Couverture de QDC_036

Article de revue

Sylvie Leleu-Merviel, Daniel Schmitt, Philippe Useille, dirs, De l’UXD au LivXD. Design des expériences de vie

Londres, Iste Éd., coll. Sciences, société et nouvelles technologies, 2018, 296 pages

Pages 399 à 401

English version

1Dirigé par Sylvie Leleu-Merviel, Daniel Schmitt et Philippe Useille, l’ouvrage s’intéresse à une notion ancienne : l’expérience. Et cela afin d’étendre le concept de l’UXD – design de l’expérience de l’usager – à celui du LivXD – le design de l’expérience à vivre du sujet. Il se présente comme premier édifice concernant le LivXD à travers 11 chapitres qui ambitionnent d’éclairer plusieurs de ses aspects. Nous verrons que les auteur·e·s décrivent des cadres épistémologiques et méthodologiques émergents et qu’ils souhaitent aborder l’activité humaine avec complexité en intégrant dans leurs recherches l’échelle microscopique. L’ouvrage comprend trois parties. La première rappelle l’apport de la philosophie de John Dewey à la réflexion sur l’expérience ; la deuxième élabore une « armature méthodologique » (p. 3) pour s’en saisir ; la dernière développe une réflexion autour du potentiel éducatif de certaines médiations, notamment dans le domaine artistique ou pédagogique.

2La première partie, intitulée Épistémologies, concepts, est composée de quatre chapitres. Patrizia Laudati et Sylvie Leleu-Merviel reviennent sur les prémices du concept d’UXD. Avec le passage au LivXD, il ne s’agit plus de s’intéresser à un usage « fonctionnel [mais au] design d’expérience par les pratiques dans un contexte sociospatial donné » (p. 16). Il faut s’imaginer un « tout cohérent […] doté d’un sens par la personne qui l’a constituée » (p. 30). Au chapitre 2, Françoise Bernard revient sur la notion d’expérience : « Cette notion exhale un parfum de fraîcheur comme si elle avait été peu explorée et, en même temps, elle semble si familière à chacun d’entre nous » (p. 34). D’un point de vue métaphorique, l’expérience est une enquête : il s’agit « de résoudre [son] tissu déchiré » (p. 40). L’expérience est synonyme de dépassement et de réorientation des prescriptions du présent, d’où la filiation du LivXD avec la pensée de John Dewey. Au chapitre 3, la contribution de Charles-Alexandre Delestage décrit deux cadres théoriques majeurs : la méthode de conceptualisation relativisée et l’énaction. Les références à Miora Mugur-Schäcter et à Francisco Varela sont très détaillées. Le chercheur évoque l’importance du corps et le rôle de la perception qui guide ce dernier pendant l’action. Pour rendre compte de la « fabrique de sens » (p. 47), il faudrait arriver à repérer « l’émergence d’un sens particulier pour l’individu » (p. 80). Les annexes du chapitre 3 fournissent une piste : s’attarder sur le « fonctionnement de la conscience » et faire en sorte que le sujet « produise des descriptions » (p. 91). La première partie se conclut par le chapitre 4 dans lequel des chercheurs de l’Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication de Toulon décrivent certains travaux qui ont permis de se rapprocher de l’expérience vécue (en éducation, dans les jeux immersifs, etc.). Philippe Bonfils, Laurent Collet et Michel Durampart font référence à des auteurs provenant d’autres champs, comme les sciences cognitives ou la linguistique cognitive. Les travaux de Charles S. Peirce leur permet de souligner que « l’expérience vécue est un processus complexe, qui engage des émotions, de la cognition et des habitudes socialement constituées » (p. 111). Une autre référence à la sociologie de Norbert Elias permet de souligner que l’expérience dépend de la présence des individus qui possèdent « des dispositions cognitives, psychologiques et corporelles que les institutions, avec ou sans médiation technique, ont cherché à inscrire en [eux] » (p. 111). Il faut concevoir une transformation qui est le résultat de la confrontation continue entre le sujet et son environnement, entre les expériences passées de ce dernier et l’expérience qu’il est en train de vivre. L’heuristique, rajoutent-ils, se situe autant au niveau de « l’expérience vécue du monde par un sujet via un objet [qu’à celui de] l’expérience à vivre pensée lors de la conception » (p. 112).

3Ceci constitue la thématique de la seconde partie intitulée Expériences de la création et/ou de l’œuvre et composée de 3 chapitres. La contribution de Pascal Bouchez et de Philippe Useille, au chapitre 5, cherche à appréhender le lien qui unit un spectateur et un procédé artistique comme le video-mapping. Les auteurs s’interrogent pour comprendre comment une telle installation peut émouvoir le spectateur. Ils pensent que ce processus est comparable à la relation mère/nourrisson, ce qu’ils justifient en proposant un court panorama de la littérature. Mais comment accéder à l’expérience vécue ? Marine Thébault et Daniel Schmitt proposent leur méthode, inspiré du projet REMIND (Daniel Schmitt, Olivier Aubert, REMIND : une méthode pour comprendre la micro-dynamique de l’expérience des visiteurs de musées, Revue des interactions humaines médiatisées, 2017, 17, pp. 43-70). Ce projet définit un protocole qui a permis de reconstruire l’expérience de la création artistique. Le chapitre 6 est bien détaillé, mais certains éléments gagneront à être complétés par d’autres publications de Daniel Schmitt (« Décrire et comprendre l'expérience des visiteurs », ICOFOM Study Series, 2013). La contribution suivante, au chapitre 7, de Khaldoun Zreik et Ahmad Ali, prolonge la réflexion sur le processus. Ces derniers cherchant à le décrire en prenant l’exemple du rapport entre des spectateurs et une illusion d’optique ou encore une anamorphose. L’œil du spectateur, décrivent-ils, est attiré par une information qu’il transforme en signaux nerveux qui sont transmis au cerveau par les nerfs optiques. Le cerveau cherche à adapter l’information à des représentations déjà connues pour pouvoir appréhender une couleur, une distance, des mouvements, etc.

4La dernière partie, intitulée Expériences de la médiation et/ou de la formation, est une réflexion sur les médiations culturelles. Jérôme Hennebert, au chapitre 8, approfondit le concept d’expérience artistique en référence à John Dewey : « Nous défendons le point de vue de John Dewey selon lequel la connaissance et l’action sont indéfectiblement liées à l’expérience esthétique, et l’idée selon laquelle une médiation au musée doit reproduire les conditions d’une expérience esthétique, sensitive et contextualisée, plutôt que de transmettre une culture cultivée » (pp. 208-209). Le LivXD est un moyen de faire passer l’expérience du spectateur en premier pour qu’ils identifient les enjeux de leur émancipation. Un point de vue entrant en résonance avec la contribution de Daniel Schmitt et Virginie Blondeau au chapitre 9. Le projet REMIND est évoqué pour la seconde fois dans l’ouvrage, mais là pour sa capacité à décrire l’expérience des visiteurs. Les chercheurs s’appuient sur les verbalisations des visiteurs quand ces derniers sont invités à commenter les traces des vidéos qu’ils ont filmées pendant leur visite. Au chapitre 10, Smaïl Khainnar analyse l’apport de la médiation des visites de chantier dans un dispositif pédagogique destiné à des étudiants dans le domaine du génie civil architectural et urbain. La méthode employée pour en mesure l’impact lui a permis de modéliser un continuum expérientiel (p. 248), en décrivant trois registres : circonstanciel, médiationnel et mémoriel. Le dernier chapitre de la partie et de l’ouvrage, écrit par Julian Alvarez, Olivier Irrmann, Damien Diaoutti, Antoine Taly, Olivier Rampnoux et Louise Sauvé, propose de décrire des situations où un « jeu va servir […] de médiation pour guider des participants dans les différentes étapes de codesign (p. 262). Le lecteur est invité à enrichir ses connaissances dans le domaine du jeu sérieux. Mais le point saillant de ce chapitre 11 est surtout le suivant : il ne peut y avoir de jeu (ou de situation vécue) sans joueurs (ou sans individus).

5Les études sur la conception et sur la réception des dispositifs intéressent les chercheur·e·s en sciences de l’information et de la communication. Cet ouvrage invite à analyser ces deux espaces sans les séparer et à complexifier l’approche de la communication. Le lecteur est encouragé à approfondir sa réflexion, car l’expérience n’est pas modélisable ; le processus intime auquel l’expérience à vivre renvoie n’est accessible que si le sujet est prêt à ouvrir une boîte noire, ce qui suppose des conditions de collectes de données favorables à sa verbalisation et à une réflexion épistémologique solide qui pourra être initiée à travers cet ouvrage. Le LivXD s’inscrit dans la catégorie de la recherche-action.

6Nous retiendrons que les 11 chapitres se complètent pour souligner efficacement la fécondité du LivXD même si le concept d’expérience, à qui il doit sa paternité, est ancien. L’art est souvent cité comme exemple. Le succès de l’œuvre est subordonné à la réaction des spectateurs et donc au sens que ces derniers vont faire émerger (ou énacter). Ce processus n’est possible que si les créateurs arrivent à préoccuper le spectateur, c’est-à-dire à le questionner sur des représentations. La notion d’expérience vécue doit sa paternité au pragmatisme de John Dewey et de Charles S. Peirce, à des penseurs comme Norbert Elias ou encore Jacques Derrida, à des neurobiologistes tel que Francisco Varela ou à l’apport de Jacques Theureau à travers sa théorie du cours d’action (Le Cours d’action : l’enaction et l’expérience, Toulouse, Éd. Octarès, 2015). La pensée du sujet dépend d’un interprétant qui va lui permettre d’élaborer une représentation du monde selon un certain degré de satisfaction. Dans notre modernité, les dispositifs numériques se mêlent à de nombreux instants de la vie. Notre conscience va tenir plus ou moins à distance les prescriptions de ces derniers, notamment les utopies qui sont développées par les discours des industriels. Le LivXD présente l’intérêt de réfléchir à l’autonomie que les sujets seraient capables de récupérer vis-à-vis de ces derniers.

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