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Article de revue

Les ECIMUD et leur rôle dans le champ de la réduction des risques en toxicomanie

Pages 31 à 43

Notes

  • [1]
    Assistance Publique, Hôpitaux de Paris
  • [2]
    Fondation Européenne des Intervenants en Toxicomanie

Introduction

1 Les ECIMUD, acronyme signifiant « Équipes de Coordination et d’Intervention auprès des Malades Usagers de Drogues », se sont implantées à partir de 1995 dans les hôpitaux parisiens (AP-HP [1]). Il s’agit d’équipes transversales intervenant lorsqu’un patient est hospitalisé pour des raisons somatiques et qu’il se trouve, par ailleurs, que ce patient est consommateur de drogues. La mission principale de ces équipes est d’assurer l’adéquation délicate entre pratique de soins hospitalière et données propres aux conduites toxicomaniaques. L’objectif est que l’usager de drogues, avant tout dans ce contexte usager de soins, puisse bénéficier d’une même prise en charge soignante que n’importe quel autre patient.

2 Les ECIMUD constituent un dispositif qui se veut intra-hospitalier, même si dans la pratique il se vit de façon plus ouverte sur la ville. En particulier, le temps de l’hospitalisation est un temps de rencontre avec l’usager de drogues qui ouvre de nombreuses perspectives en matière d’accompagnement, mais aussi de prévention. Pourtant, les ECIMUD occupent une place très particulière dans l’ensemble des structures de réduction des risques (boutiques, CSST, etc.). En effet, elles ne semblent pouvoir être classées ni dans les structures de bas seuil, ni dans celles de haut seuil, car elles doivent s’adapter à toutes les demandes des usagers alités qui peuvent concerner ces deux champs.

3 Aussi, les ECIMUD sont des structures « hybrides » dont l’action est difficilement catégorisable. On peut alors se demander quelle place elles occupent dans le champ des dispositifs de réduction des risques en toxicomanie, et quelle légitimité ces équipes possèdent dans ce domaine. En d’autres termes, nous posons la question de savoir si l’hospitalisation de l’usager de drogue pour raison somatique constitue réellement un temps propice de sensibilisation à la réduction des risques dans le domaine de la toxicomanie, et si oui, comment ce travail peut s’organiser du mieux possible. Notons que cette sensibilisation doit évidemment se réaliser en parallèle aux soins prodigués, qui constituent une priorité, car toute restauration corporelle éloigne d’autant un enjeu vital possible.

4 En effet, nous connaissons tous, peu ou prou, le parcours des patients dont nous croisons la route et les nombreuses descriptions et analyses qui sont faites de ces parcours dans un cadre plus général et théorique : rencontre avec le produit, phase d’accrochage, installation de la dépendance, remaniements de tous ordres dans la vie de l’usager pour satisfaire sa dépendance, etc. Des parcours aux fins diverses, dont cependant une constatation se dégage : le risque passe par la mise en jeu de son propre corps, de son intégrité physique, et engage bien souvent le pronostic vital pour l’usager.

5 Ainsi, ce peut être, par exemple, lors d’une hospitalisation pour abcès suite à une injection hasardeuse que la première rencontre avec des spécialistes de la dépendance va se faire. Il peut arriver également que les ECIMUD interviennent auprès d’un patient qui est déjà encadré par ailleurs pour sa toxicomanie et hospitalisé pour un problème somatique vraiment tiers (fracture suite à un accident de la voie publique par exemple). Là, bien souvent, les ECIMUD interviennent pour assurer un travail de liaison entre praticiens ou centres référents et le cadre hospitalier.

6 Pour autant, la rencontre avec des soignants spécialisés en toxicomanie n’engage pas forcément un accrochage (dans ce domaine comme dans d’autres !), c’est-à-dire que cette rencontre va se faire (bien souvent) sans démarche initiale de l’usager pour soigner son addiction, autant dire que cette rencontre se fait initialement sans forcément une demande de la personne concernée. Dans ce cadre, se poser la question du lieu « hôpital » pour répondre à une demande annexe à la toxicomanie mais qui va mener à une approche de celle-ci revient à se poser la question de savoir si l’on peut intervenir auprès du patient sans demande de sa part.

7 Vont alors intervenir plusieurs facteurs : le déni du patient concernant sa consommation et les risques qu’il prend, ou simplement le souhait de ne rien en dire, à quelle étape de sa vie nous faisons quasiment irruption, ce qu’il va être capable de percevoir de cette proposition d’aide et enfin notre propre capacité à proposer une réponse adaptée à sa situation. Ces facteurs vont constituer la trame de l’intervention et de la présentation du dispositif ECIMUD, que nous illustrons ici à l’aide de notre expérience au sein de l’hôpital Bicêtre.

Objectifs des ECIMUD et réduction des risques

8 Quatre objectifs principaux guident le travail des ECIMUD :

  • Permettre une meilleure prise en charge des malades toxicomanes lors des hospitalisations. Ceci implique à la fois d’intervenir au lit du malade à la demande des équipes soignantes pour conseiller au traitement de l’addiction, et évaluer la demande propre au patient pour pouvoir y répondre. Sur un plan purement fonctionnel, il s’agit aussi de pouvoir adapter des prescriptions antalgiques (comme les morphiniques) en fonction de la consommation antérieure du patient, avec en amont un difficile dépistage de ce qui est de l’ordre de la douleur et ce qui est de l’ordre de la dépendance.
  • Assurer le suivi des sevrages, le cas échéant. Les ECIMUD ne disposant pas de lits d’hospitalisation, il s’agit de sevrages menés dans des services spécifiques, en psychiatrie et médecine interne principalement.
  • Former les équipes cliniques à la prise en charge des personnes toxicomanes. Ces formations peuvent être soit formelles (cours, conférences) soit informelles (lors des retours faits à propos d’un patient ou lors de réunions d’équipe).
  • Organiser la prise en charge des patients usagers de drogue à la sortie de l’hôpital. Il peut s’agir d’une orientation pour suivi (médecin de ville, association, etc.), d’un centre de cure ou de postcure, d’une continuation de suivi par l’équipe ECIMUD en consultation externe, ou bien des mesures plus particulières (famille d’accueil, appartement thérapeutique, stage de formation, etc.).

9 Au tout début, les ECIMUD ont accompagné le mouvement de la réduction des risques en toxicomanie. Pour autant, leur place était singulière. Elles visaient avant tout à rendre les hospitalisations le moins problématiques possible, mais si un travail plus conventionnel de réduction des risques devait s’engager (inscription dans un programme de substitution, etc.), il n’était pas le fait des ECIMUD mais d’autres structures auxquelles elles adressaient le patient après son hospitalisation.

10 En effet, les ECIMUD ont été pensées comme des structures temporaires et transitoires, avec des objectifs fixes. Pour autant, avec plus de sept ans de recul, on peut dire que leur action se pérennise. Ainsi, le travail de formation doit être constamment renouvelé (lors de l’accueil des nouveaux internes, du « turn over » des équipes paramédicales, etc.). Également, l’accompagnement au sevrage et le travail d’orientation sont toujours d’actualité. Par contre, l’objectif premier (une meilleure prise en charge des patients hospitalisés) est pour une bonne part atteinte. Les ECIMUD ont ainsi permis que les hospitalisations des usagers de drogues se passent mieux. Les sorties contre avis médical sont devenues rarissimes et une meilleure formation et information des personnels soignants ont permis aux mentalités de changer : l’usager de drogues est beaucoup moins stigmatisé.

11 En parallèle et pour des raisons que nous allons aborder, les équipes ECIMUD ont commencé à effectuer un travail beaucoup plus large et non initialement prévu. Par exemple, la mise sous substitution à l’hôpital avec un suivi post-hospitalier par l’ECIMUD est une activité qui ne fait pas partie des objectifs initiaux de ces équipes mais qui s’est généralisée. Pour autant, cette activité, comme d’autres (don de jetons pour des échangeurs de seringue, par exemple) est encore tacite, et variable d’une équipe ECIMUD à l’autre.

Légitimité des ECIMUD

12 Les liens entre la médecine et la toxicomanie ont toujours été complexes, partageant des produits communs. Chacune à leur manière, la pratique médicale et la pratique toxicomaniaque relèvent du soin. Pour la médecine, cette notion est évidente. Pour la toxicomanie, on trouve dans la littérature la notion d’automédication, c’est-à-dire une tentative anarchique vers le bien-être du corps et de l’esprit.

13 Ainsi, un patient usager de drogues hospitalisé, c’est la rencontre entre deux mondes qui se rapprochent et qui sont pourtant aux antipodes l’un de l’autre. Ces périodes étaient doublement mal perçues :

Du côté de l’usager :

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  • Difficulté à se plier aux règles strictes de l’hospitalisation
  • Peur ou confrontation au manque
  • Difficulté à mettre entre parenthèses des comportements addictifs
  • Confrontation au jugement des soignants et à leurs possibles contre réactions

Du côté des soignants :

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  • Difficulté à faire respecter les règles hospitalières, à favoriser la compliance du patient aux traitements
  • Difficulté à adapter leurs pratiques aux demandes du patient
  • Manque de formation et incompréhension
  • Représentations stéréotypées et négatives envers l’usager de drogue

16 Ceci explique que pendant longtemps, lorsqu’un patient usager de drogue devenait usager de soins, l’hospitalisation se soldait souvent par une sortie contre avis médical. Problèmes relationnels, actes de malveillance, patients en manque, compliquaient à la fois la prise en charge somatique du patient mais aussi mettaient en danger à la fois les usagers comme les équipes de soin. Par ailleurs, un fort sentiment d’impuissance existait chez les soignants, avec l’impression d’un rendez-vous manqué, qu’ils possédaient des moyens de pouvoir venir en aide au patient, sans parvenir à exprimer cette aide.

17 Le changement des mentalités dans le domaine de la toxicomanie (prévenir et encadrer plutôt que réprouver et punir), une politique plus tournée vers la réduction des risques, a permis de repenser le temps de l’hospitalisation des usagers de drogue et de modifier progressivement les mentalités. En 1995, apparaissent les premières ECIMUD, à l’initiative des pouvoirs publics et de quelques individualités médicales.

18 Le dispositif a fait ses preuves et va se généraliser progressivement à l’ensemble des hôpitaux parisiens. La plupart des ECIMUD ont une approche pluridisciplinaire s’articulant autour d’une stratégie d’équipe cohérente, perceptible pour tous, y compris par l’usager de drogues. Ces équipes sont transversales, elles vont au chevet du patient, à la demande des services. Les demandes sont variables : de l’évaluation à la gestion des conflits.

19 Le plus souvent, médecins, infirmiers, psychologues, assistantes sociales, composent ces équipes et ce, de façon à pouvoir répondre à toute problématique présentée par l’usager de soins. Même si, avant tout, il s’agit d’un travail d’équipe, chaque intervenant va avoir son rôle propre. Ainsi, schématiquement :

  • Le médecin est prescripteur, il va être en charge de l’évaluation du degré de dépendance du patient et de la mise en place des mesures à prendre pour lui éviter le manque. Son travail répond à l’idée que la dépendance est le substrat à la prise de risques.
  • L’infirmier est le référent, il est à l’articulation entre l’individuel du patient et le général du soin, il engage directement un travail de réduction des risques avec l’usager et veille à ce que l’hospitalisation se déroule le mieux possible, pour tous. Le cas échéant, il assure également l’interface entre l’hôpital et les intervenants externes de l’usager de drogues
    (CSST, etc.). Son travail répond à l’idée que la consommation est l’instrument de la prise de risque du patient.
  • L’assistante sociale est celle qui prépare l’après de l’hospitalisation, fait un point avec le patient sur sa situation sociale, et travaille avec lui sur cette dimension. Elle effectue également si nécessaire un travail auprès des familles. Son action correspond à l’idée que les failles sociales facilitent la prise de risques du patient.
  • Le psychologue est celui qui aide le patient à « poser ses valises », et tente si nécessaire de donner du sens à ce qui ne semble pas en avoir, tant aux équipes de soin qu’au patient. Son travail répond à l’idée que les failles psychologiques sont le moteur à la répétition des risques et entretiennent la dépendance.

20 Le rattachement des équipes ECIMUD est variable, fonction des politiques individuelles de chaque hôpital, et de l’inscription d’origine des médecins responsables. On distingue trois rattachements principaux :

  • Directement à l’administration de l’hôpital, comme un service à part entière.
  • Au service de psychiatrie, ce qui inscrit la toxicomanie dans le champ des troubles des conduites, une psychopathologie sous-jacente à la consommation se retrouvant assez communément.
  • Au service de la Médecine Interne, ce qui inscrit la toxicomanie dans le champ des pathologies qui réclament une vision ouverte, avec l’appel à des domaines de soins plus spéciaux, comme la douleur, la psychiatrie, la neurologie, etc.

Comment fonctionnent les ECIMUD ?

21 En premier lieu, les ECIMUD interviennent sur demande, soit directement des équipes de soin, soit de l’usager mais même dans ce cas, la demande est transmise par le service où il se trouve hospitalisé. Suit un premier entretien avec le patient, axé sur la demande exposée dans un premier temps, avec un retour à l’équipe ayant sollicité notre intervention.

22 Les motifs de demande sont variables, ils sont l’objet de la première évaluation des équipes ECIMUD.

Venant directement des équipes :

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  • Le patient a déclaré lors de l’entretien d’admission consommer des stupéfiants. L’équipe souhaite un encadrement global du patient, sans autre objectif que celui-ci. Notons tout de même qu’il s’agit à la fois du cadre d’intervention que nous considérons comme le plus abouti.
  • La demande intervient parce que le patient est usager de drogues, et le service souhaite prévenir le manque.
  • Le service se trouve en difficulté que ce soit dans son évaluation clinique, sur le plan relationnel ou pour un autre problème spécifique (par exemple pour faciliter la compliance, ou quand il est souhaité de prévenir des contre attitudes).
  • Enfin, il peut s’agir d’une décharge de l’équipe, qui ne souhaite pas se confronter à un patient trop demandeur.

Demandes venant du patient :

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  • Parce qu’il souhaite arrêter de consommer.
  • Parce qu’il est déjà suivi (CSST, médecin généraliste…), et souhaite ne pas rencontrer de difficulté de prise en charge, de délivrance de substitution.

L’ECIMUD de Bicêtre

25 La création de l’ECIMUD de Bicêtre date d’octobre1996, à l’initiative du Docteur Thierry Sainte-Marie et du Professeur Jean-François Delfraissy, chef de service de Médecine Interne et infectieuse, auquel est rattachée cette unité. Cette inscription nous situe dans un champ médical ouvert, et en même temps marque notre préoccupation pour les infections co-morbides pouvant intervenir dans le champ de la toxicomanie. Il est en effet inutile de rappeler combien l’infection à VIH a accéléré la politique de réduction des risques en toxicomanie.

26 Entre 1997 et 2001, plus de 650 usagers de drogue ont été vus par l’ECIMUD, avec en 2001 une file active de 198 patients, et 11 nouveaux patients en moyenne par mois. Si dans les statuts des ECIMUD n’est pas inscrite l’activité de consultations externes, pour autant elle est devenue rapidement incontournable.

27 Au travail intra-hospitalier de réduction des risques (gestion des comportements de l’usager durant le temps d’hospitalisation comme les shoots, actes d’information et de prévention auprès de celui-ci, distribution de jetons pour échangeurs de seringue et de préservatifs) et de formation du personnel dans ce sens, s’ajoute un travail extra-hospitalier. Outre les actions de prévention en milieu scolaire et la formation des futurs professionnels (élèves infirmiers, étudiants en médecine, etc.), l’ECIMUD mène également des actions de terrain. Ainsi a été mis en place en 2000 un Distribox® (échangeur de seringues) à proximité de l’hôpital, avec l’aide de la Mairie du Kremlin-Bicêtre et de différents services sanitaires et sociaux. Enfin, la réalisation d’enquêtes et l’organisation de rencontres interprofessionnelles (médecins de ville, pharmaciens, etc.) permettent une meilleure sensibilisation des acteurs de soins en matière de réduction des risques dans le champ de la toxicomanie.

L’organisation du travail

28 Comme nous l’avons indiqué, l’appel du service est le point de départ à notre travail. Lorsque celle-ci est clairement identifiée, la rencontre avec le patient s’organise. L’infirmier de l’équipe est à la fois celui qui reçoit les demandes et qui se déplace en première intention. Autant que faire se peut, on fait en sorte que deux personnes de l’équipe voient le patient pour le premier entretien. Le choix du second se fait en fonction de la demande, mais également des disponibilités de ceux-ci au moment où l’équipe intervient. Par exemple, s’il s’agit d’une évaluation de la consommation de l’usager, le médecin interviendra avec l’infirmier. S’il s’agit plutôt d’une gestion de conflit, l’accompagnant sera le psychologue. Nous essayons en tout cas de répondre à la demande des équipes le plus rapidement possible, et le plus souvent nous intervenons dans les deux heures où nous parvient celle-ci.

29 Le premier entretien, mené en binôme, est de structure assez classique, avec le type de consommation, l’environnement, les pratiques, etc. La priorité est pour nous l’adéquation de l’usager de soin avec la structure hospitalière. La bonne tenue du temps d’hospitalisation est privilégiée, puisque c’est cela qui va nous permettre d’engager une démarche de réduction des risques et de prévention.

30 Lors de cet entretien également, nous fixons avec l’usager un objectif de soin, de nature assez variable car très dépendant des souhaits qu’il exprime : éviter le manque, début de suivi en vue de l’abstinence, modification de ses pratiques à risques, etc. Parfois, le patient ne souhaite pas d’aide particulière, ou reste dans le déni de sa consommation. Une proposition de nouveau rendez-vous est faite, libre à l’usager d’accepter ou de refuser. Dans tous les cas, le patient repart avec nos coordonnées en poche, dont il usera ou non.

31 En fonction de la demande initiale et du désir du patient, nous proposons le passage régulier des intervenants qui semblent les plus à même de convenir à la réalisation des objectifs fixés. Ces visites sont variables selon les situations, et vont d’une rencontre hebdomadaire à une rencontre journalière, mais rarement plus d’un intervenant ECIMUD par jour, pour ne pas harceler le patient, ni se substituer au travail des équipes de soins.

32 Il est possible, après avoir suivi en hospitalisation le patient, de proposer une orientation si nécessaire et acceptée par celui-ci. Mais parfois, il est plus aisé de favoriser le suivi post-hospitalier au sein même de l’hôpital, via des consultations dans les locaux de l’ECIMUD en externe. Les raisons peuvent être multiples : pérenniser un contact positif et fructueux, ou plus matériellement pour ne pas multiplier les lieux de consultation pour un patient qui, par exemple, a déjà des rendez-vous périodiques à l’hôpital (hôpitaux de jour principalement). La ligne directrice de ce travail est alors de partir du symptôme pour arriver progressivement à ne plus se centrer sur la toxicomanie mais sur la personne du toxicomane. Pour autant, une simple demande de « soutien » peut s’entendre (problèmes familiaux, financiers…), hors demande directe de prise en charge de la consommation, tout en sachant que cette question se fera jour lors du suivi.

33 Comme nous l’avons vu, si le premier entretien se fait avec deux intervenants et que tous les intervenants de l’ECIMUD sont présentés verbalement à l’usager de drogues, les autres entretiens peuvent tout à fait ne concerner qu’une seule personne de notre structure. Pour autant, nous avons une réunion d’équipe chaque semaine de deux heures où se partagent autour de la table des informations de chacun des patients que nous suivons. Au secret professionnel individuel, nous préférons le secret partagé, facilité par le fait que nous sommes peu d’intervenants à l’ECIMUD. Les raisons de ce partage autour des patients sont multiples :

  • Que chacun connaisse le patient s’il est amené à le voir des mois plus tard, lors d’une nouvelle hospitalisation ou d’un passage aux urgences.
  • Que chacun puisse donner son sentiment, et proposer de nouvelles pistes d’aide à l’intervenant ECIMUD référent du patient.
  • Pouvoir être immédiatement opérationnel si un autre intervenant est sollicité par le patient.
  • Pouvoir donner des réponses claires et immédiates après la sortie du patient si celui-ci rappelle pour un motif quelconque, ou si un professionnel du soin nous contacte à propos de ce patient (médecin de ville, pharmacien, association, autre ECIMUD, etc.).

34 Par ailleurs, nous tenons à jour des fiches où sont notées pour chaque usager de drogues les informations qui le concernent à un temps « t » (type et mode de consommation, situation médicale et sociale, sa demande), mais également les personnes ECIMUD qu’il a rencontrées, ses contacts soignants habituels, ce qui lui a été dit et ce qui a été fait. Ceci facilite un prochain contact avec le patient, même à plusieurs années d’intervalle.

Quelques réflexions

35 La réduction des risques peut se définir comme « un ensemble d’actions à visée pragmatique, destiné à améliorer la santé et les conditions d’existence des usagers de drogues qui ne peuvent ou ne veulent stopper leur addiction » (ERIT [2]). Le lieu « hôpital » est un lieu de rencontre avec ces patients, aux détours de leurs déboires somatiques, mais apparaît comme un dispositif à l’efficacité fluctuante dans la définition stricte de ce qu’est la réduction des risques en toxicomanie. Par contre, nous rejoignons volontiers la notion de réduction des risques en tant que véritable philosophie d’intervention en toxicomanie, selon deux axes : pragmatique et éthique.

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  • Le côté pragmatique tout d’abord. Nous conservons de l’idée de réduction des risques l’observation de réalités concrètes, identifiables et mesurables comme point de départ de toute action. Mais, alors que la définition stricte mène à s’intéresser en priorité aux comportements dommageables liés à l’usage de drogues, notre approche se situe beaucoup plus au niveau du toxicomane et de son fonctionnement individuel. Nous sommes conscients néanmoins qu’aucune approche ne se suffit à elle-même et c’est la raison pour laquelle nous sommes à l’origine de l’implantation d’un échangeur de seringue en ville, près de l’hôpital, ou que nous nous attachons à ne pas mener un travail solitaire, mais en réseau avec les différents partenaires publics ou privés locaux.
  • Le côté éthique enfin. Il concerne la notion de « liberté de choix » (de vie, de consommation, etc.) des usagers. Pour nous en effet, en promouvant cette totale acceptation des usagers, la réduction des risques acquiert une adaptabilité importante et articulée à chaque individualité. Par ailleurs, épouser cette philosophie est souvent ce qui transforme une acceptation des usagers en une acceptation mutuelle, et permet d’ouvrir le champ de nos interventions. Ainsi, certains patients viennent consulter à l’hôpital
    (lieu peu identifié comme aidant en première intention dans les problèmes de consommation toxicomaniaques) car l’adresse leur a été fournie par des patients que nous suivons ou que nous avons suivis.

37 Cette position qui est la nôtre est loin d’être simple. En effet, nous naviguons constamment entre la demande d’un droit à consommer des drogues au risque minimum et se donner les moyens d’entendre la demande de pouvoir sortir de souffrances qui préexistent à la toxicomanie. Nous privilégions le désir du patient, mais doit-on le dire ? Parfois à regret. Même si la réduction des risques n’a pas comme objectif prioritaire l’abstinence ou la substitution, en redonnant au sujet lors d’une hospitalisation sa capacité à s’inscrire dans une évolution, nous pensons créer des conditions favorables à des changements individuels pour qu’une nouvelle demande puisse s’exprimer de la part du sujet.

38 Autre point notable de l’approche que nous avons en milieu hospitalier : ce moment constitue bien souvent soit une première rencontre avec la substitution, soit le moment d’une utilisation non détournée de celle-ci, visant à devenir un vrai facteur de diminution des risques à terme. En effet, ces produits sont à l’heure actuelle l’une des seules armes que nous possédons pour lutter contre le manque physique auquel se confronte le patient usager de drogues hospitalisé. Loin de nous l’idée d’assimiler substitution et résolution du problème de la toxicomanie, mais il est indéniable qu’il s’agit là d’une première étape qui, bien maniée dans une approche globale, peut s’avérer fructueuse. Certes, nous savons que cette approche substitutive est problématique chez certains acteurs de la politique de réduction des risques, mais pour autant nous n’hésitons pas à l’utiliser dans ce cadre précis, que ce soit en intra ou en extrahospitalier. Certes, nous ne sommes pas dupes de l’usage détourné qui peut être fait du Subutex® (injection, inhalation), ou de la consommation annexe à la prise de méthadone (alcool, cocaïne…). Mais l’expérience nous a prouvé qu’une attitude adaptée mais sans concession quant à l’éthique que nous avons exposée plus haut, permet un dialogue franc et constructif avec le patient, dans le sens des objectifs qu’il a défini.

Conclusion

39 En matière de réduction des risques en toxicomanie, on distingue classiquement les structures dites à haut et bas seuil. Chacune possède ses avantages et ses inconvénients, et il est important de faciliter la transition et la fluidité entre ces deux dispositifs. Les ECIMUD sont précisément à l’articulation entre les deux offres à l’usager de drogues. Son cadre d’exercice : le secteur hospitalier, son travail multi-champs : transversalité et consultations internes et/ou externes, la pluralité de son approche et de ses moyens d’intervention qui permettent l’accompagnement de l’usager le souhaitant d’étape en étape.

40 Précisément, il nous semble que ce qu’il reste à travailler en terme de prise en charge de l’usager de drogues est précisément cette articulation entre structure de bas et de haut seuil, dont le mariage reste encore difficile. Nous pensons notamment au fait qu’il existe depuis plusieurs années la possibilité pour une personne qui s’est éventuellement exposée au VIH (relation sexuelle non protégée, partage de seringue, etc.) de bénéficier d’un traitement préventif en se rendant aux urgences hospitalières avant 48heures. Cette information est très faiblement diffusée dans la population française, et a fortiori chez les usagers de drogues (moins de 0,5% des bénéficiaires de ces soins préventifs). On pourrait imaginer, entre autres, un vrai travail d’information notamment dans les centres méthadones, où il est parfois compliqué pour un usager de dire à son praticien que par ailleurs il continue à se shooter. Cette difficulté est la même dans tout lieu de délivrance de substitution, y compris chez les médecins généralistes prescripteurs de Subutex®. À quand la facilitation des échanges de seringues dans ces lieux ? Actuellement, on trouve plus aisément des patients ayant peur, à tort ou à raison, d’un discours moralisateur ou d’un discours autour de la perte de confiance. Les différents niveaux de réponse apportés en matière de toxicomanie sont une bonne chose : elles permettent d’être au plus proche de l’usager. Pour autant, on oublie parfois qu’il en va de même de la toxicomanie et des solutions sanitaires à l’usagede drogues : ces deux domaines excluent la linéarité de parcours, et rien ne peut être tenu pour acquis…
Reçu en avril 2002


Mots-clés éditeurs : Hospitalisation, Substitution, éduction des risques, ECIMUD

https://doi.org/10.3917/psyt.092.0031

Notes

  • [1]
    Assistance Publique, Hôpitaux de Paris
  • [2]
    Fondation Européenne des Intervenants en Toxicomanie

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