Notes
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[1]
Conférence présentée au Congrès annuel de psychiatrie AMPQ, Château Mont-Tremblant, 18 juin 1998, et à la Journée des résidents de psychiatrie de l’université Laval, Château Frontenac, Québec, 9 mai 1997.
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[2]
Psychiatre, professeur de clinique, Centre hospitalier de l’Université de Montréal – Hôpital St-Luc, Montréal, Québec, Canada.
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Psychiatre, Hôpital de l’Enfant-Jésus, Université Laval, Québec, Canada.
Introduction
1Dans la première partie du texte, les facteurs psychodynamiques impliqués dans le désir d’enfant et la grossesse ont été explorés. Dans cette deuxième partie, une analyse dynamique plus approfondie des différentes phases de la grossesse, du travail, de l’accouchement et de la période post-partum est élaborée. La grossesse, le travail, de même que l’accouchement se divisent en différentes phases. Chacune de ces étapes est caractérisée par un vécu psychique particulier.
Les phases de la grossesse
2La grossesse est composée de trois phases : l’incorporation, la rétention et l’expulsion (Kestenberg, 1956). Selon cet auteur, les représentations du vagin lors des différents stades développementaux contribuent aux différentes fonctions du rôle de mère. La représentation orale est à la source du désir d’incorporation vaginale nécessaire à l’initiation de la grossesse. La représentation anale contribue aux aspects de rétention de la grossesse et, avec les images urétrales, elle sert de modèle pour l’expulsion lors de l’accouchement. La séquence des régressions orale, anale et urétrale de chacune des trois phases de la grossesse correspond à celle des phases développementales de l’enfance. A travers ses régressions, chaque trimestre apporte au moi un nouveau gain.
L’incorporation
3La première phase de la grossesse se situe de la conception jusqu’aux premiers mouvements fœtaux couvrant approximativement les premiers quatre mois et demi de la grossesse. Les causes principales de l’expérience émotionnelle du premier trimestre sont les changements physiologiques de la grossesse (Rofe et al., 1993). Physiologiquement, le niveau sérique élevé de progestérone entraîne des malaises somatiques, des changements dans l’image corporelle (comme le gonflement des seins), ranimant ainsi les fantaisies et émotions de l’adolescence par rapport aux changements corporels. Certaines femmes, surtout celles ayant une perception négative de leur corps avant la grossesse (Bonnie, 1993) et celles qui au cours de leur adolescence avaient honte et dédain de la redistribution de la masse adipeuse (Pines, 1972), peuvent avoir de la difficulté à accepter les changements corporels induits par la grossesse. Cette insatisfaction croît avec la progression de la grossesse et peut culminer en post-partum (Strang et Sullivan, 1985). L’acceptation de l’image corporelle est un aspect important de l’identité maternelle (Flager et Nicoll, 1990).
4Des oscillations rapides de l’humeur sont également caractéristiques de cette phase. Certaines femmes, dès le début de cette première phase, ressentent du plaisir et un sentiment d’accomplissement suprême, marqué par une augmentation de l’investissement libidinal du soi (Pines, 1972), le retrait du monde objectal et une passivité accrue. Pour d’autres, cette phase est un épisode de dépression légère avec une augmentation de l’activité physique dans le but de nier ce nouveau sentiment de passivité. Pour les femmes aux aspirations plus masculines, il peut être difficile d’accepter l’état de dépendance accrue envers leur conjoint qu’imposent la grossesse et la tâche d’élever un enfant (ibid.). Il leur arrive d’envier la facilité que démontre leur conjoint à poursuivre librement ses ambitions intellectuelles et de carrière, surtout si elles se sentent frustrées dans leur désir de poursuivre leurs intérêts ou leur carrière choisie. Les thèmes d’anxiété communément rapportés au premier trimestre sont la peur d’avoir un bébé malformé ou « dévorant » et de faire une fausse couche (Ablon, 1994). Les rêves reflètent des sentiments de dépendance, d’impuissance, de perte de contrôle, de dédain de la malpropreté et des anxiétés par rapport au bébé anal et sale.
5Selon Judith Kestenberg (1976), cette phase est la période de transition durant laquelle la nidation est accomplie par l’établissement du placenta et la génitalité interne devient le centre d’un enrichissement narcissique. Cette phase se présente souvent comme une régression à la phase orale (Pines, 1972) incluant nausées, vomissements, rages alimentaires ou difficulté à préparer à manger, donnant ainsi l’opportunité au conjoint de supporter la future mère. Celle-ci peut également s’identifier au fœtus, comme dans ses fantaisies ; c’est l’enfant d’autrefois à l’intérieur de la mère qui envahit la psyché maternelle, les représentations de l’enfant à venir étant peu présentes jusqu’au jour de la naissance, malgré le corps de l’enfant… La première phase se termine avec l’acceptation du fœtus par « l’incorporation » et avec la réaffirmation de la nouvelle identité de la future mère, apportant ainsi un gain au moi.
La rétention
6La deuxième phase de la grossesse marque le moment à partir duquel la future mère ne peut plus cacher sa grossesse et peut porter fièrement son bébé (Kestenberg, 1976). Pour la première fois, avec les premiers mouvements fœtaux, apparaît la nécessité de reconnaître le bébé comme une entité séparée (Pines, 1972) quoique encore bien à l’abri, contenu dans le corps maternel. Lorsque le bébé bouge, plusieurs femmes se retirent dans leur monde intérieur. Mais lorsque la future mère fait face à la réalité de cette entité possédant sa propre vie qu’elle ne pourra pas contrôler, une mobilisation des anxiétés de séparation et de castration s’opère. On remarque l’émergence des fantaisies régressives prédominantes et communes lors de la grossesse mais qui sembleraient anormales chez d’autres patients. Ces tendances régressives anales-sadiques représentent des rééditions de celles de la phase génitale et de l’adolescence (Kestenberg, 1976). Elles s’expriment dans les rêves (être enfermée dans une maison ou encore immergée dans l’eau), fantaisies, habitudes, préoccupations avec la saleté, etc. Dans ces rêves, émergent également les différents aspects de l’interdit incestueux de la grossesse en rapport au père, et combien ses besoins sont dangereux et risquent de n’être jamais satisfaits (Ablon, 1994). Les conflits sadiques-anaux avec la mère s’expriment par des argumentations et des chicanes dérivées d’échanges similaires de la petite fille de trois ou quatre ans et de leurs réveils en début d’adolescence.
7La réalité des coups de pieds fœtaux sécurise le moi, permettant ainsi aux fantaisies primitives autrefois refoulées de refaire aisément surface dans le champ de la conscience ; le fœtus peut être vu comme une créature destructrice et dévorant l’intérieur corporel maternel ou comme quelque chose de sale, de honteux, que la mère doit expulser (Pines, 1972). L’investissement du fœtus en trésor ou en poison intracorporel dans le cadre fantasmatique d’une grossesse intestinale, correspond aussi à l’investissement narcissique positif ou négatif de l’enfant.
8L’enfant qui se développe dans le ventre au cours de la gestation reste d’ordre imaginaire (Andrau et al., 1973 ; Bydlowski, 1978) irreprésentable jusqu’au jour de sa naissance tant dans son sexe que son apparence physique. Source de représentations psychiques, de rêves nocturnes, le fœtus n’est pas réel et ne correspond pas à sa réalité biologique. La femme enceinte en rêve comme d’un enfant, un bébé, plutôt que du fœtus ou de l’embryon à tel âge de gestation, et ce peu importe l’éducation sexuelle ou scientifique. Des travaux récents situent l’élaboration des représentations de l’enfant entre le quatrième et le septième mois (Stern, 1995). Près du terme, la mère envisage le fœtus sous la forme d’un bébé, et plus le terme est imminent, plus elle l’imagine comme un nourrisson idéal ou un enfant grandissant, souvent à l’image de l’enfant parfait qu’elle aurait voulu être (Deutsch, 1944).
9C’est à ce stade que la « société secrète des femmes » avec ses rituels, sages-femmes, peut-être observée, et ce de façon plus marquée dans certaines cultures. Les hommes peuvent parfois être considérés comme des intrus (Pines, 1972), potentiellement dangereux pour l’enfant. Ainsi plusieurs vont freiner les relations sexuelles malgré une libido élevée, comme si les fantaisies considérant la sexualité comme cause de dommages à leur corps s’étendaient à l’enfant, comme si le pénis enfoncé pouvait endommager le cerveau du bébé, ou parfois même la main du gynécologue lors d’un examen. Des anxiétés phobiques peuvent apparaître et la pensée magique de l’enfance revient (par exemple, manger des fraises peut causer des naevi au bébé à naître). La fin de ce trimestre est marquée par un gain du moi, soit le maintien d’attitudes maternelles stables à travers la « rétention » décrite par Kestenberg (1976).
L’expulsion
10La troisième et dernière phase de la grossesse prépare la future mère à abandonner l’enfant interne chéri pour diriger sa maternalité envers le bébé extérieur, libre d’attaches (Kestenberg, 1976). Cette phase est marquée par un inconfort physique et une fatigue alors que la femme se prépare au travail. Le poids du bébé triple dans les trois derniers mois et celui-ci peut devenir un « fardeau ». Plus les besoins de tendresse et de support maternels de la parturiente s’accroissent, plus les souvenirs de rivalité fraternelle de son enfance apparaissent. Lorsqu’il n’y a pas de fratrie, la rivalité peut être déplacée sur la belle-famille ou sur des amis intimes (Pines, 1972). Des tendances régressives urétrales combinées à l’anticipation de la « perte des eaux » peuvent s’exprimer par la crainte d’accoucher prématurément en urinant (Kestenberg, 1976).
11A mesure que la grossesse progresse, un conflit approche-évitement en ce qui a trait à l’accouchement et ses conséquences possibles évolue (Rofe et al., 1993). Il s’explique, d’un côté, par le désir de compléter sa grossesse d’une façon satisfaisante, et de l’autre par la peur et l’anxiété engendrées par l’accouchement. Selon la théorie du conflit, plus le but est proche, plus le niveau d’anxiété est élevé. Ce conflit détermine en majeure partie la condition psychologique du dernier trimestre, marquée des niveaux d’anxiété et dépression habituellement supérieurs aux deux premiers trimestres.
12Devant l’imminence de la rupture qu’est l’accouchement, soit au cours des derniers jours de la grossesse, arrive une pause nirvanique. Cet instant fugitif d’envahissement par la libido narcissique permet une fugue dans l’imaginaire où les retrouvailles avec l’oralité première entraînent le retour à une béatitude originelle, celle de l’enfant dans l’ivresse de la satisfaction d’être bien nourri. Chez les femmes plus œdipianisées, la défense contre l’angoisse de séparation qu’instaure la naissance se fera plutôt sur le mode d’une angoisse de castration que sur un mode de régression orale, déclenchant un signal d’alarme, la peur d’accoucher. Les perceptions voluptueuses des mouvements fœtaux, objet de jouissance, se teintent de culpabilité, source d’indicible angoisse face à la perte imminente d’une partie de l’intérieur de soi. C’est l’angoisse de castration au féminin (Bydlowski, 1978) qui s’exprime par l’insomnie et la peur d’accoucher. Cette période est marquée par des oscillations de l’humeur allant du plaisir face à la perspective que son bébé va devenir réalité, à la peur consciente ou inconsciente qu’elle pourrait mourir en travail, qu’elle pourrait perdre ses organes génitaux qui tomberaient dans le saignement de l’accouchement, qu’elle pourrait perdre le bébé, que son enfant pourrait être anormal, prématuré, ou souffrir et garder des séquelles irréversibles de sa naissance (Kestenberg, 1976), ce qui se reflète dans ses rêves (Ablon, 1994). Malgré l’intensité des réassurances extérieures, l’anxiété persiste comme si de vieux sentiments de culpabilité refaisaient surface, suggérant qu’elle ne peut rien produire de bien (Pines, 1972). Durant les dernières semaines précédant l’accouchement, il y a anticipation des trois phases de stress du travail et de l’accouchement. Lorsqu’elle sera capable de laisser aller le bébé interne « letting go » (Kestenberg, 1976) sans perdre le contrôle, la future mère sera prête à terminer sa grossesse. C’est l’anticipation de l’expulsion, de l’accouchement.
L’accouchement
13Parallèlement à la peur d’accoucher, le début d’une impatience apparaît, de même qu’une pulsion à accomplir sa tâche et mettre bas. Des fantaisies d’expulsion prédominent lors de cette phase. Certaines femmes ressentent une certaine exaltation devant leur capacité à jouer un rôle actif dans l’enfantement et à abandonner le rôle passif de la grossesse. Deutsch (1945) affirme d’ailleurs que le sentiment d’avoir réussi son accouchement est une des satisfactions les plus importantes dans la vie d’une femme. Ainsi, plusieurs femmes vivent une énorme déception, voire un sentiment d’échec, d’incompétence, lorsqu’une intervention médicale ou chirurgicale est nécessaire (Neuhaus et al., 1994). Par contre, ce désir de donner naissance naturellement semble habituellement balancé par le besoin de sécurité que comble l’infrastructure obstétricale. La satisfaction personnelle durant le travail est fortement associée à la capacité de contrôle personnel (Slade et al., 1993) et de l’environnement ; l’utilisation de technologie (Bramadat et Driedger, 1993 ; Cartwright, 1977 ; Green et al., 1990), les interventions obstétricales subies, le contrôle de la douleur et la façon d’y réagir, ainsi que la qualité de la présence d’une personne support, seront des variables déterminantes (Slade et al., 1993). Slade a démontré que les attentes prénatales d’émotions positives étaient supérieures à celles vécues durant l’accouchement, alors que l’anticipation d’émotions négatives semble corrélée avec l’expérience vécue. Par contre, les attentes d’émotions positives sont de bons prédicteurs d’expériences positives lors de l’accouchement.
14Friedman (1975) décrit trois phases de stress durant le travail et l’accouchement. Premièrement, la séparation imminente du fœtus fait renaître l’angoisse de séparation et la peur des étrangers pouvant s’exprimer par la crainte de l’hôpital. La deuxième phase de stress, qui survient durant la dilatation maximale du col, est marquée par la peur d’être blessée par les mouvements du fœtus. La troisième phase de stress prédomine durant l’expulsion et concerne la perte des organes génitaux qui pourraient sortir avec le bébé.
15C’est lors du passage du bébé dans le vagin que la séparation, de sujet à objet, du bébé de l’unité mère-fœtus dont la mère devra faire le deuil, s’initie. Dans cette optique, la phase active du travail représente probablement la lutte entre les forces de rétention et d’expulsion qui s’achèvera par la précision des limites du moi-mère par rapport à l’enfant naissant. La réalité du bébé émerge à la conscience de la mère lorsque la tête sort. La vue de son corps prend une place importante dans la personnalisation du moi-mère. Après comme avant la naissance, il y a refoulement de la voie génitale par laquelle est passé l’enfant, et séparation des voies de la jouissance de celles de l’enfantement (Bydlowski, 1976).
16Anzieu (1985) décrit le « moi-peau », signifiant que la peau symbolise les limites du moi (intérieur = sujet ; extérieur = objet). Ainsi, la douleur de l’enfantement symboliserait la déchirure de la peau imaginaire supposée commune à la mère et à l’enfant, image de la souffrance émotionnelle éveillée par l’angoisse de séparation reliée à la naissance de l’enfant. Deutsch (1945) introduit le concept de l’accouchement comme étant une « orgie masochiste » répétant le traumatisme de la naissance. La satisfaction de l’accouchement s’expliquerait donc comme l’impression d’avoir gagné une bataille, une victoire sur la souffrance à travers laquelle peuvent se vivre la punition méritée et l’annihilation des culpabilités (ibid.). Serait-ce en partie l’explication du désir des femmes de réussir un accouchement « naturel » sans analgésie, afin de vaincre cette souffrance et d’être ainsi libérée du poids de la culpabilité?
17Même les femmes les plus rationnelles peuvent perdre totalement le contrôle durant le travail et jouir de la catharsis de la liberté d’expression de toutes les pulsions et émotions agressives (Pines, 1972). L’expression de ces pulsions devenue possible donne l’impression d’une expérience orgasmique. Mais la culpabilité se manifeste très rapidement par la première question de la mère : « Mon bébé est-il normal? ».
18Absorbée, emportée à l’intérieur d’elle-même lors du travail, la femme revivra toutes les régressions de sa grossesse avec ce qu’elles comportent d’extase et d’amertumes, de conflits et de victoires. Ainsi, une blessure encore fragile pourrait redevenir une plaie béante. En effet, la grossesse et l’accouchement peuvent devenir des expériences traumatiques majeures, engendrant une profonde blessure narcissique qui, faute d’attention et de soins, peut devenir la source d’une grande souffrance psychique, comme dans les psychopathologies du post-partum.
Le post-partum et les premières interactions
19Après l’accouchement, suit la période d’ajustement au sentiment de vide dans le ventre auparavant comblé par le bébé. L’image corporelle doit encore changer afin que la mère se sente entière et non vide (Pines, 1972), pour que puisse se produire la réconciliation de la naissance et la reconnaissance du nouveau-né comme un individu séparé avec l’image du bébé qui faisait intimement partie de son propre corps. Très souvent, l’extase et le soulagement vécus lors de l’accouchement sont suivis d’une phase dépressive, comme celle décrite après tout événement longuement anticipé. Les fantaisies et même les difficultés du travail sont rapidement refoulées et oubliées, le contraire pouvant mener à des pathologies du post-partum. L’ambivalence envers la mère, de même que l’acceptation plus sereine du lien identificatoire à la mère, se résolvent davantage en post-partum qu’en cours de grossesse.
20Le processus d’établissement d’une nouvelle forme de relation d’objet qu’est la maternité ne débute qu’après la séparation de l’enfant du corps de la mère lorsqu’il émerge dans le monde d’objet. Des études psychobiologiques chez les humains et les mammifères concluent que bien que les hormones jouent un rôle dans le comportement maternel, le rôle des facteurs psychosociaux est d’une importance majeure (Benedek, 1970 ; Rosenblatt, 1994). Il n’y a plus de raison de douter que le comportement maternel est initié et maintenu de façon hormonale pour une certaine période (ibid.). Durant cette période de transition, la stimulation hormonale diminue et la stimulation psychologique du comportement maternel s’établit. Ceci explique que l’accouchée puisse se sentir déroutée par le fait que le bébé qu’elle voit n’évoque pas immédiatement chez elle un amour incommensurable. Ce phénomène est encore plus prononcé chez les femmes qui subissent une altération de l’état de conscience lors de l’accouchement, qui décrivent un sentiment d’étranger en voyant leur enfant. Plusieurs ont démontré, du moins à court terme, l’importance de donner aux mères l’opportunité de créer un lien par contact corporel avec leur enfant dès que possible. Par contre, l’influence à long terme de ces premiers contacts physiques reste controversée. L’établissement du lien psychologique, « bonding » (Winnicott, 1969), à la base du comportement maternel ultérieur dépendra des ressources psychologiques de la mère.
21Les influences culturelles actuelles et la masculinisation de la femme ont grandement contribué à rendre les fonctions biologiques de la femme comme étrangères. Elle semble particulièrement mal préparée et inquiète d’avoir à exercer ses tâches maternelles. Il semble évident que la mère n’approche pas la naissance et les soins de l’enfant comme si elle était guidée par l’instinct maternel (Kestenberg, 1956).
22Winnicott (1956), en étudiant les premières interactions entre la mère et le nouveau-né, explique que l’état très particulier du psychisme féminin atteint durant la grossesse se prolonge jusqu’à quelques semaines après la naissance. Cet état de sensibilité accrue qu’il nomme « préoccupation maternelle primaire » que la mère atteint durant sa grossesse, spécialement à la fin, lui permet de s’adapter plus aisément aux premiers besoins de son bébé qu’elle apprivoise. Cette hypersensibilité presque maladive, qu’il décrit comme « maladie normale », est ensuite refoulée, et les mères s’en souviennent difficilement lorsqu’elles en sont remises.
Conclusion
23L’étape de la reproduction allant du désir de conception d’un enfant aux premières interactions constitue « une période charnière de la vie d’une femme… une expérience existentielle unique pour la femme : devenir mère, dans son corps et sa psyché, à ses yeux et aux yeux des autres, sous le regard de sa mère et de son propre enfant » (Gauthier, 1996). Ainsi, la maternité constitue une expérience tri-générationnelle. Quel que soit son nombre d’enfants, une mère reste d’abord la fille de ses propres parents.
24Comme lors de toute période de crise dans l’expérience humaine, les conflits des stages développementaux antérieurs sont revécus, de même que ceux des grossesses passées, offrant la possibilité d’atteindre une nouvelle position d’adaptation à la fois face à son monde intérieur et face au monde objectal extérieur (Pines, 1972). Les régressions massives de la grossesse à travers les phases d’incorporation, de rétention et d’expulsion facilitent la réorganisation du moi-féminin en un moi maternel adulte. L’angoisse prénatale est donc une réaction d’alarme normale permettant une organisation nouvelle et une identification au rôle maternel.
25« Sur le plan dynamique, cette accessibilité à l’inconscient, cette souplesse affective expriment un désir profond d’utiliser toutes les ressources disponibles pour la création d’un nouvel être humain. Pour réaliser cet objectif, il faut revenir en arrière et tenter de reprendre tout ce qui a été manqué ou mal solutionné, afin de trouver des solutions plus définitives, pour soi et pour ce nouvel enfant. On peut donc laisser tomber les défenses érigées depuis longtemps et retrouver accès à tout un matériel enfoui, mais qui redevient disponible pour un travail nouveau »(Gauthier, 1996).
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : changement, moi maternel adulte, accouchement, stades développementaux, grossesse, plasticité psychique
Notes
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[1]
Conférence présentée au Congrès annuel de psychiatrie AMPQ, Château Mont-Tremblant, 18 juin 1998, et à la Journée des résidents de psychiatrie de l’université Laval, Château Frontenac, Québec, 9 mai 1997.
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[2]
Psychiatre, professeur de clinique, Centre hospitalier de l’Université de Montréal – Hôpital St-Luc, Montréal, Québec, Canada.
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[3]
Psychiatre, Hôpital de l’Enfant-Jésus, Université Laval, Québec, Canada.