1L’ouvrage de Jean-Philippe De Oliveira propose une analyse des dispositifs de communication mis en place par les organisations privées (entreprises, 1ère partie), publiques (action publique, 2e partie), et associatives (société civile, 3e partie), afin d’en dégager les « enjeux de légitimation » (p. 14) dans l’actuel contexte d’évolution du capitalisme. La mise en perspective conjointe de l’histoire du capitalisme, d’une part, du développement des « relations publiques » et de la communication de masse, d’autre part, fournit une assise convaincante à cet objectif. La synthèse socio-historique présentée dans un tableau en conclusion (p. 121-123) est particulièrement éclairante, et utile.
2La communication d’entreprise « renvoie au travail sur l’image » (p. 20), et ce faisant, permet de « masquer son objectif premier de «faire acheter» » (p. 38), notamment en affichant des positionnements « en phase avec les valeurs de la société » (p. 45). Quant à la communication publique – mise en place par l’exécutif, et a priori apartisane, ce en quoi elle doit être distinguée de la communication politique –, elle s’inscrit dans la biopolitique telle que définie par Michel Foucault : avec les développements du capitalisme, l’interventionnisme de l’État ne s’exerçant plus sur la sphère économique, il s’investit dans d’autres domaines tels la santé, la sécurité, l’habitat, etc… La communication publique vise alors la régulation des comportements individuels : « sensibiliser, convaincre, pousser les individus à l’autocontrainte de leurs comportements, de leurs modes de pensée et de faire » (p. 66), et participe à la fabrique de nouvelles normes sociales, processus que l’auteur nomme « normification ». La communication de la société civile se fait d’ailleurs souvent le relais, via l’implantation locale des associations, de l’action publique d’État, en la légitimant sur le plan démocratique. Elle utilise pour ce faire les multiples dispositifs de concertation, lesquels serviraient, sous les apparences du débat, le contrôle social.
3Cet ouvrage est issu d’un cours, et présente effectivement de nombreuses qualités pédagogiques : clarté, lisibilité, accessibilité… Les principales notions – organisation, communication, légitimité, etc. – y sont définies d’entrée, et ces définitions, visiblement construites par l’auteur pour être comprises par le néophyte, sont reprises dans un glossaire. Sont également appréciables les éclaircissements sur certaines notions, telles « lobbying », ou « société civile » (p. 100). Quant aux contenus exposés, ils relèvent principalement des connaissances de base en sociologie des organisations. À cet égard, cet ouvrage est d’une grande utilité.
4En contrepartie, on pourra regretter certaines approximations. Par exemple, à propos des conditions relationnelles améliorant la productivité, dans les travaux d’Elton Mayo (p. 42) : la « visite des dirigeants » est peut-être un « facteur de motivation », mais le rôle joué par le travail en équipe, ou encore, par l’attention portée aux ouvrières du fait de l’investigation scientifique, méritaient au moins autant qu’on s’y arrête ; or ils ne sont pas même évoqués. Ou encore, dans un autre registre : la distinction faite entre « social » et « sociétal », sur la base de l’inclusion pour le premier, l’exclusion pour le second, de la « dimension économique » (p.158) – critère peu compréhensible du point de vue de la psychologie sociale, par exemple ; car si « social » réfère à la sphère économique, c’est en référence à l’usage ordinaire, celui du « travail social » ; tandis qu’en sciences humaines et sociales, « social » réfère aux relations entre l’individu et la société. Est également dommageable le peu de références à des travaux empiriques récents, en même temps que les affirmations non étayées, telles que celles émises à propos des effets de la médiatisation : « Nous devons convenir que... » (p. 97), « il demeure indéniable... » (p.98), sans aucune mention de travaux ni de sources – à mettre en rapport avec les choix bibliographiques, exclusivement francophones ? -.
5Mais fondamentalement, c’est sur le plan conceptuel que la lecture de ce livre est parfois frustrante, à commencer par la référence constante au « néolibéralisme ». Ce terme est censé rendre compte des idées libérales originelles, en l’occurrence : non interventionnisme étatique en matière économique (cf. p. 16), idées qui auraient resurgi après une période (première moitié du xxe siècle) de « compromis social » entre capitalisme et interventionnisme économique. Néanmoins, avant d’accepter ce terme de « néolibéralisme » dans un cadre scientifique qui, pour l’heure, semble relever d’abord d’un usage militant et inflationniste contribuant à le flouter, ne conviendrait-il pas d’en interroger la pertinence au regard du libéralisme en tant qu’idéologie ? Et que faut-il comprendre précisément par « la norme néolibérale » (c’est moi qui souligne), dont on trouve de nombreuses occurrences (à partir de la p. 116) ? Ce questionnement théorique est d’autant plus attendu que c’est sous l’angle de la légitimation que l’auteur interroge les enjeux de la communication organisationnelle. Et en somme, c’est la problématique de la reproduction, idéologique et sociale, qui est constamment convoquée ici, mais sans être traitée frontalement, la notion même d’idéologie semblant être esquivée. Au regard de cette problématique, le néologisme « normification », forgé par l’auteur et défini comme le « processus par lequel les acteurs sociaux tentent de se doter de nouvelles normes » (p.156), pourrait constituer une contribution théorique intéressante, moyennant une clarification pour le distinguer de la normalisation. L’auteur aborde certes la question (en note, p. 10), mais en convoquant semble-t-il l’usage courant du terme « normalisation », et non pas le concept psychosocial référant à la formation des normes sociales, qui est ignoré ici. Le néologisme « normification » est néanmoins intéressant, en ce qu’il permet de souligner que les normes sont un « construit social non naturel » (ibid.). En cela, la normification pourrait être considérée comme participant fondamentalement du « social instituant », outil conceptuel issu des travaux de Cornélius Castoriadis et qui offre une grille de lecture particulièrement pertinente pour asseoir la cohésion d’ensemble de l’ouvrage. Cependant, la définition qu’en donne l’auteur, à savoir : « […] le “social instituant” est en quelque sorte un ensemble d’acteurs et de mouvements à un moment donné dans une société donnée qui pourraient remettre en question l’institué (ou le consolider) » (p. 155), ne rend pas vraiment compte du potentiel épistémique de cet outil de pensée. Restriction motivée par le souci pédagogique de circonscrire le propos ? Quoi qu’il en soit, la dialectique entre l’imaginaire castoriadien, instituant, et l’idéologie, reproduisant l’institué, est totalement absente du propos explicite, ce qui en limite sérieusement la portée. Les enjeux de légitimation portés par la communication organisationnelle y auraient trouvé à tout le moins un éclairage stimulant. De plus, la question des enjeux, a fortiori rapportée au contexte socio-historique et en particulier idéologique, exigeait une ouverture disciplinaire qui fait un peu défaut ici. Ne serait-ce que pour intégrer l’apport de quelques décennies de travaux menés en psychologie sociale sur la réception médiatique, car les effets de la communication ne sont ici abordés que via la référence, omniprésente au demeurant, aux travaux pionniers de Elihu Katz et Paul Lazarsfeld.
6La démarche de l’auteur n’en constitue pas moins une contribution intéressante, si l’on se situe dans la perspective d’une sociographie des dispositifs de communication organisationnelle. Mais les objectifs, posés dès le (sous-)titre, faisaient attendre un propos plus abouti quant aux processus par lesquels la communication organisationnelle légitime l’ordre social, et parfois l’infléchit.