Psychanalyse 2006/3 no 7

Couverture de PSY_007

Article de revue

Clinique de la passe

Pages 103 à 108

1Pourquoi un tel titre ? La passe porte l’inscription de moments douloureux pour les mouvements psychanalytiques. La réflexion de Lacan « c’est un échec » et les crises répétées peuvent induire que nous sommes au chevet d’une grande malade. Point de butée pour la psychanalyse ?

2Je vais vous proposer deux postulats que je vais essayer d’articuler de façon clinique en liaison avec ma cure, l’expérience de la passe et du cartel de la passe.

3Une clinique de la passe pourrait être une tentative de dégagement de l’échec, du risque d’échec. Avec un point de visée : une politique de la passe pour se dégager d’une passe politique dont nous savons les désastres. C’est me semble-t-il une condition pour qu’un savoir puisse s’élaborer à partir des passes. Savoir qui relèverait alors plus de l’invention que du dogme, du discours analytique plus que de l’universitaire. Tentative à renouveler encore et encore.

4Le second postulat est de mettre au centre de la réflexion une question : qu’est-ce qui fait décision pour l’analysant, les passeurs, le cartel de la passe ? Poser cette question également côté passeur peut paraître incongru, mais elle se fonde sur le fait qu’une passe n’est pas portée de la même façon par les deux passeurs : un, fait que ça passe, passe avec, pas les deux : c’est un fait d’expérience, mais est-ce une loi ? Je ne sais pas. De toutes façons, c’est une question de rencontre (ça s’est passé) et d’entrée ou pas dans le discours analytique à partir de cette passe là.

Temporalités

5D’où est-ce que je vous parle ? Au moins de ce point ou ma cure m’a menée. Je vais en faire ressortir rapidement le versant symptomatique, fantasmatique et de destitution subjective qui m’ont conduite à la conclusion.

6– Premier temps – entrée en analyse avec un symptôme relatif au savoir et à la parole qui me conduisait régulièrement à ne faire qu’une bouchée de l’autre – petit. Pour mieux préserver le grand.

7– Deuxième temps – longtemps après. Je travaillais alors dans un organisme géré par la communauté juive. Conditions de travail difficiles avec une communauté pesante qui en dépit de tout voulait imposer sa loi.

8Rêve : Des juifs en redingote chapeau et papillotes sont devant un mur béant (la guerre) qui ouvre sur l’infini (apaisement ressenti)

9Autre chose devenait possible. Trou noir du rêve, curieusement sans angoisse alors qu’elle m’avait tellement habitée, occupée, envahie, taraudée tellement longtemps.

10Associée à une réflexion triviale relative à une séquence particulière, il n’a pas fait de doute qu’il s’agissait d’un moment de traversée.

11– Troisième temps – Celui de la conclusion. Je savais que la cure était finie mais j’avais décidé de ne pas partir tant que je ne saurais pas exactement que c’était ça. Qu’y avait-il à savoir ? Des mois après avoir copieusement trépigné sur le divan, surprise intense et décisive : j’entre dans la salle d’attente et je vois une pile de cartons. J’interroge quelqu’un qui était là : « – il déménage ? – oui, – Je ne le savais pas. »

12Lecture rapide : vouloir tout savoir – une des figures du « tout savoir » montre par le rêve que ça ne tient plus – un non savoir qui permet d’en fonder un autre de l’accepter.

13Légèreté et douleur « de ce qu’on sait au moins » (p. 240, Autres écrits).

Dénomination

14Être nommée ou prendre la décision de nommer est délicat. C’est réintroduire le nom là où il a fallu des années pour s’en défaire. Mais comment dire la chose sans la désigner par un mot ? Comment la symboliser ? Dilemme de l’être parlant. Relisant la proposition d’Octobre 1967, il me semble que Lacan, dont nous savons sa façon de jouer avec les mots, autant que possible à bon escient, tire plutôt les choses du côté de la marque (ae, ame) subvertissant le titre. La marque est une inscription dans la chair. Signe d’appartenance pour le troupeau, elle peut s’envisager de façon plus singulière, à la façon de cette nouvelle de Nathanaël Hawthorne où un homme follement épris de sa femme très belle, la voudrait parfaite. Elle présente le défaut d’une tâche sur une joue. Par amour pour lui, elle accepte sur son insistance de la faire enlever et en meurt. La marque est avant le nom.

15Je maintiens le terme de « dénommée » que j’avais introduit à Bordeaux par rapport à mon nouveau titre d’ae : il ne peut y avoir qu’une destitution pour répondre à l’institution pour que le titre ne devienne pas un refuge. Lacan écrivait (proposition d’Octobre 1967) que l’école garantit par les titres d’ae et d’ame « qu’un psychanalyste relève de sa formation ». Garantie bien modeste finalement et qui ne tire pas du côté de l’être. Ce versant de destitution peut-il être un repère post-nomination : l’ae qui n’en rajouterai pas du côté du maître, de l’universitaire ? Mais, cette opération de destitution pourrait aussi bien renvoyer et mieux encore au discours hystérique. Comment différencier les choses ? Si le discours hystérique encourage le pouvoir, le maître l’identification, et l’universitaire le savoir, tous les trois s’inscrivent du côté de « l’en plus », alors qu’il s’agirait plutôt d’enregistrer une opération de type soustraction, du côté de « l’en moins » pour ne pas faire de la psychanalyse un objet idéal qui ne contribue qu’à l’enfermement dans le collectif, la norme. Pulsion de mort. Homéostasie.

16Est-ce dire qu’un mouvement opère à travers la dé/nomination entre « c’est ça » et « ce n’est pas ça ou ce n’est plus ça » ? Pulsion de vie. Déséquilibre. Est-ce un pas nécessaire pour que la psychanalyse continue à avoir sa place dans le champ social ?

Athéisme

17Une psychanalyse ne peut conduire qu’à l’athéisme si elle comporte ce chemin qui, de l’idéal du moi [S (A)] forcément répressif, conduit à s’en séparer. [S (figure im1)]

18Si vous recevez les mails de l’epcl, celui de J.P. Ledru relatif aux conséquences de sa non nomination ne vous aura peut être pas échappé.

19Il avait dit aux passeurs : « je ne crois plus à la psychanalyse ». Il souligne : « cette non croyance est un de ces effets positifs (de mon analyse), dont j’apprécie toute la valeur, malgré l’inconfort où elle me plonge dans ma pratique. » Le cartel entend le témoignage et ces propos reçoivent une interprétation : « la psychanalyse n’a plus de valeur pour moi ». Ce qui a pour effet de l’introduire à des lectures contradictoires sur la psychanalyse, ceci pour mettre au travail la question de la croyance et « ne pas répéter une lâcheté de mon adolescence, écrit-t-il, où j’avais refermé et vite rangé un livre où je voyais mes croyances religieuses de l’époque mises à mal. Plus de doxa écrit-il. « Ce que j’ai découvert, c’est que dès lors que je ne suis plus un croyant des théories analytiques, si j’examine celles-ci à la lumière de ce que j’apprends par ailleurs, elles se délitent. Et j’y vois un rapport nécessaire, et non dû à la seule contingence de mon histoire singulière : la contingence de mon histoire singulière m’a peut-être aidé autant que l’analyse à ne plus être un croyant des théories analytiques ; leur dépréciation s’ensuit par nécessité.

20Je vous laisse la question : à quoi doit croire un ae ?

21Mon cartellisant de la passe a anticipé ce que j’allais découvrir depuis, et l’a mis à tort au présent. »

22Curieuse question : à quoi doit croire un ae ? Je vais tenter d’y répondre parce qu’après tout je ne crois pas que ce soit une mauvaise question. Question venant de l’Autre. Réponse implicite, le texte peut nous y mener : l’orthodoxie de l’ae, c’est la psychanalyse. De quoi s’agit-il de théorie ou de praxis ? De praxis : la seule démonstration que peut faire un ae, c’est que pour lui une pratique de la psychanalyse a été opérante (théorie et transfert).

23Ma croyance est celle en l’inconscient et son au-delà c’est-à-dire au savoir qui peut s’en extraire.

24De cette place là je veux bien être un con-sciens. C’est de ce topos là que peut s’extraire un savoir « qui ne se sait pas » encore. C’est ce que cet Autre, mon psychanalyste, chez qui je me suis réfugiée pour enfin assouvir ma passion de l’ignorance m’a appris à savoir.

25J.P. Ledru s’appuie sur Freud en écrivant que celui-ci soutenait que « si un seul fait venait contredire sa théorie, il était prêt à l’abandonner dans sa totalité » il se trompe certainement : il n’était pas question pour Freud de laisser tomber la métapsychologie, mais de constituer un corps théorique cohérent. J.P. Ledru semble lui s’attacher à d’autres théories très hétérogènes contre la psychanalyse.

26L’athéisme c’est l’envers de la croyance.

Passant – passeurs

27Il n’y a pas de reste du côté de l’objet a sur lequel une transmission pourrait s’appuyer. L’objet est un artifice pour faire consister la jouissance. Chute de l’objet, dévalorisation de la jouissance.

28L’idéal d’une passe tel que l’a introduite Lacan, c’est d’attraper ce moment où s’effectue le passage de l’analysant au psychanalyste. « Il n’y a d’analyste qu’à ce que ce désir lui vienne, soit que déjà par là, il soit le rebut de la dite (humanité). » (p. 308 Autres écrits – J. Lacan). Situation que je n’ai pour ma part jamais rencontré des passes par les cartels.

29Ce moment, l’analysant l’ignore le plus souvent. Il s’agit de saisir ce moment d’ébranlement décisif de l’édifice névrotique. Il doit être saisi par chaque partenaire du dispositif, le premier pouvant être le psychanalyste dans l’invitation faite à l’analysant d’occuper la place de passeur. J’ai employé le terme d’ébranlement : l’édifice tremble vraiment et présente des fissures sérieuses ; la passe n’est pas une petite histoire. Quand commence-t-elle ?

30Elle est un moment plus inaugural de ce qui est à venir que conclusif. Si conclusion il y a eu, la passe fait repasser. N’est-ce pas vrai dans tous les cas d’ailleurs ? La cicatrisation de l’inconscient n’est pas sa fermeture. Elle suppose que, de temps en temps, de la vieille plaie, quelque chose suinte pour faire savoir. Un inconscient cicatrisé se manifeste, attend un temps : celui où n’étant plus magma du fait de l’allègement de l’objet a du fantasme il ressurgit au point de l’innommé, occasionnellement.

31La passe est ce temps où un autre savoir peut émerger à partir de l’inconscient.

32Où s’arrête-t-elle ? Du point de vue du dispositif est-ce dans le seul fait de son enregistrement ou non par le cartel ? Ne peut-elle pas s’achever, en tempo décalé, lors de la rencontre du passant avec un membre du cartel lorsque la conclusion du cartel a été présentée au passant et que celui-ci demande à en parler avec un membre du cartel ?

Passeurs – cartel de la passe

33La peste freudienne était la psychanalyse, la peste lacanienne est-elle la passe ? « Je savais d’avance que ça allait provoquer des catastrophes, des catastrophes comme toutes les catastrophes, des catastrophes dont on se relève. Moi, vous savez, les catastrophes ça ne m’impressionne pas. » (1973 – Intervention à la Grande Motte).

34Choisir le bazar, c’est une chose, en faire quelque chose relève d’un exercice exigeant qui ne se résout pas par l’ordre… du maître, des choses…

35Notons encore que Lacan (Acte de fondation – Autres écrits, p. 234 – 235) parle de « cardo » à propos du comité accueillant les candidatures à l’école, « gond » écrit-il à partir du latin – l’idée des nœuds est là. À partir de « cardo » il opère un glissement de sens : « un membre du carde » écrit-il (ibid. p. 235). À l’origine une carde est un objet constitué de plusieurs têtes de chardon pour démêler les fibres textiles. Dans le même sous-chapitre, il fait mention du cartel. Cartel est issu de l’italien « cartello » avec un sens originaire de défi et d’alliance, sens guerrier que le mot perd et retrouve. Voulu ou pas, Lacan désignait-il là le lieu où ça gratte, le groupe ? Est-ce abusif de faire une analogie entre ce comité d’accueil et le cartel ? Je ne sais pas, mais toujours est-il que ce qui circule de façon identique c’est le travail, « projet » pour le carde, « titre de travail » pour le cartel (p. 235). Je voudrais faire une remarque ; après ces sous-chapitres, Lacan écrit que « L’enseignement de la psychanalyse ne peut se transmettre de l’un à l’autre que par les voies d’un transfert de travail. » (p. 236) Il me semble que cette phrase met l’accent non pas sur le transfert mais sur la transmission, c’est-à-dire non sur la production mais sur le savoir, pas celui en place de vérité mais celui extrait d’une psychanalyse.

36Le cartel devient central dans le dispositif de la passe pour décider si un basculement du côté du psychanalyste est intervenu dans une cure ou si ce basculement est en cours. Décision qui ne relève plus de l’intime comme pour le passant mais d’un collectif.

37Des cartels auxquels j’ai participé, il me semble que de grandes questions guident le travail :

38Est-ce que ce que nous entendons ressemble à un parcours psychanalytique ?

39Le fantasme est-il traversé ? C’est ce qui peut ouvrir à un accueil de la parole le moins obturé possible par l’objet qui supporte l’imaginaire dans la relation.

40Quels points d’appuis pourront être pris pour tenir une position dans le discours psychanalytique ? Par exemple quel reste du symptôme ?

41Le cartel ne travaille pas en direct mais avec les dires des deux passeurs. Mais qu’est-ce qui fait donc qu’un passeur porte la passe et pas deux ? Peut-on loger là le discours analytique ? Est-ce la transmission qui n’a pas opéré pour l’un d’eux. Un passeur peut faire passer y compris des passants qu’il ne ferait pas passer ; qu’a-t-il fait passer alors au cartel pour que ça passe sans lui ?

Conclusion

42Je termine sur des questions délicates. Que faire de nos embarras respectifs ? Il ne serait pas intéressant d’en faire des combats en camps retranchés : les bons, les mauvais AE, idem pour les cartels (rappelez-vous le A et le B). Ce ne serait pas du travail comme le silence n’en serait pas forcément. Enfin sur quoi le cartel s’appuie-t-il pour dire qu’il y a eu ou non passe ?

43Des images de guerre et de violence ont jalonné ma cure, l’ont portée jusqu’à son dénouement. Une phrase lors d’un rêve à la fin de ma cure est venue sur un fond de combat, loin en arrière plan. Cette phrase, c’était : « un enfant, il parle anglais, il meurt ». Cette langue étrangère, issue de l’infantile et tellement dangereuse qui m’habitait j’en ai laissé la charge à l’Autre pour tenter de m’approprier un savoir dont j’avais appris qu’il ne lui appartenait pas.

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