuvent connaître des succès d’audience, mais qui ne sont pas suivis de succès économique. Nos hypothèses sont :
23H9 : l’utilité perçue influence positivement l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
24H10 : la facilité d’utilisation perçue influence positivement l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
25H11 : la facilité d’utilisation perçue influence positivement l’utilité perçue dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne.
26Notre modèle de recherche est repris dans la figure 1.
Modèle de recherche
Modèle de recherche
3 – Dispositif expérimental
3.1 – Élaboration des items et collecte des données
27A l’issue de la phase d’élaboration des construits, notre travail a consisté à créer les items relatifs aux échelles de mesure. L’ensemble des construits est mesuré à travers des échelles de Likert à 7 points, codées de 1 = « Pas du tout d’accord » à 7 = « Tout à fait d’accord ». Nos variables sont toutes ordinales. Les échelles de l’utilité perçue et la facilité d’utilisation perçue sont adaptées de Davis (1989) et Jung et al. (2009). Pour la mesure de la crédibilité perçue, nous nous sommes appuyés sur une échelle inspirée de Johnson & Kaye (1998) et Chung et al. (2012). Pour l’usage des réseaux sociaux, la plupart des échelles répertoriées dans la littérature ne détaillent pas leurs qualités psychométriques ou les tests de validité. L’approche développée par Jenkins-Guarnieri et al. (2013) sous le nom de SMUIS (Social Media Use Integration Scale) a cependant pallié ces insuffisances en proposant une échelle plus solide et validée empiriquement pour la plus importante des plateformes, celle de Facebook. C’est cette échelle que nous avons retenue pour le présent travail. L’échelle de Chan-Olmsted (2013) a été utilisée pour le contenu perçu, et la performance escomptée. Pour la mentalité du gratuit, nous avons retenu l’échelle de Dou (2004). Enfin, la mesure de l’intention d’achat est adaptée d’une échelle de Chyi (2005) et Lin et al. (2013). Comme le recommandent Igalens et Roussel (1998), les items de certains construits (utilité perçue, facilité d’utilisation perçue, équité perçue, mentalité du gratuit) ont été mélangés pour éviter les effets de contamination et de halo. Un pré-test a également été conduit auprès d’un groupe de 15 étudiants en journalisme pour s’assurer de la compréhension des items. Nous avons répété en face à face cet exercice jusqu’à obtention de notre questionnaire final.
28Conformément au paradigme de Churchill (1979), nous avons mobilisé deux échantillons, l’un pour la phase exploratoire, l’autre pour l’étape confirmatoire. La collecte des données aussi bien pour la phase exploratoire que confirmatoire a été effectuée entre mars et juin 2017 auprès de deux échantillons de convenance distincts d’étudiants d’un établissement public d’enseignement supérieur, l’ENCG de Casablanca. Un argument de taille nous a conduits à cibler des profils jeunes. Plusieurs recherches insistent en effet sur la nécessité de multiplier les enquêtes empiriques auprès de jeunes, plus enclins en principe à acheter l’information en ligne, car plus à l’aise avec la technologie (Chyi, 2005 ; Goyanes, 2014). Pour le 1er échantillon, le questionnaire a été administré à 300 étudiants pour un taux de réponse de 45 % (135 réponses). Après élimination de fichiers pour données manquantes (13), nous avons finalement obtenu 122 réponses exploitables (N=122). Pour l’échantillon confirmatoire, le questionnaire a été distribué à 500 étudiants. Après élimination des questionnaires incomplets ou mal remplis, nous avons pu obtenir 451 réponses exploitables (N=451). Dans notre recherche, seuls 6,6 % des répondants affirment ne pas consulter les sites d’information en ligne. Ces résultats ont été obtenus dans le cadre d’une question sur les habitudes de consommation de l’information, tous supports confondus (Sites d’information en ligne, presse imprimée, TV, radio). Cette question a été élaborée conformément au principe de la lecture-veille, qui reste la technique la plus en vogue dans les enquêtes médias, le sondé étant invité à se prononcer sur le temps de lecture, de visionnage télé ou d’écoute radio qu’il a consacré dans la journée précédente. Pour les sites d’information en ligne, ils sont 26 % à y consacrer une heure par jour, plus de 15 % entre 30 minutes à moins d’une heure et 13 % entre 20 minutes à moins de 30 minutes par jour. Sur les 451 réponses validées pour l’échantillon confirmatoire, 30 ont affirmé acheter de l’information en ligne. La faiblesse de ce dernier taux cadre parfaitement avec la physionomie de l’offre d’information en ligne dans le contexte empirique marocain retenu pour la présente recherche. Laquelle reste modeste et ne prend pas nécessairement la forme d’un vrai paywall (mur payant). A notre connaissance, deux expériences seulement peuvent être qualifiées d’offre d’information en ligne payante au Maroc. D’un côté celles du « Desk » (www.ledesk.ma), un pure player, qui a tenté de s’inspirer du français Mediapart, mais s’est heurté très rapidement aux limites de son modèle économique, qu’il souhaitait financer exclusivement par ses lecteurs, et sans publicité, frôlant à plusieurs reprises la faillite. De l’autre, celle de l’hebdomadaire Telquel qui propose moyennement abonnement son magazine au format numérique la veille de sa sortie en kiosque. La rareté de l’offre d’information en ligne payante dans ce contexte plaide pour des travaux de recherche qui permettent aux acteurs de contourner la gratuité et de mieux comprendre comment pourrait se construire le consentement à payer dans un marché en émergence. La phase de purification de nos échelles s’est appuyée sur une analyse factorielle exploratoire à l’aide du logiciel SPSS (version 22). Neuf facteurs faisant ressortir 31 items ont émergé à l’issue de cette phase. La factorabilité est supportée par les tests de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO=0, 75) et de sphéricité de Bartlett (= 2552,51, ddl = 10, sig =0,000). Le premier niveau d’interprétation de la solution factorielle consiste à retenir les coefficients de corrélation les plus élevés entre variables initiales et facteurs (loadings). La règle habituelle est de retenir les loadings avec une valeur supérieure à 0,50 (Evrard et al., 2009). Le deuxième niveau d’interprétation cible l’analyse des saturations. Celle-ci correspond au niveau de corrélation d’un item avec un facteur. Un troisième niveau d’interprétation peut s’appuyer sur la méthode des rotations. Nous avons utilisé la rotation Varimax qui reste l’approche la plus utilisée et prend en considération la maximisation des coefficients de corrélation des variables les plus corrélées. Enfin, le recours au scree test (Catell, 1996) a permis d’identifier 9 dimensions avant la cassure. L’absence de colinéarité des données a été vérifiée sur SPSS (version 22) moyennant les indices de skewness (asymétrie) et de kurtosis, dont les valeurs doivent être inférieures à 3 en valeur absolue. La fiabilité de chaque construit a été vérifiée à travers l’alpha de Cronbach. En définitive, à l’issue de cette phase nous avons pu retenir 31 items pour une variance expliquée de 78 % (Tableau 1). Compte tenu de ces résultats, l’étape suivante peut être menée. Elle a consisté à analyser les données du deuxième échantillon sur deux niveaux : le premier via l’analyse factorielle confirmatoire qui vise à évaluer la qualité du modèle de mesure, le deuxième est destiné au modèle de structure. A l’issue de notre phase exploratoire, nous avons utilisé la méthode des équations structurelles pour tester notre modèle composé de 8 variables et 11 hypothèses. Deux modèles ont été mobilisés, un modèle de mesure (dont l’analyse confirmatoire est l’une des déclinaisons) et un modèle de structure qui correspond au test des hypothèses. L’analyse factorielle confirmatoire (modèle de mesure) ainsi que le modèle de structure sur le deuxième échantillon (N=451) ont été réalisés via le logiciel AMOS (version 22). Cette étape nous a permis de compléter la vérification de la fiabilité et de la validité entamée pendant la phase exploratoire et ensuite de vérifier la validité des échelles de mesure à travers leurs indices d’ajustement. La taille de notre échantillon (> 200) ainsi que la multinormalité de nos variables (Kurtosis < 8, Skewness < 3) nous ont convaincus d’utiliser la procédure d’estimation dite du maximum de vraisemblance (maximum likelihood) avec une procédure de Bootstrap comprenant 200 estimations par paramètre. L’évaluation des indicateurs de la qualité d’ajustement des données au niveau du modèle global s’appuie sur le critère de l’Overall Goodness of Fit ainsi que sur d’autres indices d’ajustements qui mobilisent les variances expliquées comme l’AGFI (Adjusted Goodness of Fit), le GFI (Goodness of Fit Index) ou qui utilisent les résidus (différences entre résultats calculés et données) à l’instar du RMR (Root Mean Square Residual) ou du SRMR (Root Mean Square Residual Standardized). Les résultats de ces indices sont rassemblés dans le tableau 2.
Qualités psychométriques des échelles utilisées
Qualités psychométriques des échelles utilisées
Indices d’ajustement global du modèle de mesure
Indices d’ajustement global du modèle de mesure
29L’analyse des indices parcimonieux (χ2/df) permet de constater que l’hypothèse nulle est vérifiée par la valeur du (χ2/df) égale à 1, 58 et donc très inférieure au seuil admissible de 5 (Lomax et Schumacker, 2004). Les indices absolus du modèle sont vérifiés par le GFI (0,914), l’AGFI (0,894), mais pas par le RMR (0,141). Le RMR, habituellement associé au nombre d’observations reste difficile à interpréter (Byrne, 2013, p. 94). Nous pouvons cependant nous appuyer sur le SRMR= 0,04, puisqu’une valeur inférieure au seuil de 0,08 est jugée adéquate (Bentler, 1995). Pour sa part le RMSEA (0,036) inférieur au seuil admissible de 0,05 permet de s’assurer de la faible erreur de l’estimation. Les indices incrémentaux (NFI, TLI, CFI) réputés moins sensibles à la taille de l’échantillon sont acceptables (> 0,9). Après l’analyse factorielle confirmatoire, il s’agit ensuite de passer à l’étape d’estimation du modèle de structure et de la validation des hypothèses. Là aussi il s’agit de vérifier l’ajustement du modèle en tenant compte de l’ensemble d’indices mobilisés au cours de la phase de l’analyse confirmatoire : indices parcimonieux, indices absolus, indices incrémentaux. L’adéquation du modèle causal est vérifiée par l’analyse des indices parcimonieux (χ2/df = à 1,63 et donc très inférieure au seuil admissible de 5. Les indices absolus du modèle sont vérifiés par le GFI (0,918), l’AGFI (0,894), mais pas par le RMR (0,151). Le RMR, habituellement associé au nombre d’observations, reste difficile à interpréter (Byrne, 2013, p. 94). Nous pouvons cependant nous appuyer sur le SRMR= 0,05 < 0,08. Pour sa part le RMSEA (0,037) inférieur au seuil admissible de 0,05 permet de s’assurer de la faible erreur de l’estimation. Les indices incrémentaux (NFI, TLI, CFI) réputés moins sensibles à la taille de l’échantillon sont acceptables (> 0,9). Les résultats de ces indices sont rassemblés dans le tableau 3.
Indices d’ajustement global du modèle de structure
Indices d’ajustement global du modèle de structure
30Pour mesurer la fiabilité, nous avons eu recours à l’alpha de Cronbach et au Rho de Jöreskog qui permettent de calculer la fiabilité de chaque dimension. Pour l’alpha de Cronbach, toutes les échelles ont montré des résultats satisfaisants (> 0,7). Le Rho de Jöreskog calculé sur les données non standardisées est le deuxième indicateur utilisé habituellement pour mesurer la fiabilité des échelles de mesure. Par rapport à l’alpha de Cronbach, il présente l’avantage d’être moins sensible au nombre d’items et intègre l’erreur de mesure. En dehors d’une seule dimension, celle de la performance escomptée, le Rho de Jöreskog, moins sensible que l’Alpha de Cronbach au nombre d’items est supérieur à 0,8 pour l’ensemble des échelles. Ce qui atteste d’une bonne fiabilité de nos construits. La validité est vérifiée habituellement à travers la validité convergente et la validité discriminante. Pour la validité convergente, Roussel et al. (2002) suggèrent de s’assurer que le Rho de validité convergente ou variance moyenne extraite (VME) est supérieure à 0,5, seuil minimal conseillé par Fornell et Larcker (1981) afin de vérifier que la variance du construit est plus expliquée par ses items que par l’erreur. Ensuite à travers un t-test, il s’agit de s’assurer que les corrélations variables/facteurs sont significativement non nulles. La valeur du t devant être supérieure à 1,96. Ces deux conditions sont respectées. Quant à la validité discriminante, elle est vérifiée lorsque la valeur la plus élevée parmi les carrés des corrélations entre les facteurs est inférieure à la plus petite des variances moyennes extraites (Rhô VC). Le tableau 4 synthétise la vérification de ces conditions. Enfin, la validité nomologique est assurée par la validation des hypothèses.
Validité discriminante et convergente
Validité discriminante et convergente
Les chiffres en diagonale représentent la racine carrée de la variance moyenne extraite (VME) qui correspond aussi au rhô vc. En dessous figurent les corrélations entre les construits.4 – Résultats de la recherche
31L’examen des relations structurelles permet de souligner qu’une seule variable relative au contexte étudié, le contenu perçu (H1) n’a pas d’influence sur l’intention d’achat. Comme postulé, la mentalité du gratuit influence négativement l’intention d’achat (H4). Ce qui confirme tout l’intérêt du débat autour de la gratuité dans le cas de presse en ligne. A la différence d’études antérieures qui ont exploré exclusivement le rôle de la mentalité du gratuit, nous avons dans la présente étude franchi un palier supplémentaire en examinant la relation indirecte des réseaux sociaux. Cette recherche réaffirme également l’influence des deux concepts-clefs au cœur du TAM, l’utilité perçue (H9) et la facilité d’utilisation perçue (H10) en tant que déterminant de l’intention d’achat. Les construits retenus dans notre modèle en tant que déterminants directs de l’intention d’achat de l’information en ligne : équité perçue, utilité perçue, facilité d’utilisation perçue, mentalité du gratuit, et crédibilité perçue font ressortir un bon pouvoir de prédiction de notre modèle puisqu’ils expliquent 40 % de la variance du construit (R2 ou Squarred multiple correlation, SMC = 0,398). S’agissant des déterminants de l’utilité perçue, nos résultats font tout d’abord ressortir l’influence importante de la facilité d’utilisation perçue conformément à ce qui est suggéré à d’autres travaux de recherche ayant mobilisé le modèle d’acceptation technologique (H11). Contrairement à la performance escomptée (H3), les deux variables indépendantes de contexte, contenu perçu (H2) et crédibilité perçue (H7) influencent également de manière significative l’utilité perçue. Les résultats des liens des causalités du modèle structurel sont présentés dans le tableau 5.
Résultats des liens des causalités du modèle structurel
Résultats des liens des causalités du modèle structurel
5 – Discussion
32Nous avons, conformément à la littérature, formulé l’hypothèse que les construits fondateurs du TAM, utilité perçue et facilité d’utilisation perçue ont une influence directe sur l’intention d’achat. Pour comprendre l’impact de variables spécifiques au contexte étudié, celui de l’information en ligne, nous avons intégré des construits importants de contexte que la littérature a interrogé dans les sujets en relation avec les systèmes d’information, internet ou la recherche sur les médias : mentalité du gratuit, équité perçue, contenu perçu, performance escomptée, crédibilité perçue. Nous avons émis l’hypothèse qu’ils impactent directement l’intention d’achat. En outre, nous avons examiné l’influence de l’usage des réseaux sociaux sur la mentalité du gratuit. A l’issue d’une enquête auprès de deux échantillons, la plupart de nos hypothèses sont vérifiées. Le modèle que nous avons déployé, formalisé par le protocole de Churchill et s’appuyant sur la méthode des équations structurelles, affiche une bonne qualité d’ajustement.
33Notre étude a montré que l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne est influencée par l’utilité perçue, la facilité d’utilisation perçue, la mentalité du gratuit, la crédibilité perçue et l’équité perçue. Notre recherche permet de constater que les consommateurs sont plus disposés à franchir le pas de la transaction s’ils pensent que le site d’information peut leur apporter des bénéfices significatifs et qu’il est facile à utiliser dans leur vie ou leur travail. Notre étude a entièrement validé le modèle TAM puisque la facilité d’utilisation perçue a une influence positive et significative sur l’utilité perçue. Les consommateurs trouveront le service d’information en ligne significativement utile si cela ne leur demande pas beaucoup d’efforts. Cependant, notre recherche démontre que l’influence de la facilité d’utilisation perçue sur l’intention d’achat est faible comparativement à celle de l’utilité perçue. Ce résultat est conforme à la littérature sur le TAM (Faqih, 2013). En tout état de cause, la consommation de l’information en ligne est un phénomène qui s’est démocratisé et qui ne se pose plus tellement en termes de facilité d’utilisation. Fait intéressant, si le contenu perçu influence fortement l’acceptation du service d’information en ligne (H2), nos résultats montrent que cette relation n’est pas significative dans son pouvoir explicatif de l’intention d’achat. Ce résultat qui renvoie à une dimension du contenu média ne manque pas d’intérêt ni du point de vue académique ni managérial. Peu de recherches se sont intéressées au rôle du contenu média dans la crise de la monétisation de l’information en ligne (Thurman and Myllylahti, 2009 ; Meyer, 2009). La qualité de l’information reste il est vrai un concept protéiforme, ce qui le rend difficilement décryptable. Pour les uns, elle dépend de la qualité du style de rédaction, pour d’autres elle renvoie au degré de précision et de recoupement des informations. En tout cas, elle ne peut être associée à un construit qui soit mesuré de manière objective. Toujours à l’aune de la qualité du contenu, une autre explication de son absence de pouvoir prédictif de l’intention d’achat pourrait résider dans le statut de « bien inférieur » qui revient dans certains travaux. Sous cette perspective, l’information en ligne aurait en effet un statut moins prestigieux que son équivalent papier, ce qui la rend difficilement monétisable (Carson, 2015 ; Chyi, 2004). Dernière hypothèse possible de l’absence de pouvoir explicatif du contenu perçu, celle d’une certaine déception générale chez les audiences de la manière dont l’actualité est abordée : traitements trop factuels, absence d’efforts de storytelling. De futures recherches qui intègrent le style journalistique dans la liste des variables explicatives pourraient apporter un meilleur éclairage. Par ailleurs, l’influence de la mentalité du gratuit est un autre apport de notre recherche en ce sens que ce construit reste un déterminant, quoiqu’avec une variance faible des intentions d’achat de l’information en ligne. A la différence d’études antérieures qui ont exploré exclusivement le rôle de la mentalité du gratuit, nous avons dans la présente étude franchi un palier supplémentaire en examinant la relation indirecte des réseaux sociaux. Notre enquête montre que leur utilisation influence significativement, la mentalité du gratuit. Il n’est pas surprenant de trouver pareils résultats auprès de consommateurs jeunes. Les réseaux sociaux restent la principale source pour s’informer pour cette catégorie.
34Une autre contribution importante réside dans l’évidence empirique que les utilisateurs ont besoin d’être rassurés sur la fiabilité de l’information avant de s’engager dans l’intention d’achat de l’information en ligne. C’est aujourd’hui l’un des principaux défis des médias électroniques. Les résultats font en effet ressortir l’influence significative de la crédibilité perçue sur l’intention d’achat. L’intensité de ce prédicteur reste cependant modeste comparativement à d’autres construits (0,261). Ce résultat semble indiquer que les sites d’information en ligne continuent d’être considérés avec méfiance avec en toile de fonds la perspective du débat polémiqué autour des fake news.
35Conformément à la littérature (Cook & Attari, 2012), l’équité perçue est significative dans son influence de l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne. Payer l’information sur internet continue d’être vécu comme une injustice pour une partie des internautes. Dans le prolongement des travaux TAM, et sa variante aménagée TUAUT, nos résultats mettent en évidence le rôle de la valeur utilitaire de la technologie puisque la performance escomptée influe de manière significative sur l’utilité perçue. Pour les services d’information en ligne aussi, les individus évaluent les conséquences de leur comportement en termes d’utilité perçue et fondent leur choix de comportement et envie de s’engager sur l’opportunité de l’utilité. Pour conclure, notre étude montre que l’intention d’achat dans le contexte des sites d’information d’actualité en ligne est influencée tout autant par des facteurs psychosociologiques (mentalité du gratuit, équité perçue, et dans une moindre mesure la crédibilité perçue) spécifiques au contexte étudié que par les construits génériques du TAM (Utilité perçue, facilité d’utilisation perçue).
6 – Perspectives et limites de la recherche
36Cette recherche nous a permis de mieux expliquer une intention de comportement, l’intention d’achat de l’information en ligne, et à mesurer l’impact de déterminants cognitifs (mentalité du gratuit, équité perçue, crédibilité perçue). Nous souscrivons ainsi à l’appel de Baron et al. (2006) d’aller au-delà des concepts clefs du TAM (Utilité perçue et facilité d’utilisation perçue) de manière à cerner des perspectives qui ne sont pas capturées par le cadre originel de Davis (1989) ou de ses adaptations. Pour les recherches en marketing, en management, en économie des médias, c’est aussi l’un des rares travaux à avoir ciblé un domaine où les comportements de consommation ne sont pas suffisamment compris pour l’heure. Nous pensons donc qu’il trouvera un intérêt auprès des chercheurs et des praticiens.
37Comme pour toutes les recherches, la nôtre n’est pas dépourvue de limites. Sur le plan théorique, plusieurs autres variables puisées dans les théories cognitives et comportementales, l’information, la communication pourraient être étudiées dans un rôle déterminant ou modérateur pour améliorer le potentiel explicatif de notre modèle. Les pistes pour les futures recherches doivent continuer d’explorer les composantes individuelles de la consommation, la technologie mais ne doivent pas négliger les dimensions organisationnelles et environnementales.
38Par ailleurs, dans la mesure où notre recherche a été réalisée auprès de groupes d’étudiants, nos résultats doivent être accueillis avec prudence. Comme pour l’ensemble des échantillons non probabilistes, nos résultats ne peuvent pas être généralisés (Ashraf & Merunka, 2017 ; Jones & Sonner, 2001). Comparativement aux construits génériques du TAM (utilité perçue et facilité d’utilisation perçue), nous notons aussi à l’issue de notre enquête, l’importance du pouvoir explicatif de variables d’ordre psychosociales spécifiques au contexte étudié (mentalité du gratuit, équité perçue, crédibilité perçue) celui de l’information en ligne. Ces construits nous laissent penser à l’instar de Bourdon et Hollet-Haudebert (2009) et Benbasat et Barki (2007) qu’il s’agit peut-être par là d’un retour aux sources de la théorie du comportement planifiée, ce qui questionne la pertinence du choix du cadre TAM. Enfin, le construit retenu pour notre variable dépendante renseigne sur l’intention d’achat seulement. Or dans le débat de l’information en ligne, la question n’est pas seulement de vérifier si le consommateur va payer, mais aussi de savoir combien il va payer. Des mesures économétriques de mesure d’élasticités prix où en utilisant la méthode de l’évaluation contingente pourraient apporter un éclairage supplémentaire à ce sujet.
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