Couverture de QDM_183

Article de revue

Comment améliorer le pilotage de la performance des entreprises du secteur public sénégalais ?

Pages 23 à 36

Introduction

1Depuis déjà plusieurs années, des études sont réalisées sur le pilotage de la performance des entreprises sénégalaises. Si on a une typologie explicative de la pratique et de la diffusion de l’instrumentation du contrôle de gestion au Sénégal (Bampoky et Meyssonnier, 2012), une réflexion n’est pas encore faite sur la façon dont on doit implémenter les méthodes et outils du contrôle de gestion, spécifiquement dans les entreprises du secteur public.

2Pour l’approfondissement de la connaissance des pratiques de contrôle de gestion des entreprises publiques, des études ciblées réalisées sur le terrain ont été recensées et analysées. Notamment, le secteur public de la santé a été exploré, et il est constaté qu’un contrôle de gestion par un simple suivi budgétaire a été introduit pour permettre de suivre l’utilisation des fonds de dotations alloués par l’Etat aux établissements publics de santé à caractère industriel et commercial (Wade, 2003). Ces entités sont considérées comme des entreprises publiques, car soumises aux mêmes obligations de fonctionnement que ces dernières, sauf que leurs moyens de fonctionnement, à la différence des sociétés nationales, restent à 100 % étatiques. Pour fonctionner, ces entités reçoivent des dotations budgétaires décidées par l’Etat. Nombreuses sont celles qui sont en compétition avec les entreprises privées, et pour assurer leur compétitivité, certaines sont transformées en sociétés nationales faisant appel à l’épargne publique comme la Sonatel (Société Nationale des Télécommunications). Dans un univers de concurrence avec le désengagement progressif de l’Etat du Sénégal des secteurs productifs à partir des années 80 (Gaye, 1989), l’objectif assigné à ces entreprises ne peut plus être l’offre de biens à prix bas, en cherchant simplement l’équilibre budgétaire. La question de la continuité de l’exploitation se pose, et la performance devient la préoccupation majeure. D’après Dème (1995), le désengagement de l’Etat dans plusieurs pays d’Afrique résulte de la faillite du non-marchand. Pour Plane (1992), le commissaire sénégalais à la réforme du secteur parapublic ne doutait pas un instant que toutes les entreprises nationales fussent privatisables.

3Considérant la dimension socio-organisationnelle du contrôle de gestion, les comportements des acteurs et la structuration de la fonction contrôle de gestion dans les entreprises publiques ont été cernés (Bampoky, 2013). En effet, si les caractéristiques des outils de pilotage de la performance sont importantes et doivent être bien appréhendées, c’est leur usage qui est intéressant. Il est ressorti de ces recherches que le contrôle de gestion pratiqué par les entreprises publiques est un contrôle procédural et financier, de type bureaucratique selon Simons (1995). Les caractéristiques de celui-ci ont été mises en exergue : recours sommaire à la prévision avec usage des budgets sans toutefois l’élaboration de plans stratégiques et leur opérationnalisation. La conséquence est que le pilotage à vue est privilégié au détriment de la stratégie et des perspectives de développement à long terme de la performance. Gouadain et Lecointre (1985) avaient situé les défaillances de la gestion des entreprises publiques du Sénégal dans le manque de définition précise des objectifs, le système d’information non fiable et une pléthore de personnel. En cherchant à connaître davantage les causes réelles de ces défaillances, une étude menée par Faye (2003) permet de comprendre qu’à l’intérieur des systèmes de pilotage des entreprises publiques sénégalaises se situent aussi des luttes entre parties prenantes, créant des distorsions dans les décisions stratégiques et financières.

4En raison de la connaissance précise des facteurs explicatifs de l’hypertrophie du secteur public sénégalais au moyen des recherches antérieurement réalisées, il ne s’est pas avéré nécessaire de réaliser d’autres études exploratoires pour se retrouver avec les mêmes résultats que les études antérieures. Il convient de partir de l’existant pour réfléchir sur l’implémentation des méthodes et outils de pilotage de la performance. Les questions qui justifient notre investigation sont les suivantes :

  • Quels sont les voies réelles d’amélioration de la performance des entreprises publiques sénégalaises ?
  • Quelles sont les méthodes et outils du contrôle de gestion appropriés ?

5Pourquoi et comment les mécanismes de pilotage de la performance préconisés doivent-ils être adoptés ?

6La démarche d’investigation est simple. A l’aide d’études bibliographiques et documentaires, le panorama des difficultés de pilotage de la performance des entreprises publiques sénégalaises, nous avons procédé minutieusement à l’analyse des démarches de changement les mieux adaptées et la manière dont celles-ci devraient être adoptées. Pour illustrer la pertinence de nos propositions de solutions, nous nous sommes basés sur un certain nombre d’entreprises publiques et privées ayant fait l’objet d’études antérieures (Sonatel, Tigo, Expresso, SN-HLM), et sur d’autres entreprises exploitées pour le compte de cette nouvelle recherche (Senelec, SDE, Groupe Kirène, ICS). Le tableau récapitulatif de ces entreprises est présenté en annexe 2. La connaissance des contrôleurs de gestion, des comptables ou des administrateurs de ces dernières entreprises nous a facilité les entretiens complémentaires (d’une heure au maximum). Les questions ciblées qui ont été posées pour étayer nos démonstrations sont présentées en annexe 1. Nous nous intéressons au secteur public au sens large, c’est-à-dire à l’ensemble des entreprises 100 % étatiques et celles dont l’actionnariat est majoritairement public (celles à plus de 95 % étatiques). Les entreprises d’un actionnariat public très largement majoritaire portent aussi la dénomination de sociétés nationales. Même si ces dernières pourraient être qualifiées de parapubliques, les principes de fonctionnement sont les mêmes que celles exclusivement publiques. Les deux formes d’entreprises ont un cadre d’action identique à celui des entreprises privées, et le budget est un outil de gestion contrairement à ce qu’il est (autorisation de dépenses) dans les administrations, les universités ou les communes. Notre recherche est principalement d’une posture interprétative débouchant sur des préconisations normatives. L’accent n’est pas beaucoup mis sur les jeux de pouvoir au sein de l’organisation et sur la relation inter-organisationnelle avec les autorités de tutelle. La vision instrumentaliste du contrôle de gestion domine ce travail de recherche.

7Apparemment, les entreprises publiques sénégalaises ont un outillage de gestion marqué par leur histoire. Ce constat est l’objet de la première étape de cette investigation, et permet de faire des propositions d’amélioration des pratiques.

1 – L’outillage de gestion des entreprises publiques sénégalaises

8Avant de se focaliser sur l’outillage de gestion des entreprises publiques sénégalaises, il s’avère nécessaire de faire la synthèse des spécificités du secteur public sénégalais. Ce secteur comprend : les Sociétés Nationales, les Etablissements Publics à caractère industriel et commercial et les Etablissements Publics simples.

9Les Sociétés Nationales dont le capital est presque totalement étatique. Les résultats bénéficiaires servent à alimenter en partie le budget de l’état. Elles sont dotées d’un Conseil d’administration présidé par un représentant de l’Etat. L’entreprise doit fournir aux populations des prestations ou des biens (en général de première nécessité) à moindre coût. Elles bénéficient d’une protection de l’Etat, reçoivent des subventions étatiques et sont tenues d’appliquer dans leur fonctionnement les codes de procédures édictés par l’Etat. Le contrôle se fait par les résultats, donc il est de type diagnostic selon Simons (1995) ou de type procédural et financier d’après Bampoky et Meyssonnier (2012). Assurant une mission d’intérêt général, elles recherchent avant tout l’équilibre budgétaire. Les Etablissements Publics à caractère industriel et commercial (hôpitaux, les centres des œuvres,…). L’Etat met chaque année à leur disposition des fonds leur permettant de fonctionner. Ils sont tenus de se renforcer et de pérenniser en fixant parfois aux demandeurs des prix modérateurs afin d’assurer un équilibre budgétaire. Pour rendre transparente leur gestion, un Plan Comptable de l’Etat est mis en place, contrairement aux Sociétés Nationales qui produisent leurs états financiers selon le Plan Comptable appliqué par les entreprises privées non financières (le Plan du Système Comptable de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires).

10Les Etablissements Publics Simples (les Universités, les Ecoles Publiques, …). Les ressources proviennent essentiellement de l’Etat. Au cours de ces dernières années, il leur est permis (Loi sur les fonctions de services) de faire des prestations payantes, mais surtout pour satisfaire la demande non prise en compte par l’Etat dans son budget.

11L’instrumentation de gestion des entreprises publiques du Sénégal est ainsi caractérisée par un processus budgétaire visant uniquement l’équilibre « Recettes-Dépenses », une gestion des coûts peu rigoureuse du fait d’une faible concurrence, et un faible usage d’indicateurs de pilotage des activités et des processus opérationnels.

1.1 – Un processus budgétaire non « abouti »

12Dans le secteur public de façon générale, le pilotage de la performance par les budgets semble constituer une pratique dominante compte tenu des caractéristiques du produit offert (des services publics en général) et du respect des règles d’effectivité des dépenses édictées par l’Etat (Démeestère, 1989). Au Sénégal, le budget jouait le rôle d’autorisation des dépenses quand dans le secteur public les offices nationaux n’étaient pas encore érigés en établissements publics à caractère industriel et commercial ou transformés en sociétés nationales. La réforme du secteur public ne s’est pas aussitôt et partout traduite par la désignation de Présidents de Conseils d’Administration ou de Directeurs Généraux dotés d’une grande expertise en gestion pour transformer et instrumenter radicalement la gestion des nouvelles entreprises publiques.

13Le budget, dans sa mission, est l’expression quantifiée d’affectations prévisionnelles à court terme, un moyen de déclinaison à court terme d’un plan stratégique. En interprétant le modèle AMI (Action sur les acteurs – Modélisation des ressources et les finalités de l’organisation – Interconnexion de la stratégie avec le quotidien) de Bouquin (2000), le budget permet de converger vers les objectifs stratégiques, et c’est là que l’on s’étonne de voir son usage autrement dans le secteur public local où pratiquement un plan stratégique n’est pas conçu (Bampoky et Meyssonnier, 2012). Dans les entreprises publiques sénégalaises, la pratique budgétaire se fonde sur les rapports périodiques d’activités qui attribuent a priori une confiance absolue aux responsables opérationnels et expliquent l’absence d’un contrôle de performance au profit d’un simple suivi budgétaire ou d’un pilotage de la performance stricto sensu. On note que l’une des entreprises étudiées par Bampoky et Meyssonnier (2012), la SN-HLM, se permettait même de procéder à des ajustements budgétaires entre les lignes de dépenses prévues sans se préoccuper au préalable d’une comparaison entre réel et prévisionnel, et de la mise en œuvre de mécanismes d’apprentissage organisationnel permettant d’enclencher de véritables démarches de changement. Le budget ne remplit pas ainsi toutes ses fonctions.

14Les fonctions du budget sont cependant nombreuses et variées. Dans la typologie de Lambert et Sponem (2009), le budget, en référence avec la fonction contrôle de gestion garde-fou, pourrait être appréhendé comme un moyen pouvant permettre de limiter l’opportunisme des acteurs ou les déviances. En effet, dans le suivi budgétaire, le contrôle de gestion suit l’effectivité des dépenses et vérifie la conformité des expressions de besoins de décaissements avec les lignes budgétaires prévues. Cet aspect a pour intérêt majeur d’éviter les détournements, car il n’en serait pas normal que l’on prenne des ressources prévues pour une ligne de dépenses pour les affecter à la ligne budgétaire épuisée sans que cela ne soit une décision du conseil d’administration à la suite d’arbitrages permettant d’adopter des budgets rectificatifs. C’est d’ailleurs ce qui est recherché dans le contrôle de gestion procédural et financier, propre au secteur public sénégalais. Seulement, au Sénégal, le contrôle procédural et financier est uniquement fondé sur le suivi budgétaire (pilotage minimal de la performance) et non sur le contrôle budgétaire (contrôle de performance incorporant des mécanismes d’apprentissage organisationnel ou de recherche causale). Dans les entreprises publiques sénégalaises, les budgets sont élaborés en application des injonctions faites par les Conseils d’Administration (présidés par des agents désignés par l’Etat) et les Ministères de tutelle. Les Directeurs Généraux de ces entreprises sont également désignés par l’Etat. Pour l’exercice à venir des injonctions sont faites aux Directeurs Généraux qui, à leur tour, envoient des notes de service aux responsables opérationnels internes pour leur demander d’exprimer leurs besoins. Les réunions d’arbitrage sont ensuite organisées jusqu’à l’adoption définitive des budgets dont l’exécution est surveillée par les contrôleurs de gestion, ou, dans bien des cas, par les Responsables Administratifs et Financiers. Ce qui est en général recherché, c’est l’équilibre budgétaire et non l’efficience après allocation des ressources. C’est pour cette raison que les entreprises publiques font parfois des réaménagements budgétaires au cours de l’exercice (cas de la SN-ALM par exemple). La mission d’une entreprise publique est d’assurer un service de base minimal aux populations. A cet effet, l’efficience est négligée au profit de l’efficacité.

15Lorsque Faye (2003) aborde la question sous l’angle des jeux de pouvoirs à l’intérieur des systèmes de gouvernance des entreprises publiques sénégalaises, il souligne un aspect contre-performant dans la pratique du contrôle de gestion, à savoir la question de son appropriation par les acteurs. Cela n’est pas propre au contexte sénégalais. En effet, en abordant la question du « New Public Management », Chatelain-Ponroy (2010) indique que les réformes du secteur public se sont concentrées sur le stade d’adoption des outils de contrôle (dimension visible, formelle et instrumentale) en omettant leur appropriation (dimension cachée qui aboutit aux changements de comportements). Plusieurs dysfonctionnements induisant des coûts-performances cachés ont été repérés dans les entreprises publiques sénégalaises (Bampoky, 2013) sans pour autant que les outils appropriés de gestion des comportements (Savall et Zardet, 1987 ; Cappelletti, 2006) ne soient réellement mis en œuvre. La littérature a souligné toute la déception qu’on a eue dans les premières tentatives de solution aux problèmes des entreprises publiques consistant dans la mise en œuvre de la gestion par les résultats qui se traduit uniquement par la quantification comptable et financière dans le secteur public (Biondi et al., 2008). Les questions de socialisation des acteurs aux instruments, d’apprentissage, de motivation et de recherche d’efficience productive, d’efficience d’allocation des ressources ou d’efficience en matière de coûts sont bien des choses qui doivent permettre de dépasser la simple adoption des outils de contrôle dans le secteur public. Au Sénégal, des difficultés sont constatées à ce niveau notamment par le fait que les facteurs de contingence du contrôle de gestion des entreprises publiques (Bampoky et Meyssonnier, 2012 ; Gouadain et Lecointre, 1985) sont : le défaut de qualification des employés et leur nombre pléthorique (l’entreprise est le lieu de réalisation de promesses électorales en matière de chômage), non autonomie de la gestion, mission d’intérêt général ou recherche de la meilleure satisfaction des consommateurs par des prix bas plaçant structurellement les entreprises dans une situation de déficit, absence de plans stratégiques, absence de comptabilité analytique structurée et donc une mauvaise connaissance et maîtrise des conditions internes d’exploitation. Le processus budgétaire, se résumant au simple suivi des dépenses, explique alors son caractère très administratif alors qu’il doit constituer un véritable outil de gestion permettant d’enclencher et d’animer de véritables démarches de changement.

16Les entreprises publiques, pour ne pas fermer pour défaut de compétitivité, bénéficient ainsi de la protection de l’Etat. Dans le cycle d’investissement, elles reçoivent des subventions d’équipement. Pour résorber un déficit du prix d’exploitation, l’Etat octroie des subventions d’exploitation. Et, lorsque le résultat global net est négatif, les subventions d’équilibre sont allouées afin de maintenir constante l’activité et de préserver l’emploi. Cela dénote le fait que le budget est véritablement utilisé à des fins de fonctionnement de l’entreprise et non pour l’amélioration de la performance. En partie, c’est cela qui a entrainé l’hypertrophie du secteur public, et a conduit à partir des années 80 à des politiques de privatisation et au désengagement progressif de l’Etat du secteur public des entreprises.

17A côté du processus budgétaire non « abouti », un autre élément non favorable à la compétitivité des entreprises publiques est l’absence d’actions d’efficience en matière de coûts.

1.2 – Une gestion des coûts peu rigoureuse car concurrence généralement faible

18Si les entreprises publiques sénégalaises, en général, ne mettent pas en œuvre des pratiques de comptabilité analytique, cela résulte de plusieurs situations. D’abord, le caractère non obligatoire des données de comptabilité analytique est un fait. Dans une étude globale sur les entreprises sénégalaises, Baïdari (2005) montre que les systèmes d’information de gestion ne font pas appel aux données comptables non obligatoires (états financiers intermédiaires, budgets, comptabilité analytique, etc.) mais plutôt aux données légales (bilan, compte de résultat) demandées par l’administration fiscale. Ensuite, un autre fait est l’absence de vision stratégique (Gouadain et Lecointre, 1985 ; Bampoky et Meyssonnier, 2012) et la situation quasi-monopolistique dans l’offre des biens et services. Puis, la mainmise de l’Etat sur les entreprises publiques, d’après Samb (2009), n’est pas accompagnée d’un système de régulation des prix permettant leur accessibilité dans le temps par les populations. Au plan interne des entreprises, la nécessité d’un recours à la comptabilité de gestion pour connaître et suivre l’évolution des coûts et des prix n’est pas perçue. Enfin, le dernier fait est relatif au recours par l’Etat, dans bien des cas, à la technique BOT (Build, Operate and Transfer) ou CET (Construction, Exploitation et Transfert) pour réaliser certains investissements publics (Tafotie, 2013 ; Bampoky, 2012). Les prix d’exploitation déterminés par les concessionnaires ne changent pas en général après reprise par l’Etat du contrôle des infrastructures réalisées, et aucun souci ne se fait à l’égard de la mise en place d’un système de connaissance et de contrôle de l’évolution des coûts.

19Mais au niveau des secteurs où l’Etat s’est désengagé partiellement à la suite d’un défaut de compétitivité comme c’est le cas avec les Industries Chimiques du Sénégal dont la gestion est reprise par des étrangers d’origine indienne, une comptabilité analytique jadis embryonnaire s’est renforcée et l’entreprise gère mieux ses coûts. On y trouve une belle illustration de l’usage maîtrisé de la méthode du coût complet par les centres d’analyse, et l’entreprise gère ses coûts en rationalisant les processus d’exploitation (grâce à l’usage d’une meilleure technologie), d’acquisition et de gestion du personnel par rapport à la situation antérieure. La connaissance et la gestion des coûts apparaissent alors comme l’apanage des entreprises privées qui sont en général dans une situation de concurrence. Les entreprises privées comme Tigo et Expresso qui sont entrées en compétition avec la Sonatel et son partenaire stratégique (Orange) ont bâti dès leur conception une gestion axée sur les résultats, donc un contrôle de gestion de type diagnostic intégrant une gestion prévisionnelle et des mécanismes de calcul de coûts par la traditionnelle méthode du coût complet (Bampoky, 2011). Cela est d’autant plus vrai que la fonction contrôle de gestion chez Tigo est exercée par la Direction Financière. D’après Bampoky (2011), cette société octroie, au mérite, aux employés des primes de bonne gestion et des gratifications en les incitant à aller dans le sens de la réalisation des économies de ressources par rapport à leurs dotations budgétaires. La société fait ses recrutements sur la base de la nécessité en envoyant les recrutés en formation à l’étranger pour la maîtrise de la technologie de fonctionnement. Les pratiques manuelles au travail sont quasi-inexistantes.

20Avec une gestion des coûts quasi-inexistante ou peu rigoureuse, les entreprises publiques mettent en œuvre peu d’indicateurs de pilotage des activités et des processus opérationnels.

1.3 – Peu d’indicateurs de pilotage des activités et des processus opérationnels

21Si les entreprises publiques n’utilisent pas en général des tableaux de bord, cela est dû au fait qu’elles bénéficient d’une protection étatique et ne font quasiment pas face, sur une très longue période, à une concurrence. Il y a aussi le fait que les directeurs et les présidents de conseils d’administration sont nommés par l’Etat et ne sont pas en général bien armés en contrôle de gestion (Eboué, 1995). L’un des facteurs de contingence souligné par Bampoky et Meyssonnier (2012), est le profil du dirigeant. Cela a pour conséquence les distorsions dans les prises de décisions (Faye, 2003), le manque de définition précise des objectifs et, par-delà, un système d’information non fiable (Gouadain et Lecointre, 1985). Du fait d’une faible instrumentation et rationalisation de la gestion (Bampoky et Meyssonnier, 2012), le travail manuel (extensif en main d’œuvre) est dominant, et l’une des conséquences est la pléthore du personnel. C’était le cas au départ chez les Industries Chimiques du Sénégal avant l’arrivée des repreneurs indiens, l’Office National des HLM avant sa transformation en Société Nationale des HLM, etc. L’effectivité d’un benchmarking privé avait poussé l’Etat à ériger les Offices Nationaux (établissements publics à caractère industriel et commercial) en Sociétés Nationales pour plus y instaurer les modes de gestion des structures privées. C’est à partir de 1998 (Wade, 2003) que l’Etat a commencé à imposer à ces entreprises un contrôle de gestion minimal, et jusque-là l’élaboration des plans d’orientations stratégiques n’est pas partout effective. Dans le cadre d’un pilotage à vue, d’absence de prévision ou planification et d’absence de concurrence (monopoles naturels protégés), on ne voit pas comment les indicateurs de performance seraient construits. C’est maintenant avec l’ouverture des secteurs occupés par les entreprises publiques au secteur privé qu’on note l’intérêt d’un recours à la gestion prévisionnelle, et le défaut qualification des employés et le profil des dirigeants (des politiques) constituent un goulot d’étranglement.

22Le constat de l’existant en matière de contrôle de gestion est fait. Ce qui est important c’est de voir comment on peut aller vers l’objectif en partant du réel actuel. En prenant appui sur un certain nombre d’expériences réussies (en les généralisant) ou non (en tirant les leçons de l’échec), c’est donc un processus de transformation que nous proposons en matière de pilotage de la performance. Avant tout cela, les raisons d’un faible développement des outils de contrôle méritent d’être synthétisées.

1.4 – Synthèse des raisons d’un faible développement des outils de contrôle

23Les entreprises du secteur public sont l’expression de l’intervention de l’Etat dans la vie économique et sociale. On y note une croissance extensive du personnel en raison de la volonté de l’Etat d’éradiquer le chômage et de tenir les promesses électorales. Le contrôle de gestion y est introduit tardivement en 1998 (Wade, 2003). Ces entreprises constituent pour l’essentiel et pendant très longtemps des monopoles naturels, et donc des « Price makers ». L’absence de concurrence durant une longue période et le profil des dirigeants, mal armés en gestion (Eboué, 1995), ne sont pas favorables au développement des outils de pilotage de la performance. Les outils d’information obligatoires (comptabilité financière, déclarations fiscales, etc.) sont privilégiés pour assurer un reporting aux autorités de tutelle. Il en découle l’usage des instruments de contrôle (budgets) orientés vers la légitimation de l’action de l’organisation auprès des parties prenantes, en l’occurrence l’Etat. La privatisation et l’ouverture de ce secteur public à la concurrence requièrent alors la mise en œuvre d’un contrôle de gestion abouti pour maintenir et accroître les avantages compétitifs.

2 – Propositions d’amélioration des pratiques en adaptant les outils

24Une revue de la littérature mettant en relief les démarches souhaitables visant à améliorer le pilotage de la performance des entreprises publiques permettra de procéder ensuite à l’examen de celles les mieux adaptées au contexte de l’étude.

2.1 – Les mécanismes souhaitables d’amélioration du pilotage de la performance des entreprises publiques

25Il ressort de l’état de l’art que la relance des entreprises publiques passe par plusieurs voies. Il convient d’abord de réfléchir sur les caractéristiques de l’entreprise et sur la stratégie opportune : ce qu’elle vaut réellement dans son environnement actuel, l’évolution prévisible de son activité, de ses produits, de son marché (l’offre et la demande), de son chiffre d’affaires, de son profit, de la concurrence, de l’état de la technologie, de la structure de la propriété du capital et la taille appropriée de l’entreprise dans les 5 à 10 voire 20 ans à venir. Dans cette perspective, un plan d’orientations stratégiques (Domaines d’Actions Stratégiques (DAS) et des Systèmes d’Actions Stratégiques (SAS)) doit être élaboré en synthétisant les articulations d’actions stratégiques permettant, selon le modèle AMI (Bouquin, 2000), de connecter la stratégie avec le quotidien.

26Dans un second temps, il y a lieu de chercher à éradiquer les dysfonctionnements induisant des coûts-performances cachés par la structuration d’une comptabilité de l’invisible et de l’incertain. Il faut également instaurer une comptabilité de gestion pour la maîtrise des conditions d’exploitation (pertinence de la connaissance de certains coûts et de leur gestion, choix d’une politique tarifaire appropriée, mesure et évaluation des performances, préparation et élaboration des budgets, mise en œuvre des mécanismes d’apprentissage, etc.).

27Pour remplir pleinement leur mission, les entreprises publiques doivent ensuite parvenir à des prix bas accessibles aux consommateurs les plus pauvres qui constituent la demande principale de produits de première nécessité. La tendance actuelle est à la mise en place des stratégies BoP (Bottom of the Pyramid) pour être efficient sur le marché des consommateurs les plus démunis (Martinet et Payaud, 2010).

28Enfin, il faut élaborer et mettre en œuvre des plans de renforcement des capacités des ressources humaines et de leur socialisation à l’instrumentation de gestion appropriée.

29Pour pouvoir traiter la question du pourquoi et comment ces mécanismes d’amélioration de la performance doivent être mis en œuvre, les caractéristiques des activités des entreprises publiques méritent au préalable d’être synthétisées. L’organisation de leur production présente ainsi plusieurs caractéristiques.

30Les entreprises du Bâtiment et Travaux Publics (BTP) comme la SN-HLM et la Sicap ne réalisent pas elles-mêmes les travaux, mais elles font du « faire faire » (Bampoky et Meyssonnier, 2012). Après appel d’offres, la sélection se fait en choisissant l’offre la « moins disante » en termes de coûts et par rapport aux perspectives de gains futurs. Elles ont cependant une gestion budgétaire, mais n’élaborent pas de plans d’orientations stratégiques alors qu’elles sont actuellement fortement concurrencées par plus d’une vingtaine de grandes entreprises privées locales et étrangères (comme Consortium Des Entreprises (CDE), Eiffage, Compagnie Sahélienne d’Entreprises (CSE), …) et beaucoup d’entrants potentiels que sont les start-up qui sont en train d’évoluer vers les grands travaux. Le secteur de l’hydraulique est contrôlé par deux grandes sociétés : la Sones (une société de patrimoine à 100 % étatique) et la SDE (une société d’exploitation) contrôlée par Saur France, qui s’occupe de la tarification et du volet commercial (Bampoky, 2011). La société nationale ne dispose pas de calculs de coûts, mais plutôt d’un contrôle de gestion axé sur les budgets. On a là un exemple d’usage de la technique BOT.

31Le secteur public local de la prestation de services, hormis la Sonatel (société de téléphonie qui a instrumenté sa gestion grâce à l’aide de son partenaire stratégique France Télécom) (Bampoky, 2011), ne dispose pas d’une comptabilité analytique classique, la tarification employée avec l’aide d’ingénieurs de conception est de type Ramsey-Boiteux. L’entreprise la plus représentative en raison de sa taille, la Senelec (Société Nationale d’Electricité), met en œuvre, comme la plupart des entreprises publiques, un contrôle de gestion de type procédural et financier (Bampoky, 2012). L’entreprise face à de gros problèmes de renouvellement de ses actifs immobilisés du fait des défaillances constatées sur une assez longue période dans la comptabilité financière notamment une mauvaise gestion des flux d’amortissements techniques.

32Le secteur minier est une rare exception avec les Industries Chimiques du Sénégal (ICS) où l’on note une comptabilité analytique assez structurée avec des centres d’analyse et des calculs de coûts.

33La conséquence d’une absence de calculs des coûts dans la plupart des entreprises publiques est ainsi à l’origine de la rigidité constatée des prix aux consommateurs et de la baisse progressive des marges bénéficiaires avec l’émergence des concurrents privés. La comptabilité analytique combinée à des démarches d’efficience en matière de coûts devrait permettre d’asseoir une bonne politique tarifaire sur un marché pauvre et grandissant, et de faire parvenir ces entreprises à un équilibre budgétaire réduisant l’interventionnisme étatique coûteux.

34Le problème majeur des entreprises publiques des pays en développement est la continuité de l’exploitation dans un environnement où les avantages compétitifs s’amenuisent du fait de plus en plus d’entrants dans les domaines d’activités. Ces entreprises doivent s’engager dans une baisse substantielle de coûts pour espérer accroître leurs avantages compétitifs par des tactiques de prix bas accessibles aux consommateurs pauvres plus nombreux. Au Sénégal en particulier, elles ont cependant toutes dépassé leurs phases de conception des produits et sont au cœur de leurs cycles d’exploitation.

35Sur le cycle de vie, les méthodes d’action sur les coûts (charges directes et charges indirectes) possibles pour les entreprises productives sont : le kaïzen costing (baisse de charges de production directes et indirectes), le target costing (se focaliser sur le produit en combinant l’analyse de la valeur en phase de conception et le kaïzen costing en phase de production) ou dans une certaine mesure le benchmarking en termes de coûts si l’on n’envisage pas d’agir sur la structure globale de l’entreprise par le reengineering (Meyssonnier, 2008). L’analyse de la valeur est, d’après cet auteur, relative à la baisse de charges directes de conception du produit en ne satisfaisant que les fonctions principales. Il y a lieu de préciser que le target costing est plus pertinent lorsque l’on envisage d’agir sur les produits pour la recherche de l’efficience en matière de coûts. Pour les entreprises qui font du « faire faire », les centres de frais discrétionnaires sont prédominants dans l’organisation de leur exploitation, par conséquent il peut être envisagé l’usage de la technique du Budget Base Zéro (BBZ) pour la recherche de l’efficience en matière de coût. D’après Conway (1986), le BBZ est un renouvellement des procédures de confection budgétaire par la justification des charges à venir, la correspondance des moyens aux actions, la focalisation de la réflexion sur de nouvelles alternatives dans le processus d’exploitation de l’entreprise, l’amélioration de la qualité de l’information circulant au sein de l’entreprise, la stimulation des comportements adaptatifs nécessaires à la survie dans un contexte concurrentiel et incertain.

36Si bon nombre d’entreprises publiques ne sont pas compétitives en raison des prix élevés et inflexibles à cause de la perte de contrôle des coûts, ce n’est pas le cas dans bien d’autres qui sont restées longtemps dans une situation déficitaire due à la forme de tarification associée à leurs offres de produits. D’après Boyer et al. (2003), la recherche du bien-être social conduit les entreprises publiques à vendre les biens et services soit à leur coût marginal social, soit à leur coût moyen. La volonté de résorber le déficit budgétaire qui en découle est, d’après ces auteurs, à l’origine de la tarification Ramsey-Boiteux qui permet d’opérer sur le prix la majoration nécessaire tout en générant le moins de distorsions possibles par rapport aux consommations de premier rang obtenues avec la tarification au coût marginal. En contrôle de gestion, le modèle Coût-Volume-Profit peut se substituer à cette façon de faire (longtemps employée dans le secteur public) pour opérer des pratiques de prix discriminatoires sur les différents marchés. Burlaud et al. (2012) rappellent que ce modèle permet de mener une politique de prix sur plusieurs segments du marché ou une politique du produit dans une structure commune aux produits. Tout cela suppose que l’entreprise ait le contrôle de la production.

37Toutefois d’autres formes de tarifications peuvent être issues d’une situation de concession relative à l’usage de la technique BOT. En effet, dans la réalisation de certains ouvrages d’infrastructures, le concédant (l’Etat) peut passer avec un concessionnaire soit un contrat cost plus, soit un contrat price cap. D’après David (1999), le cost plus ou réglementation par le taux de rendement est la fixation par le régulateur des tarifs du monopole sur la base de ses coûts auxquels il ajoute un taux de rendement juste et raisonnable pour les actionnaires ; tandis que pour le price cap ou plafond de prix, le régulateur fixe un plafond en deçà duquel la firme est libre de fixer ses prix. Pour Long (2012), le recours à ces formes de tarification des services publics est un moyen de réduire le poids budgétaire par l’externalisation de certains coûts. Le revers de la médaille est qu’après la reprise de l’ouvrage par le concédant, l’internalisation des coûts et leurs non maîtrise laisse les prix inflexibles dans le temps.

38Pour pallier la situation d’inefficience liée à la pléthore du personnel dans les entreprises publiques, les méthodes permettant l’analyse de l’effet de la variation d’activité sur le résultat, en l’occurrence la méthode de l’imputation rationnelle des charges fixes et l’estimation des activités normale et réelle, peuvent être implémentées. C’est l’occasion de souligner que les méthodes de comptabilité de gestion ne sont pas exclusives, elles peuvent au besoin se combiner parfaitement. En effet, les possibilités d’embauche s’offrent lorsqu’on est en situation de bonus de suractivité. Ce bonus représente l’enveloppe financière à hauteur de laquelle on peut recruter du personnel pour s’ajuster à l’activité jugée normale. En cas de malus de sous-activité, on a des raisons soit d’implémenter des actions d’efficience en matière de coûts, soit de rechercher l’efficience productive. La méthode de l’imputation rationnelle va cependant être d’application difficile dans les principaux sous-secteurs publics sénégalais, notamment ceux de la prestation de services où se cristallisent la quasi-totalité des difficultés de performance comme préalablement indiqué en littérature. En effet, compte tenu des caractéristiques des services à savoir leur immatérialité, leur hétérogénéité et la simultanéité de leur production et leur consommation (Meyssonnier, 2012), les méthodes de calcul des coûts suivant une approche fonctionnelle de l’organisation (la traditionnelle méthode du coût complet par exemple) s’avèrent inappropriées. Par contre, une approche transversale portant sur une analyse horizontale des activités qui concourent à la satisfaction du client peut être retenue dans le processus de tarification du service et de recherche de l’efficience en matière de coûts. L’approche ABC/ABM (Activity Based Costing/Activity Based Management) se révèle dans cette perspective pertinente. Dans la mesure où l’instrumentation de la gestion requiert que les caractéristiques techniques des outils soient connues et maîtrisées, il peut être envisagé l’effectivité d’un benchmarking privé avec les acteurs actuels.

39A la lumière de toutes ces démarches, il convient maintenant de voir les alternatives profitables aux entreprises publiques sénégalaises et en quoi elles doivent consister.

2.2 – Faire du budget un levier de mise sous tension de l’entreprise

40Pour la gestion et la réduction des coûts discrétionnaires, la technique du BBZ se révèle mieux adaptée pour deux principes : l’introduction de nouvelles alternatives et l’amélioration de la qualité de l’information circulant au sein de l’entreprise. En effet, les frais discrétionnaires dans la plupart des entreprises sénégalaises présentées en littérature dans ce contexte (Sonatel, Senelec, SDE, SN-HLM, Sicap) sont de deux types :

  • Le coût des consommables informatiques, bureautiques et certaines charges d’exploitation connexes (papier pour l’établissement des factures aux millions de consommateurs, l’impression de ces factures, frais de poste, de transport ou de livraison des factures, rémunération des facteurs, etc.). Une solution alternative nouvelle peut consister à introduire la plate-forme numérique de communication pour éliminer progressivement la facturation physique. En guise d’illustration, on peut prendre comme exemple le cas de la Sonatel. Cette entreprise a créé, par son partenaire stratégique « Orange », une sorte de « boutique en ligne » à savoir « Orange Money » auprès de laquelle les consommateurs peuvent ouvrir des comptes, faire des dépôts d’argent et effectuer des paiements de factures d’eau (pour le compte de la SDE), d’électricité (pour le compte de la Senelec) et de téléphone (pour le compte de la Sonatel elle-même). Les bordereaux de paiement sont à cet effet éliminés et les files d’attentes devant les guichets de ces entreprises publiques amoindris. A terme, les paiements devant les guichets pourraient s’arrêter. Ces entreprises n’ont cependant pas réussi à dépasser la facturation physique des consommations de services, et pourtant cela présente d’énormes enjeux en termes d’efficience en matière de coûts.
  • Le coût associé à un emploi extensif du personnel. L’investissement dans la formation de cadres polyvalents pour certains domaines peut permettre d’intensifier le personnel en le rendant plus qualifié. La connaissance et la maîtrise des activités est très importante afin de pouvoir les mutualiser. L’introduction dans certains cas (surtout chez les prestataires de services) d’une comptabilité à base d’activités permettrait de faire des arbitrages dans le but de trouver de nouvelles alternatives d’activités plus rentables tout en aidant dans le processus de tarification. Le coût d’un service vendu va être comme en théorie la somme des activités qui lui sont réellement nécessaires.

41L’usage du budget apparaît ainsi comme un instrument au service de la transformation des entreprises publiques. Mais elle ne constitue guère un outil exclusif. Il existe bien d’autres démarches qui peuvent être implémentées, en l’occurrence le développement des tableaux de bord tournés vers la valeur pour les clients, et les actions d’efficience en matière de coûts.

2.3 – Développer les tableaux de bord tournés vers les clients

42Même si certaines entreprises ont des budgets, la majorité ne perçoit pas encore l’intérêt d’un recours aux tableaux de bord pour piloter la performance, et ceci pour des raisons déjà avancées dans la présentation des résultats de l’étude bibliographique et documentaire. Si la plupart des entreprises publiques voient leurs avantages compétitifs en train de décliner du fait du désengagement de l’Etat et l’entrée des privés dans les différents sous-secteurs, c’est parce qu’elles n’ont pas de veille concurrentielle, ni de stratégie. L’usage de tableaux de bord tournés vers les clients peut permettre d’interconnecter la stratégie et le quotidien, en veillant à la création de la valeur pour le client pour accroître les avantages compétitifs. Ces tableaux de bord devraient permettre de surveiller des activités (évolution des parts de marché, évolution des marges, variation des besoins des consommateurs, apparition des risques d’exploitation) et s’ajuster au fur et mesure par rapport aux changements qui interviennent dans l’environnement.

2.4 – Développer d’autres démarches d’efficience en matière de coûts

43Les entreprises publiques innovantes comme celles de téléphonie (Orange-Sn, Sonatel Multimédias) qui explorent en permanence de nouveaux créneaux pour maintenir ou accroître leurs avantages compétitifs pourraient, en plus de faire de l’analyse de la valeur dans les phases de conception pour la baisse de charges directes, faire du kaïzen costing dans la phase de production et ceci sur le cycle de vie. Le target costing y est alors envisageable. Ces entreprises, rappelons-le, sont très concurrencées par l’arrivée des entreprises privées comme Tigo et Expresso, et la compétitivité de la Sonatel, par exemple, connaît une certaine baisse (Bampoky, 2011). Il faut un contrôle de gestion tout à fait apprenant et capable d’alterner les actions d’efficience en termes de coûts. Aussi, la littérature sur le contrôle de gestion ayant révélé que l’outillage des entreprises privées est meilleur, on peut faire un benchmarking du privé avec une approche contingente progressive pour mobiliser les acteurs en travaillant sur les outils. En ce qui concerne le benchmarking privé, le cas du Groupe Kirène, une entreprise privée sénégalaise, est un bel exemple à suivre. Dans la recherche de l’efficience économique et grâce à la connaissance et la maîtrise des coûts, l’entreprise commercialise trois types de bouteilles d’eau : la bouteille de 10 litres vendue à 1 000 F CFA et destinée aux grands consommateurs très nombreux (la marge bénéficiaire est faible, mais l’entreprise gagne sur un nombre très grand de quantités vendues), la bouteille de 1,5 litre à 400 F CFA (la marge est grande et la cible commerciale est les restaurants, les hôtels, les consommateurs individuels ne s’intéressant pas au stockage, etc.) et la bouteille de 0,5 litre à 250 F CFA (servie en général au cours des conférences, colloques, etc.).

44La question d’éradication des dysfonctionnements révélateurs de coûts cachés évoquée en littérature ne peut pas être occultée, dans la mesure où partout la performance sociale se situe à la base de la performance économique. La politique sociale doit s’insérer dans le modèle global de contrôle de gestion qui doit fonctionner avec les méthodes et outils adaptés à chaque forme d’entreprise selon les facteurs de contingence de son exploitation. Nous reprenons les grands axes d’un modèle de contrôle de gestion socio-économique ou créatif (pour certains auteurs) tels que schématisés par Bampoky (2012), pour préciser l’habillage instrumental qu’on peut y opérer dans le contexte de pilotage de la performance des entreprises publiques. Nous associons à ce modèle un troisième axe « VISION STRATEGIQUE DE L’ENTREPRISE ». Les axes de ce modèle ont été ainsi synthétisés de la façon ci-après. Les deux anciens axes proposés pourraient avoir une autre connotation que celle qui leur a été donnée. Mais par axe « RESSOURCES », nous désignons les moyens matériels et financiers. Selon le Modèle AMI de Bouquin, il s’agit de la modélisation des ressources matérielles et financières avec les finalités de l’entreprise. Dans l’axe « HOMMES », nous voyons l’action, selon le modèle AMI toujours, sur les acteurs qui implique le management des comportements. Mêmes si les résultats financiers sont l’objectif de toute entreprise, la performance sociale est à la base de la performance financière, et la mise sous tension de l’organisation se fait par la socialisation des acteurs internes aux outils et démarches de changement.

45Dans l’axe matériel et financier (axe « RESSOURCES »), pour tendre vers les résultats attendus, le pilotage de la performance financière doit se faire, selon les cas de figure décrits plus haut, à l’aide du BBZ, des tableaux de bord tournés vers les clients, du management des activités (ABM), du benchmarking privé, du direct costing (recherche d’une politique tarifaire optimale ou pratique de prix discriminatoires) ou du target costing. A cet axe « RESSOURCES », on peut associer les outils de contrôle de performance de nature quantitative (calculs de coûts et de résultats, contrôle budgétaire, comparaisons dans le cadre de la méthode des coûts préétablis, rapports d’activités, etc.). Les conditions de travail doivent à cet égard être revues et adaptées.

46Si un plan d’orientations stratégiques est conçu, au niveau de l’axe « HOMMES » de la figure 1, les comportements attendus sont la traduction des objectifs stratégiques en objectifs et tâches individuels, le tout consigné sur des fiches de poste. Cela se fait dans une interaction contrôle de gestion – gestion des ressources humaines. Les tâches individuelles doivent être pilotées et contrôlées. Les dysfonctionnements potentiels doivent être anticipés et évités. Le contrôle de gestion créatif, dans les entreprises sénégalaises, devrait être de type omnipotent selon la typologie de Lambert et Sponem (2009) et non simplement procédural et financier. L’implémentation des démarches d’efficience implique un changement de comportements humains dans les entreprises, l’adhésion de tous à la logique du processus. La socialisation des acteurs aux méthodes et outils d’amélioration des performances en est ainsi un impératif indiscutable. Pour socialiser, les caractéristiques techniques des méthodes et des outils doivent être connues et maîtrisées des acteurs internes. La définition des objectifs individuels des employés doit alors intégrer les attentes de l’entreprise par rapport aux démarches d’efficience envisagées. La motivation y demeure l’élément central permettant le développement des mécanismes de mobilisation de l’action managériale. Au cours du processus de pilotage de la performance ou du déroulement temporel du travail, le contrôle de gestion peut alors initier des plans de formation des employés ou mettre en œuvre des mécanismes d’apprentissage organisationnel génératif.

Figure 1

Adaptation du contrôle de gestion créatif

Figure 1

Adaptation du contrôle de gestion créatif

Conclusion

47Au Sénégal, la pratique et l’instrumentation du contrôle de gestion et les facteurs auxquels il est contingent ont largement fait l’objet d’études exploratoires. Les différences d’outillage de la gestion interne des entreprises sénégalaises ainsi que leurs principaux facteurs de contreperformance ont été également étudiés, et les principales pistes d’amélioration de la performance indiquées. Là où il faut maintenant mettre la lumière, c’est dans les choix managériaux ou stratégiques à opérer pour pallier les difficultés constatées dans les différents secteurs qui constituent l’économie sénégalaise. C’est ce vide que cette recherche tente de combler en essayant de proposer des thérapeutiques adaptées à la situation des entreprises publiques sénégalaises. Le mal est donc diagnostiqué et les remèdes appropriés sont, au plan du contrôle de gestion, désormais disponibles pour les entreprises du secteur public en difficultés. Le travail qui reste à faire est le test et l’administration des différents remèdes. Cette dernière tâche doit conduire sur le terrain pour la mise en œuvre effective des démarches appropriées.

48La mission d’un contrôle de gestion créatif doit consister à doter d’abord les entreprises publiques sénégalaises d’un plan d’orientations stratégiques avant d’entamer la construction d’un système de pilotage apte à conduire les différents changements requis. Les vertus de ce contrôle résident dans son interactivité et son caractère apprenant. Si en général on a recours aux administrateurs civils pour exercer cette fonction dans les entreprises publiques, le contrôle de gestion doit constituer l’une des disciplines fondamentales enseignées dans les écoles d’administration publique.


Annexe 1

Guide d’entretien

Avez-vous des budgets ? Pourquoi et comment sont-ils élaborés ?
Avez-vous des calculs de coûts ? Quelles méthodes alternez-vous ?
Avez-vous un plan d’orientations stratégiques ?
Quels sont les principaux types de charges auxquels vous faites face dans votre gestion ?
Pouvez-vous nous décrire la politique tarifaire que vous appliquez sur le marché face à vos concurrents ?
Développez-vous des tableaux de bord ? De quelle nature ?
La réduction des coûts vous préoccupe-t-elle dans votre entreprise ? Comment et avec quelles méthodes vous vous y prenez ?
Pensez-vous que vos processus de travail sont plus utilisateurs de main-d’œuvre que dans les entreprises concurrentes du secteur privé ?

Guide d’entretien

Annexe 2

Tableau de synthèse des entreprises etudiées

ENTREPRISESSTATUT JURIDIQUEDOMAINE D’ACTIVITÉ
Société Nationale des Télécommunications (SONATEL)Entreprise publique sénégalaiseTéléphonie
Société Nationale des Habitations à Loyer Modéré (SN-HLM)Entreprise publique sénégalaiseHabitat
TigoEntreprise privée sénégalaiseTéléphonie
ExpressoEntreprise privée étrangèreTéléphonie
Société Sénégalaise d’Electricité (SENELEC)Entreprise publique sénégalaiseEnergie électrique
Sénégalaise Des Eaux (SDE)Entreprise privée étrangèreHydraulique
Groupe KirèneEntreprise privée sénégalaiseHydraulique
Industries Chimiques du Sénégal (ICS)Entreprise privée étrangèreMines

Tableau de synthèse des entreprises etudiées

Bibliographie

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : budgets, contrôle créatif, performance, entreprises sénégalaises, entreprises publiques

Date de mise en ligne : 11/12/2018.

https://doi.org/10.3917/qdm.183.0023

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