Notes
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[1]
La définition de Senior est très variée dans la littérature et dans le langage commun en général. Elle s’entend en fonction de la proximité de l’âge de la retraite, en fonction de l’ancienneté dans le travail, à un poste ou en fonction du degré d’expertise dans un domaine.
Dans cette article, on entendra par Senior la population âgée de 50 ans ou plus, en activité professionnelle. -
[2]
D’après l’enquête Santé et Vie Professionnelle après 50 ans réalisée en 2003.
1 – L’actualité des seniors...
1Face à une conjoncture économique délicate, à des tensions sociales grandissantes (précarité du marché de l’emploi), plusieurs pays réfléchissent à modifier les règles de fonctionnement du marché du travail et de l’emploi des salariés. Ainsi, les dispositifs législatifs et réglementaires de nombreux pays occidentaux évoluent en matière d’emploi, de types de contrats de travail et de gestion du temps de travail. Ainsi, il n’est pas rare que ces derniers adoptent de nouvelles lois destinées à augmenter le temps de la vie professionnelle (recul de l’âge de départ à la retraite principalement). D’autres pays plus timides ou plus prudents abordent ces questions dans le débat public autour de négociations sociales et envisagent, à terme, de remédier au financement des retraites, au chômage et au pouvoir d’achat en baisse par ce principe d’allongement de la vie professionnelle des salariés. C’est dans ce contexte que la loi française de réforme du financement de la sécurité sociale entrée en application en janvier 2010 a généré un bouleversement de la gestion des seniors [1]. En effet, elle oblige les organisations (publiques ou privées) à favoriser l’allongement de la vie professionnelle en s’engageant à travers des accords de branche ou d’entreprise. L’objectif annoncé est le retour à l’emploi des plus de 50 ans (fortement touchés par le chômage) et le maintien dans l’emploi des plus de 55 ans (souvent détenteurs d’une forte expertise). Dans une société où le départ à la retraite à 60 ans est considéré comme un acquis depuis l’après Seconde Guerre Mondiale, cette réforme représente un véritable défi et la question des seniors dans l’entreprise est devenue un enjeu important dans les organisations : enjeu économique, social et sociétal. En juin 2010, l’annonce du recul de l’âge légal de départ à la retraite a accéléré cette prise de conscience. Les organisations ne doivent plus seulement favoriser l’allongement de la vie professionnelle, mais maintenir dans l’emploi des salariés qui s’imaginaient partir à la retraite à 60 ans et se trouvent, désormais, devant le fait accompli.
2Pour faciliter cet allongement forcé et maintenir l’engagement professionnel de ces salariés, la prise en compte du bien-être au travail des seniors nous semble un élément clé et décisif. C’est pourquoi, nous nous intéresserons, dans un premier temps, à comprendre, à travers la littérature, les causes du désengagement professionnel des seniors et les solutions proposées. Dans ce cadre nous avons souhaité recueillir l’avis des intéressés au travers d’entretiens semi-directifs administrés auprès de 30 seniors issus de plus de 25 organisations différentes (toutes tailles et secteurs confondus). De cette façon, dans le cadre de notre synthèse nous nous attacherons à montrer au travers de verbatim comment les intéressés perçoivent leur situation au regard de chaque point développé. Les verbatim sont codés en fonction de la numérotation des entretiens auxquels ils font référence, soit de E1 à E30. Dans un second temps, nous présenterons les résultats d’une étude complémentaire, reposant sur un cas d’entreprise. Cette étude a été réalisée auprès de 20 seniors d’une entreprise sociale pour l’habitat confrontée directement à cette problématique d’allongement de la vie professionnelle (population salariée concernée à plus de 60 %). Cette étude a pour objectif de mettre en évidence les attentes des seniors dans ce contexte d’allongement de la vie professionnelle et le rôle des politiques de Gestion des Ressources Humaines dans la prise en compte de ces attentes.
3Ces deux analyses mettent en perspective les différents éléments destinés à faciliter l’allongement de la vie professionnelle et éviter le désengagement des seniors au travail. Ainsi, nous conclurons sur l’importance des mécanismes de reconnaissance des individus et de leur travail.
4Pourquoi les seniors se désengagent-ils professionnellement ?
5Le désengagement professionnel se définit par le fait, pour un salarié, de désirer quitter son emploi de manière effective (Denave, 2006). Dans le cas des seniors approchant de la retraite, le désengagement se traduit comme le désir de quitter le monde professionnel de manière définitive. Les différents travaux académiques semblent démontrer que l’origine du désengagement professionnel des seniors a des sources multiples (Christin, Moulette, 2008).
2 – Un senior désengagé est un senior qui risque de partir
6Défini comme « la perception et l’acceptation par l’individu du changement des engagements de sa vie » (Marbot, 2006), le sentiment de fin de vie professionnelle (SFVP) est à l’origine d’une volonté de se désengager du travail pour ceux qui le ressentent. Il émerge, entre autres, d’une perception de politiques d’entreprise discriminatoires à l’égard des seniors. Le SFVP se traduit par une intention de départ en retraite qui trouve sa source dans différentes variables : individuelles (âge, attitude vis-à-vis de la retraite…), liées au travail et à l’organisation (rétribution, gestion des carrières, conditions de travail…) ou environnementales (décision politiques, situation économique) (Christin, Colle, 2009). Si le poids de ces variables dans l’intention de départ fait l’objet de divergences, on observe néanmoins un consensus autour des variables liées à l’âge, la santé, la situation financière et l’attitude vis-à-vis de la retraite. Ce dernier point laisse entrevoir un rôle possible du travail et des organisations dans le désengagement professionnel des seniors. En effet, si la variable de l’avancée dans le temps influe sur l’âge et l’état de santé de manière inévitable, les conditions de travail, l’environnement organisationnel et sociétal peuvent accroître les effets de ces variables individuelles et agir sur l’intention de départ en retraite. De plus, bien que l’influence d’autres facteurs reste controversée, la variabilité des résultats des travaux de recherche en la matière ne permettent pas d’exclure l’influence d’autres éléments sur l’intention de départ. Au contraire, des facteurs liés au travail et à l’organisation en elle-même peuvent avoir un effet non négligeable sur le désengagement professionnel des seniors.
L’avis des intéressés…
« Il est un âge où on devrait quand même arrêter. » (E24).
« Moi avec ce qu’annonce le gouvernement, j’ai plutôt envie de partir. Rajoutez à cela la crise économique et je n’ai pas envie de travailler plus pour gagner moins. » (E26).
« Je veux pouvoir profiter de ma retraite, alors si on m’oblige à rester qui m’obligera à travailler ? » (E3).
« Il est loin le temps où l’on travaillait toute sa vie. Moi je trouve qu’à mon âge il est temps de laisser la main : j’ai vraiment envie de partir. » (E15).
« Avec notre nouvelle organisation, cela ne me donne pas du tout envie de rester dans cette boîte. » (E18).
« On vient d’adopter une nouvelle structure imposée par les racheteurs ; ce n’est vraiment plus de mon âge, il faut que je parte. » (E20).
2.1 – Questions de santé et de conditions de travail
7On observe des altérations de l’état de santé des salariés seniors qui ont un rapport plus ou moins direct avec leur activité professionnelle [2]. A partir de 50 ans, l’avancée en âge accroit la dégradation de l’organisme et la fréquence d’apparition de pathologie est de plus en plus importante au fil du temps. De nombreux quinquagénaires travaillent avec des problèmes de santé et on note une accélération de l’apparition des symptômes à partir de 56 ans (Molinié, 2006). Dans certains cas, le travail peut devenir un facteur aggravant, notamment à travers les travaux physiques et les facteurs psychosociaux. Les seniors sont ainsi fragilisés par les situations de travail (Vauclin, 2005) et la dégradation de leur état de santé favorise le désengagement professionnel.
8Lorsque le travail est vécu comme une activité pénible aussi bien physiquement que psychologiquement, l’attitude du salarié vis-à-vis de la retraite est très positive et génère l’intention de départ. Ainsi, l’absence de prise en compte du bien-être au travail des seniors s’avère difficilement compatible avec un allongement de la vie professionnelle.
L’avis des intéressés…
« Moi je trouve que nos conditions de travail se dégradent. Il faut voir le nombre d’arrêt maladie des « anciens » et ce n’est pas du chiqué. » (E19).
« Moi je suis déménageur et je pense mériter de ne plus porter de charges aussi lourdes. Après 50 ans je n’ai eu que des problèmes de dos et aujourd’hui j’en ai ras le bol. » (E11).
« J’en ai marre des réclamations clients ; j’ai l’âge où j’aimerai être un peu tranquille car cela m’empêche encore de dormir. C’est décidé je pars dès que je peux. » (E25).
2.2 – Questions de générations
9Les seniors s’inscrivent désormais comme les anciens (au sens de l’âge) dans les entreprises et ont connu les périodes de stabilité professionnelle ainsi qu’un important degré de protection sociale. Face à cette génération, la génération dite « Y » a évolué dans un environnement où les tâches s’effectuent de façon synchronique et se veut plus indépendante et autonome (Saba, 2009). Ces deux générations cohabitent au sein des organisations. Les seniors étaient reconnus antérieurement pour leur expertise et leur niveau de compétences mais se voient remis en question dans un nouveau cadre où la capacité professionnelle s’évalue sur le niveau de diplôme. Par ailleurs, la génération Y envisage plus la relation hiérarchique comme une collaboration plutôt qu’une situation d’autorité. Ceci la pousse à une « acceptation passive des contraintes » (Iazykoff, 2009). Les seniors ont ainsi l’impression de voir leurs acquis sociaux remis en cause et l’individualisme favorisé par rapport au collectivisme. Ce phénomène crée un sentiment d’être dépassé par rapport à leur propre système de référence qui n’est plus celui dans lequel ils exercent leur métier.
10Dans ce « choc des générations », deux aspects peuvent favoriser le désengagement professionnel. D’une part, l’accélération du rythme de travail imposé par la multiplicité des tâches peut affecter l’état de santé et le manque de reconnaissance faire ressentir l’avancée en âge. D’autre part, l’interaction avec les plus jeunes au travail peut s’avérer difficile et générer de l’insatisfaction qui pousse au désengagement professionnel.
L’avis des intéressés…
« Les jeunes aujourd’hui on leur déroule le tapis rouge. Alors dites-moi pourquoi j’aurai intérêt à rester ? » (E17).
« Nous autres on savait prendre notre temps. Aujourd’hui les jeunes c’est tout, tout de suite. Plus on va vite et mieux c’est ; c’est quoi ces nouvelles règles ? Il est vraiment temps que je parte si je ne veux pas y rester. » (E14).
« Les exigences d’aujourd’hui sont inacceptables. On est de plus en plus stressés et fatigués. On va bientôt exploser et ils verront que les vieux il faut y faire attention. » (E21).
2.3 – Questions de technologies
11L’outil informatique est arrivé au cours de la vie professionnelle des seniors en modifiant considérablement les techniques de travail et en prenant de plus en plus de place dans les réalisations au quotidien. Ils considèrent les TIC comme une source de modifications organisationnelles et stratégiques, génératrices de stress et de résistance au changement nécessitant une adaptation constante (Guilloux et al., 2009). Par ailleurs, les seniors estiment qu’ils maîtrisent moins bien les TIC que les jeunes et que cela remet en cause leurs compétences. En effet, ils expriment un besoin en formation important dans l’utilisation des TIC et perçoivent fortement les changements qu’elles apportent. Nous nuancerons néanmoins ce propos dans la mesure où la pénétration de l’informatique et d’internet dans la sphère personnelle tend à réduire l’aversion des seniors à l’égard de l’informatique. De plus, les salariés seniors en position hiérarchique élevée semblent également moins dépassés par l’informatique car leurs fonctions les y ont exposés de plus en plus tôt et régulièrement.
12Néanmoins, les TIC semblent être des facteurs de désengagement professionnel potentiels des seniors, essentiellement en comparaison avec les plus jeunes et au manque de formation accordée pour les maîtriser. Ce sentiment d’être dépassé et d’avancer en âge peut ainsi générer une intention de départ en retraite.
L’avis des intéressés…
« Nous a pas eu la chance de naitre avec l’ordinateur et tout le reste, alors c’est vrai quepar rapport aux jeunes qui arrivent on n’est dépassé… » (E8).
« Bien sûr que l’on s’y est mis à leurs logiciels mais là ils poussent un peu car ils veulent à nouveau en changer. Bref il faut que je parte avant l’arrivée de ce nouveau système informatique. » (E27).
2.4 – Questions de société
13Les seniors subissent un manque de considération et d’attention au sein des organisations. Le taux d’accès à la formation à partir de 45 ans diminue considérablement (Lainé, 2002). Les responsables semblent estimer que les seniors ne progressent plus et n’évoluent plus.
14Ce phénomène s’explique par des pratiques de départs anticipés à la retraite qui ont été favorisés jusqu’au milieu des années 2000. La croissance du chômage des plus de 50 ans a incité à l’exclusion des seniors en dehors de l’entreprise avec des conditions financières de départ favorisant une forte intention de départ (Marbot, Peretti, 2006).
15Ainsi, avec un taux de chômage élevé dans leur tranche d’âge, des possibilités d’accès à la formation limitées et l’impression de ne plus pouvoir évoluer, les seniors semblent mis à l’écart des dispositifs de gestion de carrière (Bellini, 2007). Cette stigmatisation peut être vécue comme démotivante, favorisant un sentiment d’avancée dans l’âge et une perception positive de la retraite.
L’avis des intéressés…
« Rien n’est fait au-delà de 45 ans pour notre carrière dans notre entreprise alors avec moi qui en est 57 vous pensez bien que je n’ai qu’une chose à faire c’est partir. » (E29).
2.5 – Questions de perceptions
16La perception de salariés vieillissants et fragiles incite les dirigeants à ne pas favoriser le travail des seniors (Bellini et al., 2006) en les considérant comme synonymes de rythme de travail ralenti, d’absentéisme et de maladies professionnelles. Par ailleurs, les représentations positives des seniors qui soulignent leur compétence, le savoir qu’ils détiennent et le vecteur de transmission qu’ils représentent sont encore trop peu valorisés, excepté dans les organisations où les processus d’apprentissage se fait essentiellement par l’expérience (Gautié, 2005).
17Cette perception négative, doublée d’un manque de reconnaissance, conduit les seniors à ressentir un sentiment d’iniquité qui s’exprime à travers une tendance à la comparaison en interne avec des salariés plus jeunes, en externe avec des seniors qui ne subissent pas la même mise à l’écart, et par rapport à eux-mêmes en remarquant que leur évolution salariale et professionnelle n’est plus aussi florissante qu’auparavant (Marbot, Peretti, 2006).
18Cette mise à l’écart des seniors fait l’objet d’une communication discriminante visible. Les préjugés et stéréotypes concernant les seniors se déclinent en une communication organisationnelle âgiste (Lagacé, 2008). Les pratiques organisationnelles discriminante sont verbalisées ce qui démultiplie le sentiment d’exclusion que peuvent ressentir les seniors. Ainsi, leur mécontentement s’accroit au travail en influant sur l’estime d’eux-mêmes et peut initier le désengagement professionnel.
L’avis des intéressés…
« Avant j’évoluais à périodes régulières. Depuis que j’ai 50 ans ce n’est plus la même chose et les promotions, elles vont aux jeunes. » (E30).
« A force de nous dire que les plus vieux sont nuls et toujours malades on va finir par y croire. Le manque de confiance en soi c’est quand même parfois les autres qui nous le font ressentir. » (E4).
3 – Les solutions existent-elles ?
19La richesse de la littérature sur le sujet des seniors propose de nombreuses pistes de réflexions pour favoriser l’allongement de la vie professionnelle. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs présentes dans les verbatim qui figurent dans les encadrés précédents : formation, tutorat, gestion de carrière adaptée, moyens de reconnaissance spécifiques, aménagement des emplois, etc.
20En premier lieu, les conditions de travail doivent faire l’objet d’une attention particulière à court terme pour diminuer au maximum la dégradation de l’état de santé. L’agence nationale (française) pour l’amélioration des conditions de travail préconise de favoriser des « postes doux » et d’assurer l’adaptation à l’évolution de l’environnement de travail. Dans une vision à long terme, il est suggéré la mise en place de gestion des âges pour la santé au travail (Loos-Baroin, 2006) afin d’assurer, dès le début de la vie professionnelle, la prise en compte des risques et ne plus se contenter de remplacer une main d’œuvre fragilisée par une main d’œuvre plus jeune.
21Sur le plan psychosocial, l’avancée dans l’âge fait naître un besoin plus important d’autonomie et de diversité des tâches (Marbot, Peretti, 2006). Dans la mesure du possible, le contenu du travail doit répondre à ces besoins et donner le sentiment aux seniors que leurs actions sont utiles à l’organisation. Ce point nécessite donc d’avoir une attention toute particulière sur les emplois mais également sur leur évolution possible (prospective des métiers). De plus, les seniors semblent chercher un équilibre plus important entre vie personnelle et vie professionnelle. Rendre plus flexible le temps de travail, notamment par l’aménagement du temps de travail, semble accroître l’efficacité professionnelle des seniors, et notamment la qualité de leur prestation de travail (Arrowsmith, 1997).
22Du point de vue de l’environnement social au travail, les organisations doivent veiller à valoriser les compétences des plus anciens pour assurer une reconnaissance des plus jeunes et faciliter la communication et la cohabitation intergénérationnelle. La mise en place de tutorat et de tutorat inversé semble une piste pertinente pour répondre à ce besoin (Vigeo, 2009). Cette méthode favorise également une position sociale à chacun au sein de l’organisation (Dufault, 2008), besoin ressenti par les seniors.
23Enfin, au niveau organisationnel, il est préconisé de « rajeunir » le regard sur les seniors. Sans faire de prosélytisme à l’égard des seniors, il paraît essentiel d’abandonner toute communication discriminante et tenir un discours unique sur l’ensemble des générations (Lagacé, 2008). Le rôle des managers, qui sont les moteurs au sein des équipes d’une nouvelle vision des seniors dans les organisations, est primordial (Marbot, Peretti, 2006). Ce changement passe également par une action sur l’employabilité des seniors en facilitant l’accès à la formation professionnelle et à la VAE (Duyck, Guérin, 2006).
24Pour mener à bien de nouvelles pratiques à l’égard des seniors et favoriser l’allongement de la vie professionnelle, les organisations doivent mettre en place les outils de gestion qui favorisent des cheminements de carrière limitant les plafonnements (Loos-Baroin, 2006). Ceci passe tout d’abord par les dispositifs d’évaluation et notamment à travers des entretiens annuels qui intègrent les seniors (Juban, 2013). D’une gestion spécifique des seniors à court terme, la politique de GRH doit s’orienter vers une gestion individualisée des carrières en fonction du potentiel de chacun (Parent du Châtelet, 2010). Les dernières années de la carrière doivent découler d’un espace de choix donné aux seniors à travers une GRH à la carte qui favoriserait le recul de l’intention de départ en retraite (Christin, Colle, 2009). Ceci n’est sans rappeler ce qui se faisait au niveau de la rémunération avec des plans « cafétéria » où il était possible à chaque catégorie de salariés d’opter vers une combinaison plutôt qu’une autre.
25La mise en évidence des facteurs de désengagement professionnel a permis de soulever des pistes de réflexions auxquelles les gestionnaire RH doivent prêter attention dans les réponses qu’ils formulent. Le champ d’action est large puisqu’il va de la prise en compte de la santé au travail et de la qualité de vie au travail à la modification des modes de pensée à propos des seniors en passant par des dispositifs de gestion des ressources humaines adaptés.
26Nous pouvons synthétiser les propos de cette première partie dans le tableau 1.
Synthèse des facteurs de désengagement des seniors
Synthèse des facteurs de désengagement des seniors
27Les politiques de GRH vont devoir s’atteler à rechercher des solutions pertinentes pour les fins de carrière en faisant des propositions en adéquation avec les souhaits des seniors pour favoriser leur bien-être au travail. Dans ce contexte, l’organisation doit prendre en compte les aspirations des seniors et comprendre ce qu’ils attendent de la politique ressources humaines pour favoriser les conditions de l’allongement de leur vie professionnelle. On peut donc s’interroger sur les perspectives à proposer aux seniors pour que les actions soient pertinentes à leurs yeux, favorisent leur bien-être et permettent d’éviter le désengagement professionnel.
4 – Les attentes des seniors en questions
28Afin d’identifier les attentes des seniors qui permettent de maintenir l’engagement professionnel, nous avons recueilli des données par entretien semi-directif auprès de 20 salariés seniors d’une PME française d’entreprise sociale pour l’habitat en adoptant une posture empathique (entretien codés PME1 à PME20). Ces répondants ont été sélectionnés pour leur âge supérieur à 50 ans dans une entreprise où une concertation autour de la seconde partie de carrière était mise en place. Cette méthodologie se place dans une démarche de compréhension visant à proposer des solutions du point de vue managérial, et du point de vue de la recherche, à une phase exploratoire à la mise en évidence des attentes des seniors face à l’allongement de la vie professionnelle (Baumard et al., 2008). L’opportunité de recherche s’est faite dans cette entreprise et, aux vues des objectifs énoncés précédemment, ce type d’échantillon est acceptable et pertinent (Royer, Zarlowski, 2008). Les entretiens d’une durée moyenne d’une heure ont été enregistrés et retranscrits avant d’être traités avec un logiciel d’analyse assistée par ordinateur (NVivo 8) et le tableau de fréquence des citations est fourni en annexe.
4.1 – Comment maintenir l’engagement au cours de la vie professionnelle ?
29En interrogeant les répondants, nous avons pu mettre en évidence un aspect quasi irrévocable de l’intention de départ en retraite. Une fois l’idée installée dans l’esprit du salarié, le retour en arrière ne semble pas possible, en particulier chez les salariés très proches de la retraite :« L’envie de partir à la retraite, c’est comme un virus, ça s’attrape et après on ne peut plus s’en débarrasser. » (E1-2-7-11-13-15-19-20).
30Une fois la décision prise, aucune action ne pourrait faire changer le salarié d’avis. Cette première remarque suggère l’importance d’éviter les facteurs de désengagement au plus tôt ; des mesures de prévention doivent donc être envisagées. Globalement, les seniors ont mis en évidence les facteurs de désengagement que nous avons soulevé dans la revue de littérature.
31Le désintérêt pour le travail semble imputable à la lassitude, au manque de polyvalence et d’évolution. Le contenu du poste apparait comme un point central dans l’intention de départ. Selon les personnes interrogées, une politique de formation permettant un parcours professionnel varié est un prérequis pour éviter le désengagement professionnel : « On a que des formations d’adaptation au poste de travail. Tant qu’on fera ça et qu’on nous bloque dans le même poste, on ne peut pas être enclin à vouloir prolonger sa carrière. » PME1.
32Il s’agit de travailler directement sur les facteurs organisationnels du désengagement en formant et en donnant de nouveaux challenges. Les répondants expliquent également que l’élargissement du contenu du poste et le gain d’autonomie tout au long de la carrière favorisent un intérêt pour le travail qui n’oriente pas vers la retraite. « Plus j’avais d’autonomie et plus j’étais motivé à continuer. » PME9 ; « Mon poste évoluait régulièrement et mes activités étaient très riches et variées ; c’est pourquoi j’ai tenu aussi longtemps. » PME17 ; « Il ne fallait pas me parler de retraite vous savez ; mon emploi était tellement riche. » PME8.
33Par ailleurs, l’environnement de travail à travers la reconnaissance de l’expérience et de la qualité de la prestation de travail, le climat social ou encore la diminution des contraintes organisationnelles, semble être un facteur influant sur la satisfaction au travail et sur l’intention de départ : « On est toujours contraint de regarder si on est à l’heure, si on a pas deux minutes de retard et c’est oppressant. Pour mon travail, c’est vraiment très contraignant. » PME4 ; « Franchement, on reconnait pas notre travail. » PME2.
34En somme, il semblerait que les facteurs de satisfaction au travail chez les seniors deviennent des prérequis nécessaires à l’intention de continuer de travailler.
4.2 – Quel outil pour connaitre les attentes des seniors ?
35L’outil mis en avant est l’entretien de seconde partie de carrière. Cet entretien a des objectifs propres que l’on synthétiser dans le tableau 3.
Composantes de l’entretien de seconde partie de carrière
Composantes de l’entretien de seconde partie de carrière
36Nous avons donc interrogé nos répondants à ce sujet. Nous pouvons tout d’abord noter que la perception de cet outil et son utilité perçue est fortement liée aux pratiques déjà existantes en termes d’entretiens annuels d’évaluation. Si l’entretien annuel d’évaluation est perçu comme n’étant suivi d’aucun effet, l’entretien de seconde partie de carrière subit a priori le même jugement : « Un entretien de seconde partie de carrière ? Il faudrait déjà que j’ai un entretien annuel tout court ! » PME6 ;« Oui ça pourrait être bien. Mais à condition qu’il y ait quelque chose derrière. Parce que si ça fait comme les entretiens annuels, c’est pas la peine. » PME8.
37Néanmoins, les personnes interrogées semblent considérer que l’entretien de seconde partie de carrière peut être une opportunité de s’exprimer sur leurs souhaits ou leurs difficultés, d’envisager la suite de la vie professionnelle et d’avoir des perspectives. L’entretien doit donc couvrir l’ensemble des éléments pouvant favoriser le désengagement professionnel, en particulier le bien-être et l’intérêt du travail, ouvrir sur de nouvelles perspectives à moyen terme et prévoir l’organisation de la fin de carrière à long terme. Nous noterons qu’il s’agit également d’une véritable occasion pour le gestionnaire RH de faire le point sur les compétences du salarié senior et d’envisager leur transfert.
38Enfin, il est important de ne pas imposer l’entretien de seconde partie de carrière car il semble être accueilli différemment selon l’état d’esprit du salarié vis-à-vis de sa retraite. En effet, le proposer à une personne qui n’avait pas songé à la retraite pourrait avoir un caractère stigmatisant qui ferait remarquer l’avancée en âge et déclencherait un processus de désengagement professionnel. Le caractère facultatif de cet entretien doit être privilégié mais les individus doivent néanmoins savoir qu’il existe et qu’ils peuvent solliciter.
4.3 – Comment faciliter l’allongement de la vie professionnelle ?
39Nous avons interrogé les salariés seniors sur leurs attentes face à l’allongement de la vie professionnelle imposé par le recul de l’âge légal de la retraite. Contrairement à ceux qui ne se sentent pas désengagés, leurs attentes ne sont pas sur l’élargissement du contenu du travail et les perspectives d’évolution mais sur les conditions de travail et l’organisation de la fin de carrière. On remarque que les salariés souhaitent une diminution des contraintes organisationnelles avec une plus grande liberté sur les horaires et un aménagement du temps de travail. Ils refusent cependant une perte de ressource et suggère d’effectuer le même temps de travail sur 4 jours afin de pouvoir bénéficier de temps personnel et s’orienter vers d’ autres centres d’intérêts que le travail. Par ailleurs, une augmentation de salaire ou une prime conséquente peut redonner un élan de motivation pour atteindre l’âge de la retraite. Mais avant tout, le premier vœu des répondants est de « boucler la boucle » du travail avant de partir définitivement. Ils souhaitent ne pas partir brutalement et assurer une continuité, notamment en passant la main sur leur poste par la formation de leurs successeurs sur de longues périodes. Le fait de ne pas être remplacé semble provoquer un sentiment d’inutilité et une envie immédiate de partir en retraite.
« Quand je pars, je veux savoir que mon travail sera pris par une personne qui sera capable de prendre le relai. »
41Les salariés souhaitent transmettre leurs compétences et voir valorisée leur expérience en formant les générations suivantes d’une part, mais également en se voyant confier des missions particulières nécessitant un degré d’expertise. Ils peuvent ainsi se retirer peu à peu de leur poste actuel et engager une transition en douceur vers la sortie.
« Je me verrais bien prendre quelqu’un que je forme et qui me remplace peu à peu pendant que je travaille sur des dossiers particuliers. Me détacher de l’opérationnel petit à petit. ».
4.4 – A la recherche de plus de reconnaissance où comment agir pour faciliter l’allongement de la vie professionnelle
43La variabilité du positionnement des seniors vis-à-vis de la retraite va obliger les gestionnaires RH à repérer les salariés qui sont dans une perspective de désengagement professionnel. Sans mettre en place de politique qui stigmatisent les seniors au risque de les désengager de façon précoce, il faudra être en mesure de savoir s’il est opportun d’envisager des actions pour limiter le désengagement. Pour ceux qui subissent l’allongement forcé de leur vie professionnelle, l’essentiel de l’action va consister à maintenir leur bien-être au travail et s’assurer que ces années supplémentaires ne soient pas vécues comme une souffrance mais comme une véritable transition entre vie et retraite.
44L’entretien de seconde partie de carrière semble être un outil pertinent pour pouvoir détecter l’intention de départ et les leviers propres à chacun sur lesquels agir. La difficulté principale sera de déterminer à quel moment le proposer pour ne pas stigmatiser les salariés. Le rôle des managers de proximité est de nouveau au cœur de ce processus dans la mesure où c’est leur écoute et leur vigilance qui permettre de faire remonter au gestionnaire RH les signes du désengagement professionnel.
45Les informations fournies doivent permettre d’agir et d’adapter le contenu du travail, le mode de management et l’organisation aux seniors afin de permettre l’allongement de la vie professionnelle.
Conclusion
46Nos études ont ainsi confirmé les facteurs de désengagement professionnel et leurs effets sur l’intention de départ en retraite. Si notre échantillon se limite au cas d’une organisation, il constitue cependant une illustration générique d’une situation plus globale. Nous avons pu mettre en évidence que l’allongement de la vie professionnelle est une démarche qui doit nécessairement s’inscrire sur le long terme. Les organisations et les gestionnaires des ressources humaines-doivent pouvoir repérer l’intention de départ et pouvoir proposer des solutions d’aménagement et d’accompagnement. Ainsi, l’entretien de seconde partie de carrière nous parait être un outil pertinent qui doit cependant être perçu comme utile et donner suite à l’action.
47Favoriser l’allongement de la vie professionnelle est un important défi pour la GRH. Il implique de prendre en compte des facteurs multiples avec une grande variabilité. Le champ d’action est large et devra s’attacher à être le plus pertinent possible pour assurer une satisfaction et un bien-être au travail en prenant en compte les attentes d’une population qui a longtemps été mise à l’écart.
Fréquence de citation par thèmes
Fréquence de citation par thèmes
Bibliographie
Bibliographie
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- Christin J., Colle R. (2009), Partir ou rester : le sentiment d’autodétermination dans la décision de départ à la retraite des quinquas, Revue Management et avenir, n°25, p. 79-97.
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- Denave S. (2006), De l’imprévisibilité dans les ruptures professionnelles, XIIIe journées d’études sur les données longitudinales dans l’analyse du marché du travail, Aix en Provence, 1-2 juin.
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Mots-clés éditeurs : entretiens de seconde partie de carrière, seniors, allongement de la vie professionnelle
Mise en ligne 26/12/2014
https://doi.org/10.3917/qdm.142.0047Notes
-
[1]
La définition de Senior est très variée dans la littérature et dans le langage commun en général. Elle s’entend en fonction de la proximité de l’âge de la retraite, en fonction de l’ancienneté dans le travail, à un poste ou en fonction du degré d’expertise dans un domaine.
Dans cette article, on entendra par Senior la population âgée de 50 ans ou plus, en activité professionnelle. -
[2]
D’après l’enquête Santé et Vie Professionnelle après 50 ans réalisée en 2003.