Couverture de PSYS_024

Article de revue

Catherine ne dort toujours pas seule!

Pages 229 à 243

Notes

  • [1]
    Pédopsychiatre, docteur en psychologie, coordonnateur de l’équipe SOS Enfants-Famille et responsable de l’Unité de pédopsychiatrie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles.
  • [2]
    Pour simplifier la lecture, nous recourrons parfois aux abréviations suivantes: C = Catherine; J = Julien; M = la maman de Catherine; P = son papa; GMM = sa grand-mère maternelle (et de même GPM, GMP et GPP).
  • [3]
    D’excellentes descriptions et illustrations de cette approche figurent notamment dans l’article de Susan Spence «Cognitive therapy with children and adolescents: from theory to practice» (Spence, 1994).
  • [4]
    Les séances suivantes également, cette exigence minimale décidée de commun accord sera contrôlée. Il n’y aura jamais plus de problème à ce sujet. Ils feront là une expérience positive d’autorité.
  • [5]
    Il pourrait s’agir de ce qui s’est vécu au moment de la mort de GMM et de l’arrivée de Julien… mais peut-être aussi d’expériences bien plus précoces, telles que les deux drames précités pourraient déjà ne constituer que des stimuli réactivateurs!
  • [6]
    Pourtant ils n’ont jamais fait état de crise grave dans leur couple; on est donc très probablement dans le pur registre d’un imaginaire réactivé par des deuils mal faits.
  • [7]
    Pourquoi ce conseil? Rationnellement, parce que nous ne souhaitons pas que l’encoconement de Catherine s’accroisse encore; en outre, l’expérience avait montré que l’escalade de la violence et de l’énervement autour de Catherine n’avait amené que crispation et surcroît d’angoisse. Si l’on veut parler contre-transfert, on peut néanmoins se demander si nous ne nous interposons pas, telle une mère anxieuse, entre Catherine et son père ou/et si nous n’en voulons pas à celui-ci de vouloir changer quelque chose à notre style de thérapie douce.
  • [8]
    L’avenir de cette thérapie n’a néanmoins pas complètement confirmé cette idée: quelques mois plus tard, ce sont les parents tous seuls qui ont pris l’option ferme de la coupure… mais ce fut à un moment où, si Catherine ne le leur avait pas demandé explicitement, on pouvait néanmoins spéculer qu’elle était prête et que la majorité de son être y consentait.
  • [9]
    Ils en firent usage pendant deux mois, de façon dégressive.
  • [10]
    Cette discussion s’est élaborée avec l’aide de trois collègues, que nous désirons remercier: Madame C. Morelle, docteur en psychologie, et les docteurs Ph. Kinoo et M. Mertens, pédopsychiatres.
  • [11]
    On peut encore imaginer que le renvoi de Catherine dans sa chambre rappelait à M la douleur de son envoi en internat…
  • [12]
    On peut même se demander s’il ne trouve pas une partie son compte dans ce lien mère-fille très fort (qui sauve sa paix? qui lui rappelle son propre Œdipe?)

1Pour illustrer le problème de conduites que l’on pourrait appeler addictives chez l’enfant, nous vous proposons un cas «tout-venant», guère spectaculaire, mais représentatif du quotidien des prestations d’un pédopsychiatre généraliste.

2C’est celui de Catherine, qui présentait un comportement problématique rebelle, mais dans un fonctionnement d’ensemble estimé satisfaisant, par elle et par ses proches. Au fur et à mesure de l’avancement de la thérapie, ce comportement persiste, quoique mieux accepté et intégré dans le projet de vie de l’enfant et dans son réseau relationnel. Puis, un beau jour, après un an de travail, au terme d’un petit coup de pouce donné par les parents, le comportement s’en va, sans faire d’histoires…

3Nous ne sommes pas indifférent à l’idée qu’un enfant se débarrasse ou non d’un symptôme gênant pour lui ou pour son entourage. Mais l’effort – de réflexion et de comportement – qui l’y amène suppose chez lui une motivation forte, autant que les encouragements de son milieu. Longtemps, ça n’a pas été le cas ici et il a fallu l’accepter, dans le mélange d’insatisfactions et de satisfactions, et de deuils qu’il vaut mieux faire, dont la vie est tissée. Et puis, petit à petit, le projet de vie de chacun s’est mobilisé, et le changement a eu lieu en une fois. Comme par surcroît, dans le décours d’un processus de rencontre de soi – et de son Soi-familial – captivant!

Présentation du problème

4Nos collègues neuropédiatres nous demandent un avis à propos de Catherine (9 ans) qu’ils ont hospitalisée à cause d’un trouble du sommeil tenace, pour lequel «On ne trouve rien». Depuis l’âge de 5 ans, la fillette vient quasi toutes les nuits se blottir près de sa mère, soit dans le lit des parents, soit dans un petit divan d’appoint placé tout à côté. Chaque soir, elle se retire pour dormir sans faire d’histoires, dans la chambre qu’elle partage avec son petit frère Julien (5 ans) mais, à heure variable, ça la prend: elle doit rejoindre sa maman. Les médecins consultés sont d’autant plus déconcertés que, dans la vie quotidienne de l’enfant, il n’existe aucun signe ni d’angoisse de séparation, ni d’autres formes cliniques d’angoisse qui seraient estimées excessives. D’ailleurs, Catherine n’a pas non plus fait d’histoires pour venir en observation à l’hôpital et ses nuits s’y passent très bien en l’absence des parents: elle est comme «conditionnée» par un ensemble de stimuli, mal repérés et liés à la maison.

5L’enfant et ses parents me précisent que le problème a commencé il y a quatre ans, six semaines après que se soient produits, coup sur coup, deux événements familiaux relatés comme très impressionnants: ce fut d’abord le décès de la grand-mère maternelle (GMM [2]), puis, quinze jours après, la naissance de Julien.

6GMM s’occupait beaucoup de Catherine et était fort investie par l’enfant; elle habitait le même village que les parents et les allers et venues entre les deux maisons étaient nombreux; GPM, toujours en vie, est décrit comme plus austère et distant, et les contacts avec lui ne sont pas très nombreux. Quant à Julien, Catherine, au début, l’a mal accepté.

7Les parents ont tout de suite eu l’intuition que le retour de la fillette dans leur chambre avait à voir avec son double chagrin du moment; ils se sont d’abord montrés tolérants, sans mettre beaucoup de mots sur ce qui se passait. Au fil du temps, leur tolérance s’est transformée épisodiquement en énervement, en culpabilisation de l’enfant, avec, comme c’est souvent le cas face à des dysfonctions chroniques, beaucoup d’allers-retours dans la manière de gérer le problème. Pendant plus d’un an, on a installé un divan d’appoint, mais quand on l’a retiré sur conseil d’un médecin, rien ne s’est passé: Catherine est venue dans le lit conjugal, le père en est sorti pour avoir plus de confort et l’énervement s’est exacerbé; «Suite à cette mauvaise ambiance», comme disent les parents, voici deux ou trois mois que Catherine montre pendant la journée de nombreux signes de malaise, d’angoisse et d’irritation (elle se ronge les ongles, joue moins); or, ajoutent-ils, «elle n’est pas comme ça»; dans l’ensemble, ils la reconnaissent comme une petite fille très agréable, c’est-à-dire, pour eux: studieuse, discrète, sociable, sachant s’occuper toute seule, et, insistent-ils, pas anxieuse pour un sou, mais pas téméraire non plus… la petite fille de rêve, quoi!… mais avec un grain de sable néanmoins, justement ce sable que le marchand n’apporte pas.

8Avant l’apparition du problème, ils n’ont souvenir d’aucun autre événement particulier qui aurait pu marquer négativement Catherine. La croissance de l’enfant s’est faite sans histoire.

9Au-delà de son discours, la famille dans son ensemble donne une impression de calme, de réserve, de discrétion. Les deux parents investissent leurs enfants, et le couple a l’air de bien s’entendre; des gens sans histoire, mais qui s’expriment peu. La maman semble douce, attentive, mais aussi passive et un peu dépressive…

10Nous avons rapidement l’intuition que le comportement de Catherine est très «fixé» et que, pour qu’il se mobilise, il faudra y mettre du temps, le temps de comprendre et de laisser l’enfant prendre ses décisions à son rythme. Au fil du temps, elle a adopté une habitude dont elle est très dépendante, probablement parce qu’elle y gagne quelque chose, au-delà des apparences, et peut-être pas seulement elle!

11Nous expliquons ce point de vue aux collègues neuropédiatres; ils semblent soulagés que nous nous offrions à prendre en charge ce cas où l’on ne peut probablement pas attendre de résultat spectaculaire ni rapide. Le passage est bien accepté par les parents: ils s’en remettent aux propositions d’un staff médical que, d’ailleurs, ils pressentent aussi désemparé et impuissant qu’eux-mêmes: ils sont donc rassurés par l’idée d’un accompagnement patient, à l’intérieur duquel ils seraient bien écoutés.

Écouter, mais écouter quoi?

12Comme ses parents, et surtout sa maman, Catherine se montre attentive et pleine de bonne volonté, mais aussi passive, avare de mots, avec une faible capacité de s’introspecter ou, plus exactement, d’exprimer ce qu’elle trouve dans son monde intérieur. Bribes par bribes, elle confirme qu’elle est satisfaite d’elle-même et de sa famille… n’était ce problème qui énerve tant ses parents et finit par lui donner l’impression qu’elle est une méchante fille.

13Mais explorer les tenants et les aboutissants de son problème, c’est une autre histoire! En réponse à nos questions, dont nous essayons qu’elles ne soient ni trop inductrices, ni trop intrusives, elle nous fait comprendre que, la nuit, elle a besoin de sa maman: une grande tristesse l’habite, elle se sent vide si elle ne vient pas près d’elle… par contre, dès qu’elle l’a rejointe, elle a chaud, elle ressent un grand bien-être et s’endort tout de suite; parfois, mais pas souvent, il lui arrive aussi d’avoir peur la nuit: GMM, en squelette, passe la porte et vient l’ennuyer, ou alors des bêtes viennent la prendre…

Premier bilan

14Cette étape diagnostique a duré une dizaine de jours et nous amène à formuler les hypothèses que voici:

  1. Le comportement jugé problématique de Catherine subsiste; bien plus, d’autres signes dysfonctionnels commencent à faire tache d’huile pendant la journée, en partie à cause de la réponse inadéquate de l’environnement: irritation, dramatisation, consultations répétées – système dont nous faisons partie –, culpabilisation de l’enfant. Il faut donc d’abord et avant tout calmer le jeu, c’est-à-dire alléger le poids de ces facteurs d’entretien, chronologiquement tertiaires.
  2. Il est bien possible que se soit installée au fil du temps une dimension d’assuétude (facteur causal chronologiquement secondaire). Le terme peut paraître fort, mais voici ce dont il s’agit: chez beaucoup d’enfants s’installe et se maintient, au fil de la vie, l’une ou l’autre conduite précise, répétitive, tenacement fixée, qui a commencé pour les motifs les plus variés (hasard… ennui… vulnérabilité organique… compensation ou conflit affectif); cette conduite s’est vite avérée la source d’un plaisir que l’enfant cherche à reproduire, poussé par une contrainte intérieure plus ou moins forte. Plaisir doit être pris dans une acception large et très diversifiée, chaque fois propre à la personne concernée: plaisir corporel («sexuel»), anesthésie d’un inconfort, ivresse de poser un acte exceptionnel, plaisir de vivre une colère ou une affirmation de soi inavouées et d’être plus fort que ses parents, plaisir d’un surcroît d’attention jusqu’à parfois être le centre du monde, etc.
    Au fur et à mesure que le temps passe, ce plaisir central se maintient ou s’étiole, ou est remplacé par d’autres… mais, même s’il y a accoutumance, c’est-à-dire même si la conduite problématique ne génère plus autant de plaisir, il est possible qu’elle se maintienne, comme un automatisme tenace, l’équivalent comportemental d’un trait de caractère.
    Les conduites visées ici sont des plus diversifiées, parfois auto-érotiques (head banging, succion du pouce, encoprésie…), parfois engageant centralement autrui dans un créneau relationnel très étroit (mutisme sélectif, habitudes de sommeil, certains refus scolaires…).
    La problématique affective qui aurait, le cas échéant, présidé à l’installation de la conduite peut elle-même disparaître ou se maintenir au fil du temps. Dans cette dernière éventualité, on peut se représenter la conduite fixée comme ayant et une dimension d’assuétude et une autre dimension plus affective (par exemple, elle constitue aussi la compensation d’un vécu anxieux, d’un vécu dépressif… elle constitue aussi une manifestation œdipienne plus ou moins détournée, plus ou moins conflictuelle, etc.).
  3. Et précisément, dans le cas de Catherine, persiste-t-il aussi et concomitamment une dimension d’angoisse qui aurait été le primum movens de l’affaire? On peut en conserver l’hypothèse, encore que Catherine soit discrète à ce sujet et que, dans la journée, elle ne soit pas anxieuse. Mais la nuit, il arrive que son imagination travaille: elle pense alors à des animaux hostiles ou à sa grand-mère-squelette…
    Or lorsque l’imagination élabore de telles images ou/et idées anxiogènes, c’est en vertu de mécanismes multiples et non exclusifs les uns des autres (Hayez, 1999):
    • Parfois, elle traduit l’existence d’un conflit intrapsychique, au cœur de l’évolution de la névrose infantile ou d’une névrose plus pathologique; alors, les fantasmes qui disent le plus centralement le conflit restent refoulés et engendrent des produits déformés qui passent la barrière du conscient. Semblable conflictualité ne peut être exclue chez Catherine, encore que, cliniquement, elle ne montre pas les signes typiques d’une névrose.
    • Dans d’autres cas, l’imagination de l’enfant semble massivement alimentée par celle des parents, et ce qui est identifié comme dangers par ceux-ci le devient pour celui-là: même si, à l’avant-plan, les parents de Catherine semblent paisibles et ne l’empêchent pas d’affronter les petits risques de la vie, des transmissions intergénérationnelles plus subtiles sont susceptibles d’exister: par exemple, GPM semble avoir été un père très dur; P reconnaît que GPP, lui non plus, ne badinait pas avec la discipline… or, P ne peut presque jamais s’affirmer dans une position autoritaire: il n’est pas exclu qu’il reste habité par des terreurs d’enfant, et qu’il transmette celles-ci, mezzo voce, à Catherine et à Julien.
    • Chez d’autres encore, des représentations mentales effrayantes sont éveillées par des stimuli conditionnés, qui, dans le passé, ont été associés à de vrais et graves dangers: ni les parents, ni Catherine ne peuvent rien dire de précis à ce sujet… Certes, GMM est morte au début de la nuit, il y a 4 ans… mais de là à dire que le stimulus «obscurité» est lié, encore aujourd’hui, à la menace du retour de la mort, cela nous semble un peu léger!
    • D’autres enfants enfin sont porteurs d’images, de souvenirs, de paroles traumatiques refoulées, susceptibles d’opérer dans l’Inconscient et de donner naissance, eux aussi, à des productions déformées qui passent la barrière du conscient sous la sollicitation de stimuli analogues – stimuli de rappel en quelque sorte. Certes, à ce propos, l’on peut spéculer sur le fait que la pensée «Je suis seule, sans maman» «rappelle» de temps en temps à Catherine l’expérience d’un grand danger… et refoulé et enregistré comme souvenir traumatique… mais lors de cette première phase d’exploration, ni les parents ni l’enfant ne peuvent y avoir accès.
  4. Mais peut-être le primum movens de cette habitude bien fixée n’a-t-il pas été de l’ordre de l’angoisse, mais plutôt de celui de la dépression et de la recherche d’une compensation à un vécu dépressif? Jusqu’à 5 ans, Catherine est décrite comme sans histoires. Alors, elle perd coup sur coup sa grand-mère et son statut d’enfant unique. Peut-être même sa mère a-t-elle particulièrement mal réagi au décès de GMM, au point que Catherine redoute qu’elle aussi ne disparaisse… Aujourd’hui encore, Catherine parle de «vide» quand elle n’est pas près de sa maman la nuit: exprime-t-elle de la sorte un vécu dépressif rémanent, inscrit en elle ou/et en résonance avec une tristesse qu’elle devine chez sa mère?
  5. Et s’il s’agissait de colère? Colère d’un enfant jeune (5 ans), encore partiellement à l’âge de la pensée magique, face à un événement douloureux que les parents n’ont pas pu empêcher? Colère non dite telle quelle, mais exprimée indirectement, dans un comportement tenace qui pourrait donc aussi revêtir la dimension d’une protestation agie: «Toi, au moins, je te garde sous mon contrôle»?… Colère chargée de culpabilité, et qui expliquerait peut-être le retour de la grand-mère comme un fantôme hostile…
  6. Quant au père, on pourrait dire à première vue qu’il n’est pour rien dans toute cette histoire, pas plus que ne l’est la relation conjugale: il est discret, avare de mots lui aussi, ennuyé pour sa fille… Il n’a fait part d’un certain énervement que quand les circonstances l’ont chassé à répétition du lit conjugal.
A bien y réfléchir, on peut penser que, s’il s’était montré plus séducteur pour son épouse et plus autoritaire, au moment où mère et fille commençaient à se positionner en objet antidépressif et contraphobique l’une de l’autre, peut-être aurait-il obtenu qu’une dimension d’assuétude ne s’installe pas… A ce moment du début des entretiens, ni lui, ni son épouse ne me semblent être en mesure d’avoir des attitudes fermes, où ils imposeraient à l’enfant la séparation sans céder à ses pleurs et ses protestations.

Premières propositions

15

  1. Nous faisons part de quelques impressions-clés, séparément, à Catherine et à ses parents, et nous en négocions les conséquences.
    Avec les parents seuls, nous vérifions ce qu’il en est de leur tolérance potentielle à l’idée d’un accompagnement doux: elle se révèle grande car, au fond, c’étaient surtout des témoins extérieurs qui avaient accrédité le fait que Catherine avait un sérieux problème. Par ailleurs, à notre demande, ils expliquent que l’existence du problème ne pesait guère sur leurs relations intimes, qui avaient lieu lors des absences de l’enfant ou dans la journée. Enfin, nous tenons à les rassurer sur le fait que ce comportement disparaîtrait nécessairement de lui-même un jour, et cela d’autant plus vite que Catherine ne se sentirait pas menacée à son propos.
    Ayant ainsi l’accord des adultes sur l’analyse et les grandes lignes de l’accompagnement, nous résumons notre point de vue et nos propositions avec eux et Catherine ensemble. Voici sur quoi nous nous mettons d’accord:
    • Catherine n’est pas une comédienne; pour le moment, elle a vraiment besoin de la présence de sa maman la nuit pour se sentir bien; ce besoin est de nature bien mystérieuse, du moins provisoirement… c’est comme une dimension de Catherine qui serait restée «toute petite fille» et voudrait encore ressentir le réconfort d’un bon gros nounours vivant. Probablement d’ailleurs accéder à la requête de Catherine apporte-t-il aussi quelque chose de positif, au moins à sa maman.
    • Face à ce besoin dont ils ont l’intuition, les parents ne se sentent pas vraiment la force de refuser à l’enfant l’accès de leur chambre. Néanmoins, Catherine doit mieux respecter leur confort et leur place d’époux l’un à côté de l’autre. Il n’est plus question de déloger le papa du lit conjugal et il faut donc réinstaller le petit lit d’appoint, et demander fermement qu’elle l’occupe.
    • Ces décisions sont prises pour une durée indéterminée, c’est-à-dire aussi longtemps que Catherine sentira un fort besoin qu’il en soit ainsi et ne demandera pas d’elle-même qu’on l’aide à aller dans une autre direction.
    • Nous proposons de rencontrer régulièrement la famille et Catherine, une fois par mois pour commencer, pour réfléchir avec eux sur l’évolution de tout ceci et pour parler avec l’enfant de sa vie, de ses projets et de ses inconforts éventuels.
  2. Ces propositions appliquent notre méthode de travail vis-à-vis de ces comportements problématiques à dimension d’assuétude: il arrive qu’on n’ait pas le choix, et qu’il faille lutter énergiquement contre eux, parfois avec une certaine violence thérapeutique, parce qu’ils sont très dangereux ou/et déshumanisants (par exemple, consommation de solvants…, perversions sexuelles en voie d’installation…, anorexies ayant atteint des limites dangereuses pour la vie). Mais, bien plus souvent – comme c’est le cas pour Catherine – l’assuétude ne présente pas ces caractéristiques d’inacceptabilité. Alors, le degré de motivation de l’enfant pour dépasser son problème devient un élément-clé de l’organisation du programme thérapeutique:
    1. Dans une minorité de cas, il souffre beaucoup de son problème et veut s’en débarrasser sans trop d’ambivalence (exemple: certaines trichotillomanies…, certains troubles de l’excrétion); souvent alors, on met en place une thérapie d’introspection (surtout s’il y a une composante conflictuelle conjointe), une thérapie cognitivo-behavioriste centrée sur le comportement et une guidance parentale; cette dernière est destinée à soutenir les efforts de l’enfant, à lui éviter les bénéfices secondaires liés au comportement problématique, à mettre en place pour lui d’autres sources de plaisir et, de façon plus générale, à réduire les sources de difficultés affectives qui alimentent elles aussi le comportement.
    2. Mais dans une majorité de cas, l’enfant semble indifférent à son problème, ou à tout le moins ambivalent: c’est le cas de Catherine. Alors, la prise en charge est infiniment plus délicate:
      1. Certes, s’il s’agit principalement d’une assuétude, on peut toujours se dire qu’une violence pédagogique appliquée très fermement et suffisamment longtemps par les parents, avec le soutien actif des thérapeutes, pourrait dissuader l’enfant de continuer son comportement et l’orienter vers d’autres plaisirs plus socialisés. L’adhésion de l’enfant suivrait d’ailleurs d’autant plus probablement qu’on lui aurait expliqué les raisons positives de l’interdiction et qu’on récompenserait solidement les efforts qu’il ferait pour se conformer à ce que l’on attend de lui: certains programmes nord-américains vont dans ce sens, et prétendent obtenir des résultats (à titre d’exemple: Krohn et coll., 1992; Steuart Watson et Allen, 1993).
        Nous n’avons pas choisi cette voie, surtout parce que, au début de nos rencontres, les parents de Catherine ne me semblaient pas avoir la force de caractère pour tenir bon, et que le symptôme, objectivement, n’était pas extraordinairement gênant. Nous ne nous abriterons cependant pas derrière des affirmations soi-disant éthiques pour justifier notre abstention: nous pouvons concevoir que certains comportements, comme le mutisme sélectif, soient extraordinairement coûteux en invalidation ou en énergie familiale, et qu’on arrive à vouloir les éliminer via des positions très directives, mais qui restent non sadiques (Krohn et coll., 1992).
      2. Mais alors, si l’on n’opte pas pour l’insistance ferme, comment faire face à ces enfants ambivalents et empêtrés dans leur assuétude? Comme on le verra mieux dans la suite du texte, on peut:
        • leur proposer des rencontres de paroles qui soient d’abord et avant tout une rencontre d’eux-mêmes, dans leur projet de vie, comme on le fait dans toute psychothérapie: parfois, elles amènent à ce que se mobilisent les autres racines, plus affectives, du comportement problématique;
        • en profiter pour parler directement de celui-ci, à l’occasion: faire le point à son propos; réfléchir au pour et au contre qu’il y a à le maintenir ou à l’abandonner, sans brusquer l’enfant, en lui rappelant que l’on ne peut pas contourner sa liberté; s’il devient plus positivement motivé, procéder alors comme au point A);
        • travailler parallèlement avec les parents pour qu’ils retrouvent un optimum de sérénité dans leurs relations avec l’enfant (pour mieux comprendre quel est son projet profond, Catherine a besoin de paix et d’acceptation de sa personne!); les amener à faire le deuil du dépassement rapide, par l’enfant, de son comportement problématique et, en même temps, les encourager à prendre des dispositions telles que ce comportement n’épuise pas trop leur énergie et ne crée pas trop d’inconfort.
C’est dans cette dernière direction que nous nous acheminons avec Catherine et ses parents.

Les deux séances suivantes, espacées chacune d’un mois

16Nous y recevons chaque fois séparément et Catherine et ses parents, puis nous procédons à un bref moment de mise en commun.

  1. Catherine, seule, dit que ça va mieux, en ce sens que l’ambiance est plus détendue et que ses parents acceptent beaucoup mieux sa présence dans leur chambre. Ils ont bien insisté l’une ou l’autre fois pour qu’elle dorme dans la chambre de son frère, mais en vain, et ils ne lui en ont pas voulu.
    Elle ne sait évoquer rien d’autre que son besoin de sa maman, la nuit (rappelons qu’en journée elle est tout à fait autonome).
    Elle parle aussi de ses angoisses, et surtout du squelette de GMM qui ouvre la porte de sa chambre et veut l’emporter. Nous travaillons cette thématique anxieuse selon une approche cognitiviste [3]: échange d’idées et d’informations sur la mort et sur la résurrection des morts (thème abordé au catéchisme, dit-elle, mais sans beaucoup de précisions: nous l’assurons que, si ça a lieu, ce sera dans très très longtemps et que les morts, redevenus vivants, auront des corps très jolis et des désirs positifs)…, entraînement à se mettre un stop mental dès que l’imagination commence à élaborer des images effrayantes (crier dans sa tête: «Non, c’est mon imagination»)…, entraînement à faire suivre le stop mental d’une imagerie positive (par exemple, évoquer les bons moments passés avec GMM de son vivant, ou avec M aujourd’hui).
  2. Les parents, seuls, confirment la détente familiale; dans l’ensemble, les choses se passent comme Catherine l’a dit sauf que, l’une ou l’autre fois, elle a voulu revenir dans leur lit, ce à propos de quoi nous les invitons à rester très fermes: «Non, ce n’est pas possible» [4].
    Pour le reste, ils sont très contents de leur fille, et nous écoutons attentivement cette perception positive, tout simplement, pour ne pas réduire Catherine à «son problème». Quant à celui-ci, nous confirmons l’analyse faite lors de la séance de programmation des propositions: le mieux est de se résigner pour une durée indéterminée à l’existence de l’habitude nocturne de Catherine, qui ne met en danger ni la vie, ni la santé, ni même le confort de vie de quiconque. Concomitamment, s’ils gardent le désir et l’espoir que Catherine y renonce plus vite que ne le voudrait son évolution spontanée, ils peuvent non pas revenir à une violence velléitaire, non pas l’humilier en lui disant: «C’est bébé», d’un ton méprisant…, mais plutôt l’aider à trouver en elle une motivation positive: au nom de quoi pourrait-elle renoncer à son bon Nounours nocturne? Ce pourrait être, par exemple – mais il faut qu’elle le décide un jour toute seule – pour ressembler aux autres enfants de son âge. Alors ils pourraient soutenir ce projet en lui promettant un «gros plaisir» inattendu, en récompense et à la mesure des efforts qu’elle consentirait… mais lequel? Et comment le lui faire savoir sans qu’elle ressente cette promesse comme une évaluation négative de son «être-là aujourd’hui»?… Nous nous quittons sur ces questions.

Séance suivante, après un mois

17

  1. Elle se déroule sur le même mode que les précédentes, sauf que, en entretien individuel, interrogée sur ses projets, Catherine affirme plus nettement vouloir dormir toute la nuit dans la même chambre que son frère Julien. Elle le déclare apparemment sans pression externe, car les parents n’ont pas cessé de se montrer très tolérants. Elle ne peut pas bien nous expliquer pourquoi, consciemment, elle sort ainsi de l’indécision et de la passivité, du moins verbalement.
    Nous actons son souhait, nous nous en réjouissons sobrement pour elle, puisque c’est le sien; comme nous supposons – à haute voix – que ce projet lui demandera de réels efforts, nous lui proposons de chercher ensemble quel autre plaisir elle pourrait peut-être s’offrir, avec l’aide éventuelle de ses parents, à la fois pour se récompenser et pour remplacer, en partie, ce qu’elle perd.
    Catherine découvre alors que ce qui lui ferait plaisir, ce serait de recevoir le camping-car de la poupée Barbie (merveilleuse petite production de son inconscient: la fille Barbie part en vacances, vers des cieux nouveaux… et sa petite mère Catherine ne sera pas très loin, pour l’encourager).
  2. Lorsque nous la recevons avec ses parents, nous leur faisons part du projet, dont ils se doutaient bien un peu mais qu’ils n’avaient pas voulu mettre en route avant le «feu vert» de la consultation. Nous proposons de l’appliquer progressivement, en ce sens que, jusqu’à la prochaine consultation, on prévoie encore deux nuits par semaine où elle pourra aller dormir près de sa maman. Nous suggérons également que l’on cherche avec elle, à la maison, un support matériel de la catégorie «objet transitionnel» (par exemple, avoir près d’elle un foulard de sa maman…, un bout d’enregistrement audio où sa maman raconte une belle histoire). Nous évoquons aussi l’idée d’une belle récompense qui viendrait saluer les efforts de Catherine: nous ne faisons pas référence nous-même à la poupée Barbie, mais leur recommandons de trouver quelque chose ensemble.
    Enfin, nous insistons sur l’état d’esprit qui devrait accompagner ce programme comportemental: encourager discrètement Catherine, puisqu’elle – ou du moins une Instance en elle – demande le changement…; s’il y a progrès, tant mieux…; s’il y a stagnation ou régression, ne pas la disqualifier; maintenir l’idée qu’elle fait ce dont elle a besoin maintenant et que le changement viendra un jour.
    La famille s’en va, bien décidée à expérimenter à domicile ce qui a été esquissé en séance.

Séance suivante, après 15 jours (Catherine seule; puis Catherine et sa maman)

18

  1. Catherine, assez dépitée, doit bien convenir que, pour le moment, son projet reste lettre morte, quoique ses parents se soient montrés encourageants et qu’ils se soient tous mis d’accord sur une belle récompense: un week-end de toute la famille à Disneyland.
    Nous lui redisons, avec des mots de son âge, qu’elle gère sans doute son comportement en fonction du meilleur équilibre qu’elle ressent pour elle pour le moment et qu’elle n’ose pas prendre le risque de se déstabiliser transitoirement.
    Elle répond que, depuis peu, ses peurs nocturnes se sont accrues: des vampires, des chauves-souris pourraient venir l’attaquer. Nous continuons à traiter ces angoisses selon le modèle cognitiviste déjà évoqué (les faire détailler; échanger des informations à leur sujet; attirer son attention sur le fonctionnement de son imagination; recourir à un stop mental précoce et à de l’imagerie positive de remplacement). Nous cherchons donc ensemble des images et scénarios auxquels elle pourrait recourir: soit des plaisants, soit d’autres où ses agresseurs (par exemple les vampires) seraient éliminés par son héros favori: elle choisit Jérôme, sorte de Popeye de la B.D. belge; nous imaginons en séance des scénarios énergiques ou Jérôme se débarrasse d’agresseurs, en y introduisant un enfant – une fillette d’une dizaine d’années –, amie et aidante de Jérôme: en élaborant ensemble les scénarios, nous arrivons à ce que cette enfant y prenne un rôle de plus en plus actif. Catherine est alors invitée à faire travailler son imagination à la maison comme nous venons de le faire en séance.
    A la fin de celle-ci, elle affirme qu’elle voudrait rester dormir dans la chambre d’enfants avec son frère et qu’elle s’y efforcera durant les quinze jours qui viennent.
  2. Avec la maman et Catherine, nous parlons encore du projet de la fillette et des aménagements qu’il nécessite de la part des parents, et nous concluons cette partie de la discussion en convenant qu’ils feront tout ce qui est possible…
    Néanmoins, la séance avec Catherine seule nous a troublé; nous nous demandons si, dans notre propre représentation mentale de ce qui se passe, nous ne privilégions pas trop la dimension «assuétude-habitude très fixée» par rapport à l’importance toujours actuelle des idées anxieuses et dépressives. Mais si angoisse il y a, alors que l’environnement de Catherine semble si paisible, ce ne peut être que la réévocation nocturne rationalisée, déformée, d’un noyau anxieux ou anxieux-dépressif plus radical, plus inconscient, traumatisme interne introjeté à un moment bien plus précoce de la vie de Catherine [5]
    Nous insistons donc plus fermement auprès de cette maman qui, jusqu’à maintenant, a présenté l’histoire de vie de leur famille et de Catherine comme étale: «Ce n’est presque pas possible. Quelque chose de très ancien doit lui faire encore peur, à tel point que ne pas être près de vous lui fait redouter une catastrophe… Cherchez encore. Par quoi aurait-elle bien peut-être pu être “marquée”?».
    Et la mère, toujours aussi sobre d’affects, répond: «Ça n’a sans doute pas d’importance, mais, avant Catherine, j’ai perdu quatre bébés» (en fait, il s’agit de quatre fausse-couches)… Elle ne peut évoquer que timidement le chagrin et l’insécurité liés à ces pertes, et le désir désespéré du couple d’avoir enfin un enfant… Enceinte de Catherine, elle fait encore deux menaces de fausse-couche, une à trois mois (quinze jours de lit) et une à six mois et demi (alitée jusqu’à la naissance); à l’époque, elle a recours à la sophrologie: elle s’entend encore dire à son bébé, à voix haute, en se tenant le ventre: «Reste… accroche-toi». Elle ajoute qu’à la naissance de Catherine, elle se sentait encore dans un grand état d’insécurité et d’incrédulité («Ce n’est pas possible qu’elle soit quand même née!») et qu’elle a vécu les deux-trois premières semaines de la naissance dans une sorte de «rêve éveillé» où elle nageait dans un bonheur incrédule. Par contre, dit-elle spontanément: «J’ai eu du mal à m’accrocher au deuxième, Julien, car il est né quinze jours après la mort de ma mère, qui me manquait beaucoup». Nous faisons alors l’un ou l’autre commentaire: peut-être Catherine a-t-elle été imprégnée très précocement par cette «demande d’accrochage» anxieuse, vitale pour la maman; et puis peut-être a-t-elle obéi, beaucoup plus tard dans sa vie, à cette «trace de sa mère en elle»: à un moment où le chagrin et la peur de la perte sortaient à nouveau puissamment, vers l’âge de ses 5 ans, elle s’est à nouveau accrochée… Peut-être même croit-elle vaguement que, aujourd’hui encore, elle doit faire ça autant pour maman que pour elle, sans vraiment se demander si sa maman le désire encore vraiment… Voire, car ce qui se passe, quand nous nous exprimons de la sorte, c’est que chacun y acquiesce gentiment et donc que la mère se garde bien d’ajouter: «Je n’en ai plus besoin».
    Sur le moment même, nous ne nous rendons pas compte que nous aurions pu inviter M à parler davantage de ce qu’elle a vécu à la mort de sa propre mère. Nous nous quittons sur la recommandation réitérée de faire ce qui est possible, ni plus, ni moins.

Séance suivante, après quinze jours (Catherine seule; puis Catherine et sa maman)

19

  1. En réponse à nos questions, Catherine raconte qu’elle continue à dormir dans le lit d’appoint près de sa maman; bien que tout le monde accepte ce comportement, elle se sent déçue d’elle-même. A part cela, elle se sent heureuse de vivre et n’a pas de grands soucis… sauf que son arrière-grand-mère maternelle vient de mourir et qu’à nouveau, des images l’envahissent, où cette morte vient la chercher: nous en parlons sur le même mode que nous l’avons fait auparavant à propos de la grand-mère maternelle. Nous reparlons aussi de la séance passée: Catherine a bien compris, en gros, les angoisses de sa maman autour de sa naissance, mais demande l’une ou l’autre explication complémentaire («les pertes de sang»).
  2. A son arrivée, la maman reparle aussi de la mort de l’arrière-grand-mère de Catherine: elle pense que celle-ci a revécu un choc émotionnel, non pas à cause de son lien avec cette aïeule, mais parce que la mort s’est passée au même endroit, à la même heure (22 heures… l’heure où l’on s’endort), et avec le même protagoniste (GPM, qui avait recueilli l’aïeule à son domicile). «D’ailleurs, Catherine est revenue dormir un jour dans mon lit» (ce que l’enfant ne m’avait pas signalé…).
    Nous reparlons donc de la sensibilité de Catherine, et des idées qui peuvent s’agiter en elle et lui faire ressentir plus fort, la nuit, le «besoin de maman». Tout le monde est d’accord pour l’accepter, mais la maman souligne, une fois de plus, le contraste entre ce comportement et les attitudes de Catherine dans la journée, où «elle est très indépendante». Nous parlons donc aussi des différentes facettes dont peut être fait un être humain, et de l’affrontement en nous de forces progrédientes et d’autres, plus régressives.
    Nous proposons que, pour que Catherine y voie plus clair et vive davantage de sérénité, on continue à parler de ce qui s’est vécu autour de sa naissance et dont la trace reste peut-être en elle, confuse, comme un ordre intérieur contraignant. La maman reprend ce qu’elle avait dit la semaine précédente, avec une tonalité émotive assez triste. Elle réévoque la sophrologie («Je lui disais: ne pars pas»). D’autres souvenirs lui reviennent maintenant, qui fissurent quelque peu l’image de bonheur parfait post-natal qu’elle avait mise en scène jusqu’alors: sa belle-mère lui aurait dit, méprisante: «Tu t’es tellement accrochée… et ce n’est qu’une fille». A huit jours, Catherine a fait 40° de fièvre; la maman s’est affolée et le médecin appelé s’est moqué d’elle («Ce n’est qu’un gros rhume»). Autant d’expériences d’agression qui expliquent qu’elle s’est accrochée un peu plus à Catherine, comme à un trésor précieux.
En commentant tout cela, il est aisé d’émettre l’hypothèse que, aujourd’hui encore, Catherine a peut-être trouvé un moyen de répondre, à un moment bien symbolique, à l’invitation d’accrochage, tout en s’autorisant une vie autonome durant la journée. Peut-être serait-elle davantage aidée à y renoncer si sa maman lui faisait comprendre plus activement qu’elle n’a plus besoin de sa fille près d’elle pendant la nuit… Mais la maman se tait, avec un petit sourire triste… nous devinons qu’une très vieille panique ne l’a pas vraiment déshabitée…

Séance suivante, après 15 jours (Catherine seule; puis Catherine, Julien et leur maman)

20

  1. D’abord reçue seule, Catherine, un peu triste, confirme une sorte de statu quo. Elle estime que beaucoup de dimensions de sa vie se déroulent bien, mais, en ce qui concerne son comportement nocturne, c’est toujours «le canapé, à 1 cm 1/2 de maman».
    Nous lui faisons part de notre embarras à l’entendre vu que, nous, nous n’exigeons rien d’elle et souhaitons seulement qu’elle se sente davantage en paix. En réponse à quoi elle confirme encore son désir d’aller dormir avec son frère; nous parlons donc des deux Catherine, celle qui se sent bien près de maman, la nuit, et celle qui voudrait davantage d’autonomie, mais qui est comme paralysée. Elle acquiesce, assez passive, avec un pauvre petit sourire. Elle évoque encore vaguement, pour se justifier, qu’elle pense encore parfois à sa grand-mère, mais sans pouvoir en dire plus. Il nous vient alors une idée, que nous lui soumettons et qui semble lui plaire: puisqu’il y a «les deux Catherine», l’une toujours satisfaite et l’autre insatisfaite, pourquoi ne pas décider de rester dormir près de maman une nuit, et d’aller dans la chambre des enfants la nuit suivante; l’idée de cette alternance ritualisée semble plaire à Catherine, et elle se promet d’essayer.
  2. Nous recevons ensuite Catherine, sa maman (et le petit Julien, 5 ans, qui accompagne: ce sont les congés scolaires!). La maman énonce d’abord quelques généralités positives sur Catherine; puis, très vite, elle signale que l’enfant est un peu plus tendue et dépressive depuis la fois passée, mais que le père, lui aussi, est diffusément énervé à propos de toutes les petites limites et imperfections de la vie familiale: «Il ne supporte plus rien»… Entre autres, il recommence à gronder Catherine pour ses comportements nocturnes.
    Il faut ajouter – ce que nous avions un peu perdu de vue – que les deux enfants, à l’unisson, exigent que leur mère les accompagne à 9 heures du soir et se mette elle-même au lit. De loin en loin, le père «se tourmente «, et alors ils «montent» tout seuls, en pleurnichant d’abord, mais en finissant par se calmer. Nous avions sous-estimé l’existence de cette dimension plus tyrannique, plus captative, émanant des deux enfants! Nous essayons de faire parler la maman à ce sujet, mais elle se limite à dire, avec quelques détails encore, qu’elle se sent l’esclave de tous, et qu’elle ne peut jamais penser à elle-même, ballottée qu’elle est entre la mauvaise humeur revendicatrice et la paresse des uns et des autres.
    Pourquoi alors se laisser faire de la sorte? Elle nous exprime alors une crainte d’abandon, sans pouvoir bien l’élaborer («Mon mari pourrait bien faire ses valises et partir. Il me menace de le faire») [6].
    Le temps étant largement écoulé, nous n’avons plus celui d’élaborer davantage la réflexion. Nous écrivons donc une lettre, à lire à haute voix en famille, où nous les invitons tous à davantage de dialogues pour écouter les besoins des uns et des autres; nous y proposons aussi un compromis à propos de la situation d’endormissement, en compliquant un peu ce qui avait été discuté avec Catherine seule: nous proposons, en alternance sur quatre jours, un rite où les enfants dorment ensemble ou non, et où la maman les accompagne parfois à 9h et parfois non. Notre intention est plus d’explorer l’impact de cette idée que d’exiger l’obéissance. Enfin, nous demandons que le papa accompagne la fois suivante.

Séance suivante, après 15 jours (Catherine seule, puis ses parents sans elle)

21

  1. A quelques nuances mineures près, la rencontre avec Catherine se déroule sur le même mode que les précédentes.
  2. Nous consacrons la partie la plus importante du temps de la séance à ses parents. La crise du couple parental est bien présente: P voudrait parfois imposer son style, plus direct et autoritaire que celui de M – en tout cas un peu plus –, par exemple en invitant énergiquement les enfants à aller dormir vers 21 heures; il se souvient qu’il en allait ainsi pendant sa propre enfance: leur fratrie de quatre garçons était bien réglementée par ses deux parents et ils avaient «une sacrée frousse» de leur père… tout ceci raconté dans un mélange de fatigue, de dépression et de timidité, à quoi il ajoute d’ailleurs qu’il n’est pas beaucoup à la maison. Quant à la maman, elle a été la fille unique, la princesse choyée d’une maman très diligente… diligente et dévouée aussi bien à l’égard de sa fille que de son mari, qui, rescapé des camps de concentration nazis, devait être ménagé. M se laisse donc «gentiment tyranniser», comme le faisait sa propre mère, mais en même temps elle s’en plaint. Hélas! c’est plus fort qu’elle: si l’un des enfants laisse traîner un vêtement, elle se précipite pour le ranger, s’interposant entre l’enfant et la remontrance qui va surgir de la bouche du père.
    De tout ceci, les parents parlent avec simplicité et bonne volonté, l’un face à l’autre, dans l’ambiance d’introversion dépressive déjà évoquée. Nous les encourageons à en dire plus, en faisant remarquer l’insatisfaction dans laquelle chacun se trouve pour le moment: chez P, insatisfaction de ne pas occuper assez de place et de voir son épouse «mangée» par les enfants, et peu disponible pour lui… chez M, insatisfaction d’être abusée par tous au quotidien; nous ajoutons que ces insatisfactions pourraient probablement se réduire, via un réaménagement de leurs attitudes, et que nous sommes préoccupé pour leur couple d’adultes, où trop de vide s’installe: le soir, dès 9h, M déserte le salon, comme aspirée par ses enfants qui la réclament. Nous formulons même l’hypothèse complémentaire que le comportement de Catherine pourrait aussi signifier qu’elle a remarqué une tension autour du rapproché corporel de ses parents et qu’elle veut les en protéger.
    Comme les parents jurent qu’ils s’entendent toujours bien et qu’il faut viser à un rapprochement de leur couple, nous les encourageons à opérer quelques modifications concrètes dans leurs habitudes parentales. En cherchant ensemble, ils se mettent d’accord sur ceci:
    • P exercera plus nettement une fonction d’autorité dans deux domaines: la mise au lit des enfants et une meilleure réglementation de leur participation à la gestion de la vie quotidienne (débarrasser la table, ranger…).
    • M restera plus longtemps au salon le soir, près de son mari. Elle essaiera de mettre les enfants au lit une demi-heure plus tôt: de la sorte, s’ils se retirent vers 20h30 (au lieu de 21h) et qu’elle-même va se coucher vers 21h45 (parce qu’elle-même est fatiguée) le couple pourrait bénéficier chaque soir d’une heure d’intimité.
    • Quant à l’assuétude de Catherine, on décide d’encore la laisser en suspens; nous suggérons que P, qui s’était énervé à ce propos les semaines précédentes, lève la sanction qu’il avait annoncée (pas de camp de jeunes à Pâques si ça dure) [7] et que l’on redise à Catherine qu’elle seule peut décider de faire vraiment des progrès. Si elle venait un jour à souhaiter d’être aidée par une attitude plus ferme de la part de ses parents, ceux-ci y seraient attentifs [8].
    Nous organisons également la succession des deux rendez-vous suivants: dans quinze jours, Catherine et sa maman viendront pour parler de leur passé commun; quinze jours après, on fera le point en famille sur les résolutions qui viennent d’être prises.

Esquisse de quelques séances ultérieures

22Durant les trois mois suivants, d’autres rencontres ont eu lieu avec Catherine, ses deux parents ou/et toute la famille, avec des centrations analogues à ce qui a été décrit jusqu’à présent:

  • Reçue seule, Catherine parle d’elle-même, de ses projets et investissements, sur arrière-fond de joie de vivre… et du sempiternel grain de sable: son «habitude» ne se mobilise toujours pas, bien qu’elle dise le désirer. Occasionnellement, elle parle encore de ses angoisses nocturnes, assez rares, toujours abordées selon une approche cognitiviste.
  • En présence de Catherine, la maman continue à évoquer, à notre demande, des éléments de son propre passé, proche et lointain. Par exemple, elle en raconte davantage sur la mort de sa mère, survenue après une longue maladie: à l’époque, elle n’a pas pu «déprimer» parce qu’enceinte de 8 mois et parce que, dès le lendemain du décès, GPM exigeait qu’elle déménage tous les meubles de GMM. Elle parle de la gentillesse de cette mère, en contraste avec la dureté de sa belle-mère qui lui aurait dit: «On ne fait pas un enfant quand sa mère a un cancer». Elle évoque aussi la misère de son enfance et sa mise brutale en pension, à l’âge de 12 ans, par la volonté de son père («J’a pensé qu’il ne voulait plus de moi… en pension, on ne peut pas pleurer»).
Nous nous sommes servi de ces évocations, par petites touches, pour montrer à Catherine combien sa maman pouvait en rester «marquée» et avoir beaucoup de peine à frustrer ses enfants, voire à se passer de la présence de sa fille à certains moments de la nuit: lorsque nous nous exprimons de la sorte, la maman persiste à acquiescer, avec un pauvre petit sourire; ceci confirme bien que l’effort de mobilisation repose surtout sur les épaules de Catherine; si elle voulait s’y atteler, elle devrait affronter l’idée de passer outre à certains manques de sa maman.
  • La crise du couple s’est quelque peu estompée; le papa a fait ce à quoi il s’était engagé et M l’a laissé faire; par contre, elle se sent toujours quelque peu l’esclave de tous, surtout des enfants, et, bien que nous invitions parfois ceux-ci à être plus coopérants, rien ne change vraiment.

Résolution du symptôme

23Il arriva alors que Catherine manifeste l’intention de participer au camp d’été de son mouvement de jeunesse.

24Deux jours avant son départ, les parents, en séance sans elle, nous font part d’une décision mûrement réfléchie: au retour de l’enfant, ils lui interdiront l’accès de leur chambre: «C’est mieux pour elle».

25Nous discutons de l’intensité de la fermeté qui les habite, en attirant leur attention sur le pouvoir renforçateur négatif que pourrait avoir un éventuel retour en arrière; ils n’en persistent pas moins dans leur idée. Nous convenons alors de la façon d’en parler à Catherine, en attendant le jour de son retour du camp. Nous leur prescrivons une benzodiazépine hypnogène pour l’enfant, à mettre à sa disposition pour la soutenir, l’espace d’une période de transition, si elle venait à le souhaiter [9].

26Il ne s’agissait donc pas de douter de la bonne volonté ni du courage à venir des parents, mais de manifester de la reconnaissance et de la compassion – anticipées – pour une possible exacerbation de l’angoisse de Catherine. En effet, à un strict niveau organique, nous faisions l’hypothèse que le chimisme cérébral de l’enfant serait malmené par le surcroît de stress qui l’attendait… A un niveau plus symbolique, le médicament pouvait apparaître comme une sorte d’objet transitionnel, facilitant le décalage demandé dans le lien mère-fille, ou/et comme un «coupe-douleur» rassurant. Et puis, pour tout dire, nous allions être en vacances nous-même au moment de l’action envisagée…

27Cette prescription était-elle indispensable? Ce n’est pas certain! Catherine aurait peut-être pu s’en passer ou être entraînée à d’autres techniques de gestion de son angoisse, comme la relaxation.

28Quinze jours après le jour «J», la famille, radieuse, vient nous dire que tout s’était passé exactement comme prévu: dès la première nuit, Catherine avait dormi avec son frère, la porte de la chambre «légèrement entr’ouverte»: elle était donc psychologiquement prête! Elle reçut sa maison de poupée, et en prime, un week-end à Disneyland avec toute la famille.

29Depuis lors, nous nous rencontrons encore de temps à autre, pour parler éducation.

Discussion [10]

Pourquoi le symptôme de Catherine s’est-il maintenu si longtemps, avant sa résolution «facile»?

30

  • L’ambiance qui règne dans la famille n’est pas vraiment à la confrontation: elle est faite de douceur, de passivité et d’un peu de dépression. Les deux parents ont laissé s’installer un comportement qui, pour l’enfant, est devenu peu à peu une assuétude; des fantasmes anxieux ou dépressifs occasionnels ont à la fois contribué à sa mise en place et à son renforcement. Les rares fois où ils ont osé se montrer plus fermes, ils n’ont provoqué que crispation et angoisse, expérience inscrite en eux comme un important «renforçant négatif».
  • Assuétude seulement pour l’enfant? Certes non: la maman elle aussi, au moment où elle était devenue orpheline d’une mère aimée, seul rayon de soleil dans l’histoire de sa vie, a probablement senti s’exacerber un double sentiment de solitude et de précarité des liens de filiation. D’où le besoin de compenser et de pérenniser son lien mère-fille [11]: les deux partenaires de celui-ci ont alors conclu tacitement un compromis remarquable: autoriser (et s’autoriser) le grandissement et l’autonomie le jour… et se retrouver la nuit pour vivre quelque chose de doux l’une près de l’autre.
    Au demeurant, des dispositions ont été prises, et le sont encore occasionnellement en cours de travail, pour que ce «moment de rêve» ne morde pas trop sur la vie conjugale ni sur le confort de chacun (le divan d’appoint, plutôt que le lit des parents). Donc, guère de vécu de transgression, ni même d’inconfort!
  • Et le père et époux, quel fut son rôle dans cette affaire? Plus complexe qu’il n’en a l’air!
    • Peut-être M s’était-elle choisi un conjoint dont certains traits de caractère évoquaient GPM: l’un et l’autre apparaissent comme peu présents dans le quotidien de la famille, introvertis et maladroits dans l’expression de leurs affects; P, par exemple, ne fonctionne pas comme le consolateur naturel de M, l’homme qui pourrait la séduire et la défusionner un peu de sa fille [12].
    • Mais d’autres dimensions de la personnalité de P sont à l’inverse de ce qu’était GPM: il n’est pas autoritaire, sauf quand il est trop énervé ou frustré… et nous nous sommes même demandé s’il ne restait pas habité par certaines peurs infantiles liées à l’idée de s’affirmer (GPP semble avoir été très dur). Nous n’avons pas suffisamment exploré cette piste, qui aurait peut-être pu expliquer, et qu’il ait laissé s’installer certaines «mauvaises habitudes», et qu’il ait transmis des contenus d’anxiété à sa fille.

Pourquoi une famille aussi passive avait-elle consulté?

31Ce n’est pas à nous que la famille s’était d’abord adressée: des collègues non-psy avaient déjà essayé d’éradiquer «le problème», probablement sans bien chercher à en comprendre le sens profond.

32Que cherchait cette famille auprès de ces médecins? Voulait-elle se mettre en paix avec une sorte de Surmoi culturel, imposant que les enfants répondent à des normes standard? Ou est-ce la mère, porteuse du fardeau de deuils non faits, qui, de façon plus dépressive et plus inconsciente, avait besoin de faire endosser une fois de plus au destin – incarné par l’autorité médicale – la séparation d’avec son enfant retrouvé? Ou bien voulait-elle défier victorieusement les coups de boutoir de l’ordre social?… Autant de motivations qui, avec d’autres encore, pouvaient être sans doute à l’œuvre…

33En ce qui nous concerne, nous croyons pouvoir dire que cette famille est arrivée chez nous par hasard, suivant docilement la demande du neuropédiatre d’abord consulté. Mais très vite les malentendus ont été dissipés et un lien profond s’est créé de part et d’autre.

Quel a pu être l’effet de la psychothérapie?

34L’ambiance de la psychothérapie a été douce et rassurante, en miroir de ce qu’était la famille.

35Chacun y a été invité à se dire, et écouté attentivement: ce ne fut pas aisé, avec ces personnes avares de paroles, que nous avons dû encourager à s’exprimer, sans les brusquer ni nous irriter face à leur rythme lent et à leur faible capacité spontanée à s’introspecter… Ils se sont probablement sentis acceptés tels qu’ils étaient, ce qui leur a redonné confiance et a relancé l’envie d’aller de l’avant dans la vie, en abandonnant le symptôme comme un enfant finit par abandonner sa sucette.

36Au cours de nos échanges, M a pu évoquer bien des images traumatiques, le plus souvent en compagnie de sa fille. En même temps que ceci l’aidait à en cicatriser la présence, des liens étaient proposés entre son passé et des comportements actuels, liens qui, paradoxalement, allégeaient le poids contraignant de ces derniers. Cette esquisse théorique n’est pas originale: nous sommes ici dans le monde des thérapies mère-enfant si bien décrites par Cramer, Lebovici et d’autres; nous n’en dirons donc pas davantage.

37Catherine, de son côté, a évoqué quelques fantasmes anxieux archaïques, parmi d’autres représentations mentales. Même si ceux-ci avaient à voir avec les traumatismes maternels, et ont donc été abordés indirectement via la thérapie mère-enfant, le travail cognitiviste brièvement signalé a pu constituer une aide d’appoint, lui aussi.

38Certains proclament pourtant l’incompatibilité d’une thérapie centrée sur l’introspection, soit avec des moments d’intervention cognitiviste, soit avec d’autres, centrés sur des échanges d’idées pédagogiques concrètes. Bien que nous manquions d’études spécifiques sur ce sujet, nous désirons cependant témoigner que cette prétendue incompatibilité, nous ne la vivons pas dans notre pratique (Hayez, 2001). Mais qu’on ne nous fasse pas dire autre chose que ce que nous disons: des thérapies «pures» dans leur référence d’école peuvent conserver beaucoup de valeur; nous demandons seulement que l’on ne conteste pas non plus, au nom d’a priori théoriques, la valeur de thérapies «panachées» comme le fut celle-ci et comme le sont tant d’autres dans le quotidien de nos pratiques: si l’on veut bien se souvenir que le fil rouge c’est la prise en compte du sujet… que les conseils ou interventions cognitivistes que l’on énonce ne sont jamais que des propositions, et qu’il faut s’enquérir de la manière dont le sujet les vit et respecter sa position à leur propos, pourquoi ne pas y recourir à l’occasion en complément de l’écoute, qui demeure l’attitude fondamentale?

39Conjointement à l’écoute, nous avons fait part, verbalement et via une attitude d’ensemble, au moins de la conviction que voici: nous sommes tous faits d’originalité, tous un mélange de forces progrédientes et d’autres qui voudraient nous laisser sur place, voire nous tirer en arrière dans le fil de notre vie; donc un comportement non conforme aux standards culturels ne doit pas être combattu «par principe»: s’il s’avère non destructeur, et qu’il doit être modifié un jour, c’est qu’il y aura eu dialogue à son sujet et que la personne concernée aura adhéré sincèrement à l’idée de ce changement, parce qu’elle en attend un plus grand bonheur, une plus grande congruence à son projet de vie du moment.

40Mais cette conviction quant au droit de chacun d’être comme il est, pour sincère qu’elle puisse être dans le chef de ses proches, ne se vit habituellement pas sans qu’existe aussi la tendance inverse… et il en a été de même pour nous: habituellement nous acceptions Catherine et sa famille tels qu’ils étaient, nous nous alignions sur leur rythme… mais de temps à autre, pour diverses raisons, nous vivions, voire exprimions le désir d’un changement plus rapide; cette oscillation, cette ambivalence est perceptible dans le compte rendu de la thérapie, où toutes les interventions ne vont pas dans le même sens.

41En voici l’illustration la plus frappante: nous avons dit souvent, à haute voix, qu’il fallait laisser Catherine décider les objectifs et les moyens de la gestion de son symptôme, mais nous avons quand même laissé faire les parents le jour où ils ont voulu donner leur coup de pouce ultime: on pourrait protester que Catherine voulait implicitement la même chose, mais cette légitimation me semble un peu simple…

42Notre ambivalence n’a probablement pas constitué une force destructrice: elle est simplement un reflet de ce qui se passe dans la vie, face à ceux que nous investissons positivement: combien de fois ne vivons-nous pas cette oscillation entre l’acceptation de ce qu’ils sont et le désir de les transformer; le respect que nous leur devons n’en exige pas moins que nos autres projets sur eux, nous sachions leur fixer des limites pour ne pas tomber dans la violence morale.

43Reste à parler de la place faite au père de Catherine. Longtemps, nous l’avons pris comme il était et comme le voulait l’homéostasie familiale; nous ne l’avons donc pas beaucoup interpellé: sagesse et tolérance, passivité… ou rivalité inconsciente avec lui dans notre chef? Sans doute un peu de tout cela!

44On pourrait donc tout aussi bien dire que – pendant tout un temps – nous avons contribué à le mettre sur la touche… ou alors que, prenant nous-même la place d’un homme investi, nous avons préparé lentement le retour du père, réhabituant ainsi la mère et la fille à ce que le discours et l’investissement masculins pouvaient avoir de positif… Ce rôle, nous ne pouvions évidemment le tenir longtemps et au premier signal d’alarme émanant du père, sous la forme d’une crise conjugale et familiale, nous avons ramené celui-ci dans la famille, avec l’un ou l’autre aller-retour.

45La fin de cette histoire fut ainsi… sans histoires.

Bibliographie

Bibliographie

  • Hayez J.-Y. et coll. (1991): Le psychiatre à l’hôpital d’enfants. Paris, PUF.
  • Hayez J.-Y. (1999): Peurs, anxiétés et angoisses de l’enfant. Ann. Méd.-Psychol., 157/5: 308-319.
  • Hayez J.-Y. (2001): L’évolution des demandes et des pratiques en psychiatrie d’enfants et d’adolescents. Neuropsychiat. Enfance Adolesc., 49: 277-286.
  • Krohn D.D. et coll. (1992): A study of the effectiveness of a specific treatment for selective mutism. J. Amer. Acad. Child Adolesc. Psychiat., 31/4: 711-718.
  • spence S.H. (1994): Practicioner review: cognitive therapy with children and adolescents; from theory to practice. J. Child Psychol. Psychiat., 35/7: 1191-1228.
  • Steuart Watson T., Allen K. D. (1993): Elimination of thumb-sucking as a treatment for severe trichotilomania. J. Amer. Acad. Child Adolesc. Psychiat., 32/4: 830-834.

Mots-clés éditeurs : assuétude, trouble de l'endormissement, angoisse de séparation

https://doi.org/10.3917/psys.024.0229

Notes

  • [1]
    Pédopsychiatre, docteur en psychologie, coordonnateur de l’équipe SOS Enfants-Famille et responsable de l’Unité de pédopsychiatrie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles.
  • [2]
    Pour simplifier la lecture, nous recourrons parfois aux abréviations suivantes: C = Catherine; J = Julien; M = la maman de Catherine; P = son papa; GMM = sa grand-mère maternelle (et de même GPM, GMP et GPP).
  • [3]
    D’excellentes descriptions et illustrations de cette approche figurent notamment dans l’article de Susan Spence «Cognitive therapy with children and adolescents: from theory to practice» (Spence, 1994).
  • [4]
    Les séances suivantes également, cette exigence minimale décidée de commun accord sera contrôlée. Il n’y aura jamais plus de problème à ce sujet. Ils feront là une expérience positive d’autorité.
  • [5]
    Il pourrait s’agir de ce qui s’est vécu au moment de la mort de GMM et de l’arrivée de Julien… mais peut-être aussi d’expériences bien plus précoces, telles que les deux drames précités pourraient déjà ne constituer que des stimuli réactivateurs!
  • [6]
    Pourtant ils n’ont jamais fait état de crise grave dans leur couple; on est donc très probablement dans le pur registre d’un imaginaire réactivé par des deuils mal faits.
  • [7]
    Pourquoi ce conseil? Rationnellement, parce que nous ne souhaitons pas que l’encoconement de Catherine s’accroisse encore; en outre, l’expérience avait montré que l’escalade de la violence et de l’énervement autour de Catherine n’avait amené que crispation et surcroît d’angoisse. Si l’on veut parler contre-transfert, on peut néanmoins se demander si nous ne nous interposons pas, telle une mère anxieuse, entre Catherine et son père ou/et si nous n’en voulons pas à celui-ci de vouloir changer quelque chose à notre style de thérapie douce.
  • [8]
    L’avenir de cette thérapie n’a néanmoins pas complètement confirmé cette idée: quelques mois plus tard, ce sont les parents tous seuls qui ont pris l’option ferme de la coupure… mais ce fut à un moment où, si Catherine ne le leur avait pas demandé explicitement, on pouvait néanmoins spéculer qu’elle était prête et que la majorité de son être y consentait.
  • [9]
    Ils en firent usage pendant deux mois, de façon dégressive.
  • [10]
    Cette discussion s’est élaborée avec l’aide de trois collègues, que nous désirons remercier: Madame C. Morelle, docteur en psychologie, et les docteurs Ph. Kinoo et M. Mertens, pédopsychiatres.
  • [11]
    On peut encore imaginer que le renvoi de Catherine dans sa chambre rappelait à M la douleur de son envoi en internat…
  • [12]
    On peut même se demander s’il ne trouve pas une partie son compte dans ce lien mère-fille très fort (qui sauve sa paix? qui lui rappelle son propre Œdipe?)
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions