Notes
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[1]
Dans la définition de la Jeune Entreprise Innovante du Code des Impôts, jeune signifie moins de huit ans (Article 44 sexies-0 A du Code Général des Impôts). Source : Code Général des Impôts, www.legifrance.gouv.fr.
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[2]
Selon Rosas et Kane (2012), le facteur de stress (FS) de la conversion de J-dimensions à deux dimensions enregistré dans plus de 60 études menées au cours des dix dernière années se situe entre : 0,27 FS 0,29, dans un intervalle de confiance de 95 %.
Introduction
1Cet article s’intéresse aux jeunes entreprises [1] en phase de développement. L’objectif de la recherche est l’identification des facteurs structurants d’un développement pérenne des jeunes entreprises. Plus spécifiquement, il s’agit de faire émerger, à partir d’une recherche empirique, le cadre conceptuel partagé entre des entrepreneurs et leurs accompagnants au sein d’un dispositif d’accompagnement porté par une pépinière.
2Cette recherche présente une problématique d’intérêt tant sur les plans conceptuels qu’appliqués. Au niveau managérial, les jeunes entreprises connaissent des formes de croissance variées mais éprouvent toutes le besoin de mieux maîtriser leur développement dans un environnement marqué par une forte incertitude. Au plan conceptuel, la question des facteurs structurant de ce développement prend ici toute son importance, afin d’en comprendre les principaux mécanismes directeurs.
3La question de recherche traitée dans cet article est la suivante : quels sont les facteurs structurants qui favorisent le développement pérenne de la jeune entreprise, de la perspective des entrepreneurs et accompagnants participants à un dispositif d’accompagnement ? La réponse à cette question peut s’avérer extrêmement sensible pour les jeunes entreprises dans la mesure où leur développement est aussi bien concerné par l’activité de leur dirigeant que par celle des accompagnants. La perspective systémique employée dans l’étude de la problématique permet de comprendre comment et pourquoi les facteurs structurants sont interreliés. Le développement de la jeune entreprise est ainsi à considérer sous l’angle de la pérennisation sociale, dans la mesure où il dépend du degré de consensus que dirigeants et accompagnants peuvent obtenir au sujet des actions à mettre en œuvre pour le favoriser. En outre, cet article s’interroge sur quelle pourrait être la priorisation des facteurs structurants en termes d’importance et de faisabilité.
4L’article s’articule autour de trois principales parties. La première partie concerne le cadre théorique mobilisé pour cette recherche au sujet du développement de la jeune entreprise.
5La partie 2 présente la méthode de recherche employée dans ce travail. En partie 3, sont présentés les résultats et les enseignements managériaux à tirer des analyses. Enfin, la dernière partie présente une discussion des principaux résultats et la conclusion qui met en relief les apports, limites et pistes de recherches futures.
1 – Cadre théorique du développement pérenne de la jeune entreprise
6La section 1.1 vise tout d’abord à expliciter la notion de développement dans le champ de l’entrepreneuriat. Elle propose également une réflexion sur la question de la pérennité de la jeune entreprise et l’expression « développement pérenne ». La section 1.2 traite de la distinction entre les approches configurationnelles et processuelles du développement entrepreneurial. Enfin, dans la section 1.3, l’orientation de la recherche sur la base de la revue de la littérature réalisée est exposée.
1.1 – La notion de développement dans le champ de l’entrepreneuriat
7Dans le domaine entrepreneurial, le développement peut tout d’abord être considéré comme une étape dans la vie de l’organisation, synonyme de la phase de croissance. Cette dernière n’est pas exempte de difficultés pour la jeune entreprise et peut menacer sa pérennité (COACTIS, 2011). De ce fait, cette étape nécessiterait une attention particulière et justifierait la mise en place d’un dispositif d’accompagnement dédié, ou encore la réalisation d’une démarche stratégique spécifique afin de s’assurer de la cohérence des choix de l’entreprise, dans une phase où prêteurs et investisseurs attendent un plan d’affaires bien défini (Hoy, 2006). D’ailleurs, la notion de cycle de vie peut également être appréhendée sous l’angle des différentes crises de croissance que l’entreprise peut connaître. Ainsi, selon Greiner (1972), le passage d’une phase de croissance à une autre dépend, dans l’entreprise, de la survenance de crises. Par exemple, le premier stade de développement de l’entreprise est soutenu par les activités créatives. Le passage au stade de développement suivant, soutenu par la direction, pourra se faire suite à une première crise de croissance autour de la question du leadership, en supposant que cette crise puisse être dépassée par les acteurs dans l’entreprise.
8Il est ensuite possible de considérer le développement ou la croissance de l’entreprise comme un état (ou comme le résultat d’un processus) qui donne souvent lieu à une estimation qualitative voire à une mesure quantifiée. Par exemple, l’étude COACTIS (2011) permet d’identifier cinq situations : les entreprises en décroissance, atones, en croissance, en forte croissance et en hypercroissance volatile. Pour réaliser cette mesure quantifiée de la croissance, un indicateur doit être retenu. Il s’agit le plus souvent de l’évolution du chiffre d’affaires, du nombre d’employés, du profit, de la rentabilité économique ou encore financière. Selon Achtenhagen et al. (2010), cette approche conceptualisée de la croissance serait davantage le fait de la communauté scientifique, alors que les entrepreneurs considéreraient la croissance comme un phénomène plus complexe, fortement relié à la question de la structuration du développement en interne (par exemple : accroissement de la gamme de produits ou services, amélioration de la qualité, développement des ressources et renforcement organisationnel tendant vers plus d’efficience).
9Enfin, une troisième approche, adoptée dans les travaux proposant une approche systémique du développement entrepreneurial (Witmeur, 2008), et qui est retenue dans la recherche réalisée, consiste à considérer le développement comme un processus. En ce sens, les expressions « mode de développement » ou « mode de croissance », voire « croissance », possèdent un sens très proche.
10L’expression « développement pérenne » est largement utilisée dans ce travail et doit être comprise comme un développement source de pérennité pour l’entreprise. Le concept de pérennité conduit à une interrogation. En effet, l’approche évolutionniste ou celle fondée sur le cycle de vie (Van de Ven et Poole, 1995) rappellent le rôle de l’environnement dans la sélection des organisations les plus aptes, ou encore l’inéluctable disparition des organisations, ce qui pose la question de l’horizon temporel sur lequel juger de la pérennité d’une entreprise. Et, ce, d’autant plus que les différences sectorielles sont importantes. Des notions connexes à la pérennité, telles que le succès, ou encore la performance de l’entreprise, si elles semblent plus largement utilisées dans la littérature en entrepreneuriat (alors que la notion de pérennité ou « sustainability » qui actualise le terme « continued existence » est centrale dans la littérature en Stratégie) posent de nouvelles questions, relatives en particulier aux difficultés d’évaluation de celles-ci. D’ailleurs, l’abondante littérature visant à identifier les facteurs de succès des jeunes entreprises, notamment sur la base de modélisations (Van Gelderen et al., 2006), laisse souvent de côté la question de la définition du succès ou de la performance. Notons de plus que la pérennité ne constitue pas nécessairement un indicateur pertinent du succès d’une entreprise, une valorisation des investissements consentis via une revente rapide de son affaire pouvant au contraire représenter un succès pour un entrepreneur.
1.2 – Approches configurationnelle et processuelle du développement entrepreneurial
11Parmi les travaux proposant une vision systémique du développement de la jeune entreprise, il est possible de distinguer deux approches conceptuelles (Witmeur, 2008). La première repose sur l’idée d’une configuration constituée des différents composants du système dans lequel s’inscrit le développement entrepreneurial, alors que la seconde s’attache à analyser le(s) processus évolutif(s) du système.
12Les travaux qui s’inscrivent dans la première approche proposent d’identifier les composants du système. Witmeur (2008) rappelle qu’il ne s’agit pas d’identifier des variables indépendantes et dépendantes, puisque toutes les variables interagissent au cours du temps. Cette approche configurationnelle, issue des travaux de Miller et Friesen (1978, 1980, 1984), est fondée sur la notion de cohérence (« fit ») entre les éléments constitutifs du système et conduit à l’identification de combinaisons pertinentes, souvent peu nombreuses, sources de performance pour l’organisation. Cette approche correspond à une vision statique ou synchronique de l’organisation et de son système de fonctionnement. Witmeur (2008) retient cinq travaux récents emblématiques de l’approche configurationnelle (Bruyat, 1993 ; Klofsten, 1998 ; Davidsson et Klofsten, 2003 ; Sammut, 1998 - sur la base des travaux de Marchesnay (1993), Sahlman (1996), Timmons (1999)) et décrit notamment, pour chacun d’entre eux, le système retenu, qui peut donner lieu à des appellations diverses. A titre d’exemple, les travaux de Sammut (1998, 2001) retiennent un ensemble de cinq facteurs interreliés, constituant le « système de gestion » : l’entrepreneur, l’organisation, l’activité, l’environnement et les ressources financières. Pour Bruyat (1993, 2001, p. 28), les projets entrepreneuriaux se développent dans un système, dénommé « configuration stratégique instantanée perçue (CSIP) », composé de trois facettes en cohérence : les aspirations de l’entrepreneur, les compétences et ressources perçues, et, enfin, des possibilités de l’environnement perçues.
13Les travaux fondés sur une approche processuelle du développement entrepreneurial, développée notamment par Van de Ven et Poole (1995), reposent sur une vision dynamique ou encore diachronique du système. Ces auteurs établissent une typologie des théories du développement basée sur quatre idéaux-types : les processus évolutionniste, de type cycle de vie, dialectique et téléologique. Ces différents types de processus peuvent sous-tendre le développement entrepreneurial. L’approche par les ressources en management stratégique, qui identifie des séquences d’acquisition, d’agencement et d’organisation des ressources, correspond ainsi à un processus téléologique.
14Plusieurs travaux en entrepreneuriat, notamment Bruyat (1993), Bruyat et Julien (2000) et Fayolle (2003), rappellent l’intérêt de ces deux approches, configurationnelle et processuelle, pour analyser le fonctionnement du système de développement entrepreneurial.
1.3 – Positionnement de la recherche
15Cette recherche s’intéresse aux « jeunes » entreprises, que l’on peut donc positionner dans la phase de croissance ou de développement de leur activité, par opposition, par exemple, aux entreprises en phase de lancement, fréquemment étudiées dans la littérature en entrepreneuriat. Néanmoins, cette focalisation sur ce type d’entreprises n’implique pas, dans ce travail, un emploi des termes « développement » et « croissance » pour désigner exclusivement une étape de la vie de l’entreprise ; plus largement, il est ici question d’analyser un mode de développement. La recherche présentée ici est à relier aux travaux reposant sur une approche systémique du développement entrepreneurial, dans le sens où il est proposé d’étudier le système dans lequel s’inscrit le développement de la jeune entreprise, à la fois en identifiant les éléments constitutifs de ce système et en analysant les processus à l’œuvre dans le système. Ainsi, l’interprétation des résultats obtenus dans cette recherche s’efforce de combiner les approches configurationnelle et processuelle du développement entrepreneurial.
2 – Méthode de recherche
16L’approche de recherche employée dans le cadre de cette étude est la cartographie de concepts introduite par Trochim (1985). Dans le contexte de cet article, la cartographie de concepts est employée comme méthode de recherche mixte pour mener une étude exploratoire. Le positionnement épistémologique de cette recherche peut s’apparenter à celui de l’abduction (Charreire et Durieux, 2003), mais de manière partielle, et intervient en amont d’un raisonnement inductif ou hypothético-déductif.
17La méthode de la cartographie de concept appliquée dans cette recherche comprend six étapes : la préparation de la cartographie, la génération des idées, la structuration des énoncés recueillis, l’analyse statistique de la cartographie de concepts, l’interprétation des cartes de concepts, son utilisation auprès des participants du terrain de la recherche.
18Les profils des participants à la recherche étaient les suivants : d’une part, il s’agissait de dirigeants de jeunes TPE-PME en phase de développement, entre un à douze ans d’existence et bénéficiant du dispositif d’accompagnement porté par la pépinière associée au projet de recherche, d’autre part, il s’agissait de membres institutionnels (responsables de la pépinière, animateurs et partenaires du dispositif, membres du comité de pilotage du dispositif, élus locaux, financeurs, par exemple) d’un territoire en phase de mutation industrielle.
19Les entreprises étudiées sont membres d’un dispositif d’accompagnement visant à les aider à surmonter les exigences propres à cette phase. La notion de pérennité est apparue comme porteuse de sens pour les acteurs de terrain, ce qui a contribué à la retenir, car le choix d’une expression permettant de susciter l’intérêt du terrain s’avère fondamental pour la partie empirique de cette recherche, fondée sur une démarche nécessitant une implication forte des participants, entrepreneurs et accompagnants.
20Environ vingt participants, lors d’une discussion de groupe, ont proposé des énoncés visant à compléter la phrase de focus suivante : « Une action spécifique à entreprendre par les TPE et PME de notre territoire au cours des cinq prochaines années pour assurer leur pérennité est… ». La conversation entretenue entre les participants durant la discussion de groupe a fait émerger les idées, les avis et les opinions. Ces directions qualitatives ont subséquemment été formalisées dans un questionnaire permettant de mesurer les dimensions quantitatives au sujet de ces mêmes énoncés. Suivant la discussion de groupe, un questionnaire de 121 énoncés a été élaboré permettant de compléter la phrase de focus.
21Les participants ont été invités à compléter trois tâches de manière individuelle. La première tâche consiste à répondre à un questionnaire visant à recueillir des informations sociodémographiques de nature principalement professionnelle. La seconde tâche des participants consiste à classer les énoncés retenus par thème au moyen d’un jeu de cartes des 121 énoncés du questionnaire, où chaque énoncé du questionnaire et son identifiant numérique sont imprimés sur une carte individuellement. Les participants doivent former des piles d’énoncés qu’ils estiment ou perçoivent liés entre eux et formuler un titre pour décrire le thème choisi. La troisième tâche consiste à coter chaque énoncé du questionnaire pour son importance et sa faisabilité relatives sur une échelle de Likert de 1 à 5. Trente participants ont réalisé les tâches de la structuration des énoncés : 15 dirigeants de TPE-PME et 15 accompagnants.
22L’objectif de l’analyse des données est de générer une carte de concepts représentative du cadre conceptuel partagé par les participants à l’étude. La carte de concept est générée par des techniques statistiques permettant de représenter les points de la carte dans un plan bidimensionnel (voir Kruskal et Wish (1978) et Davidson (1983) pour des détails au sujet de ces algorithmes). Le facteur de stress (FS) obtenu est de 0,256, ce qui est très acceptable. [2]
23Un examen des énoncés, lorsqu’agglomérés par groupement, permet de déterminer le nombre de groupements pouvant servir à interpréter le cadre conceptuel partagé des participants. Cette détermination s’effectue de manière qualitative dans la mesure où l’on doit constater la proximité des énoncés lorsque placés sur un même groupement. En appliquant cette procédure, les membres de l’équipe de recherche sont parvenus de manière indépendante à une carte de concepts de neuf groupements d’énoncés.
24Les analyses de cartes de concepts préliminaires ont été soumises à certains participants afin de recueillir des commentaires sur les résultats obtenus et de trianguler les résultats pour fin de cohérence interne et externe. Ces participants étaient des dirigeants d’entreprises bénéficiant du dispositif d’accompagnement et des accompagnants œuvrant auprès d’elles. La carte de concepts résultante est réinterprétée dans la partie 3, afin d’en tirer des constats quant aux facteurs structurants d’un développement pérenne pour les jeunes entreprises.
3 – Résultats de la cartographie des concepts du développement pérenne de la jeune entreprise
25L’analyse des résultats est présentée en trois temps. Dans la section 3.1, la carte de concepts résultante, à neuf groupements, est présentée. Dans la section 3.2, les leviers d’action pour le développement pérenne de la jeune entreprise et une analyse des axes structurants sont proposés. Dans la section 3.3, les priorisations des groupements sont détaillées dans une analyse de l’importance et de la faisabilité des actions.
3.1 – Carte de concepts
26La carte de concepts des neuf groupements résultants est introduite à la Figure 1. Les numéros d’identifiants de chacun des 121 énoncés que l’on retrouve sur les neuf groupements sont répartis sur la carte de concepts. Il s’agit d’une carte des groupements d’énoncés des actions à entreprendre suivant la phrase de focus. Cette carte de concepts représente le cadre conceptuel partagé par les participants à l’étude. La disposition des groupements montre les concepts les plus près les uns des autres conceptuellement et également, les concepts plus éloignés les uns des autres. A titre d’exemple, le groupement « Management des ressources humaines » est à l’opposé, dans la carte, du groupement « Stratégie marketing et développement commercial ». Par contraste, le groupement « Management des ressources humaines » est limitrophe au groupement « Rôle du leader ». Plus un groupement est proche d’un autre, plus il représente un groupement d’actions rapproché conceptuellement de ce dernier. Un autre exemple de groupement d’actions rapproché serait la « Gestion des risques liés au marché » situé entre « Analyse des processus et implémentation stratégique » et « Connaissance du marché ».
Carte de concepts des groupements
Carte de concepts des groupements
27Les résultats de la recherche permettent d’identifier neuf groupements, composés des actions managériales suggérées par les participants à l’étude. Cette première interprétation correspond à une approche configurationnelle du développement entrepreneurial, chaque groupement, compris comme un facteur structurant du développement pérenne de la jeune entreprise, correspondant à un composant du système.
28Le Tableau 2 décrit, pour chaque groupement, les neuf thèmes identifiés par les participants à l’étude. Pour chaque groupement, un descriptif des principaux thèmes et des exemples d’énoncés d’actions sont développés. Le Tableau 2 rapporte également l’indice d’ancrage et de chevauchement (IAC) obtenu des analyses.
29Les résultats présentés au Tableau 2 permettent de décrire globalement le cadre conceptuel partagé des participants. Un enseignement est que les participants ont classé par thèmes les actions du développement pérenne contextualisé comme découlant de la maîtrise globale d’un ensemble de facteurs structurants émergeant comme composants d’un système.
30L’interprétation des IAC est la suivante : plus la cote du groupement est faible (ex. : près de 0, échelle 0 à 1) plus ce groupement constitue une ancre (au sens statistique et psychométrique) et, donc, plus les participants ont classé fréquemment dans une même pile les énoncés qui composent ce groupement. Ce groupement représente une ancre des énoncés sur ce thème, c’est-à-dire qu’il est plus « défini » conceptuellement par le groupe de participants. Plus la cote est élevée (ex. : près de 1, échelle de 0 à 1), plus les participants ont dispersé les énoncés de ces groupements dans de nombreuses piles et, donc, les énoncés du groupement se chevauchent plus, donc sont moins concentrés sur ce groupement. Ce groupement serait donc moins bien défini et plus « flou » conceptuellement.
31Les résultats du Tableau 2 peuvent s’interpréter de la manière suivante. Parmi les neuf groupements identifiés, sept groupements présentent un IAC relativement élevé (supérieur à 0,5) ce qui signifie que les thèmes de ces groupements représentent des concepts relativement moins bien ancrés, ou plus chevauchés. Donc, les thèmes de ces sept groupements s’interprètent comme étant relativement plus fréquemment associées avec les thèmes d’autres groupements. Pour illustrer, le groupement « Gestion financière » révèle un IAC de 0,77. Cet indice, relativement élevé, signifie que les répondants ont souvent classé les énoncés de ce groupement avec ceux d’autres groupements. La raison pourrait être la suivante : les questions financières peuvent s’analyser comme sous-jacentes à de nombreuses décisions concernant le développement de l’entreprise et, par conséquent, plus souvent reliées aux autres facteurs structurants.
Facteurs structurants du développement pérenne de la jeune entreprise
Facteurs structurants du développement pérenne de la jeune entreprise
32Par contraste, le groupement « Management des ressources humaines » présente un IAC de 0,17. Cet indice, relativement faible, signifie que les participants ont fréquemment classé les énoncés de ce groupement dans une même pile. Le thème du groupement s’analyse comme bien ancré dans le sens où les énoncés d’actions de ce groupement ont été relativement moins souvent associés avec ceux d’autres groupements.
3.2 – Identification des leviers d’action pour le développement pérenne de la jeune entreprise
33Il est ensuite possible d’analyser les liens entre différents groupements et de faire apparaître une relation dynamique entre les composants du système, en adoptant une approche processuelle du développement entrepreneurial. Des leviers d’action pour le développement pérenne de la jeune entreprise sont ainsi identifiés, basés sur l’existence d’interactions au sein du système à l’étude.
34Ainsi, les résultats de la Figure 2 permettent-ils d’identifier quatre ensembles de groupements sur la carte de concepts. Le premier ensemble de groupements, « Accéder aux ressources informationnelles, relationnelles et financières », peut s’interpréter comme relatif aux stratégies déployées par les jeunes entreprises vis-à-vis de leur environnement institutionnel afin d’acquérir les ressources nécessaires à leur développement. Ce premier ensemble est composé des groupements « Soutien public et insertion dans les réseaux » et « Gestion financière ».
Les leviers du développement pérenne de la jeune entreprise
Les leviers du développement pérenne de la jeune entreprise
35Le deuxième ensemble de groupements, « Gérer les risques et créer de la valeur », concerne la dimension concurrentielle de l’environnement et la manière dont l’organisation parvient à faire face aux exigences qui en découlent. Cet ensemble est composé des groupements « Gestion des risques liés au marché », « Connaissance du marché » et « Stratégie marketing et développement commercial ».
36Le troisième ensemble de groupements, « Combiner et agencer les ressources », associe les groupements « Pilotage de l’entreprise » et « Analyse des processus et implémentation stratégique ». Ce troisième ensemble occupe donc une position intermédiaire entre les deux premiers, relatifs aux stratégies à déployer envers les environnements institutionnel et concurrentiel, et le quatrième, centré sur les ressources organisées.
37Le quatrième ensemble de groupements, « Développer les ressources humaines et organisationnelles », est en effet relatif aux ressources captées et organisées, « l’organisation », au sens propre du terme. Deux groupements le constituent : « Rôle du leader », qui occupe une place intermédiaire avec l’ensemble précédent, et « Management des ressources humaines ».
38Ces ensembles de groupements constituent les étapes clés du processus de gestion stratégique des ressources, tel que défini classiquement dans la littérature en stratégie d’entreprise (Wernerfelt, 1984 ; Barney, 1991 ; Peteraf, 1993 ; Black et Boal, 1994). Une interprétation possible des résultats consiste donc à analyser l’action managériale visant au développement pérenne de la jeune entreprise en termes de processus de gestion stratégique des ressources.
39Cette analyse conduit à l’enseignement suivant : la pérennisation de la jeune entreprise est sous-tendue par un processus récursif de développement, ouvert sur l’environnement, reposant sur l’accès aux ressources, leur développement, leur combinaison, afin de créer de la valeur tout en gérant les risques. Ce processus est récursif dans le sens où, par exemple, les actions concernant l’acquisition de nouvelles ressources auront des impacts sur les possibilités de développement et de combinaisons nouvelles de celles-ci et, par conséquent, sur la capacité de l’entreprise à créer une valeur nouvelle sur le marché.
40La carte de la Figure 2 peut également être interprétée en identifiant deux axes structurants. Le premier axe traverse la carte selon une direction « sud-ouest – nord-est ». Il oppose les facteurs du développement pérenne liés à l’environnement à ceux liés à l’organisation. Du côté de l’environnement, apparaissent ainsi des groupements relatifs aux éléments institutionnels, financiers et de marché. Le marché, notamment, donne lieu à une description via trois groupements, ce qui témoigne de l’attention que les acteurs portent à cette dimension. Du côté de l’organisation apparaissent les groupements relatifs aux ressources humaines et au leader. Les aspects stratégiques occupent une position intermédiaire entre l’environnement et l’organisation.
41Le second axe traverse la carte selon une direction « nord-ouest – sud-est ». Il oppose les facteurs du développement pérenne liés aux ressources à ceux relatifs au projet. Parmi les premiers, il est possible de distinguer les groupements relatifs aux soutiens institutionnels, ou encore aux ressources humaines, par exemple. Le projet est pour sa part abordé essentiellement dans sa composante « conduite », plus que « contenu », via les questions de gestion des risques de marché, d’analyse des processus et de mise en œuvre de la stratégie, ou encore du pilotage de l’entreprise.
42Le Tableau 3 récapitule les leviers du développement pérenne de la jeune entreprise, sous la forme des ensembles de groupements précédemment décrits, et rappelle les principales recommandations managériales identifiées par les dirigeants et accompagnants participants
Leviers d’action du développement pérenne de la jeune entreprise
Leviers d’action du développement pérenne de la jeune entreprise
3.3 – Priorisation des groupements d’action : analyse de l’importance et de la faisabilité
43Cette section présente une priorisation des facteurs structurants du développement pérenne en terme « d’importance » et de « faisabilité », selon les résultats obtenus des participants. Il est possible de représenter cette priorisation par le schéma de correspondance montré dans la Figure 3. La cote entre parenthèses indique la moyenne obtenue pour chaque groupement sur l’échelle de Likert de 1 à 5, du moins au plus important, ou faisable, respectivement. Globalement, les résultats montrent que les groupements d’actions cotés comme les plus importants sont également ceux qui apparaissent les plus faisables. Il existe peu de croisements « significatifs » entre les deux dimensions du schéma. Les classements des énoncés d’action des deux dimensions, soit importance et faisabilité, sont fortement corrélés (r = 0,92, p-value < 0,01).
Schéma de correspondance : importance versus faisabilité
Schéma de correspondance : importance versus faisabilité
44Pour les dirigeants et les accompagnants, la priorisation des actions est des plus importantes dans une perspective managériale. La matrice deux-par-deux de la Figure 4 montre les zones d’actions relativement importantes et faisables à privilégier dans le cadre d’un plan d’action coordonné.
Zones d’action des groupements : importance versus faisabilité
Zones d’action des groupements : importance versus faisabilité
45Dans la zone d’action de relative haute importance et faisabilité, émergent principalement les leviers « Développer les ressources humaines et organisationnelles » (groupements « Management des ressources humaines », « Rôle du leader ») et « Combiner et agencer les ressources » (groupements « Pilotage de l’entreprise », « Analyse des processus et implémentation stratégique »). Les résultats montrés dans cette zone d’action semblent être en adéquation avec les conclusions de Bruyat (1993, 2001) au sujet des facettes de configurations stratégiques perçues, à savoir : les aspirations et les compétences de l’entrepreneur. En effet, à l’instar des travaux de Achtenhagen et al. (2010), les résultats obtenus dans cette recherche montrent que le développement du projet entrepreneurial, de la perspective des entrepreneurs, est surtout une question de structuration interne.
46Dans la zone d’action de relative moindre importance et faisabilité, apparaissent les leviers « Gérer les risques et créer de la valeur » (groupements « Gestion des risques liés au marché », « Stratégie marketing et développement commercial ») et « Accéder aux ressources informationnelles, relationnelles et financières » (groupements « Gestion financière », « Soutien public et insertion dans les réseaux »). À ce niveau, il est possible de faire le lien avec la facette des possibilités de l’environnement au sens de Bruyat (1993, 2001).
47Concernant le développement pérenne de la jeune entreprise, les actions à entreprendre perçues comme prioritaires et réalisables sont relativement plus orientées vers le développement opérationnel en interne, que vers les actions plus stratégiques de long terme liées à l’environnement ; à l’exception du groupement « Connaissance du marché » qui paraît être d’orientation plus tactique, visant à moyen terme à « Apprendre à connaître son marché » no 32), situé dans la zone d’action de relative haute importance et faisabilité.
Discussion et conclusion
48Cet article propose une étude empirique sur de jeunes entreprises en développement participant à un dispositif d’accompagnement porté par une pépinière. L’objectif était de faire émerger le cadre conceptuel partagé entre dirigeants et accompagnants au sujet des priorités d’actions managériales à mettre en œuvre pour favoriser le développement pérenne de l’entreprise.
49Cet article apporte quatre contributions principales. Premièrement, la cartographie de concepts réalisée permet d’identifier neuf groupes de facteurs structurants du développement pérenne de la jeune entreprise. Ces facteurs apparaissent comme étant en forte interrelation, ce qui reflète la vision systémique des participants concernant la question du développement entrepreneurial.
50Deuxièmement, les facteurs structurants identifiés peuvent s’interpréter dans une approche configurationnelle du développement entrepreneurial (Sammut, 2001, Witmeur, 2008) en tant que composants d’un système. L’entrepreneur, l’organisation, l’activité, l’environnement et les ressources sont généralement les composants identifiés dans les configurations susceptibles de porter le développement de la jeune entreprise. Les résultats de cette recherche permettent de mettre en évidence plus particulièrement la « Gestion des risques liés au marché » et « l’Analyse des processus et implémentation stratégique ». Dans les résultats obtenus, l’entrepreneur émerge plus sous l’angle de son « Rôle de leader ». L’environnement est perçu à travers le « Soutien public et insertion dans les réseaux » et la « Connaissance du marché ». L’activité de l’entreprise est conçue sous l’angle de la « Stratégie marketing et développement commercial ». L’organisation est perçue à travers le « Pilotage de l’entreprise », « l’Analyse des processus et implémentation stratégique » ainsi que la « Gestion des risques liés au marché ». Les ressources sont identifiées sous l’angle de la « Gestion financière » et du « Management des ressources humaines », mais comprend également le « Soutien public et insertion dans les réseaux ».
51Troisièmement, les facteurs structurants identifiés peuvent également conduire à une interprétation processuelle du développement entrepreneurial (Bruyat et Julien, 2000 ; Witmeur, 2008) fondée sur l’identification de liens dynamiques entre ses composants. Cette approche permet de faire émerger quatre types de leviers pour le développement pérenne de la jeune entreprise constituant un processus de gestion stratégique des ressources. La mise en cohérence des actions managériales destinées à « Développer les ressources humaines et organisationnelles », « Combiner et agencer les ressources », « Gérer les risques et créer de la valeur », « Accéder aux ressources informationnelles, relationnelles et financières » reposerait sur l’existence d’un processus récursif de développement pérenne. Par exemple, accéder à de nouvelles ressources (des compétences, par exemple) et les développer peut permettre de nouvelles combinaisons de ressources (complémentarité entre anciennes et nouvelles compétences), dans l’organisation, susceptibles de favoriser la création de valeur nouvelle.
52Quatrièmement, la cartographie de concepts réalisée permet de faire émerger la façon dont entrepreneurs et accompagnants, participant à un dispositif d’accompagnement au sein d’une pépinière, priorisent, en termes d’importance et de faisabilité, les actions managériales à mettre en œuvre pour favoriser le développement entrepreneurial.
53Ce travail comporte des limites de portée et ouvre plusieurs perspectives de recherche. Une première avenue de recherche possible serait d’analyser des cartes conceptuelles distinctes des dirigeants et des accompagnants dans une approche comparative destinée à formuler des propositions sur les voies d’amélioration de l’accompagnement des jeunes entreprises. Une seconde avenue pourrait être de procéder à des recherches similaires dans des régions différentes permettant d’étudier le développement des jeunes entreprises, afin d’établir des étalons de comparaison pouvant faire émerger les « meilleure pratiques ». Ce travail permettrait aussi d’apporter un éclairage sur les points communs et les éventuelles différences dans la relation entre accompagnants et accompagnés, ainsi que leurs conséquences en termes de solutions à apporter pour favoriser le développement de la jeune entreprise.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Achtenhagen L., Naldi L. & Melin L. (2010), « “Business Growth” – Do Practitioners and Scholars Really Talk about the Same Thing ? », Entrepreneurship Theory and Practice, March 2010, p. 289-316.
- Barney J. (1991), “Firm Resources and Sustained Competitive Advantage”, Journal of Management, vol. 17, n°1, p. 99et sq.
- Black J. A. & Boal K. B. (1994), “Strategic Resources : Traits, Configurations and Paths to Sustainable Competitive Advantage”, Strategic Management Journal, vol. 15, p. 131-148.
- Bruyat C. (1993), Création d’entreprise : contributions épistémologiques et modélisation, Thèse de doctorat, Université Pierre Mendès-France, Grenoble.
- Bruyat C. (2001), « Créer ou ne pas créer ? Une modélisation du processus d’engagement dans un projet de création d’entreprise », Revue de l’Entrepreneuriat, vol. 1, p.25-42.
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Mots-clés éditeurs : cartographie de concepts, jeune entreprise, processus entrepreneurial, dispositif d'accompagnement, développement pérenne, phase de développement
Mise en ligne 07/11/2013
https://doi.org/10.3917/qdm.131.0041Notes
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[1]
Dans la définition de la Jeune Entreprise Innovante du Code des Impôts, jeune signifie moins de huit ans (Article 44 sexies-0 A du Code Général des Impôts). Source : Code Général des Impôts, www.legifrance.gouv.fr.
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[2]
Selon Rosas et Kane (2012), le facteur de stress (FS) de la conversion de J-dimensions à deux dimensions enregistré dans plus de 60 études menées au cours des dix dernière années se situe entre : 0,27 FS 0,29, dans un intervalle de confiance de 95 %.