Introduction
1En phase avec la croissance fulgurante du nombre d’alliances stratégiques dans le monde, les recherches académiques menées sur ces rapprochements interentreprises ne cessent de foisonner. Parmi les sujets les plus débattus, figure celui de l’évaluation de la performance (succès ou échec) qui a concentré multiples publications, tant théoriques qu’empiriques, sans qu’un consensus sur ses critères ne soit pour autant établi. Le fait que cette thématique soit toujours d’actualité et constitue un point de désaccord entre chercheurs, et même entre praticiens, dénote de sa complexité élevée (Dhanaraj et Beamish, 2004 ; Krishnan et al., 2006). Une des explications avancées à l’incapacité à concevoir des indicateurs communs se trouverait dans l’acceptation de l’idée que la performance est fondamentalement un construit social, partiellement subjectif, contingent, multidimensionnel et polysémique. Salgado (2013) fait en effet remarquer qu’il s’agit d’un mot-valise, un concept flou qui ne prend de sens que dans le contexte dans lequel il est employé. La communauté scientifique peinant à trouver des mesures universelles (Reus et Ritchie, 2004 ; Krishnan et al., 2006), certains auteurs préfèrent d’ailleurs parfois se focaliser sur l’analyse des facteurs de succès ou d’échec par le biais d’analyses factorielles (déterminants exogènes) et processuelles (caractéristiques évolutives et dynamiques) sans dévoiler clairement les outils de mesure retenus (Philippart, 2001).
2Sur la base de ces constats, l’objet de ce travail exploratoire est triple. Il s’agit d’abord de mener une analyse nuancée des approches unidimensionnelles de mesure de la performance des alliances asymétriques. Ensuite, nous inspirant notamment des travaux d’Arino (2003), Blanchot (2006) et Ren et al. (2009), une approche intégrative et multiperspectives susceptible de remédier aux limites respectives des traditionnelles théories objectivistes et subjectivistes sera conceptualisée. Enfin, il s’agira de discuter de la pertinence des composantes de cette approche à travers l’examen des résultats d’interviews semi-directives menées avec 14 dirigeants d’alliances asymétriques franco-tunisiennes.
1 – Attributs des alliances asymétriques
3La présentation d’une définition universelle des alliances asymétriques est loin d’être une tâche aisée. Cependant, les chercheurs s’accordent sur le fait que plusieurs critères doivent être pris en compte pour les caractériser. D’après Chtourou et Laviolette (2005), les alliances sont asymétriques dès lors qu’elles sont conclues entre de grandes firmes et de petites et moyennes entreprises (PME) possédant un différentiel fort en termes de portefeuille de ressources et de positions concurrentielles. Mouline (2005) met pour sa part l’accent sur d’autres éléments : les capacités et les actifs engagés, le partage des fruits de la coopération, l’appartenance à des zones géographiques de niveau de développement macroéconomique différent et la maîtrise d’un savoir-faire technologique spécifique ou d’une connaissance particulière. Outre la différence dans la taille des partenaires et dans leur origine géographique, Harrigan (1986) précise que le niveau d’expérience dans les coopérations et les divergences culturelles devraient être également considérés, alors que Hourquet et al. (2005) mettent davantage l’accent sur les dimensions suivantes : les capitaux disponibles, les outils de production, les canaux de distribution, l’intensité concurrentielle et l’organisation. Dans la continuité des travaux précédents, Pérez et al. (2012) soutiennent qu’une alliance asymétrique correspond à une relation dans laquelle les entreprises partenaires ne correspondent pas par les dotations en ressources financières et humaines, par la réputation, l’industrie, la technologie et les stratégies.
4Dans le cadre d’une approche plus pragmatique, Cherbib et Assens (2008) font une comparaison entre les alliances symétriques et celles asymétriques : « les alliances symétriques impliquent des entreprises ayant plus au moins les mêmes niveaux de ressources, de compétences et qui s’inscrivent au même stade de développement dans la course à l’innovation et dans la création de nouvelles technologies. Tandis que les alliances asymétriques concernent des firmes aux positions stratégiques non similaires, sous l’angle de la maîtrise technologique, des compétences industrielles, des capacités financières ou de la dimension commerciale ».
2 – Revue de littérature sur l’évaluation de la performance des alliances asymétriques
5Dans cette section, nous mettons d’abord en lumière les particularités de la performance dans les alliances asymétriques. Ensuite, nous analysons les postulats, les apports et les limites des approches unidimensionnelles objectivistes et subjectivistes d’évaluation des résultats de ces rapprochements interentreprises. Enfin, nous présentons les soubassements théoriques d’une approche intégrative et multiperspectives.
2.1 – Contours de la notion de performance
6D’une manière générale, la performance est un concept multidimensionnel aux contours mal définis, ayant fait l’objet de nombreuses tentatives de définitions (Kalika, 1988). Ceci étant, les auteurs l’assimilent traditionnellement soit à l’efficacité, soit à l’efficience, soit à la combinaison des deux éléments (Penan, 2000). Dans le cadre de l’alliance asymétrique, Blanchot (2006) considère que tout n’est question de convention pour définir la performance. Certains chercheurs considèrent qu’il y a succès quand chacun des partenaires a atteint ses objectifs stratégiques (Das et Teng, 2003). D’autres associent la réussite au fait que l’opération conjointe est rentable et que chaque partenaire atteint ses objectifs stratégiques initiaux ou est satisfait de la relation (Triki, 2010). Abordant de façon plus détaillée la question, Saulquin et Schier (2007) ont constaté que la performance est largement appréhendée, par la grande firme, par le seul profit ou les rendements boursiers en raison du poids des associés propriétaires ou des actionnaires dans le processus de décision, et par la PME, par la pérennité de la relation, l’internalisation de compétences et de savoirs, l’extension du réseau commercial, la satisfaction des dirigeants ou le développement d’un avantage concurrentiel.
2.2 – Caractéristiques des approches unidimensionnelles
7L’évaluation de la performance des alliances asymétriques demeure à son tour jusqu’à aujourd’hui à la source de controverses dans le milieu académique (Cheriet, 2009) ne serait-ce que parce qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer les critères des déterminants de celle-ci. Les mesures utilisées par les chercheurs ont, en effet, tendance à s’inscrire en phase avec les déterminants En vue d’une analyse relativement exhaustive des mesures objectivistes et subjectivistes, nous proposons de les répertorier, expliciter leurs fondements et apports et recenser leurs carences.
2.2.1 – Postulats, apports et limites des approches financière, comptable et boursière
8Les critères objectifs de mesure de la performance des alliances les plus empruntés dans les recherches académiques proviennent des domaines financier, comptable et boursier. Ces critères s’appuient principalement sur des ratios évaluant la profitabilité, comme le rendement sur capital investi (ROI : Return On Investment), le retour sur actif (ROA : Return On Asset) et le rendement sur ventes (ROS : Return On Sales) (Bogliolo, 2000). D’autres indicateurs, tels que la croissance des dépenses en R&D, les dividendes, les royalties et l’utilisation du capital, sont également pris en compte. Les données nécessaires au calcul de ces ratios et indicateurs sont généralement tirées soit des rapports annuels, soit des états de synthèse financiers soumis aux commissions compétentes de vérification et de contrôle. Au plan organisationnel, disposer de telles données sur les résultats de l’activité favorise une prise de conscience partagée et ouvre la possibilité d’une émulation collective (Bchini, 2005) dans la mesure où l’information financière a un caractère synthétique qui facilite la communication (Malo et Mathé, 1998). La cible à atteindre devient dès lors visible pour tous, ce qui permet à l’alliance de se donner des objectifs de progrès.
9Malgré leurs avantages, les approches financière et comptable ont été sujettes à maintes critiques. La première d’entre elles s’appuie sur le constat qu’à l’exception de la joint-venture, lorsqu’on aborde le partenariat pour lequel il n’y a pas création d’une entité indépendante, il n’existe pas de base commune sur laquelle on pourrait faire reposer le calcul d’indicateurs comme la croissance des ventes, la rentabilité des actifs, la présence de profits ab-normaux et le profit durable. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’observateur se trouve souvent face à des résultats asymétriques (Kale et al., 2002). La deuxième critique rappelle que de tels ratios ou indicateurs ne peuvent traduire le degré de réalisation des objectifs qui ne sont pas identifiés par des critères financiers de court terme (création d’un avantage concurrentiel, développement de compétences, appropriation de technologies, amélioration de l’image de marque, implantation géographique, etc.) et sont susceptibles de présenter des résultats défavorables, alors que les entreprises progressent dans la réalisation de leurs objectifs à long terme (Brulhart, 2002). La troisième critique s’appuie sur la difficulté à comparer les rendements comptables des alliés, étant donné l’utilisation de principes et de normes comptables qui différent d’un secteur d’activité à un autre et parfois même d’une organisation à une autre. La quatrième critique a pour sa part trait à la nature même des résultats fournis par la comptabilité. Etant principalement d’ordre historique, ceux-ci sont trop tournés vers le passé, d’où une faible capacité prédictive des changements imminents qui pourraient survenir dans le partenariat (Bchini, 2005). Ils sont par conséquent intéressants pour des « autopsies », mais très peu utiles quand il s’agit de manager (Aliouat et Taghzouti, 2009).
10Quant à l’approche boursière, elle évalue la performance à l’aide des rendements boursiers calculés selon une méthode d’étude d’événements, expérimentée initialement par Fama et al. (1969). Hubler et Meschi (2000) ont eu recours à cette méthode pour évaluer les effets à court terme des annonces d’alliances et d’acquisitions sur la valeur boursière d’entreprises françaises sur une période de trois années (1994 à 1996). Cette méthode, qui se base sur l’hypothèse de l’efficience du marché financier, a fait l’objet de deux critiques majeures. D’abord, la question de l’efficience des marchés financiers est utopique car le « risque », qui constitue une dimension importante de la performance, n’est pas pris en considération (Geringer et Hebert, 1991). Ensuite, la question est de savoir si les rendements anormaux et les prix utilisés par les études d’événements représentent de vrais flux monétaires. Ces rendements anormaux demeurent en fait le plus souvent des mesures d’aspirations et non des résultats concrets.
11En définitive, les approches financière, comptable et boursière ne paraissent pouvoir proposer qu’une vision partielle et partiale de la réalité de la performance des alliances. Elles se heurtent à des insuffisances conceptuelles qui ne leur permettent ni de l’appréhender dans toutes ses facettes ni de présenter une évaluation actualisée des réalisations.
2.2.2 – Postulats, apports et limites de l’approche temporelle
12Inspirés de la littérature portant sur l’écologie des organisations (Hannan et Freeman, 1977), plusieurs chercheurs ont suggéré l’analyse de la durée de la relation (Kogut, 1991). L’hypothèse retenue est que la longévité est dans l’intérêt des parents et que l’instabilité, définie par les différentes formes de fin et de changement de la relation, est un indice d’échec des parties prenantes ou de l’alliance elle-même (Reuer et al., 2002). Dans son étude de la longévité des alliances stratégiques biotechnologiques dans un environnement incertain, Pangarkar (2003) avait utilisé la durée de la relation comme proxy de sa performance. Le principal résultat obtenu était que les alliances de courte durée ne donnaient pas aux partenaires l’opportunité de tirer les avantages attendus en termes de synergies et d’apprentissage organisationnel, d’où la corrélation positive entre la durabilité du partenariat et son succès.
13En dépit de ce résultat éloquent, les postulats de l’approche temporelle ne font pas l’unanimité et sont même de plus en plus contestés. Même si la plupart des études empiriques actuelles sur les issues des alliances stratégiques considèrent la durée comme un indicateur fiable et l’intègrent dans leurs analyses, elle ne semble néanmoins pas pertinente pour distinguer les alliances qui disparaissent précocement parce qu’elles ont réellement échoué de celles qui prennent prématurément fin tout simplement parce qu’elles n’ont plus raison d’être (les partenaires ayant atteints leurs objectifs plus rapidement que prévu). Effectivement, si les entreprises forment des alliances pour diverses raisons, elles se séparent aussi pour différents motifs (Meschi, 2003). La fin d’une alliance peut ainsi être due à des facteurs contextuels indépendants de sa performance propre (Brulhart, 2005), renvoyer à un apprentissage réussi d’un des partenaires (Blanchot, 2006), ou encore s’expliquer par une volonté de recentrage ou de désendettement (Brulhart, 2005), une reprise programmée de l’activité par le partenaire de taille supérieure ou l’exercice prématuré d’une option d’achat (Kale et al., 2002 ; Meschi, 2003). En raison de l’existence d’une telle multitude de causes potentielles de rupture d’une alliance, son interprétation ne peut être univoque, catégorique ou assimilée de manière probante à un échec de la collaboration.
14Symétriquement, la continuité ou la non disparition de l’alliance peut être due à de nombreux paramètres et ne saurait être obligatoirement désignée comme un gage de succès. Autrement dit, un partenariat peut être maintenu en dépit de médiocres performances. Ce maintien peut résulter de la présence de coûts de sortie élevés, d’un choix sous contrainte de l’un des protagonistes dont la dépendance est telle qu’il se trouve dans l’impossibilité de changer de partenaire même s’il ne considère pas sa relation comme performante ou dotée d’un fort potentiel de création de valeur (Brulhart, 2002). Il peut aussi être dû au fait que les partenaires ne savent ni comment se séparer ni trouver une issue acceptable au rapprochement ou estiment que leur coopération demeure l’option la moins risquée (Blanchot, 2006). Le maintien de l’accord peut également s’expliquer par le développement d’actifs idiosyncrasiques ou « otages » (Tinlot-Mothe, 2005) ou la perpétuation d’une relation institutionnalisée simplement par habitude ou par « résonance résiduelle » [1] (Aliouat et Taghzouti, 2007).
15Enfin, la notion de « longévité de l’alliance » est discutable en raison de sa contingence. Cheriet (2007) évoque une durée de vie moyenne n’excédant que rarement les sept années, dont les trois premières sont assimilées à une phase « lune de miel » au cours de laquelle le niveau élevé d’enthousiasme supplante les conflits et permet de dépasser le handicap de la nouveauté (liability of foreigness) (Meschi, 2006). Se voulant objective, l’étude de la longévité ne devrait par conséquent s’effectuer qu’à partir de la quatrième année de vie du rapprochement. Or, cela rend la perspective temporelle difficilement opérationnalisable et très critiquable : sept alliances sur dix n’atteignant pas les dix ans d’existence (Meschi, 2005), cette période relativement courte ne pourrait refléter une corrélation positive et significative entre la pérennité du partenariat et son niveau de performance. Dans la même logique, Prévot et Guallino (2010) soulignent que dans le cas des joint-ventures internationales, le taux de « fin prématurée » est davantage la règle que l’exception, celui-ci variant entre 30 et 70% selon le contexte étudié et la nature des opérationnalisations de la notion d’instabilité.
2.2.3 – Postulats, apports et limites des mesures subjectives
16Les mesures subjectives les plus citées dans la littérature sur les alliances sont la satisfaction globale, l’apprentissage et la réalisation des objectifs stratégiques (Triki, 2010). Fondée sur une approche perceptuelle d’ordre qualitatif, la satisfaction globale est évaluée à partir de l’appréciation des dirigeants de la coopération.
17Si plusieurs chercheurs, à l’instar de Glaister et Buckley (1998), Luo et Park (2004) ou encore Nakos et Brouthers (2008), ont utilisé ce critère, une limite relativise la portée de leurs résultats. Les dirigeants, locaux et étrangers, susceptibles de percevoir ce critère différemment, le degré de satisfaction varie selon la personne interrogée, ses intentions et ses attentes initiales.
18Quant à l’apprentissage, il prend forme à travers la capacité d’intégrer des connaissances externes en transformant ses routines et ses processus organisationnels (Jaouen, 2006). Afin d’éviter un apprentissage qui pourrait s’avérer par la suite stérile, c’est-à-dire redondant et sans réelle valeur ajoutée (réapprendre ce que l’on connaît déjà), Hennart et al. (1998) préconisent aux firmes partenaires d’asseoir un apprentissage sélectif tandis que Inkpen (1998) plaide pour la conclusion d’une alliance de type complémentaire. L’assimilation de connaissances et/ ou de savoir-faire utiles est dès lors perçue par les dirigeants comme un paramètre fondamental dans l’appréciation de la réussite du partenariat (Lane et al., 2001).
19Enfin, l’appréciation du niveau de réalisation des objectifs organisationnels et collectifs peut représenter un choix judicieux pour les partenaires lorsque ces derniers nouent une alliance à des fins purement stratégiques (Robson et al., 2008). Néanmoins, cet indicateur se heurte son tour à un écueil important : les objectifs initiaux peuvent significativement s’écarter avec le temps et surtout avec les parties prenantes (les individus). Conformément aux principes de la théorie de l’échange social (Axelrod, 1984 ; Young-Ybarra et Wiersema, 1999) et de la théorie institutionnelle sociologique (Oliver 1997), il incombe de corréler les objectifs avec la performance sociale pour y remédier. Cette dernière renvoie à la qualité relationnelle entre les acteurs par la détermination de leurs sentiments en ce qui concerne le niveau de confiance, la connivence, les tensions et les rapports de force (Blanchot, 2006).
3 – Soubassements théoriques d’une approche intégrative et multiperspectives
20Dans l’optique d’une modélisation multidimensionnelle de l’appréciation de la performance des alliances asymétriques, nous nous référons principalement au modèle d’Arino (2003) et aux travaux d’Herbert Simon sur la rationalité limitée.
21Le seul usage d’indicateurs objectivistes ou subjectivistes étant contestable et insuffisant du fait qu’ils ne constituent qu’une approximation très imparfaite de la performance [2], un changement de paradigme s’impose. Celui-ci repose sur une conception intégrative (financière, commerciale, sociale, stratégique, etc.) et multiperspectives (prise en considération des sentiments des acteurs internes et externes à l’alliance à l’égard de l’évolution du partenariat). Le point de départ serait ainsi de considérer que les indicateurs subjectifs pourraient s’additionner aux mesures objectives afin de remédier à leurs carences respectives, tout en incorporant les composantes centrales de la performance (efficacité et efficience). Une telle association a déjà fait l’objet de quelques études (Harrigan, 1988 ; Geringer et Hebert, 1991 ; Glaister et Buckley, 1998) ayant permis de corréler positivement les performances mesurées objectivement avec la perception qu’en avaient les managers, et donc d’accorder autant de crédit aux indicateurs objectifs qu’aux indicateurs subjectifs. S’inspirant de ces études, Arino (2003) a par la suite proposé un modèle théorique (cf. figure 1) intégrant à son tour mesures objectives et subjectives. Selon cet auteur, il existerait deux types de performance :
- La performance issue, mesurée par l’atteinte des objectifs des partenaires ;
- La performance processus, évaluée à partir des interactions entre les parents et l’extension de la relation entre eux.
22Arino (2003) fait remarquer que l’indicateur « degré d’atteinte des objectifs stratégiques » ne mesure statistiquement pas la même chose que les indicateurs « satisfaction à l’égard des résultats d’ensemble de l’alliance » et « effets induits par l’alliance sur les autres activités des partenaires » qui sont, eux, très proches l’un de l’autre (Blanchot, 2006). Cet auteur suggère que le premier indicateur se rapporte aux objectifs initiaux (collectifs et individuels), le second à l’accomplissement des objectifs initiaux et émergents, collectifs et individuels et le troisième aux objectifs individuels, initiaux ou émergents.
23Aliouat et Taghzouti (2009) considèrent pour leur part qu’une alliance n’est performante que si elle génère de manière concomitante de la valeur pour l’ensemble de ses parties prenantes dans la mesure où elle fait cohabiter plusieurs logiques d’action. Par parties prenantes, ces auteurs font référence aux managers de la coopération (les allianceurs), aux dirigeants, aux salariés impliqués dans l’activité commune ainsi qu’aux personnes réalisant des relations marchandes avec les firmes alliées, en l’occurrence les pourvoyeurs de ressources et les clients (Kale et al., 2002 ; Krishnan et al., 2006 ; Luo, 2008 ; Ren et al., 2009).
24Lorsque l’alliance prend la forme d’une jointventure, Hyder et Eriksson (2005) précisent que l’intérêt devrait tout particulièrement être porté aux retours pour les parents : des retours tangibles traduits par des réductions de coûts, un accroissement des profits et une augmentation du chiffre d’affaires ; des retours intangibles se manifestant par l’acquisition d’une expérience collaborative, la capacité à créer des synergies et à innover ainsi que l’accès à de nouveaux contrats, marchés ou opportunités. D’autres outils de mesure peuvent être joints à ces retours, à savoir la vitesse d’accélération de la pénétration du marché (performance commerciale) et le niveau de blocage des actions offensives des autres concurrents (performance défensive). Ces outils permettent d’apprécier l’attractivité de la relation, son potentiel de croissance et ses impacts directs sur la situation financière et la compétitivité des entreprises mères. La pérennité de l’alliance étant largement tributaire de ces éléments, il serait réducteur de ne prendre en compte que les apports de la collaboration à la joint-venture créée.
Modèle de mesure de la performance de l’alliance
Modèle de mesure de la performance de l’alliance
25Outre l’analyse de la satisfaction des parents, Arino (2003) insiste sur l’importance de l’étude de la performance organisationnelle mesurée par l’impact des transferts nets d’informations et de l’appropriation de nouveaux savoir-faire sur la préservation ou l’atteinte d’une position de leadership ou de co-leadership. Dans la même veine, se basant sur la théorie des ressources (Resource-Based Theory), Lyles et Salk (1996) voient dans l’accumulation des compétences acquises par un partenaire via une alliance et leur diffusion à l’ensemble de son réseau un critère de performance, d’où l’impératif d’une extension du processus d’évaluation aux autres composantes des réseaux respectifs des alliés (Goerzen et Beamish, 2005). Les indicateurs financiers ont tendance à négliger ce type de complémentarités « réseau » traduites par les transferts de prix dans les relations de fournitures et de commercialisation des produits du rapprochement. De surcroît, ils sont susceptibles de négliger les objectifs de création de verrous stratégiques et de transferts informationnels inter-alliances (Lee et al., 2003). Une alliance insérée dans un réseau de relations ne pourrait en fait être dissociée de la stratégie globale de la firme « pivot » au sein du réseau.
26Parallèlement à l’acquisition et la diffusion de ressources et de compétences, un partenaire peut viser l’amorce d’une dynamique de réseau social et de jeux de rôles, car s’allier avec une entreprise ayant une bonne image dans son contexte institutionnel offre l’opportunité de gagner en réputation et en visibilité. Conformément à la théorie de l’avantage concurrentiel, sans jamais renoncer à son objectif d’optimisation des chaînes de valeur des parties cocontractantes grâce à l’apparition de marchés imparfaits, l’alliance asymétrique est en effet un instrument efficace de visibilité institutionnelle pour une PME désirant développer une valeur institutionnelle ou sociétale (création de valeur en termes de rayonnement, d’image et d’appartenance) (Aliouat et Taghzouti, 2007). Ce type d’objectif, renvoyant au concept de performance processus (mesurée par les interactions entre les parents et l’extension des relations sociales), remet partiellement en cause la théorie des coûts de transaction qui ne prendrait pas assez en considération les intentions sociales des firmes partenaires (Meschi, 2006).
27Si une différenciation entre les critères de performance présumés être réservés aux grandes firmes de ceux destinés à être uniquement utilisés par les PME n’a pas été opérée, c’est que la taille de l’entreprise n’influe pas nécessairement sur le choix des mesures. Outre les objectifs économiques et commerciaux, la grande entreprise peut par exemple viser l’appropriation d’une technologie détenue par une start-up, la création d’un avantage concurrentiel ou l’extension de son réseau social. Pour sa part, au-delà du développement d’une notoriété internationale et de la réalisation d’économies d’échelle grâce aux moyens mis à disposition par une grande firme partenaire, la PME peut chercher à atteindre des objectifs financiers et à acquérir des compétences spécifiques à travers l’apprentissage.
4 – Méthodologie de la recherche
28Pour établir dans quelle mesure la présentation précédente n’est pas qu’un simple débat théorique, nous tentons de comprendre si la performance est explicitement ou implicitement perçue comme multidimensionnelle dans les alliances asymétriques et, le cas échéant, d’expliquer le choix des mesures retenues par les dirigeants lors de l’évaluation des résultats du partenariat.
29Notre enquête empirique ayant trait à l’exploration des mesures de la performance des alliances asymétriques et des logiques sous-jacentes, nous avons opté pour une méthodologie qualitative matérialisée par huit études de cas d’alliances dyadiques asymétriques franco-tunisiennes (quatre joint-ventures inégales 60/40, trois partenariats et une licence) nouées entre de grandes firmes françaises et des PME tunisiennes opérant dans les secteurs du textile et de l’habillement, de l’agroalimentaire et de l’industrie automobile. Ce choix est essentiellement fondé, d’une part, sur l’analyse des dimensions de la performance et de systèmes d’évaluation potentiellement dissemblables susceptibles d’élargir nos résultats et leur portée, et d’autre part, sur une exigence de contextualisation du champ d’action des acteurs (Hlady-Rispal, 2002). À l’aide d’un guide d’entretien comprenant des questions ouvertes et semi-ouvertes inspirées des travaux de Kale et al. (2002) et Arino (2003), nous avons mené des entretiens semi-directifs avec 14 dirigeants (7 français et 7 tunisiens) afin de faire émerger naturellement leurs perceptions de l’appréciation de la performance des alliances asymétriques tout en assurant un fil conducteur permettant de rester constamment en contact avec le sujet. La méthode d’échantillonnage retenue est celle du choix raisonné (Eisenhardt, 1989). Si nous avons privilégié divers types de dirigeants comme répondants, c’est que ces derniers sont censés posséder une expérience tangible et une connaissance exhaustive des différents indicateurs utilisés dans leurs alliances respectives.
Caractéristiques des entretiens
Caractéristiques des entretiens
Profil des répondants et caractéristiques des alliances
Profil des répondants et caractéristiques des alliances
30En vue de l’exploitation et l’interprétation des données textuelles collectées durant les interviews, nous avons d’abord procédé à une retranscription par écrit des enregistrements. Certains aspects que nous n’avions pas identifié au préalable sont apparus au cours des interviews et sont par conséquent venus enrichir le guide d’entretien. Ensuite, nous avons réalisé une analyse thématique de contenu afin de repérer les unités sémantiques qui constituent les univers des discours (Bardin, 2001 ; Miles et Huberman, 2003). L’analyse des interviews guidées passant par un codage des données, nous avons eu recours à cet effet au logiciel Nvivo (Richards, 2005). Les réponses ont ainsi pu être classées selon les grandes thématiques retenues dans le guide d’entretien, ce qui consiste à repérer les thèmes communs et transversaux à l’ensemble des discours recueillis dans l’enquête. Enfin, il convient de préciser qu’aucun traitement quantitatif analysant la distribution des réponses, ou leur récurrence, n’a été effectué.
5 – Analyse et interprétation des processus d’évaluation de la performance intronisés
31Axer l’évaluation de la performance d’une alliance sur les seuls objectifs communs convenus par les partenaires lors de la ratification du contrat de rapprochement comporte le risque d’une appréciation partielle des finalités réellement et implicitement ciblées. Les attentes propres des entreprises partenaires ne pourraient être reléguées au second rang voire négligées : « Notre entreprise prend aussi bien en considération le niveau de concrétisation des objectifs formels convenus avec notre partenaire français, à savoir la rentabilisation des investissements collectifs, l’optimisation des gains économiques partagés, la stabilité et la pérennité de la relation, que la qualité des rapports inter-organisationnels et le degré d’exploitation des opportunités offertes par l’alliance. L’extension de notre propre capital relationnel, l’acquisition de compétences techniques et de capacités managériales, la mise à profit de la notoriété de notre partenaire pour asseoir notre légitimité internationale, et l’amélioration de nos procédés de production sont aussi primordiaux que les objectifs communs. Notre entreprise assume pleinement le fait que le développement de nos propres capacités soit un enjeu unilatéral de l’alliance. Il en va de notre compétitivité face à la concurrence locale et internationale. Je dirais même que, vu le contexte économique difficile de la Tunisie actuellement, nous n’avons pas vraiment d’autre choix que de faire d’une pierre deux coups » (Le directeur général de la PME tunisienne du CAS G).
32Ce discours montre que pour ce dirigeant, les mesures objectives (financières et temporelles) ont surtout vocation à apprécier le niveau de concrétisation des attentes communes et formelles, alors que les indicateurs subjectifs (satisfaction, apprentissage, extension du réseau relationnel, etc.) sont davantage rattachés aux objectifs stratégiques et tacites de la PME tunisienne du CAS G. Cette logique de dualité ne pourrait cependant être assimilée à une forme d’opportunisme car il n’y a ni volonté de générer de perte pour le partenaire français ou de l’affaiblir ni intention de fraude. Pour la PME, seul le désir d’assurer sa survie via la consolidation de sa compétitivité hors-prix en aval de l’alliance expliquerait la juxtaposition de ses objectifs organisationnels aux objectifs collectifs. La longévité et la qualité de la relation semblent aller de pair dans le CAS G étant donné que la détermination du caractère productif et attractif de la collaboration, aussi bien au niveau bilatéral qu’unilatéral, est notamment tributaire de l’existence d’une corrélation positive entre le maintien de l’accord et l’existence d’une connivence mutuelle.
33À un niveau plus stratégique, la position du directeur de production de la grande entreprise française du CAS B va également dans ce sens dans la mesure où une forme de complémentarité entre les finalités collectives et organisationnelles recherchées est progressivement apparue : « Nous nous sommes aperçus dès les premiers mois que l’atteinte de nos propres objectifs économiques et commerciaux ne pouvait être dissociée d’une progression substantielle dans le projet commun d’innovation. Pour ainsi dire, nous avons pris conscience que la concrétisation de nos attentes allait passer par des avancées concrètes sur le plan de l’innovation collaborative. Il va donc de soi que les critères de performance organisationnelle ne pouvaient être dissociés des critères de performance commune ». Ce discours atteste du fait qu’un avancement significatif dans le projet accroît la motivation des dirigeants à maintenir le partenariat, ce qui donne une chance à l’entreprise de concrétiser ses objectifs stratégiques organisationnels requérant généralement beaucoup de temps pour pouvoir être atteints. Cette « intelligence relationnelle et stratégique » ne pourrait être assimilée à un agenda caché mais plutôt à un point d’ancrage du comportement organisationnel et de la performance qui reste fondamentalement une affaire de perception. En effet, l’enchevêtrement d’objectifs de natures diverses étant à l’origine de l’absence de congruence parfaite des orientations stratégiques des organisations alliées, la satisfaction est inexorablement bidimensionnelle (collective et individuelle).
34Dans le cadre d’une approche participative et donc multiperspectives, l’allianceur de la grande entreprise française du CAS D voit pour sa part dans la mise à contribution de l’ensemble des acteurs impliqués dans l’activité commune (responsables hiérarchiques, cadres administratifs, salariés, actionnaires, etc.) dans le processus d’évaluation des résultats du rapprochement comme une nécessité et non comme un choix facultatif : « L’organisation de réunions périodiques programmées avec les salariés permet de dresser un diagnostic des avancements constatés et d’actualiser les objectifs futurs selon les attentes des diverses parties prenantes et le contexte. Les thématiques abordées portent essentiellement sur les effets économiques et financiers générés et escomptés de l’alliance, l’actualisation des intérêts à maintenir la relation, le niveau de satisfaction des membres des équipes mixtes par rapport à leurs conditions de travail et les apprentissages réalisés ». Cette synthèse corrobore l’idée que la performance possède autant de significations qu’il existe d’acteurs qui s’y intéressent. Se présentant partiellement comme un construit social et subjectif, elle change selon que l’on se situe du point de vue des dirigeants, des salariés en interne, voire des partenaires commerciaux, financiers et industriels en externe. En vertu du principe de rationalité limitée faisant appel à un processus de jugement intuitif, les individus réduisent ainsi la complexité de la tâche cognitive en employant des règles heuristiques simples, ou des raccourcis cognitifs (Pham, 1996). Ce procédé leur permet de filtrer et d’écarter les informations les moins importantes pour eux afin de concentrer leur attention sur les éléments capitaux. La théorie du comportement décisionnel (Behaviorial Decision Theory) démontre en ce sens que l’individu construit une représentation mentale du phénomène qui lui est présenté et distingue ce qui lui paraît pertinent de ce qui ne l’est pas.
35Outre le concours de l’ensemble des parties prenantes dans le processus d’évaluation de la performance de l’alliance, la composante sociale de ce processus se reflète avant tout dans les préoccupations des dirigeants : « La satisfaction de nos salariés, de nos fournisseurs habituels et de nos clients les plus fidèles est pour nous aussi capital que les retombées économiques et stratégiques de notre alliance avec notre partenaire tunisien. Je ne considère pas que le succès doive renvoyer aux seuls intérêts organisationnels. Vous savez, il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour m’apercevoir que la mise en place de conditions de travail adéquates aux équipes, la satisfaction de nos partenaires externes, l’atteinte des objectifs fixés avec notre allié et la pérennité de la relation sont étroitement liées et même interdépendantes. Cela me semble assez évident car, en cas de rupture prématurée de l’accord, comment pourrions-nous encore parler d’objectifs économiques et stratégiques partagés ou de quelle que nature que ce soit, alors qu’ils n’ont même plus lieu d’exister ? De même, si le niveau d’implication des salariés dans l’activité commune est trop bas, à quoi bon faire perdurer le partenariat si les synergies sont inexistantes ou si celui-ci crée plus de problèmes qu’il n’en résout ? » (Le directeur général de la grande entreprise française du CAS F). Une discrimination entre longévité de la relation, performance économique et stratégique, d’une part, et performance sociale, d’autre part, paraît selon ce dirigeant aberrante car elles sont éminemment interreliées et complémentaires. Au-delà de ce constat qui est en phase avec les principes de la théorie du comportement décisionnel, l’équilibre recherché (en termes d’importance) entre les dimensions temporelle, économique, stratégique et sociale de la performance montre surtout que la satisfaction des acteurs est perçue par ce dirigeant aussi bien comme un indicateur de performance sociale (output) que comme un déterminant de la performance globale (input). Par contre, apparaissant habituellement et rétroactivement comme un mythe mobilisateur sur le plan du management, la performance globale de l’alliance asymétrique n’est pas forcément vécue par chaque salarié comme un objectif individuel. Seule l’intégration formelle des acteurs dans le processus d’évaluation et la prise en compte de leurs objectifs personnels (rémunération, stabilité de l’emploi, carrière, etc.) agissent positivement sur leur niveau d’engagement dans le partenariat. Ces conditions réunies, la complémentarité entre la performance économique à court terme (résultats immédiats), à moyen terme (création de potentiel) et la performance sociale s’accroît. Optant pour une approche plus pragmatique, l’efficience du rapprochement est au centre des intérêts du directeur de production de la PME tunisienne du CAS B. Ce dirigeant considère le niveau d’efficience comme élevé lorsque « le ratio entre rétributions et contributions réelles est équivalent au ratio entre rétributions et contributions programmées ». En dépit de la pertinence de cet indicateur comparatif, l’évaluation de l’efficience de la relation constitue une opération bien plus complexe et laborieuse dans une alliance asymétrique que lorsqu’elle s’opère au niveau intra-organisationnel. Effectivement, selon le directeur général de la PME tunisienne du CAS A, « … il est souvent pénible d’évaluer objectivement et quantitativement la valeur des contributions échangées dans l’alliance ». Il existe en fait une double contrainte s’érigeant à ce niveau. D’une part, l’ambiguïté initiale entre concurrence et coopération empêche d’expliciter ex ante la valeur des apports respectifs des firmes alliées. D’autre part, les contributions du partenaire sont délicates à estimer à cause de leurs caractéristiques, à l’instar des compétences technologiques qui sont généralement tacites, enchâssées, et difficiles à acquérir, transférer ou apprendre.
36Dans un registre plus informel, le respect du « contrat psychologique » est pour le directeur de projet de la PME tunisienne du CAS H « un indicateur tout aussi fondamental que tout autre indicateur économique ou stratégique ». Ce type de contrat, relatif aux engagements informels consentis en guise de bonne volonté, est destiné à générer une coopération accrue et à assurer une relation gagnant/gagnant, surtout pour la PME dont les attentes sont souvent conséquentes et très variées. La perception de manquement aux promesses, fondée sur la croyance selon laquelle l’allié n’a pas satisfait à ses obligations liées au contrat psychologique, est une expérience cognitive, reflétant un calcul mental de ce que l’on reçoit relativement à ce qui avait été promis. Elle apparaît lorsque les bénéfices réellement reçus, comprenant les témoignages de confiance, d’assistance et de loyauté, sont inférieurs aux bénéfices promis. La détection - ou non - d’un écart entre ce qui était promis et ce qui a réellement été obtenu, dépend en premier lieu de la taille de l’écart et de la vigilance des acteurs, c’est-à-dire du processus continu de contrôle du respect, ou non-respect, des promesses. La vigilance est d’autant plus forte que le contenu de la promesse renvoie à des connaissances tacites censées être transférées à travers l’apprentissage. Cette vigilance assure le repérage rapide de toute défaillance et accélère en conséquence la réponse à toute oscillation autour du contrat psychologique. L’incongruence est une seconde condition moins évidente conduisant à la perception de manquement aux promesses : les membres de l’organisation alliée responsables de l’exécution d’une promesse peuvent sincèrement croire qu’ils ont rempli leur promesse. Les facteurs induisant une telle incongruence biaisée sont : la complexité ou l’ambiguïté des obligations des partenaires, les difficultés de communication et l’existence de référentiels culturels divergents.
37Les indicateurs de performance retenus et appliqués par les dirigeants consultés dans notre enquête ne semblent ni tributaires de l’appartenance sectorielle ni de la nationalité du partenaire. Aucune mention explicite ou allusion relative aux exigences du secteur d’activité et aux opportunités offertes par la conclusion d’une alliance avec une entreprise étrangère n’a été faite par nos répondants. Les critères sont purement fonction des enjeux, des attentes et des objectifs (collectifs, organisationnels, etc.) visés par les parties prenantes.
Indicateurs de la performance de l’alliance asymétrique
Indicateurs de la performance de l’alliance asymétrique
38En revanche, la taille de l’entreprise et le type d’alliance nouée (joint-venture, partenariat ou licence) influencent partiellement, et dans certains cas, le choix des critères de performance. À titre illustratif, pour le CAS B (une joint-venture), les retombées économiques et commerciales sont fondamentales pour la grande firme, alors que pour la PME c’est surtout l’innovation (en tant qu’objectif commun formel) qui prime. De même, dans le CAS G (une autre joint-venture), la recherche par la PME tunisienne d’une meilleure compétitivité hors-prix est à l’origine de l’application de mesures subjectives par celle-ci, tandis que pour la grande entreprise française l’accroissement de la compétitivité prix explique l’utilisation de critères économiques.
6 – Apports managériaux et théoriques
39L’évaluation du niveau de performance d’une alliance asymétrique selon une optique perceptuelle associée à une analyse des résultats obtenus sous la base de mesures objectives peut s’avérer un outil de prévention de l’échec dès lors que les dirigeants assimilent ce processus à un moyen de pilotage du partenariat (un tableau de bord). La condition d’une telle application serait de formuler sans ambiguïté les objectifs des différentes parties prenantes et que les acteurs acceptent d’échanger de manière transparente et permanente toutes les informations nécessaires au diagnostic général de la situation en temps réel. Au demeurant, cette mesure a non seulement l’avantage de proposer un bilan périodique et actualisé sur l’ensemble des réalisations et l’évolution de la relation inter-organisationnelle, mais surtout de générer une rapidité accrue dans la mise en place d’actions correctives par les managers, le cas échéant.
40Si l’usage exclusif de critères objectifs est communément rejeté par nos répondants, c’est également dû au fait que le caractère tardif des informations comptables apparaît comme un handicap pour statuer rapidement sur la performance et laisse peu de chance aux responsables de réformer le processus de décision et d’action et assainir la relation avant qu’elle n’échoue irrémédiablement. Le suivi régulier que suggère la méthode processuelle et perceptuelle peut comprendre des résultats chiffrés ou faire simplement référence à une conformité à une tendance plus ou moins précisée sur un horizon à court ou à long terme. Une perception de création de valeur basée sur la satisfaction est ainsi complémentaire avec les mesures objectives évaluant l’attractivité économique du rapprochement interentreprises.
41Comme nous l’évoquions plus haut, un suivi continu des résultats de l’alliance constitue la base du pilotage de son développement et de sa réactivité. Ce faisant, outre sa contribution directe à l’efficacité de l’action collective, l’adaptabilité devrait être appréhendée en soi comme un critère de performance. Ce constat semble d’autant plus légitime que sans une perpétuelle révision des réalisations, les managers ne pourraient ni savoir si la coopération se dirige dans la bonne ou mauvaise direction ni ajuster voire reconsidérer leurs décisions en cas de besoin. Autrement dit, en cas d’évaluation rétroactive plutôt que concomitante aux avancements réalisés, la réaction des dirigeants face à une dégradation significative des résultats serait vaine car elle n’interviendrait que lorsqu’un point de non-retour serait atteint.
42Sur le plan théorique, notre recherche plaide non seulement pour une juxtaposition des mesures de performance respectivement suggérées par Meschi (2006), Arino (2003), Blanchot (2006), Luo (2008), Robson et al. (2008) et Ren et al. (2009), mais aussi pour leur complémentarité et leur interdépendance. Les diverses aspirations des parties prenantes (dirigeants, salariés, collaborateurs externes, etc.) étant le plus souvent interreliées, ne retenir que les indicateurs correspondant aux attentes officielles formalisées dans le contrat de rapprochement reviendrait par conséquent à évaluer partiellement, partialement et de manière biaisée la performance. Par exemple, se focaliser sur l’indicateur « pérennité de la relation » dans l’optique d’un partage sur le long terme des risques et des coûts d’un projet de développement commun à l’international ne pourrait être pertinent que s’il existe des objectifs stratégiques de compétitivité (création d’un avantage concurrentiel, apprentissage inter-organisationnel, etc.).
Conclusion
43Si les recherches sur la performance des alliances stratégiques foisonnent (Reus et Ritchie, 2004 ; Rahman, 2006), chercheurs et praticiens peinent néanmoins à ce jour à trouver des critères d’évaluation universels. Selon Das et Teng (2003), l’hétérogénéité et l’enchevêtrement des objectifs et des intérêts des parties prenantes ainsi qu’une littérature diverse et fragmentée sont à l’origine de l’absence d’indicateurs de performance standards, surtout pour les relations asymétriques. Par ce travail, nous ne prétendons pas apporter de panacée pour les chercheurs en Management International travaillant sur le sujet. Notre article révèle toutefois qu’une combinaison de mesures objectives et subjectives ainsi qu’un élargissement du spectre d’évaluation via une représentation dynamique et tridimensionnelle (collective, organisationnelle et individuelle) des finalités constituent les composantes centrales d’une approche intégrative des attentes des diverses parties prenantes dans les alliances asymétriques.
44Les résultats obtenus à l’issue de notre exploration du terrain corroborent le constat de Meschi (2006), à savoir que l’utilisation d’un seul critère et d’une seule perspective d’évaluation peut remettre en cause la réalité du constat d’échec ou de succès du partenariat. Le recours à l’approche intégrative et multiperspectives, ou du « paquet », paraît assez pragmatique car elle est à même de refléter simultanément la dynamique des aspirations et des attentes des dirigeants, des allianceurs, des salariés et des collaborateurs externes. Elle offre la possibilité d’évaluer de manière permanente l’efficacité et l’efficience du rapprochement, et ce bien qu’elle soit encombrante et délicate à opérationnaliser. Par ailleurs, non seulement elle permet de s’affranchir des oppositions et clivages conceptuels existant traditionnellement entre les paradigmes objectivistes et subjectivistes, mais elle rend aussi indissociable les indicateurs subjectifs (notamment l’évaluation du niveau de satisfaction des parties prenantes à l’alliance) et les paramètres objectifs (financiers et temporels) tout en remédiant à leurs insuffisances et biais respectifs.
45En dépit des apports de notre recherche, celle-ci se heurte à trois limites. La première d’entre elles a trait au risque de biais perceptuel du fait des mesures subjectives collectées lors de nos interviews. La seconde limite, d’ordre méthodologique, est relative au niveau réduit de fiabilité des interprétations avancées dans la mesure où le traitement et l’analyse des verbatims n’ont été effectués que par un seul chercheur. Quant à la troisième limite, elle porte sur les caractéristiques de notre échantillon. Celui-ci étant exclusivement constitué d’alliances asymétriques franco-tunisiennes, la portée des résultats obtenus est restreinte.
46Au final, le présent article suggère deux pistes de recherche. Pour prolonger ce travail, il serait intéressant de se pencher sur les déterminants-facteurs d’influence (tels que le contrôle, l’effet de la distance culturelle, la confiance et le pouvoir) de la performance des alliances asymétriques afin de présenter un cadre conceptuel global à la manière de Ren et al. (2009). De surcroît, l’interrogation directe de l’ensemble des acteurs impliqués dans l’alliance sur leurs critères d’évaluation de la performance offrirait davantage de pertinence aux résultats.
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Mots-clés éditeurs : mesures objectivistes, approche intégrative et multiperspectives, mesures subjectivistes, performance, alliances asymétriques
Date de mise en ligne : 25/12/2015.
https://doi.org/10.3917/qdm.153.0073