Introduction
1Les modalités d’association des managers à la gouvernance des entreprises fait débat. La diversité de ces modalités est inhérente notamment, aux spécificités des différentes approches du champ de la gouvernance. Dans le cadre d’une gouvernance financière classique, le rôle du dirigeant est reconnu tant que celui-ci aligne ses intérêts sur ceux des actionnaires. En échange de la création de valeur pour le principal (actionnaire), l’agent (dirigeant) bénéficie d’une partie de cette valeur sous forme d’incitatifs, au sens de la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976). Ainsi, le but de cette approche de gouvernance est le renforcement de la discipline imposée aux managers afin de réduire leur espace discrétionnaire.
2En réaction à cette approche disciplinaire, certains chercheurs comme Charreaux (2008, 2011) et Wirtz (2006) ont mis en évidence le rôle incontournable des managers dans le processus de création de valeur. Cette valeur est notamment le résultat de la mobilisation par les managers d’un ensemble de capacités cognitives et de savoir-faire nécessaires au développement des apprentissages et de l’innovation. Cette hypothèse constitue le postulat de l’approche cognitive de la gouvernance qui met l’accent sur le processus productif et les leviers cognitifs créateurs de la valeur (Charreaux, 2011). Le champ de création de valeur se trouve élargit à d’autres parties prenantes et la gouvernance a pour objet l’optimisation de la création de la valeur de la firme via l’engagement des multiples porteurs de ressources critiques (Meier et Missonier, 2011).
3Dans cet article, l’engagement des managers intermédiaires (MI) est entendu comme une ressource critique dans la mesure où les MI détiennent une part importante du capital humain reconnu depuis plusieurs décennies comme une source de valeur pour les entreprises. De nombreux chercheurs en sciences de gestion ont souligné le rôle de l’engagement des MI dans l’atteinte d’une meilleure performance des entreprises. Ces travaux sont observables dans différents champs comme la stratégie (Nonaka et Takeushi 1997), la gestion des ressources humaines (Dietrich, 2009 ; Ekaterini, 2011) ou la gestion de la qualité par exemple (Harrigton et Williams, 2004). Les problématiques liées à l’engagement attendu des managers questionnent en retour la nature de la gouvernance (Besson et Mahieu, 2007) et mettent en évidence de nouveaux enjeux RH pour une gouvernance soucieuse de performance tout autant que de discipline.
4Dans le cadre de cette recherche, nous menons une nouvelle réflexion sur les modalités de gouvernance d’entreprise régissant la relation entre actionnaires, dirigeants et managers, avec un accent particulier sur le management intermédiaire. Le contexte de crise actuel a notamment révélé les limites de la logique disciplinaire à garantir une relation sereine entre les trois parties. En effet, des difficultés de légitimité et de fiabilité des instances de régulation et de décision au sein des organisations se ressentent chez l’ensemble des salariés, cadres et non cadres (Benhamou, 2010). Pour répondre à la problématique d’intégration des managers à la gouvernance des entreprises, nous pensons que l’instauration par la gouvernance d’un ensemble de pratiques managériales dites mobilisatrices (Appelbaum et al., 2000 ; Foss et al., 2011 ; Huselid, 1995) peut favoriser l’engagement des MI dans le processus de création de valeur. Cette hypothèse s’inscrit dans une nouvelle vision de la gouvernance qui s’éloigne de la simple logique contractuelle, qui vise à discipliner les comportements, vers un nouveau mode de régulation qui consiste à encourager les porteurs des ressources critiques, notamment les MI, à converger vers les objectifs stratégiques et organisationnels (Rajan et Zingales, 2000).
5Cet article, qui a pour objectif de contribuer à la littérature sur la gouvernance en étudiant les voies susceptibles de favoriser l’engagement des MI dans une gouvernance cognitive des organisations, est structuré de la façon suivante. Dans une première partie, nous développons notre cadre conceptuel. Puis nous soumettons ce cadre aux données de l’enquête REPONSE. Enfin, les résultats sont discutés.
1 – MI et gouvernance : une question d’engagement
6L’engagement des MI peut être perçu de différentes façons. Ces perceptions de l’engagement ne confèrent pas le même rôle aux MI et ne sont pas toutes compatibles avec l’approche disciplinaire classique de la gouvernance.
1.1 – Définition du concept d’engagement
7La notion d’engagement induit que tous les salariés sont indispensables à la réalisation des objectifs de l’organisation, et relève de ce fait d’une démarche stratégique (Guest, 1991). Cet engagement reposant sur une adhésion aux buts et valeurs de l’entreprise s’avère même cruciale dans les périodes de changements profonds (Thévenet, 1992). Plusieurs définitions du concept d’engagement ou d’implication sont recensées dans la littérature. Celles-ci renvoient essentiellement à l’identification de l’individu à l’organisation, qui réduit son intention de la quitter (Meyer et Allen, 1991). Par ailleurs, les deux termes d’engagement et d’implication sont interchangeables dans la littérature et de ce fait sont synonymes. L’analyse de la littérature sur le sujet, à dominante anglo-saxonne, révèle un grand nombre d’expressions ; « commitment management » (Lawler, 1986), « organizational commitment » (Mowday, Steers et Porter, 1979), « employee involvment » (Cotton, 1993). Ces expressions sont traduites par « engagement organisationnel » (Morin et al., 2007) et « implication organisationnelle » (Belghiti-Mahut et Briole, 2004).
8Les premiers travaux de Mowday, Steers et Porter (1979) sur le concept d’engagement, entendu comme l’adhésion aux buts et aux valeurs de l’organisation, le désir de rester dans l’organisation et la volonté de fournir des efforts importants pour l’organisation, sont prolongés par Meyer et Allen (1991). Meyer et Allen (1991) identifient trois dimensions d’engagement : l’engagement affectif, l’engagement calculé et l’engagement normatif. L’engagement affectif correspond à la volonté d’adhésion de l’individu aux buts et aux valeurs de l’organisation. L’engagement calculé se ramène à la perception, par l’individu, des « coûts » associés au départ de l’organisation. L’engagement normatif correspond au sentiment de devoir à l’égard de l’organisation.
9Toutefois, cette tridimensionnalité a été critiquée, par les auteurs eux-mêmes à l’origine de cette modélisation (Charles-Pauvres et al., 2012). Meyer et al. (2002) ont notamment abouti à une corrélation évidente des deux dimensions affective et normative au terme d’une méta-analyse. Leur définition de l’engagement en trois dimensions a été réduite à deux composantes : affective et calculée. Ce qui conduit bien d’autres auteurs comme Cohen (2007), Solinger et al (2008) et Klein et al. (2012) à proposer une nouvelle définition de l’engagement dans sa seule dimension affective (Biétry, 2012). Selon Biétry (2012), le véritable engagement organisationnel, qui traduit une identification à la cible organisationnelle par le biais d’un dévouement volontaire et responsable, serait l’engagement affectif. Alors que l’engagement dit calculé ne serait, suivant les arguments de Klein et al. (2012) et Solinger et al. (2008), qu’une manifestation d’un comportement visant le détachement par rapport à l’organisation. Suivant les développements récents autour du concept d’engagement, nous considérons dans ce papier que l’engagement des MI se traduirait par :
10L’identification aux buts et aux valeurs de l’organisation (adhésion)
1.2 – Engagement des MI : vers une gouvernance cognitive
11Les managers intermédiaires (MI) ont connu des fortunes diverses au cours des dernières décennies en étant parfois considérés comme des obstacles au changement (Baloff et Doherty, 1989), aux démarches de qualité totale (Brennan, 1991) ou à l’implication des employés (Fenton-O’Creevy, 1998). Ces réserves à leur égard se sont traduites dans l’évolution des économies modernes par une pression accrue (Harington et Williams, 2004) notamment dans le cadre de la réingénierie des processus métiers (Carlstrom, 2012 ; Huy, 2001) ou celui de l’empowerment des opérateurs (Kanter, 1982). L’organisation moderne s’est évertuée à limiter la marge discrétionnaire, la latitude d’action des MI dans une démarche disciplinaire visant à assécher cette couche intermédiaire de management. Cette vision est portée notamment par l’approche financière de la gouvernance. Pour les défenseurs de cette approche, la latitude managériale est néfaste au développement de l’intérêt des actionnaires : « Le dirigeant est supposé choisir les investissements favorables à ses propres intérêts et les mécanismes de gouvernance ont pour rôle de le contraindre à faire un choix conforme à l’intérêt des actionnaires. La latitude n’est vue que sous sa dimension défavorable et avec comme référence l’intérêt des actionnaires » (Charreaux, 2008, p.15). Cette approche de la gouvernance vise ainsi à brider l’influence des managers, notamment (1) en renforçant la discipline (2) en réduisant l’influence des managers sur la performance (Charreaux, 2008).
12Cette approche peu favorable aux managers est contrebalancée depuis quelques années par les porteurs de l’approche cognitive de la gouvernance, qui militent pour une reconsidération du rôle des managers à travers la recherche de leur engagement. Les travaux de Charreaux (2008, 2011) et de Wirtz (2006) sur l’approche cognitive de la gouvernance, ont mis en évidence le rôle incontournable des managers dans le processus de création de valeur. L’accent est mis sur le processus productif et les leviers cognitifs qui permettent de créer de la valeur. Cette valeur est notamment le résultat de la mobilisation par les managers d’un ensemble de capacités cognitives et de savoir-faire nécessaires au développement des apprentissages et de l’innovation (Charreaux 2011). Ces dimensions cognitives sont susceptibles d’engendrer des conflits cognitifs avec d’autres parties prenantes (Guery et Stevenot, 2006 ; Bertin et Godowski, 2012). Pour ces auteurs, il s’agit moins, dans le cadre d’une gouvernance cognitive, d’éviter les conflits cognitifs, que de favoriser les voies d’échanges permettant de composer entre les différentes ressources cognitives.
13La recherche de l’engagement des managers intermédiaires dans le cadre de la gouvernance cognitive, est motivée par au moins deux raisons relevées dans la littérature. Premièrement, les MI ne sont plus seulement vus comme des vecteurs de transmission des impulsions hiérarchiques du sommet vers la base, mais comme des contributeurs à la formulation de la stratégie (Carlstrom, 2012). Selon Besson et Mahieu (2007), Floyd et Wooldridge (1997) et Huy (2001), les MI sont appelés à jouer un rôle nouveau dans la conception et le déploiement de la stratégie. Les MI contribuent à la stratégie, que ce soit en percevant les signaux faibles, en initiant et en formulant une ambition stratégique à leur niveau ou en faisant partager la stratégie dans le cadre d’un dialogue stratégique. Les MI se voient désormais qualifiés de « stratèges ordinaires » (Besson et Mahieu, 2007, p.9) assumant certaines des tâches du dirigeant.
14Deuxièmement, il s’agit de considérer les managers intermédiaires comme des contributeurs majeurs à la régulation des organisations. Au-delà d’un engagement simplement disciplinaire, les MI ont une capacité à évoluer dans les ambiguïtés de la pratique managériale et une faculté à composer avec différentes contradictions et différentes parties prenantes (Desmarais et al., 2010). Le développement de l’influence des MI sur la performance, par la reconnaissance de leur potentiel cognitif et comportemental, peut finalement apporter de la valeur aux actionnaires.
15Ces débordements des principes classiques de la gouvernance soulignent les limites du principe de renforcement de la discipline imposée aux managers et mettent en évidence le potentiel cognitif des MI qui disposent de connaissances critiques pour l’élaboration de la stratégie et le développement de la performance des entreprises (Codo et Soparnot, 2012 ; Gardner et al., 2011 ; Meier et Missonier, 2011 ; Thévenet, 2002 ; Tsui et al., 1997).
1.3 – Les leviers d’engagement des MI selon l’approche cognitive de la gouvernance
16L’engagement des MI est créateur de valeur en raison de l’identification des managers à l’organisation et ses objectifs. Des études ont d’ailleurs montré que des managers véritablement engagés sont responsabilisés et dévoués à leurs missions dans l’entreprise et se mettent au service des autres (Shore et Wayne, 1993). Cet engagement produit de faibles taux d’absentéisme et de turnover (Meyer et al., 2002).
17Puisque l’engagement des MI constitue une source de création de valeur et de performance, il pourrait être profitable d’étendre les logiques classiques du contrôle pour s’interroger sérieusement sur les mécanismes de gouvernement qui permettent de développer et de valoriser le capital humain (Rajan et Zingales, 2000). Par conséquent, comme Rajan et Zingales (2000), la gouvernance, telle qu’elle est entendue dans ce papier, s’éloigne de la simple logique contractuelle, qui vise à discipliner les comportements, vers un nouveau mode de régulation qui consiste à encourager les porteurs des ressources critiques, notamment les MI, à converger vers les objectifs stratégiques et organisationnels. Plusieurs auteurs pensent que certaines pratiques organisationnelles innovantes dites mobilisatrices seraient des leviers de création de valeur via l’engagement managérial (Foss et al., 2011 ; Lawler, 1986). Les pratiques mobilisatrices, associées dans ce papier à des mécanismes de gouvernance, remplacent progressivement les pratiques du modèle taylorien et transfèrent le pouvoir au capital humain. Si ces pratiques de gestion du capital humain ne représentent pas le champ classique des mécanismes de gouvernance, elles méritent toutefois d’en faire partie en raison notamment de leurs capacités à créer et préserver la valeur pour l’entreprise (Pollin, 2004).
18Dans cette perspective, des auteurs comme Appelbaum et al. (2000), Foss et al. (2011) et Huselid (1995) pensent que les pratiques mobilisatrices cherchent à faire du capital humain une source d’avantage compétitif en agissant sur la volonté d’agir (l’engagement), le pouvoir d’agir (les compétences requises), et l’opportunité d’agir (les possibilités d’exercer les compétences) des salariés. Selon Appelbaum et al. (2000), une organisation qui met en place des pratiques mobilisatrices améliore la connaissance de son plan d’affaires par les salariés, qui mobilisent les compétences nécessaires à sa réussite.
19Plusieurs auteurs ont proposé ces dernières années une liste de pratiques mobilisatrices susceptibles d’agir sur l’engagement (ex. Gardner et al., 2011 ; Huselid, 1995 ; Messersmith et al., 2011). Toutefois, dans la méta-analyse de Combs et al. (2006), nous pouvons relever qu’en plus des pratiques basées sur les incitatifs, la participation à la prise de décisions et le partage de l’information sont les plus mobilisées par la littérature pour stimuler l’engagement. Ces pratiques mobilisatrices, qui créeraient un climat de partenariat entre les acteurs de l’entreprise, seraient favorables à l’atteinte des objectifs organisationnels. Ceci peut se traduire par le rapprochement des intérêts de l’entreprise et de ses salariés et le développement d’une culture organisationnelle basée sur la confiance (Lawler, 1986 ; Tsui et al., 1997). Les pratiques mobilisatrices aideraient à bâtir un contrat psychologique en signalant l’engagement d’une relation à long terme entre l’employeur et le salarié (Tsui et al., 1997). Conformément à cette littérature, il nous paraît légitime de nous poser la question de l’effet des pratiques mobilisatrices sur l’engagement des managers intermédiaires.
20Les managers ont tendance à accorder une grande importance aux possibilités d’expression, aux défis, aux responsabilités, au développement des compétences, à la reconnaissance et à la réalisation de soi (Meyer et Allen, 1991). Pour satisfaire ces besoins et maintenir une relation de travail à long terme, les entreprises cherchent à stimuler l’engagement par les mécanismes de valorisation individuelle (incitatifs) et de reconnaissance collective (coordination) (Gardner et al., 2011). D’une part, l’utilisation des incitations permet de satisfaire la mobilisation des compétences, qui entraînerait un engagement accru. De telles pratiques, comme les systèmes de participation et d’intéressement par exemple, peuvent créer un sentiment de groupe et d’appartenance à l’organisation qui renforce la motivation intrinsèque à agir (Tyler, 1999). Les managers les percevraient comme un signal d’une évaluation positive et de reconnaissance de leurs efforts par l’entreprise (Appelbaum et al., 2000 ; Meyer et Allen, 1991). Pour l’entreprise, la mise en place de ce type de systèmes collectifs de reconnaissance permettrait de réguler les coûts de supervision et de contrôle. Ce partage de la valeur créée peut être perçu par les managers comme un élément d’équité et de justice (Meyer et Smith, 2000).
21D’autre part, les organisations qui favorisent l’intégration des employés dans les processus de prise de décisions et encouragent le partage de l’information obtiennent une perception partagée de ses valeurs par les managers qui augmentent leur identification à l’entreprise. Cela permet d’améliorer les sentiments d’appartenance, d’autonomie et d’engagement (Arthur, 1994 ; Meyer et Herscovitch, 2001). D’autant plus, le partage du pouvoir et de l’information aide à renforcer le travail d’équipe, qui favorise la cohésion sociale entre les acteurs de l’entreprise et donc l’engagement vis-à-vis de l’organisation (Messersmith et al., 2011). Cette récompense intrinsèque trouverait principalement sa source dans un sentiment de responsabilité plus élevé, une meilleure utilisation des compétences et des connaissances et dans une meilleure compréhension de l’ensemble des opérations de l’organisation. Ainsi, les MI seraient motivés à prendre des initiatives et à faire des efforts pour accomplir les objectifs de l’organisation. La participation et l’explication des décisions ainsi que le partage d’information permettraient d’accroître le sentiment de respect, de considération et de confiance mutuelle au sein de l’organisation (Messersmith et al., 2011). Le climat de confiance et de respect mutuel favoriseraient indéniablement l’engagement.
22En définitive, les pratiques mobilisatrices, vues comme des mécanismes d’incitation (intéressement et participation) et de coordination (partage de l’information, participation à la prise de décisions), seraient en mesure de supporter le modèle de gouvernance cognitive et de favoriser l’engagement managérial. Ainsi, nos hypothèses de recherche sont les suivantes :
23Hypothèse 1 : les incitations (intéressement et participation) exercent un effet positif sur l’engagement des MI.
24Hypothèse 2 : le partage de l’information et la participation à la prise de décisions exercent un effet positif sur l’engagement des MI.
2 – Étude empirique
25Différentes pratiques mobilisatrices ou leviers de la gouvernance cognitive, sont testés dans cette section afin de vérifier la validité de nos hypothèses.
2.1 – Échantillon et mesures des variables
26Nous nous sommes appuyés sur les données de l’enquête REPONSE (RElations PrOfessionnelles et NégociationS d’Entreprise) de 2010-2011. Les enquêteurs de la DARES ont collecté un ensemble de données liées à l’organisation, aux ressources humaines, aux relations professionnelles et à la performance des entreprises auprès des représentants de la direction, des salariés et des représentants de plusieurs syndicats. Les deux premiers questionnaires sont exploités pour les fins de cette recherche. Le questionnaire « représentants de la direction » a servi pour extraire des données relatives aux pratiques de gestion des ressources humaines. Le questionnaire « salariés » a quant à lui permis d’extraire les données relatives à l’engagement des MI. L’appariement des deux bases grâce au numéro SIRET a permis de retenir un échantillon de 2239 managers travaillant dans des établissements de plus de 10 employés, du secteur privé et semi-public, hors agriculture et administration.
Mesure des variables
27Le tableau 1 ci-dessous résume les variables actives retenues dans le cadre de notre recherche. Les variables sont codées 1 lorsqu’elles sont présente dans les établissements de notre échantillon et 0 sinon.
Mesure des variables de recherche
Mesure des variables de recherche
Variables de contrôle
28Les principales variables de contrôle sont : la taille, l’envergure du marché (régional, national, européen ou mondial), l’âge de l’établissement, la structure d’entreprise (mono ou multi- établissements) et le genre.
2.2 – Résultats de l’analyse de données
29Le tableau 2 fournit la description des variables de l’étude et leurs corrélations. Ces dernières indiquent qu’il existe une relation significative entre les variables d’intéressement, de participation incitative, d’information (stratégie et situation économique), de participation à la prise de décision et l’engagement affectif des MI. Ces relations sont ensuite vérifiées par un ensemble de régressions multiples.
Matrice des corrélations
Matrice des corrélations
Les corrélations sont significatives, p<0.01.n.s : signifie que le coefficient de corrélation n’est pas significatif
30Les résultats issus de régressions logistiques, adoptés pour le caractère nominal de nos variables de recherche, permettent de confirmer les corrélations constatées ci-dessus. Le tableau 3 indique, toutes choses égales par ailleurs, que les pratiques mobilisatrices influencent positivement l’engagement des managers intermédiaires. Nous pouvons constater que les coefficients de régression associés à l’intéressement (β = 0.18, p<0.05), à la participation incitative (β = 1.04, p<0.01), au partage de l’information sur la stratégie (β = 0.50, p<0.01) et sur la situation économique (β = 0.66, p<0.01), et enfin à la participation aux décisions (β = 1.03, p<0.01) sont positifs et significatifs.
Impact des pratiques mobilisatrices sur l’engagement des managers intermédiaires
Impact des pratiques mobilisatrices sur l’engagement des managers intermédiaires
**p < 0.01 *p< 0.05n.s : signifie que le coefficient de régression n’est pas significatif
3 – Discussion et conclusion
31Dans cet article, nous avons tenté de rapprocher deux champs de recherche restés largement hermétiques l’un à l’autre jusqu’à présent : celui portant sur les MI et celui portant sur la gouvernance. Nous avons mis en évidence différentes figures du MI telles qu’elles sont présentées dans la littérature, afin de les confronter à l’approche classique de la gouvernance d’une part, et à l’approche cognitive d’autre part. La gouvernance classique a longtemps véhiculé une perception disciplinaire du contrôle des processus de création de valeur, tandis que la recherche actuelle propose d’évoluer vers un modèle plus cognitif (Charreaux, 2011) voyant dans la valorisation des compétences organisationnelles et managériales un levier de la création de valeur (Wirtz, 2006).
32La mise en évidence du capital humain que représentent les MI nous a amené à souligner l’importance de leur engagement, c’est-à-dire leur adhésion et leur attachement à l’organisation. Ce constat nous a conduit à identifier différents leviers susceptibles de favoriser l’engagement des MI dans le cadre d’une gouvernance cognitive. L’étude empirique menée au travers des données de l’enquête REPONSE, nous a permis de confirmer qu’en plus des incitatifs, c’est-à-dire des mécanismes de valorisation individuels et collectifs (participation, intéressement), l’engagement des MI est sensible, en particulier, aux modes d’intégration des MI dans les processus de décision et de diffusion de l’information sur la stratégie de l’entreprise et sur sa situation économique. Ces résultats prolongent les études de Guery (2015), Benhamou (2010) et Perraudin et al. (2013). Ces auteurs ont montré comment la participation financière et non financière des salariés et la diffusion de l’information sont susceptibles d’améliorer les performances économiques et sociales des entreprises, sans se pencher sur les mécanismes intermédiaires expliquant ces relations directes.
33Comme toute recherche, notre étude n’est pas exempte de certaines critiques. Malgré l’intérêt de nos résultats, ils ne représentent qu’une photographie du phénomène étudié. Des données longitudinales seraient intéressantes pour vérifier la robustesse des relations identifiées par notre analyse en coupe simultanée. Le choix et la mesure des variables est une autre limite. La mesure ne s’appuie que sur la présence des variables et non sur leur intensité. Ce point pourrait être évité par la collecte de données primaires. Un approfondissement de ces résultats par une étude qualitative est également bienvenu.
34Toutefois et malgré ces limites méthodologiques, les apports de cette recherche ne sont pas négligeables surtout sur le plan managérial. Ainsi, nous proposons aux entreprises de porter un intérêt particulier aux managers intermédiaires en prenant en compte l’influence de leur potentiel cognitif dans le processus de création de valeur. Ceci ne peut passer que par une gouvernance intégrée, portant un intérêt au capital humain que représentent les MI. Notre recherche montre que les modalités de gouvernance d’entreprise qui s’appuient sur la participation à la prise de décisions, l’information et le partage de la valeur par la participation et l’intéressement, sont des outils pertinents pour engager les managers intermédiaires et ainsi faire bénéficier les organisations de leurs pleines capacités.
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Mots-clés éditeurs : engagement, gouvernance, manager intermédiaire, pratiques mobilisatrices
Mise en ligne 07/09/2017
https://doi.org/10.3917/qdm.172.0011