Couverture de QDM_183

Article de revue

« Comment l’entreprise peut-elle répondre à l’exigence croissante de respect qui se manifeste tant en son sein qu’à son égard ? »

Pages 157 à 168

Notes

  • [1]
    F. Dostoïevski (1861), Humiliés et offensés, Arles, Actes Sud, 2000.
  • [2]
    Christine Porath Auteur de l’étude.
  • [3]
    Richard Barett « L’entreprise inspirée par ses valeurs »
  • [4]
    Robert Dilts PNL et niveaux logiques

1Les recherches montrent l’impact négatif du manque de respect sur les attitudes et comportements des salariés comme des clients et des parties prenantes. Le manque de respect perçu limite la fidélisation et l’engagement des salariés comme des consommateurs. Le respect en entreprise revêt donc un intérêt majeur. Il concerne le cadre de travail, les orientations sexuelles, les convictions religieuses et politiques, la vie privée, le travail, les différentes formes de rétributions, les données confidentielles, les âges, les parties prenantes... Toutes ces formes de respect contribuent au bien-vivre ensemble et à la performance individuelle et collective de l’organisation. Le respect des lois et des règlements est un impératif catégorique pour l’organisation. Respecter règles, normes, procédures, chartes éthiques et codes de déontologie est une obligation. La compliance correspond à ce type de respect. Il s’agit de la conformité aux différentes obligations (fiscales, juridiques, techniques, sociétales...).

2Le respect est également et d’abord lié à la dimension humaine. Il est ici question d’estime, de reconnaissance et de bienveillance à l’égard d’autrui. Le respect favorise l’engagement au travail ainsi que la satisfaction professionnelle. Il augmente le sentiment d’équité. Il renforce l’esprit et la cohésion d’équipe en stimulant l’altruisme. Il permet de trouver des solutions face à des situations complexes. Le respect améliore les interactions entre les personnes et les groupes. Il réduit l’absentéisme. Un climat organisationnel où règnent la courtoisie et le respect est un déterminant au bien-être au travail.

3L’exigence croissante de respect nécessite de mettre en place une culture organisationnelle reposant sur cette valeur. Elle guidera les collaborateurs et l’organisation dans l’élaboration et la réalisation des différents projets. Cette valeur intégrée et partagée aura un impact sur les comportements et les actions. Afficher, adhérer, s’approprier, diffuser et décliner sont les dimensions clés.

4C’est pourquoi dirigeants et enseignants-chercheurs ont été sollicités dans le cadre de la traditionnelle rubrique « regards croisés », pour répondre à la question : « Comment l’entreprise peut-elle répondre à l’exigence croissante de respect qui se manifeste tant en son sein qu’à son égard ? »

5Laurent BIBARD, Mireille BLAESS, Jacques BROUILLET, Richard DELAYE, Corinne FORASACCO, Anne-Marie FRAY, Sana HENDA, Jacques IGALENS, Marie-Paule ISTRIA, Mouloud MADOUM, Jean MOUSSAVOU, Philippe PACHE et Maurice THEVENET ont accepté de répondre et de confronter leurs regards.

6Pour Laurent BIBARD, il est essentiel que l’entreprise soit responsable. Il suffirait que les entreprises mettent en œuvre de véritables et réellement efficaces politiques de RSE tous niveaux confondus (i.e. orientées en direction de l’extérieur comme en direction de leurs salariés), pour qu’elles répondent aux « exigences de respect » qui se manifestent tant en leur sein qu’à leur égard. Pour Mireille BLAESS, le respect de l’individu doit primer sur le respect des comptes et des processus. De même, Jacques BROUILLET souligne qu’assurer un juste équilibre entre la finalité économique de l’entreprise et le respect des aspirations individuelles et collectives de ceux qui y contribuent est fondamental pour répondre à ces exigences croissantes de respect.

7Les incivilités, ces petits manquements de respect observés dans l’entreprise trahissent un comportement qui peut être perçu comme dédaigneux par les autres qui s’estiment, par conséquent, non reconnus, niés, ce qui peut les pousser à mettre en place des mécanismes de protection reposant sur la frustration, la déception engendrant ainsi une forme d’agressivité. Richard DELAYE souligne l’enjeu des incivilités pour les managers. Corinne FORASACCO place le respect, non pas dans sa dimension de règle mais dans son champ émotionnel, au cœur du leadership. La capacité de chacun de faire preuve d’attention, d’écouter, de formuler du feed-back et de reconnaître l’autre dans sa différence suppose un préalable : l’estime de soi, la conscience de sa valeur et de son droit au respect. Demander le respect, pour Anne-Marie FRAY, c’est agir vers l’autre pour qu’il vous reconnaisse en tant que tel et pour gagner le respect, il faut agir de façon universelle, s’ouvrir vers un holisme du respect qui, par conséquent, pourra être favorable à l’organisation, à la société, à l’environnement. Pour Sana HENDA, plus le respect est présent dans l’entreprise, plus l’engagement et la productivité des salariés est importante mais la notion de respect doit être interprétée différemment selon la diversité des populations présentes, les personnes, la culture, les générations, le genre. Marie Paule ISTRIA observent que les salariés aspirent à être « respectés » de deux façons. Être reconnus comme des personnes et non des pions ou dossiers. Respect est alors utilisé au sens de « considération ». De plus ils attendent de l’entreprise qu’elle tienne ses engagements. C’est le « respect de la parole donnée ». Interpellé par une campagne de publicité centrée sur le Respect, Le professeur Jacques IGALENS s’inquiète du fait que le respect soit avalé par la société du spectacle.

8Pour que le respect existe, Mouloud MADOUM, nous propose de s’inspirer de la philosophie indienne dont la préoccupation a été d’abord la conquête de Soi. Dans le chef-d’œuvre universel de la philosophie indienne, les Upanishad (finalisé il y a 3 000 ans), c’est la dialectique de l’unité dans la diversité qui résulte de la conquête de Soi qui est la condition essentielle d’accès à l’autre et au respect de l’autre. Dans la philosophie indienne, il s’agit d’équilibrer la connaissance du monde externe et la connaissance de soi. Le respect devient naturel. Pour Philippe PACHE, le respect repose sur la confiance et l’émotion. Maurice THEVENET, conclue en s’interrogeant : « Est-ce que la mode du respect nous fera enfin glisser lentement d’une anthropologie centrée sur le moi à une autre plus tournée vers la relation ? » A travers la diversité de leurs analyses, ces 13 experts – enseignants-chercheurs, dirigeants, DRH, coach, avocats, experts en relations sociales et consultants – proposent des pistes intéressantes pour analyser la demande croissante de respect et y apporter des réponses. Une conviction commune partagée avec Dostoïevski se dégage de ces textes : « il n’y a que par le respect de soi-même qu’on force le respect des autres. » [1]

L’économie est faite pour l’homme et non l’inverse. Répondre avec bon sens aux exigences de respect qui émergent de toutes parts. Laurent BIBARD, professeur ESSEC Business School

9Les entreprises sont, comme toute organisation, et en définitive, comme tout le monde, soumises à des exigences croissantes tant en intensité qualitative qu’en quantité : il faut tout faire parfaitement, dans des délais immédiats, de manière à satisfaire tout interlocuteur – clients, fournisseurs, Etat, salariés, etc. Cela s’exprime en actuellement, pour ce qui concerne les salariés des nouvelles générations, par l’impératif de prendre en compte l’équilibre revendiqué entre vie personnelle et vie professionnelle : tous secteurs confondus, le degré d’engagement des personnes au travail a significativement baissé depuis quelques décennies, les priorités allant en gros désormais du côté d’une vie équilibrée plutôt que d’une carrière « brillante » entièrement et durablement consacrée au travail et à l’entreprise qui l’abrite.

10Se demander « comment l’entreprise peut répondre à l’exigence croissante de respect qui se manifeste tant en son sein qu’à son égard » présuppose, via le terme d’« exigence », que l’entreprise est comme victime de la demande de respect dont elle fait l’objet. Ce qu’il y a de fondé dans cette présupposition, est que les entreprises françaises de moyenne et petite taille, en comptant les startups, sont, malgré les mesures mises en place actuellement pour « libérer » et dynamiser l’économie nationale, victimes d’une législation particulièrement sévère et sur bien des points devenue caduque, qui les « corsète » et empêchent de se développer d’une façon simplement efficace et bienfaisante pour la collectivité. Ceci, à la façon dont l’ultra-libéral Milton Friedmann n’affirma en 1970, en disant que la seule responsabilité sociale des affaires et de faire du profit, car seul ce dernier permet d’investir dans la recherche et de créer des emplois. Ce rappel de l’argument de Milton Friedmann, qui a eu des conséquences catastrophiques sur la conception de la place et du rôle de l’économie dans la vie des femmes et des hommes du monde entier depuis l’effondrement du bloc soviétique, donne la voie pour ajuster le sens de la question posée. Si l’on considère en effet l’évolution actuelle de la vie économique et financière, l’on constate une concentration croissante des capitaux en faveur des très grandes entreprises, soit, des multinationales, en particulier bien sûr au détriment des petites et moyennes organisations. Autrement dit, malgré la vogue des start-ups et donc l’insistance sur le fait que, comme cela a été dit il y a longtemps maintenant, « small is beautiful », nous évoluons actuellement au niveau mondial dans un contexte plus que largement dominé par quelques très grandes entreprises, dont la tendance est, par tous moyens, d’imposer leur hégémonie non seulement économique et financière, mais, on peut le dire très clairement, idéologique (que l’on pense seulement aux présupposés insensés du « transhumanisme » dont le GAFAM est le moteur délibéré, conscient et volontaire). Or, ces entreprises tentaculaires sont ultimement totalement indifférentes et à leur environnement externe et interne. Quand bien même elles développent des politiques de RH destinées en principe à servir le bonheur de leurs membres au travail, cela n’a d’autre but que de favoriser au mieux la productivité des salariés. On est, à tout niveau, en plein marxisme.

11L’on touche ici à une difficulté structurelle des sciences de gestion lorsqu’elles sont mises au service des personnes, qui est que toute politique se donnant pour objectif le bien-être au travail, l’épanouissement des personnes et la motivation ou le sens du travail, est en même temps et irréductiblement un outil d’instrumentalisation des personnes au service de la productivité et de la rentabilité des entreprises – soit, au service du seul retour sur investissement attendu de la part des propriétaires des entreprises, donc pour les entreprises concernées, des actionnaires. Il n’y a de « semblant » de politique de RH en faveur des salariés, comme de politique « socialement responsable » qu’en vue de l’augmentation immédiate, continue, autant que faire se peut maximale et visible du profit des uns tôt ou tard au détriment des autres. Au niveau du « grand capital » constitué des multinationales dominantes, les bonnes intentions déclamées n’ont donc pour elles que le nom de ce qu’elles prétendent. En pratique, l’on a affaire à un vaste jeu de dupes sur le fond d’une souveraine et puissante indifférence organisationnelle et institutionnelle aux personnes et aux enjeux sociétaux.

12Cette difficulté majeure qui est ultimement politique, vaut principalement pour le « grand capital » comme on peut dire, en renvoyant à des temps censés être définitivement révolus. En même temps, cette difficulté signale le sens de la réponse à apporter à la question. L’entreprise « peut sans aucun doute répondre à l’exigence croissante de respect qui se manifeste tant en son sein qu’à son égard » en prenant tout simplement au sérieux cette « exigence », qui sur bien des plans est la moindre des choses. L’on oublie trop souvent que l’homme n’est pas fait pour l’économie mais l’économie pour l’homme, de la même manière que ce ne sont pas les machines et les artefacts qui sont responsables de nous, mais nous d’eux. Autrement dit, l’économie n’est jamais qu’une partie d’un tout social, moral et politique au sens fort, qui le déborde et lui impose tôt ou tard sa loi – qui devient malheureusement de temps en temps celle de guerres pas seulement « économiques ». L’économie fait irréductiblement partie d’une société qu’elle a tendance à négliger, société d’où émergent heureusement les « exigences » dont les entreprises font de nos jours l’objet. La réponse à la question posée est donc éminemment simple : il suffit que les entreprises mettent en œuvre de véritables et réellement efficaces politiques de RSE tous niveaux confondus (i.e. orientées en direction de l’extérieur comme en direction de leurs salariés), pour qu’elles répondent aux « exigences de respect » qui se manifestent tant en leur sein qu’à leur égard. La bonne nouvelle est que, dans le secteur des petites et moyennes entreprises, cela est significativement plus le cas que dans le secteur « grand capitalistique » (sic !). Il n’en demeure pas moins que cela gagnerait à être à la fois significativement mieux fait, mieux connu, et sans cesse recommencé. La vraie question devient de savoir comment favoriser cela.

Respect : petite histoire d’arbitrage entre finance et humain dans le domaine de la santé. Mireille BLAESS, DRH OCP

13Quel social pour quel économique ? L’un des enjeux des entreprises en matière de respect porte sur une réponse équilibrée à cette question. Dans le cadre d’une hospitalisation, j’ai croisé un laborantin venu faire les prélèvements obligatoires pré opératoires : une expérience sur le lien entre financier et humain, sens client et respect de la personne. En quelques mots, ce laborantin m’expliqua que le tarif d’aiguilles de prélèvement « normales » coûte 3 à 4 fois moins cher que des aiguilles pour « bébés », plus fines et moins douloureuses, et donc d’un meilleur confort pour le patient que l’on peut aussi considérer/nommer client dans un hôpital. Le laborantin s’avérait humain et respectueux de ses patients. Il me parlait des personnes âgées qu’il suivait régulièrement dans deux résidences à proximité. Je notais sa fierté de les retrouver à son retour de vacances, accueilli avec joie. Car à la différence de son remplaçant pendant les congés, il considérait avec respect chacune des personnes qu’il croisait et pour laquelle il effectuait des prélèvements sanguins ou autres actes de laboratoire. Il avait en tête la nécessité pour ces populations d’être suivies de manière plus régulière et de l’impact de piqures répétitives sur leurs veines. Le service comptable avait un jour, après quelques échanges, émis une alerte sur ses dépenses car il n’utilisait que des aiguilles bébé donc bien plus coûteuses que les aiguilles normales ce qui impactait le compte d’exploitation du service de santé concerné. Son respect de l’humain et son sens client ont fait qu’il est passé outre les règles financières et a continué de travailler en son âme et conscience, comportement dissident peu commun dans ces institutions. La situation s’est tendue jusqu’au moment où un chirurgien, chef de service dans l’organisation, a conclu qu’il fallait le laisser bien faire son travail. Depuis il continue de piquer avec un certain bonheur et un sens du travail bien fait ! Une belle histoire vécue, simple entre process et humanité dans laquelle le respect de l’individu a eu raison du respect des comptes et des processus. Un exemple à méditer dans d’autres secteurs d’activité. Le respect dans une entreprise serait-il au moins égal à la somme des respects de chacun des individus qui y travaillent ?

Pourquoi et pour Quoi cette exigence du respect. Jacques BROUILLET, Avocat, ACD

14Pour le juriste que je suis, j’ai pris l’habitude, face à tout problème soulevé, de poser d’abord deux questions : – Pourquoi ? Pourquoi ce problème se manifeste, pourquoi nous faisons ce que nous avons fait et qui l’ont provoqué ? – Pour quoi ? Quelle finalité visons-nous dans la recherche de la solution ? Cette approche permet de résister à cette fâcheuse tendance de réclamer d’abord « comment faire ? », c’est-à-dire demander des « recettes » auprès d’avocats-conseils réduits au rôle de « maître-pâtissier ». C’est aussi le moyen d’économiser des honoraires par une réflexion personnelle se distinguant du réflexe de la recherche d’une solution toute faite. Pourquoi cette exigence du respect ? – Parce que l’on doit bien admettre que nous assistons à une croissante remise en cause de la crédibilité, et donc de l’autorité de nombreuses institutions. Qu’il s’agisse de l’Eglise, de l’école, de l’armée, de la famille et de l’Etat… ! – Et sur le plan individuel, désormais nombreux sont ceux qui se sentent concernés par le manque de respect : des gardiens de prison, aux infirmières, policiers, pompiers et… salariés trop souvent mal menés dans les entreprises par un management qui se veut toujours plus « performant » ; – Seule, jusqu’à présent, l’entreprise semblait résister à cette dérive, en s’appuyant notamment sur le principe de « subordination » inhérent à la relation employeur/salarié ; – Mais ce concept a lui-même évolué, avec les nouvelles formes de travail et de technologies qui impliquent toujours plus d’autonomie et d’initiative… sans oublier les changements de priorités entre vie professionnelle et vie privée exprimées par les générations X,Y, Z… Le respect, qui est un sentiment qui se compose de crainte et d’amour, semble bien se réduire à la peur de perdre son emploi… ! Et les salariés s’interrogent de plus en plus sur la légitimité de ceux qui les dirigent, rejoignant l’opinion du Cardinal de Retz (1731) « Lorsque ceux qui commandent ont perdu la honte, ceux qui obéissent perdent le respect ».

15Pour Quoi une exigence de respect au sein de l’entreprise et à son égard ? – Les raisons sont sans doute déjà un peu dessinées ci-dessus. Mais il y a plus ! C’est la nécessité de s’interroger encore et toujours sur la finalité de l’entreprise. Déjà Socrate disait « la finalité de toute groupe humain c’est l’épanouissement de chacun dans le respect des différences ». Et il ne me paraît pas rétrograde de rappeler les propos de Hervé Seyriex et Georges Archier en 1984 concernant le « Management participatif » incitant à plus d’implications, et, donc de respect, des salariés. De même Michel Baroin en appelait à « l’entreprise citoyenne – l’entreprise amour » qui se devait de porter un égal intérêt aux actionnaires, sans doute, mais aussi aux fournisseurs, aux clients… et aux salariés, certes cités en dernier ! Il nous faut davantage faire admettre que la finalité de l’économie (et donc de l’entreprise) n’est pas seulement de produire des profits, mais de créer une valeur ajoutée à partager au-delà du cercle des actionnaires toujours plus avides et de contribuer au progrès de l’humanité. C’est l’objet même du droit (et donc de la justice) que d’harmoniser les relations sociales. Autrement dit d’assurer un juste équilibre entre la finalité économique de l’entreprise et le respect des aspirations individuelles et collectives de ceux qui y contribuent. A mon sens il en va de la survie même de « l’entreprise », (structure juridique) sauf à disparaître dans un simple « réseau de flux financiers. »

16Alors ? Comment répondre à cette exigence de respect ? Vous comprendrez qu’il ne m’appartient pas de donner la recette. Mais c’est à vous d’en juger ! En considérant que le respect du droit des autres (employeurs/salariés) s’appelle la justice, et l’attachement à cette conviction s’appelle l’honneur.

Le respect et les incivilités, un enjeu pour le management. Richard DELAYE, directeur de la recherche, Propédia, groupe IGS

17Le nombre de citations du mot respect sur Google est de 850.000.000 (alors que le mot manger ou encore amour sont cités respectivement 165.000.000 et 362.000.000). C’est là un véritable paradoxe lorsque les incivilités n’ont jamais été autant au centre des discussions, qu’il s’agisse de l’espace public ou de l’entreprise. Une récente étude (2017) d’ELEAS, cabinet conseil indépendant, créé en 2003, spécialiste du management de la qualité de vie au travail et de la prévention des risques psychosociaux, nous montre que les incivilités les plus fréquentes concernent le manque de respect de l’espace de travail (84 %), la gêne occasionnée en matière de concentration de ses collègues (81 %), l’oubli de dire bonjour et au revoir (77 %) et le fait de couper la parole à ses collègues sans tenir compte de leurs propos (76 %). En réalité, ces petits manquements de respect trahissent un comportement qui peut être perçu comme dédaigneux par les autres qui s’estiment, par conséquent, non reconnus, niés, ce qui peut les pousser à mettre en place des mécanismes de protection reposant sur la frustration, la déception engendrant ainsi une forme d’agressivité.

18Si nous pouvons trouver une explication dans l’éducation des employés, il est néanmoins intéressant de noter que si la pression et les conditions de travail stressantes sont régulièrement identifiées comme étant sources d’incivilités, il convient, suivant cette-même étude de reconnaître que les organisations du travail de type « open space » ou encore les groupes évoluant en « mode projet » s’avèrent être également à l’origine des actes et paroles incivils et par conséquent d’un manque de respect (58 % et 52 %). Cette question, qui relève réellement d’un enjeu managérial fort, doit nous amener à aller au fond pour comprendre cette notion de respect ; car de quoi parle-t-on réellement ? Du respect des différences comme l’illustre tellement bien André Gide avec ses mots « C’est parce que tu diffères de moi que je t’aime ; je n’aime en toi que ce qui diffère de moi » ? Du respect des générations entre-elles ? Quand on observe que les 16-34 ans, sont trop souvent stigmatisés lorsque l’on aborde le sujet, alors qu’ils s’expriment peut-être tout simplement différemment, dans un autre environnement, avec d’autres outils de communication ? En tous les cas, ceci a pour incidence un délitement du lien social qui invite le management, à réutiliser des symboles forts afin de rassembler et de (re)créer une proximité relationnelle quelque peu mise à mal ces derniers temps. Mais cela demande une véritable rupture sans laquelle aucune continuité n’est envisageable comme aime à le rappeler le Prof. Luc Boyer.

Le respect de nous-même. Corinne FORASACCO, Coach – Fondatrice d’Alma Alter Consulting

19Le respect, non pas dans sa dimension de règle mais dans son champ émotionnel, distinction déjà faite par Kant entre morale et sentiment, est au cœur du leadership. Dans une étude réalisée récemment par Georgetown University sur un panel mondial de 20 000 employés, les personnes interviewées ont à la fois exprimé se sentir de moins en moins respectées sur leur lieu de travail et ont aussi placé le respect en 1ere position des comportements attendus en termes de leadership [2]. Le respect constitue en effet un des fondamentaux de la relation et des interactions humaines et peut être naturellement un levier de fonctionnement et de performance durable de l’entreprise. Pour ce faire les facteurs de réussite sont que ce respect s’incarne dans la verticalité et l’exemplarité du dirigeant, dans une cohérence entre les valeurs affichées et effectivement mises en œuvre dans le management de l’entreprise, et enfin s’exprime dans les postures individuelles des personnes. Les nouvelles formes d’organisation et de fonctionnement plus collaboratives convoquent en effet d’autres valeurs et comportements. La conscience organisationnelle est à ce jour urgente, l’exigence de respect étant en effet de plus en plus déterminante du fait de la disparition des systèmes hiérarchiques traditionnels davantage fondés sur les principes d’autorité et d’obéissance. Une communauté fédérée autour de valeurs [3] en faveur du respect, de l’altérité, pourra apporter un rempart à l’hyper narcissisme ambiant, pour reprendre un terme du psychologue – psychanalyste Jean Claude Liaudet, et saura favoriser l’intégration et la coopération. Enfin une conviction : le commencement de ce cercle vertueux réside dans la capacité de chacun de faire preuve d’attention, d’écouter, de formuler du feed-back et de reconnaître l’autre dans sa différence. Cette capacité suppose un préalable : l’estime de soi, la conscience de sa valeur et de son droit au respect. Se respecter soi-même c’est aussi répondre à son besoin d’alignement personnel au sens de Robert Dilts [4]. Ce dernier à travers sa formalisation des niveaux logiques nous propose un schéma structurant, pour permettre à chacun d’agir (« comportement ») aligné sur ses « capacités », favorisé par ses « croyances », et en cohérence avec le sens qu’il donne à sa « mission » (identité-vision et spiritualité).

Le demander ou le gagner ? Anne-Marie FRAY, secrétaire générale de l’IAS

20Quelle stratégie choisir ? Comment faire naitre ce sentiment moral produit par la raison pratique plus que par la sensibilité ? Et dont cette définition induit que les objets ne peuvent, de ce fait, être respectables. Contrairement aux individus… C’est donc bien l’individu plus que l’entreprise qui est source et/ou objet de respect. Respect, mot latin respectus : attention, considération… Demander le respect, c’est donc agir vers l’autre pour qu’il vous reconnaisse en tant que tel. Le gagner c‘est agir de façon universelle, agir pour sa propre éthique quel que soit le public, se donner la liberté d’un comportement et accepter le jugement moral porté sur lui. Le gagner, c’est s’ouvrir vers un holisme du respect qui, par conséquent, pourra être favorable à l’organisation, à la société, à l’environnement… Est-ce en aidant chaque individu à gagner ce respect que l’entreprise pourra se forger une image globale dans le même sens ? Sans doute si l’entreprise favorise les stratégies coopératives entre acteurs et donne les conditions nécessaires. Dont les cartons rouges en cas de déviance des acteurs. Car, si « le respect des lois rend les villes florissantes ». Euripide (Les suppliantes – Ve s. av. J.-C.), il peut en être de même pour toutes les organisations.

Le Respect : une valeur importante de nos jours ? Sana HENDA, Enseignant-chercheur, ESC Amiens

21Dans le cadre d’une société en pleine évolution, l’entreprise exige aujourd’hui, de plus en plus de la part de ses collaborateurs implication, engagement et intégration. Les collaborateurs, quant à eux, sont en attente à ce que l’entreprise réponde à leurs demandes, leurs besoins d’évolutions. L’exigence croissante de respect est une notion et une valeur essentielle à mettre en place et à surveiller également. Le dirigeant ou manager doit être dans un processus de respect comme le fait de mettre en place une charte qualité et tenir compte des avis et des exigences des clients. Dans ce cas, les salariés devraient être considérés comme des « clients internes » représentants de l’entreprise et l’interface entre celle-ci et son environnement. D’où l’importance d’impliquer ses employés en tenant compte de leurs attentes, de leurs besoins de la même manière que leurs clients. Pour s’assurer de l’engagement de ses collaborateurs, il est indispensable de nos jours pour une entreprise de développer son capital humain tout en créant auprès de ses salariés le sentiment d’appartenance et d’attachement vis-à-vis de l’entreprise à travers l’amélioration et le développement de sa politique sociale et RH, en termes notamment de conditions de travail, de motivation, d’écoute, de gestion des carrières, de développement des compétences, de communication interne, de dialogue social, cela permet de valoriser les personnes, de baisser le nombre de démissions, un turnover important et des départs hâtifs. Le fait d’avoir des comportements irrespectueux pourraient engendrer une baisse de motivation, de productivité, de créativité et d’engagement. La mise en place d’un processus de respect permet de mieux fidéliser toutes les générations présentes dans l’entreprise et en particulier la génération Y, qui a une attitude particulière par rapport aux générations précédentes, qui s’attend à avoir un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle et à être reconnu par ses managers. La politique managériale, la culture d’entreprise, les valeurs, la structure de l’entreprise, sont des enjeux fondamentaux qui peuvent influencer sa performance et accroître le sentiment de respect.

22L’entreprise doit s’interroger donc sur les moyens à mettre en place pour attirer, fidéliser et motiver les salariés dont elle a besoin. Pour cela, l’entreprise doit travailler sur son attractivité. Pour la développer, elle doit chercher des moyens novateurs qui répondent aux besoins et attentes de ses salariés et futures recrues. Ces moyens doivent lui permettre de se différencier de ses concurrentes et de les surpasser afin d’attirer les hauts potentiels et conserver ceux qu’elle détient déjà et c’est de cette manière qu’elle arrivera à développer sa performance. Plus le respect est présent dans l’entreprise, plus l’engagement et la productivité des salariés est importante. Cette notion peut être interprétée différemment selon la diversité des populations présentes, les personnes, la culture, les générations, leurs sexes. Il est donc indispensable de montrer de la considération envers ses salariés et collaborateurs, de les mettre au cœur de ses préoccupations, de les considérer comme une ressource à part entière.

Quand le respect est avalé par la société du spectacle. Jacques IGALENS, Professeur émérite de l’Université de Toulouse Capitole, Président de l’Institut International de l’audit Social (IAS)

23Je découvre ce matin l’ouverture d’un grand magasin dans ma ville, il s’agit d’un magasin de vêtements de la marque « Primark ». Sur les vitrines un mot en grandes lettres : « Respect » et dessous des explications « Fabriqué avec respect. Nous nous engageons à offrir un futur durable à chaque personne et à chaque ressource impliquée dans notre enseigne ». Je ne connaissais auparavant la marque irlandaise Primark qu’à travers sa lourde mise en accusation dans l’effondrement du Rana Plaza à Dacca le 24 avril 2013, effondrement qui a provoqué au moins 1 127 morts pour environ 2 500 rescapés. On sait que ce drame est à l’origine en France de la loi du 27 mars 2017 qui introduit un devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre afin de prévenir les risques sociaux, environnementaux liés à leurs opérations mais qui peut aussi s’étendre aux activités de leurs filiales et de leurs partenaires commerciaux (sous-traitants et fournisseurs).

24Que cette société, Primark, dont les produits avaient été retrouvés en grande quantité dans les décombres, ait besoin de redorer son image de marque en termes de RSE, rien de plus naturel. Mais que vient faire le respect quand il s’agit en l’occurrence de faire appliquer des mesures de sécurité des bâtiments et de s’assurer de la conformité aux principes de l’OIT ? Que veut dire « offrir un futur durable » ? S’agit-il de « rester vivant » contrairement au millier de morts de la capitale du Bangladesh ? Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’essai de Guy Debord paru il y a cinquante ans, « La société du spectacle », dans lequel il écrit (en parodiant Marx) : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles ». C’est vraiment du spectacle que d’afficher des grands principes et de faire des phrases creuses pour vendre des marchandises. Que cette entreprise s’engage sur des objectifs précis et mesurables concernant les conditions de vie et de travail des salariés qui fabriquent ses produits où qu’ils soient dans le monde. Qu’elle procède à des missions de contrôle et d’audit social indépendant et inopiné pour s’assurer de la mise en œuvre effective de ces conditions. Ce sera déjà une première étape, pour le respect on verra plus tard.

#dontmesswiththerespect#. Marie-Paule ISTRIA, Dirigeante associée MpI Conseil

25Il est impensable que le respect soit érigé en valeur dans l’entreprise. Il est le préalable à toutes relations ou interactions entre personnes civilisées, sociabilisées, bref entre êtres humains. Le milieu de l’entreprise ne peut s’y soustraire. Il est donc absurde d’afficher le respect comme un objectif à atteindre puisqu’il est la première des conditions de la relation contractuelle. Y a-t-il maldonne ou malentendu ? Le respect est un sentiment défini officiellement comme tel. Attention à la confusion des genres. Quand les entreprises le posent en valeur, que les salariés le réclament dans les baromètres sociaux que MPI conseil réalise, c’est généralement le symptôme de sa disparition. Par respect, on doit donc entendre reconnaissance, bienveillance, bien-être. Les salariés aspirent à être « respectés » de deux façons. Être reconnus comme des personnes et non des pions ou dossiers. Respect est alors utilisé au sens de « considération ». De plus ils attendent de l’entreprise qu’elle tienne ses engagements. C’est le « respect de la parole donnée ». Respect et conflit ne font pas bon ménage. Aussi, le premier bienfait de la médiation quand MPI Conseil est chargée de résoudre un conflit a priori sans issue, est de permettre à chacun de respecter l’autre. Les règles qui président à la médiation le posent en préalable. Le dialogue et l’écoute peuvent alors prendre tout leur sens. Plutôt que de « forcer le respect », laissons à l’entreprise la responsabilité de « l’inspirer ».

Le RESPECT : Réconcilier l’être avec Soi et l’Autre. Mouloud MADOUN, Professor, FireBird, Institute of Research in management, Coimbatore, Tamil Nadu, India

26

What you want, honey, you got it,
And what you need, baby, you’ve got it,
All I am asking,
For a little respect when I come home…
I am about to give you all my money
But All I want you to do …is give it, Respect when I come home

27Ces paroles de Respect du regretté Otis Redding montre l’importance du respect dans les relations interpersonnelles. La confusion entre accepter, tolérer et respecter souvent ne facilite pas la construction de relations harmonieuses et fructueuses que ce soit dans le travail ou plus généralement dans la société.

28Plusieurs recherches (Van Quakebeke & Felps) ont montré l’impact négatif du manque de respect sur les attitudes et comportements des employés ; le manque de respect est une des raisons des départs ou du refus des employés de s’engager dans leur travail, être créatif. Une personne, s’estimant non respectée préféra alors la routine, le travail monotone avant de trouver mieux ailleurs. Le respect va au-delà de l’acceptation ou de la tolérance ; c’est la reconnaissance de l’autre comme un être important.

Le Soi et l’Autre, deux éléments d’une même et seule chose

29Pourquoi le respect est-il devenu une denrée rare que beaucoup d’entre nous recherchent désespérément ? Pourquoi éprouvons-nous tant de peine à donner le respect que l’Autre attend et mérite ? En occident, souvent, le non-respect vient de la grande disparité entre la sophistication de la connaissance du monde externe et la pauvreté extrême de la connaissance de soi. Or pour respecter l’autre, il faut accéder à la connaissance de soi et reconnaître l’autre comme un autre « Soi ». C’est une transformation radicale qui est requise non de l’autre mais de Soi. Dans la démarche occidentale, c’est toujours la conquête du monde et de l’autre qui a prévalu. Fort de l’attitude de sa supériorité, matériellement incontestable, l’occident s’était engagé dans la conquête du monde et des autres : Les empires Grec, Romain, Alexandre Le Grand, Napoléon, puis les colonialismes portugais, espagnol, britannique, français et aujourd’hui américain, sans parler des religions dites révélées dont les tentations hégémoniques restent d’actualité, ont cherché à dominer l’autre, considéré comme inferieur. La conquête de Soi que la philosophie Grecque avait initiée était bannie et avait cessé de préoccuper depuis l’assassinat de Socrate et la suprématie économique, matérielle de l’occident devenue universelle.

Une autre conception est possible pour que le respect existe

30Tout autre est la philosophie Indienne dont la préoccupation a été d’abord la conquête de Soi. Dans le chef d’œuvre universel de la philosophie indienne, les Upanishad (finalisé il y a 3 000 ans), c’est la dialectique de l’unité dans la diversité qui résulte de la conquête de Soi qui est la condition essentielle d’accès à l’autre et au respect de l’autre. L’objectif est de réconcilier le monde extérieur et Soi. C’est l’Atman, le Soi ultime qui réside en chacun. La vérité est en soi à condition de daigner aller la chercher. « Si les gens cherchent et analysent (scrutent) leurs propres fautes, défauts de la même façon qu’ils le font pour les autres, l’humanité serait libérée de tous les maux » est-il affirmé dans Thirukkural, l’autre chef d’œuvre de la littérature Tamil, écrit il y a 2 000 ans. L’homme upanishad (indien) est à l’aise dans le monde, dans l’univers et n’éprouve aucun trouble ni inquiétude face aux autres. Il conçoit l’univers comme le résultat de SOI, de son SELF. Le Moi empirique, le corps par exemple n’est pas le vrai Moi. Il est l’expression de l’Ego et sujet à de multiples souffrances face aux transformations et face aux autres. Cet Ego doit être régulé pour que se réalise le vrai Soi, Atman, qui lui, est permanent. Dans cette conception, l’humain est intégral, non divisé et compartimenté comme dans la conception occidentale. La qualité supérieure de l’homme est d’atteindre l’Atman, la réalisation de Si. La difficulté du respect en occident et sa périphérie vient de la vision d’exclusion et de cette conception d’un être compartimenté ; l’être externe, le corps seul existe, sa supériorité est affirmée et affichée ; il doit être imposé comme seule vérité. A Soi et à l’autre. L’autre Soi, le vrai, interne étant occulté.

31Il s‘agira alors de conquérir le monde externe et l’autre qui m’est « étranger et « étrange » pour mieux les dominer, voire convertir. Dans la philosophie indienne, il s’agit d’équilibrer la connaissance du monde externe et la connaissance de soi. Le respect devient naturel. Ce respect concerne tous les êtres et pas seulement l’humain : Lors de la pose de la « première pierre » pour un campus, bâtiment ou tout autre édifice, on commence par une « BHOMI POOJA », une cérémonie de prière pour demander pardon à la terre qui a été blessée, heurtée par l’homme. On peut remplacer les arbres mais pas les êtres qui ont été agressés. C’est aussi cela le respect. L’exemple le plus évident est l’attitude vis-à-vis des religions. En inde, toutes les religions sont reconnues, malgré leur nature et volonté hégémoniques. Elles sont toutes respectées dans toutes leurs spécificités. Elles sont considérées toutes aussi importantes que la mienne. Chacune est une voie possible dans la recherche de la vérité. Aucune ne détient La Vérité à elle seule et doit RESPECTER les autres. Il n’y a pas de relation de domination. Ce qui explique et autorise le respect. L’indien a fait la paix avec Soi. Etre en paix avec les autres en découle. Tout naturellement. Alors « Atman Viddhi », connais-toi toi-même. Tu connaîtras d’autant mieux les autres. Et les respectera.

Peut-on redonner une respectabilité à la finance ? Jean MOUSSAVOU, Professeur, directeur de la recherche, Brest Business School

32A travers l’histoire, la finance a toujours été perçue avec scepticisme, voire hostilité. Depuis les anciens Grecs, voire les premiers chrétiens ayant condamné (et souvent puni) les « usuriers », jusqu’à une croyance aujourd’hui partagée par bon nombre d’acteurs : la finance est immorale. Certes, l’industrie de la finance n’est pas exempte de tout défaut. Depuis la bulle spéculative des bulbes de tulipes au pays bas en 1637, en passant par le fameux « jeudi noir » de 1929, sans oublier la récente crise des subprimes, ou encore les nombreux scandales financiers de ces dernières années (affaire de la Ponzi de Bernie Madoff, Affaire Kerviel, affaire des Panama papers…), l’industrie financière présente incontestablement de nombreuses failles. Mais la croyance dans l’immoralité de la finance ne peut s’expliquer uniquement par les torts spécifiques commis par les financiers. Les soldats ont commis des atrocités sans nuire à la réputation de l’armée elle-même. La colère dirigée contre la finance provient de l’idée que les financiers sont motivés par le désir égoïste de profit – et la conviction que les motivations au profit conduisent les financiers à entreprendre des actions prédatrices, irrationnelles et à court terme. Pourtant, dans leur ouvrage Pursuit of Wealth : The Moral Case for Finance, Brook et Watkins dissipent les mythes négatifs qui prévalent au sujet de la finance, et exposent aux lecteurs comment un recadrage moral peut lutter contre la diffamation de cette activité. Pour Brook et Watkins, la finance n’est pas unique dans sa relation au profit. Toutes les entreprises sont à la quête de profit. La finance se distingue des autres activités par une réprimande spéciale parce que les financiers sont les plus visibles dans leur recherche de profit. Un élément clé de l’ouvrage de Brook et Watkins est que pour contrer la diffamation de la finance, il faut procéder à un recadrage moral. « Ceux qui reconnaissent la valeur irremplaçable de la finance doivent changer les termes du débat ». La question ne devrait pas être de savoir si les financiers sont « avides », égoïstes ou motivés par le profit. La question devrait être la suivante : les financiers profitent-ils de la création de valeur visant à améliorer le bien-être humain – ou sont-ils de simples parasites se tapissant les poches dans leurs jeux à court terme ? Si nous posons cette question – et si nous y répondons honnêtement –, les arguments moraux en faveur de la finance sont indéniables.

Bibliographie

Brook Y. et Watkins D. (2017), Pursuit of Wealth : The Moral Case for Finance, Kindle Edition.
Flamant M et Singer-Kerel J. (1987), Les crises économiques, PUF, Que sais-je ? n° 1295, sixième édition.
Lapidus A. (1987), « La propriété de la monnaie : doctrine de l’usure et théorie de l’intérêt », Revue économique, n° 6, p. 1095-1110.
Marie-Jeanne C. (2013), « L’interdiction du prêt à intérêt : principes et actualité », Revue d’économie financière, 2013/1 (n° 109), p. 265-282.
Ramelet D. (2004), « La rémunération du capital à la lumière de la doctrine traditionnelle de l’Église catholique », Rev. Catholica, n° 86, p. 13-25.

Le respect, une Question de confiance et d’émotions. Philippe PACHE, psychologue, Genève, Suisse

33L’entreprise dans sa forme juridique même questionne sur la notion de respect. En effet, une société anonyme ou société à responsabilité limitée peut-elle être habitée d’un sentiment et qui plus est de celui du respect ? Lorsqu’une entreprise de type « personne morale » applique le respect à l’interne comme à l’externe, elle le fait non pas par ou pour des sentiments mais par des règles, des procédures, des lois. Ses acteurs (collaborateurs, clients, fournisseurs…) sont, en revanche, quant à eux, animés de sentiments et ne se sentiront probablement pas respectés par la présence unique de logiciels conversationnels ou d’assistants virtuels (chatbot). En effet, même si les actions de ses logiciels seront paramétrées selon ces mêmes règles, procédures ou lois et inscrites sur des technologies sans organes de contrôle (blockchain), la dimension émotionnelle de l’humain restera à « respecter » et sera à « ressentir ».

34De plus, l’individu qui souhaite être « respecté », « considéré », « reconnu », ne l’est que pour et par l’autre d’où l’importance d’effectuer une distinction entre intérêt commun et intérêt personnel. Ou formulé d’une autre manière, l’individu et l’entreprise fonctionnent aujourd’hui dans un respect mutuel dessiné par leurs 2 intérêts personnels et bénéficiant d’un système leur apportant intérêt commun. Mais le respect des règles et l’établissement d’un contrat sous-tend-il pour autant à la confiance mutuelle ?

35C’est probablement dans la volonté de dépasser leurs intérêts personnels que se trouve la solution. En effet, un élément de réponse réside dans le niveau de conscience que chaque individu possède et de sa volonté à dépasser son Ego grâce à la confiance et au respect réciproque. Un autre élément de réponse se trouve dans la prise en considération de l’individu en tant qu’être animé d’émotions. Ainsi, tant que l’intelligence artificielle ne sait pas réellement s’adapter à l’émotion et à la produire, le sentiment du respect passera avant tout par un échange humain porteur d’émotions. Et à ce jour, rien n’a jamais mieux symbolisé l’échange respectueux que la poignée de main de deux honnêtes Hommes. Alors que nous sommes dans une période où, bien souvent, les lois l’emportent sur le sens de la loi et où les procédures alourdissent considérablement les prises de décisions, il est souhaitable que les technologies implantées dans l’entreprise permettent à l’homme de se consacrer à développer des sentiments et des actions de respect envers l’humain. L’homme devra donc être porteur d’un profond respect pour le vivant, lui donner sa confiance et s’en montrer digne, faute de quoi il laissera l’Intelligence artificielle lui prouver qu’elle est capable faire mieux que lui.

RESPECT. Maurice THEVENET, Professeur ESSEC Business School, Délégué Général de la FNEGE

36Dans l’entreprise comme dans la société, le respect est une revendication généralisée. Tout le monde veut être respecté. Cette demande a trois caractères : premièrement elle concerne les relations entre les personnes, les modalités de la relation inter-personnelle qui demeure dans tous les contextes, au-delà des rôles et des positions. Deuxièmement, elle traduit l’attente des personnes vis-à-vis du monde environnant qui leur doit quelques chose, ce respect en l’occurrence. Troisièmement cette demande procède parfois de l’injonction, très affectionnée par les spécialistes du management, puisque chacun se voit sommé de prodiguer le respect. La référence au respect met l’accent sur deux notions parfois oubliées dans les mœurs managériales. D’une part le respect, étymologiquement, évoque un regard en arrière. On ne peut respecter que ce qui a acquis dans le passé une valeur exigeant ce respect. Le retour via le respect de cette considération pour le passé est assez original, dans nos approches du management, pour être souligné. D’autre part, le respect, je l’ai remarqué avec beaucoup de personnes, est généralement préféré au terme de politesse. Beaucoup considèrent que l’on parle de la même chose mais que la notion de respect est plus valorisante. Alors de quoi parle-t-on dans ces deux termes ? Tout simplement du fait que la relation à l’autre ne va pas de soi et qu’il ne suffit pas naïvement d’appeler à de bonnes relations humaines, encore faut-il faire l’effort réel qu’exige toute relation. Est-ce que la mode du respect nous fera enfin glisser lentement d’une anthropologie centrée sur le moi à une autre plus tournée vers la relation ?


Date de mise en ligne : 11/12/2018

https://doi.org/10.3917/qdm.183.0157

Notes

  • [1]
    F. Dostoïevski (1861), Humiliés et offensés, Arles, Actes Sud, 2000.
  • [2]
    Christine Porath Auteur de l’étude.
  • [3]
    Richard Barett « L’entreprise inspirée par ses valeurs »
  • [4]
    Robert Dilts PNL et niveaux logiques

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