Notes
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[1]
Qu’il soit clair que cette formule ne signifie pas que la pratique des psychothérapies serait réservée aux médecins, mais que l’on restreint la réflexion aux psychothérapies envisagées comme des méthodes de soin pratiquées dans un contexte médical, quelle que soit la profession du psychothérapeute.
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[2]
Rose S., Bisson J., Churchill R., Wessely S. (2002) : Psychological debriefing for preventing post-traumatic stress disorder (PTSD). Cochrane Database of Systematic Reviews, Issue 2.
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[3]
Simon J., Piling S., Burbeck R., Goldberg D. (2006) : Treatment options in moderate and severe depression: decision analysis supporting a clinical guideline. Brit. J. Psychiat., 189 : 494-501.
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[4]
Benedetti F., Mayberg H.S., Wager T.D., Stohler C.S., Zubieta J.K. (2005) : Neurobiological Mechanisms of the Placebo Effect. The Journal of Neuroscience, 25 (45) : 10390-10402.
1Les trois premiers articles de ce numéro sont consacrés au traumatisme, thème de la journée scientifique de l’EFPP Suisse romande (European Federation for Psychoanalytic Psychotherapy) qui s’est tenue à Neuchâtel en décembre 2006. S. von Overbeck et G. Charbonnier ont accepté de mettre en forme leurs conférences, la première très clinique et la seconde plus théorique, afin qu’elles soient publiées dans Psychothérapies. L’article de M.-H. Séguin aborde ce même sujet de manière originale, en plaçant la rencontre entre le sujet et certains aspects de sa réalité familiale au cœur de son propos.
2E. de Perrot, dans un style à la fois élégant et tranchant, nous rend attentifs aux risques liés aux tentatives de tisser des liens entre neurosciences et psychanalyse, plus particulièrement lorsque certains neuroscientifiques viseraient à « vider la psychanalyse de sa substance ». Qu’il y ait des conflits sous-tendus par des prises de position idéologiques entre écoles de psychothérapie, ou entre sciences cliniques et sciences fondamentales, certes. Que chacun cherche à défendre son point de vue, cela va de soi. S’opposer aux dépositaires d’une vérité unique, par définition totalitaire, s’impose.
3Cela dit, l’hypothèse que certains des détracteurs les plus virulents de la psychanalyse soient pris dans un mouvement de réaction face à des abus analogues dont ils ont peut-être été les victimes, non pas tant de la psychanalyse comme telle, que des institutions qui s’en réclament et en ont fait leur métier, peut être émise sans risquer de trop s’avancer. Le tout biologique, qui semble d’ailleurs bien dépassé pour de nombreux scientifiques, les généticiens notamment, répond en partie au tout psychanalytique qui a prévalu dans les institutions de psychiatrie publique d’Europe et des USA et dans l’histoire des idées. Les débats passionnels consacrés à l’historiographie de la psychanalyse (voir par exemple l’article de E. Fazelder dans ce numéro consacré aux publications de et sur Freud) en sont un exemple parmi d’autres.
4Mais il est un domaine dans lequel cette opposition entre sciences expérimentales et psychanalyse, de même que l’exacerbation des tensions entre écoles de psychothérapie, nous fait courir des risques majeurs : en particulier celui de la psychothérapie médicale [1]. Développée en Suisse dans la première moitié du XXe siècle, consacrée par la création de la Société médicale suisse de psychothérapie (SMSPP) puis par la mise sur pied du double titre de psychiatre psychothérapeute FMH, cette conception novatrice du soin apporté aux patients souffrant de troubles psychiatriques ne va pas de soi et doit être développée et défendue plus que jamais.
5Le fait que plusieurs pays d’Europe mettent actuellement sur pied cette double formation, qui n’existe d’ailleurs pas encore en France où les psychiatres doivent se former par eux-mêmes et en dehors de tout cursus officiel, ne suffit pas à fonder sa légitimité et à nous permettre d’attendre de nos concitoyens qu’ils nous remercient pour l’excellence, l’humanité et l’éthique irréprochable de notre travail clinique.
6Plus spécifiquement, le débat suscité par l’application de l’OPAS (Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins) révisée a montré la difficulté dans laquelle nous sommes de pouvoir distinguer entre la psychothérapie au sens strict et les pratiques de soin que recouvre l’expression, assez peu élégante par ailleurs, de traitement psychiatrique psychothérapique intégré. Il y a là une zone grise, que l’on peut peut-être considérer comme l’incarnation du génie psychiatrique et psychothérapique suisse, mais qui suscite en même temps bon nombre de problèmes.
7Premier problème : la dimension psychothérapique de la relation médecin-malade a fait l’objet de très peu d’études et de très peu d’attention sur le plan des méthodes pédagogiques qui permettraient d’aboutir à une intégration optimale pour chaque médecin engagé dans cette formation. En Suisse alémanique, la formation à la psychothérapie se fait le plus souvent à l’extérieur des institutions, et la dimension intégrative se fait au moment de l’installation en cabinet. En Suisse romande, la psychothérapie est enseignée en institution, mais il est souvent admis que l’alliage entre psychiatrie et psychothérapie se fait de lui-même, éventuellement favorisé par l’accompagnement des superviseurs du travail psychiatrique ou psychothérapique.
8Deuxième problème : bon nombre de psychothérapeutes ont dénoncé la dérive syndromique et athéorique incarnée par le DSM-III et ses successeurs. Paradoxalement, ne risque-t-on pas de renforcer ce mouvement en qualifiant de psychothérapique tout ce qui renvoie à la psychopathologie et à la relation médecin-malade ? En d’autres termes, la sensibilisation à ce que l’on dénommait il y a quelques décennies « psychologie médicale » ne semble possible que sous l’étiquette de « psychothérapie ». L’intérêt des médecins de premier recours pour des formations plus ou moins complètes à la psychothérapie, plutôt qu’à tenter de mieux délimiter et renforcer ce qui fait le propre de leur approche holistique (littéralement psychosomatique) du patient, nous semble participer au même mouvement.
9Troisième problème : à défendre le traitement psychiatrique et psychothérapique intégré sans mieux le définir, il y a aussi un risque d’affaiblir la psychothérapie au sens strict. Quelles que soient les écoles, les critères de formation sont comparables et exigeants. Et il n’est pas assuré que les détenteurs d’un titre aient tous pu bénéficier d’une formation suffisante en raison des difficultés à pratiquer ces traitements dans les institutions de psychiatrie publique qui font office de lieux de formation.
10Mais en quoi ces réflexions ont-elles à voir avec la question du lien ou de l’opposition entre neurosciences et psychanalyse, ou entre écoles de psychothérapies ? Tout simplement par le fait que la possibilité de conduire des protocoles d’évaluation des psychothérapies pratiquées en psychiatrie permet de mieux définir nos pratiques, de les mettre en forme de manière à pouvoir les enseigner, ainsi que d’évaluer leur portée. La recherche permet aussi de générer de nouvelles questions, qu’il est parfois difficile d’entrevoir lorsqu’on est pris dans la pratique clinique quotidienne. Enfin, les études effectuées dans le domaine des psychothérapies démontrent clairement l’efficacité de ces traitements, mais aussi leur économicité. Il devient surtout urgent de diffuser ces résultats auprès de nos concitoyens et des autorités politiques.
11Quelques exemples : c’est une démarche rigoureuse, sous l’égide de l’evidence based medicine, qui a permis de mettre en évidence l’aspect délétère du debriefing dans le traitement de l’état de stress post-traumatique [2]. Les dernières études publiées sur le traitement combiné des dépressions majeures récurrentes [3] montrent l’avantage clinique, mais aussi l’économicité des traitements combinés, antidépresseurs et psychothérapies spécifiques, sur une monothérapie, ou contre un traitement standard en médecine de premier recours (treatment as usual).
12Plus marquant : une revue récente [4] a rappelé les résultats de deux études permettant de comparer les effets d’un antidépresseur, d’une psychothérapie comportementale et cognitive et d’un groupe de patients sous placebo (contre l’antidépresseur) au moyen de la neuro-imagerie. Résultat : antidépresseur et psychothérapie ont à la fois des sites d’action communs et spécifiques ; parallèlement, le placebo, dont l’amplitude d’effet équivaut à 80-90% de l’antidépresseur, a des effets comparables non pas à ceux de la psychothérapie, mais au substrat pharmacologique (!). D’où la conclusion des auteurs : l’effet placebo n’est pas assimilable à une vague psychothérapie de soutien, mais à un conditionnement basé très spécifiquement sur les attentes des effets du médicament étudié.
13En résumé, le développement de facto des traitements psychiatriques psychothérapiques intégrés est essentiel à une psychiatrie de qualité. Cela dit, dans le même temps que leur spécificité nécessiterait d’être mieux comprise, les recherches les plus récentes tendent à confirmer le poids de plus en plus important des psychothérapies au sens strict dans le traitement des troubles psychiatriques, y compris pour les patients les plus gravement touchés par la souffrance psychique.
Notes
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[1]
Qu’il soit clair que cette formule ne signifie pas que la pratique des psychothérapies serait réservée aux médecins, mais que l’on restreint la réflexion aux psychothérapies envisagées comme des méthodes de soin pratiquées dans un contexte médical, quelle que soit la profession du psychothérapeute.
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[2]
Rose S., Bisson J., Churchill R., Wessely S. (2002) : Psychological debriefing for preventing post-traumatic stress disorder (PTSD). Cochrane Database of Systematic Reviews, Issue 2.
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[3]
Simon J., Piling S., Burbeck R., Goldberg D. (2006) : Treatment options in moderate and severe depression: decision analysis supporting a clinical guideline. Brit. J. Psychiat., 189 : 494-501.
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[4]
Benedetti F., Mayberg H.S., Wager T.D., Stohler C.S., Zubieta J.K. (2005) : Neurobiological Mechanisms of the Placebo Effect. The Journal of Neuroscience, 25 (45) : 10390-10402.