Couverture de QDC_037

Article de revue

Jean-Max Noyer, Les Intelligences collectives dans l’horizon du trans et posthumanisme

Londres, Iste Éd., coll. Systèmes d’information, web et société, série Technologies intellectives, 2017, 226 pages

Pages 431 à 432

English version

1Avec cet ouvrage paru dans la série « Technologies intellectives » aux éditions Iste qu’il co-dirige avec Maryse Carmes, Jean-Max Noyer examine les caractéristiques que revêt le développement des nanotechnologies, biotechnologies, informatiques et sciences cognitives (NBIC) et les transformations qu’il engendre dans les modes de vie. L’auteur étudie les nouvelles formes d’intelligence émergeant depuis quelques décennies au sein des sociétés occidentales en questionnant la manière dont la production, l’agencement et l’exploitation des big data contribuent au renouvellement des modes d’existence des espèces, qu’elles soient humaines ou non humaines, vivantes ou non vivantes. Il s’agit plus spécifiquement d’explorer les processus contemporains d’artificialisation et de cérébralisation du monde qui seraient selon le chercheur, au cœur « d’une utopie concrète porteuse d’une bifurcation anthropotechnique majeure » (p. 9). Ambitieux, le livre est structuré en trois parties : d’abord, sont explorées les différentes composantes technoscientifiques et les diverses logiques éco-systémiques qui animent l’intelligence collective ; ensuite, est traitée l’incarnation des intelligences collectives dans le trans et le posthumanisme ; enfin, sont analysés les systèmes dits encyclopédiques d’indexation, d’automatisation techno-sémantique des données à l’échelle micro et macro-spatiale.

2Malgré cette architecture tripartite et un effort certain de structuration des idées, il est difficile d’identifier le contenu et la trame de chaque partie et leur inter/intra-cohérence. Plus globalement, le lecteur peut ressentir, dès les premières lignes et jusqu’aux dernières, un sentiment de mécompréhension face à la formulation d’analyses très abstraites, complexes voire compliquées. En guise d’exemple, la citation suivante qui de mon point de vue est représentative d’une manière d’écrire manquant de simplicité : « Nous observons, de l’intérieur du monde des fragments de la conversion topologique cerveau-monde, dont les univers documentaires sont l’expression et l’exprimé – sous les conditions variables de régimes d’écritures et de substances d’expression multiples, de cérébralités en réseau de plus en plus arachnéennes et plastiques » (p. 200-201). De surcroît, les tableaux, graphiques et schémas présentés et commentés sont très denses et, pour la plupart, d’une technicité pointue. Si l’ouvrage s’adresse à une communauté de chercheurs initiés à ce type de thèmes et ce style d’écriture, il est regrettable que les nombreuses approches théoriques que l’auteur présente soient souvent survolées et mobilisées sans véritable réflexion critique. Ainsi des pans de la sociologie de l’innovation (Bruno Latour) ou de celle du rhizome (Gilles Deleuze, Félix Guattari), de la philosophie post-moderne (Jean-François Lyotard), techniciste (Pierre Lévy) ou techno-politique (Bernard Stiegler) sont-ils rassemblés partiellement et de manière disparate et mis sur un pied d’égalité, alors qu’ils mériteraient d’être ontologiquement circonscrits et comparés dans leurs différences. Cet état de fait est d’autant plus frustrant que les écoles de pensée des auteurs mentionnés ont une place importante et un rôle d’influence notoire dans les milieux institutionnels, notamment scientifique et politique. Les travaux de P. Lévy sont des références phares de l’ouvrage de J.-M. Noyer. Si ce dernier intègre et commente plusieurs schémas de ce philosophe sur les phénomènes d’intelligence collective, il aurait fallu idéologiquement situer ce courant de pensée, d’autant plus qu’il est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique, notamment au sein des sciences de l’information et de la communication. La posture technophile qu’adopte P. Levy dans ses analyses n’est pas sans conséquence sur la manière dont il appréhende le fonctionnement et le développement des systèmes sociotechniques et sur son engouement pour les intelligences collectives qui entreraient, si l’on reprend l’analyse de J.-M. Noyer, dans une phase d’efficacité augmentée (p. 111).

3Le parti pris heuristique de l’auteur est d’articuler des théories multiples issues de plusieurs disciplines (sociologie, anthropologie, sciences cognitives, sciences de l’information et de la communication, philosophie des sciences, sciences du langage, sémiotique, éthologie…) sans prendre assez le temps d’expliquer les notions qu’elles recouvrent (noo-nomadologie, système autopoiétique, pensée rhizomatique, subcognition, chaotisation…), alors qu’elles sont pour la plupart complexes. En outre, il est difficile d’identifier les subtilités définitionnelles et les nuances conceptuelles que l’auteur explore pourtant avec une certaine dextérité. C’est le cas lorsque le chercheur pointe la différence de posture existant entre celles qui relèvent d’une démarche associée à la notion d’« ontologie » (p. 49) ou à la notion d’« onto-éthologies » (p. 51). Les analyses sont si concentrées et conceptuellement synthétiques que le lecteur a du mal à ne pas perdre le fil de la démonstration de l’auteur tout au long d’un chapitre ou même d’un sous-chapitre.

4En définitive, le livre aurait gagné en limpidité si l’auteur avait traité moins de sujets. Peut-être aurait-il été opportun d’explorer la question des « horizons trans et posthumanistes » (p. 103) dans un ouvrage supplémentaire ? Objet du second chapitre, l’analyse de ces mouvements tient en une quarantaine de pages seulement, alors que ces nouvelles mouvances représentent un enjeu capital pour le devenir des sociétés contemporaines. À cet égard, les pistes de réflexion que J.-M. Noyer déploient sont intéressantes, notamment lorsqu’il explique la rupture post-kantienne qu’opèrent les trans et posthumanistes sur le plan doctrinal. Toutefois, nous restons sur notre faim si nous souhaitons comprendre un tant soit peu les tenants et aboutissants de leur singularité et de leur potentiel d’influence sur nos institutions publiques qui, ne l’oublions pas, continuent en France à les rejeter radicalement. En l’état, le travail de J.-M. Noyer pâtit de phénomènes à l’image de ce qu’il étudie : des phénomènes de perte de sens et de repères induits par la massification et la diversification accélérées des systèmes de connaissances. Pour reprendre ses propos : « Nous constatons et percevons – en tout cas dans le flou de cet horizon venu à la fois de l’intérieur du monde et d’une finitude fluctuante que se construit et s’expérimente de lignes de fuite – que les dialectiques héritées, têtues et obsédantes tendent vers leur point de tension et de rupture maximal » (p. 78). Les nombreuses citations en anglais mobilisées et non traduites peuvent d’ailleurs être perçues comme un indicateur probant de ce nouvel art scientifique de (ne pas ou plus) faire. En tout cas, elles ont le mérite d’interpeller par la prolixité des références auxquelles elles se rapportent. C’est peut-être ce trop-plein de références et de contenus qui a contraint l’auteur à ne pas conclure, la conclusion étant tout simplement impossible à réaliser.

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