Couverture de QDC_030

Article de revue

‪#Theoriedugenre : comment débat-on du genre sur Twitter ?‪

Pages 135 à 157

Notes

  • [1]
    Par cette expression nous voulons insister sur le fait que les « dispositifs numériques » constituent aussi des supports d’inscription et d’organisation symbolique de signes (ce sont des espaces éditoriaux, documentaires et de prise de parole – Julliard, 2010). L’expression dispositifs numériques peut donner le sentiment d’un impensé de leur dimension sémiotique, d’une transparence des langages.
  • [2]
    Mesurer des écarts par rapport à un idéal normatif pourrait avoir pour effet de minorer d’autres modes de communication et de passer à côté des normes d’interaction établies par les internautes eux-mêmes dans un cadre particulier (Chaput, 2008 : 86).
  • [3]
    Cette institutionnalisation peut aller de paire avec une neutralisation des connotations les plus critiques des revendications féministes (pour exemple, sur le cas chilien, voir Marques-Pereira, 2011).
  • [4]
    La narth (« Association nationale pour la recherche et le traitement de l’homosexualité ») considère l’homosexualité comme une pathologie.
  • [5]
    Par exemple, le 7 décembre 2012, les députés V. Duby-Muller et X. Breton présentent une « proposition de résolution demandant la création d’une commission d’enquête sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France ». Twitter permet de relayer certaines des actions visant à interpeller les autorités, qu’il s’agisse de signer une pétition (« Déjà 125.000 signatures contre la #théoriedugenre à l’#école dans l’#UE : http://www.citizengo.org/fr/28721-cessez-promouvoir-limposition-forcee-lideologie-du-genre-dans-les-ecoles-lue Et vous? #gender #StopRodriguesReport #onlr », @P_Achem, 06/09/15) ou d’écrire à son député (« rt @MeresVeilleuses : Écrivez à votre député si vous voulez qu’il vote contre l’enseignement de la théorie du #gender à l’école primaire ht… », @claudeferr, 12/02/15). Dans notre article, les tweets sont reproduits tels qu’ils ont été publiés par les internautes (à l’exception des adresses web, qui sont systématiquement déclinées). Leur source est indiquée par l’identifiant Twitter de l’auteur (@...) et la date de publication.
  • [6]
    Sur les différents usages du genre en science politique, par exemple, voir J. Jenson et É. Lépinard (2009).
  • [7]
    L’hésitation des membres du gouvernement à utiliser le terme genre et le succès de l’expression égalité des sexes parmi les membres du personnel politique peuvent aussi se comprendre comme la réminiscence d’un « sexisme constituant », où la peur d’une indifférenciation des sexes le dispute avec la reconnaissance de l’égalité comme enjeu public légitime (Sénac, 2014).
  • [8]
    Dans ses travaux sur la controverse relative au « mariage pour tous », I. Hekmat (2015) rappelle que c’est aussi à travers une production d’énoncés (manifestes, lettres ouvertes) que certains collectifs ne préexistant pas à cet acte de parole se créent et montrent leur force.
  • [9]
    Par exemple, dans le cadre de la controverse relative à la parité (1998-1999), c’était le statut de la « différence des sexes » qui était discuté par les féministes impliquées dans les débats. Il s’agissait alors de trancher entre positions « différentialiste » – qui considérait cette différence comme essentielle et devant donc ouvrir à des droits spécifiques – et « universaliste » – qui jugeait cette différence insignifiante et ne pouvant donc justifier de tels droits. Bien qu’elles ne s’entendent pas sur la manière de parvenir à l’égalité des sexes, féministes universalistes et différentialistes reconnaissaient néanmoins la nécessité d’agir dans cette direction (Julliard, 2012, 2013).
  • [10]
    La sémiotique ne vise pas « l’intention de l’auteur », mais le sens que l’on peut attribuer à l’énoncé produit compte tenu du fonctionnement des signes selon le registre sémiotique dont ils relèvent (verbal, iconique, etc.) et du contexte de communication.
  • [11]
    Le terme textes désigne ici le lieu où sont organisés des rapports de pouvoir qui passent par une mise en forme graphique (typographie, mise en page) participant d’une « énonciation éditoriale » (Souchier, 1998).
  • [12]
  • [13]
    La dimension relationnelle des hashtags en fait des « opérateurs d’intensification discursive » (Cervulle, Pailler, 2014).
  • [14]
    Accès : revue.lamanifpourtous49.com/?p =2441. Consulté le 21/12/14.
  • [15]
    Une application programming interface (api) est une interface par laquelle un logiciel expose ses services à des logiciels ou des développeurs tiers.
  • [16]
    JavaScript Object Notation (json ) est un format textuel permettant de représenter des données structurées de manière arborescente très utilisé par les services de données web.
  • [17]
    L’hypertext markup language (html) est un langage de description de structure documentaire hypertextuelle qui, couplé à des feuilles de style, assure la mise en forme typo-dispositionnelle des contenus dans les navigateurs web.
  • [18]
    dmi-tcat est un logiciel développé à l’université d’Amsterdam (accès : https://github.com/digitalmethodsinitiative/dmi-tcat). Ses fonctionnalités sont présentées dans E. Borra et B. Rieder (2014). La Gazouilloire est un outil développé au Médialab de Sciences Po (accès : https://github.com/medialab/gazouilloire).
  • [19]
    Nous remercions T. Bottini qui a conçu ces outils.
  • [20]
    Le 5 octobre 2014 était la date d’une manifestation contre la circulaire relative à la délivrance des certificats de nationalité française en cas de soupçon de recours à la gestation pour autrui à l’étranger.
  • [21]
    En informatique, une expression régulière permet de représenter l’ensemble des déclinaisons matérielles que prend une expression linguistique. L’objectif ici était de collecter les tweets comprenant les déclinaisons de l’expression théorie du genre indépendamment de la variété des graphies employées par les internautes (avec ou sans accent, espace et majuscule), du rognage imputable au dépassement des 140 caractères imposés par Twitter, dans le cas des retweets par exemple (theoriedug…), et de leur inventivité (théorie du 3 e genre).
  • [22]
    « On ne lâche rien », slogan du Front de gauche récupéré ici par La Manif pour tous (lmpt).
  • [23]
    « Questions pour un président de région », débats organisés par lmpt durant les élections régionales de 2015.
  • [24]
    @A_C_Husson est le nom du compte d’A.-C. Husson, doctorante au laboratoire Pléiade (Université Paris 13), dont la thèse porte sur les « Métadiscours polémiques. Les dénominations liées au genre, aux sexualités et au féminisme ».
  • [25]
    Créé en avril 2013 durant les débats à l’Assemblée nationale sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, ce mouvement catholique compte au nombre des composantes de La Manif pour tous. Il ouvre un compte Twitter le 10 juin 2013.
  • [26]
    Créé le 28 janvier 2013, @ManifPourTous49 est le compte Twitter de la section départementale Maine-et-Loire de La Manif pour tous.
  • [27]
    Pour L. Quéré (2001 : 102), le champ problématique renvoie à « un ensemble de problèmes enchevêtrés, dont l’analyse est plus ou moins établie (en termes de causes et de conséquences, de types d’agents et de type de raison d’agir) et dont le traitement est envisagé en termes d’alternatives relativement définies ».
  • [28]
    « GenderAlert : quand un #dessin-animé promeut la théorie du genre http://www.valeursactuelles.com/societe/genderalert-quand-un-dessin-anime-promeut-la-theorie-du-genre-51197 » (@Artdesign6, 06/03/15).
  • [29]
    « Un cardinal révèle que l’Occident tente d’imposer la théorie du genre en Afrique #lmpt #Gender http://www.schola-sainte-cecile.com/2015/02/25/liturgie-et-nouvelle-evangelisation-conference-de-s-e-le-cardinal-sarah-a-saint-eugene/ » (@replique2, 15/02/15). Ce sont les propos du cardinal Sarah, reproduits dans l’image jointe au tweet, qui évoquent les pressions économiques exercées.
  • [30]
    « La négation de la différence : racisme et théorie du genre. https://http://www.academia.edu/9808513/La_n %C3 %A9gation_de_la_diff %C3 %A9rence_racisme_et_th %C3 %A9orie_du_genre » (@s28371808, 17/12/14).
  • [31]
  • [32]
    J.-P. Dickès, « Le pape condamne la théorie du genre la comparant au nazisme », Médias-presse.info, 01/04/15. Accès : http://linkis.com/medias-presse.info/HdXUe.
  • [33]
    « La théorie du genre - entretien avec Yann Carrière, docteur en psychologie », Reinformation.tv, 24/11/13. Accès : http://reinformation.tv/theorie-du-genre-entretien-yann-carriere-docteur-en-psychologie/.
  • [34]
    « #AlerteParents : après la #théorieDuGenre #Najat et les gentils #khmersRoses continuent à s’occuper de vos enfants... https://twitter.com/HN_editions/status/590899319777046528 » (@11314666, 26/04/15).
  • [35]
    « rt @fannycarrier : Pour le cardinal guinéen Robert Sarah, la théorie du genre est aussi démoniaque que l’ei #afp http://www.lorientlejour.com/article/949485/un-cardinal-guineen-juge-la-theorie-du-genre-aussi-demoniaque-que-lei.html » (@ramafami, 14/10/15).

1 L’article traite de la controverse autour du genre et de la « théorie du genre » en France, telle qu’elle se déploie dans Twitter. Nous travaillerons l’hypothèse selon laquelle un débat spécifique est produit dans ce dispositif d’écriture numérique [1] en raison de ses propriétés techno-sémiotiques et de la manière dont les internautes s’en saisissent. Nous retiendrons ici une acception assez large du terme débat, considérant qu’il désigne l’interaction entre différents points de vue sur un sujet. Comment débat-on du genre dans Twitter ? Comment les discussions sont-elles ou non produites par le dispositif ? Dans le cadre de l’article, il ne s’agit pas de mesurer des écarts par rapport à un idéal normatif [2], mais bien d’étudier l’organisation dynamique des interactions en ligne à partir des pratiques d’écriture des internautes, lesquelles constituent autant d’appropriations d’un dispositif d’écriture numérique (Jeanneret, 2006). Pour ce faire, nous avons analysé un corpus de 16 741 tweets recueillis entre le 5 octobre 2014 et le 21 janvier 2016 selon une démarche qui peut être qualifiée de « sémiotique outillée » (Julliard, 2015). Dans un premier temps, nous préciserons le contexte d’émergence de la controverse relative au genre. Nous nous intéresserons en particulier à la manière dont le syntagme théorie du genre dénote à la fois la propension de cette controverse à produire des objets discursifs et polémiques et une lutte symbolique opposant deux visions irréconciliables des identités de genre. Dans un deuxième temps, nous reviendrons sur la démarche que employée pour analyser la controverse relative au genre sur Twitter. Dans un troisième temps, nous présenterons les premiers résultats de l’analyse du débat sur le genre sur Twitter. Plus spécifiquement, nous explorerons les conditions de possibilité de la confrontation des points de vue adverses, d’une part, et de l’expression de points de vue divers au sein d’un même camp, d’autre part.

Genre versus « théorie du genre » : deux visions irréconciliables des identités de genre

2 Contrairement à ce que l’on observe souvent dans la construction des problèmes publics où la mobilisation sociale suggère et donc précède l’action politique (Quéré, 2001), les forces conservatrices se mobilisent au moment où le genre progresse comme outil de compréhension de la société à travers une certaine « institutionnalisation » [3] par les pouvoirs publics. L’histoire du syntagme théorie du genre en rend compte. Son élaboration s’ancre dans la stratégie discursive déployée sous le pontificat de Jean-Paul II au cours des années 1980-1990 tandis que les féministes se mobilisent aux Nations Unies pour combattre l’assignation des femmes aux fonctions reproductives (Fillod, 2014). Aux États-Unis, membre de l’Opus Dei et du National Association for Research & Therapy of Homosexuality (narth) Institute [4], Dale O’Leary met la hiérarchie catholique en garde contre l’apparition d’un « féminisme radical ». Elle scrute notamment les propositions formulées par Judith Butler dans Trouble dans le genre (1990), reprochant à la philosophe de prôner la déconstruction de l’« identité sexuelle », la liberté de choisir si l’on est un homme ou une femme et de rejeter la « vocation première de la femme », à savoir la maternité (O’Leary, 1995). À la suite de la conférence de Pékin (1995), le Conseil pontifical pour la famille (cpf) est mandaté par le Vatican pour produire un lexique destiné à révéler ce qui se cache derrière le concept de genre. Cet ouvrage voit le jour en 2005 en France sous le titre Lexique des termes ambigus et controversés sur la vie, la famille et les questions éthiques. La locution théorie du genre retenue par ce Lexique désigne l’ensemble des discours visant à mettre à mal la « différence des sexes », considérée comme une « différence structurante » de la vie sociale. Dès 2006, elle est reprise dans la presse catholique à l’occasion de la conférence des évêques qui a lieu à l’automne (« Le cardinal Ricard rassure les évêques », La Croix, 05/11/06). Reprenant largement le Lexique, un second ouvrage signé par le cpf et présenté par Tony Anatrella paraît en France (2011) au moment de la controverse sur l’introduction de la distinction entre sexe et genre dans les manuels de sciences de la vie et de la terre des premières des filières littéraire et économique et sociale. Il revient sur les dangers de la « théorie du genre » – laquelle est accusée de remettre en cause la distinction ontologique féminin/masculin au fondement de la conception catholique de l’humanité, le primat de l’hétérosexualité conjugale à finalité procréatrice et la destinée première de la maternité pour les femmes –, et enjoint les catholiques à interpeller les pouvoirs publics sur ces questions ; ce qu’ils font depuis une grande variété d’espaces publics : la rue, l’Assemblée nationale ou les médias [5].

3 Le genre étant susceptible de recouvrir plusieurs acceptions et de jouer des rôles analytiques différents [6], la stratégie discursive de l’Église consiste à l’unifier et à lui donner un contenu sous l’étiquette « théorie du genre ». Ce syntagme ne fait sens qu’en tant qu’il dénonce le genre. À cet égard, Romain Carnac (2014) considère qu’il est à la fois objet de discours et objet polémique. La « théorie du genre » est un objet de discours dans la mesure où elle est « constituée de discours et construite dans et par le discours » (Sitri, 2003 : 10). Plus encore, la « théorie du genre » est un objet polémique dans la mesure où les discours qui la constituent sont des discours de dénonciation. Romain Carnac se réfère à la définition proposée par François-André Isambert dans ses travaux sur les débats relatifs à l’avortement : un objet polémique « ne peut être défini indépendamment des jugements de valeurs qui sont portés sur lui » (Isambert, in : Carnac, 2014 : 127). Ainsi parler de « théorie du genre » laisse-t-il entendre que l’on dénie au genre le fait d’être un outil de compréhension et de changement de la société. Bien qu’ils aient moins de succès que l’expression théorie du genre, celles d’idéologie du genre et de gender peuvent également être considérées comme des objets polémiques. La première atteste d’un processus d’idéologisation du mot genre et des locuteurs qui l’emploient (Fracchiolla, 2015) ; la seconde témoigne d’une tentative de décrédibiliser le genre en soulignant l’exotisme de ce concept venu des États-Unis (il ne serait pas opératoire dans le contexte français).

4 Si la « théorie du genre » n’existe que comme objet discursif, elle n’en a pas moins un pouvoir performatif, des « effets sociaux » (Garbagnoli, 2014). De fait, le syntagme se diffuse dans le contexte des débats sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe en 2012-2013, puis dans celui de l’expérimentation scolaire pour lutter contre les stéréotypes de genre ( abcd de l’égalité) en 2013-2014. Il se trouve largement repris – en lieu et place de genre ou études de genre – par les médias et les acteurs politiques, et assigne une posture défensive à celles et ceux qui considèrent le genre comme un levier possible d’actions politiques. Dans les ministères, on va même jusqu’à expurger les documents officiels de toute référence au genre et préférer recourir à l’expression égalité des sexes jugée moins polémique [7]. La dénonciation du genre à travers la locution théorie du genre a également pour effet de « fonde[r] la cohésion du sujet collectif militant » (Kunert, 2012 : 175) qui refuse toute remise en cause de la « différence des sexes ». Dès lors, le syntagme constitue un signe de ralliement pour différents mouvements conservateurs, réactionnaires et antiféministes lors des mobilisations contre les divers projets gouvernementaux mentionnés [8]. La production de la locution théorie du genre trahit une stratégie discursive qui s’apparente à une « lutte symbolique [qui] concerne les catégories à travers lesquelles une société pense l’ordre sexuel et les groupes sociaux que les principes de hiérarchisation qui le définissent produisent » (Garbagnoli, 2014 : 149). Le discours du Vatican s’érige contre le processus de dénaturalisation de l’ordre sexuel, la reconnaissance de son caractère politique et la possibilité que les normes sexuelles fassent l’objet d’une (re)définition collective. Dès lors, les positions des « pro » et des « anti » genre sont irréconciliables. La controverse a ceci de spécifique qu’elle est centrée sur une alternative radicale [9] : la reconnaissance d’une « différence des sexes » essentielle et structurante (l’« identité sexuelle » est une loi naturelle édictée par Dieu) ou du genre (concept forgé précisément par certaines féministes pour s’affranchir du binarisme et désarticuler le continuum sexe/genre/pratiques sexuelles/désir – Butler, 1988).

5 Par ses propriétés techno-sémiotiques (concision des énoncés, appareillage de la circulation des textes et des images, usages des hashtags), Twitter paraît un terrain éclairant pour saisir les deux aspects de la controverse relative au genre que nous avons soulignés : sa propension à produire des entités discursives polémiques (nommer la controverse dans laquelle on s’inscrit consiste déjà en une prise de parti) et l’absence de consensus possible entre deux positions irréconciliables (reconnaître cette impossibilité n’enseigne pas comment les acteurs du débat agissent concrètement lorsqu’ils sont confrontés au point de vue adverse).

L’approche sémiotique des controverses sur Twitter

6 La sémiotique examine les « effets de sens » [10] d’une controverse, elle s’intéresse au rôle joué par celle-ci dans le renforcement ou la déstabilisation du sens que l’on peut attribuer à certaines expressions ou à certaines pratiques, considérant en particulier les dispositifs de prise de parole dans lesquels la controverse se déploie. Son apport est spécifique et complémentaire de celui de la sociologie politique – laquelle considère les configurations d’acteurs et la circulation d’une controverse – et de celui de l’analyse de discours – laquelle étudie « le nœud d’arguments contradictoires récurrents qui […] marque l’identité discursive de la controverse » (Rennes, 2007 : 91). Analysant les effets de sens à travers les phénomènes d’énonciation (interdiscursivité, polyphonie, ironie, implicite) tels qu’ils s’expriment dans les divers langages sémiotiques (textes, images, sons), elle dévoile les systèmes de valeurs qui sous-tendent les prises de parole dans un lieu de débat donné. Étudiant les formes d’expression, elle permet de comprendre la reconfiguration des controverses d’un lieu de débat à l’autre. La circulation des « textes » [11] et son appareillage techno-sémiotique sont des traits caractéristiques du web dit « 2.0 » et de son « économie des passages » (Jeanneret, 2014). Twitter ne fait pas exception puisqu’il instrumente la circulation des textes à l’intérieur de la plateforme (retweets, réponses à, partage d’images) ainsi que vers l’extérieur (ajout d’un tweet dans un site) ou depuis l’extérieur (partage d’une information). L’accumulation de boutons permettant de tweeter une information à partir du site La Manif pour tous 49 [12] illustre cette dernière possibilité (voir image 1, les deux ellipses à gauche). Cette circulation est rendue possible par des outils de standardisation de l’écriture : des cadres pré-remplis s’affichent lorsque l’on clique sur l’un de ces boutons (voir image 1, le cadre à droite). En ce sens, Twitter crée de nouvelles formes d’écriture (messages brefs auxquels peuvent être joints une image et/ou un lien vers des contenus externes). Par ailleurs, ce dispositif d’écriture numérique renouvelle les conditions d’accès aux débats en permettant à plus d’acteurs sociaux d’y participer (ce qui ne signifie pas que tous soient également audibles, voir Boyajian, 2014). Il constitue à ces différents titres un lieu d’intensification [13] des controverses, un creuset à partir duquel il est possible de les étudier.

7

Image 1. Site de La Manif pour tous 49, rubrique « Revue de presse » [14]

Figure 0

Image 1. Site de La Manif pour tous 49, rubrique « Revue de presse » [14]

8 L’étude de Twitter est facilitée par la possibilité d’accéder aux contenus publiés : publicité des tweets et collecte via une interface de programmation applicative [15] publique. Toutefois, ces deux modalités ne donnent pas accès aux tweets sous les mêmes formes. En effet, tout dispositif d’écriture numérique se caractérise par des supports et des formes d’enregistrement différents des supports et des formes de restitution (Bachimont, 2004). Concernant Twitter, cela se matérialise de la manière suivante : la forme d’enregistrement des tweets dans la base de données sur laquelle nous avons une fenêtre via l’api (json[16]) n’est pas la forme de restitution de l’application web qui fait sens pour les usagers (le tweet tel qu’il est mis en forme en html[17]). Des chercheurs ont développé des logiciels libres pour collecter et traiter les métadonnées relatives aux tweets générées et stockées par Twitter (par exemple, dmi-tcat ou la Gazouilloire [18]). Toutefois, ces différents outils ne restituent pas la forme sous laquelle les tweets apparaissent aux internautes. Or, nous voulions considérer ces deux formes, la première permettant un traitement statistique et une caractérisation du corpus, la seconde autorisant une analyse sémiotique des tweets en contexte. Afin de reconstruire les conditions de possibilité d’une démarche sémiotique sur des grands corpus hétérogènes, au plus près des signes et de l’expérience des internautes, nous avons travaillé avec un ingénieur de recherche en informatique pour développer un outil de collecte et de traitement ad hoc[19]. Cela a permis tout à la fois de comprendre comment on peut construire un corpus à partir de ce que fournit Twitter et de développer des fonctionnalités utiles aux analyses quantitative et qualitative à mesure qu’elles apparaissaient nécessaires. Cette méthode est donc itérative, chaque problème analytique nouveau conduisant à une extension des fonctions du code. Dans un premier temps, nous avons mis au point un outil de captation des tweets en langue française grâce à l’api Stream (enregistrement au moment de la publication), comprenant un filtre par mots clés (theoriedugenre, théoriedugenre, theorie du genre, théorie du genre, djendeur, gender, #genre, manifpourtous, manif pour tous, 5oct, 5octobre[20], adoptionpourtous, stopadoptionpourtous). En raison de la polysémie du terme genre – #genre peut être utilisé dans les tweets évoquant des genres musicaux –, nous avons collecté plus d’un million de tweets sur la période considérée, dont une majorité est insignifiante du point de vue de notre objet. Souhaitant restreindre l’analyse aux tweets qui évoquent explicitement la « théorie du genre », nous avons construit un second filtre prenant la forme d’une expression régulière [21]. Ce sous-ensemble compte 16 741 tweets qui constituent le corpus de cette étude. Dans un deuxième temps, plusieurs algorithmes ont été développés et appliqués sur la base de tweets conservés au format auquel l’api les renvoie (json) afin de compter le nombre de tweets par compte, et d’identifier et compter les uniform resource locator (url – « localisateur uniforme de ressource »), les noms de domaine, les hashtags et les utilisateur.trice.s mentionné.e.s par compte. Les tableaux suivants indiquent les comptes les plus actifs (tableau 1), les hashtags les plus utilisés (tableau 2) – élaborés à partir des objets polémiques produits dans le cadre de la controverse –, les noms de domaine les plus cités (tableau 3) et les comptes les plus mentionnés (tableau 4). L’ensemble de ces résultats permet d’opérer une caractérisation quantitative du corpus en rapport avec les phénomènes que nous voulions étudier (l’interdiscursivité, notamment).

Tableau 1. Les 5 comptes les plus actifs

Nombre de tweets publiés Identifiant du compte
416@_VeilleActu
134@ManifPourTous49
120@MFolschette
82@Jeangabard
78@OFrancois60200

Tableau 1. Les 5 comptes les plus actifs

Tableau 2. Les 13 hashtags utilisés plus de 100 fois

Nombre d’occurrences Hashtag
765#TheorieDuGenre
472#théoriedugenre
368#theoriedugenre
329#genre
283#ThéorieDuGenre
239#Gender
220#gender
155#Genderidf
152#djendeur
138#onlr[22]
114#qppr[23]
113#lmpt
102#qpprParis

Tableau 2. Les 13 hashtags utilisés plus de 100 fois

Tableau 3. Les 11 domaines cités plus de 100 fois (Twitter mis à part)

Nombre d’occurrences Nom de domaine
370www.youtube.com
329www.valeursactuelles.com
268Lesalonbeige.blogs.com
246www.lefigaro.fr
152www.medias-presse.info
133revue.lamanifpourtous49.com
13224heuresactu.com
120lagauchematuer.fr
112www.lmptcollectif-oise.fr
111www.lexpress.com
110www.causeur.fr

Tableau 3. Les 11 domaines cités plus de 100 fois (Twitter mis à part)

Tableau 4. Les 14 comptes cités plus de 100 fois

Nombre d’occurrences Identifiant du compte
776 @Marcfiorentino
519 @Michelonfray
477 @Najatvb
299@Vpcresse
271 @_VeilleActu
255 @Valeurs
238 @A_C_Husson [24]
225 @OFrancois60200
215 @LaManifPourTous
162@Youtube
141 @Le_Figaro
135 @Arnaudpln
117 @FrDesouche
101 @Iledefrance

Tableau 4. Les 14 comptes cités plus de 100 fois

9 Dans un troisième temps, les tweets et leurs métadonnées étant difficilement exploitables au format auquel l’api les renvoie lorsque l’on n’est pas formé au développement informatique, l’ingénieur avec lequel nous avons travaillé a opéré une conversion consistant à les disposer en tableau dans Excel, selon une logique structurée alignée sur les champs de l’api (champs reportés en colonne). Ceci permet d’appréhender le corpus globalement à un moment donné, le tableau constituant une vue sur la base de données à un temps T. Le classement des tweets en tableau et les possibilités de tri dans Excel autorisent également un certain nombre de recherches dans le corpus. Dans un quatrième temps, pour faciliter la lecture du corpus et l’identification des sources citées, un outil de « dépliage » des url a été développé. Malgré tout, la mise en tableau des tweets « aplatit » le débat dans la mesure où elle ne rend pas compte de l’« écosystème » de chaque tweet. À l’heure actuelle, s’il existe certains outils de mise en relation (permettant, par exemple, de répondre à la question : quel compte cite quel compte ?), seule l’analyse des tweets en contexte rend possible l’étude des débats à proprement parler (la manière dont les points de vue et les arguments sont exprimés et discutés), parce qu’elle donne accès à l’articulation texte/image, aux médias joints, aux réponses et, plus largement, à l’ensemble des relations dans lesquelles s’inscrivent les tweets (à une échelle restreinte s’entend).

10 La caractérisation de la base et l’appréhension globale du corpus via le tableur ont permis d’identifier des points d’entrée dans le corpus pour conduire une analyse qualitative de segments restreints. En particulier, nous avons considéré les tweets comportant les hashtags les plus cités et ceux publiés par les comptes les plus actifs. Par exemple, on observe que le compte le plus actif, @_VeilleActu (voir tableau 1), fait un usage précis du hashtag #TheorieDuGenre, respectant scrupuleusement cette graphie (trois majuscules, pas d’accent) à l’exclusion de toute autre. Ce dernier apparaît dans 377 tweets publiés par le compte, ce qui peut expliquer le succès de ce mot-dièse, le plus mobilisé du corpus avec 765 occurrences (voir tableau 2). Cette indexation précise donne le sentiment que les Veilleurs [25] maîtrisent la « grammaire » propre à Twitter. Le compte @_VeilleActu paraît vouloir baliser l’espace de l’expression d’un discours politique où pourrait se fédérer un public réuni par l’opposition au genre. En effet, chacune de ses publications débute par un hashtag qui cadre la suite du texte et indexe thématiquement le tweet, comme par exemple dans « #TheorieDuGenre : La militante anti-genre Farida Belghoul sanctionnée par l’Éducation... - lepopulaire.fr […] » (29/11/14).

11 À titre comparatif, le deuxième compte le plus actif du corpus, @ManifPourTous49 [26], a assez peu recours aux hashtags et se caractérise par des pratiques d’écriture à visée auto-promotionnelle. En effet, cette section départementale de La Manif pour tous (lmpt) utilise son compte Twitter exclusivement pour signaler des contenus publiés sur son site (Lamanifpourtous49.com). Ainsi chaque tweet se compose-t-il d’un texte qui reprend le titre d’un article paru généralement dans la rubrique « Revue de presse » du site et d’un lien url non raccourci vers la page qui contient l’article. Classiquement, la revue de presse indique des articles publiés dans un autre site web : chaque page de cette rubrique comprend le titre, l’illustration et le chapeau de l’article initial reproduits pour offrir un cadre à la page de l’article dans son site d’origine, créant un emboîtement des textes (voir images 1 et 2). Cela dénote une absence totale d’éditorialisation de la part de @Manifpourtous49 (ainsi que du site associé), celui-ci se limitant à offrir un nouveau cadre de diffusion aux articles indiqués à ses lecteurs. Nous avons considéré que ces deux exemples offraient des pistes intéressantes pour entrer dans le corpus de manière plus qualitative.

12

Image 2. Tweet de @LaManifPourTous49 publié le 23/12/14

Figure 1

Image 2. Tweet de @LaManifPourTous49 publié le 23/12/14

Twitter, lieu d’intensification de la controverse et d’évitement des débats

L’usage des hashtags : partition des arènes de discussion antagonistes

13 La fonction d’indexation des hashtags permet de référencer un contenu et de faciliter la redocumentation des tweets. L’usage des hashtags par @_VeilleActu constitue un exemple paradigmatique de référencement. Mentionner un hashtag dans un tweet peut aussi être une manière de cadrer une information, de l’inscrire dans un « champ problématique » [27] – ici, celui de la remise en cause de la « différence des sexes ». Par exemple, indiquer #gender dans un tweet qui présente une affiche publicitaire peut être une manière de souligner et dénoncer un manquement aux représentations de genre traditionnelles (les femmes ne portent pas la moustache, voir image 3).

14

Image 3. Tweet de @lucile013 et réponse (14/03/15)

Figure 2

Image 3. Tweet de @lucile013 et réponse (14/03/15)

15 Parce qu’ils sont forgés à partir d’objets polémiques, les hashtags les plus utilisés signalent également une position dans un débat, ce que Maxime Cervulle et Fred Pailler (2014) ont également mis en exergue dans leur analyse de la controverse autour du « mariage pour tous » sur Twitter. À cet égard, ces hashtags peuvent avoir un « rôle argumentatif » et être appréhendés comme des « mots arguments », c’est-à-dire « des mots à contenu métadiscursif dense [renvoyant] à des prédiscours d’ordre argumentatif » (Husson, 2015). L’interprétation de ce type de hashtags est alors conditionnée par la connaissance que les internautes ont de ces prédiscours (Paveau, 2006). Pour le dire autrement, ce type de hashtags fait d’abord signe à celles et ceux qui partagent le même référentiel tacite, le même point de vue. Après avoir identifié et additionné les différentes déclinaisons des principaux hashtags, nous avons analysé les 3 268 tweets les mobilisant (voir tableau 5) pour déterminer s’ils indexaient une thématique et/ou une position dans le débat. Cette analyse a consisté à lire ces tweets, à consulter la page des comptes les ayant produits et à lire l’ensemble des publications de ces comptes – ce qui s’est avéré nécessaire dans la mesure où un tweet peut être ambigu et ne pas trahir une position claire dans le débat, hormis si l’on reconnaît le rôle argumentatif des hashtags qu’il s’agissait précisément de confirmer.

Tableau 5. Représentation des déclinaisons des principaux hashtags

Hashtags Nombre de tweets
#TheorieDuGenre et déclinaisons2071
#Gender et déclinaisons459
#Genre et déclinaisons394
#Djendeur et déclinaisons186

Tableau 5. Représentation des déclinaisons des principaux hashtags

16 Il résulte de cette analyse que l’usage des hashtags les plus utilisés semble clivé. Ainsi le mot-dièse #TheorieDuGenre et ses déclinaisons sont-ils plutôt cités par les opposants au genre, même quand le syntagme apparaît entre guillemets (signes usuels de la prise de distance). Il en va de même pour les mot-dièse #Gender et #Genre – ce dernier étant souvent accolé aux termes théorie et idéologie –, ce qui correspond à la tentative de se réapproprier le concept, ainsi que nous l’avons vu plus haut – comme par exemple dans : « @OFrancois60200 La théorie du #genre du @partisocialiste portée par @najatvb met en péril notre civilisation. Nous devons être des remparts » (@99thedarkknight, 12/12/14).

17 A contrario, l’usage du hashtag « #Djendeur » est plutôt le fait des partisans du genre qui ironisent sur le fait de se référer au genre en insistant sur sa provenance anglo-saxonne. Cette distribution des hashtags dans les tweets des deux camps opposés contribue à partitionner les arènes de discussions antagonistes dans Twitter. Ce résultat abonde dans le sens des nombreux travaux qui attestent que, sur l’internet, les opinions semblables ont tendance à s’agréger et à communiquer entre elles plutôt qu’à débattre avec des opinions différentes (pour exemple : Lev-On, Manin, 2006), les idées politiques se dispersant ainsi dans plusieurs « micro sphères publiques » (Dahlgren, 2000). Enfin, outre le référencement thématique d’un contenu et le signalement d’une position dans le débat, l’usage d’un hashtag peut aussi servir à interpeller un public imaginé auquel on identifie l’emploi de ce hashtag (Marwick, Boyd, 2010). Ainsi un détracteur de la « théorie du genre » peut faire apparaître # lgbt dans un tweet afin de s’adresser aux internautes perçus comme favorables à ce mouvement (cadres noirs, image 4).

18

Image 4. Tweet d’@Infrarouge et réponses (10-14/12/14)

Figure 3

Image 4. Tweet d’@Infrarouge et réponses (10-14/12/14)

Concision des tweets et instrumentation de la circulation des textes : intensification du discours polémique

19 La confrontation avec la position ou les arguments adverses se fait au sein même des tweets, dans les différents langages sémiotiques mobilisés, par citation détournée (image 5), propos caricaturés (image 6) ou imaginés (image 7), en vue de disqualifier l’adversaire. D’abord, la « théorie du genre » s’apparenterait, selon les opposants au genre, à une absurdité : la négation de la « différence des sexes » s’opposant au « bon sens » (argument 1 – arg. 1). On ne devient pas plus femme, selon la proposition de Simone de Beauvoir prise à contre-pied, qu’araignée ou éléphant (voir image 5). Ce refus des « pro » genre de considérer le « réel » se fonderait, selon leurs opposants, sur de mauvaises raisons (arg. 2) : soit par envie de tout compliquer, soit par folie, soit par démagogie (le personnel politique étant accusé de vouloir s’attirer les voix de certaines catégories de citoyens). Selon ses adversaires, la « théorie du genre » peut aussi être défendue par dogmatisme, par intérêt personnel (les arguments qui sont avancés pour soutenir les différentes actions publiques se voient disqualifiés en raison de l’intérêt que ceux qui les énoncent tireraient de ces actions) ou par prosélytisme (avec le fantasme que les « homosexuels » voudraient généraliser leur « style de vie »). Ce type de considérations encourage les recours à l’attaque ad hominem, les positions des « pro » genre se voyant disqualifiées du fait de ce qui les « caractérisent » aux yeux des « anti » genre (provenance géographique, confession religieuse, pratiques sexuelles), comme dans ces deux tweets :

20

« La juive américaine qui veut déterminer le sexe de nos enfants et détruire nos familles valeursactuelles.com/societe/polemi… » (@drumfaur, 16/02/15 – voir image 6).

21

« Décadence américaine : Ontario - Kathleen Wynne, 1° ministre et lesbienne, introduit la théorie du genre dès l’école http://www.medias-presse.info/ontario-kathleen-wynne-premier-ministre-et-lesbienne-notoire-introduit-la-theorie-du-genre-des-lecole-primaire/27156 » (@Arluguet, 07/03/15).

22 L’attaque ad hominem ouvre la voie à l’insulte (comme en témoignent les contributions de @ZeroDevide susmentionnées, voir image 4), que le relatif anonymat semble encourager – les acteurs institutionnels, plus visibles dans le débat, évitent en général d’assumer la responsabilité de propos injurieux.

23

Image 5. Tweet de @TeamSarkozy (13/04/15)

Figure 4

Image 5. Tweet de @TeamSarkozy (13/04/15)

24

Image 6. Tweet de @drumfaur (16/02/15) et première réponse

Figure 5

Image 6. Tweet de @drumfaur (16/02/15) et première réponse

25 Autre argument, la « théorie du genre » s’opposerait à l’ordre de la création (arg. 3). Certains opposants aux actions gouvernementales à l’origine de la diatribe contre le genre estiment qu’il existe des problèmes plus urgents à résoudre (arg. 4). Cet argument travaille implicitement les discours qui consistent à sexualiser un problème public (l’inégalité réelle entre hommes et femmes, et plus encore l’inégalité dans le droit civil et social entre couples de personnes de même sexe ou de sexe différent) pour en délégitimer l’enjeu d’égalité (Julliard, 2013). Par exemple, dans l’image 7, l’égalité est rapportée à une pratique sexuelle évoquée dans un registre ordurier. La traduction politique de la « théorie du genre » apparaît anti-démocratique à ses opposants (arg. 5) : bien qu’un grand nombre de personnes la rejette (argument par le nombre, subordonné à l’arg. 5), les instances supranationales (l’Europe, l’Organisation des Nations Unies) et le gouvernement français agissent pour l’instaurer. Cette mise en œuvre est subreptice, car l’opinion s’y opposerait si elle en avait connaissance. Elle concerne d’abord les plus jeunes qui n’ont pas les moyens de prendre du recul (elle est instillée à travers des livres pour enfants ou des programmes télévisés en apparence inoffensifs [28]) ou de se défendre (son enseignement à l’école est comparé aux procédés totalitaires d’éradication de la violence dans Orange mécanique, voir image 7). La mise en œuvre peut aussi être violente, comme lorsque l’aide aux pays pauvres se voit conditionnée à l’adoption de la « théorie du genre » [29]. Sacrifier au « libéralisme individuel » – on voudrait pouvoir choisir les différents « déterminants culturels » de son identité : « choisis ce que tu veux être : homme femme animal... tu choisis c’est la liberté #gender » (@TenniShams, 30/12/14) – est vain (arg. 6), voire peut conduire à une certaine aliénation (arg. 7). En effet, la « théorie du genre » refuserait de laisser s’exprimer la spécificité de chaque sexe, notamment la spécificité féminine, ce qui fait dire à certains que la « théorie du genre » est sexiste et, en ce sens, aussi critiquable que le racisme [30]. C’est ce que défend Jean Gabard, quatrième contributeur le plus actif, qui se distingue par ses positions en apparence féministes, mais pour le moins différentialistes et essentialisantes. Son livre, Le Féminisme et ses dérives. Rendre un père à l’enfant roi (2011), son site [31], sa chaîne YouTube et ses tweets en témoignent : « En infériorisant la femme l’idéologie patriarcale n’assume pas la différence des sexes. La #théoriedugenre en n’en faisant qu’une injustice » (@Jeangabard, 25/11/14).

26 Plus encore, la « théorie du genre » constitue un « péril pour la civilisation » dans la mesure où elle impulse un bouleversement anthropologique (arg. 8, voir supra @99thedarkknight). Dès lors, les propositions des études de genre et la mise en place d’actions politiques sont comparées aux idéologies et aux régimes politiques les moins recommandables : le nazisme [32], le communisme [33], le régime khmer [34] ou encore l’État islamique [35] (argument lié à l’arg. 5).

27

Image 7. Tweet de Gros Verrat (17/02/15)

Figure 6

Image 7. Tweet de Gros Verrat (17/02/15)

28 De leur côté, les « pro » genre se voient contraints d’adopter une posture défensive qui consiste à nier l’existence de la « théorie du genre » (contre arg. 1) et à révéler la stratégie discursive qui en est à l’origine :

29

« @8enoit_ Mais c’est quoi la “ théorie du genre ” sinon une invention pour décrédibiliser les études de genre ? » (@MFolschette, 23/04/15).

30 En dénonçant la vacuité d’une expression bricolée à partir de raccourcis grossiers (contre arg. 2) :

31

« Prenez le mot sexe, des petites filles, la pédophilie et un soupçon de djendeur et paf : vous avez la “théorie du genre” (le mal absolu) » (@A_C_Husson, 30/01/15).

32 Les effets néfastes de la campagne contre une soi-disant « théorie du genre » sont également pointés du doigt (contre arg. 3) : celle-ci œuvre contre les femmes et entretient un climat homophobe (voir image 4), islamophobe et antisémite (voir cadre noir, image 6). Dès lors que les partisans d’actions politiques inspirées des études de genre dénient l’existence d’une « théorie du genre », leurs opposants les accusent de mentir et produisent des documents susceptibles de mettre au jour leurs contradictions (voir image 8).

33

Image 8. Tweet de @17Novembre1796 (07/02/15)

Figure 7

Image 8. Tweet de @17Novembre1796 (07/02/15)

34 Si l’analyse montre que le schéma argumentaire de la controverse sur Twitter ne diffère pas de celui identifié ailleurs (par exemple : Carnac, 2014 ; Fillod, 2014 ; Garbagnoli, 2014), la présentation des arguments y est sensiblement différente. D’abord, on observe que la justification des arguments (voir images 4 et 8), voire les arguments eux-mêmes (voir images 5 et 7), sont souvent délégués aux contenus joints ou à ceux auxquels les url renvoient (sur ce point, voir Julliard, 2015), lesquels contenus ne sont accessibles que par le biais d’une analyse des tweets en contexte. Ces pratiques d’écriture s’apparentent à des tactiques visant à tirer au mieux parti de l’espace restreint offert à l’expression et sont rendues possibles par l’instrumentation de la circulation des contenus. On remarque ensuite que les images jointes sont souvent des caricatures (images 5 et 7), des montages photographiques (image 8) ou des photographies « choc » (image 4). On relève également que certaines thèses (la « théorie du genre » existe, elle est « contre-nature ») sont présupposées. Or, en faisant comme si le destinataire acceptait ladite thèse, le locuteur « dérobe le propos à la discussion » (Krieg-Planque, 2012 : 154). Enfin, on observe des listes de mots-dièse opérant des rapprochements sans que les contributeurs ne s’en justifient (voir cadres noirs, image 4). Il en résulte que les prises de parole consistent souvent en des affirmations péremptoires, des raccourcis, des simplifications, des slogans, ce qui contribue à irriter les discussions entre points de vue antagonistes.

Concision des tweets et instrumentation de la circulation des textes : un lissage des énoncés

35 L’appareillage de la circulation des textes associé à la brièveté des tweets a pour autre effet d’intensifier la polyphonie, mais de manière spécifique : en la masquant. En effet, une tactique adoptée par les internautes pour se conformer à l’exigence de concision consiste à supprimer ce qu’ils considèrent comme ne relevant pas de l’information centrale du tweet – cela peut être le cas, par exemple, de l’auteur d’un propos relayé. À cet égard, les pratiques d’écriture de @ManifPourTous49 constituent un exemple remarquable du phénomène d’intensification/masquage de la polyphonie sur Twitter. En utilisant son compte à des fins auto-promotionnelles, la section départementale Maine-et-Loire de lmpt met en avant son site web comme source unique des informations qu’elle se contente pourtant de relayer. Si l’on compare la proposition par défaut du texte à tweeter que formule Twitter (voir le cadre, image 1, ou sa reproduction, image 9) et le tweet finalement publié par @ManifPourTous49 (image 2), on observe que le compte a choisi de supprimer les indications permettant d’identifier trois des six voix qui s’expriment dans l’énoncé initial (Le Figaro, Michel Onfray, Éric Zemmour, lmpt, LMPT49, ainsi que Twitter en tant que dispositif offrant des outils d’écriture, de lecture et d’archivage spécifiques) pour répondre à l’injonction d’abréger le tweet (« 74 » en rouge à l’écran), plutôt que de raccourcir l’url renvoyant à son site web, par exemple. Conséquemment, @Manifpourtous49 apparaît comme le locuteur principal de l’énoncé final (le tweet publié) et, dans la mesure où cette pratique se reproduit sur une grande majorité des tweets publiés par le deuxième contributeur du corpus, le site Lamanifpourtous49.com apparaît comme une source d’informations prédominante. D’ailleurs, si revue.lamanifpourtous49.com arrive en cinquième position des noms de domaine les plus cités, c’est bien grâce à la promotion que lui fait son compte Twitter puisque 107 fois sur 133, c’est lui-même qui le mentionne (voir tableau 3).

36

Image 9. Gros plan (avec conservation de la mise en scène éditoriale) sur la proposition de tweet formulée par Twitter dans l’image 1

Figure 8

Image 9. Gros plan (avec conservation de la mise en scène éditoriale) sur la proposition de tweet formulée par Twitter dans l’image 1

37 En suivant les url indiquées dans les tweets postés par @ManifPourTous49 et en consultant les pages de la revue de presse auxquelles elles renvoient, nous avons constaté que les sources originales des informations relayées sont des journaux en ligne ou des pure players de droite, au premier rang desquels : Valeursactuelles.com, Lefigaro.com, Média-presse.info, mais aussi des réseaux, des médias et des blogs religieux (Le Salon beige, Aleteia.org, Radio Vatican), des sites de collectifs opposés à l’enseignement du genre à l’école (Vigi-gender.fr), voire des sites masculinistes (Aimesles.fr) (voir tableau 3). Un autre effet de l’enchâssement des textes et du masquage des sources est donc le lissage des énoncés (Oger, Ollivier-Yaniv, 2006). Dans le tweet précédemment évoqué, @ManifPourTous49 rapporte les propos d’un énonciateur dont il semble partager le point de vue (Lamanifpourtous49.com), lequel énonciateur prend en charge l’opinion de Michel Onfray cité par Le Figaro sans les mentionner. Il est révélateur que les noms de la source et de l’auteur de la citation soient en revanche précisés lorsqu’il s’agit de Lobs.com rapportant les propos de Michel Onfray comparant la « théorie du genre » à un « projet chrétien », @ManifPourTous49 explicitant alors la non-prise en charge de l’énonciation : « Nvel Obs: théorie du genre : ce nouveau puritanisme par Michel Onfray ! un projet chrétien, un corps sans organe… ? ? http://revue.lamanifpourtous49.com/?p=2449 » (22/12/14).

38 Ce type de cas mis à part, le lissage énonciatif place toutes les sources au même plan, alors même qu’elles n’assument pas des positions équivalentes (par exemple Lefigaro.fr et Aimesles.fr). Cela a pour effet de neutraliser toute discordance susceptible de s’exprimer, et donc de fonder la cohésion du sujet collectif militant opposé à la « théorie du genre ».

Les réponses aux tweets : lieux d’expression de positions contraires

39 Des échanges entre internautes aux opinions adverses sont observables dans les « réponses » aux tweets. L’échange peut d’abord porter sur la solidité d’un argument, à l’instar de la discussion à laquelle ce tweet de Marc Fiorentino, animateur d’une chronique sur bfm business, donne lieu : « Les Français demandent l’emploi et la sécurité, on leur donne le mariage pour tous la théorie du genre : incompétence des politiques » (07/12/15) (arg. 4). @HarryCauvert s’interroge sur l’argument de la hiérarchie nécessaire des problèmes dans la réponse qu’il publie le même jour : « .@marcfiorentino Donc, sans le mariage pour tous et sans les études de genre, le chômage serait à combien en France ? 7% ? 5% ? 0% ? ». L’échange peut aussi porter sur l’interprétation d’une image ou d’un propos à privilégier. Par exemple, le 1er janvier 2015, @MsannWael publie une photographie représentant un homme qui s’est scotché une brique de lait avec une paille sur la poitrine pour nourrir un bébé. Le texte qui l’accompagne (« La théorie du genre, c’est ça ! ») – au vu des images du compte (crucifix, symbole du soutien aux chrétiens d’Orient) et des précédents tweets publiés – laisse entendre que l’internaute s’offusque de la vision construite des identités de genre. La réponse de @MarwaDiiKwik propose une lecture alternative de cette image sur le mode humoristique. Les tentatives d’hommes cherchant à « remplacer » la mère auprès de leurs enfants (ici, une alternative à l’allaitement) sont tournées en dérision : « “@MsannWael: La théorie du genre, c’est Ça ! pic.twitter.com/CjhXPBGORc” a oui pour les papas gays :) :) ! Pratiques hein ptdrrrrrrr ». La réponse peut initier une discussion entre plusieurs internautes, partageant ou non le même point de vue, qui s’interpellent en mentionnant le nom des comptes auxquels ils s’adressent. L’étude de ces échanges révèle également les normes sur lesquelles les internautes s’entendent pour débattre. La faiblesse d’un argument (et donc la bêtise de celui ou celle qui le prend en charge) peut être une raison de sortir de la discussion (« @HarryCauvert tu perds ton temps à répondre à ce crétin @MarcFiorentino », réponse de @lagrenouille7, 07/12/15). De même, le caractère homophobe, antisémite ou islamophobe d’un propos peut être signalé dans des réponses qui manifestent le refus de débattre (images 4 et 6).

Conclusion

40 L’analyse des propriétés techno-sémiotiques de Twitter et des pratiques d’écriture des internautes permet de cerner la manière dont le débat relatif au genre se déploie dans ce dispositif d’écriture numérique : l’usage des hashtags au rendement conversationnel le plus élevé témoigne d’une partition des arènes de discussion (les positions de l’adversaire sont plus volontiers discutées entre soi qu’avec lui), tandis que les effets conjoints de l’instrumentation de la circulation des textes et de la concision des tweets semblent favoriser : 1) un lissage des énoncés qui neutralise les positions discordantes au sein d’un même camp ; 2) une certaine violence dans les prises de parole (caricatures des positions de l’adversaire, attaque ad hominem, propos injurieux, sexistes, antiféministes, homophobes, antisémites et islamophobes). Les échanges entre internautes affichant des opinions différentes semblent circonscrits aux « réponses » aux tweets. Reste que, à ce jour, aucun outil n’existe pour automatiser la collecte et le prétraitement des réponses à un tweet et donc restituer la dynamique des échanges. C’est à la conception, au développement et à l’expérimentation d’un tel outil que nous souhaitons à présent nous consacrer afin d’approfondir l’analyse des débats sur Twitter.

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Mots-clés éditeurs : polémique, sémiotique outillée, dispositif d’écriture numérique, « différence des sexes », débat, genre, controverse

Date de mise en ligne : 25/04/2017.

https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.10744

Notes

  • [1]
    Par cette expression nous voulons insister sur le fait que les « dispositifs numériques » constituent aussi des supports d’inscription et d’organisation symbolique de signes (ce sont des espaces éditoriaux, documentaires et de prise de parole – Julliard, 2010). L’expression dispositifs numériques peut donner le sentiment d’un impensé de leur dimension sémiotique, d’une transparence des langages.
  • [2]
    Mesurer des écarts par rapport à un idéal normatif pourrait avoir pour effet de minorer d’autres modes de communication et de passer à côté des normes d’interaction établies par les internautes eux-mêmes dans un cadre particulier (Chaput, 2008 : 86).
  • [3]
    Cette institutionnalisation peut aller de paire avec une neutralisation des connotations les plus critiques des revendications féministes (pour exemple, sur le cas chilien, voir Marques-Pereira, 2011).
  • [4]
    La narth (« Association nationale pour la recherche et le traitement de l’homosexualité ») considère l’homosexualité comme une pathologie.
  • [5]
    Par exemple, le 7 décembre 2012, les députés V. Duby-Muller et X. Breton présentent une « proposition de résolution demandant la création d’une commission d’enquête sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France ». Twitter permet de relayer certaines des actions visant à interpeller les autorités, qu’il s’agisse de signer une pétition (« Déjà 125.000 signatures contre la #théoriedugenre à l’#école dans l’#UE : http://www.citizengo.org/fr/28721-cessez-promouvoir-limposition-forcee-lideologie-du-genre-dans-les-ecoles-lue Et vous? #gender #StopRodriguesReport #onlr », @P_Achem, 06/09/15) ou d’écrire à son député (« rt @MeresVeilleuses : Écrivez à votre député si vous voulez qu’il vote contre l’enseignement de la théorie du #gender à l’école primaire ht… », @claudeferr, 12/02/15). Dans notre article, les tweets sont reproduits tels qu’ils ont été publiés par les internautes (à l’exception des adresses web, qui sont systématiquement déclinées). Leur source est indiquée par l’identifiant Twitter de l’auteur (@...) et la date de publication.
  • [6]
    Sur les différents usages du genre en science politique, par exemple, voir J. Jenson et É. Lépinard (2009).
  • [7]
    L’hésitation des membres du gouvernement à utiliser le terme genre et le succès de l’expression égalité des sexes parmi les membres du personnel politique peuvent aussi se comprendre comme la réminiscence d’un « sexisme constituant », où la peur d’une indifférenciation des sexes le dispute avec la reconnaissance de l’égalité comme enjeu public légitime (Sénac, 2014).
  • [8]
    Dans ses travaux sur la controverse relative au « mariage pour tous », I. Hekmat (2015) rappelle que c’est aussi à travers une production d’énoncés (manifestes, lettres ouvertes) que certains collectifs ne préexistant pas à cet acte de parole se créent et montrent leur force.
  • [9]
    Par exemple, dans le cadre de la controverse relative à la parité (1998-1999), c’était le statut de la « différence des sexes » qui était discuté par les féministes impliquées dans les débats. Il s’agissait alors de trancher entre positions « différentialiste » – qui considérait cette différence comme essentielle et devant donc ouvrir à des droits spécifiques – et « universaliste » – qui jugeait cette différence insignifiante et ne pouvant donc justifier de tels droits. Bien qu’elles ne s’entendent pas sur la manière de parvenir à l’égalité des sexes, féministes universalistes et différentialistes reconnaissaient néanmoins la nécessité d’agir dans cette direction (Julliard, 2012, 2013).
  • [10]
    La sémiotique ne vise pas « l’intention de l’auteur », mais le sens que l’on peut attribuer à l’énoncé produit compte tenu du fonctionnement des signes selon le registre sémiotique dont ils relèvent (verbal, iconique, etc.) et du contexte de communication.
  • [11]
    Le terme textes désigne ici le lieu où sont organisés des rapports de pouvoir qui passent par une mise en forme graphique (typographie, mise en page) participant d’une « énonciation éditoriale » (Souchier, 1998).
  • [12]
  • [13]
    La dimension relationnelle des hashtags en fait des « opérateurs d’intensification discursive » (Cervulle, Pailler, 2014).
  • [14]
    Accès : revue.lamanifpourtous49.com/?p =2441. Consulté le 21/12/14.
  • [15]
    Une application programming interface (api) est une interface par laquelle un logiciel expose ses services à des logiciels ou des développeurs tiers.
  • [16]
    JavaScript Object Notation (json ) est un format textuel permettant de représenter des données structurées de manière arborescente très utilisé par les services de données web.
  • [17]
    L’hypertext markup language (html) est un langage de description de structure documentaire hypertextuelle qui, couplé à des feuilles de style, assure la mise en forme typo-dispositionnelle des contenus dans les navigateurs web.
  • [18]
    dmi-tcat est un logiciel développé à l’université d’Amsterdam (accès : https://github.com/digitalmethodsinitiative/dmi-tcat). Ses fonctionnalités sont présentées dans E. Borra et B. Rieder (2014). La Gazouilloire est un outil développé au Médialab de Sciences Po (accès : https://github.com/medialab/gazouilloire).
  • [19]
    Nous remercions T. Bottini qui a conçu ces outils.
  • [20]
    Le 5 octobre 2014 était la date d’une manifestation contre la circulaire relative à la délivrance des certificats de nationalité française en cas de soupçon de recours à la gestation pour autrui à l’étranger.
  • [21]
    En informatique, une expression régulière permet de représenter l’ensemble des déclinaisons matérielles que prend une expression linguistique. L’objectif ici était de collecter les tweets comprenant les déclinaisons de l’expression théorie du genre indépendamment de la variété des graphies employées par les internautes (avec ou sans accent, espace et majuscule), du rognage imputable au dépassement des 140 caractères imposés par Twitter, dans le cas des retweets par exemple (theoriedug…), et de leur inventivité (théorie du 3 e genre).
  • [22]
    « On ne lâche rien », slogan du Front de gauche récupéré ici par La Manif pour tous (lmpt).
  • [23]
    « Questions pour un président de région », débats organisés par lmpt durant les élections régionales de 2015.
  • [24]
    @A_C_Husson est le nom du compte d’A.-C. Husson, doctorante au laboratoire Pléiade (Université Paris 13), dont la thèse porte sur les « Métadiscours polémiques. Les dénominations liées au genre, aux sexualités et au féminisme ».
  • [25]
    Créé en avril 2013 durant les débats à l’Assemblée nationale sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, ce mouvement catholique compte au nombre des composantes de La Manif pour tous. Il ouvre un compte Twitter le 10 juin 2013.
  • [26]
    Créé le 28 janvier 2013, @ManifPourTous49 est le compte Twitter de la section départementale Maine-et-Loire de La Manif pour tous.
  • [27]
    Pour L. Quéré (2001 : 102), le champ problématique renvoie à « un ensemble de problèmes enchevêtrés, dont l’analyse est plus ou moins établie (en termes de causes et de conséquences, de types d’agents et de type de raison d’agir) et dont le traitement est envisagé en termes d’alternatives relativement définies ».
  • [28]
    « GenderAlert : quand un #dessin-animé promeut la théorie du genre http://www.valeursactuelles.com/societe/genderalert-quand-un-dessin-anime-promeut-la-theorie-du-genre-51197 » (@Artdesign6, 06/03/15).
  • [29]
    « Un cardinal révèle que l’Occident tente d’imposer la théorie du genre en Afrique #lmpt #Gender http://www.schola-sainte-cecile.com/2015/02/25/liturgie-et-nouvelle-evangelisation-conference-de-s-e-le-cardinal-sarah-a-saint-eugene/ » (@replique2, 15/02/15). Ce sont les propos du cardinal Sarah, reproduits dans l’image jointe au tweet, qui évoquent les pressions économiques exercées.
  • [30]
    « La négation de la différence : racisme et théorie du genre. https://http://www.academia.edu/9808513/La_n %C3 %A9gation_de_la_diff %C3 %A9rence_racisme_et_th %C3 %A9orie_du_genre » (@s28371808, 17/12/14).
  • [31]
  • [32]
    J.-P. Dickès, « Le pape condamne la théorie du genre la comparant au nazisme », Médias-presse.info, 01/04/15. Accès : http://linkis.com/medias-presse.info/HdXUe.
  • [33]
    « La théorie du genre - entretien avec Yann Carrière, docteur en psychologie », Reinformation.tv, 24/11/13. Accès : http://reinformation.tv/theorie-du-genre-entretien-yann-carriere-docteur-en-psychologie/.
  • [34]
    « #AlerteParents : après la #théorieDuGenre #Najat et les gentils #khmersRoses continuent à s’occuper de vos enfants... https://twitter.com/HN_editions/status/590899319777046528 » (@11314666, 26/04/15).
  • [35]
    « rt @fannycarrier : Pour le cardinal guinéen Robert Sarah, la théorie du genre est aussi démoniaque que l’ei #afp http://www.lorientlejour.com/article/949485/un-cardinal-guineen-juge-la-theorie-du-genre-aussi-demoniaque-que-lei.html » (@ramafami, 14/10/15).
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