1À l’heure où le débat sur l’inclusion et la reconnaissance des jeux vidéo en tant que conduites addictives reste très vif, les demandes de consultations pour des adolescents (ou des adultes) en difficultés d’usage ne fléchissent pas. La spécificité du soin avec les adolescents est qu’ils ne sont pas en demande. En effet, celle-ci émane des parents, ce qui rend la prise en charge complexe et l’alliance thérapeutique plus délicate à établir. Le cas présenté ci-dessous met en avant, d’une part, la difficulté de travailler avec un adolescent inhibé, évitant tout conflit, peu enclin à l’élaboration psychique, et d’autre part, la richesse du travail thérapeutique avec les familles. En effet, l’inclusion des parents dans le suivi contribue à l’implication de l’adolescent dans la thérapie. De plus, et pour certains adolescents, la mobilisation des parents permet la confrontation et la conflictualisation de ce que l’adolescent tente de fuir avec les jeux vidéo.
Description du cas
Demande
2La mère de Jean appelle à la consultation, car son fils de 16 ans et demi reste à peu près douze heures par jour sur l’écran, souvent jusqu’à quatre heures du matin. Elle décrit une situation familiale difficile avec des violences verbales, voire physiques, lorsqu’elle débranche les fils de l’ordinateur. Jean joue surtout à des jeux en réseau (la mère parle de Word of Warcraft). Il fume parfois du tabac ou du cannabis, mais de manière anecdotique. Selon elle, Jean est plutôt isolé, a surtout des contacts via l’ordinateur. Elle précise qu’il a arrêté de se lever et de manger lorsqu’elle lui a enlevé l’ordinateur. La mère ajoute au téléphone qu’elle consomme du cannabis et que son fils lui reproche parfois cette consommation.
3C’est l’assistante sociale du lycée qui lui a conseillé d’entreprendre des démarches pour que Jean rencontre un professionnel concernant son usage des jeux vidéo. Ce n’est pas la première fois que Jean rencontre un professionnel de la santé. À l’âge de cinq ou six ans, il a consulté un pédopsychiatre pendant un an pour des problèmes d’énurésie secondaire. En CE2, Jean a de nouveau vu un pédopsychiatre pendant un an, cette fois-ci à la demande du corps enseignant, car il était agité. Puis, en 6e, le comportement de Jean a de nouveau alerté le corps enseignant (ex. : provocations en cours, dégradation du bâtiment scolaire, etc.). L’infirmière scolaire, le proviseur et la conseillère principale d’éducation voyaient là une souffrance chez lui et ont demandé à ce qu’il soit suivi. Jean a donc vu un pédopsychiatre pendant plus d’un an, à raison d’une fois par mois, mais il n’y a pas eu d’accroche. Celui-ci demeurait fermé et quasiment mutique. D’autant que pour Jean, cela n’était en rien un signe de souffrance, comme il le dit, il « faisait simplement le con avec son meilleur copain ». Il y a quelques semaines, étant donné ses difficultés avec l’ordinateur, la mère de Jean l’a emmené au Centre médico-psychologique, mais là encore, sans succès. Jean n’a jamais investi ces différents espaces de paroles, car, dans ses représentations, les « psys » c’est pour les fous et il ne comprenait pas pourquoi il y allait.
4La mère formule ainsi ses attentes concernant le suivi : « J’aimerais que vous nous aidiez, que vous aidiez Jean à repartir, que vous l’aidiez à comprendre, à se rendre compte qu’il s’enferme dans les jeux vidéo et qu’il a besoin d’une vie réelle. »
Situation actuelle et passée
Concernant les jeux vidéo
5Jean joue depuis tout petit aux jeux vidéo. Il a toujours beaucoup aimé jouer et a toujours beaucoup joué. Cependant, sa mère met en avant un changement dans le comportement de son fils. En effet, alors qu’auparavant celui-ci obéissait à ses demandes d’arrêts, depuis quelques mois, ses injonctions restent vaines. Pour Jean, sa quantité de jeu a augmenté depuis que son meilleur ami est parti vivre aux États-Unis (depuis le mois de septembre 2012). La mère reconnaît que son fils a plus investi les jeux vidéo au départ de son meilleur ami, mais elle ajoute que le jeu a toujours été très voire trop présent dans la vie de son fils. Pour elle, il n’y a que les jeux vidéo dans sa vie. Depuis un an, l’ordinateur est dans la chambre de Jean (ordinateur qu’il s’est acheté) et depuis, sa consommation a augmenté.
6La mère précise qu’elle n’aime pas l’ordinateur et qu’elle n’aime pas les jeux vidéo.
7Jean a d’abord commencé à jouer et à beaucoup investir les jeux de console, notamment Call of Duty. En 4e, il a commencé à ne plus aller en cours, il restait chez lui pour jouer. En 3e, il a continué à désinvestir les cours, il jouait en alternance à Battle Field et à Call of Duty. Débordée face au comportement de son fils, la mère a sollicité l’aide du père de Jean. Celui-ci l’a pris chez lui à partir du mois de février. Jusqu’à la fin de l’année scolaire, c’est-à-dire jusqu’au mois de juin, Jean a vécu chez son père qui l’emmenait tous les jours prendre son bus. Ce fonctionnement lui a permis de réinvestir sa scolarité qui s’est plutôt bien déroulée durant cette période. C’est Jean qui a demandé à revenir vivre chez sa mère en fin d’année scolaire. L’éloignement de ses copains était selon lui la raison principale de ce souhait. La mère quant à elle ajoute qu’il était toujours enfermé dans l’appartement et qu’il y a eu des conflits avec son père notamment à cause de la console de jeu.
8Début seconde, c’est-à-dire en septembre 2012, Jean a commencé à jouer à Word of Warcraft (WoW) sur l’ordinateur. Il a connu ce jeu grâce à des copains. Puis il dit s’être lassé de WoW et là encore, grâce à l’initiative de ses copains, Jean s’est mis à jouer à Star Wars. Il dit qu’il commence également à s’en lasser et va sûrement essayer Rift, jeu dont on lui a parlé récemment. Actuellement, il joue environ sept heures par jour.
9Jean reconnaît qu’il joue trop et parle lui-même d’addiction. L’addiction, il l’a définie comme « le fait de ne pas pouvoir s’en passer et quand on essaie de s’en passer, ce n’est pas facile d’y arriver ». En effet, il dit : « Je n’arrive pas à sortir des jeux vidéo, j’ai essayé de diminuer, mais ça n’a pas marché. »
10Devant ses difficultés à réguler le comportement de jeu de son fils, la mère lui a enlevé l’ordinateur. Jean pensait également que cela pourrait l’aider à prendre de la distance avec les jeux. Cependant, l’absence d’ordinateur lui a ôté toute envie. Jean n’avait plus goût aux choses, se sentait fatigué, n’avait aucune envie, était de mauvaise humeur, n’avait plus envie de manger, les choses qui lui plaisaient avant (ex. : son chat et les câlins qu’il pouvait lui faire ou encore les pompiers) ne lui plaisaient plus, il n’avait plus envie de sortir. Il est resté alité pendant tout le temps où il a été privé de son ordinateur. C’est notamment cet état, qu’il ne nomme pas, mais qu’il qualifie d’inquiétant, qui lui fait dire qu’il est dépendant des jeux. De plus, il perçoit bien que son problème est qu’il n’arrive pas à arrêter une fois qu’il a commencé à jouer (autrement dit la perte de contrôle de son activité de jeu). Lorsque sa mère a remis l’ordinateur, il s’est senti beaucoup mieux.
11Jean est ambivalent quant à son désir de modifier sa pratique de jeu : il dit que c’est un problème, que sa pratique de jeu a des conséquences sur son sommeil puisqu’il dort moins, que le jeu a contribué à sa déscolarisation, que le jeu « ça énerve ma mère » comme il dit, mais en même temps, ça ne l’embête pas directement. Ça embête son entourage : ses deux demi-frères du côté de son père (demi-frères ayant, selon Jean, eux-mêmes eu des périodes d’ordinateur importantes, mais qui on réussit à s’en sortir) et sa mère. Néanmoins, lui pense qu’il n’a pas trop conscience de son comportement.
12Jean se décrit comme heureux dans la vie et ce qui le rend heureux c’est : les jeux vidéo, les pompiers, ses frères, son chat et certains cours.
13Jean a envie de comprendre pourquoi il a du mal à réduire son activité de jeux et aimerait s’en sortir, c’est-à-dire réussir à moins jouer. Dans l’idéal, il aimerait jouer deux heures par jour en semaine et quatre heures par jour le week-end.
14Lorsque Jean et sa mère viennent à la consultation, Jean essaie de moins jouer, mais il a encore beaucoup de mal à arrêter une fois qu’il a commencé et continue à se coucher vers deux ou trois heures du matin. Actuellement, il alterne entre Call of Duty, DC Univers Online (MMORPG) et Star Wars.
15Ce qu’il aime dans Star Wars, c’est l’histoire du jeu qu’il résume ainsi : « C’est l’histoire d’un homme très fort (Dark Vador) qui est devenu méchant. » Dans ce jeu, il a d’abord investi un premier personnage qu’il décrit comme « un homme bleu avec des cornes, de taille moyenne, chauve et qui a plein de pouvoir », qui était un soignant. Depuis peu, il a laissé ce premier personnage pour en investir un autre, un chasseur de prime « plutôt grand, pâle, chauve (sinon on n’est pas dans l’univers de Star Wars), avec des tatouages sur le visage », qui est un DPS (Dommages Par Seconde) et un soignant.
16Jean n’aime pas trop les guildes, il n’aime pas avoir besoin des autres, « surtout si on peut faire les choses seul ». Pour autant, il appartient à une guilde et y est très attaché, ce qui explique selon lui certains conflits avec sa mère. En effet, il lui est impossible d’arrêter de jouer lorsque celle-ci lui demande, car il ne peut pas « abandonner sa guilde sinon ils ne pourront pas attaquer ou combattre », mettant en lumière l’attachement qu’il a envers ses guildmates et le quasi-conflit de loyauté dans lequel il est. Il lui est régulièrement très difficile de choisir entre ces deux situations : répondre aux demandes de sa mère ou aux exigences de sa guilde. Le choix de l’un impliquerait le rejet de l’autre, ce qui est impossible pour Jean. Ce choix faisant probablement écho à la situation familiale dans laquelle il se trouve et que nous développerons plus loin.
17Ce qu’il aime dans les jeux (tels que Star Wars ou DC Univers Online), c’est l’univers, mais surtout le fait de pouvoir faire monter un personnage : « J’aime partir d’en bas et améliorer mon personnage pour arriver tout en haut. » Jean n’aime pas le role play (« jouer des rôles », c’est-à-dire incarner un personnage et agir comme il le ferait), selon lui, « ça fait Nerd ou Geek à l’extrême » et n’a donc jamais vraiment essayé. Il ne comprend pas que l’on puisse se mettre dans la peau d’un personnage et vivre sa vie, ce qui témoigne d’une difficulté de projection. Ce qu’il recherche, c’est faire monter son personnage et être « imbattable, enfin quasiment imbattable ». D’ailleurs, il dit que ses personnages sont plutôt bons. Il aime la difficulté du jeu, car dans la vie et notamment à l’école, on lui demande des choses faciles (apprendre par cœur par exemple) et ça l’ennuie. Il aime le challenge, les défis et il n’en trouve pas suffisamment dans sa vie de tous les jours.
18Plus globalement, ce qu’il aime dans les jeux vidéo, c’est « être coupé du monde et ne penser à rien d’autre que le jeu ».
Concernant sa scolarité
19Jean est actuellement en seconde au lycée horticole dans la section aménagement paysager. Il est allé en cours au premier semestre, mais a totalement abandonné au second semestre et n’est quasiment jamais allé en cours. Il a passé toutes ses journées à jouer. Actuellement, il essaie de réinvestir l’école, mais sa présence reste irrégulière.
Concernant sa vie sociale/extrascolaire
20Jean joue au badminton une fois par semaine et s’y tient. Il a pour projet de devenir pompier et il suit actuellement une formation tous les samedis. Lorsqu’il sort de cette formation, il rentre à la maison et s’enferme dans sa chambre. Il ne ressort pas voir ses copains.
21Depuis le mois de septembre, il est en première année chez les jeunes sapeurs-pompiers, où il suit une formation qui dure trois ans, à la fin de laquelle il passera ses épreuves pour rentrer chez les pompiers de Paris. Jean a choisi cette orientation professionnelle, car il aime l’entraide, il aime l’honneur et le fait de sauver des gens.
22La mère dit de Jean qu’il est isolé, qu’il a des contacts essentiellement via l’ordinateur. Jean dit avoir des amis du primaire et un peu du collège. Contrairement à ce qu’il peut dire de prime abord, l’exploration des relations sociales de Jean montre qu’il sort très peu, voyant quasiment uniquement ses copains dans le bus pour aller au lycée. Jean se sent différent des autres personnes de son lycée qu’il trouve « immatures, excités, pas calmes… », tout en disant bien s’entendre avec eux. Il parle des filles de son lycée de la même façon : « elles sont inintéressantes et immatures ». En comparaison, il préfère les gens de sa guilde qu’il trouve plus matures.
23Jean avait l’habitude de sortir avec son meilleur copain (parti depuis le mois de septembre aux États-Unis). Ensemble ils voyaient d’autres copains/copines. Actuellement, sans lui, il ne peut imaginer organiser des sorties, cela doit forcément passer par un tiers. Il ne peut pas en être l’instigateur.
Concernant sa vie affective
24Jean vient tout juste de se séparer de sa copine avec laquelle il est resté cinq mois. Il n’a pas été à l’initiative de cette relation, c’est elle qui est venue le chercher et le séduire. Les difficultés rencontrées dans cette relation étaient que Jean trouvait sa copine « trop chaude avec les autres garçons », générant chez lui un malaise et un manque de confiance en elle. Il trouvait son attitude câline envers les autres hommes, totalement déplacée et irrespectueuse envers lui.
25Sa copine n’a jamais dormi chez lui, de la même façon que le copain actuel de sa mère n’est jamais venu dormir chez eux.
Histoire des parents de Jean
26La mère de Jean n’a jamais vécu avec le père de celui-ci et les parents se sont « séparés » lorsque Jean avait un an. Le père de Jean (Grégoire) était un homme marié avec deux enfants lorsque la mère de Jean l’a rencontré. Après quelques mois, celui-ci a quitté sa femme, mais il n’a jamais souhaité vivre avec la mère de Jean, prétextant un divorce difficile. La mère dit qu’ils étaient tous les deux d’accord pour avoir un enfant. Enceinte une première fois, elle a été contrainte d’avorter, car, pour Grégoire, « cet enfant arrivait trop tôt ». Elle est tombée enceinte une deuxième fois et elle s’est heurtée à la même réponse. Cependant, elle a décidé de garder l’enfant. Selon la mère de Jean, son père n’a jamais investi son fils, bien qu’il l’ait reconnu. Elle raconte comment quand Jean était tout petit, son père venait la voir dans son appartement, mais n’allait jamais dans la chambre de son fils. C’est elle qui lui demandait d’aller le voir. Elle parle même de rejet de Grégoire envers son fils. Son père aurait toujours tenu des propos extrêmement difficiles à l’égard de ce dernier. Il disait régulièrement à la mère de Jean, au téléphone ou en face à face, « cet enfant me pourrit la vie, il ne sert à rien ».
27En verbalisant les choses, la mère de Jean se rend compte qu’elle a toujours choisi des hommes avec qui la relation de couple était impossible. Elle est actuellement, et depuis cinq ans, avec un homme qui ne veut pas vivre en couple, qui ne veut pas construire, faire des projets à deux. Elle est très ambivalente quant à son choix d’hommes. Elle sait avoir fait des choix de relation impossibles, ce qui lui convient, mais en même temps, elle souffre de cette situation et n’en est pas pleinement satisfaite.
28Elle décrit le père de Jean comme ayant un tempérament cyclothymique, pouvant être extrêmement gentil un jour et insupportable le lendemain. Cette labilité a contribué à leur séparation. Elle dit retrouver ce même tempérament chez son fils.
29Elle reproche au père de Jean de ne rien faire pour celui-ci. Il constaterait que Jean peut se réveiller la nuit pour jouer, mais selon elle, « il ne fait que constater et ne fait rien d’autre. Il dit “je ne vais pas me lever pour l’arrêter, je n’ai pas que ça à faire !” ».
30Le père fait beaucoup de reproches à la mère sur sa façon d’élever leur fils et dit qu’elle a toujours eu un problème avec Jean. La mère reconnaît avoir eu des difficultés avec Jean depuis toujours : « Dès la naissance, les choses ne se sont pas passées normalement. » Elle raconte alors comment on lui a « volé son accouchement », car elle souhaitait accoucher sans péridurale. Cependant, Jean était un « enfant yoyo », c’est-à-dire que lorsqu’elle poussait, Jean remontait systématiquement dans son utérus. Devant la souffrance cardiaque de Jean, le personnel soignant a été contraint de l’endormir afin de procéder à une césarienne. Lorsqu’elle s’est réveillée, Jean était là, à ses côtés, ce qu’elle a mal vécu comme si elle idéalisait totalement l’accouchement.
31Dès sa naissance, la mère dit de Jean qu’il avait du caractère, ce qu’elle justifie par les propos des sages-femmes de la maternité qui prétendaient la même chose. Elle explique que Jean n’était pas un enfant comme les autres : « C’était le seul qui hurlait dans le bain à la maternité, il ne supportait pas qu’on le change de place dans son berceau en plastique. » Elle continue son récit en disant qu’à la maison, Jean ne supportait aucune frustration, « il se mettait à hurler dès qu’on l’arrêtait (par exemple quand il fallait arrêter de jouer dans le bain, sortir du bain…) et à la crèche, quand Jean avait deux ans et demi, quand je venais le chercher, alors que tous les enfants courraient dans les bras de leur mère, et bien Jean lui partait avec son vélo dans l’autre sens ». Ainsi, elle présente Jean comme un enfant différent, un enfant à part, pas comme les autres, et ce, depuis toujours.
Vie familiale
32Jean vit actuellement avec sa mère et voit son père plus ou moins régulièrement. Il est censé voire son père un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, mais ce n’est pas toujours le cas. Dans le foyer maternel, « il y a Jean et moi et nous avons deux chats, deux poules et deux poissons ».
33Le père de Jean a une compagne depuis plus de huit ans avec laquelle il ne vit pas et qui semble jalouse de la mère de Jean. Elle aurait insulté la mère de Jean, ce qui a généré un mouvement extrêmement agressif chez Jean, son père l’ayant empêché de la frapper. Désormais, pour Jean, les choses sont claires, s’il la croise, il passe à l’acte.
34Jean est très enthousiaste et très partie prenante pour que je sollicite son père et qu’il soit inclus dans la prise en charge, ce qui n’est pas le cas de la mère qui est réticente. Elle dit être d’accord pour que je le contacte puisque son fils le veut bien, mais elle précise que celui-ci « n’a cessé de me mettre des bâtons dans les roues », notamment quand elle est allée voir des professionnels. Il a toujours critiqué toutes les démarches qu’elle a pu entreprendre chez les pédopsychiatres. La mère dit que, pour son père, Jean doit prendre des médicaments, car il aurait un problème neurologique.
35Jean s’anime lorsque nous parlons de son père. Celui-ci semble avoir une influence importante sur lui. En effet, lorsqu’il le trouve sur l’ordinateur, son père lui dit : « Tu t’abîmes les yeux, tu t’abîmes le dos et ce n’est pas bon pour les pompiers… » Bien que ces propos agacent Jean lorsqu’il les entend, il y réfléchit et tient compte de ces paroles dans l’après-coup.
Histoire de la mère de Jean
36La mère de Jean décrit une relation très conflictuelle et difficile avec sa propre mère. Elle décrit cette dernière comme prenant beaucoup de place, étant dans le contrôle et étant le chef de famille. Elle décrit un double mouvement chez sa mère : à la fois très proche, très intrusive (« quand elle avait décidé de nous faire un câlin, il fallait se laisser faire et c’était trop, c’était envahissant ») et en même temps, elle décrit une mère froide, très blessante, souvent méchante, sans cesse dans le reproche et la critique (elle lui fait d’ailleurs beaucoup de reproches quant à la façon dont elle a élevé Jean, la trouvant trop permissive). Étant petite, elle idéalisait sa mère, elle la « mettait sur un piédestal » comme elle dit. À l’adolescence, vers ses 12 ans, elle s’est rendu compte que « sa mère n’était pas ce qu’elle pensait ». Cette réalité a été très difficile et douloureuse et constitue une blessure importante, toujours très vive. Elle a été très déçue, « je lui en ai voulu et je crois que je ne m’en suis jamais remise ». Elle fait alors le lien entre sa consommation de cannabis (qu’elle a débuté vers l’âge de 15ans) et sa mère : « C’était une façon de l’attaquer et en même temps ça me permettait de me couper d’elle. »
37Elle décrit son père comme totalement effacé à partir du moment où il a été marié : il a arrêté toutes ses activités extraprofessionnelles (peinture, sculpture, etc.) et s’est attelé à répondre aux exigences de sa femme. Son père est décédé lorsqu’elle avait vingt ans d’un cancer du cœur (des oreillettes).
38La mère de Jean a beaucoup de difficultés à décrire, à mettre des mots sur le couple de ses parents. Il y a quelque chose d’indicible pour elle. Ce qu’elle peut dire c’est : « En tout cas, y’a un problème à ce niveau-là, car ma grande sœur (deux ans son aînée) n’est pas en couple, mon petit frère qui a 5 ans de moins que moi (42 ans) n’est pas en couple et moi je n’arrive pas à être avec un homme. J’ai eu un enfant que j’ai désiré très fort, mais ce n’était pas le désir de mon compagnon. » C’est comme si cette période de sa vie (notamment son adolescence) a été tellement chargée en émotions que sa mémoire n’a pas réussi à la fixer sous forme de représentations verbales.
Hypothèses et interprétations psychopathologiques
Relation mère/fils
39La mère dit avoir toujours vécu « en couple » avec Jean. Nous sommes ici dans une co-construction mère/fils dans laquelle le tiers n’a pas de place. La mère a fait en sorte que le tiers ne soit pas présent : son compagnon actuel n’a jamais été introduit dans le foyer, elle est réticente à ce que le père de Jean vienne à la consultation, etc. Et tout fonctionne par deux à la maison (deux chats, deux poissons, deux poules). Le tiers n’est pas présent et n’a jamais été présent. Bien que la mère ait souhaité un père pour son fils, elle a également fait en sorte que le tiers soit absent de la relation. La sexualité avec l’autre est exclue du foyer familial, les espaces sont quasiment clivés. Le tiers apparaît comme menaçant, venant rompre l’harmonie construite à deux, rendant ainsi toute triangulation impossible. Jean protège sa mère (il n’a pas voulu dire que sa mère consommait du cannabis pour ne pas la mettre en difficulté) et se met à la place de l’adulte, du conjoint protecteur.
40Lorsqu’ils se présentent à la consultation, la communication entre Jean et sa mère est quasiment inexistante, d’autant plus que la mère de Jean dit qu’elle « n’accroche pas avec les jeux vidéo ». Ainsi, il n’y a pas d’échange, pas de partage entre eux. Face au thérapeute, la mère de Jean ne cesse d’être dans le reproche et dans la critique envers son fils et Jean reste passif, dans l’attente, mettant en place un fonctionnement qu’il connaît bien à savoir se couper de ce qui se dit.
Mère
41La mère de Jean connaît actuellement diverses difficultés. Tout d’abord des difficultés de santé. Elle a récemment (mois de janvier) subi une hystérectomie et une ablation des ovaires suite à la détection de cellules cancéreuses sur ses ovaires. Elle a par ailleurs eu un accident de voiture assez important dans lequel elle a été percutée à l’avant par la police (faisant un 180 degrés) et à l’arrière par des voleurs (faisant un 180 degrés dans l’autre sens) lors d’une course poursuite entre des policiers et des voleurs. Cet accident lui a également occasionné des difficultés financières. Peu de temps après cet accident, elle s’est séparée de son compagnon (avec qui elle est restée cinq ans).
42La mère de Jean est épuisée et à bout de nerfs. Elle a des difficultés de sommeil, en lien avec les bouleversements hormonaux consécutifs à son opération. Elle se décrit comme hypersensible et se met rapidement à pleurer en entretien. Elle présente une symptomatologie dépressive et dit ne pas avoir la force de tirer son fils vers le haut ni vers autre chose. Elle est actuellement démissionnaire envers celui-ci. Cette symptomatologie dépressive n’est pas récente puisqu’elle a déjà présenté pendant sa grossesse des symptômes dépressifs. En effet, à sept mois de grossesse, elle pleurait tous les jours (notamment parce qu’elle s’est rendu compte qu’elle élèverait seule son fils), ce qui l’a conduit à consulter une psychologue. Elle a été suivie pendant dix ans. La façon dont la thérapie s’est terminée évoque un vécu abandonnique très fort chez elle (d’abord de sa mère, puis de son père et maintenant de sa psychologue). Absente à de nombreuses séances, sa psychologue lui a signifié qu’il était peut-être temps de mettre fin au suivi, le moment étant venu qu’elle se débrouille seule. La mère de Jean a vécu ses mots comme un rejet et un abandon.
43La mère de Jean fonctionne en tout ou rien dans ses relations aux autres. Elle dit d’ailleurs « ne pas savoir être en relation avec les autres ». Elle est actuellement peu entourée socialement (soutien social pauvre). Elle a en effet coupé le lien avec nombreuses de ses amies, ayant atteint avec elles le point de non-retour. Dans ses relations amicales, elle intériorise et accepte des choses qui la blessent, jusqu’au point de rupture où elle rompt la relation et se détache émotionnellement de l’autre, sans retour possible.
44Lorsqu’elle est avec un homme, elle a tendance à délaisser sa vie sociale pour ne laisser de la place qu’à cette relation amoureuse. Elle a longtemps pensé que c’étaient les hommes qui étaient envahissants, mais avec le temps, elle se rend compte que c’est elle qui est « étouffante » : « Quand je suis avec un homme, c’est comme si je voulais totalement rentrer dans l’autre et ça m’étouffe, du coup, j’en peux plus et je pars. » Le fonctionnement de la mère de Jean évoque celui d’une névrose phobique dont le désir inconscient serait un désir sadique de dévoration (Nasio, 2013). Ce fonctionnement met également en lumière la dépendance affective dans laquelle elle se trouve.
45La mère est très critique à l’égard du père de Jean, elle ne cesse de parler de ce dernier en des termes négatifs. Le (mauvais) comportement de Jean est souvent lié à celui du père. Par exemple, elle décrit une scène de violence lorsqu’elle a débranché l’ordinateur, Jean lui aurait sauté dessus, prise par le cou en lui disant : « J’ai envie de te broyer. » Cette violence chez Jean est présentée comme une conséquence du week-end passé chez son père. Elle reproche au père de Jean de ne pas être suffisamment investi dans la vie de son fils et dit que Jean n’est pas le bienvenu chez lui. Elle aurait d’ailleurs dit à Jean que son père ne l’a pas désiré et qu’il n’a jamais été présent en tant que père. La mère renvoie constamment une image négative de son père (et peut-être du masculin au sens large ?), perçu comme absent, abandonnique et faible. L’identification du père se faisant par le truchement de la parole de la mère (Maleval, 2000), se pose la question chez Jean d’un manque d’identification suffisamment structurante à une imago paternelle valorisée.
Jean
46Jean est un adolescent plutôt timide, introverti et inhibé. Il est très factuel et possède une capacité d’élaboration et un imaginaire assez pauvres. Il est dans un fonctionnement passif et a besoin d’être porté (la mère de Jean a également besoin d’être portée). Jean banalise et rationalise ses comportements. Par exemple, il explique qu’il n’est plus allé en cours au deuxième semestre de cette année « à cause du mauvais temps, de la flemme et la fatigue ».
47La symptomatologie décrite par Jean lors du retrait de l’ordinateur évoque un effondrement dépressif (on repère en effet une humeur d’allure dépressive, des troubles alimentaires, de l’anhédonie, de la clinophilie, etc.), ce qui nous éclaire quant à la possible fonction antidépressive des jeux vidéo. Néanmoins, Jean se défend de toute symptomatologie de ce type. Il rejette toute sollicitation allant dans ce sens, banalisant son comportement.
48Les jeux vidéo constituent pour lui une fuite de la réalité. Le jeu lui évite probablement un effondrement narcissique en lien avec le détachement des imagos parentales, le jeu venant entraver le travail de deuil nécessaire au processus adolescentaire.
49Si l’on se réfère aux stades de changement de Pochaska et Diclemente (1982), Jean est au stade de précontemplation. Il reconnaît les problèmes que sa pratique de jeu occasionne, mais il reste ambivalent quant aux changements. On peut penser que la symptomatologie dépressive éprouvée par Jean lors de la privation de son ordinateur constitue une résistance au changement.
50Sa demande est une demande essentiellement extrinsèque, ce qui permet que Jean soit présent et soit dans une certaine démarche de soins, mais la demande doit devenir plus intrinsèque. Il vient à ses rendez-vous, car sa mère lui demande de venir, mais il n’est pas actif dans les entretiens, sans être opposant non plus. Il vient, c’est tout. Jean est dans une sorte d’évitement du changement à travers une forme de défense passive/régressive qui consiste en « oui il faut que je change, mais je n’y arrive pas ».
51Étant donné la symptomatologie dépressive de la mère, on se demande dans quelle mesure Jean perçoit sa mère comme fragile, rendant la problématique de séparation/individuation délicate de par une impossibilité à agresser, à s’opposer directement à sa mère.
52La mère décrit son fils comme très opposant à la maison, agressif et violent verbalement, mais parfois aussi physiquement, ce qui contraste totalement avec la façon dont Jean se présente dans les entretiens, que ce soit seul ou avec sa mère. Il est en effet plutôt calme, doux, non opposant, n’élevant jamais le ton. Il a un côté lisse et semble plutôt aconflictuel. En entretien individuel, Jean n’aborde aucune difficulté : avec sa mère tout va bien (alors que la mère décrit des insultes, de la violence physique), avec son père tout va bien (alors que la mère dit que Jean est très critique à l’égard de son père et qu’il l’insulte régulièrement), et il s’entend bien avec ses parents, malgré quelques petits conflits avec son père, « y’a des conflits avec mon père quand je me lève trop tard, quand je joue trop ou quand je mange tout le saucisson » ! Il y a une abrasion totale de toute conflictualité laissant présager une crise d’adolescence non conflictualisée. Jean est dans l’évitement et la protection massive de ses parents.
53Jean dit ne pas savoir grand-chose de l’histoire de ses parents et de ce qui s’est passé, « mes parents n’ont jamais vécu ensemble, je crois, mais ça me va, du moment que je vois les deux ».
54Étant donné l’absence du père et les difficultés de la mère, on peut se demander dans quelle mesure l’environnement précoce n’a pas fourni de réponses permettant à Jean de se construire une estime de soi adaptée. Jean tente alors de dépasser ce fonctionnement en s’étayant sur l’interactivité des espaces virtuels. Les enjeux narcissiques sont clairs, son personnage lui permet de restaurer une image de lui défaillante. Il cultive alors une forme de représentation de lui-même et d’autres joueurs sans rapport avec la réalité (preuve en est de son avatar qui possède un bouclier magique extrêmement puissant, personnage quasiment imbattable comme il dit et qui a donc des compétences trop éloignées de celles qu’il peut développer dans la réalité).
55Dans le jeu, Jean nourrit également une relation privilégiée et plutôt idéalisée avec un copain en particulier (Jérémy, qu’il décrit comme raisonnable, sans problème, bien dans sa vie, dans sa famille, etc.). On peut penser que les relations précoces et le contexte familial n’ont pas fourni les conditions suffisantes pour qu’une autonomisation épanouie puisse s’accomplir. Avec les jeux vidéo, Jean est dans une position régressive source de plaisir dans laquelle il recrée avec l’ordinateur une relation dyadique idéalisée (Rivière, 2006 ; Tisseron, 2009). N’ayant pas acquis une sécurité intérieure, les jeux vidéo lui permettent de fuir cette relation angoissante avec sa mère (en lien avec les changements corporels et la réactivation de l’Œdipe propres à l’adolescence) et de retrouver un état régressif à deux. D’autant plus que la colère et les conflits (autour de l’ordinateur) permettent de recréer une proximité à travers un harcèlement permanent, constituant une entrave à l’établissement de la distance nécessaire à l’adolescence (Jeammet, 2004). Jean cherche à travers les espaces virtuels à colmater l’angoisse d’effondrement qui découle de ce manque de sécurité interne, les jeux venant apaiser et lui permettant de lutter contre l’angoisse d’abandon qui en découle. En même temps, on peut également penser que, comme pour le cannabis chez sa mère, l’ordinateur fait « tiers » entre Jean et sa mère, celui-ci ayant pour fonction de mettre à distance l’autre dans une relation vécue comme trop proche. Les conduites d’opposition à l’adolescence constituent un moyen de rétablir une distance protectrice (Jeammet, 2004).
Quelle prise en charge et quels objectifs thérapeutiques ?
56La prise en charge proposée à Jean est la thérapie familiale multidimensionnelle (MDFT) qui se déroule en trois temps (Liddle, 2001 ; Phan, Bonnaire, Bastard, & Jouanne, 2008 ; Bonnaire et al., sous presse).
57La première phase est celle de la construction des fondements de la thérapie, qui comprend la construction des alliances thérapeutiques (avec l’adolescent et avec les parents). La meilleure façon de s’assurer de l’adhésion de l’adolescent comme des parents à la thérapie va être de s’intéresser aussi bien à leurs stress et leurs préoccupations qu’à leurs espoirs et leurs rêves. Ce qui va également mobiliser l’ensemble des protagonistes est l’insatisfaction de la situation (autrement dit la prise de conscience de la nécessité d’évoluer) dans laquelle ils se trouvent et l’espoir que les choses puissent progresser dans leur vie. La construction des fondements permet de hiérarchiser les changements, en fonction du degré d’urgence, du coût des changements et de leur efficacité.
58La deuxième phase correspond à la demande des changements. L’objectif de cette phase est d’impulser des changements sur deux niveaux : à la fois intra-personnel et interpersonnel. Ceux-ci auront pour cibles les facteurs ayant une influence sur la pratique excessive des jeux vidéo. L’action thérapeutique visera à amoindrir les facteurs de risque et à mettre en avant les facteurs de protection.
59La troisième phase est la consolidation des changements qui, au-delà du renforcement des changements opérés, consiste également à acter ce qui a été accompli, mais aussi ce qu’il reste à faire et surtout ce qu’il est encore possible de faire. Pour l’adolescent ainsi que pour les parents, la consolidation des changements passera par l’analyse de ce qui a fait évoluer la situation. Qu’est-ce qui s’est produit pour que les choses changent ? Quels sont les bénéfices obtenus ? Ce qui va maintenir les changements, c’est l’impression de bénéfices qu’ils ont engendrés.
60Cette thérapie se caractérise notamment par sa durée (environ six mois) et son intensité (le thérapeute rencontre la famille une fois par semaine au moins).
61Au regard des objectifs poursuivis dans la MDFT et de l’évaluation du cas présent, voici les objectifs thérapeutiques poursuivis.
62Avec Jean :
- Mettre de la parole, à l’aider à verbaliser, à mettre en mots, à élaborer sur ce qu’il vit, ce qu’il ressent avec un accent particulier sur l’identification et la verbalisation des émotions.
- Aller dans le sens de la conflictualisation. Sortir d’un discours lisse, propre, pouvoir être dans l’opposition, l’expression de son désaccord, dans la verbalisation de ce qui peut être douloureux, de ce qui ne lui convient pas, ce sur quoi il est en désaccord… Que Jean puisse dire en se rendant compte que ça ne détruit pas l’autre. Tout cela contribue à faire en sorte qu’il soit moins passif et plus acteur de sa vie.
- Qu’il puisse se déprimer un peu en accompagnant le travail de deuil nécessaire à cette période de la vie.
63L’alliance thérapeutique doit être constamment travaillée et entretenue avec Jean. De façon intéressante et surprenante, Jean a investi le lieu de soin. Ce qu’il aime dans le suivi c’est l’aspect concret : « Ici on essaie de trouver des solutions pour que je joue moins, pour améliorer les relations avec ma mère et d’ailleurs ça va mieux, je travaille plus à l’école, je suis plus investi chez les pompiers et ça va un peu mieux à la maison… »
64Avec la mère :
- Un travail de soutien, d’écoute et d’empathie, car elle est débordée et démissionnaire. D’autant que le changement est coûteux et qu’elle n’a pas beaucoup d’énergie à mettre dans le changement.
- Qu’elle s’intéresse aux jeux vidéo afin de prendre Jean là où il est, pour ensuite l’amener ailleurs. Parler des jeux contribue au rétablissement de la communication, cela lui permet de mieux connaître son fils et aussi de trouver un terrain sur lequel elle pourra le valoriser. En effet, elle est constamment dans le reproche et la dévalorisation de Jean. Elle n’arrive pas ou plus à percevoir la souffrance de son fils et le sens que sa pratique excessive des jeux vidéo peut avoir pour lui. Elle ne voit plus qu’un enfant qui ne va pas en cours, qui ne travaille pas, qui ne fait rien à la maison, qui reste constamment sur son ordinateur et qui est agressif.
- Elle doit également apprendre à l’accompagner en parlant avec lui de ce qu’il a vu et de ce qu’il joue. Elle pourra ainsi l’aider aussi à mettre des mots, à verbaliser les émotions qu’il ressent et les partager.
- Travailler les pratiques parentales, notamment rétablir l’autorité parentale et la définition de règles et de limites claires : qu’est-ce que c’est que mettre des limites ? À quoi ça sert et comment fait-on ? Qu’est-ce qui l’empêche de poser des limites ? Quelles sont ses résistances à poser des règles, des limites et les faire respecter ?
- Un travail sur la cohérence des pratiques parentales. En effet, elle demande à son fils de moins jouer, voire d’arrêter de jouer alors qu’elle consomme quotidiennement du cannabis. Sa demande peut manquer de légitimité auprès de son fils, d’autant que celui-ci lui reproche sa consommation.
- Comprendre et travailler sa résistance à faire venir le père de Jean et faire en sorte qu’elle puisse penser son implication comme nécessaire, ainsi que le fait de tenir un discours commun et des pratiques parentales communes (et il faudra bien sûr faire la même chose avec le père).
- Comprendre l’intrication entre son histoire et ses pratiques parentales ainsi que sa relation avec son fils (autrement dit, identifier la répétition).
Ensemble mère/fils
65L’objectif premier était la reconnexion émotionnelle sinon il y a résistance au changement. Il est en effet impossible de passer à la phase de changement (phase deux) si la reconnexion émotionnelle n’a pas eu lieu. Pour ce faire, mère et fils doivent tous les deux exprimer leur insatisfaction par rapport à la situation actuelle. En effet, plus ils l’expriment, plus l’énergie pour changer sera importante, et ce des deux côtés. Chacun doit reconnaître qu’il est partie prenante de la situation, chacun doit attester qu’il est insatisfait de la situation et que chacun a à changer des choses. L’objectif est de transformer l’énergie négative en énergie positive.
66Une illustration de cet objectif thérapeutique a été de faire un jeu de rôle dans lequel mère et fils ont simulé un entretien pour une demande de stage. Le but était de se décentrer des jeux vidéo, de ce qui fait conflit à la maison et de générer une situation dans laquelle la mère allait pouvoir reconnaître des compétences de son fils, reconnaître des choses positives chez lui, ce qui avait pour but de contribuer à la reconnexion émotionnelle.
67Il est très important de rétablir la communication et le lien entre Jean et sa mère, de créer un climat plus sécure afin qu’ils abordent la séparation du milieu familial de façon positive.
68Un des objectifs majeurs de la thérapie est de mobiliser le père dans la prise en charge.
69En parallèle de ce travail, plusieurs entretiens ont été réalisés avec l’éducateur autour d’une éventuelle réorientation scolaire de Jean. L’objectif était d’une part de remobiliser Jean dans sa scolarité en le faisant réfléchir sur son avenir, de le rendre plus actif et acteur de sa vie et, là encore, d’introduire du tiers dans la relation.
Bibliographie
Bibliographie
- Bonnaire, C., Bastard, N., Couteron, JP., Har, A., Phan, O. (2014). Thérapie familiale multidimensionnelle (MDFT) et thérapie familiale systémique : quelles influences, quelles spécificités ? L’Encéphale, 40, 408-415.
- Jeammet, Ph. (2004). L’adolescence. Paris, Solar.
- Prochaska, J.O., & DiClemente, C.C. (1982). Transtheoretical therapy : toward a more integrative model of change. Psychotherapy : Theory, Research and Practice, 19(3), 276-288.
- Liddle, H.A. (2001). MDFT Treatment (MDFT) for Adolescent Cannabis Users. (Volume 5 of the Cannabis Youth Treatment (CYT) manual series). Rockville, MD : Center for Substance Abuse Treatment, Substance Abuse and Mental Health Services Administration.
- Maleval, J.C. (2000). La forclusion du nom du père. Paris, Seuil.
- Phan, O, Bonnaire, C, Bastard, N, Jouanne, C. (2008). Le projet INCANT. Psychotropes, 14(3-4) : 137-156.
- Rivière C. (2006). Le lien de dépendance addictive à Internet, une nouvelle forme d’addiction ? OMNSH, 2006.
- Tisseron, S. (2009). Jeux vidéo : entre nouvelle culture et séductions de la “dyade numérique”. Psychotropes, 15, 21-40.