Notes
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[1]
Décret n°98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l’évaluation des politiques publiques.
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[2]
Comme le fait fort justement remarquer un des rapporteurs de l’article, il convient de souligner ici que le cadre théorique de cette évaluation se construit autour de la modélisation d’un individu rationnel. Comme toute modélisation, la complexité du réel s’en trouve, de fait, réduite.
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[3]
Le prix de la résine est entre 3 et 5 euros le gramme à la vente de détail, l’herbe aux alentours de 7-8 euros en 2010. L’évolution des prix proposée par ces auteurs ne tient pas compte de l’inflation, laissant à penser que les prix de ces produits ont finalement beaucoup plus diminué en termes de pouvoir d’achat.
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[4]
Nous raisonnons ici « toutes choses égales par ailleurs » puisque le prix du cannabis est multifactoriel (état de la concurrence et de la demande, conditions climatiques, saisies douanières internationales, conditions politiques des pays producteurs, etc.). Par exemple, Ben Lakhdar et Weinberger (2011) défendent l’idée d’une baisse du prix de la résine suite à l’apparition de nouvelles offres d’herbe de cannabis, que celle-ci soit autoproduite ou fournie par d’autres groupes criminels.
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[5]
Voir la Classification Internationales des Maladies (CIM) 10e édition.
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[6]
Les usagers présentant des problèmes sanitaires sont généralement des consommateurs d’héroïne ou de cocaïne.
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[7]
La dépénalisation diminue le coût supporté par les consommateurs puisqu’ils n’encourent plus de sanctions pénales. On aurait dès lors pu s’attendre à une augmentation des prévalences. En effet, à satisfaction de consommation inchangée, le coût lié à la consommation a baissé, incitant potentiellement de non-consommateurs à le devenir.
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[8]
Au moment où nous écrivons cet article, deux États américains viennent de voter un cadre de légalisation du cannabis, il s’agit des États du Colorado et de Washington.
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[9]
Dans l’élasticité-prix de la demande, il faut distinguer deux composantes : d’une part, l’élasticité de participation qui concerne des individus déjà consommateurs qui peuvent diminuer ou augmenter les quantités consommées en fonction des variations de prix et, d’autre part, l’élasticité de demande conditionnelle qui elle concerne les individus non-consommateurs mais qui suite à une baisse de prix pourraient le devenir.
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[10]
Sans pression concurrentielle, la théorie économique nous dit que le monopole restreint les quantités mises sur le marché et augmente de ce fait le prix du produit considéré. De plus, un monopole d’État appliquerait certainement un niveau de taxes élevé sur ce type de produit.
Introduction
1La loi du 31 décembre 1970, dont les dispositions sont intégrées dans le code pénal et le code de la santé publique, soumet les drogues illicites (notamment l’héroïne, la cocaïne, le cannabis, les hallucinogènes) à un régime d’interdiction. L’usage et le trafic de ces substances sont ainsi réprimés sans différenciation des produits. Les substances ou plantes considérées comme stupéfiants sont inscrites sur une liste établie par arrêté du ministre de la Santé sur proposition du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) suivant la réglementation internationale.
2L’usage de stupéfiants (que cela soit dans des lieux public ou privé) est un délit passible d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros, mais la loi de 1970 prévoit également la possibilité pour l’usager de bénéficier de soins anonymes et gratuits dans le cadre d’une prise en charge sanitaire et sociale conventionnée par l’État. L’usager de drogues illicites peut alors être à la fois considéré comme un délinquant et comme un malade. Les peines pour infraction à la loi sur les stupéfiants liée au trafic ont été aggravées à la fin des années 1980 et peuvent aller jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle. La loi de prévention de la délinquance, plus récente puisque datant de mars 2007, présente de nouvelles dispositions à l’encontre des usagers (stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, injonction thérapeutique comme modalité d’exécution d’une peine) et envers certaines catégories de personnes (salariés dépositaires de l’autorité publique, salariés des entreprises de transport public). Ces dernières risquent des peines allant jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende (voir Obradovic, 2012).
3L’objectif de la loi de 1970 et de ses compléments plus récents semble bien être un « monde sans drogues » principalement grâce à la dissuasion et à la sanction. L’objectif de cet article est alors d’évaluer le bien-fondé économique de cette politique de lutte contre les stupéfiants en France.
4« L’évaluation des politiques publiques a pour objet d’apprécier l’efficacité d’une politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre [1]. » Évaluer une politique consiste ainsi (i) à établir l’impact de la politique puis (ii) à comparer les bénéfices de ce dispositif par rapport aux coûts de sa mise en œuvre (Analyse Coût/Bénéfice). Déterminer l’impact d’une politique suppose d’établir une relation de causalité entre cette mesure et les variables qu’elle cherche à influencer. Pour ce faire, il faudrait idéalement observer simultanément (i) la situation des individus soumis au dispositif mis en place et (ii) la situation de ces mêmes individus en l’absence du dispositif, c’est-à-dire dans une situation hypothétique nommée contrefactuel. La comparaison de ces deux situations permettrait alors de déterminer l’impact du dispositif sur ces individus.
5On ne peut effectivement pas se contenter d’une comparaison entre la situation des individus soumis à la loi et la situation des individus non soumis à la loi pour établir son impact. Ces deux types d’individus n’ayant pas nécessairement, en moyenne, les mêmes caractéristiques individuelles, on ne peut pas conclure à un effet de la loi de leurs comportements possiblement distincts. De même, on ne peut pas comparer la situation des individus avant la mise en place de la loi et la situation de ces mêmes individus après la mise en place de la loi. L’environnement économique et social ayant changé sur la période considérée, il peut affecter le comportement des individus de sorte qu’un changement de comportement ne peut pas être uniquement lié au dispositif mis en place.
6Le contrefactuel étant par définition inobservable, la démarche de l’évaluateur va viser à le reconstituer. Or la loi s’appliquant théoriquement à tout le monde, on ne peut pas isoler un groupe d’individus soumis à la loi (appelé groupe test) et un groupe d’individus non soumis à la loi mais ayant en moyenne les mêmes caractéristiques individuelles que le groupe test (groupe de contrôle). Le travail que nous proposons ici ne bénéficiera dès lors pas des conditions idéales d’évaluation d’impact. Nous étudierons néanmoins l’évolution des variables d’intérêt, censément impactées par les dispositifs d’application de la loi, en tentant de discuter et d’isoler les variables d’environnement qui pourraient influencer ces mêmes variables, ce indépendamment de l’application de la loi. L’étude de l’évolution de ces variables d’intérêt nous permettra alors d’examiner l’efficacité de la loi, c’est-à-dire sa capacité à atteindre les objectifs qu’elle se fixe.
7Afin de mener à bien notre travail d’évaluation de la loi de 1970, nous nous intéresserons également à l’examen de son efficience, autrement dit à l’examen de la productivité des ressources engagées pour l’atteinte des objectifs. Finalement, nous discuterons du degré d’équité de la loi, entendu comme sa capacité à soumettre identiquement tout individu à ses principes directifs.
8L’évaluation que nous proposons ne pourra se faire pour l’ensemble des drogues illicites même si la loi de 1970 ne discrimine pas entre les substances. Nous nous contenterons d’une évaluation de la politique visant à encadrer l’usage et le trafic de cannabis, et ce, pour deux raisons. La première est que le cannabis est la substance illicite la plus consommée en France loin derrière l’alcool et le tabac mais loin devant la cocaïne et l’héroïne (Beck et al., 2011). La seconde, qui découle peut-être de la première, est que le système d’information concernant cette substance est désormais assez étoffé pour permettre une telle évaluation, ou tout du moins d’en élaborer une tentative.
9Cet exercice d’évaluation de la politique répressive en matière de stupéfiants a déjà été tenté (Kopp, 1994, 1996, 2000). Ces études ne bénéficiant pas des connaissances empiriques actuelles sur la consommation et le trafic de cannabis restaient somme toute conceptuelles et théoriques. Elles renseignent néanmoins sur les points d’impact de la loi à nécessairement prendre en compte dans le cadre d’une évaluation ex post et surtout soulignent les réponses comportementales, aussi bien des usagers que des trafiquants, qu’une évolution de législation pourrait enclencher. Notons qu’un travail plus récent s’interroge sur les bénéfices pour la collectivité retirés des drogues licites et illicites (Kopp et Fenoglio, 2011). Cette étude coûts/bénéfices des drogues en France s’attache au délicat exercice empirique d’estimation de l’impact des drogues non seulement sur les finances publiques, mais aussi sur le bien-être collectif, mais ne discute pas de l’efficacité ou de l’efficience de la loi réprimant l’usage et le trafic de certaines substances toxiques. En d’autres termes, en montrant que les drogues illicites coûtent à la collectivité, Kopp et Fenoglio (2011) ne détaillent pas précisément la structure du coût social des drogues illicites et ne discutent pas la manière de le minimiser. À travers l’évaluation que nous proposons dans ce papier, c’est in fine de ces questions que nous voulons discuter.
10La première partie de cet article met en exergue deux indicateurs permettant de jauger de l’efficacité du dispositif législatif et policier mis en place pour lutter contre les drogues illicites, à savoir l’évolution du prix et des prévalences. L’efficience de la politique publique est discutée dans la deuxième partie au regard du coût social du cannabis et de ses composants. Une troisième partie est consacrée à l’implémentation de la loi et de son équité. Dans cette section, le degré de justice sociale de la loi de 1970 sera discuté. L’évaluation économique de la politique publique nous amènera à présenter des régimes de gestion des drogues (et du cannabis en particulier) qui minimiseraient les dépenses publiques qui lui sont consacrées. La quatrième partie présentera donc deux exemples de régime que sont la dépénalisation et la légalisation.
Deux indicateurs clés pour l’évaluation de l’efficacité : prix et prévalence
11Deux indicateurs permettent de jauger de l’efficacité de la politique publique implémentée visant la disparition de l’usage et du trafic de stupéfiants. Des éléments théoriques simples fondent le cadre prohibitionniste de la loi de 1970. La présentation de ce cadre théorique permet de cerner les effets attendus de la loi.
Effets attendus de la répression et de la dissuasion
12Théoriquement, la politique répressive mise en place consécutivement à la loi de 1970 doit conduire à une augmentation du prix des substances illicites et à une diminution de l’usage. L’explication de cette assertion se fait grâce au cadre théorique d’économie du crime défini par Becker (1968). Un criminel, ici un trafiquant de drogues, effectue une analyse coût/bénéfice de son activité pour savoir si oui ou non, il convient de s’y engager et si oui, pour quel montant de bénéfice compte tenu du coût. Un trafiquant ne s’engage alors dans l’activité que si les bénéfices qu’il en retire excèdent les coûts qu’il supporte. En d’autres termes, le criminel, rationnel, approxime sa probabilité d’interpellation et les peines de justice encourues dans ce cas, et en fonction modifie les variables générant son profit criminel, à savoir ici le prix des substances qu’il vend. Plus le risque d’interpellation est important, plus le prix des drogues qu’il vendra devra être élevé pour compenser le risque encouru (la logique est la même concernant la peine : plus celle-ci est élevée, plus la prime de risque imputée au prix doit l’être aussi). En termes évaluatifs, le prix des drogues est alors en partie le reflet de cette prime de risque, et quand ce prix s’élève c’est que la politique répressive est efficace, ou tout du moins qu’une partie de cette augmentation de prix est attribuable à la mise en œuvre de la loi. Remarquons que le dispositif légal peut inciter le criminel à ne pas s’engager dans l’activité répréhensible si les probabilités d’interpellation et/ou de peine encourue sont suffisamment élevées au regard des bénéfices qu’il compte tirer de son activité (pour une discussion critique de ce cadre théorique, voir Langlais, 2010).
13Le raisonnement est peu ou prou le même concernant l’usage de drogues. Informé, l’individu sait que s’il consomme des drogues, il risque d’écoper d’une peine d’emprisonnement et/ou d’une amende s’il se fait interpeller par les forces de l’ordre. Un individu s’engage alors dans la consommation d’une drogue illicite s’il en tire plus de satisfaction que de coûts liés aux risques judiciaires probabilisés. Dans le cas inverse, l’individu ne consomme pas de drogues illicites et on qualifie la politique de dissuasive [2].
14Le graphique 1 montre l’évolution des interpellations pour Infraction à la Loi sur les Stupéfiants (ILS) qu’elle qualifie ici spécifiquement l’usage ou le trafic de cannabis. Il est frappant de constater que la mise en œuvre de la loi à travers l’activité des forces de l’ordre s’est intensifiée sur la période récente. Les interpellations pour usage de cannabis ont ainsi doublé passant d’environ 60 000 en 2001 à 120 000 en 2010.
Évolutions des interpellations pour Infraction à la Loi sur les Stupéfiants (cannabis), France, 1985-2010
Évolutions des interpellations pour Infraction à la Loi sur les Stupéfiants (cannabis), France, 1985-2010
15L’activité policière de mise en œuvre de la loi se traduit également par les saisies de cannabis effectuées. Ces saisies de cannabis sont plus ou moins stables sur la période, aux alentours de 50 à 60 tonnes saisies par an (graphique 2). Les années 2003, 2004 et 2005 ont toutefois été des années d’importantes saisies de cannabis avec plus de 100 tonnes en 2004 (en plus d’interpellations en hausse, des saisies ponctuelles de grande quantité expliquent ces chiffres importants). Remarquons toutefois que, par la suite, lorsque les interpellations pour usage ou trafic augmentent, les saisies de cannabis n’augmentent pas forcément dans le même ordre de grandeur laissant à penser que ces mêmes interpellations sont réalisées auprès d’individus ne détenant pas de grandes quantités de cannabis.
Évolution des quantités saisies de cannabis par les forces de l’ordre, France, 1996-2010
Évolution des quantités saisies de cannabis par les forces de l’ordre, France, 1996-2010
La répression doit agir comme une taxe
16Pour juger de l’impact de la répression policière sur le prix des drogues, il convient, comme le soulignent Caulkins et Reuter (1998), de s’intéresser aussi à la qualité des produits. En effet, c’est le ratio prix/qualité qui finalement informe de l’évolution du marché. La logique est simple : si le prix d’une substance illicite diminue alors que sa qualité augmente, c’est que le marché est concurrentiel et l’offre abondante. Au contraire, si le prix augmente alors que la qualité baisse, on peut penser que le produit se raréfie sur le marché (et donc, toutes choses égales par ailleurs, que l’activité policière est efficace).
17Concernant le cannabis, qu’il soit sous forme d’herbe ou de résine, la Direction Centrale de la Police Judiciaire (2009) nous apprend que le prix de la résine est relativement stable et que le prix de l’herbe connaît une récente augmentation. La DCPJ (2009) souligne toutefois que le prix de l’herbe a été divisé par deux en dix ans. Toufik, Legleye et Gandilhon (2007) confirment cette division par deux du prix du gramme d’herbe depuis 1996. Ces auteurs soulignent aussi que le prix au détail du gramme de résine a diminué entre 1996 et aujourd’hui [3].
18La qualité du cannabis est quant à elle en augmentation comme le graphique 3 le montre. On peut avancer différentes raisons à cette augmentation de qualité : le progrès technique concernant les modes de cultures mais aussi l’apparition de nouvelles variétés de graine (Ben Lakhdar, 2009 ; Ben Lakhdar et Weinberger, 2011).
Évolution de la concentration en THC (%) du cannabis saisi par les forces de l’ordre en France, 1992-2008
Évolution de la concentration en THC (%) du cannabis saisi par les forces de l’ordre en France, 1992-2008
19Le bilan que l’on peut alors dresser au regard de cet indicateur de prix/qualité est le suivant. Alors que la répression s’est intensifiée, le prix du cannabis, dont la qualité augmente, est finalement resté stable, voire aurait diminué en termes de gramme pur de THC, dans les années 2000. L’activité répressive apparaît n’avoir eu aucun impact sur le marché : ni l’augmentation du risque d’interpellation des trafiquants ni les saisies de cannabis ne sont parvenues à faire augmenter le prix du cannabis. L’effort répressif ne s’est pas traduit en une taxe conduisant le prix du gramme de cannabis pur à augmenter [4].
La répression doit dissuader de l’usage
20La décision de consommer ou non du cannabis est contrainte par l’activité policière puisque la loi de 1970 punit la détention et la consommation de cette substance. Autrement dit, selon les arguments théoriques avancés plus haut, la loi et son implémentation doivent dissuader de l’usage de cannabis. L’individu doit donc arbitrer entre plaisir retiré de la consommation de cannabis et les risques probabilisés encourus.
Évolution des prévalences de l’usage de cannabis depuis 1992 en France
Évolution des prévalences de l’usage de cannabis depuis 1992 en France
21Le graphique 4 montre l’évolution des prévalences cannabiques de 1992 à 2010 en France. Alors que l’expérimentation – le fait d’avoir au moins une fois au cours de sa vie consommé du cannabis – augmente, traduisant ainsi la diffusion du cannabis dans la population française, l’usage dans l’année fait de même mais à un rythme moins soutenu. Depuis les années 2000, environ 7 % des Français âgés de 15 à 75 ans concèdent avoir consommé du cannabis lors de l’année écoulée, ils sont environ 4,5 % lors du dernier mois. Depuis que l’usage mensuel est mesuré, cet indicateur reste stable. Alors que le cannabis est illicite, ce sont près de 1,2 million de Français qui disent consommer du cannabis régulièrement en 2010 (Beck et al., 2011). La France est l’un des pays les plus consommateurs d’Europe, le deuxième derrière l’Espagne pour le nombre de consommateurs dans le mois âgés de 15 à 34 ans (EMCDDA, 2012).
22À la vue de ces prévalences et de leur évolution, il n’apparaît pas que la loi de 1970 et sa mise en œuvre dissuadent de la consommation de cannabis, ou pour le moins insuffisamment. Ces dernières années, encore une fois en parallèle d’une répression de l’usage plus intense, le nombre d’usagers réguliers et quotidiens est resté stable et parmi les plus élevés d’Europe loin devant les prévalences observées aux Pays-Bas, pays où pourtant l’usage est toléré. Notons toutefois que les prévalences cannabiques ont récemment légèrement diminué chez les jeunes de 17 ans (Spilka et al., 2012).
Du coût social du cannabis renseignant de l’efficience de la loi
23On appelle coût social l’ensemble des coûts, directs et indirects, générés par un phénomène pour l’ensemble de la collectivité. La technique d’évaluation du coût social repose principalement sur un scénario contrefactuel dans lequel le phénomène en question n’existe pas. Il convient alors d’envisager tout ce qui serait économisé par la collectivité sous ce scénario. Il est ainsi possible de comptabiliser l’ensemble des coûts du phénomène sous quelques hypothèses (plein emploi des facteurs, méthode du cost-of-illness). Il convient aussi d’appréhender la qualité du système d’information existant, celui-ci faisant varier la précision de l’estimation (Fenoglio, Parel et Kopp, 2000).
24Cet exercice a été réalisé pour les drogues licites et illicites en France en 2003 (Kopp et Fenoglio, 2006). Alors que le coût social du tabac s’élevait à 47,7 milliards d’euros, celui de l’alcool à 37 milliards d’euros, le coût social des drogues illicites était évalué à 2,9 milliards d’euros. Cette dernière estimation ne permet pas de discriminer entre les différentes drogues illicites, mais Ben Lakhdar (2007) a affiné cette estimation pour le cannabis spécifiquement.
Le coût social du cannabis en France
25L’estimation du coût social du cannabis s’élève à 919 millions d’euros annuels (pour des données de 2003-2006, voir tableau 1) qui se répartissent en trois principaux items, à savoir le coût des pathologies attribuables au cannabis, les pertes économiques liées aux décès et à l’emprisonnement et finalement les dépenses publiques (Ben Lakhdar, 2007).
Le coût social du cannabis
Le coût social du cannabis
26Le coût des pathologies n’apparaît pas être un poste important du coût social du cannabis. Il ne représente que 8,1 millions d’euros. Cette faiblesse est due au fait que ne sont comptabilisés que les coûts liés aux troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, soit la classification F-12 de la CIM 10 [5]. L’usage de cannabis est à l’origine d’autres effets somatiques (Sasco, 2007) et d’autres risques pour la santé mentale (Verdoux et Tournier, 2007) mais les fractions étiologiques manquent pour imputer des coûts liés au soin de ces pathologies. De plus, seuls les coûts hospitaliers sont ici pris en compte, ce qui signifie que les potentiels coûts de médecine de ville sont inconnus. Le coût des pathologies attribuables au cannabis pourrait ainsi être plus élevé, mais il n’est pas possible de dire dans quelle mesure.
27Les pertes de revenus, de production et de prélèvements obligatoires sont dues à la mortalité attribuable au cannabis et à l’emprisonnement qui exclut de facto l’individu du marché du travail et de l’économie dans son entier.
28La mortalité attribuable au cannabis est de 230 morts par an selon Laumon et al. (2005) qui ont étudié les sur-risques d’accident mortel de la route sous emprise d’ivresse cannabique. Ces 230 décédés représentent un coût pour la collectivité (du fait de l’hypothèse de plein-emploi des facteurs de production, soit 126,4 millions d’euros) aussi bien pour eux, puisqu’ils ne perçoivent plus de salaire, que pour les entreprises qui perdent des ressources humaines (traduites en termes de productivité). De la même façon, l’État perd des prélèvements obligatoires qui auraient été versés par ces mêmes individus. Le même raisonnement prévaut pour l’emprisonnement qui exclut temporairement des individus du marché du travail : il en découle des pertes de salaires, de productivité et de prélèvements obligatoires à hauteur de 224,5 millions d’euros.
29Finalement, il a été évalué, sous certaines hypothèses et clés de répartition de l’action publique, que les dépenses étatiques consacrées au cannabis s’élevaient à 560 millions d’euros, réparties entre les dépenses de répression et de prévention.
Une répression du phénomène qui coûte plus cher que le phénomène lui-même
30Lorsque l’on scrute de plus près la composition du coût social du cannabis, on remarque que le premier poste en termes d’importance est le coût lié à la répression en termes de dépenses publiques, soit 56,96 % du total. En effet, l’implémentation de la loi de 1970 occupe les forces de l’ordre (police, gendarmerie et douanes) mais aussi les services judiciaires et pénitentiaires. Si nous admettons que le gros du travail des policiers et des gendarmes pour ILS concerne principalement les interpellations pour usage ou détention de stupéfiants, il ressort que près de 300 millions de ressources publiques leur sont consacrées.
31Si au contraire, les procédures interpellatoires et judiciaires concernent aussi les délits plus graves de trafic, aux dépenses publiques liées à la répression, il faut ajouter les pertes de revenus, de productivité et de prélèvements obligatoires attribuables à l’emprisonnement. La somme de ces coûts représente près de 80 % du coût social du cannabis.
32Il n’apparaît pas que la loi de 1970 et sa mise en œuvre minimisent le coût social du cannabis. Au contraire même puisque le dispositif de lutte, autrement dit l’implémentation de la loi, coûte plus cher à la collectivité que le phénomène qu’il cherche à combattre.
Une loi juste socialement ?
33Pour que la loi de 1970 soit considérée comme équitable, il faut que son implémentation concerne tous les Français de la même manière. Dit autrement, tous les individus en infraction avec la loi de 1970 se doivent d’avoir la même probabilité d’interpellation au risque de ne pas dissuader certaines catégories de la population et de n’en sanctionner que certaines autres. Il faudrait alors étudier la distribution des consommateurs dans la population française et la comparer à la distribution statistique de ceux qui ont ou non un risque d’interpellation (autrement dit d’assujettissement à la loi de 1970) plus élevé.
Qui sont les consommateurs ?
34Le nombre de consommateurs réguliers (au moins 10 épisodes de consommation dans le mois) de cannabis en France est estimé à 1,2 million selon le Baromètre santé 2010 dont 550 000 qui déclarent une consommation quotidienne de cannabis (Beck et al., 2011). Les chiffres du Baromètre santé 2005 établissaient les mêmes grandeurs de ces prévalences (Beck et al., 2007). Les consommateurs réguliers de cannabis en 2005 étaient plutôt jeunes : la tranche d’âge 20-24 ans présentant les prévalences les plus élevées aussi bien chez les hommes que chez les femmes. En fonction du statut scolaire et professionnel, excepté pour les retraités, on retrouve des consommateurs de cannabis aussi bien chez les étudiants que chez les chômeurs, chez les actifs occupés ou chez les autres inactifs, avec respectivement 11,5 % d’usagers dans le mois, 7,6 %, 3,7 % et 1,3 %. Parmi les actifs occupés, les niveaux d’usage régulier étaient les plus élevés dans les catégories Arts-Spectacle (7,2 %), chez les professions libérales (3,5 %), chez les ouvriers (3,2 %), chez les ingénieurs du secteur privé et artisans-commerçants (2,8 %).
35En 2008 en France, les jeunes de 17 ans dont les parents étaient cadres ou artisans-commerçants présentaient des sur-risques significatifs de consommation de cannabis par comparaison aux autres statuts socioprofessionnels (un sur-risque de 2 par comparaison aux enfants d’agriculteurs, de 1,5 par comparaison aux enfants de chômeurs), toutes choses égales par ailleurs (Legleye et al., 2009).
36Les consommateurs réguliers de cannabis ne sont pas uniformément distribués dans la population française : les jeunes sont plus souvent consommateurs, les artistes aussi. Cependant, on en retrouve plus ou moins partout (excepté chez les retraités), que cela soit fonction de l’âge, du statut socioprofessionnel ou de la profession.
Qui sont les interpellés ?
37À notre connaissance, il n’existe pas de statistiques criminelle et judiciaire concernant la catégorie socioprofessionnelle des contrevenants pour ILS (ni même pour tout type d’infraction). C’est pourtant ce qui aurait pu nous permettre d’évaluer la distribution statistique des interpellés pour ILS en fonction de leur CSP et de la comparer à la distribution d’usagers de cannabis en fonction de leur CSP proposée par Beck et al. (2007). La similitude des distributions ou leur différence aurait renseigné sur le type de CSP la plus touchée par l’implémentation de la loi de 1970. L’absence de données sur le sujet nous contraint à illustrer notre propos par des enquêtes britanniques d’une part, et à nous tourner vers les seuls travaux français conduits sur les contrôles d’identité réalisés par les forces de l’ordre à Paris d’autre part.
38Stevens (2010) souligne le fait que les minorités ethniques sont beaucoup plus concernées par le système judiciaire britannique pour infraction à la loi sur les stupéfiants alors même que les niveaux de prévalence (et même de déclarations de cession de stupéfiant) sont nettement plus élevés chez les « Blancs ». Une enquête réalisée en 2005 auprès de 5 000 individus âgés de 10 à 25 ans montre que les prévalences de consommation sont plus élevées chez les Blancs que chez les métis, les Noirs ou les Asiatiques. Cette même enquête questionnait également sur la vente de stupéfiants et environ 5 % des Blancs interrogés concédaient avoir vendu des substances illicites dans l’année écoulée, contre environ 2,5 % pour les métisses, mais 0 % chez les Noirs. Pourtant, les statistiques criminelle et judiciaire anglaises en 2007-2008 établissaient que les taux d’entrée dans le processus judiciaire (de l’arrestation à l’emprisonnement) étaient fortement en défaveur des Noirs par rapport aux Blancs. Il en résultait que par rapport aux Blancs, les Noirs avaient 6,1 fois plus de risque d’être arrêtés et 11,4 fois plus de risque d’être emprisonnés pour infraction à la loi sur les stupéfiants (Drug Offences). Ils avaient aussi 9,2 fois plus de risque d’être appréhendés et fouillés pour ILS (Stevens, 2010, p. 96-97). Ces niveaux de sur-risques sont peu ou prou les mêmes que ceux calculés en France concernant les contrôles d’identité. Lévy et Jobart (2010) montrent dans leur étude sur les contrôles d’identité effectués à Paris que les Noirs et les Maghrébins ont plus de risque d’être contrôlés que les Blancs. En fonction du site d’enquêtes parisien (trois endroits de la Gare du Nord et deux à Châtelet), les sur-risques de contrôle d’identité vont de 3,3 à 11,5 pour les Noirs et de 1,8 à 14,8 pour les Maghrébins. En d’autres termes, selon les sur-risques maximums, par comparaison à un Blanc, un Noir à 11,5 fois plus de risque de subir un contrôle d’identité et un Maghrébin 14,8 fois plus. Dans ces conditions, et après entretien avec les personnes contrôlées, Levy et Jobart (2010) soulignent que les individus contrôlés le sont en fait de manière récurrente. C’est en quelque sorte ce que Barré (2008) nomme la « clientèle policière ». Spécifiquement aux ILS, Barré (2008) conclut d’une étude qualitative réalisée auprès des forces de l’ordre que le travail des policiers esquisse au final « une population désignée au soupçon, une clientèle de la répression pénale de l’usage de produits illicites, susceptibles de valoriser quantitativement le travail policier ».
39Ce faisceau d’évidences empiriques (population concernée par les ILS en Grande-Bretagne, contrôles d’identité parisiens et travail qualitatif sur les ILS en France) pourrait nous amener à conclure que l’implémentation de la loi de 1970 est loin de déboucher sur une distribution statistique conforme aux prévalences de l’usage de cannabis retrouvées en population générale non seulement entre CSP mais peut-être aussi en fonction de caractéristiques ethniques. Alors que la loi de 1970 s’applique à tous les Français, seules certaines catégories d’individus seraient concernées par son implémentation. Son application pourrait se révéler être inéquitable, injuste, en quelque sorte régressive.
40La politique publique mise en place par la loi de 1970 n’atteint pas ses objectifs, coûte cher à la collectivité et son application est potentiellement source d’injustice sociale. Ce bilan conduit à s’interroger sur l’intérêt des régimes non prohibitionnistes que sont la dépénalisation et la légalisation de l’usage et du commerce de cannabis.
Alternatives à la loi du 31 décembre 1970
41Les régimes de gestion des drogues et des toxicomanies sont multiples et variés, pouvant aller de la libéralisation du marché à un régime de prohibition absolue en passant par l’instauration d’un marché réglementé avec un monopole d’État par exemple (Massin, 2006). Nous envisagerons ici deux régimes spécifiques : celui de la dépénalisation de l’usage (à l’instar de la politique portugaise) et celui de la légalisation dont nous discuterons la principale incertitude empêchant une évaluation ex ante.
42Ces régimes, en réduisant ou supprimant les sanctions liées à l’usage, ont pour effet de réduire le coût social ainsi que le coût supporté par les consommateurs. Néanmoins, si le coût pénal diminue, le prix payé pour consommer peut augmenter ou diminuer, compensant ou accentuant la baisse du coût pénal. Dès lors, l’évolution des niveaux de prévalence est incertaine, rendant du même coup incertains les bénéfices que l’on peut attendre de ces régimes relativement au régime actuel. Nous discutons de ces points.
Dépénalisation de l’usage de cannabis
43Obradovic (2012) met en exergue que les régimes de dépénalisation de l’usage de cannabis sont différemment entendus en Europe. Néanmoins, le fait de dépénaliser revient à « supprimer l’interdit pénal » ou encore à extraire le comportement d’usage du champ pénal. Dès cet instant, il peut être appliqué à l’usager des sanctions administratives ou des injonctions thérapeutiques.
44À l’instar de pays expérimentant des formes de dépénalisation (États-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Australie, République tchèque), en 2001, le Portugal a dépénalisé l’usage et la détention de drogues illicites, pourvu que celles-ci soient considérées pour usage personnel. L’originalité de la politique portugaise de dépénalisation est, outre le fait qu’elle sanctionne administrativement plutôt que pénalement la détention de stupéfiants, qu’elle oriente l’usager convaincu de dépendance ou de problèmes sanitaires vers le système de soin [6]. Hughes et Stevens (2010) ont réalisé une évaluation de l’initiative portugaise au regard des indicateurs classiques de prévalence, de morbi-mortalité et de criminalité. Non seulement les prévalences d’usage de drogues n’ont pas significativement augmenté depuis 2001 [7], mais surtout l’usage problématique aurait diminué, tout comme la mortalité par surdose. Également, un point commun entre l’évaluation portugaise et d’autres évaluations de système de dépénalisation (MacCoun et Reuter, 2001) est que le système pénal s’en trouve désencombré. Le coût social des drogues illicites s’en trouve diminué.
45Pour évaluer ce qu’un tel régime de gestion de l’usage de cannabis pourrait représenter en France, il convient de se référer au tableau 1 présentant le coût social de cette substance. Si nous admettons que 9 individus sur 10 confrontés à la politique répressive pour ILS sont de simples usagers, ce sont 90 % des dépenses publiques attribuables à la répression qu’il faudrait amputer au coût social en cas de dépénalisation de l’usage. Le coût de la répression étant évalué à 523,5 millions d’euros, une dépénalisation de l’usage minimiserait le coût social du cannabis de 471 millions d’euros d’activités répressives et judiciaires ; soit la moitié du coût social. La mise en place d’un tel régime après révision de la loi de 1970 serait économiquement justifiée.
Légalisation et incertitudes
46Il n’existe à ce jour aucun exemple de légalisation du cannabis dans le monde [8], et ceci constitue bien évidemment la première difficulté d’évaluation ex ante de ce que ce mode de gestion des drogues pourrait impliquer. D’une libéralisation du marché au contrôle étatique de la distribution de cannabis par un monopole d’État, différentes configurations pourraient exister. La panoplie d’une légalisation du cannabis est infinie et il est impossible d’anticiper les conséquences de toutes les possibilités proposées par un régime légal des substances psychoactives.
47Spécifiquement au cannabis, la seconde difficulté tient en la méconnaissance du comportement du consommateur. En effet, une des variables cruciales autorisant une évaluation de l’impact d’une légalisation est la sensibilité de la demande au prix. En fonction de l’augmentation ou de la diminution du prix du cannabis (sous n’importe quel régime de légalisation) et de la sensibilité des consommateurs à ces variations de prix, les conséquences du changement de régime pourraient être différentes. Si le prix diminue et que non seulement les consommateurs actuels, mais aussi les individus n’ayant jamais consommé sont sensibles à la baisse du prix, on peut en attendre une forte augmentation des prévalences et donc des conséquences sanitaires attribuables [9]. Au contraire, si les individus ne sont pas sensibles aux variations de prix, la situation actuelle perdurerait.
48Si le prix augmente (ce qui a de fortes chances de se produire en cas d’une légalisation par monopole d’État) [10], encore une fois les conséquences dépendent de la sensibilité au prix de la demande. Dans le cas d’une sensibilité de la demande, les prévalences peuvent bien évidemment diminuer, mais il serait aussi probable que des stratégies de contournement voient le jour, avec en particulier, soit un accès au cannabis par autoculture (Ben Lakhdar et Weinberger, 2011), soit un retour des consommateurs sur le marché noir, qui rationnellement fournirait du cannabis à un prix moindre. On assiste actuellement à ce phénomène suite aux augmentations du prix du tabac de ces dernières années (Ben Lakhdar, 2008). Il faudrait en conséquence réintégrer le coût des actions répressives dans le calcul du coût social du cannabis (qui pourrait réaugmenter de ce fait même en cas de légalisation). Dans le cas d’une insensibilité de la demande, encore une fois, les consommateurs ne réagiraient pas aux augmentations de prix.
49L’élasticité-prix de la demande de cannabis a fait l’objet de quelques investigations contradictoires. Aux États-Unis, pour des périodes et des populations différentes (respectivement des jeunes adultes de 12-39 ans, des étudiants californiens, des usagers quotidiens), les estimations se sont révélées être soit non significatives (Desimone et Farelli, 2003), soit faiblement élastiques (Nisbet et Vakil, 1972), soit fortement élastiques (Rhode et al., 2002). En Australie, Williams (2004) trouve une élasticité très faible de la demande de cannabis en population générale. Le seul travail français portant sur cette question est celui de Ben Lakhdar et al. (2012) et conclut à une forte élasticité de participation. Les estimations ont toutefois été effectuées sur des consommateurs quotidiens de cannabis. En conséquence, une hausse du prix du cannabis consécutive à un régime de légalisation inciterait ces consommateurs à consommer moins. On ne sait rien cependant de l’élasticité de la demande conditionnelle qui elle seule pourrait nous informer du comportement des non-consommateurs. Autrement dit, à l’heure actuelle, les connaissances manquent pour prévoir une diminution ou non des prévalences suite à une hausse du prix du cannabis qui résulterait d’un changement de régime légal.
Conclusion
50La loi de 1970 interdisant la détention, l’usage et le trafic de stupéfiants n’atteint pas ses objectifs ; ceci étant d’autant plus vrai pour le cannabis, substance illicite la plus consommée en France avec 1,2 million de Français consommateurs dans le mois. L’intensification de la mise en œuvre de cette loi, à travers l’activité policière, n’a eu que peu ou prou d’effet sur le nombre de consommateurs ou sur le prix de la substance, alors même que la répression doit agir comme une taxe sur le marché. Cette implémentation de la loi a un coût et il ressort de l’analyse du coût social du cannabis que le coût de mise en œuvre de la loi est plus élevé que le phénomène qu’elle cherche à combattre. En plus d’être inefficace à atteindre les objectifs qu’elle se fixe, la loi de 1970 est inefficiente : certaines ressources publiques apparaissent être gaspillées. De plus, l’activité policière, bras armé de l’implémentation de la loi de 1970, pourrait être à l’origine d’iniquité puisqu’elle ne s’applique qu’à une certaine catégorie de la population française, celle qui constitue la « clientèle policière ».
51Au regard de cette évaluation, il serait économiquement justifié de modifier la politique de gestion du cannabis. Alors qu’un régime de dépénalisation de l’usage présenterait l’intérêt de pouvoir économiser ou de réallouer des ressources publiques actuellement utilisées à mauvais escient, trop d’incertitudes perdurent pour pouvoir évaluer ex ante ce que serait un régime de légalisation. En particulier, le comportement des consommateurs de cannabis vis-à-vis des variations de prix du cannabis est à ce jour encore trop peu documenté. Ceci constitue évidemment un agenda de recherche passionnant.
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Mots-clés éditeurs : légalisation, loi, coût social, cannabis, dépénalisation, France
Mise en ligne 26/09/2013
https://doi.org/10.3917/psyt.191.0027Notes
-
[1]
Décret n°98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l’évaluation des politiques publiques.
-
[2]
Comme le fait fort justement remarquer un des rapporteurs de l’article, il convient de souligner ici que le cadre théorique de cette évaluation se construit autour de la modélisation d’un individu rationnel. Comme toute modélisation, la complexité du réel s’en trouve, de fait, réduite.
-
[3]
Le prix de la résine est entre 3 et 5 euros le gramme à la vente de détail, l’herbe aux alentours de 7-8 euros en 2010. L’évolution des prix proposée par ces auteurs ne tient pas compte de l’inflation, laissant à penser que les prix de ces produits ont finalement beaucoup plus diminué en termes de pouvoir d’achat.
-
[4]
Nous raisonnons ici « toutes choses égales par ailleurs » puisque le prix du cannabis est multifactoriel (état de la concurrence et de la demande, conditions climatiques, saisies douanières internationales, conditions politiques des pays producteurs, etc.). Par exemple, Ben Lakhdar et Weinberger (2011) défendent l’idée d’une baisse du prix de la résine suite à l’apparition de nouvelles offres d’herbe de cannabis, que celle-ci soit autoproduite ou fournie par d’autres groupes criminels.
-
[5]
Voir la Classification Internationales des Maladies (CIM) 10e édition.
-
[6]
Les usagers présentant des problèmes sanitaires sont généralement des consommateurs d’héroïne ou de cocaïne.
-
[7]
La dépénalisation diminue le coût supporté par les consommateurs puisqu’ils n’encourent plus de sanctions pénales. On aurait dès lors pu s’attendre à une augmentation des prévalences. En effet, à satisfaction de consommation inchangée, le coût lié à la consommation a baissé, incitant potentiellement de non-consommateurs à le devenir.
-
[8]
Au moment où nous écrivons cet article, deux États américains viennent de voter un cadre de légalisation du cannabis, il s’agit des États du Colorado et de Washington.
-
[9]
Dans l’élasticité-prix de la demande, il faut distinguer deux composantes : d’une part, l’élasticité de participation qui concerne des individus déjà consommateurs qui peuvent diminuer ou augmenter les quantités consommées en fonction des variations de prix et, d’autre part, l’élasticité de demande conditionnelle qui elle concerne les individus non-consommateurs mais qui suite à une baisse de prix pourraient le devenir.
-
[10]
Sans pression concurrentielle, la théorie économique nous dit que le monopole restreint les quantités mises sur le marché et augmente de ce fait le prix du produit considéré. De plus, un monopole d’État appliquerait certainement un niveau de taxes élevé sur ce type de produit.