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Article de revue

La catégorie du semblant et l’acte analytique

Pages 57 à 81

Notes

  • [1]
    Dont la traduction dans d’autres langues est également problématique car il ne faut pas oublier que les équivoques font souvent partie d’une langue particulière et peuvent perdre leur usage dans le cas d’une traduction. À titre d’exemple, des expressions signifiant apparence, façade, guise, simulacre, show, comme si, etc. circulent au sein des différents groupes psychanalytiques institués en Grèce. Le moins que l’on puisse dire est qu’aucune de ces expressions ne rend l’équivoque qui subvertit le sens du terme pour l’élever à la dignité d’une catégorie lacanienne.
  • [2]
    Provschma est l’équivalent du semblant, surtout au pluriel dans l’expression thrwv ta proschv mata, « tenir les semblants ».
  • [3]
    « L’assomption de la position sexuée ne se fonde pas sur une croyance qu’on est homme ou femme mais sur la façon dont on tient compte qu’il y a des femmes pour le garçon et des hommes pour la fille. »
  • [4]
    Par exemple, dans certains cas de psychose un passage à l’acte peut signifier que l’on coupe en morceaux le corps de l’autre, comme cela a été commis par un étudiant japonais du nom d’Issei Sagawa, surnommé le « cannibale japonais », qui en juin 1981 à Paris avait dépecé le corps de sa maîtresse néerlandaise et l’avait mis au réfrigérateur pour le consommer par petits morceaux pendant trois jours avant d’être arrêté. Il fut extradé et vit depuis au Japon, ayant déclaré que son acte était un acte d’amour.
  • [5]
    « Le phallus, dit Lacan, est très proprement la jouissance sexuelle en tant qu’elle est coordonnée à un semblant, qu’elle est solidaire d’un semblant. »
  • [6]
    Il ne faut pas mésestimer que l’approche et le début du xxe siècle avaient suscité au sein de l’humanité un espoir immense lié à l’avènement de la science moderne comme solution à tous les problèmes pour l’homme.
  • [7]
    Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 1985, p. 37.
  • [8]
    Il y a pourtant une différence essentielle entre la « fluidité » des théories sexuelles infantiles et la fixité des scénarios pervers dont dépend l’implication de la jouissance perverse, au point qu’il paraît impossible de confondre perversion et infantile dans la mesure où la perversion constitue une modalité d’assujettissement subjectif qui suppose l’intégration du complexe de castration.
  • [9]
    Jacques Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 171 : « J’ai dit la dernière fois : c’est une Bedeutung, il n’y a qu’une, die Bedeutung des Phallus. […] Ce qui fait le privilège du phallus, c’est qu’on peut l’appeler éperdument, il ne dira toujours rien. »
  • [10]
    Phallus et fonction phallique, ouvrage issu d’un travail collectif auquel ont participé Pierre Bruno, Fabienne Guillen, Dimitris Sakellariou et Marie-Jean Sauret, Toulouse, Érès, 2012.
  • [11]
    Ibid., p. 37.
  • [12]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique, Paris, Seuil, 1978.
  • [13]
    Voir le tableau des trois modalités du manque dans Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 269.
  • [14]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 380.
  • [15]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XIX, ...Ou pire, Paris, Seuil, 2011, leçon du 10 mai 1972, p. 172.
  • [16]
    Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage : aspects de l’identité en Grèce, Paris, Flammarion, 1995.
  • [17]
    Ibid., p. 39.
  • [18]
    Ibid., p. 40.
  • [19]
    J. Lacan, « La signification du phallus », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 692.
  • [20]
    Ibid., p. 694. « Mais on peut, à s’en tenir à la fonction du phallus, pointer les structures auxquelles seront soumis les rapports entre les sexes. Disons que ces rapports tourneront autour d’un être et d’un avoir qui, de se rapporter à un signifiant, le phallus, ont l’effet contrarié de donner d’une part réalité au sujet dans ce signifiant, d’autre part d’irréaliser les relations à signifier. Ceci par l’intervention d’un paraître qui se substitue à l’avoir, pour le protéger d’un côté, pour en masquer le manque dans l’autre, et qui a pour effet de projeter entièrement les manifestations idéales ou typiques du comportement de chacun des sexes, jusqu’à la limite de l’acte de la copulation, dans la comédie. »
  • [21]
    Joan Rivière, « La féminité en tant que mascarade », La psychanalyse, n° 7, Paris, puf, 1964.
  • [22]
    J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 692.
  • [23]
    Comme le note expressément Fabienne Guillen dans l’ouvrage Phallus et fonction phallique, la relation sexuelle sera marquée de cette unité mythique instaurée par l’idée de l’union de l’enfant à la mère, rapport proprement incommensurable entre ce petit a et ce Un à l’horizon de l’union sexuelle.
  • [24]
    Ibid., p. 58.
  • [25]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 34.
  • [26]
    Ibid., leçon du 16 juin 1971 : « S’il y a quelque chose qui caractérise le phallus [c’est] d’être assurément ce dont ne sort aucune parole. »
  • [27]
    Ibid., p. 172.
  • [28]
    « Nous interprétons telle ou telle relation avec le père. Est-ce que nous analysons jamais quelqu’un en tant que père ? Qu’on m’apporte une observation. Le Père est un terme de l’interprétation analytique. À lui se réfère quelque chose. »
  • [29]
    « La tyrannie du symbolique » est une expression que j’ai entendue lors d’un séminaire à Paris de Pierre Bruno en mars 2015.
  • [30]
    Souligné par moi. Conférence donnée par Slavoj Žižek à Birkbeck le 23 mars 2011.
  • [31]
    Il s’agit du premier entretien du 2 décembre faisant partie des entretiens donnés parallèlement au séminaire …Ou pire, sous le titre Le savoir du psychanalyste, dont les trois premières séances sont publiées séparément par J.-A. Miller sous le titre Je parle au murs.
  • [32]
    Ibid., entretien à Sainte-Anne du 2 décembre 1971.
  • [33]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2006, leçon du 16 mars 1976 : « La psychanalyse, ajoute-t-il, n’est rien de plus que court-circuit passant par le sens – le sens comme tel […] défini de la copulation du langage […] avec le corps. […] c’est de cela que je supporte l’inconscient. »
  • [34]
    Lacan parle ici de jurisprudence qui fonde les bons sentiments. L’allusion renvoie entre autres à la critique que Lacan introduisait dans son séminaire Les Écrits techniques à propos de l’usage du terme consacré par John Rickman repris par Balint de two bodys psychology, à ceci près que la psychologie des deux corps était censée se réguler par les affects contre-transférentiels de l’analyste (remarque que je dois à un texte de Thierry Florentin : « L’(a) corps du psychanalyste »).
  • [35]
    « Qu’on dise, comme fait reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (« L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001).
  • [36]
    « L’objet a est toujours entre chacun des signifiants et celui qui suit. » C’est donc l’objet et non pas le sujet qui est entre les signifiants, ce dernier est dit ici béant.
  • [37]
    Voir les trois dessins pages 232-233 du séminaire …Ou pire, op. cit.
  • [38]
    J. Lacan, …Ou pire, op. cit.
  • [39]
    Vérification faite, Lacan a inversé les trois premiers vers. La version initiale est : « Entre l’homme et l’amour, / Il y a la femme. / Entre l’homme et la femme, / Il y a un monde. / Entre l’homme et le monde, / Il y a un mur. »
  • [40]
    Il faut distinguer ici la castration comme lien à la structure – dont l’agent est le père réel et pour laquelle le manque est symbolique et porte sur un objet imaginaire – de la castration imaginaire dont se sert le névrosé comme d’un drapeau (blanc de préférence) pour se dérober d’avoir à faire face à son désir.
  • [41]
    J’insiste sur ce terme équivalent à celui du lien social pour la psychanalyse, et pas seulement dans son acception purement lacanienne d’un retour au point de départ.
  • [42]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 12-13.
  • [43]
    Expression que je dois à Christian Fierens.
  • [44]
    Artefact : chose artificielle par opposition à l’ordre dit naturel.
  • [45]
    Voir les thèses de Wittgenstein dans le Tractatus logico-philosophicus cité par Lacan dans le chapitre iv du Séminaire XVII.
  • [46]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit.
  • [47]
    J. Lacan, « Lituraterre », dans Autres écrits, op. cit., p. 17.
  • [48]
    Christian Fierens.
  • [49]
    J. Lacan, Dun discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 34 : « Le phallus est très proprement la jouissance sexuelle en tant qu’elle est coordonnée à un semblant, qu’elle est solidaire d’un semblant. »
  • [50]
    La thèse est de Pierre Bruno.
  • [51]
    S. Freud, « Proton pseudos », dans Esquisse d’une psychologie scientifique, Paris, puf, 1973, p. 367.
  • [52]
    Pour Lacan, la vérité a structure de fiction (inspiré par J. Bentham et sa théorie des fictions).
  • [53]
    J. Lacan, « La direction de la cure », dans Écrits, op. cit., p. 586.
  • [54]
    Ibid., p. 587.
  • [55]
    Ibid. « L’analyste dans la mise de fonds de l’entreprise commune ne paye pas que de mots, quoi qu’il en ait, il la prête comme support aux phénomènes singuliers que l’analyse a découverts dans le transfert. »
  • [56]
    Ibid. « L’analyste, il ne suffit pas qu’il supporte la fonction de Tirésias, il faut encore qu’il ait des mamelles. »
  • [57]
    Ibid., p. 73.
  • [58]
    Thèse qui semble se dégager dans le séminaire Lobjet de la psychanalyse.
  • [59]
    Lacan dira à la dernière leçon du séminaire …Ou pire : « Tout ce qui est dit est semblant. Tout ce qui est dit est vrai, par-dessus le marché tout ce qui est dit fait jouir. »

1Il y a une constante dans le parcours de Lacan, dans cette entreprise inédite qu’il a menée par le biais de son enseignement et de sa pratique jusqu’au bout de sa vie : son effort sans relâche pour fonder en raison la psychanalyse. Dans cette perspective, il n’a pas cessé de forger son approche du réel à partir de la structure, après avoir dégagé ce concept en rupture avec les cercles du structuralisme. Freud déjà posait le principe qu’un concept psychanalytique ne se réduit jamais à une définition et qu’il est même nécessaire d’en pousser l’élaboration jusqu’aux derniers retranchements afin que la démonstration de son utilité et de sa valeur pour la psychanalyse soit faite. C’est la nécessité de s’orienter dans la pratique qui dicte cet impératif et constitue le sens de sa primauté sur la théorie, même s’il convient de préciser qu’il n’y a pas de dichotomie entre les deux. Ainsi, s’orienter dans la structure équivaut à s’orienter dans le travail analytique, devoir qui incombe aussi bien aux analysants qu’aux analystes, à ceci près que pour l’analyste cela constitue une question cruciale en rapport avec son acte.

2Lacan dans la dernière période de son enseignement forge une thèse concernant la position que l’analyste aurait à tenir pour remplir sa fonction. L’énoncé de cette thèse qui s’est déclinée dans différentes formulations a surpris comme à son habitude son auditoire par sa forme énigmatique dans la mesure où il se présente d’abord comme un paradoxe : « L’analyste fait semblant d’objet a. » D’autres occurrences se déclinent : faire venir l’objet a à la place du semblant, faire l’objet a en personne, occuper la place de semblant de a. Nous pourrions en constituer la série, dont l’équivoque joue parfois des tours supplémentaires à l’effort d’en saisir une signification et surtout la pertinence. C’est la conjonction entre l’objet a et la catégorie du semblant qui surprend au premier abord, ainsi que la lecture possible du « faire semblant », dont le sens dans l’usage courant de la langue française à laquelle appartient cette expression [1] avoisine l’imitation ou le simulacre. Colette Soler disait à juste titre qu’il n’y a rien qui se situe autant à l’opposé du semblant qu’un objet. Jacques-Alain Miller accentue l’opposition entre semblant et réel au même titre que celle entre sens et réel. Ce n’est pas tout, car en assimilant le sens au semblant, réduit à un « faux réel », il convient d’en restituer le « vrai ». Un premier commentaire nous fait insister sur l’usage subversif qu’introduit l’équivoque même que recèle ce terme de semblant, qui s’avère précieux quant à son usage. C’est au point que la suppression de l’équivoque peut faire glisser le sens vers une forme de cynisme.

3Nous pouvons faire remarquer par ailleurs que l’opposition entre semblant et acte est irréductible. Comme le note Lacan, il y a deux cas pour lesquels le terme de semblant ne convient pas : tout d’abord, il dira que « l’inconscient ne fait pas semblant » ; ensuite, l’acte analytique lui-même se situe à l’extrême opposé du semblant. Pas de confusion possible donc entre semblant et acte. Pour l’analyste cette opposition est cruciale, dans la mesure où il n’existe que de, et par son acte. C’est pourquoi Lacan emploiera l’expression « il y a du psychanalyste », récusant l’usage de l’universel aussi pour l’analyste.

4Cependant nous rencontrons ici une difficulté logique supplémentaire, car il se trouve qu’il n’y a pas d’auteur de l’acte. C’est le cas pour tout sujet. Le sujet est bien effet de son acte et non pas auteur, puisque tout acte le transforme et le rend en même temps effet. D’où une difficulté, celle de concevoir pour l’analyste la façon dont il opère. Qu’est-ce qui opère finalement ? Où se situe son implication au niveau de l’acte analytique ? Et, en définitive, qu’est-ce qu’un acte analytique ? Pour autant que Lacan fait de l’acte analytique le paradigme même de l’acte.

5La mise en tension entre acte et semblant devient édifiante lorsqu’on met en série deux énoncés en apparence contradictoires, « l’analyste fait semblant de a… en personne » et « l’analyste est fait de, avec l’objet a ». Cette apparente contradiction ne peut se lever qu’à partir du moment où on arrive à rendre compte de cette double implication de l’analyste par rapport à l’acte analytique. Car le prototype, s’il en est un, de cet acte est le passage de l’analysant à l’analyste, acte insensé et incompréhensible à priori. C’est de cet acte que l’analyste s’autorise et s’autorisera désormais dans l’exercice de la psychanalyse. Il n’y a pas d’autorisation d’abord, et acte ensuite. Lacan a été le premier à le forger. Nous pouvons alors concevoir que, s’il y a eu acte inaugural, il y a des chances que tout acte opératoire soit un renouvellement de cet acte, qui ne peut se dire premier que si la série des actes qui suivront vient l’instituer comme tel.

6C’est l’énigme autour de ce qu’on pourrait appeler plus que des motivations, le moteur de cet acte qui a intrigué suffisamment Lacan pour qu’il se décide à inventer le dispositif de la passe comme supplémentaire à celui, freudien, de la cure analytique. Nous pouvons saisir dans l’après-coup l’enjeu de la question que ce dispositif est appelé à traiter dans la mesure où cela peut éclairer la question de ce qui opère dans l’acte analytique. On pourrait tenter de formuler cela d’une façon succincte en disant que l’analyste est fait (au sens de fabriqué) avec l’objet a et que c’est cet objet mis « par ses soins » à une certaine place qui devient l’opérateur de l’acte via le discours analytique.

7Notre travail s’inscrit dans cet essai de saisir quelque chose de ce nœud par l’approche de ce concept du semblant, que Lacan a subverti en le rendant irréductible à la série des synonymes que la langue française fournit. C’est un terme difficilement traductible dans nombre d’autres langues en dehors de l’anglais et peut-être de quelques autres, tout en maintenant justement l’équivoque qui le rend opératoire. J’ai proposé une traduction du semblant dans la langue hellénique par le terme proschmatikov[2]. Le sens est proche du terme français « prétexte » tandis que l’étymologie tient de l’« esquisse ». D’autres collègues ont traduit le semblant comme un synonyme d’apparence. Je soutiens pour ma part qu’il s’agit d’un terme qui, au-delà du sens littéral, renvoie au principe d’équivoque dont toute langue fourmille. Lacan en fera une catégorie en lien avec celle des discours, où l’usage de ce terme de semblant succède à celui initialement choisi d’agent, indiquant la place en haut à gauche comme point d’insertion de chaque discours.

8Mon hypothèse est que l’importance de cette catégorie s’appréhende dans l’effort de Lacan de serrer au plus près la question de la structure en général, et les registres du symbolique, de l’imaginaire et du réel en particulier, ainsi que les modalités de leur nouage au sein du nœud borroméen. Ainsi, nous assistons de fait à une mutation de la catégorie du symbolique, comme nous le verrons. Reste que l’enjeu de cette entreprise lacanienne, présente durant la décennie 1970, se vérifie par l’orientation vers la saisie de ce qu’il a appelé des bouts de réel dans l’expérience analytique. Le réel reste insaisissable en tant qu’entité. L’opération analytique vise comme telle la saisie possible de quelques bouts de réel afin de rendre compte de la béance qui existe dans les rapports entre les sexes. Ce rapport frappé d’impossibilité logique constitue la découverte principale de la psychanalyse. Nous constatons néanmoins que cette thèse, au-delà des difficultés de compréhension, demeure étonnamment inassimilable « dans le monde », alors qu’elle se vérifie au quotidien dans les témoignages cliniques de chaque sujet. Il s’agit d’une vérité en creux, qui constitue le pendant du scandale qu’avait suscité dans la subjectivité de son époque la découverte par Freud de la sexualité infantile.

9La tâche que nous nous sommes donnée dans cette étude consiste à examiner comment le parcours du semblant à l’impossible rend compte de l’approche du réel dans et à partir de l’opérativité de l’acte analytique, sans tomber dans les travers réductionnistes qui feraient de l’opposition entre semblant et réel un court-circuit binaire. Si nous suivons Lacan, il n’y a d’accès au réel pour la psychanalyse qu’en passant par la catégorie du semblant.

10On pourra m’objecter que c’est pourtant le cas dans la psychose, où le semblant ne fonctionne pas comme dans les névroses. Certes la réponse n’est pas simple, car si le semblant semble court-circuité dans certains cas de psychose grave, la question qui se pose est de savoir à quel prix pour la vie de ces sujets. En définitive, l’enjeu du maniement du semblant s’avère peut-être encore plus crucial dans le cas des psychoses, c’est-à-dire là où il fait initialement défaut.

Du semblant dans les rapports entre hommes et femmes. De la sexualité à la sexuation

11L’inexistence du rapport sexuel ouvre tout un chapitre sur les modalités des relations humaines sur le plan de l’amour, du désir et de la jouissance, ainsi que sur les principes de régulation qui suppléent à cette impossibilité logique de structure.

12Au-delà de la polémique alimentée dans l’actualité par la rediffusion des théories du genre émises par Stoller il y a déjà quelque temps, à la faveur des mouvements revendicatifs pour la normalisation de toutes les options de modalités de jouissance pour tous et pour chacun, il est frappant de constater que ce qui caractérise la tendance de toutes ces revendications est le désarrimage des « nouveaux » modes de jouir d’avec la problématique de la jouissance phallique et de l’Autre sexe. S’il s’agit de redéfinir les identités des hommes et des femmes quel que soit le contexte, on n’échappe pas pour autant à la question du comment « faire homme » ou « faire femme », autrement dit comment fonctionne le lien au semblant. Certains éthologues depuis les travaux de Lorenz vont postuler que le semblant fonctionne comme tel déjà chez l’animal. La parade des mâles, diraient d’autres, n’est par ailleurs pas réservée aux seuls humains. Il existe néanmoins une différence fondamentale, car pour l’animal il n’y a aucune chance pour qu’il soit pris dans un discours, par son inconscient, et qu’il interprète donc ce semblant. Lacan avait déjà fait remarquer que l’important n’est pas la différence sexuelle mais le fait qu’il existe des femmes pour le garçon et des hommes pour la fille [3]. Il s’agit donc de savoir comment faire homme ou comment faire femme, et cela au-delà du « destin », selon l’expression freudienne inspirée par Napoléon.

13Occuper la place de l’un ou de l’Autre consiste toujours à se repérer à partir d’un discours. Si par exemple « faire homme » c’est faire signe à une femme qu’on l’aime, cela a des conséquences parfois imprévisibles, car cela peut conduire à ce que Lacan appelle un « changement de discours », surtout lorsque la femme en question répond. L’amour est « signe de changement de discours », cela signifie comme on dit dans ce cas que « les embêtements commencent ». Lacan a souvent fait référence à l’amour courtois, c’est-à-dire à un moment où les semblants étaient manifestement nettement plus déterminants par comparaison à la subjectivité de notre époque. L’expression « faire l’amour » à l’époque des troubadours signifiait faire de la poésie, dire à l’élue de son cœur qu’on l’aimait, ce qui ne signifiait pas qu’il s’ensuivait forcément un « passage à l’acte ». Encore que ce terme a plus d’une signification [4]. Ce qui me paraît décisif à la lecture de Lacan, c’est que si le produit du discours est un plus-de-jouir, autrement dit un reste de jouissance, cela confirme qu’il n’y a pas à proprement parler d’acte sexuel « réussi ». L’ironie du sort est que la théorie psychanalytique illustre cela de façon édifiante à partir du célèbre mythe freudien de Totem et tabou.

14Qu’en est-il alors de la relation sexuelle et de la jouissance du même nom ? Comment cela s’articule-t-il lorsque nous avons d’un côté la jouissance pulsionnelle relayée par le plus-de-jouir et de l’autre la jouissance sexuelle dont le phallus est le signifiant [5] ? Comment donc chacun des deux sexes se détermine-t-il par rapport à ce semblant ? Comment rendre compte de la différence de position et des conséquences qui en découlent ? Par ailleurs, si le phallus est du côté du semblant, comment cela s’articule-t-il avec le réel de la jouissance ? Eh bien le phallus, avec sa dialectique, a beau se situer du côté du semblant, ce qui pour l’homme représente l’ensemble de son rapport à la jouissance, il ne va pas sans la castration qui, elle, n’est pas de l’ordre du semblant – « la fille châtre les hommes et le garçon les femmes » – mais de l’ordre du réel. Par conséquent le phallus désigne ce réel de la jouissance. Lacan situe le Nom-du-Père à la place du semblant archaïque. Pour autant il ne faudrait pas se tromper, aucune symétrie n’est déductible à partir de cette conjonction que le semblant articule. La femme a le « privilège » d’occuper la place de la vérité dans cette affaire, « car nul Autre qu’elle ne sait mieux ce qui de la jouissance et du semblant est disjonctif ». Ici l’équivalence qui tient au niveau du discours n’en laisse pas moins une distinction radicale au niveau de l’épreuve – épreuve de vérité, c’est le cas de le dire, pour l’homme, car il n’y a qu’elle qui peut donner sa place de valeur au semblant comme tel, et c’est ce qui la rend apte à être le symptôme d’un homme, ce qui également la divise bien sûr, voire la rend aussi Autre, y compris pour elle-même. C’est cette horreur, cette vérité que l’on retrouve au niveau de l’inconscient. Cette différence eu égard au maniement du semblant par une femme « lui donne non seulement une liberté supplémentaire à l’endroit du semblant mais la rend susceptible de donner du poids à un homme qui n’en aurait point ».

15C’est désormais connu que si l’accueil de la découverte par Freud de l’inconscient, notamment par la voie royale des rêves, avait suscité méfiance et ironie au sein de la communauté scientifique de son époque [6], c’est la découverte de la sexualité infantile, assignée durant les siècles précédents à une place de no man’s land, qui a cristallisé les réactions les plus virulentes de tous les milieux et pas seulement de ceux pour qui la censure était une réaction attendue comme les milieux religieux. Le terme de découverte est doublement pertinent, d’introduire dans la circulation de la parole et dans le discours ce dont on ne voulait rien savoir. En 1905 Freud introduit dès l’ouverture de son célèbre ouvrage intitulé Trois essais sur la théorie sexuelle[7] l’hypothèse d’une pulsion de nature sexuelle qu’il nommera la libido, et qui se manifeste dès l’enfance, et non pas, comme l’opinion publique le croyait, au moment de la puberté. L’étonnant est qu’il remarque dans une note de 1910 que le terme de Lust, équivoque dans la langue allemande, connote à la fois une tension et son apaisement satisfaisant, anticipant ainsi sans le savoir la catégorie lacanienne de jouissance. Le concept de pulsion partielle devient fondateur pour la psychanalyse aussi parce qu’il met en évidence une perversion polymorphe infantile distincte des perversions des sujets adultes [8]. Quant à la libido, elle concerne les deux sexes dans la mesure où elle fonctionne sous le primat de la génitalité. Freud reconnaît encore une fois l’existence de tensions « plaisantes » qui viennent contredire la théorie première du principe de plaisir comme organisateur de la vie psychique. Enfin, il ne faut pas oublier que les premières questions qui apparaissent chez les enfants ne concernent pas la différence des sexes mais le trou dont s’origine l’existence en lien avec l’énigme du désir de l’Autre : « D’où viennent les enfants ? »

Le phallus en tant que Bedeutung[9], du concept au mathème

16Le phallus fait partie des concepts quasi coextensifs de la théorie psychanalytique. On le retrouve en lien avec quasiment l’ensemble des concepts et l’on peut en suivre la construction tout au long de l’enseignement de Lacan. Un grand nombre d’ouvrages et d’articles lui sont dédiés et on lira avec profit entre autres le fruit d’un travail collectif, rédigé par Pierre Bruno et Fabienne Guillen [10], qui se propose d’extraire les points d’articulation et d’Aufhebung les plus saillants, décortiquant les thèses princeps de Freud et de Lacan et tranchant sur les points restés jusqu’alors dans un état d’ambiguïté doctrinale. Le phallus est la véritable « pièce maîtresse de la structure, solidaire du complexe de castration (et donc de l’Œdipe), du langage (rapport signifiant-signifié), du réseau symbolique des échanges (structures élémentaires de la parenté), de la métaphore paternelle, du nouage R. S. I., des modes d’assujettissement (psychose névrose perversion), enfin de la cure analytique elle-même (transfert – déroulement, terminaison, fin) [11] ».

17La construction de son statut a été lente et méthodique et commence pour Lacan par la différenciation radicale du phallus avec le pénis, appendice réel de l’organe sexuel masculin, même dans le concept de Penisneid : dans le Penisneid, dira Lacan dans la séance du 10 juin 1955, c’est non pas de pénis qu’il s’agit, « mais du phallus, c’est à dire quelque chose dont l’usage symbolique est possible parce qu’il se voit [12] ». Associé donc d’emblée à son statut originaire de phanère, c’est un terme qui convoque le regard surtout lorsqu’il en symbolise l’absence derrière le voile. Dans la première partie de son enseignement, Lacan va distinguer le phallus imaginaire (objet de la castration symbolique par le père réel en tant qu’agent) du phallus objet symbolique d’une privation réelle dont l’agent est le père imaginaire [13]. C’est de la négativation du phallus imaginaire (– ϕ) que naît le phallus symbolique F. Le phallus devient un signifiant du désir dans la dialectique du désir de l’Autre. Cette dialectique de l’être ou de l’avoir se fonde sur le fait que l’on ne peut l’avoir que si on ne l’est pas, dira d’abord Lacan, pour préciser encore davantage dans un deuxième temps la répartition des sexes : l’homme n’est pas sans l’avoir, et la femme n’est pas sans l’être. Le voile constitue l’élément fondamental dans le rapport avec l’apparence du donner à voir, avec ce qui se voit ou pas, il suggère une consistance qui habille le rien de l’absence. L’hystérique l’incarne très bien : « En tant que femme elle se fait masque […] pour, derrière ce masque, être le phallus [14]. » Lacan fait souvent référence au masque dans la tragédie grecque : « Le semblant prend effet d’être manifeste. Quand l’acteur porte le masque, son visage ne grimace pas, il n’est pas réaliste. Le pathos est réservé au chœur qui s’en donne, c’est le cas de le dire, à cœur joie. Et pourquoi ? Pour que le spectateur, je dis celui de la scène antique, y trouve son plus-de-jouir communautaire à lui. C’est ce qui fait pour nous le prix du cinéma. Là le masque c’est autre chose, c’est l’irréel de la projection [15] . »

18Le mot provswpon (en latin persona) signifie en grec ancien à la fois visage et mas-que, proswpeivon, comme si on ne distinguait pas l’œil du regard ou bien le sujet qui voit de l’objet vu [16]. « Le visage des Grecs ne dissimule pas, il n’abrite ni ne renferme rien. Il n’est pas comme le nôtre cette enveloppe de peau qui préserve, derrière la clôture des paupières, les secrets de la vie intérieure [17]. » La conséquence sur la pratique théâtrale est pour le moins inhabituelle pour l’Européen moderne : « Il faut considérer que le masque porté n’a pas pour fonction de cacher le visage qu’il recouvre. Il l’abolit et le remplace. Au théâtre, sous le masque dramatique, le visage de l’acteur n’existe pas [18]. » On s’aperçoit que l’effet du masque n’a rien d’un jeu de cache-cache mais au contraire constitue un élément dans la dialectique de la construction structurale du phallus, que l’on retrouvera dans la thèse du phallus en tant que semblant.

19Lacan est très explicite sur ce point déjà dans son écrit de 1958 sur la Bedeutung (qu’on ne peut réduire en traduisant simplement par signification car il s’agit de la référence) du phallus : « Le phallus est le signifiant privilégié de cette marque où la part du logos se conjoint à l’avènement du désir. On peut dire que ce signifiant est choisi comme le plus saillant de ce qu’on peut attraper dans le réel de la copulation sexuelle, comme aussi le plus symbolique au sens littéral (typographique) de ce terme, puisqu’il y équivaut à la copule (logique). On peut dire aussi qu’il est par sa turgidité l’image du flux vital en tant qu’il passe dans la génération. […] il ne peut jouer son rôle que voilé, c’est-à-dire comme signe lui-même de la latence dont est frappé tout signifiable, dès lors qu’il est élevé (aufgehoben) à la fonction du signifiant. Le phallus est le signifiant de cette Aufhebung elle-même qu’il inaugure (initie) par sa disparition. C’est pourquoi le démon de l’Aidwv" […] surgit dans le moment même où dans le mystère antique, le phallus est dévoilé […]. Il devient alors la barre qui par la main de ce démon frappe le signifié [19] […]. »

20Nous pouvons soutenir que le signifiant phallus n’est pas celui de la différence sexuelle, là où Freud le rabattait en principe du côté de l’organe masculin, encore qu’une lecture attentive montre qu’il le situe du côté de la mère, en tant qu’absent, donc en tant qu’imaginarisé. Disons que, côté masculin, c’est du côté de la parade virile que le phallus apparaît. Encore faut-il ne pas trop pousser cette parade sous peine de produire l’effet inverse, un effet plutôt efféminé que l’on rencontre parfois chez certains jeunes gens qui n’ont pas pour autant retenu le choix d’objet homosexuel.

Parade masculine versus mascarade féminine : phallus « hommo-sexuel » ?

21Lacan sera plus explicite puisqu’il le situe, dans le cadre de la dialectique être-avoir, du côté de la femme, où il s’inscrit comme manque, mais pas comme manque-à-être [20]. Y a-t-il un pendant à la parade masculine ? Nous savons depuis les travaux de Joan Rivière sur la mascarade féminine [21] que cette dernière fait partie des modalités d’inscription pour une femme du côté d’être le phallus : « […] c’est pour être le phallus, c’est à dire le signifiant du désir de l’Autre, que la femme va rejeter une part essentielle de sa féminité, nommément tous ses attributs dans la mascarade. C’est pour ce qu’elle n’est pas qu’elle entend être désirée en même temps qu’aimée. Mais son désir à elle, elle en trouve le signifiant dans le corps de celui à qui s’adresse sa demande d’amour […] l’organe qui en est revêtu, prend valeur de fétiche ».

22Nous pourrons nous rendre compte de l’articulation entre phallus symbolique et phallus imaginaire par le rôle qu’il joue dans le mécanisme pervers. Lacan y insiste dans un passage du séminaire Le transfert à la fin de la leçon du 26 avril 1961. Dans cette leçon, la thèse de Lacan est que le phallus F peut fonctionner comme signifiant parce que structuralement il représente le défaut du signifiant (signifiant exclu du signifiant) ; ce n’est donc pas en tant qu’organe de la copulation dans l’expérience qu’il se révèle mais aussi en tant qu’il est pris dans le mécanisme pervers. Comment y est-il pris ? Il y est pris sous une forme dégradée (par artifice ou contrebande), autrement dit sous forme imaginarisée ϕ. Certes, mais alors comment fonctionne-t-il en tant que F ? C’est bien parce qu’il se présente comme signe du désir dans la sexualité humaine. Témoin, l’équivalence entre l’image de la jeune fille et l’image phallique selon la célèbre expression de Fénichel (girl = phallus). Mais de façon encore plus explicite Lacan démontre comment dans l’homosexualité le signifiant phallique fait signe non seulement à quelqu’un, mais de quelqu’un, qui devient à son tour ce signifiant : « Que le phallus qui se montre a pour effet de produire aussi chez le sujet à qui il est montré, l’érection du phallus, ce n’est pas une condition qui satisfasse, en quoi que ce soit, à quelque exigence naturelle. […] le phallus comme signe du désir se manifeste comme objet du désir, comme objet d’attrait pour le désir. C’est dans ce ressort que gît la fonction signifiante. […] Ce qu’il désigne n’est en rien qui soit signifiable directement. »

23Nous concluons pour le moment, anticipant sur ce que sera la thèse de Lacan sur le rapport entre le phallus et la différence des sexes, que celui-ci n’est pas en mesure de dire, de signifier quelque chose sur ce qu’est un homme ou ce qu’est une femme, car le phallus ne peut comme signifiant « ne jouer son rôle que voilé, signe de latence dont est frappé tout signifiable dès lors qu’il est élevé à la fonction de signifiant [22] ».

La fonction phallique dans l’économie de la jouissance

24La fonction phallique est une écriture homologue à celle d’une fonction mathématique construite sur la base d’une logique propositionnelle. La logique est pour Lacan la science du réel, dans la mesure où par le biais d’une construction logique il arrive à cerner un point d’impasse de la formalisation, qui indexe le réel. Il y a une homologie entre ce type d’impasse et celle qui découle de l’échec du phallus à signifier quelque chose de la différence entre l’être homme et l’être femme, ainsi que celle qui consisterait à signifier quelque chose de la jouissance qui provient de la relation dite sexuelle pour ne pas dire de la jouissance tout court. Il en résulte que la construction du phallus comme mathème pousse l’élaboration du concept dans ses retranchements jusqu’aux confins du réel.

25Le phallus s’articule comme fonction de la castration dans la mesure où le langage ne peut signifier ni la différence ni la conjonction entre les sexes, ce qui condamne toute tentative de relation sexuelle à passer par la répétition d’une insatisfaction d’ordre structural. D’ailleurs, il n’existe pas de prototype de relation homme-femme puisque aussi bien pour le garçon que pour la fille le « prototype », s’il en est, consiste en la relation entre le père et la mère, par la prise du sujet dans le cadre de l’Œdipe. Tout enfant se trouve d’abord à la place de l’objet a dans le rapport à l’Autre [23], et comme élément tiers irréductible puisqu’il est le fruit de l’union sexuelle des parents. « La logique du fantasme est fondée par Lacan sur cette substitution à la conjonction sexuelle attendue de ce rapport du sujet à l’Autre qui le confronte à la répétition infinie de cette soustraction 1-a qui converge vers une limite impossible à atteindre symbolisée par le phallus comme faille [24]. »

26Alors Lacan introduit le phallus, après l’avoir désigné tour à tour comme imaginaire et symbolique, dans un nouveau statut : « Le phallus est très proprement la jouissance sexuelle en tant qu’elle est coordonnée à un semblant, qu’elle est solidaire d’un semblant. » Côté homme la jouissance s’inscrit entièrement du côté du semblant. Tandis que la femme, elle, se trouve divisée dans la mesure où elle est, comme dit Lacan, « en position de ponctuer l’équivalence de la jouissance et du semblant », ce qui la situe du côté de « l’heure de la vérité » au regard de la jouissance sexuelle, car elle « sait que jouissance et semblant ne s’équivalent que dans une dimension de discours. Car autrement si elle se situe pour l’homme dans cette heure de vérité avec son pendant d’horreur, puisque cette vérité c’est la castration, il n’y a pas mieux pour un homme comme pèse-personne que sa femme », dira-t-il, ce qui est après tout un des noms du symptôme de l’homme. « Ce positionnement à l’endroit du semblant lui concède une grande liberté, ajoute Lacan, ce qui permet de donner du poids même à un homme qui n’en a pas. »

27Le statut du semblant concernant le phallus ne l’empêche pas comme on le verra d’indexer le réel. Le phallus, « voilà le réel, dit Lacan, le réel de la jouissance sexuelle en tant qu’elle est détachée comme telle c’est le phallus. Autrement dit, le Nom-du-Père [25] ». Cette mise en série pourrait surprendre si ce n’est que le père, comme il le précisera, « il faut qu’il soit castré au point de n’être qu’un numéro », et à ce titre il incarne la transmission de ce réel de la jouissance inatteignable. La différence entre le père et le phallus est, comme on le verra, que le phallus est muet[26]. « Quant au Nom-du-Père il n’en constitue un opérateur efficace que dans la mesure où le père est quelqu’un qui se lève pour répondre [27]. » Lacan fait du père un simple référentiel en lien avec l’interprétation [28] en prenant soin de distinguer l’interprétation en référence au père de toute idée saugrenue d’analyse du père, ayant tranché une fois pour toutes sur le fait qu’« il n’est pas question d’analyser le père », qui plus est le père réel ! Nous sommes loin ici du père symbolique du début de l’enseignement lacanien. Le père symbolique peut aussi bien être celui qui ferme les yeux face aux questions qui concernent la jouissance de sa progéniture, et sans doute pas seulement, puisqu’il désigne le père déjà mort, comme dans le cas de l’homme aux rats.

La jouissance et le non-rapport sexuel

28Nous avons assisté à une mutation entreprise par Lacan amorcée par la théorie des discours et à la mise en place de la catégorie du semblant, qui remet en cause sans l’annoncer comme tel l’ordre qu’il avait établi dans le rapport à la structure, dont le concept de l’Autre en était le représentant et l’ordre signifiant le fonctionnement logique fondé sur les rapports entre les éléments selon certaines lois logiques. L’amorce de cette mutation fut mise en place avec l’introduction de la catégorie de la jouissance et l’invention de l’objet a. L’invention de la catégorie du semblant dont nous avons vu les signes précurseurs autour du concept du phallus a conduit à une sorte de révolution silencieuse qui remanie de fond en comble l’édifice de l’ensemble de l’enseignement de Lacan sans renier les éléments antérieurs, tout en gardant quelques constantes mais en en modifiant le statut. Ainsi, la catégorie du semblant est venue modifier le statut du symbolique sans crier gare comme pour alléger le poids de sa « tyrannie [29] », dont la conséquence apparaît dans la mortification du vivant, voire dans la virtualisation du réel. Cette mutation se vérifie également dans l’évolution de l’approche psychanalytique des psychoses par l’invention du sinthome comme suppléance à l’échec du fonctionnement de la métaphore paternelle. La conception même de la structure évolue puisque la chaîne signifiante, l’effet de sens et le savoir changent également de statut. Lalangue et la parole, comme le signifiant, sont des concepts dont l’importance est liée désormais à leur rapport à la jouissance. La théorie des discours prend le relais du jeu de la seule concaténation signifiante et de sa logique. La jouissance, le corps, l’objet a comme plus-de-jouir relayant l’objet cause de désir (sans que ce dernier soit abandonné comme référence), le réel, la logique, le mathème et le développement des nœuds et des cordes semblent prendre plus de poids dans la théorie. Le savoir n’a plus de valeur que dans son rapport à la vérité, qui, elle, se change en une place dans les discours et devient un mi-dire. L’enseignement de Lacan se radicalise par le recentrement sur la question du réel et de la jouissance en tant qu’inatteignable. La thèse princeps du non-rapport sexuel se radicalise également et introduit une rupture entre l’un qui existe (y a d’l’Un) et la jouissance qui le caractérise, dont la jouissance phallique constitue un paradigme réduit à la jouissance de l’idiot ou jouissance masturbatoire. La fonction phallique se mathémise comme une variable Fx régie par les lois d’une logique qui subvertit les catégories aristotéliciennes et celles de Kant en s’appuyant sur la logique des ensembles après Frege et les théorèmes de Cantor et de Gödel.

29Ce recentrement a divisé les élèves de Lacan, si tant est qu’ils fussent unis ou réunis en dehors de quelques rassemblements autour de formations institutionnelles, dont un nombre non négligeable fonctionnent selon le prototype de regroupement professionnel, mimant parfois le schéma d’une entreprise multinationale. Ainsi, une tendance conceptuelle à notre avis réductrice s’est fait jour dans les milieux psychanalytiques qui se réclament de l’enseignement de Lacan. L’auteur de cette conception entend-il « faire École » au détriment des thèses lacaniennes pourtant explicites sur le lien qui existe entre la catégorie du semblant et celle de la jouissance ? Peut-être bien, mais la dichotomie entre semblant et jouissance, réduisant le semblant aux apparences et la jouissance à son réel, ne permet d’éclairer ni l’une ni l’autre. C’est un peu comme si on revenait à la suprématie du symbolique sur l’imaginaire que Lacan avait entreprise dans son approche critique des années 1950 dans l’espoir de recentrer le débat de la théorie psychanalytique pour en dénoncer les déviations des institutions anglo-saxonnes relayées au sein même de l’ipa. Dans le cadre du débat qu’a suscité la position du chef de file de cette institution internationale, voici un extrait de la réaction de Slavoj Žižek lors d’une conférence donnée à Birkbeck : « Entre le réel et le semblant, Lacan a toujours affirmé que le cynisme est une fausse position, parce que le réel n’est pas juste derrière, caché par le semblant, c’est le réel du semblant. Si vous détruisez le semblant vous perdez aussi le réel. Ça me rappelle cette blague d’Alphonse Allais : “Regardez cette fille, quelle honte ! Sous ses habits elle est totalement nue !” C’est ça le réel ! En d’autres termes, Lacan n’est pas cynique, parce que le cynisme consiste à croire que les apparences ne sont que des apparences alors que l’objet de la psychanalyse c’est d’être conscient que le réel c’est le réel des apparences, le réel n’est pas caché par les apparences, il est inclus dans ces apparences[30]. »

Pour jouir il faut un corps

30Reprenons le fil de l’examen des thèses de Lacan, qui se dégagent à partir des séminaires …Ou pire et Encore, sur ce recentrement autour de la catégorie de la jouissance et du non-rapport sexuel. Lors de la première séance des entretiens à Sainte-Anne [31], en 1971, Lacan pose cette thèse centrale : « La jouissance se définit exclusivement du rapport de l’être parlant à son corps. » Il revient sur le lien entre la jouissance qualifiée de sexuelle, l’infantile, et ce qui se joue au niveau des perversions, dont nous avons déjà parlé. Le plus important c’est qu’il resitue désormais la parole précisément dans le champ de lalangue et non plus à proprement parler dans le champ du langage. La jouissance sexuelle, distincte du rapport du même nom, qu’il n’y a pas, procède de la parole qui détermine chez l’étant l’accouplement qu’il s’agit d’obtenir. À ceci près tout de même que la jouissance dite sexuelle ne peut s’articuler dans un accouplement qu’à rencontrer la castration qui n’a dimension que de lalangue. Voilà donc la nouvelle thèse.

31Lacan s’emploie désormais à construire par le biais du discours analytique le mathème qui rend compte de la castration en tant que noyau opaque de la jouissance sexuelle. Nous sommes loin de la castration dite simplement symbolique. Le discours analytique peut se définir comme celui qui réintroduit la question de la castration, objet de rejet d’autres discours – cf. le discours capitaliste (et peut-être le discours de la science ?). D’où la thèse que finalement seule la psychanalyse démontre, à défaut de pouvoir la faire admettre de façon plus générale en dépit de ce qui pourtant crève les yeux dans la vie quotidienne des gens. « La psychanalyse ne fait que ressasser que dans lalangue il y a incapacité d’articuler la moindre chose qui ait le moindre rapport à ce réel [32]. » Cela parce que ce rapport sexuel reste inter-dit. Il fonctionne d’une façon dont il est impossible de rendre compte. Il n’y a donc que le discours analytique qui puisse soutenir que dans l’ordre sexuel la parole fonctionne au niveau du semblant. Les bonshommes et les bonnes femmes à ce niveau sont de l’ordre du semblant, ce qui n’implique pas qu’ils n’existent pas en tant que réels, mais, précise Lacan, nous ne savons rien sur ce réel-là. Ils existent bien en tant que réels. La jouissance ne pouvant s’attraper qu’à partir du semblant, cette thèse ruine toute tentative de réduction du semblant à un faux ou à un simulacre. La catégorie du semblant en tant que lien symbolique-imaginaire va s’opposer au réel. En revanche, la question qui se pose est celle du rapport symbolique-réel puisque le symbolique fait aussi partie du semblant. Par ailleurs, Lacan lui-même énoncera lors de son séminaire qu’il s’efforce d’instituer le discours analytique comme « le semblant le plus vraisemblable [33] ». Le statut du discours analytique est celui de « faire semblant de l’objet petit a ».

Lorsque les corps sont attrapés par le discours

32Il s’agit de rendre compte de tout cela par la logique du fonctionnement du discours. Comment concrètement dans une psychanalyse il y a prise sur le corps comme support de la jouissance. La thèse de Lacan est qu’à partir du moment où on part de la jouissance, « le corps n’est pas tout seul, il y en a un autre. C’est la jouissance du corps à corps, mais il ne s’agit pas de la jouissance sexuelle. Celle-ci étant particulière de n’être pas rapportée. Néanmoins à partir du moment où il y a présence de deux corps ou plus – car cela peut constituer des séries – on ne peut dire lequel jouit ». Dès les entretiens préliminaires cela commence par la confrontation des corps, qui ne peut se réduire à un échange de bons sentiments ou d’affects tels qu’ils fonctionnent justement dans le discours du maître. C’est un point de départ que cette confrontation, car, dit Lacan, à partir du moment où on entre dans le discours analytique il n’en sera plus question [34]. Alors comment tout cela s’articule-t-il avec les quatre invariants de la chaîne du discours : le semblant, l’autre, la vérité et le plus-de-jouir ? Reprenons la thèse de « L’étourdit [35] ». Si la parole consiste au dit, tel qu’il s’entend, le dire se situe du côté du discours, autrement dit ce qui fait que les corps tiennent ensemble, l’accrochage social qu’impose l’articulation signifiante. La réalité, ce qu’on appelle réalité d’ailleurs découle de cela, de ce dire – la réalité au sens analytique du terme bien entendu, puisqu’il s’agit également du fantasme comme effet du dire [36].

33Le discours analytique existe, précise Lacan, « parce que l’analyste en corps, installe l’objet à la place du semblant ». Par conséquent, le semblant ici s’articule à partir du discours, d’autant qu’il en constitue le point d’insertion. N’oublions pas que s’embler signifie se précipiter. Lacan s’appuie sur l’articulation logique que Peirce a introduite par le triangle sémiotique dessinant une relation ternaire entre les éléments suivants : le representamen[37], l’interprétant et l’objet. Le couple representamen-objet est toujours à réinterpréter dans l’analyse mais l’interprétant est incontestablement l’analysant.

34L’analyse progresse à partir de la logique de l’extraction des articulations de ce qui est dit (et non pas du dire). L’effectivité de l’interprétation ne peut progresser que dans son rapport à l’objet. C’est donc dans la mesure où l’analyste se fait lui-même le representamen de l’objet a à la place du semblant. L’objet se situe à la place du dire comme oublié, place où s’inscrit la question pour chacun : où suis-je dans le dire ? Situer l’objet en position du semblant revient à soutenir le travail de la structure car l’objet a est la cause de la division du sujet. Alors comment saisir autrement l’enjeu de l’introduction au discours analytique d’un sujet « embarqué » avec l’analyste à cette place qu’en évoquant cette formule percutante de Lacan situant l’analyste à sa juste place : « Nous sommes frères de notre patient en tant que comme lui, nous sommes les fils du discours. » Cette place n’a rien d’enviable car il faut se faire à ce désêtre, précise Lacan. Il convient d’être le support, le déchet, l’abjection. Être frère de ce qui naît au niveau du sujet qui parle, dira Lacan, consiste à opérer avec « cette merde que lui propose l’objet a en la figure de son analyste ». C’est avec ce fléau que le sujet pourra renaître, transfiguré par la conjuration de l’opération analytique qui appréhende comme du savoir la vérité pas-toute. Le sujet est déterminé, il est l’effet de cette division causée par l’objet a. Son être de jouissance surgit de la lettre.

35Ainsi, Lacan souligne la difficulté de la position de l’analyste car l’objet a ne reste pas immobile, il se déplace. Sa fonction même, dit-il, c’est le déplacement. « Dans la position du semblant c’est beaucoup moins facile d’y rester parce que l’objet a vous fout le camp en moins de deux entre les pattes [38]. » Il ajoutera néanmoins non sans ironie que d’un autre côté cette position est de tout repos puisque c’est celle du semblant. D’un autre côté, il reprend cette question sur le désir de l’analyste en la posant en termes d’énigme. Qu’est-ce qui peut expliquer qu’il y ait autant de candidats, qui selon l’expression de Lacan arrivaient comme des billes, à vouloir « devenir » analystes, autrement dit dans le meilleur des cas occuper cette position si peu enviable ? C’est là que nous retrouvons le versant de l’objet en tant que produit dans la mesure où l’analyste est fait, fabriqué avec cet objet, abject.

Le phallus borroméen

36Pour ce qui concerne le phallus, dans le même séminaire Lacan le posera comme la corde qui vérifiant le faux trou réélise le nœud en le rendant borroméen. Transformer le faux trou en réel n’implique pas que le phallus soit lui-même de l’ordre du réel. Pourtant Lacan soutiendra lors du séminaire du 11 mars 1975 ceci : « Le phallus donc c’est le réel en tant qu’on l’élide. […] Il y a un réel qui ex-siste à ce phallus, qui s’appelle la jouissance, mais c’en est plutôt la consistance, c’est le concept (Begriff), si je puis dire du phallus. » Il me semble que malgré la tournure un peu emberlificotée de cette phrase il en ressort que le phallus dans son statut de semblant fait ex-sister le réel de ce qui est élidé par la castration. Disons que vu du réel cela correspond à la privation qui concerne les deux sexes, concept (Begriff qui signifie saisie) ambocepteur. Ce réel en tant qu’élidé, impossible à atteindre, il le décrit comme réel du réel ou bien réel puissance deux. Quant au phallus lui-même, précise-t-il, en tant que semblant il reste l’un seul. Il est bien du côté de la jouissance de l’Un seul, autrement dit ne peut atteindre la jouissance du corps de l’Autre. Comme il n’y a pas de deux de l’union sexuelle, le phallus aussi bien femelle que mâle est un puissance deux, qui est égal à un. C’est la thèse qui parcourt le séminaire Encore que l’on retrouve dans cette séance du séminaire R.S.I.

Amour, castration

37Lacan revient dans ses entretiens à Sainte-Anne à un petit poème de six vers d’un poète nommé Antoine Tudal, qu’il avait publié en exergue à son texte historique « Fonction et champ de la parole et du langage [39] » :


« Entre l’homme et la Femme,
Il y a l’amour.
Entre l’homme et l’amour,
Il y a un monde.
Entre l’homme et le monde,
Il y a un mur. »

38Ce petit poème illustre bien l’impossibilité d’inscription du rapport sexuel. Lacan va le commenter ainsi : « L’amour ça colle. Un monde ça flotte. Mais avec il y a un mur […] il y a interposition. Entre l’homme et l’amour il y a un monde. » Le monde ici recouvre le territoire d’abord occupé par la femme. « Connaître » le monde est un « rêve de savoir qui vient à la place de ce qui était marqué du F de la femme. « Entre l’homme et le monde, substitué à la volatilisation du partenaire sexuel il y a un mur. » Ce mur d’interposition représente ce que Lacan avait appelé un « rebroussement […] comme signifiant la jonction entre vérité et savoir ». Ce lieu est le lieu de la castration. Pour le dire clairement, entre savoir et vérité ça ne communique pas, chacun des deux champs laisse intact l’autre. Ce cercle de rebroussement, nous explique Lacan, est homogène sur toute la surface topologiquement définie. Cela revient à dire que nous retrouvons à plusieurs niveaux ce lien à la castration[40] : aussi bien au niveau du rapport entre l’homme et la femme qu’au niveau du savoir dans son rapport à la vérité.

39Alors comment situer l’amour à partir de cette impossibilité ? Justement, répond Lacan, quand c’est sérieux dans ce qui se joue entre un homme et une femme il y a toujours un enjeu de la castration. Pas d’amour sans castration, nous dit la psychanalyse avec Lacan, et si la rencontre amoureuse relève de la contingence, la castration s’y trouve inscrite comme une constante logique, voire topologique. C’est sans doute une réponse au discours capitaliste, qui par le biais de la forclusion de cette castration met au rencard les choses de l’amour. Les effets de ce phénomène sont amplement observés quotidiennement dans la clinique analytique, de façon peut-être accentuée dans les générations montantes qui cherchent désespérément à établir une relation là où les « rencontres » ne manquent pas.

Le discours comme isolat

40Ce terme de discours comme catégorie lacanienne est révolutionnaire[41] à plus d’un titre. Le discours dans la théorie lacanienne des discours n’est ni le bla-bla, ni ce qu’il appelle disque-ourcourant (qui de fait ignore sa cause, et auquel l’inconscient ne se fait pas entendre), pas plus que le discours dit d’auteur, car pour Lacan « aucun discours ne saurait être d’auteur [42] ».

41Il y a une solidarité dans le fonctionnement de la ronde des (quatre) discours, ce qui n’empêche pas de considérer le concept de discours comme un isolat [43] au même titre qu’un rêve ou qu’une autre formation de l’inconscient qui surgissent dans les coupures du discours dit conscient. En tant qu’il n’a en soi ni signification ni sens, c’est un isolat : bout de discours, au même titre qu’un lapsus ou un rêve, qui apparaît dans les trous du discours effectif. En ce sens nous pouvons parler de semblant de discours, d’un artefact[44] comme dira Lacan. Ce qui compte en psychanalyse, plutôt qu’un sens ou un contenu, c’est que « c’est dit, ou ce n’est pas dit ». Dans ce sens, un discours comme phénomène de langage est potentiellement vrai du fait de son énonciation [45], et non pas de son adéquation à la réalité. C’est lui qui « fait » la réalité. Lacan est sur ce point formel : il dira qu’il n’y a de fait que de discours. Si Freud a réussi à donner un titre de noblesse à l’OEdipe, c’est en tant que ce mythe préserve le tranchant de l’énonciation de l’oracle. C’est la dimension apophantique de l’interprétation. Son effectivité n’est point réductible à une vérification à partir d’un binaire vrai-faux. L’interprétation se vérifie lorsqu’elle déchaîne la vérité. Elle n’est donc vraie que si elle est suivie [46].

42Le paradoxe du je mens montre assez que la vérité surgit du mensonge, de la méprise, à condition que l’on situe bien la question : non pas si ce qui s’énonce est vrai ou pas, mais qui parle. En l’occurrence, c’est le signifiant lui-même, autrement dit le semblant. Si l’on trouve fréquemment des usages de ce terme dans le sens du paraître, des façons d’être, voire du simulacre, Lacan le subvertit pour l’élever à la dignité d’une catégorie essentielle pour la psychanalyse. Il en donne deux exemples différents et jusqu’à un certain point déconcertants. Un exemple est celui de l’arc-en-ciel, phénomène « naturel » comme les nuées qu’il qualifie de météore [47]. Un autre exemple non moins spectaculaire est celui d’« un bras qui va chez le voisin à la cueillette ». Il s’agit d’un bras « autonome », car, si l’on peut dire, il n’y a pas de « sujet porteur ». D’ailleurs le voisin n’est pas forcément d’accord ; cela entraîne une série de conséquences tragi-comiques qui ne peuvent d’ailleurs qu’être supputées. C’est d’un pur effet qu’il s’agit. Le semblant se situe et s’articule avec le je ne pense pas[48]. C’est le point de départ de tout discours (rappelons que « s’embler » est une expression ancienne qui signifie se précipiter). Comme pour le discours en lui-même, ce n’est pas la question de l’origine qui importe mais celle de l’effet.

Le contre-exemple du discours capitaliste

43Nous avons soutenu avec Lacan que tout discours part du semblant, sans exclure qu’il puisse y avoir un lien avec un discours qui ne serait pas du semblant. Il existe pourtant une exception concernant le discours capitaliste, que Lacan a construit en procédant à une modification du discours du maître. Il lui a suffi d’intervertir le signifiant maître et le $ en les permutant de place, d’où l’idée de bricolage. En revanche, sa particularité, eu égard aux autres discours, est que la barrière dite de la jouissance qui sépare irrémédiablement la place de la production de celle de la vérité se trouve abolie. Ce discours n’est-il pas le seul dont on puisse soutenir qu’il ne s’appuie que sur du semblant ? Au départ du $ à la place du semblant (en haut à gauche) il va tourner en rond, évacuant toute velléité d’atteindre un discours qui ne serait pas du semblant. Cela fait partie entre autres de son succès que cela continue à tourner ainsi.

44Y aurait-il une possibilité qu’une vérité surgisse et produise des effets tangibles de « déménagement » ? Structuralement, cette irruption a bien eu lieu à un moment dans l’histoire. Moment historique particulier de l’émergence du symptôme, si l’on suit sérieusement Lacan, qui en attribue la découverte à Marx avant Freud. Découverte structurale d’un élément fondamental que recelait la découverte de la plus-value : « La dimension du semblant est introduite par la fondamentale duperie dénoncée comme telle par la subversion marxiste dans la théorie de la connaissance. » Marx, au-delà de sa critique de l’idéalisme hégélien et de la mise en série de l’argent et de la marchandise comme équivalents à un fétiche, donne au concept de plus-value le statut de symptôme, soit une vérité qui fait retour dans la faille d’un savoir.

45L’histoire démontre en revanche que l’irruption de la vérité ne suffit pas pour abolir le discours dénoncé. Lacan insiste sur le fait que la reconnaissance de la plus-value non seulement n’a pas ébranlé le système capitaliste qui continue à subsister, mais au contraire l’a renforcé. Aussi, il faut distinguer cette découverte de la plus-value, cette dénonciation de l’exploitation et du dépouillement des prolétaires, du mouvement politique de révolution qui s’en est suivi et dont on connaît les suites historiques. Indignations, protestations et révoltes, bien que louables s’avèrent bien souvent insuffisantes. Nous ne sommes pas naïfs au point de croire qu’un symptôme même considéré dans son statut de production révolutionnaire suffirait à lui seul à renverser le cours d’une vie ou celui de l’histoire. Il en faudrait certes plus, même si l’on tente un parallèle certes osé entre la vie d’un sujet et le cours de l’histoire, on doit avant tout écarter toute implication simpliste, sans méconnaître les effets surprenants dans ces deux cas de la Tuvch aristotélicienne (effet de rencontre, circonstances historiques, etc.) qui laissent au réel sa part d’indétermination et de surprise.

46Lacan pose quant à lui le principe qu’un ordre succède aussi bien à un ordre précédent sans aucune garantie de changement dans le sens auquel on pourrait s’attendre. Il préconise pour autant de « mettre la psychanalyse au chef de la politique », c’est-à-dire soutenir avec Jean-Pierre Vernant qu’il n’y a rien d’autre à attendre des « professionnels de la politique » qu’une confiscation du pouvoir, réduisant en « démocratie représentative » la vraie politique, celle où chaque citoyen s’occuperait au sein du lien social de ses affaires et où il pourrait y avoir aussi une place prévue pour l’autre, migrant, refugié, l’altérité comme principe minimal que l’humanité partage avec la psychanalyse. Conscient de l’immensité du chantier, je ne tente ici que de souligner cet espace structural commun où chacun de nos frères peut nous enseigner la pratique humaine de la vie. C’est un projet où la psychanalyse a sa part entière, à l’encontre de ce que soutiennent certains collègues arguant d’une clôture du champ sur le plan épistémique et méthodologique de notre pratique d’analyste.

Semblant et jouissance

47Freud avait déjà dénoncé le malaise dans la culture. Cette dénonciation porte sur un point structural qui est celui de la discordance qui fait qu’entre semblant et vérité ça ne marche pas ; Lacan épinglera ce malaise structural avec son « il n’y a pas de rapport sexuel ». Le névrosé ne veut pas savoir que cette coupure est structurale et qu’elle incarne l’impossibilité de jouir du corps de l’Autre, comme s’exprime Lacan dans le séminaire Encore. Cette coupure est matérialisée par la barrière de la jouissance dans tous les discours sauf un. En guise de parade on retrouve les différents rituels d’initiation, dont certains apparaissent comme des rituels de contrainte (circoncision, excision) qui se supportent des signifiants et du discours. Ces rituels se substituent aux fantasmes de castration en tant que semblants, en tournant autour et en se jouant de celle-ci. Tous ces rites sont à l’instar des mystères qui avaient lieu dans l’Antiquité et qui étaient liés directement ou indirectement au phallus comme signifiant. Ainsi, le phallus, le semblant par excellence, s’érige comme pivot autour de quoi tourne la jouissance sexuelle [49] : « Cependant même si le phallus atteste du non rapport s’il en est entre autres l’obstacle : […] qui fait de l’homme et de la femme […] ces êtres qui sont en difficulté avec la jouissance sexuelle d’une façon élective parmi toutes les autres jouissances. »

48Il existe en revanche deux suppléances possibles au non-rapport sexuel : l’amour et le symptôme. Le premier, en tant qu’il ménage une place à la castration, peut quand c’est sérieux ménager une modalité sublimatoire. Quant au second, le symptôme, « à l’intérieur du rapport sexuel […] ménage une sorte de réussite à ce qui pourrait s’établir […] de suppléant à ce qui manque, et qui s’inscrit dans l’être parlant ». Le symptôme se trouve donc être un marqueur du non-rapport et supplée au rapport sexuel [50].

Savoir et vérité

49L’on sait que dans l’écriture du discours analytique le savoir disjoint du signifiant maître se trouve à la place de la vérité. Or la compatibilité entre savoir et vérité ne va pas de soi. Lacan dans « Radiophonie », en juin 1970, écarte toute idée de prétendue complémentarité entre les deux qui pourrait constituer un Tout comme index de la connaissance. Sa thèse centrale est qu’il n’y a pas de tout, pas d’univers de la connaissance. Pas de La connaissance tout court. Le rêve hégélien restera orphelin. La vérité commence par le Prwvton yeuvdo, comme le souligne très tôt Freud [51], mensonge « nécessaire » à l’origine de la formation du symptôme entre réel et défense.

50Alors la question est celle-ci : comment la vérité viendrait-elle mordre sur ce savoir « menteur » ? Elle le peut dès lors qu’elle en surgit de tenir par ce qui la joint au réel, par le trou que le symbolique (castration) y produit. Au fur et à mesure que l’analyse progresse, l’analysant découvre que le rapport au savoir issu du transfert avec la vérité était un savoir y faire. Il n’y a pas d’autre moyen de s’en sortir que d’approcher ce qui du réel fait fonction dans le savoir, c’est là où la vérité se situe et ne surgit que par surprise. Ce savoir porte sur le faux-à-être (équivoque qui sous-entend l’existence de l’objet a), dont sort la vérité comme surprise lorsqu’elle se déchaîne. Ce faux-à-être n’est pas sans poser la question du rapport entre semblant et vérité [52]. C’est ici que Lacan aborde la question de la révolution en rapport avec le symptôme : « C’est à ce joint au réel, dit-il, que se trouve l’indice politique où le psychanalyste aurait place s’il en était capable. Là serait l’acte qui met en jeu de quel savoir faire la loi. Révolution qui arrive de ce qu’un savoir se réduise à faire symptôme vu du regard même qu’il a produit. »

51C’est donc dans ce nœud vérité-savoir-réel que se trouve l’enjeu de ce qui fait qu’il y ait du psychanalyste en tant que produit, effet de son acte même.

Du psychanalyste comme semblant d’objet a dans la direction de la cure

52La position de l’analyste à la place du semblant de l’objet a est loin de constituer une formule transparente. Rien ne paraît être plus loin du semblant que l’objet dans toutes ses déclinaisons : objet pulsionnel, objet cause du désir, reste de la division subjective ou bien plus-de-jouir. Par ailleurs, ayant écarté l’analyste du dogme de la relation d’objet, Lacan le situe comme celui qui dirige la cure [53] plutôt que l’analysant lui-même comme le ferait un directeur de conscience. Pour autant, l’analyste n’est pas libre de sa politique (pas plus que de sa stratégie ou de sa tactique), il a à se repérer sur son manque à être plutôt que sur son être, car plus son être sera intéressé, moins il sera sûr de son action [54]. Mais l’analyste « paye aussi de sa personne [55] ». Sa présence, comme manifestation de l’inconscient, constitue une relance dialectique à partir de la fermeture de celui-ci et ménage une place à la tromperie, cette vérité menteuse de l’amour se manifestant dans le transfert. L’analyste est situé aussi au-delà de la fonction de l’interprétation [56]. Dans le mathème du discours analytique, c’est l’objet a comme tel qui « détermine l’être parlant pris dans un discours sans le savoir ». Le sujet est justement à la fois effet de cet objet cause de son désir et effet du discours en tant que celui-ci le détermine [57]. Dès que le sujet est pris dans le discours il est dans le semblant car il n’y a pas de discours qui ne serait pas du semblant.

53Dès lors, quel est le statut de cet objet ? Est-il à proprement parler de l’ordre du réel [58] ? Ou bien se situe-t-il entre symbolique et réel ? Reste compensatoire « plus-de-jouir » dans l’équivoque entre « lichette » et cession de jouissance ? Enfin, comment entendre la formule « objet condensateur de jouissance » ? Au fond, ce ne sont pas les déclinaisons de l’objet a mais le lien, l’articulation entre la jouissance et le semblant [59] qui livre la clé, situant l’enjeu de son maniement dans la cure. Il s’agit pour l’analyste non pas de traquer la jouissance de l’analysant, comme semblait le penser entre autres Françoise Dolto, mais d’une construction qui vise plutôt à « faire passer la jouissance au semblant », ce qui est certes équivalent à une dévalorisation de ladite. Si l’objet a est un semblant d’être (séminaire Encore), cela ne signifie pas qu’il est le « substitut » de la Chose, objet perdu de tout temps, mais c’est en tant qu’il « rate » l’être, car l’objet est selon Lacan le ratage même. L’objet a serait-il donc un faux réel par rapport au « vrai réel » de la science ? Pas si simple, car comment appréhender le réel autrement qu’à partir du semblant ?

54Rappelons-nous que pour Freud une cure psychanalytique constitue une réduplication, une modélisation « artificielle » de la névrose, dont la solution conduit théoriquement à la résolution de cette dernière. Ainsi, le semblant d’être dans le transfert vise réellement l’être de jouissance propre du sujet : les modalités de jouissance concernant l’objet pulsionnel où sa propre jouissance s’est fixée. Par quelle opération donc devient-il possible d’orienter le sujet à partir de la fiction de jouissance construite dans la cure vers sa fixion de jouissance afin d’en libérer son désir ? C’est là que se situe l’enjeu, le levier de l’acte de l’analyste. Certes l’acte est comme nous l’avons soutenu après Lacan l’oxymore du semblant. Par ailleurs, l’analyste quand il opère se tient à carreau face à la jouissance. Il crée ainsi une place nettoyée de la jouissance dans le dispositif de la cure, incarnant par là même la barrière qui sépare la place du produit de celle de la vérité dans les discours, dont le discours analytique, dans lequel les signifiants maîtres produits par l’analysant se trouvent séparés du savoir en place de vérité. Cette place vide fonctionne aussi bien dans le cadre des névroses que dans celui des psychoses, ménageant une possibilité qu’elle soit habitée d’un désir, non plus comme défense primaire telle qu’elle participait jusque-là à la formation du symptôme, mais place pour l’émergence d’un désir nouveau concomitant pourrait-on soutenir à la dévalorisation successive de la jouissance, à commencer par celle de l’Autre.

55Dévaloriser la jouissance signifierait alors que la jouissance de l’Autre n’est rien d’autre qu’une fiction construite sur la base de l’interprétation de l’énigme de son désir. C’est par rapport à ce qu’il en est de cette vérité que l’analysant peut orienter son désir de savoir, débarrassé alors du commandement surmoïque qui le poussait du côté de la répétition, de l’impasse de la jouissance, dans les deux sens subjectif et objectif. Il lui restera alors à extraire l’objet jadis encombrant, qui a perdu de sa superbe comme valeur de jouissance et dont il restera la trace, la marque ou la lettre au choix, qui ne sera plus que sinthome, signe de sa division irréductible, guise d’un inconscient dans son statut de réel. Qu’en sera-t-il alors de la trajectoire de son désir débarrassé de la demande de l’Autre ? S’engagera-t-il à ce pari fou de renouveler l’expérience de tenir cette place de semblant d’objet pour d’autres sujets qui le conduira chaque fois jusqu’au désêtre ? On ne peut le savoir par avance, ni pourquoi il a lieu à ce moment précis.

56Nous aurons lors d’un prochain développement à faire la démonstration de ce lien logique entre l’acte matriciel qui correspond au moment dit de passe et tout acte analytique qui opère dans la cure d’un analysant par une coupure effective, qui permet au sujet de dégager l’objet dont il importe qu’il matérialise la séparation qui l’a engendré comme tel et lui a procuré un « état civil », dans l’intervalle entre les signifiants, car il existe une congruence entre ces trois temps qui signent le rapport du sujet à la structure. L’acte est en même temps transformation du sujet. D’où une question que nous comptons reprendre : cette transformation est-elle irréversible ? Lacan a inventé le dispositif pour que de la transmission du témoignage un enseignement puisse se constituer et se transmettre, afin que la satisfaction du sujet s’il en est arrive à rejoindre celle de (quelques) autres, mais aussi, last but not least, afin que le discours analytique puisse subsister dans le renouvellement créatif qui contribue à la réinvention de la psychanalyse.

Notes

  • [1]
    Dont la traduction dans d’autres langues est également problématique car il ne faut pas oublier que les équivoques font souvent partie d’une langue particulière et peuvent perdre leur usage dans le cas d’une traduction. À titre d’exemple, des expressions signifiant apparence, façade, guise, simulacre, show, comme si, etc. circulent au sein des différents groupes psychanalytiques institués en Grèce. Le moins que l’on puisse dire est qu’aucune de ces expressions ne rend l’équivoque qui subvertit le sens du terme pour l’élever à la dignité d’une catégorie lacanienne.
  • [2]
    Provschma est l’équivalent du semblant, surtout au pluriel dans l’expression thrwv ta proschv mata, « tenir les semblants ».
  • [3]
    « L’assomption de la position sexuée ne se fonde pas sur une croyance qu’on est homme ou femme mais sur la façon dont on tient compte qu’il y a des femmes pour le garçon et des hommes pour la fille. »
  • [4]
    Par exemple, dans certains cas de psychose un passage à l’acte peut signifier que l’on coupe en morceaux le corps de l’autre, comme cela a été commis par un étudiant japonais du nom d’Issei Sagawa, surnommé le « cannibale japonais », qui en juin 1981 à Paris avait dépecé le corps de sa maîtresse néerlandaise et l’avait mis au réfrigérateur pour le consommer par petits morceaux pendant trois jours avant d’être arrêté. Il fut extradé et vit depuis au Japon, ayant déclaré que son acte était un acte d’amour.
  • [5]
    « Le phallus, dit Lacan, est très proprement la jouissance sexuelle en tant qu’elle est coordonnée à un semblant, qu’elle est solidaire d’un semblant. »
  • [6]
    Il ne faut pas mésestimer que l’approche et le début du xxe siècle avaient suscité au sein de l’humanité un espoir immense lié à l’avènement de la science moderne comme solution à tous les problèmes pour l’homme.
  • [7]
    Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 1985, p. 37.
  • [8]
    Il y a pourtant une différence essentielle entre la « fluidité » des théories sexuelles infantiles et la fixité des scénarios pervers dont dépend l’implication de la jouissance perverse, au point qu’il paraît impossible de confondre perversion et infantile dans la mesure où la perversion constitue une modalité d’assujettissement subjectif qui suppose l’intégration du complexe de castration.
  • [9]
    Jacques Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Seuil, 2006, p. 171 : « J’ai dit la dernière fois : c’est une Bedeutung, il n’y a qu’une, die Bedeutung des Phallus. […] Ce qui fait le privilège du phallus, c’est qu’on peut l’appeler éperdument, il ne dira toujours rien. »
  • [10]
    Phallus et fonction phallique, ouvrage issu d’un travail collectif auquel ont participé Pierre Bruno, Fabienne Guillen, Dimitris Sakellariou et Marie-Jean Sauret, Toulouse, Érès, 2012.
  • [11]
    Ibid., p. 37.
  • [12]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique, Paris, Seuil, 1978.
  • [13]
    Voir le tableau des trois modalités du manque dans Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 269.
  • [14]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 380.
  • [15]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XIX, ...Ou pire, Paris, Seuil, 2011, leçon du 10 mai 1972, p. 172.
  • [16]
    Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage : aspects de l’identité en Grèce, Paris, Flammarion, 1995.
  • [17]
    Ibid., p. 39.
  • [18]
    Ibid., p. 40.
  • [19]
    J. Lacan, « La signification du phallus », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 692.
  • [20]
    Ibid., p. 694. « Mais on peut, à s’en tenir à la fonction du phallus, pointer les structures auxquelles seront soumis les rapports entre les sexes. Disons que ces rapports tourneront autour d’un être et d’un avoir qui, de se rapporter à un signifiant, le phallus, ont l’effet contrarié de donner d’une part réalité au sujet dans ce signifiant, d’autre part d’irréaliser les relations à signifier. Ceci par l’intervention d’un paraître qui se substitue à l’avoir, pour le protéger d’un côté, pour en masquer le manque dans l’autre, et qui a pour effet de projeter entièrement les manifestations idéales ou typiques du comportement de chacun des sexes, jusqu’à la limite de l’acte de la copulation, dans la comédie. »
  • [21]
    Joan Rivière, « La féminité en tant que mascarade », La psychanalyse, n° 7, Paris, puf, 1964.
  • [22]
    J. Lacan, Écrits, op. cit., p. 692.
  • [23]
    Comme le note expressément Fabienne Guillen dans l’ouvrage Phallus et fonction phallique, la relation sexuelle sera marquée de cette unité mythique instaurée par l’idée de l’union de l’enfant à la mère, rapport proprement incommensurable entre ce petit a et ce Un à l’horizon de l’union sexuelle.
  • [24]
    Ibid., p. 58.
  • [25]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 34.
  • [26]
    Ibid., leçon du 16 juin 1971 : « S’il y a quelque chose qui caractérise le phallus [c’est] d’être assurément ce dont ne sort aucune parole. »
  • [27]
    Ibid., p. 172.
  • [28]
    « Nous interprétons telle ou telle relation avec le père. Est-ce que nous analysons jamais quelqu’un en tant que père ? Qu’on m’apporte une observation. Le Père est un terme de l’interprétation analytique. À lui se réfère quelque chose. »
  • [29]
    « La tyrannie du symbolique » est une expression que j’ai entendue lors d’un séminaire à Paris de Pierre Bruno en mars 2015.
  • [30]
    Souligné par moi. Conférence donnée par Slavoj Žižek à Birkbeck le 23 mars 2011.
  • [31]
    Il s’agit du premier entretien du 2 décembre faisant partie des entretiens donnés parallèlement au séminaire …Ou pire, sous le titre Le savoir du psychanalyste, dont les trois premières séances sont publiées séparément par J.-A. Miller sous le titre Je parle au murs.
  • [32]
    Ibid., entretien à Sainte-Anne du 2 décembre 1971.
  • [33]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2006, leçon du 16 mars 1976 : « La psychanalyse, ajoute-t-il, n’est rien de plus que court-circuit passant par le sens – le sens comme tel […] défini de la copulation du langage […] avec le corps. […] c’est de cela que je supporte l’inconscient. »
  • [34]
    Lacan parle ici de jurisprudence qui fonde les bons sentiments. L’allusion renvoie entre autres à la critique que Lacan introduisait dans son séminaire Les Écrits techniques à propos de l’usage du terme consacré par John Rickman repris par Balint de two bodys psychology, à ceci près que la psychologie des deux corps était censée se réguler par les affects contre-transférentiels de l’analyste (remarque que je dois à un texte de Thierry Florentin : « L’(a) corps du psychanalyste »).
  • [35]
    « Qu’on dise, comme fait reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (« L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001).
  • [36]
    « L’objet a est toujours entre chacun des signifiants et celui qui suit. » C’est donc l’objet et non pas le sujet qui est entre les signifiants, ce dernier est dit ici béant.
  • [37]
    Voir les trois dessins pages 232-233 du séminaire …Ou pire, op. cit.
  • [38]
    J. Lacan, …Ou pire, op. cit.
  • [39]
    Vérification faite, Lacan a inversé les trois premiers vers. La version initiale est : « Entre l’homme et l’amour, / Il y a la femme. / Entre l’homme et la femme, / Il y a un monde. / Entre l’homme et le monde, / Il y a un mur. »
  • [40]
    Il faut distinguer ici la castration comme lien à la structure – dont l’agent est le père réel et pour laquelle le manque est symbolique et porte sur un objet imaginaire – de la castration imaginaire dont se sert le névrosé comme d’un drapeau (blanc de préférence) pour se dérober d’avoir à faire face à son désir.
  • [41]
    J’insiste sur ce terme équivalent à celui du lien social pour la psychanalyse, et pas seulement dans son acception purement lacanienne d’un retour au point de départ.
  • [42]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 12-13.
  • [43]
    Expression que je dois à Christian Fierens.
  • [44]
    Artefact : chose artificielle par opposition à l’ordre dit naturel.
  • [45]
    Voir les thèses de Wittgenstein dans le Tractatus logico-philosophicus cité par Lacan dans le chapitre iv du Séminaire XVII.
  • [46]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit.
  • [47]
    J. Lacan, « Lituraterre », dans Autres écrits, op. cit., p. 17.
  • [48]
    Christian Fierens.
  • [49]
    J. Lacan, Dun discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 34 : « Le phallus est très proprement la jouissance sexuelle en tant qu’elle est coordonnée à un semblant, qu’elle est solidaire d’un semblant. »
  • [50]
    La thèse est de Pierre Bruno.
  • [51]
    S. Freud, « Proton pseudos », dans Esquisse d’une psychologie scientifique, Paris, puf, 1973, p. 367.
  • [52]
    Pour Lacan, la vérité a structure de fiction (inspiré par J. Bentham et sa théorie des fictions).
  • [53]
    J. Lacan, « La direction de la cure », dans Écrits, op. cit., p. 586.
  • [54]
    Ibid., p. 587.
  • [55]
    Ibid. « L’analyste dans la mise de fonds de l’entreprise commune ne paye pas que de mots, quoi qu’il en ait, il la prête comme support aux phénomènes singuliers que l’analyse a découverts dans le transfert. »
  • [56]
    Ibid. « L’analyste, il ne suffit pas qu’il supporte la fonction de Tirésias, il faut encore qu’il ait des mamelles. »
  • [57]
    Ibid., p. 73.
  • [58]
    Thèse qui semble se dégager dans le séminaire Lobjet de la psychanalyse.
  • [59]
    Lacan dira à la dernière leçon du séminaire …Ou pire : « Tout ce qui est dit est semblant. Tout ce qui est dit est vrai, par-dessus le marché tout ce qui est dit fait jouir. »
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