Notes
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[1]
F. Mitterrand, 1964.
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[2]
L’ouvrage collectif dirigé par J. Garrigues, riche d’informations précises sur les « trahisons » les plus fameuses qui ont ponctué la Ve République, s’en tient à une conception très naturalisée et psychologisante du « traître ». J. Garrigues écrit d’entrée de jeu que « la trahison est de toutes les époques, de tous les régimes » (Garrigues, 2020 : 7). Nous voulons à l’inverse réfléchir aux conditions de possibilité (et de réussite) de telles stratégies, par exemple en situant l’accusation de traîtrise dans une sociohistoire de la discipline et de l’indiscipline partisanes (Allal et Bué, 2016).
- [3]
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[4]
Rappelons que M.-N. Lienemann a finalement quitté le PS en 2018 pour se rapprocher de La France insoumise.
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[5]
À feu et à sang. Carnets secrets d’une présidentielle de tous les dangers, Paris, Flammarion, 2012.
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[6]
On pourrait ajouter : même tentation de l’exit vers d’autres activités avant un retour comme ministre (de la Culture) d’E. Macron.
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[7]
Poids de la Bible et du protestantisme ? Le thème de la traîtrise est omniprésent aux États-Unis, comme le montre l’actualité récente de la présidence Trump, à la fois lui-même accusé de trahison (procédure de destitution) et jugé victime de la trahison de ses plus proches collaborateurs (son ex-avocat M. Cohen, son conseiller sécurité J. Bolton…).
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[8]
On suit C. Desrumeaux (2016 : 136) lorsqu’il écrit : « La règle partisane est une source particulière de légitimité à laquelle d’autres fondements peuvent être opposés. »
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[9]
Après avoir tenté de rassembler quelques fidèles au sein d’un nouveau parti (Les Progressistes), É. Besson s’est finalement lancé dans le consulting et a renoncé à tout mandat (y compris municipal en 2020). Cette sortie de la vie politique peut s’analyser comme un indice de la faible recevabilité des justifications ici étudiées.
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[10]
Participe de cet ego-politique l’individualisation de l’énonciation : ce n’est pas un hasard si nous mobilisons ici les livres publiés par les politiques. Cette production, dont on a montré ailleurs qu’elle était travaillée par une forte revendication d’« authenticité » et de « sincérité », loin donc des normes de loyauté partisane qui régissent le champ politique, constitue un matériau particulièrement riche (Le Bart, 2012).
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[11]
Rappelons que M. Valls annoncera son retrait de la vie politique française en 2018, qu’il tentera sa chance aux élections municipales de Barcelone en 2019, et qu’il n’est plus désormais que simple conseiller municipal de cette ville.
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[12]
La fin de la phrase marque cependant le retour en force de la grammaire partisane : « Mais alors pourquoi avoir d’abord proclamé sa fidélité au parti ? »
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[13]
On aurait encore pu prendre l’exemple de J.-L. Bennahmias quittant en 2007 les Verts pour le Modem (Le Monde, 23 mai 2007). Ou celui de V. Pécresse, longtemps proche de F. Fillon, vivement critiquée pour s’être ralliée à la candidature A. Juppé, alors favori dans les sondages, peu de temps avant le premier tour des primaires. Certains fillonistes la surnommèrent Valérie « traîtresse ».
1Il est d’usage de définir les campagnes présidentielles comme des moments d’expression exacerbée de la conflictualité inter-partisane, chaque famille portant son candidat ou sa candidate. Si la civilisation des mœurs politiques impose un contrôle strict des pulsions d’agressivité, on sait que le discours, devenu en démocratie l’arme par excellence de conquête du pouvoir, peut se charger de violence, au moins symbolique : la critique de l’adversaire est alors une figure obligée de toute campagne électorale (Groupe Saint-Cloud, 1995 ; Piar, 2012 ; Bacot et al., 2016). Les médias, en même temps qu’ils imposent aux candidats une visibilité de tous les instants qui accentue la contrainte d’auto-contrôle, se plaisent à mettre en scène la campagne comme compétition spectaculaire de nature à retenir l’attention du plus grand nombre, y compris les citoyens les moins politisés. La campagne est traitée sur le mode du feuilleton à suspense, les commentateurs faisant leur miel des échanges de coups entre candidats (Pedersen, 2014). Parlant ainsi de « spirale de la négativité » pour rendre compte des campagnes présidentielles, Dominique Labbé et Denis Monière (2014 : 208) en arrivent à faire l’hypothèse que « l’agressivité et la polémique sont encouragées par les médias ».
2L’élection présidentielle telle qu’elle s’est construite au fil de la Ve République est marquée par une tension entre deux logiques contraires : la première est une logique d’affrontement entre partis politiques, la seconde entre personnalités politiques. La personnalisation du scrutin est inscrite dans le dispositif électoral lui-même : le mode de scrutin est évidemment uninominal (il s’agit d’élire un·e président·e), les candidatures sont donc individuelles, et la règle des deux tours ouvre la voie à une dramaturgie médiatique qui n’est pas sans emprunter à l’univers du sport (le second tour est ainsi volontiers qualifié de « finale »). La transformation du scrutin en compétition inter-individuelle se trouve encore accentuée par la dilatation du temps dans lequel s’inscrit la campagne : la procédure des primaires, au même titre que la quête des 500 signatures qui autorisent la candidature, contribue ainsi à faire de l’élection (désormais tous les cinq ans) le moment clé de l’affrontement entre des présidentiables se livrant à une bataille sans merci. Combat suprême, luttes entre champions, duel d’entre les deux tours « attendu par des millions de Français »… Jamais la vie politique n’apparaît aussi crûment personnalisée que lors des campagnes présidentielles.
3Cette lecture à hauteur d’individu ne doit pas faire oublier la place des partis politiques. L’histoire de ceux-ci peut se lire, dans le cas français, comme une longue adaptation à la logique de l’élection présidentielle. Il est d’usage de parler d’une présidentialisation des partis politiques pour décrire l’alignement des structures partisanes sur celles du régime politique (Pütz, 2007 ; Poguntke et Webb, 2005). Cette homologie est d’abord tactique : en se dotant d’un leader auquel se trouve conféré le statut de présidentiable naturel, les partis régulent la compétition en leur sein et maximisent leurs chances de triompher. Cet alignement s’est accompli très diversement selon les familles politiques : il fut spontané à droite du fait d’une conception très positive du leadership individuel, ce dont par exemple profiteront les leaders gaullistes comme Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy ; il fut plus délicat à gauche, le refus d’un leadership individualisé volontiers associé à l’autoritarisme conduisant tout à la fois à dénoncer le régime gaulliste et à refuser, en interne, de confier le pouvoir à un seul homme. On sait de ce point de vue le chemin accompli par le parti socialiste (PS), dont le premier leader, François Mitterrand, simple « premier secrétaire » sur le papier (et par ailleurs auteur d’un livre très hostile à la République gaullienne [1]), cumula en réalité toutes les ressources qui firent de lui le candidat « naturel » de son parti (et de l’union de la gauche) en 1974 et en 1981.
4Derrière les personnalités politiques qui s’affrontent lors des élections présidentielles, il y a donc des entreprises politiques largement converties à la logique de cette élection, et désormais largement organisées avec le souci d’y faire face. La question que nous voudrions aborder ici est celle de l’emboîtement, ou plus généralement de l’articulation entre stratégies individuelles des personnalités politiques et stratégies institutionnelles des partis. Une telle problématique repose sur l’hypothèse selon laquelle ces deux échelles ne s’emboîtent pas simplement : certes, le candidat, sauf exception, représente un parti politique dont il porte la parole ; et inversement, le parti existe dans la compétition sous les traits d’un candidat choisi en son sein. Mais un examen un peu attentif des élections présidentielles montre en réalité que les stratégies des acteurs ne sont pas toujours inscrites dans cette géométrie partisane simple. C’est particulièrement vrai sur le terrain de la communication qualifiée ici de négative : le modèle a priori le plus prévisible voudrait que celle-ci soit produite et distribuée en fonction des appartenances partisanes : chacun soutient le candidat de son parti et critique les candidats des partis autres (Ansolabehere et Iyengar, 1995). Certes, c’est bien cette logique qui nourrit l’essentiel du discours de campagne. Mais on voit aussi se développer, dans certaines situations, une rhétorique critique au sein même des partis politiques, certains s’autorisant à critiquer celui ou celle qui devrait en principe être « leur » candidat. Ce glissement de la critique inter-partisane à la critique intra-partisane mérite attention.
5Nous voudrions pour commencer revenir sur la norme qui structure l’économie du discours négatif pendant les campagnes présidentielles. Cette norme, qui participe très directement de la discipline partisane (Allal et Bué, 2016), exige que les opposants en interne, par exemple ceux qui auraient aimé candidater ou ceux qui représentent une ligne minoritaire, soutiennent officiellement le candidat de leur parti ; la critique ouverte ne peut se libérer qu’en dehors de la campagne électorale proprement dite : soit en amont, lors de la compétition pour la candidature, autrement dit désormais à la faveur des primaires ; soit en aval, une fois l’élection terminée, en particulier pour les partis dont le candidat subit une défaite. Entre ces deux périodes, pendant la campagne proprement dite, le soutien et la loyauté sont la règle. Le soutien peut être modéré, formulé « du bout des lèvres », il peut s’accompagner d’un silence que les commentateurs ne manqueront pas d’interpréter : mais il y a une ligne rouge à ne pas franchir, et qui consiste à trahir « son » candidat. La vigueur de cette norme se mesure à l’étendue du scandale qui sanctionne le dénigrement intra-partisan en campagne. Lorsque la loyauté est prise en défaut, c’est la figure du « traître », et le riche imaginaire qui va avec (Garrigues, 2020 ; Schehr, 2018), qui est convoquée [2]. Ce que nous illustrerons en revenant sur un ralliement fameux : celui d’Éric Besson à Nicolas Sarkozy en 2007. La critique implacable de Ségolène Royal, dont É. Besson avait dans un premier temps été un soutien en tant que cadre du PS, fit scandale… Il faut dire que cette critique intervenait au beau milieu de la campagne présidentielle.
6Nous étudierons dans un second temps le système de justification auquel ont recours ceux qui, osant une critique intra-partisane à contretemps, se voient ainsi dénoncer comme « traîtres ». Le cas d’É. Besson retiendra particulièrement notre attention : confronté au « scandale », sommé de s’expliquer sur son attitude, il est publiquement et longuement revenu sur les motifs de son ralliement à N. Sarkozy, invoquant deux formes de loyauté alternatives à la loyauté partisane : la fidélité aux personnes, mais surtout la fidélité à soi-même. Ces justifications sont-elles les signes d’une individualisation du champ politique qui rendrait beaucoup moins coûteuse la communication négative intra-partisane ? Signifient-elles que les frontières et les appartenances partisanes, longtemps stabilisées autour d’une bipolarisation rigide, ont perdu en solidité ? Nous examinerons ces questions en seconde partie.
La régulation partisane du dénigrement interne
7À l’approche de l’élection présidentielle, les partis politiques se doivent d’apparaître en ordre de bataille pour affronter au mieux l’échéance et pour maximiser les chances de leur candidat. L’union attestée, largement mise en scène au moyen de la communication politique et du marketing électoral, emprunte au registre communautaire le plus intégrateur la métaphore de la famille fonctionnant alors à plein. La trilogie hirschmanienne (exit, voice, loyalty) (Hirschman, 1995) se réduit sensiblement : pas question de prendre la parole contre le candidat choisi, pas question de faire défection… La loyauté s’impose, dont on espère éventuellement qu’elle sera récompensée si par bonheur le candidat l’emporte. Cette mécanique de la loyauté nourrit y compris les candidatures issues de l’alliance entre plusieurs formations politiques : Georges Marchais soutient F. Mitterrand en 1974, les communistes suspendent les critiques d’un Programme commun dont ils furent les partenaires minoritaires, l’efficacité électorale était à ce prix.
8Une telle auto-régulation ne peut s’effectuer efficacement que sur une période brève, celle de l’élection. La critique intra-partisane est renvoyée en amont de celle-ci (primaire), et en aval (droit d’inventaire).
Renvoyer la critique en amont : la procédure des primaires
9Il convient de revenir brièvement sur la procédure des primaires (fermées ou ouvertes, peu importe ici), que l’on analysera comme tentative de réguler la communication négative intra-partisane. L’idée qui fonde ce dispositif est connue : permettre aux candidats à la candidature de s’affronter publiquement en amont de l’élection, désigner un vainqueur de la sorte pourvu d’une légitimité incontestable, pour ensuite aborder la campagne présidentielle en serrant les rangs autour dudit candidat (Lefebvre et Treille, 2016 ; Gerstlé, 2019). Centrale aux États-Unis, cette procédure a été introduite en France dans un contexte de démonétisation de la légitimité partisane et d’exacerbation des querelles de leadership (Copé/Fillon, Aubry/Royal…). Promue à gauche par le think tank Terra Nova, elle profita dans un premier temps aux seuls militants (primaire fermée au PS en 1995 et en 2002) avant d’être élargie aux sympathisants (primaires ouvertes au PS en 2011 et 2016, de même chez les écologistes). Le point essentiel tient à la mécanique du ralliement en amont de la campagne proprement dite. Les candidats défaits lors de la primaire s’engagent non seulement à voter pour le candidat désigné, mais même à le soutenir. L’exercice est évidemment risqué : il exige que la communication négative qui nourrira forcément la campagne des primaires ne laisse pas trop de traces lors de la campagne proprement dite. Le ralliement semblera parfois acrobatique ; celui ou celle que l’on a combattu farouchement hier est désormais présenté comme un excellent candidat pour lequel on s’enthousiasme. L’exemple des présidentielles américaines montre toutefois que ce dispositif peut être efficace, que les électeurs sont prêts à adhérer à la rhétorique subtile d’adhésion au vainqueur. Sans doute faut-il, pour que le dispositif fonctionne, que la loyauté partisane soit suffisamment forte pour rendre possible ce qui s’apparente parfois à une quasi-volte-face. Dans le cas français, c’est par exemple l’identité du PS, ou celle de la gauche dans le cas des primaires élargies, qui était censée permettre cet emboîtement clair des loyautés : celui ou celle qui s’est imposé lors de la primaire n’était certes pas mon candidat, mais je suis par hypothèse forcément plus proche de ce candidat désigné que de ceux auxquels il s’opposera, puisque ces derniers appartiennent à d’autres familles politiques.
10La mécanique des primaires fonctionna par exemple au profit de François Hollande en 2011. Ses adversaires malheureux (Martine Aubry, Manuel Valls, S. Royal, Arnaud Montebourg, Jean-Michel Baylet) se rallièrent à sa candidature conformément au schéma précédent. La critique avait pu se déployer, non sans violence, lors de la pré-campagne : S. Royal, réagissant à des sondages défavorables, qualifiait par exemple son ancien compagnon de « candidat de l’inaction » (« Est-ce que les Français peuvent citer une seule chose qu’il aurait réalisée en trente ans de vie politique ? Une seule ? »), et M. Aubry de « candidate de l’inexpérience » (« Sa seule expérience électorale, c’est une législative perdue en 2002. Passer de rien à une campagne présidentielle, ce n’est pas facile » [Figaro, 7 septembre 2011]). À l’approche du second tour, Le Monde constate que « le ton monte entre les camps Aubry et Hollande » :
« Avant le second tour de la primaire dimanche, la tension est encore montée d’un cran vendredi 14 octobre entre les deux finalistes et leurs soutiens. Vincent Peillon, député européen PS et soutien de François Hollande, a ainsi estimé sur BFM TV que Martine Aubry, “la première secrétaire la plus mal élue de toute l’histoire du parti socialiste”, a reçu “le label Marine Le Pen” de la part du FN pour avoir qualifié son rival de “candidat du système”. “Là nous sommes sur quelque chose qui est inacceptable. Quel système ? […] On va commencer ça ? Si on veut employer des mots qui n’appartiennent pas à la famille des républicains, on peut le faire mais c’est sa responsabilité”. Une “insulte” témoignant de la “fébrilité” du camp Hollande, a réagi Olivier Dussopt, le porte-parole de la maire de Lille, ajoutant : “Il faut faire attention à ce que l’on dit. On ne peut pas, entre camarades du parti socialiste, entre militants de la même famille politique, qualifier quelqu’un de Marine Le Pen ou de lepéniste” » (Le Monde, 14 octobre 2011).
12Ces échanges montrent que le droit au dénigrement qu’institue la primaire doit trouver sa limite dans le fait qu’on se situe au sein d’une même famille politique. Aller trop loin, c’est faire le jeu de l’adversaire. Sachant que la question de savoir jusqu’où il est possible d’aller dans la critique du concurrent donne elle-même lieu à polémique, sous le regard amusé du camp d’en face… Ainsi le clan de M. Aubry revendique-t-il le droit à la critique au nom de la clarté, celui de F. Hollande considérant au contraire que la ligne rouge a été franchie…
« Pour son directeur de campagne, François Lamy, Martine Aubry “n’a pas procédé à des attaques”. “Si on voulait que dans ces primaires tout le monde dise la même chose, il ne fallait pas les organiser.” “Ce n’est pas un crime” d’affirmer ses convictions, a-t-il noté, interrogé par BFM TV. Sur le plateau de Canal +, vendredi soir, Martine Aubry s’est de nouveau défendue d’avoir excessivement attaqué son rival, soulignant que “pendant des semaines” on l’avait traitée de “candidate par défaut” et qu’elle “n’en avait pas fait un fromage”. “Ce qu’attendait le peuple de gauche, c’est que nous soyons clairs”, a-t-elle ajouté. Pierre Moscovici, coordinateur de la campagne de M. Hollande, a mis en garde Martine Aubry, en lui lançant : “Attention à ne pas se tromper d’adversaire.” “On est passé de la dérive au dérapage”, a-t-il déploré, en relevant que ces attaques “n’appartenaient pas au vocabulaire socialiste”. Plus net, le chef de file des sénateurs PS, François Rebsamen, a accusé la maire de Lille d’utiliser “une rhétorique semblable à celle de l’extrême droite”. “Cela est inacceptable, cela doit cesser”, a-t-il ajouté. Manuel Valls, qui a rallié François Hollande, “regrette” ces “propos très durs, inutiles”. Cela marque Mme Aubry “comme une candidate qui ne cherche pas au rassemblement, qui malheureusement a privilégié d’une certaine manière l’affrontement, contraire d’ailleurs à l’esprit des primaires”, a-t-il déploré sur BFM TV. “Il faut arrêter cette escalade, je crois que c’est un dérapage !” a déclaré François Hollande vendredi matin sur France Inter, soulignant qu’il ne voulait pas “entretenir le feuilleton” » (Le Monde, 14 octobre 2011).
14Face à l’emballement de la communication négative, c’est la Haute Autorité des primaires, constituée pour l’occasion, qui multiplie les rappels à l’ordre, rappelant que la charte éthique des primaires « prohibe tout dénigrement de la personne des candidats » et que « les candidats doivent toujours garder à l’esprit qu’à la compétition succédera le rassemblement » [3]. La presse s’interroge naturellement sur la capacité du PS et de ses leaders à mettre fin aux querelles que la primaire a encouragées et à les faire oublier :
« Dernière question : le candidat désigné dimanche ne sera-t-il pas “abîmé” par ces attaques ? Là encore, l’équipe de Martine Aubry répond par la négative : “Ce qui se passe, c’est du chamallow guimauve par rapport au duel entre Hillary Clinton et Barack Obama qui, malgré sa violence, ne les a pas empêchés de se retrouver après la primaire démocrate de 2008 puis de gouverner ensemble”, explique M. Borgel. Pour lui la confrontation a du bon : “Le candidat en sort plus renforcé quand la primaire n’est pas qu’une promenade de santé.” Samedi 22 octobre, une convention nationale d’investiture est censée sonner l’heure du rassemblement. Il sera alors possible de savoir si le duel aura été salutaire ou délétère. Pour l’heure, cependant, c’est Olivier Dussopt, le porte-parole du parti, qui, vendredi soir sur BFM TV, a résumé d’une phrase l’état d’esprit général : “Il est temps que cette campagne se termine” » (Le Monde, 15 octobre 2011).
16Finalement, l’opération a été profitable au parti. F. Hollande qui l’a emporté en 2012 ; et les cadres du PS pouvaient penser, quelques mois après l’affrontement M. Aubry-S. Royal, que « grâce à la primaire, les socialistes [étaient] enfin en train de sortir de leur crise de leadership dans laquelle ils pataugeaient depuis 2002 » (Henri Weber, Le Monde, 7 octobre 2011).
17Au-delà de l’exemple de 2011-2012, force est de reconnaître que cet idéal de relégation temporelle de la critique interne ne fut que très rarement atteint. La primaire fermée (180 000 électeurs) qui avait profité à S. Royal en 2007 n’avait guère produit d’effet d’entraînement, les éléphants oscillant entre désertion et critiques en coulisses. La mécanique se grippa à nouveau en 2017 aux dépens de Benoît Hamon, et malgré la légitimité offerte par la participation de 2 millions d’électeurs lors d’une primaire cette fois-ci ouverte.
18À droite, la conversion à la procédure des primaires fut d’abord pragmatique : il s’agissait d’éviter les concurrences d’autant plus stériles (Édouard Balladur-J. Chirac en 1995) qu’elles ne renvoyaient plus à l’opposition entre gaullistes et non gaullistes. Mais l’expérience de 2017 fut un échec : le lâchage dont pâtit François Fillon en 2017 s’effectua dans un contexte particulier du fait du surgissement d’une affaire qui rendait évidemment difficile le soutien personnel au candidat. Les républicains ne surent, dans l’urgence, que faire, multipliant les prises de distance gênées (déclin de la loyauté à l’égard du candidat) sans pour autant oser remettre en cause le résultat de la primaire. Le scénario d’une candidature alternative de dernier moment se heurta au refus d’Alain Juppé. La communication négative se déploya dans des conditions désastreuses pour le candidat, lâché par les siens, la loyauté publiquement affichée par le dernier cercle des inconditionnels apparaissant bien forcée.
Renvoyer la critique en aval : le droit d’inventaire d’après-défaite
19La contrainte de loyauté a aussi pour conséquence de renvoyer à l’après-élection l’expression des mécontentements internes. Cette logique s’observe en particulier aux dépens des candidats défaits, à l’encontre desquels s’exprime un « droit d’inventaire » assez systématique (Louault et Pellen, 2019). La stratégie critique est alors d’autant plus recevable qu’elle participe de la volonté de servir le parti en contribuant à l’analyse de ses erreurs. L’autocritique collective, légitimée par le devoir de lucidité, prend alors volontiers le candidat pour cible, selon une rhétorique de distanciation qui n’est cependant pas si simple à assumer. Car si le candidat s’est fourvoyé, pourquoi l’avoir soutenu ? Pourquoi l’avoir choisi ? Celui ou celle qui se livre à l’exercice d’inventaire encourt le risque de paraître chercher un bouc émissaire, de hurler avec les loups en « enfonçant » celui que l’élection a déjà sanctionné, et donc de faire preuve d’opportunisme (il a soutenu le candidat quand celui-ci pouvait gagner, il le lâche une fois qu’il a perdu).
20Prenons quelques exemples pour illustrer cette posture délicate. Elle fut par exemple celle de Marie-Noëlle Lienemann publiant en 2002, suite à la sévère défaite de Lionel Jospin, un violent réquisitoire contre ce dernier. Ce réquisitoire est d’abord politique : la ligne de celle qui fut longtemps une figure de la gauche du PS n’est pas celle qu’adopta le Premier ministre socialiste de J. Chirac. La « gauche plurielle » fait l’objet d’une critique en règle, dont on devine qu’elle trouve enfin à s’exprimer après une longue période de devoir de réserve : lorsque L. Jospin était à Matignon, et a fortiori une fois qu’il fut en campagne présidentielle, la critique aurait été perçue comme un acte de trahison du parti et de la gauche en général. La défaite de 2002 libère la parole. Le réquisitoire de M.-N. Lienemann s’intitule significativement : Ma part d’inventaire. Il s’inscrit dans une temporalité qui le rend parfaitement compatible avec l’intérêt de l’organisation partisane. Ayant tout perdu, devant se reconstruire, le parti ne peut faire l’économie d’un débat interne en forme d’examen de conscience. L’exaspération personnellement ressentie (« La coupe est pleine », écrit-elle dès la première page) n’est pas en contradiction avec l’intérêt de l’institution. Car le cœur de cette exaspération tient au fait que l’homme qui a dirigé le PS, a gouverné en son nom et a porté ses couleurs n’est pas vraiment un homme de gauche, pas au sens en tout cas que donne à ce terme M.-N. Lienemann (Lienemann, 2002 : 21 et s.).
21M.-N. Lienemann insiste sur le fait que les critiques qu’elle s’apprête à rendre publiques prolongent pour l’essentiel celles qu’elle a formulées au fil de la campagne en interne. Là où son devoir de militante exemplaire la poussait à ne pas rendre publiques ces critiques tant que l’élection n’était pas achevée, son même devoir de militante la pousse, une fois celle-ci achevée, à s’adresser aux militants et aux électeurs de gauche. Ce faisant, elle ne peut évidemment qu’exprimer le regret de n’avoir pas pu infléchir la ligne défendue par L. Jospin, celui-ci étant selon elle largement prisonnier d’un entourage très fermé aux idées de gauche.
22C’est également au nom du parti et en considérant ses intérêts que M.-N. Lienemann reproche à L. Jospin son départ au soir du premier tour. Le livre s’ouvre sur une critique sans appel : « Laisser la chaise vide devant la débâcle ne me paraît pas digne du leader de la gauche et de celui qui aspirait en notre nom aux plus hautes fonctions de l’État » (ibid. : 7). Et plus loin :
« Selon moi, c’est un geste individuel, certes compréhensible, mais j’attendais autre chose. Face à l’adversité, le sens du devoir est parfois de s’oublier soi-même pour privilégier le combat et l’intérêt collectif. Les démissions ne sont jamais fondatrices. Celle de Lionel Jospin ne nous met pas en situation de mener le combat suivant, celui des législatives, et au-delà, la reconquête […]. Non content de nous laisser en plan, Lionel se garde bien de nous donner une consigne claire pour le second tour » (ibid. : 8).
24La critique est, on le voit dans cet extrait, très imprégnée des grammaires institutionnelles. On peut en savourer le paradoxe : il est reproché à L. Jospin d’avoir créé le désarroi au sein de sa famille politique en se retirant (« Après moi le déluge », ibid. : 8). Au passage, M.-N. Lienemann fustige ceux qui font prévaloir de la décision de retrait du candidat socialiste une conception psychologique ou individuelle, en y voyant « panache, dignité, et courage politique » (ibid. : 7). Cette décision est précisément fautive parce qu’elle est « un geste individuel » (ibid. : 7).
25On peut dire que la stratégie déployée par M.-N. Lienemann est une illustration idéal-typique du déploiement de la critique intra-partisane. Celle-ci se fait au nom du parti, dans le respect rigoureux de la loyauté exigée en période électorale, et sans la moindre considération personnelle (L. Jospin est coupable… de ne pas être resté !). La grammaire institutionnelle prédomine à tous points de vue [4].
26D’autres ouvrages auraient pu être cités pour illustrer ce schéma « institutionnel », par exemple celui que Roselyne Bachelot consacra à la défaite de N. Sarkozy en 2012 [5] : même désarroi face à une équipe de campagne qui n’écoute pas les mises en garde, même sentiment de voir le candidat foncer droit dans le mur, même agacement de devoir faire bonne figure face aux électeurs, même volonté, une fois la défaite consommée, de dire publiquement ce que l’on ne parvenait pas à faire entendre à l’entourage du candidat. Et en définitive, même déception d’avoir eu raison tout seul et trop tôt [6].
27De telles stratégies, parce qu’elles respectent les grammaires institutionnelles les plus classiques, s’apparentent à des stratégies de positionnement au sein du parti politique. Elles témoignent le plus souvent du contexte de flottement (voire de crise) qui suit la défaite. Leadership, mode d’organisation, ligne doctrinale, stratégie… La remise à plat est ponctuellement possible. La critique du candidat battu relève dans ces conditions d’un positionnement qui engage la doctrine ou la tactique du parti. Stratégie de voice nourrie de loyauté, cette façon de faire est aussi une façon de se positionner pour les échéances à venir. On pense ici à la critique de F. Mitterrand par Michel Rocard en 1978, à celle de J. Chirac par Philippe Séguin et Charles Pasqua en 1988, à celle de Marine Le Pen par Marion Maréchal-Le Pen en 2017, ou même à celles subies par Jean-Luc Mélenchon également en 2017.
Justifier la trahison ? Le dépassement de la loyauté partisane
28La communication négative intra-partisane obéit, on vient de le voir, à des normes temporelles strictes : le parti n’autorise la communication négative aux dépens de son leader qu’en amont et en aval de l’élection présidentielle. S’autoriser à l’inverse à critiquer « son » candidat (celui de son parti) au beau milieu d’une campagne constitue une entorse à la discipline partisane et expose à la critique de la part des commentateurs du jeu politique. Cette stigmatisation emprunte principalement, on l’a dit, au registre de la trahison.
29L’étiquette infamante de « traître » menace en particulier lorsque le ralliement à l’adversaire est individuel. Cette stratégie fait certes grincer des dents lorsqu’elle est collective (ainsi lorsque les giscardiens lâchent le général de Gaulle en 1969, ou lorsque les chiraquiens lâchent Jacques Chaban-Delmas en 1974) : mais le scandale est encore plus fort lorsqu’elle est individuelle. Car c’est alors que surgit la figure, quasi biblique, du traître prêt à se vendre pour de médiocres contreparties (la référence au « plat de lentilles » est volontiers mobilisée).
30La figure du traître est souvent convoquée comme « effet naturel de la compétition » (Garrigues, 2020) en référence à une mythologie peuplée de figures attendues (Brutus, Iago…). J. Chirac trahissant J. Chaban-Delmas puis Valéry Giscard d’Estaing avant d’être lui-même trahi par É. Balladur et N. Sarkozy, L. Jospin trahi par Jean-Pierre Chevènement, S. Royal trahie par les barons du PS et même par F. Hollande… La trahison est parfois « parricide » (au sens métaphorique ou même, chez les Le Pen, au sens propre), elle est aussi parfois « adultère » (F. Hollande-S. Royal)… « Ceux qui ont trahi ont toujours été trahis à leur tour », conclut avec philosophie Jean Garrigues (2020 : 237) [7].
31Face à un tel risque de stigmatisation, une première stratégie peut être la discrétion, voire le secret : ainsi en 1981, la consigne donnée par J. Chirac aux militants RPR de voter pour F. Mitterrand plutôt que pour V. Giscard d’Estaing. Le leader gaulliste estimait que son parti avait davantage à gagner, à moyen terme, à s’affirmer dans l’opposition aux socialistes qu’à demeurer dans l’ombre d’un VGE réélu. Ce dernier fit scandale en révélant, dans le tome 3 de ses Mémoires, les coulisses de cet appel à le faire battre. Car officiellement, le Rassemblement pour la République (RPR) ne pouvait se résoudre à appeler à voter pour la gauche (« Pour ma part, avait déclaré J. Chirac, je ne puis que voter pour monsieur Giscard d’Estaing »).
32La consigne de vote n’est pas un ralliement, elle demeure une stratégie ponctuelle. Ceux qui franchissent le pas et changent de camp, par exemple en déployant une communication négative sans retenue à l’égard du candidat qu’ils soutenaient initialement, n’ont pour leur part d’autre solution que de tenter de se justifier. Ils s’y emploient en opposant à la loyauté partisane (à laquelle ils dérogent) une autre forme de loyauté : la loyauté à soi-même. Nous verrons également la place conférée à une troisième forme de loyauté : la fidélité à l’égard des candidats entendus comme personnes et non comme simples porte-parole du parti. Dans les deux cas, on est bien en présence d’une grammaire individualisée qui s’affirme aux dépens de la grammaire partisane (Le Bart, 2013) [8].
Fidélité à soi-même
33Idéal-typique de cette posture est le cas d’É. Besson, faisant scandale en publiant, quelques semaines seulement avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2007, un pamphlet visant S. Royal, dont il était pourtant jusqu’à ce jour membre de l’équipe de campagne chargé des questions économiques. Intitulé Qui connaît madame Royal ?, l’ouvrage dénigre avec d’autant plus de force la candidate qu’il émane d’un proche l’ayant vu fonctionner au quotidien. La critique porte à la fois sur les propositions formulées par la candidate et sur son style. Dubitatif face à la démocratie participative, É. Besson ironise sur l’impréparation et ce qu’il estime être l’incompétence de la candidate. Il s’indigne de certains de ses propos. Le plus intéressant pour nous est évidemment l’anticipation du procès en traîtrise auquel É. Besson sait s’exposer. Assumant dès la première page qu’il ne votera pas pour S. Royal, il tente de se justifier. Le livre est un entretien avec Claude Askolovitch ; le journaliste politique ne manque pas de l’interpeller sur ce thème. « Il y a quelques semaines, vous faisiez encore campagne pour elle » (Besson, 2007 : 7) : « Comment le dévoué camarade devient-il un traître ? » (ibid. : 8). L’explication par le ressentiment est envisagée (« C’est l’homme blessé qui parle ? », ibid. : 9 ; « Vous la détestez donc tant ? », ibid. : 12), comme si l’écart par rapport à la norme politique ne pouvait trouver sa source que dans des considérations infra-politiques, voire dans une psychologie déviante. L’intéressé s’en défend (« Il vous faut de l’affect ? Désolé… Je n’ai rien contre S. Royal à titre personnel », ibid. : 12), et s’efforce de renverser la lecture faite de sa stratégie. Dans l’ouvrage comme dans les interviews qui suivront la sortie de celui-ci, il insiste au contraire sur sa fidélité : mais fidélité aux idées, au regard desquelles le PS s’est trahi lui-même. Dans Le Point, il déclare ainsi :
« Je n’ai pas trahi. Je n’ai trahi ni mes conceptions ni mon pays. Pour moi, le PS était d’abord un outil de transformation sociale. Ce n’était pas “ma famille”, pas “mon camp”. Mon camp, c’est la France. Mon camp, c’est l’amélioration de la vie quotidienne des Français. Je pense aujourd’hui que c’est le PS qui a trahi les convictions qui avaient justifié mon adhésion. J’avais adhéré à un parti progressiste qui abhorrait le culte de la personnalité. En se donnant à Ségolène Royal, le PS a trahi son histoire et ses valeurs » (Le Point, 31 mai 2007).
35Le retournement ainsi opéré est particulièrement audacieux. Fidélité et traîtrise étant des notions éminemment relatives, É. Besson s’efforce d’inverser l’équation qui s’est figée à ses dépens. L’apparente infidélité à sa famille politique et à la candidate que celle-ci a choisie résulte d’une exigeante fidélité à soi-même, aux convictions profondes d’un homme de progrès ; symétriquement, la fidélité du parti à lui-même est prise en défaut quand on considère les renoncements idéologiques, les dérives, les trahisons dont le PS s’est rendu coupable au regard de ses idéaux initiaux (que l’on songe à la formule : « Le PS s’est donné à Ségolène Royal » !). Le plus intéressant, au terme de cette rhétorique de renversement du stigmate (Goffman, 1975), tient dans le déplacement des loyautés invoquées. La loyauté partisane, matrice de la vie politique moderne (ce que suggère la métaphore figée de la famille politique), est démonétisée : le parti, dans le propos d’É. Besson, n’est plus qu’un « outil de transformation sociale ». « Ce n’est pas ma famille », précise l’intéressé, rejetant d’un mot toute la dimension affective qui, traditionnellement, marque l’attachement militant. En faisant glisser le parti de l’imaginaire communautaire à l’imaginaire sociétaire, en le réduisant à un froid instrument dont on peut se contenter d’interroger la fonctionnalité et l’efficacité, É. Besson désamorce la question de la loyauté partisane. Celle-ci se trouve déplacée sur deux terrains qui sont autant d’alternatives à l’attachement partisan : celui de la loyauté à l’égard du pays tout entier (« Mon camp, c’est la France. Mon camp, c’est l’amélioration de la vie quotidienne des Français »), celui de la loyauté à l’égard de soi-même (« Je n’ai trahi ni mes conceptions ni mon pays »).
36Il n’est pas certain qu’É. Besson ait convaincu. La suite de son parcours politique suggère même plutôt que la figure de traître lui est demeurée accolée, ce qui a nui à sa carrière politique [9]. Il est malgré tout intéressant de voir, sous sa plume et dans sa bouche, se déployer une rhétorique anti-partisane typique, selon nous, des formes contemporaines de la vie politique. Relève ainsi de ce que nous avons appelé « l’ego-politique » (Le Bart, 2013) cette valorisation de la fidélité à soi-même qui fonde, et c’est là le point le plus important, une critique forte du militant loyal, servant docilement l’organisation [10]. É. Besson emprunte à cette critique lorsqu’il en arrive, pour justifier son ralliement à N. Sarkozy, à proposer une virulente auto-critique du cadre PS qu’il a été avant ce ralliement. Il écrit ainsi :
« Il y a quelques semaines, je n’étais pas encore libre. Et sans doute pas mûr dans ma tête. J’étais secrétaire national du parti socialiste, en charge de l’économie. J’étais un camarade dirigeant, “dévoué et travailleur”, qu’on envoyait au front des médias pour expliquer la cohérence d’un programme qui s’élaborait au gré des inspirations de la candidate ou de son entourage. Je faisais mon travail et je masquais mes doutes. J’étais dans une histoire, dans un parti pris de fidélité à mon parti et à la candidate qui avait été choisie » (Besson, 2007 : 7-8).
38Et plus loin :
« J’avais des doutes. J’étais taraudé par trop d’interrogations pour être apaisé. Plusieurs fois, j’avais failli prendre mes cliques et mes claques » (ibid. : 14).
40La publication de l’ouvrage d’É. Besson constitue au final l’occasion d’observer tout à la fois la vigueur de la norme de loyauté partisane et l’émergence d’une contre-norme qui, à l’inverse, envisage un possible dépassement de cette loyauté partisane (dénoncée comme aliénation) au profit d’une loyauté alternative, la loyauté à l’égard de soi-même.
41Reprenant en 2017 la posture d’É. Besson (et encourant les mêmes critiques que lui), M. Valls estimera que c’est B. Hamon qui trahit la « ligne réformiste du PS » puisqu’il veut « remettre en cause » les réformes accomplies sous la présidence F. Hollande (L’Humanité, 2 mars 2017). L’ancien Premier ministre de F. Hollande franchit le Rubicon en appelant à voter en faveur d’Emmanuel Macron, au risque d’apparaître lui aussi comme un traître : Aujourd’hui (14 mars 2017) parle de « couteau dans le dos » et de « plat de lentilles », L’Humanité (29 mars 2017), de « trahison ». Jean-Christophe Cambadélis, leader du PS, rappelle en vain cette « règle de base : si on ne soutient pas le candidat du parti, on n’a rien à faire au PS ». Mais l’homme de parti ne peut que constater son impuissance : « L’UDI a exclu ses membres qui se ralliaient à Macron. Nous ne sommes pas capables de le faire » (L’Humanité, 29 mars). L’intéressé prendra les devants, reprenant à son compte la justification qui avait été celle d’É. Besson : « Je quitte le PS, ou le PS me quitte » (Aujourd’hui, 16 juillet 2017) [11].
42B. Hamon répond en dénonçant l’absence de loyauté des leaders du PS, il fustige le ressentiment de ses adversaires malheureux de la primaire. Comme précédemment, on voit s’affronter deux formes de loyauté : la loyauté institutionnelle d’un côté (le parti, le dispositif des primaires), la loyauté envers les convictions de l’autre (le « réformisme » socialiste). La seconde n’a peut-être pas la force de la première, mais elle suffit à neutraliser l’accusation de traîtrise. Ce dont semble prendre acte Laurent Joffrin dans un éditorial du 30 mars 2017 (Libération) qui, après avoir mobilisé une incarnation ancienne de cette figure (c’est J. Chirac, « Iago pompidolien », trahissant J. Chaban-Delmas pour VGE en 1974, finalement « payé d’une nomination à Matignon »), en vient à créditer M. Valls d’une certaine fidélité (« C’est un fait, à sa décharge, que ses idées, restées les mêmes depuis des lustres, le rapprochent plus de Macron que de Hamon ») [12].
43Pour ceux qui se risquent au dénigrement intra-partisan, le procès en traîtrise sera d’autant plus probable que le ralliement pourra apparaître comme stratégiquement payant. Le registre de la fidélité à soi-même renvoie a priori au registre des scrupules, de l’honnêteté, de l’impossibilité de transiger sur ses convictions. Cette lecture vole en éclats si le ralliement s’accompagne d’une rétribution, conformément au modèle biblique (qui suggère que Judas fut payé de sa trahison). Pour É. Besson ou M. Valls, il est donc essentiel d’imposer une lecture désintéressée de leur acte : c’est à cette seule condition qu’ils pourront apparaître sincères [13].
Fidélité à une personnalité
44La fidélité à la personne d’autrui constitue une seconde alternative à la loyauté partisane. La justification du dénigrement intra-partisan est ici plus délicate, car la fidélité au parti se double en principe d’une fidélité à celui ou celle qui en porte les couleurs. Ceux que l’on accuse de traîtrise vont pourtant tenter de se justifier en dissociant ces deux registres : oui, ils ont rompu avec le parti ; non, ils n’ont pas trahi les personnes qui leur avaient offert leur confiance.
45É. Besson insiste ainsi d’entrée de jeu sur le fait que S. Royal n’est pas quelqu’un dont il fut jamais proche. Il déclare à C. Askolovitch : « Je ne la connaissais guère il y a un an » (Besson, 2007 : 12). Puis plus loin : « Ségolène Royal n’a jamais été de ma famille ! Je l’ai croisée des années sans la connaître. Et sans jamais l’entendre parler politique, je veux dire dans nos réunions. J’ai longtemps été frappé par son silence » (ibid. : 137-138).
46Le même É. Besson insiste sur sa disposition à la fidélité à l’endroit des candidats socialistes précédents, et de ses amis en général, quand bien même ces amitiés seraient parfois un peu encombrantes :
« Si j’étais un traître, je n’aurais pas soutenu François Hollande si longtemps ! Et je n’aurais pas gardé une relation de fidélité et d’amitié avec Lionel Jospin ! J’ai toujours, au contraire, fait très attention à ne jamais lâcher des gens que j’aimais, ou que j’estimais. J’ai travaillé avec Jean-Marie Messier à Vivendi. Quand il est tombé, j’étais député socialiste, et croyez-moi, être un proche de Messsier n’était pas spécialement fait pour me rendre populaire » (ibid. : 8).
48Même souci d’apparaître fidèle aux personnes dans l’interview au Point du 31 mai ; « J’ai essayé, y déclare É. Besson, de tenir les deux, la fidélité aux hommes et aux idées » :
« Jusqu’à notre rupture, j’ai accompagné Hollande sans jamais faillir. En 2002, les jeunes qui créaient le NPS m’ont proposé de renverser la table et de les rejoindre. Je suis resté. À maintes reprises, je l’ai soutenu, y compris à la tribune, alors même que je n’étais pas d’accord avec lui, par exemple sur la façon dont il a géré l’affaire du référendum européen. D’ailleurs, en dépit de tout ce que François Hollande a dit sur moi, y compris que je suis un « secrétaire d’État à rien du tout », je lui garde de l’estime et de l’affection. Même chose avec Lionel Jospin. On me décrivait comme un homme capable d’aller dans le mur par fidélité absolue, obstinée, à son endroit. »
50Et à nouveau sur F. Hollande dans Le Monde du 5 septembre 2007 :
« Je suis comme Francis Cabrel. Quand j’aime une fois, c’est pour toujours. J’ai beaucoup aimé François Hollande […]. Vous n’êtes pas obligé, parce que vous avez divorcé, de détester la partie avec laquelle vous avez vécu tant d’années. »
52Le ralliement à N. Sarkozy est lui-même relu à l’aune de ce cadrage individualisé. L’adhésion à la personne et aux convictions de celle-ci importe davantage que l’adhésion à une organisation politique :
« Nicolas Sarkozy, je le connaissais bien et, en dépit de nos divergences, je partageais le diagnostic qu’il portait sur la France et sur l’urgence d’une action volontariste. Lorsque nous nous sommes vus, à la veille du premier tour de l’élection, il ne m’a pas demandé de changer de convictions. Au contraire, de ne pas me renier et d’apporter ce que je suis. Naturellement, je connais les règles de solidarité gouvernementale. Je vais les respecter. Mais, dans les débats internes, je m’exprimerai. Par ailleurs, il y a une dimension humaine. Au-delà de la politique, je n’oublierai pas les attentions et la délicatesse de Nicolas Sarkozy, François Fillon et Claude Guéant à mon égard. Je ne suis pas ingrat » (Le Point, 31 mai 2007).
54On voit dans cet extrait comment l’adhésion aux convictions converge avec l’adhésion à la personne. Au regard de la relation interpersonnelle ainsi sublimée, les questions institutionnelles paraissent dérisoires. La loyauté à l’égard du collectif gouvernemental est renvoyée au registre arbitraire des règles du jeu politique (« Naturellement, je connais les règles de solidarité gouvernementale. Je vais les respecter »). Tout comme sont arbitraires les normes qui imposèrent jadis à É. Besson de critiquer N. Sarkozy au motif qu’il était du camp adverse. Interrogé sur les propos cruels qu’il eut alors (il avait qualifié le futur président de « néoconservateur américain avec un passeport français »), il répond « les avoir écrits avec un pistolet socialiste sur la tempe », et mentionne « une lettre d’excuses secrètement adressée à l’ancien président de l’UMP ».
55Au-delà des exemples É. Besson et M. Valls, faut-il faire l’hypothèse d’un essoufflement des loyautés partisanes ? Serait-il désormais plus facile de lâcher « son » candidat et de se rallier à l’adversaire ? Les présidences N. Sarkozy et E. Macron ont donné de multiples exemples de ces volte-face. Le premier est parvenu à convaincre des personnalités de gauche ou marquées à gauche de le rejoindre (Bernard Kouchner, Jean-Marie Bockel, Martin Hirsch, Fadéla Amara…). Le second a vu avec gourmandise des personnalités socialistes de premier plan quitter le PS pour se lancer à ses côtés dans l’aventure En marche ! (Gérard Collomb, Jean-Yves Le Drian, Richard Ferrand, M. Valls…).
56Une autre illustration de cette montée en force de la loyauté personnelle aux dépens de la loyauté partisane est offerte par l’ouvrage de S. Royal intitulé : Ma plus belle histoire, c’est vous. Écrit suite à la défaite, il s’apparente à un règlement de comptes avec les leaders socialistes qui ne l’ont pas soutenue. Simple rappel de la norme de loyauté partisane ? Certes, la candidate dénonce les « attaques personnelles […] de la part de socialistes et non des moindres qui ont parlé d[’elle] comme jamais ils n’auraient osé parler d’un adversaire politique » (Royal, 2007 : 13). Mais pas seulement. S. Royal emprunte aussi à la grammaire plus personnalisée de la loyauté personnelle. Bien sûr, les éléphants du PS sont présents et soutiennent officiellement sa candidature. Les apparences institutionnelles sont sauves. Mais cette loyauté partisane ne masque que grossièrement l’absence de loyauté personnelle. Ainsi, lors d’un meeting à la Mutualité, le 26 novembre, S. Royal constate « l’amertume des éléphants » :
« Attitude discourtoise, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius ne font même pas semblant. Parfois l’ancien ministre de l’Économie et des Finances lève les yeux au ciel […], parfois l’ancien Premier ministre regarde sa montre. Vivement la fin du film ? Pas un sourire. Juste une moue accrochée aux lèvres, des yeux qui regardent obstinément les chaussures, et des mains qui applaudissent du bout des ongles. Lionel Jospin a préféré assister au spectacle de Pierre Perret » (ibid. : 41-42).
58S. Royal reproche aux éléphants leur silence, leur manque d’enthousiasme (« Mais qu’ils disent du bien, un peu de bien, de la candidate ! », s’énerve-t-on dans son entourage, ibid. : 45). L. Fabius « semble avoir fait vœu de silence » et « se contentera d’observer la campagne à la jumelle » (ibid. : 45). Il mettra en garde Claude Bartolone, l’un de ses proches, de ne pas trop s’engager aux côtés de la candidate (ibid. : 46). DSK « laisse avec délectation ses peu recommandables cerbères élaborer les tours les plus pendables » (sifflets en meeting, mise en ligne de vidéos…) (ibid. : 47). Les déclarations de soutien (DSK : « C’est la candidate et je la soutiens ») apparaissent dès lors comme hypocrites. La loyauté partisane est en apparence sauve ; mais S. Royal en appelle à une grammaire qui n’est déjà plus tout à fait celle de M.-N. Lienemann : la loyauté à l’égard des personnes devrait venir compléter la loyauté partisane. Plus exactement, la loyauté partisane n’est rien si elle ne se double d’une loyauté personnelle à l’égard du candidat ou de la candidate choisi par le parti.
59La candidate raconte un autre épisode qui témoigne de l’absence totale de loyauté de la part des leaders du PS. C’est celui de la rencontre avec M. Rocard, deux jours avant la date limite de dépôt des candidatures au Conseil constitutionnel. L’ancien adversaire de F. Mitterrand lui aurait déclaré d’entrée de jeu : « Bonjour Ségolène, je suis venu te dire, primo, que tu n’y arriveras pas ; secundo, qu’il te reste quelques heures pour te retirer » (ibid. : 36). Puis l’instant d’après : « Tu n’y arriveras pas. Je suis le meilleur candidat. Il faut que tu te désistes en ma faveur » (ibid. : 36). On ne peut évidemment valider de telles anecdotes : seul importe ici le fait qu’elles font mouche car elles activent un imaginaire qui articule simplement loyauté institutionnelle et loyauté personnelle. La première constitue une norme politique que les professionnels de ce secteur, en politiciens aguerris, savent devoir ne pas enfreindre publiquement ; la seconde, à laquelle S. Royal se réfère dans ce livre, est en revanche foulée aux pieds par ces professionnels. La candidate, pourtant bien disposée à l’égard de M. Rocard (ibid. : 35), est obligée de constater que celui-ci est incapable de lui témoigner la moindre confiance personnelle. La dimension genrée de cette défiance est évidemment au cœur du propos : S. Royal se heurte à un monde d’hommes qui ont du mal à admettre que le parti ait pu leur préférer une femme.
Conclusion
60Risquons le temps d’une conclusion une hypothèse sociohistorique : les quelques exemples précédents suggèrent une transformation significative de l’économie de la communication négative. Longtemps structurée autour d’une architecture partisane simple, lisible et relativement stable, en un mot solide, cette économie est devenue plus complexe, plus volatile, plus imprévisible. Le temps de la campagne électorale régulait de façon particulièrement rigide les dénigrements : l’appartenance partisane et la définition (depuis les centres partisans) des alliances rendaient ceux-ci soit impossibles, soit obligatoires. Ce système bipolaire pouvait s’analyser comme un jeu dont les acteurs essentiels étaient les partis politiques, lesquels agissaient par l’intermédiaire de candidats désignés ou par l’intermédiaire de porte-parole. L’hypothèse que nous pourrions ici faire valoir est que l’on est passé à un jeu beaucoup plus individualisé, les personnalités politiques faisant preuve d’une loyauté moindre à l’égard des partis et des candidats désignés par ceux-ci. En parlant d’individualisation du champ politique, nous suggérons qu’un registre alternatif à la loyauté partisane commence à s’affirmer, et que la rhétorique utilisée par exemple par É. Besson illustre de façon idéale-typique : la fidélité à soi, la fidélité aux autres individus, en un mot, l’authenticité et la sincérité. Ce renversement des grammaires et des légitimités ouvre la voie à des dénigrements en tous sens, et aux pratiques politiques qui résultent de ces dénigrements, à commencer bien sûr par des trajectoires beaucoup moins prévisibles qu’auparavant.
61L’affaiblissement du clivage droite-gauche, dont le succès d’En marche fut à la fois le résultat et l’illustration, est évidemment au cœur de cette mutation. Les présidences N. Sarkozy et F. Hollande furent sans doute un moment charnière, le premier en particulier parvenant à imposer une grammaire de l’attachement personnel (à sa personne) de nature à bousculer la grammaire institutionnelle classique, celle de l’attachement au parti. Celle-ci pesait malgré tout encore très fortement, d’où au passage la difficulté pour un É. Besson de se justifier. Une décennie plus tard, il n’est pas certain que le scandale aurait été aussi fort : les débauchages qui ont nourri En marche, au même titre que les départs de ceux que l’expérience macronienne a déçus, signifient peut-être l’avènement d’un champ politique travaillé, comme d’autres champs sociaux, par les idéologies désormais centrales de la sincérité et de l’authenticité.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : loyauté politique, communication négative, élections primaires, campagne présidentielle, communication électorale, partis politiques
Date de mise en ligne : 03/08/2021.
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.23954Notes
-
[1]
F. Mitterrand, 1964.
-
[2]
L’ouvrage collectif dirigé par J. Garrigues, riche d’informations précises sur les « trahisons » les plus fameuses qui ont ponctué la Ve République, s’en tient à une conception très naturalisée et psychologisante du « traître ». J. Garrigues écrit d’entrée de jeu que « la trahison est de toutes les époques, de tous les régimes » (Garrigues, 2020 : 7). Nous voulons à l’inverse réfléchir aux conditions de possibilité (et de réussite) de telles stratégies, par exemple en situant l’accusation de traîtrise dans une sociohistoire de la discipline et de l’indiscipline partisanes (Allal et Bué, 2016).
- [3]
-
[4]
Rappelons que M.-N. Lienemann a finalement quitté le PS en 2018 pour se rapprocher de La France insoumise.
-
[5]
À feu et à sang. Carnets secrets d’une présidentielle de tous les dangers, Paris, Flammarion, 2012.
-
[6]
On pourrait ajouter : même tentation de l’exit vers d’autres activités avant un retour comme ministre (de la Culture) d’E. Macron.
-
[7]
Poids de la Bible et du protestantisme ? Le thème de la traîtrise est omniprésent aux États-Unis, comme le montre l’actualité récente de la présidence Trump, à la fois lui-même accusé de trahison (procédure de destitution) et jugé victime de la trahison de ses plus proches collaborateurs (son ex-avocat M. Cohen, son conseiller sécurité J. Bolton…).
-
[8]
On suit C. Desrumeaux (2016 : 136) lorsqu’il écrit : « La règle partisane est une source particulière de légitimité à laquelle d’autres fondements peuvent être opposés. »
-
[9]
Après avoir tenté de rassembler quelques fidèles au sein d’un nouveau parti (Les Progressistes), É. Besson s’est finalement lancé dans le consulting et a renoncé à tout mandat (y compris municipal en 2020). Cette sortie de la vie politique peut s’analyser comme un indice de la faible recevabilité des justifications ici étudiées.
-
[10]
Participe de cet ego-politique l’individualisation de l’énonciation : ce n’est pas un hasard si nous mobilisons ici les livres publiés par les politiques. Cette production, dont on a montré ailleurs qu’elle était travaillée par une forte revendication d’« authenticité » et de « sincérité », loin donc des normes de loyauté partisane qui régissent le champ politique, constitue un matériau particulièrement riche (Le Bart, 2012).
-
[11]
Rappelons que M. Valls annoncera son retrait de la vie politique française en 2018, qu’il tentera sa chance aux élections municipales de Barcelone en 2019, et qu’il n’est plus désormais que simple conseiller municipal de cette ville.
-
[12]
La fin de la phrase marque cependant le retour en force de la grammaire partisane : « Mais alors pourquoi avoir d’abord proclamé sa fidélité au parti ? »
-
[13]
On aurait encore pu prendre l’exemple de J.-L. Bennahmias quittant en 2007 les Verts pour le Modem (Le Monde, 23 mai 2007). Ou celui de V. Pécresse, longtemps proche de F. Fillon, vivement critiquée pour s’être ralliée à la candidature A. Juppé, alors favori dans les sondages, peu de temps avant le premier tour des primaires. Certains fillonistes la surnommèrent Valérie « traîtresse ».