Notes
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[1]
Cet article s’inscrit dans le cadre du projet de recherche Patrimoine scientifique toulousain et environnement local (Pastel, Idex de Toulouse) au sein duquel l’auteur était en charge de l’inventaire, puis de l’analyse, des hommages sous toutes leurs formes dans les facultés et à partir de 1969, dans les universités toulousaines. Cette recherche a donné lieu à des publications de statut divers : Boure, 2017 ; 2019a ; 2019b ; à paraître.
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[2]
Le corpus est issu de l’inventaire évoqué supra (Boure, 2017), complété fin 2017. La période commence au moment où, en application de la Loi Faure du 12 novembre 1968, l’Université de Toulouse, avec ses quatre facultés, laisse la place à trois universités autonomes : Toulouse 1 Sciences Sociales qui deviendra Toulouse 1 Capitole (UTC) en septembre 2009 (droit, sciences économiques, gestion, science politique), Toulouse 2 Le Mirail, devenue Toulouse 2 Jean Jaurès (UT2J) en mars 2014 (lettres, sciences humaines et sociales) et Toulouse 3 – Paul Sabatier (UPS) qui regroupe sciences et médecine.
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[3]
Les hommages aux membres des facultés des sciences et de médecine ont été attribués à l’UPS, les hommages aux membres de la faculté de droit à l’UTC et les hommages aux membres de la faculté des lettres à l’UT2J.
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[4]
On notera en outre que placer la focale sur les « gestes » permet de se concentrer sur les acteurs sociaux, leurs pratiques, leurs représentations et leurs enjeux.
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[5]
L’expression juridique « le mort saisit le vif » signifie que le patrimoine du défunt est automatiquement transmis à ses héritiers légitimes.
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[6]
Depuis Émile Durkheim, la sociologie a régulièrement accordé une place plus ou moins importante à la différenciation sociale. Parmi les travaux d’inspiration diverse, on relèvera notamment : Bourdieu (1979) ; Elias (1987) ; Juteau (2003).
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[7]
Quand le dédicataire est décédé avant la réception de l’ouvrage, il est fréquent que les mélanges s’ouvrent sur un article nécrologique retraçant, avec plus ou moins de retenue, sa vie et son œuvre. Il peut aussi arriver que la nature des mélanges change à la suite de sa disparition prématurée : « En raison des circonstances, les Mélanges qui devaient être offerts à Jacques Allières deviennent un Hommage à Jacques Allières : l’équipe qui a pris en charge la réalisation s’efforce d’en accélérer la parution » (Ravier, 2001).
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[8]
On peut, par exemple, relever : Penser la socialisation en psychologie. Actualité de l’œuvre de Philippe Malrieu (Baubion-Broye, Dupuy, Prêteur, 2013) ; ou encore Jean-Michel Berthelot. Itinéraires d’un philosophe en sociologie (1945-2006) (Marcel, Martin, 2011).
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[9]
La différence entre les deux corpus (1969-2017 et 1885-1968) tient essentiellement au fait qu’avant les années 1960 l’enseignement occupait une place importante dans le quotidien et l’imaginaire des universitaires et que, en dehors des facultés dites « scientifiques », la production des connaissances et le débat pouvaient utiliser des voies que d’aucuns qualifierait aujourd’hui de « peu scientifiques », notamment au niveau des méthodes.
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[10]
En ce sens, les nécrologies ont pour fonction d’apprivoiser la mort.
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[11]
Quand le disparu est une figure nationale ou internationale, la presse locale sait jouer avec les échelles territoriales. Un procédé classique consiste à utiliser des marqueurs prestigieux (prix et récompenses, élection à une grande académie française ou étrangère), pour renforcer sa stature locale.
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[12]
La grande ou haute figure est une médiation qui facilite l’expression d’une adhésion individuelle à des représentations collectives partagées ayant une portée universelle (la science, le progrès…).
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[13]
L’hommage de la presse est plus rarement international (D. Martin, 2004, « Jean-Jacques Laffont, Economist, Dies at 57 », The New York Times, 14 mai).
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[14]
Bernard Maris fit l’essentiel de sa carrière universitaire à Toulouse.
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[15]
« J’ai compris que j’avais capté en un instant toute la richesse du personnage, capable d’allier des convictions solidement justifiées et particulièrement bien ancrées à une relation aux autres qui implique respect, élégance et empathie » (Chap, 2016) ; « Tous ceux qui ont connu Henri Gilles ont apprécié, outre sa science sans défaut, sa parfaite courtoisie et la chaleur de son accueil » (Sicard, 2014) ; « Jean Fontanari laisse le souvenir d’un membre essentiel pour l’équipe, par ses analyses rigoureuses et ses apports scientifiques primordiaux, ainsi que celui d’un homme au caractère aimable et affable, et doté d’un humour toujours précieux » (Collectif, 2009).
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[16]
« Capable d’analyser et de comprendre les mouvements sociaux en toute lucidité, Rolande Trempé était aussi, par sa propre vie et par ses engagements, attentive aux destins individuels et attachée au droit à la différence », (Pech, Cazals, 2016) ; « Au moment de quitter ses fonctions universitaires, Georges Larrouy va mettre son expérience et son talent au service de la cité, en assurant la Présidence du Conseil Scientifique du Muséum de Toulouse » (Chap, 2016).
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[17]
On n’insistera jamais assez sur le rôle joué dans la construction de l’entre-soi par les rituels académiques et les réunions professionnelles ou privées à vocation communautaire dans lesquelles « chacun des participants sait (ou suppose) que ses interlocuteurs sont présents parce qu’ils partagent une histoire et une trajectoire similaires à la sienne » (Tabois, 2013 : 150).
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[18]
En fait, il est vain de chercher dans l’hommage funèbre un retour analytique et réflexif, sinon sur le cursus honorum, du moins sur les travaux du défunt. Cela peut à la fois se comprendre (la mort, paraît-il, gomme les conflits) et étonner, du moins quand il est publié par une revue scientifique, en général plusieurs mois après la disparition, à distance de l’émotion. Après tout, on pourrait considérer que si ses travaux sont dignes d’intérêt, c’est parce qu’ils méritent d’être débattus avec la boîte à outil des chercheurs, d’autant que le débat est censé être au centre des pratiques scientifiques. Or, tout se passe comme si le regard distancié était susceptible de diminuer les mérites du défunt et de casser une consensualité communautaire de circonstances, en partie artificielle, mais tellement rassurante. Tout se passe aussi comme si chacun avait conscience qu’il y avait deux temporalités : une pour le deuil, l’autre pour l’analyse.
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[19]
Il faut ici évoquer la place importante du souvenir, nostalgique ou non, dans les micro-récits qui parsèment nombre de nécrologies.
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[20]
Dans le corpus secondaire (1885-1968), toutes les nécrologies concernent des professeurs.
1L’Université rend régulièrement hommage à ses membres disparus qui « le méritent » et qui « font honneur » à l’institution, pour ne pas dire à la science, par référence aux critères dominants dans un contexte social, spatial et temporel donné. Cet hommage peut prendre diverses formes : attribution de leurs noms à des institutions académiques (universités, instituts, laboratoires…), à des locaux ayant une dimension symbolique (salle du conseil, salle des thèses, amphithéâtre, bibliothèque), à un grand équipement (télescope, coupole astronomique…), à des prix scientifiques et à des chaires ; publications de statut divers qui vont de la nécrologie aux ouvrages biographiques ou analytiques (dont les mélanges), en passant par des manifestations spécifiques telles les journées d’études, les colloques et les commémorations [1].
2Les nécrologies qui seront la seule forme traitée ici sont des textes d’hommage oraux ou écrits, de taille et de statut variables, rendus publics après le décès de personnalités scientifiques. La publicité peut prendre diverses voies : médias, revues scientifiques ou non, bulletins ou magazines spécialisés, sites d’institutions, blogs, discours oraux lors de cérémonies d’obsèques ou commémoratives. Seront ici retenus les articles et notices nécrologiques, les communiqués et les éloges funèbres au sens de discours publics oraux ou écrits vantant les mérites et/ou la réussite d’un défunt ayant exercé dans les trois universités toulousaines : Toulouse 1 Capitole (UTC), Toulouse Jean Jaurès (UT2J) et Toulouse 3 – Paul Sabatier (UPS).
3Cette recherche s’appuie essentiellement sur un travail d’archives et plus particulièrement sur un corpus de 190 nécrologies, tous formats et supports confondus, rendus dans ces universités sur la période 1969-2017 [2] (UTC : 38, UT2J : 69, UPS : 83). Ces textes concernent 107 (enseignants-)chercheurs (UTC : 18, UT2J : 35, UPS : 54). Ce corpus n’est évidemment pas exhaustif. En revanche, il contient assez de références pour servir d’appui à une analyse essentiellement qualitative. Les différences de taille entre les trois sous-corpus tiennent moins aux particularités des trois universités qu’au nombre d’enseignants-chercheurs et de chercheurs en poste. Par ailleurs, un corpus secondaire de 69 hommages pour la période 1885-1968 [3] (UTC : 23, UT2J : 19, UPS : 27) sera utilisé, notamment pour des mises en perspectives temporelles.
4Le propos de cet article n’est pas de disserter sur la nécrologie en tant que genre littéraire et/ou rédactionnel ou en tant que discours rhétorique (même si ces dimensions seront abordées, notamment dans la première partie). Il est de la construire comme pratique sociale qui traduit et exprime des positionnements, des affects, des valeurs, des représentations, qui produit du sens et qui n’est pas sans conséquences sur les manières de faire et d’être des individus et des groupes sociaux concernés.
5Cette pratique, encore assez peu étudiée toutes disciplines confondues, appartient aux rituels nombreux, partagés et récurrents dans l’Université : soutenance de thèse, rentrée solennelle, cérémonie de remise de diplômes, cérémonie organisée à l’occasion de l’attribution d’un prix scientifique ou d’un titre de docteur honoris causa… Mais elle relève aussi de gestes mémoriels et, à ce titre, elle constitue une trace qui, combinée à d’autres, peut inscrire ceux qui en sont l’objet dans un processus de patrimonialisation (Bonnet, 1986). Du moins si l’on entend par patrimonialisation les gestes mémoriels [4] qui, à un moment donné, font patrimoine pour des groupes d’acteurs – ici les communautés académiques – quand bien même ils ignorent les critères et les dispositifs officiels de l’entrée en patrimoine comme l’inventaire, le classement ou l’inscription (Davallon, 2014 et 2006 ; Givre, Regnault, 2015 ; Boudia, Rasmussen, Soubiran, 2009). Par-delà l’hommage au disparu, il s’agit aussi de conforter les vivants car si le mort saisit le vif [5], la mort contribue à construire les vivants.
6Toutefois, ces gestes ne concernent qu’un nombre réduit de chercheurs qui, pour la plupart, répondent aussi à d’autres critères de patrimonialisation (découvertes importantes, publications « de référence », rôle majeur dans la création ou l’évolution d’une discipline…). En effet, l’Alma mater et d’autres institutions (grands organismes de recherche, médias, collectivités publiques…) ne les réservent qu’à ceux qui le « méritent » et qui rejoignent ainsi les cohortes de méritants relevant d’autres secteurs de la vie sociale (politique, économie, culture, sport…). Mais qu’ils relèvent ou non d’un carnet noir mondain, ces gestes sont toujours les signes d’une distinction sociale qu’ils contribuent à rendre plus visible. En même temps, ils expriment des valeurs qui dépassent le cadre de la communauté scientifique et qui, à ce titre, peuvent concerner tout un chacun.
7Plus particulièrement quand ils émanent de pairs, ils ont aussi une fonction communautaire, a minima l’expression d’une sociabilité professionnelle, et bien souvent la confortation d’un entre-soi. Mais un entre-soi qui n’exclut pas irrémédiablement « les autres » et qui peut avoir des fonctions moins voyantes, comme par exemple, permettre au groupe de faire son deuil et à ses membres de se confronter au sens de leur vie, professionnelle ou non. Enfin, ces pratiques distinctives sont inégalitaires car ceux qui cumulent les hommages funèbres constituent un petit « noyau dur » qui masque mal le trou béant laissé par les « oubliés des honneurs ». Dans le monde social universitaire, on ne prête qu’aux riches : l’effet Matthieu (Merton, 1968) joue ici à plein.
Distinction sociale et carnet noir mondain : du particulier à l’universel
8Ce n’est pas tant le chercheur défunt qui est ainsi honoré que sa figure. La figure renvoie à la fois à des représentations socialement construites du chercheur et à celui qui est représenté et qui n’est plus tout à fait l’être social et subjectif qu’il fut, sans pour autant être totalement un personnage de fiction. Enfin et surtout quand le défunt est « remarquable et remarqué », sa figure est regardée « favorablement » par d’autres dans et hors le monde académique avec une charge symbolique plus ou moins forte.
9Lorsqu’elles sont construites par les pairs à travers des nécrologies, les représentations ne visent pas seulement à rendre présent le chercheur disparu à travers de multiples signes (évocation de lieux, de pratiques, de récompenses obtenues, de découvertes et de publications, construction de portraits et de récits…). Elles visent aussi à le « montrer » publiquement et à le désigner comme celui qui incarne une activité socialement importante, la science. Tellement importante, qu’elle contribue à différencier socialement ceux qui s’y adonnent et qui s’y sont distingués et ont été, en conséquence, distingués. La distinction sociale [6] renvoie à l’idée qu’un individu ou un groupe social est placé tout autant qu’il se place au-dessus des autres de façon à les mettre à distance et à les y maintenir. Individus et groupe accentuent, d’une part, ce qui les relie et fait fortement sens pour eux, d’autre part, ce qui les différencie des autres. Elle fonctionne sur le mode « eux et nous » car les individus produisent des éléments discursifs qui fonctionnent comme des critères permettant de classer et de distinguer au profit de leur groupe d’appartenance. Enfin, elle fait l’objet de multiples stratégies dont le but ultime est la légitimation.
10En fait, le monde universitaire est un monde distinctif tant par rapport à l’extérieur vis-à-vis duquel il multiplie les signes de différenciation, qu’en son propre sein. En effet, son mode d’organisation et de fonctionnement laisse une grande place aux marques de reconnaissance et de légitimité sociales qui permettent de classer les chercheurs, les universités, les laboratoires, les disciplines, les récompenses et les publications.
11Quand elles sont construites par les médias (Makarova, 2003, 2007 ; Florea, 2011b), les nécrologies ont trois fonctions principales : annoncer la mort et raconter une vie, autrement dit construire un événement pour des publics larges, plus particulièrement lorsque le disparu est « un nom » ; l’inscrire dans un carnet noir mondain local ou national où il côtoie des figures « remarquables » issues d’autres mondes sociaux (politique, économie, culture, sport…) ; montrer que la figure du disparu incarne des valeurs et au-delà une exemplarité qui dépassent son groupe d’appartenance et à ce titre sont susceptibles d’interpeller chacun.
12Cependant, qu’il s’agisse de constructions par les pairs ou par les médias, on est toujours en présence de discours marqués par une autocensure dans la sélection de ce qu’il convient de dire et de ne pas dire en « pareille circonstance » sur la vie, l’œuvre et les qualités du défunt. Par ailleurs, même si cela est plus apparent dans les constructions de la presse nationale et locale, les pratiques et les discours distinctifs sont toujours pondérés par la référence à des valeurs partageables dans la communauté d’appartenance, mais aussi en dehors d’elle.
L’hommage des pairs
13Dans le monde académique n’importe qui ne rend pas hommage à n’importe qui, n’importe où et n’importe comment. La mort d’un pair « remarquable » est d’abord une affaire de groupe et l’affaire de ceux qui comptent dans le groupe. Car « appartenir à une communauté savante, c’est faire l’expérience de ce lien particulier qui attache et positionne, qui assigne une place dans l’espace social, mais aussi dans le temps et dans la mémoire » (Jacob, 2007 : 127).
Les lieux distinctifs des nécrologies
14Les hommages funèbres sont rendus par les pairs, en tant que collègues, élèves ou amis, même s’il peut arriver que d’autres soient invités à se mêler à eux. D’ailleurs, ils sont le plus souvent publiés dans des supports gérés ou contrôlés par des institutions académiques ou proches de ces dernières, comme les bulletins de sociétés scientifiques.
15Les supports les plus anciens sont les revues scientifiques, les annales des universités et les bulletins de sociétés scientifiques locales, nationales ou internationales. Il peut d’abord s’agir de revues ou de sociétés dans lesquelles le défunt a été très actif, au point d’y avoir occupé des responsabilités majeures : Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest (Daniel Faucher), Caravelle (Paul Mérimée), Annales historiques de la Révolution Française (Jacques Godechot), Revue psychiatrique (Pierre Moron), Tiers Monde (Bernard Kayser), Revue de droit rural (Christian Dupeyron), Radioprotection (Daniel Blanc). Mais le plus souvent (92 % du corpus), il s’agit simplement de périodiques de sa discipline.
16On notera que lorsque l’hommage est rendu par une société scientifique locale, c’est à un de ses responsables ou à celui qui va occuper son fauteuil que revient la charge de le prononcer, et ce quelle que soit la discipline du défunt : ainsi, dans les Mémoires de l’Académie des sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, si Jacques Arlet (médecine) fait l’éloge d’Yves Laporte (médecine), c’est Guy Lazorthes (médecine), qui fait celui de Jean Sermet (hispanisme), et Germain Sicard (droit) celui de Philippe Wolf (histoire). En revanche, quand la société est nationale ou internationale, c’est souvent un collègue en discipline proche scientifiquement et/ou affectivement qui s’en charge (Cot, 2015 ; Ambroise-Thomas, 2008).
17À partir des années 1990, quand les magazines papiers se développent dans les universités, les grands organismes de recherche et les laboratoires, s’établit peu à peu l’usage d’y publier des articles ou des notices nécrologiques, sans que cela soit pour autant systématique et sans que cela concerne tous les chercheurs et enseignants-chercheurs : « Hommage Roger Merle » (Roujou de Boubée, 2008), « Hommage : mort d’un grand professeur “Pierre Vellas” » (anonyme, 2005), « François Labie : éloge d’un boulimique » (Regourd, 2004)… Puis, quand les magazines numériques apparaissent, les mêmes pratiques s’y poursuivent, parfois remplacées ou complétées par les sites des universités, des grands organismes ou des laboratoires : « Disparition de Pierre Soler » (CNRS-Insu, 2017), « Hommage à Jean-Paul Zahn » (Observatoire Midi-Pyrénées, 2015)…
18Certains articles – mais ce ne sont pas à proprement parler des nécrologies –, publiés plus ou moins largement après la date du décès d’un pair bénéficiant d’une large notoriété s’inscrivent dans une temporalité académique plus large : nouvel hommage à une date anniversaire (de la naissance, de la mort, de l’attribution d’un prix, de l’élection à une académie…), cérémonie d’hommage pouvant revêtir des formes et des statuts divers (témoignages de collègues, journée d’études, colloque avec ou sans actes) et publication d’ouvrages dédiés. Ces derniers peuvent être des mélanges, c’est-à-dire des ouvrages « offerts à », « à la mémoire de », publiés le plus souvent à l’occasion du départ à la retraite ou du décès d’un pair [7]. Leur qualité scientifique étant contestée, souvent à raison (Waquet, 2006 ; Boure, 2019b), ils peuvent être délaissés au profit d’ouvrages entendant discuter, critiquer, contextualiser et mettre en perspective les apports théoriques et méthodologiques du dédicataire et débattre de son rôle dans la vie des institutions académiques et/ou dans la structuration d’une discipline à partir d’observables empiriquement constatés [8].
19Par-delà leurs différences de statut et de contenus, tous ces hommages ont un point commun : ils sont enchâssés dans des « lieux » significatifs de la nature du milieu académique, objets parmi d’autres objets matériels (laboratoires, amphithéâtres, bibliothèques, instruments…) et immatériels (connaissances, théories, disciplines, diplômes, récompenses scientifiques…) largement propres à ce dernier et qui sont difficilement visibles et/ou compréhensibles par ceux qui se situent à l’extérieur car ils en possèdent rarement les codes. Et la mise en récit tout autant qu’en mémoire contribue à cette mise à distance en attestant ostensiblement que le défunt est bien à sa place, dans la communauté savante concernée. Par exemple, les éléments biographiques qu’ils contiennent sont organisés en mini-récits qui renvoient à l’identité narrative de cette communauté et qui fonctionnent pour la plupart comme des marqueurs distinctifs.
20Ces signes qui s’accumulent pour construire une figure exemplaire sont autant d’étalons permettant de démarquer le défunt de ceux qui appartiennent à d’autres mondes sociaux… tout en exprimant, ouvertement ou mezzo voce, l’universalité (« ceux qui la côtoyaient ont souvent été ébloui-e-s par sa simplicité, son contact chaleureux, sa bienveillance et son exceptionnel esprit de lutteuse en faveur du bien commun » [Boscus, Pech, 2016]) ; ou encore les liens unissant l’universitaire à des communautés plus larges (« De par ses origines, Bernard Maris se sentait appartenir à cette nation de paysans qu’est la France » et plus loin, le rappel de « sa révérence pour la langue, fondatrice de la civilisation et de l’identité françaises, qui sont pour lui l’apanage du peuple français toutes origines confondues » [Azzoug, 2015]).
Les procédés discursifs
21Bien entendu, on trouve dans les discours d’hommage prononcés par des pairs des procédés utilisés dans d’autres discours de même nature produits dans d’autres milieux pour d’autres personnes (Florea, 2011a, 2011b). Sur le plan formel, la plupart utilisent une trame mêlant chronologie et récit de moments de vie : famille, études, rencontres importantes, responsabilités institutionnelles, travaux de recherche, qualités professionnelles et humaines… La vie privée, les rares fois où elle est abordée, est traitée de manière discrète et euphémisée. Au niveau des procédés discursifs, outre le superlatif qui glorifie et la citation qui fait entendre la parole du défunt, quasi banalisés dans ce genre littéraire, on peut relever l’usage plus ou moins immodéré de :
- L’amplification : la thèse de Jean-Claude Dinguirard est « magnifique » (Ravier, 1984) ; à propos de Jean Lagasse : « son génie de bâtisseur et un sens inné de l’organisation » (Lacoste, 2003) ; Jean-Jacques Laffont, économiste nobélisable, devient « un géant », qui plus est « modeste », ce qui accentue sa grandeur (Belloc, 2004) ; Henri Gilles a une « science sans défaut » (Sicard, 2014) ; Gabriel Marty a fait preuve d’une « inlassable activité » et d’une « puissance extraordinaire de travail » (Debray, 1973), tout comme son collègue historien du droit Paul Ourliac pour lequel « retracer la vie - peut-être vaudrait-il mieux dire les vies - est une tâche difficile, tant il a su mener de front de multiples activités : enseignant, historien, juriste, administrateur, voire homme politique » (Gilles, 1998). On a pu aussi relever une forme particulière d’emphase : mettre en exergue ce qui est généralement considéré comme un défaut pour en faire une qualité. Ainsi le juriste François Labie est-il qualifié par son collègue et intime Serge Regourd (2004) de « boulimique », pour mieux rappeler son « insatiable soif de vie » et sa faculté à « travailler et s’amuser de tout, les plus hautes exigences de sérieux pour mieux moquer le trop sérieux ».
- La métaphore : « C’est un peu notre premier timonier qui vient de quitter définitivement le navire dont il avait été le premier architecte, assemblant les premiers montants, posant les premiers rivets, avant de prendre le gouvernail pour les manœuvres initiales, celles où l’on éprouve la solidité de l’ouvrage, l’étanchéité de la coque, sa capacité à remonter le vent et à tenir dans les mers les plus agitées » à propos du fondateur et premier responsable de la revue (bien nommée) Caravelle (Baudot, 1989). C’est peut-être par référence à cet article que Georges Baudot, disparu en 2001, se voit à son tour attribuer la fonction de timonier : « La barre du jeune vaisseau qu’était Caravelle s’est donc trouvée entre ses mains » (Gilard, 2001).
- L’exceptionnalité : « Il fut sans rival heureux dans toutes les branches de la pensée ou dans les divers secteurs de l’action auxquels il s’intéressait ou il s’adonnait » (Debray, 1973). Il rejoint alors Maurice Hauriou, le plus illustre de ses prédécesseurs : « Avec quel art il guidait les jeunes cerveaux sur les sentiers ardus du Droit public, dont il restera le maître inégalé ! » écrivait un de ses anciens élèves dans L’Express du Midi (21/03/1929) dans un hommage consacré au célèbre doyen. « Avec Pierre Bonnassie disparaît le plus grand historien contemporain de la Catalogne médiévale » (Zimmermann, 2007). « Il avait été un des pionniers d’un mouvement intellectuel à partir duquel la science économique a repensé le rôle de l’information dans les relations contractuelles » (Guesnerie, 2004).
23Il est inutile de fournir d’autres exemples, tant ils sont nombreux. Mieux vaut insister sur deux procédés répandus qui, sans être spécifiques au monde universitaire, sont ici lourds de sens, de connivence, de distinction, tout en laissant une place à l’universalité :
- L’énumération d’éléments qui contribuent à construire une exemplarité, surtout lorsque le chercheur décédé a eu une vie ponctuée de multiples récompenses scientifiques (prix, doctorats honoris causa…) et de décorations académiques ou non, mais aussi marquée par de multiples responsabilités « lourdes » et de publications dans des revues ou des collections de référence. Ces caractéristiques, ou plutôt ces traces « remarquables » sont souvent égrenées avec ostentation au cœur ou à la fin des hommages. L’insistance sur l’exemplarité peut aussi être lue comme une marche à suivre susceptible de s’appliquer à d’autres mondes que celui de la recherche.
- Le choix de mots qui expriment à la fois deux dimensions de la vie académique : l’exceptionnel et l’ordinaire. Nous retiendrons deux termes, très complémentaires, très utilisés dans 88 % du corpus principal et 69 % du corpus secondaire : « science » et « recherche » [9]. Leur point commun est, d’une part, d’exprimer la dimension la plus emblématique et la plus valorisante du métier, jusque dans la quotidienneté du travail universitaire, et, d’autre part, la plus discriminante vis-à-vis des autres métiers, puisqu’il n’y a que les chercheurs qui « font science » et font de la recherche au sens entendu dans le monde académique. En même temps, la valorisation de la science et de la recherche peut renvoyer à des valeurs universelles qui les traversent (travail, rigueur, abnégation, recherche de la vérité…) ainsi qu’à leur utilité sociale.
25On voit bien que, par-delà la dimension mémorielle et parfois patrimonialisante, ces textes sont d’abord tournés vers des disparus qu’ils font d’une certaine manière revivre en rappelant des faits ou des traits marquants. En ce sens, ce sont des récits de vie qui ont l’évidence existentielle du vécu et dans lesquels ont été choisis des éléments biographiques confortant l’image que l’on veut retenir et/ou que l’on souhaite que la postérité retienne. Mais ils s’adressent aussi aux vivants qui, d’une part, sont contraints de continuer sans eux tout en se trouvant confrontés à leur propre mort [10], d’autre part, doivent gérer leur vie, y compris professionnelle, en s’inspirant des valeurs et des mérites égrenés dans les nécrologies.
L’hommage des médias : informer, louer et notabiliser
26La publication de nécrologies par les médias locaux ou nationaux, et plus exceptionnellement étrangers, est ancienne. Par exemple, les décès des doyens des facultés de Toulouse ont fait systématiquement l’objet d’articles journalistiques dans la presse locale et cette pratique s’est poursuivie avec les présidents d’universités. Bien évidemment, elle va au-delà des responsables d’établissements pour englober les universitaires locaux qui se sont, d’une manière ou d’une autre, « distingués ». En fait, plus qu’une différenciation sociale, elle exprime surtout la notabilité locale du défunt ainsi que son ancrage territorial attesté par des marqueurs observables. La figure scientifique est inscrite dans le territoire, soit parce qu’elle en est issue, soit parce qu’elle y a travaillé et y a vécu. Ce marqueur fort, toujours rappelé par la presse locale, est complété par d’autres, exprimés tout aussi explicitement : création d’institutions universitaires, exercice d’importantes responsabilités locales académiques et non académiques (collectivités locales, hôpitaux et cliniques, clubs sportifs, œuvres de bienfaisance, partis politiques…), ou encore travaux de recherche ayant eu, au moins en partie, pour cadre le territoire local [11].
27Ainsi La Dépêche du Midi, principal quotidien régional, a-t-elle consacré des articles à de nombreux universitaires toulousains « remarquables » venant de disparaître : « Le directeur de l’Observatoire Midi-Pyrénées rejoint les étoiles » (Pierre Soler dirigeait, entre autres, l’Observatoire du Pic du Midi et présidait le Conseil académique de l’Université Fédérale de Toulouse – Midi Pyrénées) (La Dépêche du Midi, 16/05/2017) ; « Georges Mailhos : la mort d’un lettré » (mais aussi d’un ancien président d’université, du créateur du Cercle Condorcet à Toulouse, et du secrétaire perpétuel en exercice de l’Académie des Jeux Floraux, la plus ancienne société savante locale française) (La Dépêche du Midi, 14/01/2016) ; « Le Bâtonnier Roger Merle nous a quittés. Une grande figure du droit, du barreau et de l’Université » (La Dépêche du Midi, 24/10/2008)…
28Et lorsque le disparu est une haute figure [12] scientifique, la presse nationale n’a jamais été en reste en termes d’hommages. Cela est vérifiable tant pour le passé (Maurice Hauriou, figure emblématique du droit français, Paul Sabatier, prix Nobel de chimie, Henri Gaussen, botaniste et cartographe de la végétation de réputation internationale…) que pour la période contemporaine : « L’anthropologue Daniel Fabre est mort à 68 ans » (Le Monde, 29/01/2016) ; « Rolande Trempé, l’historienne des mineurs n’est plus » (L’Humanité, 18/04/2016) ; « Toulouse : décès à 103 ans du Professeur Lazorthes » (Le Figaro, 26/03/2014), « Jean-Jacques Laffont » (Les Échos, 04/05/2004) [13].
29Dans des circonstances exceptionnelles, l’hommage médiatique sait aussi être exceptionnel : par exemple, le décès de Bernard Maris [14] dans l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo a fait l’objet, à côté de très nombreux articles et émissions relatant les faits et contenant des éléments biographiques, de multiples hommages : « Charlie Hebdo : hommage à l’économiste Bernard Maris » (Europe 1, 08/01/2015) ; « Charlie Hebdo : hommage à Bernard Maris » (Le Figaro, 07/01/2015) ; « Hommage à Bernard Maris » (France Inter, 08/01/2015) ; « L’hommage des Échos à Bernard Maris » (Les Échos, 07/01/2015)… La plupart des articles qui lui sont consacrés se situent dans le registre de l’information et de l’éloge : s’il s’agit bien, formules plus ou moins stéréotypées à l’appui, de conjuguer hommage et biographie d’un personnage s’étant illustré dans un domaine valorisé et socialement utile (« la science »), il n’est pas question de proposer un voyage dans l’intime, comme si celui-ci était réservé à la communauté scientifique (voir infra) et surtout aux proches. Certains font toutefois exception, en particulier lorsque l’auteur (journaliste et plus rarement chercheur) a connu personnellement le défunt : « Sept ans de régal, à l’écouter, à dialoguer avec lui, à être son complice. À être en désaccord – parfois, souvent, pas toujours –, mais bien sûr, pas son adversaire. Bernard Maris est pour moi bien plus qu’un confrère, c’est un compère » (Dominique Seux, France Inter, 08/01/2015).
30On relèvera enfin qu’en fonction de la notoriété réelle ou supposée du disparu, la nécrologie peut prendre place à différents endroits de la publication locale ou nationale. Le décès d’une personnalité d’envergure (inter)nationale pourra ainsi être rapporté dans un article « généraliste », tandis que la disparition d’un universitaire moins connu sera plutôt annoncée dans un bref article relégué dans une rubrique spécialisée du type « nécrologie », « disparitions ». Dans Le Monde et Le Figaro, cette dernière avoisine souvent le « carnet mondain », où sont publiés les faire-part de naissance, mariages, décès et les annonces de messes (ou de manifestations laïques) anniversaires. L’annonce du décès pourra même se réduire à un simple faire-part, rédigé par la famille et/ou l’institution de rattachement du chercheur, incluant pour la famille la liste succincte de la parentèle, et pour tous heure et localisation des obsèques.
31Qu’ils émanent des pairs ou du monde des médias, ces hommages ont en commun la volonté de présenter les dédicataires comme des êtres différents et dignes d’intérêt, parfois hors du commun et alors dignes d’admiration. Mais en même temps, ils ne peuvent s’en tenir à ce seul registre sous peine de représenter l’enseignement supérieur et la recherche comme un monde clos, coupé de la société, alors même qu’il doit la plupart de ses moyens à cette dernière pour la seule raison que son activité est jugée socialement nécessaire. En fait, pour être reconnues comme telles, les figures scientifiques doivent être connectées à d’autres groupes sociaux, à la société et à chacun. Il faut non seulement qu’elles « parlent à tous » et frappent l’imaginaire du plus grand nombre, mais aussi qu’elles puissent, à des degrés divers, être mobilisées par chacun. Dès lors les textes d’hommage utilisent divers procédés qui vont de la mise en évidence quasi systématique des (nombreuses…) qualités humaines – pour être chercheur·e on n’en est pas moins homme ou femme [15] –, à ses engagements sociétaux [16], en passant par l’énonciation plus ou moins discrète d’une vérité doxale : la science et la recherche ont des répercussions sur le quotidien des gens et sur la compréhension de ce qu’ils vivent. Les liens forts qui unissent le groupe social relativement fermé des universitaires et qui contribuent à le distinguer des autres groupes ne doivent pas être uniquement abordés à travers la notion de différenciation sociale. Il semble pertinent de les affiner en faisant fonctionner deux autres notions : la sociabilité professionnelle et l’entre-soi.
De la sociabilité professionnelle à l’entre-soi
32La sociabilité désigne des formes d’action réciproque et renvoie en conséquence au rapport à autrui, lequel rapport prend des formes sociales particulières selon le type de sociabilité (Forsé, 1991 ; Rivière, 2004). La sociabilité professionnelle est un ensemble de relations sociales et de pratiques communes construites et vécues par des individus dans un milieu professionnel donné qui leur permettent, malgré des positions sociales différenciées, d’interagir à travers des liens interpersonnels. Elle suppose non seulement la communauté et le réseau, mais encore l’existence de lieux de rencontre matériels et symboliques.
33Dans cette perspective, l’hommage funèbre constitue un de ces lieux symboliques au sein duquel sinon une profession (les universitaires) ou une de ses composantes (une discipline, une société savante, une revue, un établissement, un laboratoire), du moins ceux qui le rendent en son nom, se retrouvent et se rassemblent autour d’un pair disparu pour parler de lui, mais aussi d’autres pairs : « L’histoire de cette aventure de 1970 à 1996 (la création d’un diplôme d’études approfondies novateur), peut être consultée in extenso sur le site de notre société. Nous y trouvons avec plaisir dans la première promotion – et un brin de nostalgie… – les noms de notre trésorier Bernard Aubert et deux de nos administrateurs, Alain Biau aujourd’hui, Hélène Aget il y a quelques années » (Métivier, 2009).
34En fait, l’hommage funèbre parle autant de la communauté professionnelle (et de son auteur…) que du membre qui le reçoit et renvoie en creux l’image du groupe. À la limite, on peut se demander s’il ne constitue pas le contre-don d’une communauté professionnelle en contrepartie du don offert par le défunt (sa contribution à la construction d’un édifice scientifique et institutionnel), a fortiori quand il est un « maître » ou un « nom » : « Pour avoir été un ami de longue date et un compagnon de travail privilégié de Georges Viers, je voudrais dire tout ce que nous venons de perdre par sa mort, mais aussi la leçon qu’il nous laisse » (Barrère, 1998). Ou encore, à propos du laboratoire Personnalisation et changements sociaux que Philippe Malrieu avait créé et qui fonctionne « désormais sans lui, mais sous l’éclairage de l’œuvre qu’il a léguée » (Baubion-Broye, 2005). La communauté affectée par la disparition témoigne ainsi de sa dette et de sa reconnaissance, tout autant que de son attachement et de son admiration. Mais alors, surtout dans les cas limites, on peut aller au-delà de la sociabilité pour pénétrer dans le cadre plus fermé de l’entre-soi.
35L’entre-soi désigne un processus de différenciation et le résultat de ce processus, et plus précisément un groupe de personnes ayant des caractéristiques communes et un fort sentiment de connivence. Il repose largement sur la reproduction d’un espace social propre ainsi que sur l’exclusion plus ou moins active et consciente des « autres » (Tissot, 2014). Toutefois, si l’intimité renforce incontestablement l’entre-soi, la connaissance intime de chaque membre n’est pas une condition nécessaire. L’entre-soi universitaire est largement construit par le contrôle des pairs sur l’entrée dans le corps et sur le déroulement de la carrière, par le sentiment d’appartenance à un même monde social, par la fréquentation de mêmes lieux professionnels, et enfin par le partage non seulement des mêmes activités professionnelles, mais aussi de valeurs, de droits, de devoirs, de rituels [17], voire de styles de vie.
36De nombreuses mentions attestent de cet entre-soi que l’on réserve et que l’on préserve pour soi [18], pas seulement pour des motifs distinctifs (voir infra). Nous en relèverons ici quelques-unes, parmi les plus significatives :
- La manière peu compréhensible, en dehors de la sous-communauté concernée, de présenter les travaux de recherche : « Avec Françoise Emonet-Denand, il découvre l’existence de motoneurones squeletto-fusimoteurs dont les axones innervent en même temps des fuseaux et des fibres musculaires “ordinaires”. Ce sont les motoneurones beta dont il existe également deux types : dynamique et statique » (Berthoz, Glowinski, Prochiantz, 2013). Et qui, en dehors de la communauté étroite des géomorphologues, peut véritablement saisir le sens de cette phrase : « Le concept de “système d’érosion” en lieu et place de celui “d’érosion normale”, représente l’intrusion, dans la géographie, de la complexité, tandis que la vision “saccadée” du temps structural est remplacée par celle d’une instabilité et d’une mobilité des jeux tectoniques » (Lagasquie, 1998) ? En fait, ces manières de s’exprimer sont banales pour les chercheurs et elles ne font que reproduire celles mises en œuvre pour les articles publiés dans les revues académiques.
- L’anecdote identitaire [19] portant sur un détail et se voulant révélatrice d’une qualité particulière, mais qui fait véritablement sens pour celui qui a vécu l’événement avec la personne honorée ou un autre du même type, voire qui a été rapporté de bouche en bouche. Un exemple significatif est donné par les sorties de terrain, importantes chez les géographes, entre autres en raison de leurs vertus pédagogiques… quand elles sont conduites de main de maître : « Nous nous souvenons d’une certaine sortie à Paris, où pendant huit jours, Georges Viers le morphologue (mais parisien de naissance), nous en apprit plus de la banlieue aux quartiers des ministères, sur ce qu’est une métropole et une capitale, qu’un cours d’amphi » (Lagasquie, 1998).
- Les lignages académiques qui englobent le défunt et l’auteur de l’hommage, mais aussi d’autres universitaires liés au premier, dans un ensemble plus ou moins vaste aux dimensions généalogiques revendiquées publiquement dans la communauté : « Au revoir Jean Lagasse. Vous avez été tout d’abord un professeur, puis un patron et enfin mon maître pour ne pas écrire mon père spirituel ; vous m’avez tout appris au fil des ans et toujours poussé dans mes derniers retranchements dans le dessein de mieux me faire connaître mes limites et de me montrer le chemin pour toujours les repousser » (Costes, 2003) ; « Durant ses études à ce qui était alors la Faculté des Lettres de Toulouse, Jacques Allières fait la rencontre, décisive pour lui, de Jean Séguy, à l’époque l’un des plus jeunes professeurs de l’établissement et l’un de ses membres déjà reconnu comme éminent : la vocation de Jacques allait se décider, il se ferait linguiste et d’abord romaniste » (Ravier, 2001). En fait, ces lignages symboliques sont fréquents dans tous les groupes sociaux communautaires au sein desquels chacun est régulièrement et personnellement confronté à l’histoire, à la mémoire et à l’héritage.
- L’intime accessible au groupe, voire aux seuls proches : il s’agit ici de montrer la familiarité, qui renforce le plus souvent l’admiration, le respect et la gratitude, avec le disparu, par exemple, en le désignant par son prénom, voire par son surnom : « celui que beaucoup d’entre nous, ses élèves, appelions familièrement mais respectueusement, Don Pablo » (à propos de Paul Mérimée, hispaniste, voir Baudot, 1989) ; « Il y a des rencontres qui fondent une vie… Pour moi, Jacques (Curie) a été de celles-ci » (Cascino, 2012). Ou encore de témoigner sa gratitude et son affection sur un mode très personnel : « Peu de gens influencent nos vies, mais vous (Jean Lagasse), vous avez eu une grande importance dans la mienne » (Marrot, 2003). Dans le témoignage intime, la sincérité – avivée par l’émotion – rejoint souvent l’authenticité. Et plus grande est la proximité affective, plus les mots employés sont à mettre en rapport avec l’intimité des échanges et la multiplication des interactions inter-personnelles. C’est sans doute la raison pour laquelle on rencontre surtout ce type de témoignage dans les groupes restreints (les laboratoires, par exemple).
38L’entre-soi tel qu’il se présente à travers les quelques marqueurs que nous venons d’évoquer n’a pas uniquement la connotation négative qu’on lui attribue souvent. Il exprime aussi la douleur, l’émotion, la gratitude, l’affection individuelle et collective, tout autant que la nécessité pour la (sous)communauté concernée et pour chacun de ses membres de faire son deuil en se retrouvant autour de liens construits autant autour du « cœur » que de la « tête ». À côté des mémoires scientifique et institutionnelle officielles, il accorde une place non négligeable aux mémoires individuelles qui s’expriment de façon moins convenue et policée car plus personnelle. En honorant davantage l’homme que la figure, l’énonciation individuelle de la valeur porte moins sur l’universalité et l’exemplarité qu’incarne celui qui a su « admirablement faire science » ainsi que sur les grands récits, que sur le vécu dans sa singularité, sa quotidienneté et sous toutes ses formes, y compris anecdotiques. Il permet enfin à chacun de (re)construire un discours sur soi qui, certes, englobe la dimension professionnelle, mais va souvent au-delà. Il donne aussi au groupe l’occasion non seulement de conforter sa cohésion, mais encore de (re)faire passer à l’extérieur le message selon lequel ses valeurs sont dignes d’être prises au sérieux.
39Ces manières d’honorer un pair disparu sont donc plus complexes qu’il n’y paraît. Il n’en demeure pas moins que leurs dimensions fortement distinctives sont prégnantes. Reste à examiner un dernier point : leur nature fondamentalement inégalitaire au niveau même de la (sous)communauté, car si les appelés potentiels sont légion, le nombre d’élus est réduit et très ciblé. De sorte que ceux qui ne sont pas retenus rejoignent les rangs serrés des « oubliés des hommages » : moins visibles de leur vivant, leur disparition passe presque inaperçue sur le plan académique, sauf pour les très proches auxquels il ne reste guère que l’oral, qui laisse peu de traces, pour s’exprimer.
Effet Matthieu, mise en lumière des uns et invisibilité des autres
40Depuis Robert K. Merton (1968), l’effet Matthieu est un classique de la sociologie des sciences. Schématiquement, par référence à un passage célèbre de l’Évangile selon Matthieu, il signifie que l’on donne surtout à celui qui est déjà bien doté, ce qui a pour effet d’augmenter sa visibilité et de renforcer son pouvoir matériel et symbolique. Dans le cas présent, cela revient à constater que les hommages funèbres publiés, tous formats confondus, se concentrent sur un petit nombre de personnes, pour la plupart de sexe masculin. Et donc que l’immense majorité des (enseignants-)chercheurs – sans parler des autres catégories de personnel qui contribuent à l’organisation et au fonctionnement des universités – est de facto écartée. On mettra ici l’accent sur une double inégalité, d’une part dans la même université et la même discipline, d’autre part, entre hommes et femmes.
Une inégalité dans la même université et la même discipline
41Notre corpus principal, certes non exhaustif, offre un exemple probant de cette inégalité : sur 191 hommages publiés entre 1969 et 2017, 184 sont adressés à des professeurs ou à des directeurs de recherche, principalement du CNRS [20]. Cependant, si l’on sort du corpus pour faire un focus sur les bulletins de laboratoires et sur les sites des établissements (surtout à travers les communiqués de la présidence), on peut observer que les autres catégories de personnel enseignant sont mieux représentées, tout en étant très minoritaires, alors qu’elles sont largement majoritaires. Ainsi UT1 Capitole Mag (2012, 119, p. 9) publie-t-il deux hommages, relativement brefs à deux maîtres de conférences, Gilles Sébastien (droit) et Françoise Prévost (économie), décédés prématurément. On relèvera en outre, une inégalité au sein même de ces « élus », puisque seuls quelques-uns ont reçu un nombre très important d’hommages publiés, y compris par la presse : pour la période récente, on ne comptabilise que Jean-Jacques Laffont, Bernard Maris, Guy Lazorthes, Rolande Trempé et Daniel Fabre.
42En fait, ce phénomène n’est pas limité aux hommages funèbres. Dans nos recherches sur les attributions de noms à des institutions, des équipements, des locaux, des prix scientifiques, des chaires ainsi que sur les ouvrages dédiés par des pairs (surtout les mélanges), nous avons retrouvé, parfois amplifié, le même déséquilibre (Boure, 2017 ; 2019b ; à paraître). Pour dire les choses plus crûment, un tout petit nombre cumule les hommages relevant de toutes ces catégories. Pour s’en tenir à nos deux corpus, on citera de manière exhaustive Benjamin Baillaud, Paul Sabatier, Maurice Hauriou, Émile Borel, Daniel Faucher, Henri Gaussen, Gabriel Marty, Jacques Godechot, Paul Ourliac, Jean-Jacques Laffont, Guy Lazorthes et Bernard Maris. Encore convient-il de préciser que certains ont « en plus » donné leur nom au moins à une voie publique et à un établissement scolaire (Paul Sabatier, Émile Borel, Daniel Emile Borel Faucher, Henri Gaussen et Bernard Maris).
Une inégalité genrée
43Les nécrologies académiques sont incontestablement masculines, y compris dans la période récente : sur 107 personnes comptabilisées, seules 3 femmes (Rolande Trempé [UT2J], Valérie Trichon et Yvette de Ferré [UPS]) sont concernées. Mieux encore, la plupart des auteurs des hommages, en dehors des témoignages en général mieux répartis, sont des hommes. La mort honorée est toujours fondamentalement masculine.
44Nous avons dressé (Boure, 2019b) un constat identique pour les mélanges. En effet, sur les soixante-treize mélanges recensés depuis 1929, seuls sept ont été offerts à des femmes, tous à partir des années 2000 : Jacqueline Pousson-Petit (2016), Claire Neirinck (2015), Marie-Bernadette Bruguière (2014) pour UTC et Claudine Leduc (2011), Claudie Amado (2005), Michelle Débax (2001), Rolande Trempé (2000) pour UT2J. Enfin, la situation est la même pour les attributions de noms : aucune pour les chaires locales, les prix scientifiques locaux, les institutions et les grands équipements ; 11 (sur 124) pour les bâtiments et les voies internes du campus, mais 2 seulement renvoient à des scientifiques locales : Marthe Condat, première femme reçue au concours d’agrégation de médecine et Hélène Richard-Foy, directrice de l’Institut d’exploration fonctionnelle des génomes. Encore convient-il de préciser, d’une part, que ces lieux sont tous situés sur les sites géographiques de l’UPS et de ses composantes décentralisées en région ; et d’autre part, que les attributions de noms féminins sont pour l’essentiel dues à la politique volontariste de cette université qui a commencé à porter ses fruits à partir de 2016.
45Jusqu’aux années 1960-70, l’explication la plus courante de cette inégalité genrée est la suivante : le vivier de figures scientifiques féminines a longtemps été inexistant, puis très réduit, les métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche étant d’abord de facto fermés, et ensuite peu ouverts aux femmes. Pour la période postérieure, cet argument est moins pertinent. En effet, le vivier s’est développé tant au plan national que local avec l’augmentation des effectifs enseignants liée à l’université de masse et la montée en puissance de la revendication de la parité hommes-femmes. En outre, dans le stock sociétal national et international ancien et contemporain des « personnes illustres », beaucoup de figures féminines auraient pu (auraient dû ?), attirer l’attention des entrepreneurs mémoriels. En fait, la mémoire de ces derniers reste largement sélective : le noyau dur mémoriel est toujours masculin. Dans les communautés savantes comme ailleurs, serait-on tenté d’ajouter…
Conclusion
46« Dire la mort » (Florea, 2011b) revient autant à énoncer la coupure du défunt avec le monde des vivants qu’à rendre celui-ci présent et si possible pour longtemps dans les mémoires de ceux qui restent et de leurs institutions. Discours de l’autre, puisqu’on le fait parler, et sur l’autre, la « nécro » est aussi, pour son auteur, un discours sur soi par procuration et un discours sur « nous » (les pairs, l’Université, le laboratoire…). Sur un nous distinctif tant vis-à-vis de l’extérieur que de l’intérieur car tous les morts ne se valent pas à l’aune du mérite. En même temps, et à certains égards, la nécrologie est aussi un discours, en creux ou explicite, sur l’universel (la science, le progrès…).
47Genre hautement doxique surtout quand elle est construite par des pairs pour d’autres pairs, entre passé et présent, tournée davantage vers la mémoire que vers l’histoire, la nécrologie questionne non seulement le fonctionnement des institutions académiques, les pratiques sociales, les habitus et les représentations des (enseignants-)chercheurs – ceux qui sont honorés, ceux qui honorent et ceux qui lisent ou écoutent les honneurs –, mais aussi la manière dont les acteurs sociaux transmettent et alimentent la mémoire collective tout en se construisant tant sur le plan professionnel qu’individuel.
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Mots-clés éditeurs : distinction sociale, sociabilité professionnelle, inégalités, hommages, mémoire, nécrologies, université, universalité, entre-soi
Mise en ligne 15/11/2019
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.19254Notes
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[1]
Cet article s’inscrit dans le cadre du projet de recherche Patrimoine scientifique toulousain et environnement local (Pastel, Idex de Toulouse) au sein duquel l’auteur était en charge de l’inventaire, puis de l’analyse, des hommages sous toutes leurs formes dans les facultés et à partir de 1969, dans les universités toulousaines. Cette recherche a donné lieu à des publications de statut divers : Boure, 2017 ; 2019a ; 2019b ; à paraître.
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[2]
Le corpus est issu de l’inventaire évoqué supra (Boure, 2017), complété fin 2017. La période commence au moment où, en application de la Loi Faure du 12 novembre 1968, l’Université de Toulouse, avec ses quatre facultés, laisse la place à trois universités autonomes : Toulouse 1 Sciences Sociales qui deviendra Toulouse 1 Capitole (UTC) en septembre 2009 (droit, sciences économiques, gestion, science politique), Toulouse 2 Le Mirail, devenue Toulouse 2 Jean Jaurès (UT2J) en mars 2014 (lettres, sciences humaines et sociales) et Toulouse 3 – Paul Sabatier (UPS) qui regroupe sciences et médecine.
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[3]
Les hommages aux membres des facultés des sciences et de médecine ont été attribués à l’UPS, les hommages aux membres de la faculté de droit à l’UTC et les hommages aux membres de la faculté des lettres à l’UT2J.
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[4]
On notera en outre que placer la focale sur les « gestes » permet de se concentrer sur les acteurs sociaux, leurs pratiques, leurs représentations et leurs enjeux.
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[5]
L’expression juridique « le mort saisit le vif » signifie que le patrimoine du défunt est automatiquement transmis à ses héritiers légitimes.
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[6]
Depuis Émile Durkheim, la sociologie a régulièrement accordé une place plus ou moins importante à la différenciation sociale. Parmi les travaux d’inspiration diverse, on relèvera notamment : Bourdieu (1979) ; Elias (1987) ; Juteau (2003).
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[7]
Quand le dédicataire est décédé avant la réception de l’ouvrage, il est fréquent que les mélanges s’ouvrent sur un article nécrologique retraçant, avec plus ou moins de retenue, sa vie et son œuvre. Il peut aussi arriver que la nature des mélanges change à la suite de sa disparition prématurée : « En raison des circonstances, les Mélanges qui devaient être offerts à Jacques Allières deviennent un Hommage à Jacques Allières : l’équipe qui a pris en charge la réalisation s’efforce d’en accélérer la parution » (Ravier, 2001).
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[8]
On peut, par exemple, relever : Penser la socialisation en psychologie. Actualité de l’œuvre de Philippe Malrieu (Baubion-Broye, Dupuy, Prêteur, 2013) ; ou encore Jean-Michel Berthelot. Itinéraires d’un philosophe en sociologie (1945-2006) (Marcel, Martin, 2011).
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[9]
La différence entre les deux corpus (1969-2017 et 1885-1968) tient essentiellement au fait qu’avant les années 1960 l’enseignement occupait une place importante dans le quotidien et l’imaginaire des universitaires et que, en dehors des facultés dites « scientifiques », la production des connaissances et le débat pouvaient utiliser des voies que d’aucuns qualifierait aujourd’hui de « peu scientifiques », notamment au niveau des méthodes.
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[10]
En ce sens, les nécrologies ont pour fonction d’apprivoiser la mort.
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[11]
Quand le disparu est une figure nationale ou internationale, la presse locale sait jouer avec les échelles territoriales. Un procédé classique consiste à utiliser des marqueurs prestigieux (prix et récompenses, élection à une grande académie française ou étrangère), pour renforcer sa stature locale.
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[12]
La grande ou haute figure est une médiation qui facilite l’expression d’une adhésion individuelle à des représentations collectives partagées ayant une portée universelle (la science, le progrès…).
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[13]
L’hommage de la presse est plus rarement international (D. Martin, 2004, « Jean-Jacques Laffont, Economist, Dies at 57 », The New York Times, 14 mai).
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[14]
Bernard Maris fit l’essentiel de sa carrière universitaire à Toulouse.
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[15]
« J’ai compris que j’avais capté en un instant toute la richesse du personnage, capable d’allier des convictions solidement justifiées et particulièrement bien ancrées à une relation aux autres qui implique respect, élégance et empathie » (Chap, 2016) ; « Tous ceux qui ont connu Henri Gilles ont apprécié, outre sa science sans défaut, sa parfaite courtoisie et la chaleur de son accueil » (Sicard, 2014) ; « Jean Fontanari laisse le souvenir d’un membre essentiel pour l’équipe, par ses analyses rigoureuses et ses apports scientifiques primordiaux, ainsi que celui d’un homme au caractère aimable et affable, et doté d’un humour toujours précieux » (Collectif, 2009).
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[16]
« Capable d’analyser et de comprendre les mouvements sociaux en toute lucidité, Rolande Trempé était aussi, par sa propre vie et par ses engagements, attentive aux destins individuels et attachée au droit à la différence », (Pech, Cazals, 2016) ; « Au moment de quitter ses fonctions universitaires, Georges Larrouy va mettre son expérience et son talent au service de la cité, en assurant la Présidence du Conseil Scientifique du Muséum de Toulouse » (Chap, 2016).
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[17]
On n’insistera jamais assez sur le rôle joué dans la construction de l’entre-soi par les rituels académiques et les réunions professionnelles ou privées à vocation communautaire dans lesquelles « chacun des participants sait (ou suppose) que ses interlocuteurs sont présents parce qu’ils partagent une histoire et une trajectoire similaires à la sienne » (Tabois, 2013 : 150).
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[18]
En fait, il est vain de chercher dans l’hommage funèbre un retour analytique et réflexif, sinon sur le cursus honorum, du moins sur les travaux du défunt. Cela peut à la fois se comprendre (la mort, paraît-il, gomme les conflits) et étonner, du moins quand il est publié par une revue scientifique, en général plusieurs mois après la disparition, à distance de l’émotion. Après tout, on pourrait considérer que si ses travaux sont dignes d’intérêt, c’est parce qu’ils méritent d’être débattus avec la boîte à outil des chercheurs, d’autant que le débat est censé être au centre des pratiques scientifiques. Or, tout se passe comme si le regard distancié était susceptible de diminuer les mérites du défunt et de casser une consensualité communautaire de circonstances, en partie artificielle, mais tellement rassurante. Tout se passe aussi comme si chacun avait conscience qu’il y avait deux temporalités : une pour le deuil, l’autre pour l’analyse.
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[19]
Il faut ici évoquer la place importante du souvenir, nostalgique ou non, dans les micro-récits qui parsèment nombre de nécrologies.
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[20]
Dans le corpus secondaire (1885-1968), toutes les nécrologies concernent des professeurs.