Couverture de PSYR_009

Article de revue

Consultation psychosomatique

« Le rêve est la clef de voûte »

Pages 127 à 137

Notes

  • [1]
    Elio Aristide. Discorsi Sacri, Adelphi Edizioni Milano.1984, p. 15 e segg.
  • [2]
    Ibid.
  • [3]
    Giovanna Fiume e Marilena Modica, l santo patrono e la città.San Benedetto il Moro : culti, devozioni, strategie di età moderna. Saggi Marsilio. Vicenza 2004, p. 5.
  • [4]
    Francesco Corrao : Lezioni Modelli Psicoanalitici : mito, passione, memoria, Ed La Terza. Bari 1992, p.18
  • [5]
    Voir : E.A.Moja e E.Vegni :La visita medica centrata sul paziente. Raffaello Cortina Editore.Milano 2000
  • [6]
    B. Eidelman-Rehahla. L’abord Psychosomatique de l’enfant trisomique. Masson. Paris 1995
  • [7]
    Sami Ali. La projection.
  • [8]
    Ranjbaran Z., “Impact of sleep disturbances in inflammatory bowel disease”, J Gastroenterol Hepatol. 2007 Nov, 22 (11) :1748-53.
  • [9]
    Sami Ali, Rêve et Psychosomatique, Paris 1992, p. 14.
  • [10]
    Nda : La rétinite pigmentaire est un trouble rare et grave. C’est une maladie de la vue caractérisée par une défection partiale du champ visuel qui disparaît par petit marseaux et par une capacité visuelle diminuée qui progresse lentement, causée par le vieillissement précoce de la cornée, qui a par conséquent une baisse de la vue jusqu’à presque la cécité. Actuellement pour cette maladie, il n’existe pas encore de thérapie efficace, mais plusieurs études sont en cours (voir Siqueira RC et al., Intravitreal Injection of Autologous Bone Marrow-Derived Mononuclear Cells for Hereditary Retinal Dystrophy : A Phase I Trial. Retina. 2011 Feb 2).
  • [11]
    Sami Ali et le rêve et l’affect p. 222
  • [12]
    Cf. la mère pharmacienne.
  • [13]
    Cf. sa proximité relationnelle.
  • [14]
    Sami Ali, Le rêve et l’affect Paris, 1997, p. 46.

1Dans l’Antiquité, le rêve constituait un élément essentiel de la relation de soin [1]. Or, avec le progrès des sciences naturelles, et le développement de la séparation cartésienne entre le corps et la pensée, le rêve disparaît progressivement, aussi bien de la pratique que de la recherche moderne de la science médicale. La seule médecine spécialiste, qui s’occupe du rêve, est la neurophysiologie. Elle considère le rêve comme une phase spécifique du sommeil, phase enregistrée par l’électroencéphalogramme.

2Par contre, le rêve trouve encore sa place dans la croyance populaire de la divination, elle crée un lien avec les personnes décédées de l’entourage à travers les rêves, qui les représentent.

3Pourtant, dès les temps les plus anciens de l’histoire des soins, dès l’ancienne Thrace, avec les incubazio[2] et jusqu’à maintenant avec les miracles et les guérisons miraculeuses, le domaine des religions et de certaines croyances, le rêve constitue l’élément essentiel de la relation et de ses changements. Pour les anciens, le rêve était surtout un message divin ou un message du corps, c’était une aide essentielle dans le domaine du choix entre les différentes thérapies. Ainsi, le rêve était la partie centrale du rite thérapeutique qui se déroulait dans les temples d’Asclépias et c’est toujours au rêve qu’il revenait de créer la place aux miracles de guérisons dans le monde religieux, des temps anciens jusqu’à nos jours.

4En effet, le rêve a représenté un pont d’une relation à l’Autre, à partir de Celui qui sait, il peut être un prêtre ou un saint. Il est le lien avec le divin ou avec une réalité autre en parallèle. Et c’est cet Autre, qui montre le chemin à parcourir, pour guérir.

5Dans les temples dédiés au Dieu Asclépias, 2000 ans avant Jésus-Christ, le rite de l’incubazio, prévoyait l’utilisation du rêve comme passage nécessaire à la guérison. C’est ainsi qu’avant tout, en Thrace et sur les côtes de la Méditerranée, le malade qui se rendait au temple se lavait dans le bassin, pour la purification, et qu’ensuite il recevait du prêtre (le gardien du temple), la potion qu’il devait boire, tout nu. Il était ensuite enveloppé dans une peau de mouton. C’est alors, que le prêtre-médecin, ordonnait au patient de dormir et de rêver. Le malade se mettait en attente du rêve : le dieu de la guérison, serait apparu dans le rêve, dans les trois jours, en donnant des conseils utiles pour guérir.

6Encore aujourd’hui et pas uniquement dans l’antiquité, les guérisons miraculeuses arrivent souvent, grâce à quelques rêves. Une récente interview à la télévision, sur une chaîne de télévision italienne, reportait ainsi le témoignage d’un miracle : Le Saint Guérisseur, avait reconnu le patient et sa dévotion, il avait alors provoqué un courant chaud ou froid sur la partie malade du corps souffrant, et le patient s’était réveillé totalement guéri. L’homme interrogée par le journaliste raconte : « je suis resté dévoué au saint qui m’est apparu en rêve, à ce saint attendu et prié » (avec lequel le patient entretient un rapport d’identification et d’appartenance). 

7La relation qui existe entre le miraculé et le saint guérisseur est en effet celle d’une identification, qui fait acquérir au malade, le caractère d’« élu » et de « reconnu ». Ce même rapport est entretenu par les personnes, qui font le métier de guérisseur. Ces derniers jouent le rôle de médiateur dans une identification purificatrice. Identification et appartenance sont signalées comme des éléments constants de l’histoire des identités des peuples. De nombreuses et récentes recherches hagiographiques contemporaines, mettent en évidence, l’importance de l’image du saint comme point focal de l’identité d’une ethnie. [3] Elle s’établit donc à travers le rêve, qui joue un rôle aussi dans la possibilité de choisir le divin et sa manière d’être en rapport avec lui.

Psychanalyse et rêve

8Au début du XIXe siècle, le saut épistémologique opéré par Freud a été celui d’utiliser le rêve en tant que produit mental de rejet par rapport à la rationalité. Il a mis de côté le modèle d’enquête scientifique relationnel, pour explorer l’inconscient.

9Mais il a donné au rêve une valeur de structure opératrice organisée. Il en a expliqué l’utilisation, afin de « construire » des niveaux, des fonctions, des facteurs, des instances, des règles de fonctionnement de l’inconscient psychique, selon des plans de concordance, graduellement organisés [4]. Actuellement, il existe une séparation et une distance de cette théorie, dans les différentes méthodologies des praticiens et des thérapeutes qui s’occupent du corps dans le médical. Par exemple : le rêve du patient ne constitue pas du tout un objet d’enquête ou d’attention de la part de la pratique médicale généraliste [5].

10La psychosomatique relationnelle a permis au médical et au psychologique d’évoluer car elle de trouver une relation possible entre l’absence ou la présence de rêve et la maladie. À partir de la découverte de Sami Ali, à partir du rêve et les équivalents du rêve, il offre une nouvelle dimension [6] de l’imaginaire avec son incidence sur la relation thérapeutique : la présence du rêve et de son souvenir contribue à la définition du fonctionnement du patient par rapport à sa possibilité de projection. Le concept de projection [7] doit être compris comme fonction responsable aussi bien du rêve que de la pathologie psychosomatique. La projection existe en tant que fonction, toujours active, soit dans le sommeil à travers le rêve, soit dans l’état de veille à travers les équivalents de rêve : le jeu, le sentiment, la croyance, l’affect, la relation, etc.

11D’autre part le rêve n’est pas seulement présent dans la phase REM du sommeil, comme la neurophysiologie l’a considéré jusqu’à ces dernières années, mais il est présent aussi dans toute la période du sommeil. Et même si cette vision théorique existe depuis plusieurs années, elle reste très cohérente avec les recherches neurophysiologiques actuelles [8].

12En tant que réalité, entièrement vécue par la conscience dans le sommeil, le rêve représente pour Sami Ali « une projection médiatisée par le corps propre, fonctionnant comme schéma de représentation, donnant lieu à un monde, qui représente le sujet incarné, qui objective sur le mode hallucinatoire, des aspects qui lui sont propres, et dont lui-même, fait partie » [9]. Il situe également le rêve, dans une zone de coexistence, un espace unique entre psyché et soma. Il le considère comme une donnée essentielle au fonctionnement psychosomatique. L’absence de souvenir de rêve part le patient constitue le signal de blocage possible de la projection dans son fonctionnement. On est dans une situation dépourvue de potentialités imaginatives où le sujet colle au concret et se situe dans un fonctionnement adaptatif.

13Pour ces patients, un refoulement caractériel se précise.

14Le refoulement caractériel de l’activité onirique peut avoir des variantes et confronter à une situation d’impasse : l’absence d’intérêt pour les rêves, la majorité des rêves concernant le travail, l’isolement des rêves, le rêve qui s’interrompt, confronté au plaisir ou à la réalité et enfin l’insomnie. Le premier rêve chez les patients dépourvus de potentialités imaginatives, révélé dans une relation thérapeutique, est le premier signal d’une situation d’impasse. Le rêve peut disparaître lorsqu’il est lié à un traumatisme et ressurgir ensuite comme rêve traumatique. Le rêve récurrent et traumatique, peut même avoir un rôle de renforcement de l’impasse. Le rêve de travail peut être le résultat d’un fonctionnement dépourvu de potentialité imaginative et lié à l’adaptation. En général, pendant la thérapie psychosomatique, le constitue le parcours privilégié du patient dans la relation et il représente le pont avec le passé, le point de départ extraordinaire pour des souvenirs refoulés du passé, l’affect se lie au fonctionnement du sujet.

15Et ceci à condition que l’espace onirique soit considéré comme important par le thérapeute et constitue une source constante d’attention.

La clinique

16La patiente, dont je vais vous parler, considère le rêve, comme un élément important pour le changement de soi-même et de la dynamique de la relation. Presque toujours, elle communique avec ses rêves qui, comme nous le verrons, marqueront le parcours de son histoire thérapeutique.

17Costanza est une jeune et jolie femme, de 37 ans, qui est venue en consultation, il y a 2 ans, envoyée par une collègue médecin. Elle demande unethérapie psychosomatique.

18La cause des consultations est un état anxieux lié à un état d’allergie générale.

19Le trouble allergique se manifeste par des œdèmes et du prurit, ou par une simple et fugace irritation cutanée ; d’autres fois par une crise d’asthme. D’habitude les œdèmes et l’urticaire, font suite à une indigestion d’un aliment quelconque, et la patiente, qui a consulté une innombrable quantité de médecins et de spécialistes, se considère allergique, à de nombreux aliments communs. Elle ne rêve pas, elle ne se rappelle ni des rêves, ni des événements de sa vie, à partir de la mort de son père, il y a presque dix ans. Elle et très agressive, et très intelligente, elle est aussi très tendue, lorsqu’elle me parle. Elle me regarde attentivement et me fait penser qu’elle a peur d’être transparente. Elle me soutient par exemple, de ne pas pouvoir dire des mensonges sans que je les reconnaisse. Et elle doit toujours être dans la vérité.

20À l’époque de la première consultation, la patiente explique qu’elle mène une vie aux limites de l’impossible : il lui est impossible de manger quoi que ce soit, impossible de faire le moindre effort. Malgré la rigueur de son régime : l’urticaire, et les œdèmes la tourmentent. Quand elles arrivent, les attaques d’urticaire durent au moins 6 heures, puis s’atténuent, uniquement avec de la cortisone et elles la réveillent souvent pendant la nuit.

21La patiente souffre d’asthme, depuis son adolescence, l’épisode le plus grave a duré 10 jours. Il était résistant à tout type de traitement de médicaments. C’était à l’occasion de la mort de son père, elle avait 18 ans. Après 10 jours et 10 nuits d’asthme et d’angoisse, elle fut hospitalisée. Pour le vitiligo, elle dit qu’il est apparu à la suite de la séparation de son mari. L’éloignement physique de la patiente, de sa maison familiale, a été brusque et traumatique. La séparation a eu lieu, à la suite d’une dispute violente avec le mari, à cause d’une relation extraconjugale de celui-ci. Au cours de cette dispute, le mari l’agresse au cou en tentant de l’étouffer. La patiente s’enfuit de la maison avec son fils et dénonce le mari pour agression physique. « Après quelques jours, » dit-elle, « je me réveillai avec des taches de vitiligo qui augmentaient lentement ». Ainsi, elle souffre de vitiligo sur le visage et sur le corps et depuis 9 ans. Il lui a été diagnostiqué aussi une rétinite pigmentaire  [10]

22Depuis quelques années, le vitiligo progresse et la blancheur de sa peau augmente tandis que sa vue baisse. Et elle dit : « j’ai l’impression de disparaître lentement. » De la période de son mariage, qui durera 10 ans, elle dit ne rien se souvenir : « J’ai dormi » dit-elle, « je ne sais pas où j’étais, je ne me souviens de rien ». D’une manière générale, notre patiente a du mal à exister, ses vêtements, de style « camouflage », vont dans le même sens. En fait, une grande préoccupation accompagne chaque vécu corporel difficile. La patiente signale tout ça avec un langage médical et passe son temps de la séance à se demander ce qui a pu concrètement déchaîner la dernière crise d’asthme, d’œdèmes ou d’urticaire.

23Or, la mère est pharmacienne, c’est elle, qui soigne la patiente, avec des médicaments et un régime. La nourriture que la mère préconise, doit être particulière, il ne suffit pas qu’elle soit neutre « de couleur, d’odeur et sans goût fort ». Dans ces périodes difficiles, elle doit être cuisinée par la mère. Ainsi, chaque jour, après le travail, notre patiente va chez sa mère, où elle déjeune et emporte son dîner. Les rencontres chez sa mère se déroulent toujours de façon identique, elle est sous son contrôle constant. Chaque jour la patiente parle avec sa mère des contacts de sa journée qui peuvent susciter ses réactions asthmatiques ou ses œdèmes. En fait, elle se considère constamment en danger et ce qu’elle considère comme dangereux c’est exclusivement le contact avec l’étranger. Le danger relationnel et la dépendance s’alimentent tous les deux. Aussi dans le contact avec l’autre, elle se sent remplie ou possédée. En fait, elle me décrit une relation à l’autre qui est typique de l’allergie. C’est une relation unique qui l’enveloppe entièrement et que tout contient. Elle me communique aussi une grande peur du contact car trop proche. Se ressentir remplie, manipulée, pénétrée par l’autre, par son odeur, et transfigurée sont les sentiments émotifs principaux exprimés durant les premières séances. N’importe quelle relation rapprochée ou prolongée crée l’impasse, si elle diffère de la relation maternelle.

24« Elle se fait pénétrer par les affects de l’autre jusqu’à se perdre et elle se sent obligée de s’enfuir pour se mettre à l’abri. Je ne sais jamais qui je suis » me dit-elle, « mais je sais seulement qui je veux être pour l’autre. Rester avec l’autre est asphyxiant et rester seul est impossible. Quand je me réveille le matin, je pense ne pas exister, puis lentement je me parle, mais je ne me représente personne… »

25Constamment séduite par une mère omniprésente, la patiente s’adapte, dans une recherche de satisfaire l’autre, dont la réussite correspond à se sentir aimée, gratifiée, et en même temps possédée et remplie. Une tension corporelle est présente de façon inconsciente et permanente. Le récit de l’asthme, qui arrive, correspond à une sensation de possession corporelle de la part de l’autre, et elle est souvent engendrée par l’odeur du corps, quelquefois par la simple proximité physique, et ceci surtout, si elle est accompagnée par une demande de l’autre vécue comme excessive.

Les rêves

26Au moment de la consultation elle dit qu’elle ne rêve pas, excepté un cauchemar récurrent, dans lequel le père apparaît comme un étranger, violent et impulsif. Le père, homme sans richesse, qui a perdu sa fortune, quand la patiente était encore petite, a souffert de « troubles nerveux ». À la fin de sa vie, il est devenu agressif et violent, à cause d’une grave maladie hépatique. La patiente vit entre un rapport ambivalent de dépendance maternelle, dont l’étau affectif est total et suffocant, et la peur de ressembler au père, homme retiré de la relation, faible et en échec. Il crée une grande différence dans la réussite rapport à la mère, forte, plaisante et concrète. On rencontre ici la difficulté de ce fonctionnement allergique qui consiste à ne pas pouvoir gommer la différence et à réduire à l’identique, alors qu’elle a besoin de donner à tout le monde le même visage, le sien propre qui corresponde à celui de sa mère. Le père ne le permet pas. Par contre, elle évite le tiers différent, la tendance à ramener la situation de trois à deux, où soi et l’autre est la même personne dédoublée. La troisième remarque pour cette patiente allergique, c’est l’extrême difficulté à se séparer de l’autre [11].

27Un début de différenciation temporelle permet maintenant d’élaborer plus précisément le passé, dans sa différence au présent. Ainsi, notre patiente relate qu’elle a été depuis l’âge de trois mois, jusqu’à deux ans, confiée à une grand-mère, qui souffrait de phobies, et de manie de la propreté. Elle n’a jamais marché à quatre pattes, ni été prise dans les bras, pour une longue période. Elle a commencé à parler à l’âge de deux ans. Ceci précise sa forte demande affective maternelle, par la suite révélatrice dans la relation thérapeutique.

28Lors des premières séances, je tente seulement de la mettre en confiance. Le fait que je sois médecin la met dans un milieu maternel médical et la rassure. [12] Je tente de lui communiquer surtout que je m’intéresse à elle dans sa globalité psychique et somatique. À cet effet, les rêves m’aident.

29Premier rêve : « Mon père décidait de porter ma voiture chez le mécanicien, ma voiture est une Fiat Uno, celle de ma mère est une Fiat Uno ». La patiente associe dans une relation à trois. Elle explique qu’elle se situe dans le double maternel. Elle a peur d’être abandonnée par la thérapeute comme sa mère l’a fait lorsqu’elle était gardée par la grand-mère et qu’elle était délaissée. Une ouverture existe avec le père qui porte la réparation.

30Le deuxième rêve : elle me signale une impression de désir d’exister dans la relation « j’étais sur scène et je chantais, je m’amusais beaucoup, j’étais seulement préoccupée à l’idée que ma mère et ma sœur puissentme voir. » La sœur est celle qui a pris toute la place. Elle est un modèle pour la mère, qui est dans la comparaison avec elle. Elle doit exister comme sa sœur, et sa mère lui démontre qu’elle ne peut faire sans elle. De plus, mère et sœur se ressemblent physiquement, alors que la patiente au contraire ressemble au père.

31Le troisième rêve nous permet d’accéder au fond du problème, lié à une zone de la mémoire, qui a totalement été perdue. Elle explique : « Je suis allée au cimetière, et sur la tombe de mon père j’ai lu quelque chose d’écrit en allemand, langue que je ne comprends pas. Puis je suis rentrée à la maison et j’ai demandé des explications. Ma mère ne répondait pas à la question de traduire, mais je savais que la tombe contenait une nouvelle secrète, quelque chose que personne ne devait savoir. Ce qui était écrit portait les trois dates où mon père tenta de se suicider. » Grâce à ce rêve, la patiente se souviendra de l’angoisse silencieuse de la mère liée au fait que le père, déprimé, puisse tenter de se suicider. De plus, ce rêve lui permet de se souvenir d’une situation niée pendant des années. Et qui reprend, la problématique de quitter le début de sa vie. De ce fait, Costanza a toujours évité le contact émotif avec le père « pour ne pas entrer en contagion[13] », maintenant elle sait qu’elle a éprouvé pour lui une peine infinie et cachée. C’est ce rêve, qui nous permet de pénétrer dans le monde des sentiments cachés de la patiente.

32Elle s’aperçoit qu’elle s’est protégée de son passé, facteur d’angoisse pour sa mère, en l’évitant.

33Après environ un an de thérapie, elle est plus consciente du trouble visuel, car elle s’aperçoit de ne pas bien voir les couleurs. Ainsi, un jour, elle me dit qu’elle a l’impression de ne pas bien voir le rouge, et d’en éprouver une gêne. À la séance suivante, elle se présente avec une veste rouge cerise, très éclatante. Un rêve sur la couleur rouge cerise créera un changement notoire sur son orientation relationnelle.

34Quatrième rêve : « Il faisait nuit, et j’étais petite. J’attendais réveillée derrière le fauteuil dans une pièce avec mes parents que l’éclipse de Lune arrive. Je regardais le ciel et j’attendais que la Lune se mette devant le soleil pour l’obscurcir. À un certain moment, il arrivait quelque chose parce que la chaleur du corps était trop forte. Je me réveille très angoissée. » Pendant ce récit, nous nous apercevons ensemble de l’erreur : dans l’éclipse de la Lune, c’est la terre qui se met au milieu et non la lune. « Mais pourquoi la lune, se demande-t-elle et elle ajoute, Docteur, la Lune c’est moi, parce que j’étais toujours au milieu… ». Ce souvenir du passé envahit la séance, et une sensation d’angoisse profonde, ressort de sa mémoire. Le rêve lui permet de se souvenir d’une soirée, quand elle avait 7 ans… Elle est petite et elle se cache : son père et sa mère se disputent. Ils se disputent à propos du fait qu’elle dorme avec sa mère et que cela engendre une certaine peine au père.

35« C’était moi qu’on mettait au milieu, me dit-elle, et ma mère m’utilisait pour ne pas dormir seule avec mon père. Je voulais disparaître à partir de ce moment-là. » La patiente est très troublée par ce souvenir, qui nous donne la clé de l’impossibilité de relation au père et qui pose un doute sur la faiblesse de la patiente, qui a peur d’être abandonnée par sa mère depuis toujours, ceci est utilisé par la mère en le justifiant par son hyperprotection.

36Dans ce cas, nous pouvons penser le rêve comme aide majeure au changement thérapeutique, pas seulement parce qu’il a été élaboré et pensé au dans la relation, mais surtout parce que le rêve s’actualise par des représentations et des sentiments totalement oubliés par la patiente, qu’elle-même considère comme absents. En faisant disparaître le rêve, c’est une partie d’elle-même qu’elle fait disparaître, et elle efface le conflit à l’intérieur duquel elle vit. Elle dira : « J’ai l’impression d’avoir trouvé un morceau de moi-même qui souffrait en silence » et elle acquiert une certaine distance par rapport à la mère, qu’elle commence à critiquer. Elle tente ainsi un minimum d’émancipation. Ici, l’émancipation de la mère passe par les aliments et par les contacts.

37À partir du troisième rêve rapporté en séance, la patiente ne souffre plus des œdèmes ou de réactions allergiques cutanées et a beaucoup changé sa vie.

38Quelques réflexions sur cette présentation clinique :

39

  • La patiente utilise le rêve comme moyen privilégié pour me communiquer le changement et pour récupérer le plaisir.
  • Le rêve constitue la liaison de la relation thérapeutique et c’est justement le rêve qui est utilisé par la patiente pour expliquer les événements psychosomatiques et relationnels.

40La communication avec la patiente, dès le début de la thérapie se fait avec le rêve : « Grâce à vous j’ai fait un rêve » dit-elle. À la fois, elle attribue au rêve le pouvoir de changement de son lien avec moi et elle reconnaît aussi sa possibilité onirique comme moyen thérapeutique qui lui donne une autonomie. Elle utilise enfin le rêve comme signe affectif, comme un échange qui se maintient après la séance malgré la séparation physique. C’est en effet le rêve qui la met dans la possibilité imaginaire de me retrouver en mon absence et de répéter ou de représenter des nouvelles images de pensée pour la thérapie.

41Dans cette situation clinique la patiente considère son rêve comme produit par la relation, comme une photographie de l’événement relationnel et comme une partie de la réalité vécue avec la thérapeute. Le récit du rêve s’actualise dans son espace relationnel en opérant un changement, le sensoriel représenté créé une distance qui l’introduit dans la relation.

42J’ai reporté ce cas clinique parce qu’il est marqué par une forte présence du rêve qui se précise comme élément d’évolution et de changement dans la relation. Souvent les rêves de cette patiente, en plus de me révéler des aspects cachés de sa réalité relationnelle, ont été capables d’inaugurer de véritables changements à l’intérieur de la relation.

43Et c’est Sami Ali, qui nous permît de penser le rêve, comme processus créatif, déterminé par la relation : pour lui, le rêve est « Phénomène psychique autant que biologique, le rêve demeure le seul exemple d’une activité créatrice où l’on peut imaginer l’inimaginable et réconcilier l’irréconciliable… »[14]

Notes

  • [1]
    Elio Aristide. Discorsi Sacri, Adelphi Edizioni Milano.1984, p. 15 e segg.
  • [2]
    Ibid.
  • [3]
    Giovanna Fiume e Marilena Modica, l santo patrono e la città.San Benedetto il Moro : culti, devozioni, strategie di età moderna. Saggi Marsilio. Vicenza 2004, p. 5.
  • [4]
    Francesco Corrao : Lezioni Modelli Psicoanalitici : mito, passione, memoria, Ed La Terza. Bari 1992, p.18
  • [5]
    Voir : E.A.Moja e E.Vegni :La visita medica centrata sul paziente. Raffaello Cortina Editore.Milano 2000
  • [6]
    B. Eidelman-Rehahla. L’abord Psychosomatique de l’enfant trisomique. Masson. Paris 1995
  • [7]
    Sami Ali. La projection.
  • [8]
    Ranjbaran Z., “Impact of sleep disturbances in inflammatory bowel disease”, J Gastroenterol Hepatol. 2007 Nov, 22 (11) :1748-53.
  • [9]
    Sami Ali, Rêve et Psychosomatique, Paris 1992, p. 14.
  • [10]
    Nda : La rétinite pigmentaire est un trouble rare et grave. C’est une maladie de la vue caractérisée par une défection partiale du champ visuel qui disparaît par petit marseaux et par une capacité visuelle diminuée qui progresse lentement, causée par le vieillissement précoce de la cornée, qui a par conséquent une baisse de la vue jusqu’à presque la cécité. Actuellement pour cette maladie, il n’existe pas encore de thérapie efficace, mais plusieurs études sont en cours (voir Siqueira RC et al., Intravitreal Injection of Autologous Bone Marrow-Derived Mononuclear Cells for Hereditary Retinal Dystrophy : A Phase I Trial. Retina. 2011 Feb 2).
  • [11]
    Sami Ali et le rêve et l’affect p. 222
  • [12]
    Cf. la mère pharmacienne.
  • [13]
    Cf. sa proximité relationnelle.
  • [14]
    Sami Ali, Le rêve et l’affect Paris, 1997, p. 46.
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