Couverture de QDM_191

Article de revue

L’e-réputation de la marque dans le commerce en ligne : risques juridiques au cœur de la gestion de l’identité numérique

Pages 53 à 66

Notes

  • [1]
    L’insécurité numérique des entreprises, Etude pour la Délégation à la prospective et à la stratégie, TNS-SOFRES Logica, 2009.
  • [2]
    Stakeholders : parties prenantes (consommateur…).
  • [3]
  • [4]
    De Ravel d’Esclapon T., « Agent d’assurances : les limites de la liberté d’expression, Civ. 1re, 27 nov. 2013, n° 12-24.651 », Dalloz actualité, 11 décembre 2013.
  • [5]
    La soft-law ou droit mou est l’ensemble des règles dont la forme est dépourvue de caractère obligatoire (Voir Pascale Deumier, RTD Civ. 2016. 571).

Résumé managérial

1Les chefs d’entreprises considèrent le risque d’atteinte à la réputation de leur marque comme une préoccupation majeure, sentiment exacerbé depuis l’avènement de l’ère numérique [1]. La e-réputation est devenue un enjeu stratégique majeur, elle est à l’intersection de deux concepts (Gruselle, 2012) : la réputation de l’entreprise et l’utilisation du vecteur numérique. La e-réputation est « l’action d’une personne physique ou morale pour maîtriser l’évaluation sociale portée sur son image numérique » (Favreau, 2014). Quant à la notion de risque, elle peut être définie de la façon suivante : pour le juriste, le concept de risque est présenté comme un ensemble d’événements dont l’occurrence est incertaine et dont la réalisation porte atteinte à l’efficacité du tissu économique (Charpentier, 2014). Pour le gestionnaire, le risque se décline plutôt comme un élément qui peut avoir un impact négatif sur la réalisation des objectifs de l’organisation ou susceptible de freiner la création de valeur (Brockhaus, 1980). Lorsqu’il s’agit de définir le risque numérique, il faut entendre « une catégorie de risque liée à l’utilisation, au développement et à la gestion de l’environnement numérique dans le cadre d’une activité quelle qu’elle soit » (OCDE, 2015). Notre recherche soulève dès lors, plusieurs intérêts managériaux. Tout d’abord, il est question de la pérennité économique de la marque si les aspects juridiques ne sont pas pris en compte. Les conséquences peuvent être nombreuses : baisse de la part de marché, coûts supplémentaires d’atteinte à la réputation, atteinte de l’écart entre le positionnement perçu et le positionnement voulu de la marque ou encore désintéressement de la marque de la part du consommateur. Cette recherche permet au Community Manager d’être sensibilisé à la prise en compte de l’aspect juridique lors de la gestion de marque sur Internet. Cette gestion permettra la continuité de la réputation en ligne tout en gérant les risques liés à ce maintien. Ce travail propose enfin un cadre pratique de la gestion des risques juridiques liés à la e-réputation des marques.

Introduction

2Déjà un concept central depuis une cinquantaine d’années pour les stratégies des entreprises, la réputation est plus que jamais soumise à des évolutions depuis l’avènement de l’ère numérique. Elle est d’ailleurs un enjeu réel depuis le milieu des années 90 (Power, 2011). En effet, alors que les enjeux identitaires prennent place dans de nombreuses instances de la société, les entreprises y compris leurs marques sont soumises à ces enjeux identitaires forts pour maintenir leur performance. La gestion de l’identité numérique est alors au centre des préoccupations des entreprises, en particulier la gestion de la e-réputation encore appelée web-réputation, cyber-réputation ou online reputation dans la littérature anglo-saxonne. C’est surtout vrai lorsqu’il s’agit d’évoquer la notion de risque réputationnel qui combine à la fois des dimensions économiques et managériales mais reposent bien souvent sur une dimension juridique forte. En effet, de nombreuses entreprises ont recours à des services juridiques une fois le péril installé engendrant ainsi des coûts financiers et humains. Nous proposons d’étudier en amont l’atteinte à la e-réputation par l’apport juridique. En tout état de cause, la gestion du risque réputationnel se situe bien souvent au niveau de l’étude du capital marque. Des recherches ont évoqué le lien entre la e-réputation et le risque notamment à travers le modèle de la confiance de Kreps (1990) en se focalisant sur l’industrie hôtelière (Paquerot et al., 2011) mais peu abordent l’aspect juridique prioritairement. Cette recherche propose des éléments de réflexion à travers l’étude de cas notamment dans le commerce en ligne analysés sous l’aspect juridique.

1 – Revue de la littérature

1.1 – L’e-réputation des marques

3L’apparition du contexte d’e-réputation est connexe à l’émergence du web 2.0 ou social qui a donné lieu à l’existence d’un réseau socionumérique (Stenger et Coutant, 2009) qui a bousculé la façon de concevoir la gestion des marques mais la notion d’e-réputation ne peut être abordée sans définir au préalable le concept de réputation. La réputation a déjà été évoquée dans d’autres disciplines comme l’économie où Adam Smith la définit comme « un mécanisme nécessaire à l’approbation ». En sciences de gestion, la réputation est vue comme une représentation collective des actions d’une organisation (Formbrun, 1996). La réputation pouvant naître des agissements de l’organisation qui détient la marque, de l’interprétation de ces agissements ou encore d’un présupposé sur l’organisation, la réputation devient un construit social (Bergman et al., 2014). Elle comporte également un caractère affectif qui se relie fortement à la notion de jugement (Aloing et Pierre, 2012). Elle est cependant à différencier du concept d’image qui peut être vu comme un ensemble de représentations (mentales, cognitives et affectives) qu’une personne ou un groupe de personnes se fait d’une entreprise ou d’une marque. En effet, bien que représentant tous deux un ensemble de perceptions positives ou négatives, plusieurs points de différence sont à mettre en avant (Boistel, 2013) au premier rang desquels le rapport au temps. Alors que l’image se fonde sur le court terme, la réputation est vue sur le long terme. De plus, la notoriété étant commune aux deux concepts (Boistel, 2013), une autre différence peut être soulevée en ce qui concerne la communication. L’image peut être vue comme verticale (communication de l’entreprise ou de la marque vers le consommateur) alors que la réputation est vue comme horizontale (perceptions des consommateurs entre eux à propos de l’entreprise ou de la marque) (Boistel, 2013).

4Dès lors, la notion d’e-réputation prolonge la réputation car elle est avant tout contextuelle. En effet, le préfixe « e » ne se rajoute que par rapport au contexte de la réputation, c’est-à-dire l’industrie d’internet. Appelée également réputation électronique, la e-réputation voit son arrivée coïncider avec l’émergence du Web 2.0 et transforme de façon certaine les entreprises qui doivent s’adapter face à ce nouvel outil de gouvernance (Paquerot et al., 2011). Deux courants théoriques coexistent lorsqu’il s’agit de définir la notion de réputation (Boistel, 2008) : le premier insiste sur la capacité à considérer que la réputation résulte des images accumulées par l’entreprise, impactant directement la perception des différentes parties prenantes comme les consommateurs par exemple. Le second courant affirme que la réputation naît de l’accumulation de toutes ces perceptions des différentes parties prenantes (Boistel, 2008). Cette bivalence est donc au cœur d’une première analyse sur le lien fort entre la marque elle-même qui devra gérer sa réputation au travers de sa propre diffusion d’informations mais aussi à travers les informations que les parties prenantes diffuseront à propos de la marque. Cette bivalence est aussi à la base de la définition de l’e-réputation, définie comme « la réputation construite à partir de l’ensemble des perceptions que les stakeholders[2] auront de l’objet, à partir de tout élément d’information circulant sur le Net » (Paquerot et al., 2011). De façon générale, la réputation de la marque sur le net découle de la réputation de l’entreprise nommée « corporate reputation » dans la littérature anglo-saxonne, la e-réputation pouvant aussi être vue comme une composante de la réputation (Paquerot et al., 2011). L’e-réputation est également directement reliée aux notions d’identité et de notoriété adaptées à l’internet (Cadel, 2010). Il existe dès lors, un partage du discours de l’entreprise avec une partie de l’information diffusée par l’entreprise elle-même et une partie diffusée par les utilisateurs. En effet, les utilisateurs peuvent représenter un bon moyen pour optimiser la réputation en ligne de la marque mais peuvent tout aussi bien représenter un risque notamment à travers le dénigrement (Cadel, 2010). Des recherches sur l’e-réputation se sont attachées à examiner les solutions fonctionnelles pour répondre à ce défi managérial pour les entreprises (Cadel, 2010) mais elles n’abordent pas l’aspect juridique. Ce dernier est particulièrement intéressant sous l’angle du concept de risque.

1.2 – Les éléments constitutifs de l’atteinte à la e-réputation des marques

5L’atteinte à la e-réputation des entreprises et marques ne constitue pas une infraction définie en tant que telle par le droit positif ; il n’est qu’à se pencher sur les codes civil, de commerce, du travail pour le constater. Une telle atteinte doit être poursuivie sur le fondement d’infractions prévues par les textes.

6La première d’entre elles est la diffamation. Il s’agit de « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (art. 29 al. 1er, Loi du 29 juillet 1881). Cela peut, donc, concerner une personne physique comme une personne morale. Pour être sanctionnée, la diffamation doit réunir cinq conditions cumulatives : elle doit porter sur un fait précis et déterminé ; elle doit porter sur un fait portant atteinte à l’honneur et à la considération de la marque ; elle doit viser une personne déterminée, physique ou morale ; elle doit être faite de mauvaise foi (celle-ci est présumée) ; elle doit être publique.

7La deuxième infraction permettant de poursuivre les atteintes à la e-réputation d’une marque est l’injure. Celle-ci, également prévue par la loi du 29 juillet 1880 (art. 29 al. 2), est définie comme une « expression outrageante, terme de mépris ou invective » mais sans contenir de faits précis. Ainsi, le fait de publier sur un site ou blog un messager qualifiant une société de « repère de voyous » constitue une injure.

8Ces deux infractions sont prévues par la loi du 29 juillet 1880 sur la liberté de la presse. Lorsque cette loi a été promulguée, les communications par voie électronique n’existaient pas. La question s’est donc posée si celle-ci devaient relever de la loi de 1880, bénéficiant d’un régime spécial, ou de la responsabilité civile de droit commun. Cette question n’est pas anodine car le régime spécial mis en place par la loi de 1880 édicte un délai de prescription très court de trois mois à compter de la première publication. Ce délai est de dix ans en droit commun. D’où l’importance vitale de la qualification des faits.

9L’internaute poursuivi pour propos diffamatoires ou injure ne pourra s’exonérer de responsabilité que s’il arrive à prouver la véracité de ses propos ou en rapportant la preuve de sa bonne foi.

10La troisième infraction nous intéressant est le dénigrement qui consiste à « jeter publiquement le discrédit sur une personne ou une entreprise, par la critique de ses produits ou son travail, dans le but de lui nuire, et ce même en l’absence de toute situation de concurrence » (Com., 24 nov. 2009). Cette infraction relève du régime de responsabilité de droit commun (art. 1240 C. civ.). En résumé, si la diffamation et l’injure portent sur une personne, le dénigrement porte sur des biens et des services.

11La quatrième est dernière infraction permettant de poursuivre les atteintes à la e-réputation des marques est le parasitisme qui est le fait de « tirer indûment profit du savoir-faire et des efforts humains et financiers consentis par une entreprise, victime des agissements de la personne qui usurpe la notoriété acquise par ce concurrent » (Com., 5 juillet 2016). Le fait de s’inspirer de la valeur économique d’une marque d’un concurrent qui a réalisé des investissements suffit à caractériser le parasitisme. La jurisprudence ne conditionne pas le parasitisme à un risque de confusion entre le site internet original et celui qui s’en inspire. Peu importe, également, que le nombre de visiteurs ou le chiffre d’affaires en soient affectés.

12Le point commun à ces différentes infractions est l’atteinte à la e-réputation d’une marque. Cette atteinte engendre un dommage qui est un fait matériel et désigne le siège de l’atteinte (Porchy-Simon, 2018). Ce dommage a des conséquences juridiques, le préjudice, qui entraîne un droit à réparation, réparation qui doit être intégrale. Ce préjudice sera fonction du degré de réputation de l’entreprise. En effet, une marque à la faible réputation, donc peu vulnérable, subira des dommages de moindre importance que la marque possédant une forte réputation ; celle-ci sera beaucoup plus vulnérable de par son exposition médiatique. Le risque d’atteinte à la e-réputation d’une marque va donc de pair avec la notoriété de ladite marque.

1.3 – L’approche managériale et juridique du risque

13En tout premier lieu, se pose la question de la définition du risque. En droit, il s’agit d’un évènement dommageable dont la survenance est incertaine quant à sa réalisation (Cornu, 1987). En cindynique, la science qui étudie les risques, il s’agit du produit d’un aléa et d’une vulnérabilité (Veyret et al., 2004). Le risque se situe dans tout événement incertain ayant un impact négatif sur la réalisation des objectifs de l’organisation, événement susceptible de freiner la création de valeur, de détruire la valeur existante et de remettre ainsi en cause la pérennité de l’entreprise (Brockhaus, 1980, Charpentier 2014). Le risque peut être avéré ou potentiel. Les risques potentiels sont difficiles à prévoir et ne sont pas pris en compte par les assureurs. Au contraire, les risques avérés sont prévus par des tables de probabilité et donc assurés.

14D’un point de vue managérial, Pesqueux (2010) a établi une typologie des risques généraux (environnemental, financier). L’ouvrage de référence de Bouyssou (Théorie générale du risque, 1997), prend comme postulat de départ le fait que le risque, omniprésent et inséparable de l’action, est volontairement peu ou prou évoqué par le corps politique aujourd’hui en raison des peurs qu’il suscite, et ceci malgré les menaces qu’il représente sur le corps social (Pesqueux 2003). La littérature évoque le terme de gestion des risques qui fait sens depuis la crise financière de 2008. Jusqu’alors fonction technique, centrée autour de l’achat de couverture d’assurances, elle est devenue une discipline managériale et transversale (Louisot, 2009).

15La définition du management des risques donnée par Price Waterhouse Coopers Landwell (2005) évoque un processus mis en œuvre par le conseil d’administration, la direction générale, le management et l’ensemble des collaborateurs de l’organisation. En matière d’entrepreneuriat, l’appétence pour le risque va dépendre de la personnalité du dirigeant, de l’environnement dans le lequel évolue l’entreprise. Des recherches ont adapté les catégories de risques définies par Lajili et Zéghal mais ces catégories sont larges et n’incluent pas le risque juridique (Ebondo Wa Mandzila E., Zeghal D., 2009). En effet, la littérature en gestion semble en général centrée autour des risques financiers de l’entreprise. Le risque humain ou juridique est quasiabsent. L’entrepreneur est considéré comme celui qui prend le risque (capital matériel et financier), en opposition au capital humain. Ces auteurs préconisent une analyse des risques en regroupant le détail des informations relatives à chaque facteur de risque. Le processus doit prévoir la probabilité, la fréquence, la prédictibilité et les effets potentiels sur les indicateurs cités de la performance de ces facteurs. Enfin, lorsque l’on concentre les recherches sur la réputation numérique et les risques, le concept de sources d’incidents est souvent mis en avant. D’ailleurs, une typologie des risques pesant sur la réputation numérique des entreprises a été produite en 2009 et elle met en avant les sources d’incidents qui peuvent exister, les auteurs, les supports et les impacts (tableau présenté en annexe).

2 – Méthodologie

16Cette recherche étant à la fois le fruit d’un travail de la part d’un gestionnaire mais aussi d’un juriste, nous avons tenté de produire une méthodologie qui permettent de répondre à la problématique posée à savoir apporter un éclairage juridique sur un aspect souvent traité sous l’angle des Sciences de Gestion. Abordant une visée compréhensive, les méthodes qualitatives ont immédiatement été privilégiées. Les aspects juridiques étant particulièrement mis en avant, la méthodologie par étude de cas a été choisie. En effet, l’élément principal de réflexion est une visée compréhensive (Yin, 1989) des éléments juridiques concourant aux risques d’une mauvaise gestion de la e-réputation et de ses conséquences. De plus, des recherches affirment que mobiliser des études de cas est une possibilité de traiter une richesse de matériaux différents, ce qui engendre une force (David, 2005). Faisant valoir le fait qu’une seule étude de cas « manque de rigueur, de comparabilité et de reproductibilité » (Barzelay, 1993), il a été décidé d’étudier plusieurs cas de jurisprudence. Notre analyse se fonde sur la jurisprudence des juridictions françaises sans limite de temps. A partir de la base Legifrance [3], nous avons procédé, dans un premier temps, à la collecte de décisions de justice traitant de l’atteinte de la e-réputation des marques. La requête « e-réputation » n’ayant donné aucun résultat, nous avons affiné notre recherche en qualifiant les différentes atteintes à la e-réputation des marques : dénigrement, diffamation, contrefaçon, parasitisme et injure ; nous avons, en outre, associé ces qualifications au terme « internet ». Nous avons, ainsi, recensé 1582 décisions. Cependant, toutes ces décisions ne concernent pas l’atteinte à la e-réputation des entreprises, des marques. Il a, donc, fallu procéder à une nouvelle sélection qui nous a mené à ne retenir que 32 décisions qui seront notre terrain d’étude.

17L’analyse approfondie de ces décisions nous a permis, dans un second temps, de parvenir à une connaissance fine du traitement de l’atteinte à la e-réputation des marques par les différentes juridictions et d’identifier, le cas échant, les différences de traitement. Enfin, nous avons retenu 6 études de cas illustrant les approches des différentes juridictions concernées.

3 – Résultats des cas d’étude sur l’atteinte à la e-réputation de marques

18CAS 1 : DÉNIGREMENT ET LIBERTÉ D’EXPRESSION, COUR DE CASSATION, CHAMBRE CIVILE 1, 27 novembre 2013

19Un agent général d’assurance souhaitait transmettre les deux agences dont il avait la charge à ses deux fils. Pour ce faire, il avait démissionné. Cependant, la compagnie d’assurance, pour laquelle il travaillait, n’a pas souhaiter agréer ses enfants. Mécontent, il avait entrepris une campagne de médiatisation, notamment au moyen d’un blog, de communiqués de presse et d’affichages. Cette campagne avait conduit certains de ses clients à résilier leurs contrats afin d’en souscrire d’autres par le biais du cabinet de courtage de son épouse. La question qui se posait était de savoir si l’agent général avait simplement exercé dépassé ou pas sa liberté s’expression en critiquant la compagnie d’assurance pour laquelle il travaillait. La Cour de cassation a estimé que l’exercice de ce droit ne devait pas excéder « les limites du droit de critique admissible en regard du devoir de loyauté découlant du mandat d’intérêt commun qui le lie à l’entreprise d’assurance ». Les juges ont estimé que les actes commis avaient excédé cette limite et caractérisé des actes de concurrence déloyale par dénigrement.

Tableau 1

Décisions de justice ayant traité d’atteintes à la réputation de marques sur Internet (sans limite de date)

JuridictionsDécisions correspondant aux items « Dénigrement & Internet »Décisions correspondant aux items « Diffamation & Internet »Décisions correspondant aux items « Injure & Internet »Décisions correspondant aux items « Parasitisme & Internet »
Toutes juridictions confondues159208105262
Cour de cassation901758089
Cour d’appel48282391
Tribunal de grande instance215082
Tribunal de commerce0020

Décisions de justice ayant traité d’atteintes à la réputation de marques sur Internet (sans limite de date)

20Cet arrêt soulève l’épineuse question de la critique d’une marque, en autre sur internet, et des limites de cette critique. La Cour de cassation se fonde sur le devoir de loyauté découlant du mandat d’intérêt commun liant l’agent général à son mandant. Et c’est au regard de ce devoir de loyauté que les limites du droit de critique doivent s’apprécier. Or, en l’espèce, la question de la loyauté devient cruciale ; il ne s’agit pas, en effet, de subordination mais de collaboration. Comme cela a été souligné « La critique s’arrête quand la loyauté commence » [4].

21Cet arrêt rappelle également la distinction qu’il y a entre le dénigrement, régit par l’article 1240 C. civ, et la diffamation régit par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. La Cour d’appel avait débouté la compagnie d’assurance au motif que les abus attaqués ne pouvaient l’être que sur le fondement de la loi de 1881. La Cour de cassation a sanctionné ce raisonnement en précisant que le dénigrement s’applique exceptionnellement à la diffamation si les propos litigieux ont pour effet de jeter le discrédit sur les produits ou service d’un concurrent. Ce qui était le cas. Par conséquent, la critique des produits ou services d’un concurrent, dans l’objectif de capter sa clientèle, entraîne qualification des faits en dénigrement (art. 1240 C. civ.). Si les propos ne portent atteinte qu’à l’honneur et à la réputation d’une personne, les faits seront qualifiés de diffamation (art. 29 Loi 1881).

22CAS 2 : DÉNIGREMENT ET ENTENTE ANTICONCURRENTIELLE, COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, 11 janvier 2017

23Une société A., détentrice des droits sur le médicament « Subutex », en avait confié la commercialisation en France à la société B. Après avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché, la société C. avait entrepris la commercialisation du médicament générique du « Subutex ». L’Autorité de la concurrence avait été saisie par la société C. d’une plainte relative à des pratiques anticoncurrentielles de la part de la société B. L’Autorité de la concurrence avait conclu que les sociétés A. et B. avaient effectivement mise en œuvre une pratique de dénigrement du médicament générique de la société C., sur différents sites internet notamment, et octroyé aux pharmaciens d’officines des avantages financiers à caractère fidélisant. En outre, l’Autorité de la concurrence a établi que ces sociétés avaient participé à une entente anticoncurrentielle. La Cour de cassation a rappelé que l’élaboration d’une stratégie visant à retarder l’arrivée de génériques qui permettent de rétablir une concurrence jusqu’alors inexistante, constitue une pratique d’une particulière nocivité économique. La Cour de cassation a également souligné que la société A. avait convenu d’un plan stratégique avec la société B. afin de retarder ou décourager l’entrée des génériques sur le marché. Le dénigrement consistait à élaborer une communication de nature à induire un doute contre le médicament générique.

24La question soulevée par cet arrêt n’est pas tant le dénigrement et ses éléments constitutifs, que l’entente anticoncurrentielle conclue entre les sociétés A. et B. La société A. contestait l’accusation qui lui était faite d’actes dénigrants. Elle affirmait que cela suppose l’accomplissement d’actes positifs de sa part ; ce qui n’avait pas été démontré. La Cour de cassation a procédé à un raisonnement différent en affirmant qu’en cas d’accord entre deux sociétés ayant pour objectif la mise en œuvre de pratiques de dénigrement, les sociétés parties à cet accord sont coupables de dénigrement quand bien même l’une d’entre elle n’a pas procédé elle-même à la pratique de dénigrement. Cette position de la Cour de cassation illustre le fait qu’une entente, en l’espèce horizontale, peut se manifester par une décision commune des parties, distributeur et fournisseur, sur un plan d’action puis une exécution de cette entente par une seule partie, à savoir le distributeur. Cette décision est conforme en tout point au droit de la concurrence de l’Union européenne qui analyse la notion d’accord en la détachant du droit des contrats (art. 101 TFUE). Seuls le comportement de l’entreprise et l’impact sur le marché comptent.

25CAS 3 : DÉNIGREMENT OU DIFFAMATION ?, COUR D’APPEL DE PARIS, 7e CHAMBRE PRUD’HOMALE, 21 novembre 2013

26Une association relevant de la loi de 1901 dénonçait sur internet la cherté du prix des billets d’avion d’une compagnie aérienne française. Cette association prétendait notamment avoir saisi l’Autorité de la concurrence et l’IATA pour lutter contre les prix pratiqués et avait appelé a manifester et à boycotter la compagnie aérienne. Un communiqué de presse avait évoqué une prétendue plainte en justice et une requête auprès de l’IATA contre la compagnie aérienne qui était accusée d’entente commerciale illicite avec une autre compagnie sur la même zone géographique. La compagnie avait assigné cette association devant le juge des référés pour faire interdire de telles publications. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris avait débouté la compagnie de ses demandes. La compagnie aérienne ayant fait appel, la Cour d’appel de Paris a cassé le jugement. Elle s’est placée sur le plan du dénigrement et non de la diffamation. Les critiques à l’encontre de la compagnie portait, en effet, non sur une personne, physique ou morale, mais sur ses services, sa réputation dans un objectif de nuire. Alors que le jugement des référés avait affirmé « qu’en l’absence dés lors de tout comportement déloyal de nature à jeter le discrédit sur elle, et partant, d’un trouble manifestement illicite à son détriment », la Cour d’appel a estimé que « le dénigrement fautif […] est constitué par un comportement déloyal consistant à répandre des appréciations touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise lorsqu’elles portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l’exploite ». Or, en relevant que les vocables utilisés procédaient d’une intention malveillante et dépassant le droit d’information, la Cour d’appel a justifié la culpabilité de l’association.

27Dans la majorité des cas, les propos dénigrant émanent des concurrents. Mais cela n’est pas nécessaire. Le grief de dénigrement peut être formulé à l’encontre d’un consommateur. L’intention malveillante s’entend alors, comme l’espèce le démontre, d’un objectif distinct d’un avantage concurrentiel. Le statut de l’auteur des propos importe peu ; seule compte sa volonté d’affecter le crédit d’autrui.

28Il résulte de cet arrêt que la modération dans les propos s’impose : les propos non mesurés ni objectifs et qui témoignent d’une animosité personnelle de leurs auteurs sont constitutifs de dénigrement fautif. Les juges doivent prendre en compte la nature des termes et vocables utilisés. La liberté d’expression des internautes est un outil marketing très puissant qui est se substitue de plus en plus souvent aux propos des professionnels. Il est nécessaire d’en faire usage avec précaution. Cette liberté d’expression n’est donc pas absolue même si elle est largement protégée par la loi sur la liberté de la presse.

29CAS 4 : DIFFAMATION, COUR D’APPEL DE LYON, 1e CHAMBRE CIVILE, 10 mai 2016

30Une association de défense des consommateurs avait relayé des messages de mécontentements de consommateurs à l’encontre d’une entreprise spécialisée dans la parution d’annonces immobilières en ligne. Déboutée en première instance, l’entreprise avait obtenu gain de cause en appel. Cependant, après un pourvoir en cassation, la cour suprême avait cassé l’arrêt au motif que pour être diffamatoire, « une allégation ou une imputation doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire ». Or, la cour d’appel avait certes relevé des propos douteux mais sans les présenter comme un tout, indivisible, qui pourrait constituer une preuve. Les propos litigieux étaient nombreux et sans équivoque : « Nous avons campé sur nos positions, sur conseils d’un avocat. Dans la mesure où il en s’agit pas d’un prêt… que PE arnaque les clients dans la procédure… Nous attendrons. » : « Je voudrais faire arrêter cette arnaque mais comment je dois faire ? » ; « Si vous pouviez m’indiquer vos coordonnées je suis très intéressée par la mise en place d’un collectif car je me suis brillamment fait arnaquer, plus moyen de joindre la personne rencontrée initialement. » La cour d’appel de Lyon a procédé différemment. Elle a énuméré les messages incriminés, non d’un tenant, mais en les caractérisant et en procédant à une démonstration. Ainsi, certains accusaient directement ou par voie de reproduction la société d’arnaquer ses clients. D’autres insinuaient que celle-ci délaissait ses clients et pratiquait de la publicité trompeuse ou mensongère. Les juges de la cour d’appel de Rouen ont donc répondu à l’exigence de la cour de cassation qui exigeait une articulation précise des faits.

31L’apport de cet arrêt réside dans la démonstration que les juges doivent faire en cas de suspicion de diffamation. Des messages épars ne sauraient, à eux seuls, et bien que provocateurs, constituer une diffamation. Il en va de la protection de la liberté d’expression. En revanche, des messages articulés, ayant une cohérence et apportant la preuve d’une volonté de nuire de la part de son ou ses émetteurs seront constitutifs de diffamation. Il convient donc, pour toute entreprise souhaitant poursuivre les auteurs de propos qu’elle estime diffamants, de prendre soin à la manière de les présenter ; de veiller à leur trouver une cohérence et une articulation démontrant la volonté de nuire du tiers. Tout internaute souhaitant faire part de son mécontentement est libre de le faire mais tout en prenant garde de ne pas faire preuve d’une volonté de nuire. Cette remarque vaut également pour les sites de défense de consommateurs. Leur rôle de modérateurs doit s’exercer de telle sorte que l’ensemble des textes incriminant une entreprise restent factuels, sans jugement de valeur et que, ceux-ci, mis bout à bout, ne manifestent pas une volonté de nuire. La frontière entre critique légitime, droit d’expression et diffamation est ténue.

32CAS 5 : CONTREFACON ET URSURPATION D’IDENTITE, TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS, 2e CHAMBRE CORRECTIONNELLE, 12 novembre 2014

33Le 21 novembre 2014, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné une femme à deux de prison et 26 500 pour avoir porté atteinte à la réputation de deux anciens compagnons et de leur entourage professionnel. La condamnée avait envoyé plus de 850 SMS malveillants en sept mois, contraignant les victimes à maintenir leur téléphone éteint. De nombreux profils ont été créés sur les réseaux sociaux reprenant les noms des victimes ou leur pseudonyme, celui de leur associée et de leur entreprise. Cette étude portant sur l’atteinte à la e-réputation, nous n’aborderons que le délit d’usurpation d’identité sur les réseaux sociaux. La question de l’injure ne sera pas étudiée ; celle-ci concerne, en effet, les personnes physiques et non les entreprises et, a fortiori, les marques.

34Selon l’article 226-4-1 du Code pénal, le délit d’usurpation d’identité consiste à « usurper l’identité d’un tiers ou faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». L’article 226-4-1 du Code pénal permet de prendre en compte toutes les données des faux sites et non uniquement le nom des personnes concernées comme le requiert l’article 434-23 du Code pénal. Les juges apprécient de façon large ce qu’il faut entendre par « données de toute nature permettant » d’identifier l’usurpé. Ainsi, l’usurpation d’identité a été reconnue dans le cadre de la reproduction à l’identique du site d’un homme politique, ou encore lors de la création de faux profils Facebook.

35Cette décision semble trancher une question qui restait en suspens jusqu’alors : le délit d’usurpation en ligne est-il applicable aux personnes morales, donc aux entreprises, aux marques ? En effet, l’article 226-4-1 du Code pénal, réprimant le délit d’usurpation d’identité, se trouve dans le Livre II, Titre II qui traite des atteintes à la personne humaine. Des indices permettaient d’envisager l’application de cet article aux personnes morales. Le Rapport sur la cybercriminalité de février 2014 a considéré que ledit article « est suffisamment large pour réprimer toute usurpation d’identité numérique, y compris au préjudice des personnes morales et donc des entreprises » (Groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité, p. 153). Le jugement du 21 novembre 2014 a confirmé que la société « a été victime de la part de Mme L. A. d’une usurpation d’identité en vue de porter atteinte à son honneur […] en utilisant un réseau de communication au public en ligne ». Ce jugement ayant été frappé d’appel, il reste à attendre la décision de la Cour d’appel saisie pour savoir si la position du TGI de Paris sera confirmée ou infirmée.

36CAS 6 : PARASITISME, COUR D’APPEL DE PARIS, 7 octobre 2015

37Le créateur d’un site internet de rencontres avait été poursuivi par un concurrent pour avoir reproduit intégralement le sien. Les juges du TGI de Paris ayant débouté ce dernier de ses prétentions, il avait interjeté appel. Les juges ont tout d’abord rappelé que le parasitisme consiste pour un agent économique à s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de la notoriété acquise ou des investissements consentis. La cour a tout d’abord démontré la notoriété du site de l’appelant ainsi que de son antériorité. La notoriété étant confirmée des articles de presse et par le classement du site en termes de nombre de visites. Ensuite, et de façon très pragmatique, les juges ont procédé à une analyse comparative des deux sites. Il en est résulté que les pages d’accueil des deux sites étaient quasiment similaires, tout comme le plan, le contenu, le nom et l’agencement des rubriques. Cette analyse a permis de conclure que l’intimé avait copié à l’identique le site de l’appelant. Ces éléments ont conduit à condamner l’intimé pour parasitisme et à indemniser l’appelant pour les préjudices subis.

38Cet arrêt démontre l’importance du fondement juridique d’une plainte. En l’espèce, le plaignant aurait pu fonder ses prétentions sur la protection du droit d’auteur. Il a créé un site, en est l’auteur et est en droit de protéger son œuvre. Mais cela aurait supposé qu’il démontre que son site était original, qu’il portait l’empreinte de sa personnalité. Or, au regard du nombre extrêmement important de sites, de leur ressemblance parfois troublante, dus aux outils permettant d’en créer un en quelques minutes, la tâche aurait été ardue. En se basant sur le droit commun de la responsabilité civile, le plaignant n’a eu qu’à rapporter la preuve de la notoriété de son site, les investissements qu’il y a consacré et le fait que l’intimé avait intégralement copié son site. Inutile pour lui de démontrer le caractère original de son site. Cet arrêt, suivi d’autres (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 7 oct. 2015, n° 11/03744, Netuneed c/ Charles R.), a permis de consacrer la formule selon laquelle les investissements réalisés représentent une valeur économique qui procure un avantage concurrentiel protégeable. Aussi surprenant que cela soit, cette arrêt a fait jurisprudence.

4 – Discussion et recommandations managériales

39Les décisions de justices étudiées démontrent que la frontière entre liberté d’expression et diffamation ou dénigrement est parfois ténue et que les infractions en la matière ne sont pas cantonnées à une juridiction, mais les intéresse toutes : civiles, pénales, commerciales et prud’homales.

40Ces décisions, de même que les infractions civiles et pénales, permettent de constater que notre droit interne a parfaitement intégré la question de l’atteinte de l’image numérique des entreprises en général, et des marques en particulier. Cependant, ce constat ne permet pas à un entrepreneur de savoir comment gérer ce risque. La gestion d’une atteinte à sa e-réputation relève du domaine judiciaire et donc des avocats. La question qui se pose à l’entreprise est autre ; comment gérer le risque réputationnel, quels outils, quelle attitude adopter en amont, avant la réalisation dudit risque ? Les réponses sont multiples. Certaines relèvent de la gestion quand d’autres relèvent du domaine juridique.

4.1 – La gestion des risques de l’e-réputation

41La première atteinte à la e-réputation d’une marque a lieu sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, LinkedIn…) (TGI Paris, 17e ch. Corr., 17 janv. 2012). La première tâche d’un risk manager sera donc de mettre en place une veille, automatisée, permettant de vérifier toute information diffusée sur ces réseaux. Comme nous l’avons vu, de nombreuses affaires évoquent des faits de diffamation ou d’injures de salariés envers leur entreprise ou leur supérieur. Ces atteintes peuvent également provenir de consommateurs. Il en ira de même pour le ou les sites institutionnels de l’entreprise. Cette tâche est souvent confiée au community manager (Cadel, 2010), acteur de l’entreprise qui n’existait pas il y a encore quelques années ; la première formation à cette fonction est apparue, en France, en 2011 (Arrêté du 26 mai 2016 portant enregistrement au répertoire national des certifications professionnelles).

42Le community manager aura également la tâche d’être présent sur les réseaux sociaux et forums afin d’échanger avec les internautes et de veiller ainsi à désamorcer tout risque de propagation de critiques qui pourraient aboutir à un boycott (Strubel et Deharo, 2014).

43Il s’agit donc de mettre en place une stratégie de surveillance des informations circulants sur internet mais également d’occuper l’espace médiatique. A ce titre, une culture de la gestion des risques liés à la e-réputation doit être développée au sein de l’entreprise. En effet, une gestion des risques efficace ne peut reposer uniquement sur un acteur, à savoir le community manager. Cette question est l’affaire de tous les salariés. La difficulté que soulève cette question de culture des risques est qu’elle subodore un changement de pratiques et donc un changement de mentalités (Gratacap, 2006). En effet, « En tant que système, la culture renvoie à un ensemble de processus de constructions collectives de significations. Véritables transactions collectives, ces processus opèrent suivant des lois psychologiques et sociales (imitations, pressions normatives, amplifications sociales, rumeurs, … » (Specht, 2010). La culture des risques obéie à ces mêmes lois.

44De plus, comme expliqué précédemment, l’atteinte à la e-réputation des entreprises sur les réseaux sociaux peut avoir des origines internes. La question des chartes et de la softlaw[5] se pose alors. Ces chartes ou codes de conduite permettent aux entreprises de définir la conduite qu’elles attendent de leurs salariés pour garantir l’intégrité de la marque ou de l’entreprise. Elles sont considérées comme faisant partie de la soft-law car n’ayant pas de valeur normative intrinsèque. Elles constituent donc des outils préventifs en anticipant toute faute commise par les salariés tout en rappelant la règlementation applicable en l’espèce. Malgré leur caractère non contraignant, ces chartes peuvent comporter, du moins en droit romain, une dimension de contrainte (Pereira, 2017). En effet, sous couvert d’une démarche volontaire de gestion des risques, elles peuvent créer des obligations opposables à l’entreprise et donc potentiellement déboucher sur une responsabilité civile ou délictuelle (Crim., 25 septembre 2012). Enfin, il est nécessaire pour l’entreprise de correctement distinguer la gestion des risques liés à son image de celle des risques liés à sa réputation. En effet, l’image ne se gère pas comme une réputation. L’image dépendant de la communication de la marque, celle-ci devra faire appel à des outils lui permettant de donner d’elle une photo, un instantané favorable. La réputation se construisant à long terme et n’étant pas maîtrisée par la marque, celle-ci devra, à un certain niveau de reconnaissance par les consommateurs, internaliser la gestion des risques juridiques grâce à un service dédié.

4.2 – La gestion extra-judiciaire de l’eréputation

45Le terme préventif ne signifie pas nécessairement l’absence de données pouvant nuire à la marque. Il peut concerner toute action précédant une action judiciaire qui intervient quand tous les autres moyens ont échoué. Ainsi, toute entreprise ayant connaissance d’une information pouvant porter atteinte à la réputation de sa marque doit demander à l’hébergeur desdites données de les supprimer. Pour que la demande soit valable, elle doit respecter les formes prescrites par l’article 6-I-5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique (LCEN). Il s’agit, à ce stade, de chercher une solution à l’amiable.

46Si l’information controversée a été publiée dans un journal ou un périodique en ligne, le propriétaire de la marque a la possibilité de solliciter l’insertion, dans ces publications, d’une réponse (Lepage, 2018). Ce droit est prévu par l’article IV de la loi LCEN. Ce droit de réponse est ouvert aux personnes morales et n’impose aucune condition. La demande doit, cependant, être adressée dans un délai de trois mois suivant les propos publiés. L’exercice doit être utilisé avec précaution car il peut aboutir aux résultats inverses de ceux escomptés (Liarte, 2013). C’est « l’effet Streisand » du nom de la chanteuse Barbra Streisand qui avait poursuivi un photographe qui avait pris un cliché aérien de sa villa. L’affaire avait été médiatisée et, finalement, la photo largement diffusée sur internet.

47Si malgré toutes ces précautions, une atteinte à la e-réputation d’une marque est constatée et des dégâts avérés, la voie judiciaire reste la seule issue. En s’appuyant sur nos développements le plaignant saura identifier les fondements juridiques appropriés afin de poursuivre l’auteur des propos incriminés.

Tableau 2

Synthèse des recommandations managériales autour de la gestion de la e-réputation pour les entreprises

CasQualification juridiquePoint de vigilance soulevéRecommandations managériales
1, 2, 3DénigrementNe pas jeter le discrédit sur les services ou la e-réputation d’une entreprise ou une marque dans le but de lui nuire, quel que soit le moyen (entente anti concurrentielle) ou l’auteur (salarié, internaute, concurrent)Veille active du community manager.
Mise en place d’une charte d’utilisation des réseaux sociaux par les salariés (devoir de loyauté).
Adjonction des chartes au contrat de travail comme avenant.
3, 4DiffamationNe pas porter volontairement atteinte à l’honneur et à la considération d’une entreprise ou d’une marque par des propos mensongersMise en place d’une ligne éditoriale définissant les personnes habilitées à diffuser sur les réseaux sociaux.
Veille active du community manager.
Mise en place d’une charte d’utilisation des réseaux sociaux par les salariés (devoir de loyauté).
Adjonction des chartes au contrat de travail comme avenant.
5Usurpation d’identitéNe pas usurper l’identité d’une entreprise ou d’une marque en vue de porter atteinte à son honneurVeille active en interne.
Forte implication de l’entreprise ou de la marque sur les réseaux sociaux et internet. Forte présence de l’entreprise ou de la marque dans les Relations Publiques.
6ParasitismeNe pas tirer indûment profit des investissements d’une entreprise ou d’une marque, ne pas usurper sa notoriétéVeille active en interne.
Poursuivre les auteurs du parasitisme sur la base de la responsabilité civile et non celle de la protection intellectuelle.
Conserver toutes les preuves d’investissements au profit du site internet.
1, 2, 3 4, 5, 6Vulnérabilité de la marque due à sa notoriétéCréation d’un service en charge de la gestion des risques juridiques.

Synthèse des recommandations managériales autour de la gestion de la e-réputation pour les entreprises

4.3 – Synthèse des recommandations managériales autour de la gestion de la e-réputation pour les entreprises

48Les différents cas étudiés ont permis de relever des points de vigilance quant à la gestion de la e-réputation d’une entreprise (et par là-même sa ou ses marques). Nous proposons désormais un tableau synoptique des recommandations managériales en fonction des différentes formes d’atteintes à la e-réputation des entreprises :

Conclusion

49L’intérêt de cette recherche trouve sa place autour de l’éclairage juridique sur un problème aujourd’hui reconnu : la gestion de la réputation de l’entreprise et de la marque en ligne. Par une mobilisation des études de cas sur des entreprises de commerce en ligne, nous avons pu mesurer le contexte ténu lorsqu’il s’agit de montrer les frontières sur des aspects de la réputation en ligne à savoir le dénigrement ou encore la diffamation. D’autres cas ont été mobilisés à savoir l’usurpation d’identité et le parasitisme pour approfondir ces résultats et montrer le caractère contextuel plus large de l’atteinte à l’identité numérique. Ces études de cas ont permis de déceler des points de vigilance particuliers quant à la gestion de la e-réputation d’une entreprise ou d’une marque en ligne. Les principaux apports de cette recherche résident dans la détection et l’identification juridique de ce qui constitue une atteinte à la e-réputation et les traitements préventifs ou curatifs pouvant être mis en place. Cette recherche aboutit principalement, en ce qui concerne la vision préventive, à mettre en place une veille active de la part du community manager et plus largement une sensibilisation voire une acculturation des salariés à cette question. D’un point de vue curatif, dans le cas avéré d’une atteinte à la e-réputation d’une marque, il sera important dans un second temps de qualifier correctement l’atteinte en question avant toute action en justice. Enfin, un autre aspect de la gestion de l’e-réputation est relatif au temps. En effet, en incluant des phénomènes réactionnels en plus de phénomènes de gestion en amont de l’entreprise ou de la marque en termes de réputation, il existe un placement des actions dans la gestion de l’instantanéité.

50Cette recherche comporte néanmoins certaines limites. En effet, les cas étudiés se placent sur le terrain contentieux. Cela signifie qu’ils se situent en aval de la gestion de risque et non en amont. Les préconisations faites l’ont été a posteriori sans impact possible sur la gestion de la e-réputation. Une étude complémentaire pourrait porter sur la mise en place d’une gestion de la e-réputation au sein de l’entreprise avant toute atteinte à cette dernière. De plus, les études de cas proposées n’ont pas fait l’objet d’une contextualisation historique propre à chaque entreprise étudiée.

51Concernant les voies de recherches futures, la mise en place d’une étude qualitative sur la perception de la e-réputation de la marque au sein de l’entreprise pourrait être envisagée. De la même façon, une étude selon les secteurs d’activités d’une entreprise ou d’une marque permettrait de dégager des spécificités selon le secteur considéré.


Annexe 1

Typologie des risques pesant sur la réputation numérique des entreprises

figure im1
Source : GFII, E-réputation et identité numérique des organisations : typologie des menaces et identification des modes de traitement applicables, Rapport d’Etude, novembre 2009.

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    L’insécurité numérique des entreprises, Etude pour la Délégation à la prospective et à la stratégie, TNS-SOFRES Logica, 2009.
  • [2]
    Stakeholders : parties prenantes (consommateur…).
  • [3]
  • [4]
    De Ravel d’Esclapon T., « Agent d’assurances : les limites de la liberté d’expression, Civ. 1re, 27 nov. 2013, n° 12-24.651 », Dalloz actualité, 11 décembre 2013.
  • [5]
    La soft-law ou droit mou est l’ensemble des règles dont la forme est dépourvue de caractère obligatoire (Voir Pascale Deumier, RTD Civ. 2016. 571).
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