Notes
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[1]
Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université Claude-Bernard, Lyon 1 et ITTAC, Centre hospitalier Le Vinatier, Bron.
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[2]
Comité consultatif national d’éthique.
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[3]
Quarante-quatre jeunes voleurs, leur personnalité et leur vie familiale, trad. franç. in La Psychiatrie de l’enfant, 49, 1, 2006, 7-123.
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[4]
Cf. la référence au « mensonge » comme précurseurs du « trouble des conduites ».
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[5]
Cette approximation recouvre une distinction entre sciences cliniques ou de la pratique interhumaine et sciences objectives ou expérimentales. Les premières reposent pleinement sur la subjectivité, les secondes tendent à traiter cette dernière comme une variable négligeable ou un biais à écarter. Ce partage permet de tenir compte d’objets ou champs communs d’étude et d’application, mais souligne l’essentiel de la différence entre les points de vue : la méthode par laquelle l’objet est saisi, compris et théorisé.
1L’expertise consacrée par l’INSERM au « trouble des conduites » de l’enfant et de l’adolescent en 2005 a suscité une franche contestation sur deux points principaux : la part respective dans le déterminisme de ces « troubles » des causes génétiques et environnementales ; et la possibilité, la validité et les conséquences d’une démarche considérant de jeunes enfants comme étant « à risque » d’évolution vers des comportements violents et délinquants. La dimension politique et éthique de ce débat légitime, ouvert largement au-delà de la seule psychiatrie, a cependant en partie masqué un problème de fond pour la psychiatrie elle-même : son identité menacée par une déchirure entre ses « sciences » fondatrices, entre ses deux principales assises théoriques et pratiques – celle traditionnellement référée au champ des « sciences humaines » (psychologie, sciences sociales, philosophie, psychopathologie clinique, psychanalyse) et celle référée aux sciences dites « dures » dont le modèle est la biologie. Le problème identitaire de la psychiatrie est double : interne, car il concerne la représentation de la psychiatrie par les psychiatres eux-mêmes, la discipline étant menacée aujourd’hui d’une scission entre ses cultures constituantes ; et externe, car il concerne la reconnaissance de la psychiatrie par un tiers : état, population, partenaires. Le choix de l’INSERM de reconnaître la psychiatrie selon les critères de l’une seulement de ces deux cultures a révélé un clivage entre elles qui est interne à la psychiatrie. L’hétérogénéité conceptuelle de la psychiatrie est une question de fond, et son analyse ouvre un large champ de réflexion. L’enjeu du débat suscité par l’expertise est bien d’abord, à ce titre, épistémologique.
2La réception controversée de l’ « expertise collective » et la polémique qui suivit peuvent ainsi être comprises également comme l’expression d’une difficulté majeure rencontrée par la psychiatrie aujourd’hui à s’assurer, et à assurer autrui, de sa scientificité. La polémique a mobilisé de part et d’autres des représentations persécutrices : la surveillance des bébés et la collusion entre psychiatrie et répression ; ou inversement le spectre d’une psychiatrie sournoisement antisociale ou plus simplement inefficace et qu’il faudrait réformer sur des bases nouvelles. On reconnaîtra certains arguments du procès antipsychiatrique dénonçant les liens entre psychiatrie, pouvoir, ordre social et répression. Les psychiatres d’enfants ne peuvent participer à une entreprise sécuritaire visant à démasquer dès la crèche les futurs délinquants ; pas plus qu’ils ne sont aveugles aux conduites agressives et transgressives, aux souffrances des enfants et des familles, ni impuissants à y remédier. La pédopsychiatrie est quotidiennement confrontée à la violence, aux troubles du comportement d’enfants et d’adolescents, à la transgression de l’interdit, aux situations de crise ; elle est pleinement engagée dans le repérage des facteurs de risque et dans des pratiques à visée préventive. Elle travaille depuis des décennies pour créer des dispositifs adaptés à cette tâche, et dispose pour comprendre ces faits cliniques d’une théorie clinique riche et élaborée. Que la tâche soit difficile et en partie encore inaccomplie ne justifie pas de condamner cette pratique, ni de s’abandonner à l’illusion voulant que les neurosciences soient en mesure d’apporter demain des solutions révolutionnaires. La nature des recommandations de l’expertise, qui préconise des mesures aussi classiques que des pratiques éducatives et de guidance parentale, n’annonce d’ailleurs pas une telle révolution.
3La réception de l’expertise n’a pas été facilitée par son abord frontal du problème, selon une perspective pragmatique plus familière à la culture anglo-saxonne qu’à la culture française. Mais au-delà de cette question de style et d’usages, la vigueur des oppositions suscitées par l’expertise témoigne à la fois de critiques fondées, soulignant les faiblesses de certaines positions théoriques ou techniques, et d’un malentendu sur le sens d’une démarche (celle de l’expertise) qui n’est pas en fait de nature clinique, mais relève plus d’une logique de recherche fondamentale encore éloignée de ses possibles applications. Ce n’est cependant pas de cette façon qu’elle a été présentée au public. Il semble donc exister ici une forme de confusion (en partie entretenue par la communication de l’expertise au grand public et aux professionnels) entre le langage des études objectives, expérimentales et épidémiologiques, et le langage de la clinique dont l’objet est l’individu. À ce titre, la contestation de l’expertise illustre ou révèle une difficulté fondamentale de la psychiatrie contemporaine. Comment appliquer dans une pratique centrée sur l’individu les conclusions d’études épidémiologiques ? Comment exploiter dans une pratique intersubjective les données de recherches neuroscientifiques qui non seulement portent sur des dimensions étrangères à la clinique (le fonctionnement du cerveau ou les gènes), mais ont une pertinence à l’échelle de groupes et sont construites par la statistique ? Et comment concevoir la contribution des recherches fondamentales et épidémiologiques à la pratique clinique pédopsychiatrique, diagnostique, de prévention ou thérapeutique ?
EPIDEMIOLOGIE ET CLINIQUE DU SUJET : LE GENERAL ET LE SINGULIER
4La psychiatrie est fondamentalement une « science de l’homme » au sens où elle repose sur la rencontre avec autrui, et non seulement sur l’observation d’un organe ou d’une fonction. La question est de savoir comment les connaissances issues de l’étude de la fonction isolée, ou issues de l’étude objective d’un groupe, sont applicables dans la rencontre avec un individu. Si elle concerne la médecine dans son ensemble, existe-t-il de ce point de vue une singularité de la psychiatrie ? Certes, la prise en compte du corps – en l’occurrence, du cerveau – garantit l’appartenance de la psychiatrie à la médecine. Mais le fonctionnement de l’appareil psychique n’est pas aussi prévisible que celui de l’appareil respiratoire ou cardio-vasculaire, non parce qu’il serait moins biologique, mais parce que, tout biologique qu’il soit, il est plus complexe. Et l’expression ultime de cette complexité est l’histoire du sujet, sujet lui-même produit d’une histoire autant qu’agent de celle-ci. Comment appliquer à une telle complexité les méthodes valables pour de moins grands degrés de complexité : c’est une difficulté particulière de la psychiatrie.
5Le problème posé en psychiatrie par la démarche expérimentale ou objective quantitative tient donc moins au principe de l’expérimentation ou de la mesure, qu’à la généralisation des observations. Comment appliquer à un sujet et à son histoire, dans la pratique interindividuelle, les connaissances issues de l’étude d’un groupe, qui suppose une démarche de généralisation et de catégorisation ? Un exemple simple de cette difficulté est offert par la forme la plus élémentaire de cette double démarche : la constitution des entités nosographiques. Elles sont indispensables, car elles nous offrent les cadres de pensée qui nous permettent de nous représenter l’objet de notre clinique – ici le psychisme et l’expérience du patient – et en permettent l’intelligibilité ; c’est la valeur du savoir de la psychiatrie clinique. Mais ces connaissances sont d’un intérêt limité pour la pratique interpersonnelle du cas, au sens où nous prenons alors principalement en compte ce qui se dévoile de singulier dans la rencontre, et oublions ces catégories. Les deux démarches, nosographique et séméiologique d’une part, clinique interpersonnelle d’autre part, sont à la fois antinomiques et complémentaires. Elles s’articulent dans une dialectique. La compréhension de l’individu singulier est permise par la médiation séméiologique ou nosographique, elle-même fondée sur la généralisation, sur le repérage de ce qui est partagé par tous les patients. Le savoir psychiatrique nous permet de traduire le langage du sujet, mais c’est bien le sujet dans sa singularité irréductible, sujet parlant le langage du symptôme ou du syndrome, qui est l’objet de la clinique. La séméiologie et la nosographie psychiatriques sont des langues, dont la connaissance est indispensable pour rendre l’homme malade intelligible. Mais elles sont seulement la culture ou le média qui soutient la rencontre avec l’être, et non la réalité de celui-ci.
6La psychiatrie clinique appréhende l’individu grâce à des catégories issues d’une généralisation qui écarte les distinctions interindividuelles, considérées comme une variable négligeable ; alors qu’elle repose par ailleurs sur l’exercice d’une rencontre interpersonnelle, qui met en échec toute généralisation au sens où celle-ci devient alors réductrice, voire totalitaire. Inversement, dans la pratique interpersonnelle, c’est la variable nosographique qui tend à devenir négligeable, comme si la démarche diagnostique gênait la rencontre d’un sujet (ce qui explique, sans la justifier, la longue réticence psychiatrique à l’égard du diagnostic). La psychiatrie est ainsi paradoxale au sens où elle se nourrit de taxonomies, nosographies, classifications et manuels, dont chacun connaît pourtant les limites pour la pratique interindividuelle. La démarche classificatrice nosographique ne voit que les ressemblances et crée des catégories, la démarche clinique ne s’intéresse qu’aux différences et individualités, pour elle chaque cas est littéralement unique – et son histoire jamais finie d’être écrite.
7La démarche clinique en psychiatrie procède d’ailleurs le plus souvent par étude de cas ; et si les cas se ressemblent, ils ne sont jamais identiques. La compréhension d’un cas peut s’appuyer sur les connaissances issues des autres cas, mais chaque cas est par nature nouveau : la pratique clinique est guidée par l’imprévisibilité. Il faudrait d’ailleurs distinguer deux étapes dans la démarche clinique : la description de cas « fondateurs », dont l’observation initiale permet de fonder une catégorie clinique, puis les cas « illustrateurs » qui illustrent cette même catégorie une fois celle-ci constituée, et en constituent des interprétations ou des figures singulières. Dans le premier cas, la pratique clinique éclaire une catégorie, dans le second cas la catégorie une fois constituée éclaire la clinique.
8Force est de constater cependant le peu de valeur prédictive des modèles cliniques en psychiatrie et psychopathologie. Cette faiblesse tient à la complexité de la réalité psychopathologique, qui culmine dans son étroite intrication avec la dimension de l’histoire individuelle, elle-même organisée à l’interface de déterminants biologiques et environnementaux, socioculturels et relationnels, événementiels et historiques. Lorsqu’elle n’invalide simplement pas toute prétention de prévision ou prédiction, l’histoire de l’individu donne une illustration originale de ce destin, qui devient ainsi un fait nouveau. L’étude du groupe, en définissant des facteurs de risque, réduit la complexité, dégage des tendances et offre une intelligibilité qui peut laisser espérer une prédictibilité. La rencontre de l’autre, sujet singulier, confronte inexorablement à la complexité et à l’imprévisibilité de ce qu’il est convenu d’appeler une histoire. Le problème tient au fait que l’imprévisible (notamment sous la forme de l’environnement et de l’événement) y joue autant de rôle que le prévisible, ce qui en réduit la valeur sans toutefois l’écarter.
9La pratique clinique consiste donc en une dialectique combinant généralisation et prise en compte de la singularité. La théorisation de la méthode comme la construction de modèles théoriques s’appuient sur la généralisation, qui est surtout destinée à soutenir la diffusion de ces théories ou modèles, et à permettre la formation des praticiens. La pratique repose quant à elle sur le constat des limites d’une méthode et d’une théorie fondée sur cette généralisation, lorsqu’il s’agit de l’appliquer à un cas. C’est dans la mesure où le cas est par principe nouveau et imprévisible qu’il suscite un travail psychique chez le clinicien, et qu’il fait travailler la théorie en tant que cadre généralisant mais toujours insuffisant.
10Une démarche qui confondrait les catégories issues de la généralisation, nécessaires à la compréhension des expressions de la pathologie, et l’expérience singulière du sujet de la pathologie, réduirait ainsi la complexité de la pratique psychiatrique interpersonnelle aux seules lectures objectives séméiologique, nosographique et symptomatologique. C’est sans doute une des principales critiques implicitement ou explicitement adressées à l’expertise. Pourtant, cette critique ne résiste pas à l’analyse. Il n’est pas légitime en effet de contester la démarche nosographique, objectivante ou quantifiée au nom de la singularité de l’individu. Comme le rappelle D. Widlöcher (1983), « on a trop longtemps opposé en psychiatrie, et jugées antagonistes, la démarche qui voit dans le symptôme le signe d’une maladie, et celle qui y voit l’expression d’un vécu individuel » ; on a trop longtemps opposé démarche taxinomique et démarche clinique centrée sur la singularité du sujet. Les deux démarches sont complémentaires et non réciproquement opposables. Leur contradiction relève du malentendu – celui qui risque de s’instaurer entre les chercheurs objectivants qui saisissent la psychopathologie au plan du généralisable et de la démarche de catégorisation, et les cliniciens qui l’appréhendent au niveau de la rencontre individuelle ou intersubjective mais grâce à la médiation des catégories.
11On reconnaîtra finalement ici un cas particulier du jeu dialectique de deux processus fondamentaux de l’activité mentale selon Piaget, l’assimilation et l’accommodation. La constitution de connaissances générales, leur organisation en un savoir, procède par assimilation ; l’application de ces connaissances à la pratique médicale, qui est par nature interindividuelle ou interpersonnelle, et traite d’un cas ou sujet toujours singulier, procède par accommodation. L’une privilégie ce que les cas ont en commun, l’autre ce que chacun a de propre ou d’original. Le malentendu éventuel entre les chercheurs en neurosciences ou épidémiologues, qui s’appuient sur les études de population, et les cliniciens, praticiens de l’interpersonnel, résulte d’une confrontation artificielle et donc stérile de ces deux démarches. Or celles-ci ne sont pas opposables mais s’articulent l’une à l’autre constamment, en une dialectique qui fonde la pensée médicale et scientifique. Médecine du groupe et médecine du cas ou du sujet diffèrent mais ne s’opposent pas, pas plus que ne s’opposent pratique objective quantitative et pratique intersubjective empathique. Elles ne sont pas deux démarches théoriques ni deux pratiques contradictoires, mais elles constituent les deux moments ou les deux logiques complémentaires d’une même pensée, d’une même démarche, celle de la médecine.
12La pratique du cas singulier constitue donc la limite naturelle de la connaissance objective issue de l’étude du groupe, et réciproquement. Ainsi, la logique probabiliste appuyée sur l’épidémiologie ne permet pas en médecine de prédire (au sens propre du terme) l’évolution d’un cas, l’histoire d’un individu : elle permet seulement au médecin de prendre des décisions thérapeutiques, elle rend possible le choix d’une technique ou d’une stratégie. De même, les connaissances générales constituent des guides pour les décisions cliniques, mais ne se substituent pas aux connaissances issues de la rencontre avec le sujet singulier, le patient. Démarche « scientifique » (au sens des sciences expérimentales, fondamentales et épidémiologiques) et pratique clinique interpersonnelle s’appuient l’une sur l’autre, mais se bornent ou se limitent aussi mutuellement, le médecin passant alternativement de l’une à l’autre dans sa pratique, alternant donc assimilation et accommodation.
13Finalement, ce qui est en question est la manière dont la pratique peut être guidée par les connaissances issues de la recherche. Les études épidémiologiques par exemple apportent des connaissances inaccessibles à l’étude de cas, ou de petites populations. Elles donnent accès à une dimension invisible au clinicien, et qu’il a cependant intérêt à connaître. À ce titre, ces données sont utiles pour définir une politique générale de santé, offrir des stratégies de santé publique, à l’échelle de populations ou sur un long terme. Leur application à la pratique clinique reste en revanche indirecte, car celle-ci doit prendre en compte la singularité de chaque situation, et donc la possibilité d’exceptions aux règles générales. Le problème est différent, nous le verrons, pour l’application à la pratique des données neuroscientifiques.
14La question est donc de comprendre pourquoi la dialectique entre données « scientifiques » ou de recherche et démarche clinique interpersonnelle pose particulièrement problème en psychiatrie, comme on l’a constaté à propos du « trouble des conduites » qui ont donné lieu à un affrontement entre argumentation « clinique » et argumentation « scientifique ».
15En fait, il semble bien que cet affrontement ait tenu en grande partie au fait d’avoir soulevé la question (cruciale pour la psychiatrie contemporaine) des relations entre recherche fondamentale et pratiques cliniques, à partir du concept de « trouble des conduites ». Les différentes faiblesses de ce concept, épistémologiques (la nature de la construction clinique elle-même) ou simplement scientifiques (le peu de connaissances acquises sur ces troubles) ont alors suffi à transformer le débat en polémique.
PREVENTION, PRONOSTIC ET PREDICTION EN PSYCHIATRIE DE L’ENFANT
16C’est surtout la proposition de fonder, sur des arguments nosographiques et sémiologiques objectifs issus de la catégorisation et de la généralisation, une démarche préventive et de dépistage très précoce qui a suscité la critique la plus forte. Indépendamment de la confusion entre démarche clinique et de recherche évoquée plus haut, l’expertise a soulevé d’abord le problème de la possibilité d’une démarche préventive en psychiatrie de l’enfant. Or, l’état des connaissances en psychiatrie permet-il d’appliquer efficacement à celle-ci les principes de prévention valables dans les autres disciplines médicales ?
17Il est trivial de rappeler que le développement de la personnalité constitue l’aboutissement ou la conjugaison du développement des différentes composantes du comportement (affective, émotionnelle, sexuelle, sociale, cognitive, intellectuelle...) et d’influences environnementales. Définir les facteurs de risque dans ce champ est un objectif majeur de la psychiatrie de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte, mais il faut en mesurer la difficulté. Au mieux s’agit-il d’un thème de recherche fédérateur et pluridisciplinaire pour les prochaines années.
18Quels indices permettent de mesurer le risque de développement ultérieur d’une tendance comportementale, d’une organisation de la personnalité ou d’une tendance pathologique, de la petite enfance à l’âge adulte ? Quels pronostics peut-on légitimement porter en pédopsychiatrie ? Même en restreignant le comportement à des composantes élémentaires, ou à des traits pathologiques isolés, il apparaît difficile aujourd’hui de répondre à cette question. Il en va de même pour la pathologie mentale plus caractérisée : psychoses, troubles de l’humeur. Pourtant, en toute logique, l’application d’une démarche de dépistage et de prévention au cas particulièrement complexe du « trouble des conduites » gagnerait à s’appuyer sur une expérience antérieure plus solide, issue de l’étude de pathologies dont la consistance fait l’objet d’un consensus et dont les déterminants biologiques, génétiques et environnementaux seraient, au moins, mieux connus, comme l’autisme ou la schizophrénie.
19L’autisme infantile en est un exemple. Bien qu’il s’agisse de la pathologie développementale pour laquelle la part de déterminisme génétique apparaisse être la plus forte, et dont l’apparition est la plus précoce – donc pour laquelle l’histoire personnelle et les facteurs environnementaux sont probablement les moins influents – il est aujourd’hui très difficile de prédire l’évolution d’un bébé présentant des troubles précoces de l’interaction sociale. Pour beaucoup, il est souhaitable d’utiliser des catégories nosographiques « ouvertes » (c’est-à-dire potentiellement évolutives et réversibles), pour définir ces enfants, précisément pour éviter de les inscrire dans une démarche prédictive, non par principe ou idéologie, mais parce qu’une prédiction n’est pas réalisable sans un important risque d’erreur (notamment de faux positifs). En revanche, il ne fait pas de doute que le repérage de ces facteurs de risque justifie l’instauration de procédures thérapeutiques. Pour la schizophrénie, le problème est analogue. Le repérage de signes précoces de troubles de la vie sociale ou de la représentation de soi n’autorise pas l’emploi de la notion de prémorbidité schizophrénique, tant le devenir des enfants ainsi repérés est variable et imprévisible d’une part, et d’autre part tant les signes prédictifs d’une évolution schizophrénique sont non spécifiques, fréquents et d’évolution multiple (Speranza, 2006). Autrement dit, l’usage en pratique psychiatrique clinique des indices inquiétants, des troubles ou anomalies précoces du comportement susceptibles de prédire une évolution pathologique, impose une extrême prudence. En fait, le paradoxe est qu’il faut alors mettre en place des pratiques de soin de manière tout à fait décisive, mais en faisant le pari d’une possible évolution favorable. Le principe même de l’action clinique repose sur l’adoption de cette perspective optimiste et volontariste, couplée à la décision d’une action de prévention forte, elle-même guidée par la connaissance du risque d’une évolution péjorative.
20Dans les deux cas, il est d’ailleurs difficile de définir la source de l’incertitude du clinicien quant à l’évolution des troubles précoces. D’un premier point de vue, cette incertitude tient au fait que le processus pathologique, autistique ou schizophrénique, connaîtrait un début très précoce, mais pourrait ensuite avoir de multiples modes évolutifs, dont la régression. Le diagnostic précoce est donc possible, mais l’évolution peut en être variable du fait de l’imprévisibilité du processus pathologique. D’un second point de vue, les troubles précoces sont seulement des étapes prémorbides et non spécifiques, susceptibles de conduire dans certains cas à une organisation pathologique authentique autistique ou schizophrénique, et dans d’autres cas à des troubles moins sévères, voire à un retour à la normalité ? Un diagnostic précoce est alors impossible, et la variabilité des évolutions tient à cette impossibilité. Autrement dit, dans le premier cas l’incertitude sur l’évolution et la difficulté pronostique témoigne d’une indécidabilité évolutive propre au processus pathologique, dont l’évolution serait ouverte et imprévisible. Alors que dans le second cas, cette difficulté pronostique est seulement liée à une difficulté diagnostique. Ainsi, l’incertitude sur l’évolution d’un bébé présentant des troubles précoces des interactions ne tient pas au fait que l’évolution d’un syndrome autistique d’apparition très précoce soit elle-même imprévisible, mais plutôt à la difficulté rencontrée par le clinicien pour distinguer entre des troubles dont l’évolution se fera vers un syndrome autistique caractérisé (et dont la nature autistique sera ainsi confirmée), et d’autres troubles développementaux d’expression clinique analogue mais susceptibles de régresser. Le doute est lié à la démarche diagnostique et non à la marche du processus pathologique. Du premier point de vue, l’évolution de l’autisme est irréversible mais son diagnostic précoce difficile ; du second, l’organisation d’un état autistique peut être précédée de troubles potentiellement réversibles. Or, ce débat a une grande importance pratique pour les cliniciens, car la seconde option laisse espérer, contrairement à la première, une réelle possibilité de prévention des troubles autistiques, alors que la seconde n’ouvre que des possibilités de dépistage.
21D’une certaine manière, on voit ici que tout dépend seulement de la façon dont on posera le problème, et notamment de la définition de la pathologie adoptée – de manière toujours en partie arbitraire. On constate que même pour ces pathologies connues, persiste une large incertitude sur la réversibilité de troubles précoces au cours du développement et sur leurs liens avec les organisations pathologiques fixées. Dans le contexte hautement complexe de la psychopathologie développementale, quel sens donner aux troubles précoces des conduites, et comment les inscrire dans une continuité avec les troubles de l’adulte, sinon avec encore plus de prudence, si cela est possible, que pour les deux pathologies caractérisées prises en exemple ?
22Le « trouble des conduites » constitue en effet une catégorie seulement descriptive, symptomatique, pouvant donc résulter d’une multitude de processus hétérogènes mêlant facteurs constitutionnels et environnementaux de manière sans doute plus complexe encore que pour les syndromes psychiatriques mieux définis. Alors que la physiopathologie de l’autisme ou de la schizophrénie, ou même des troubles de la personnalité, en reste encore à ses prémices, celle du « trouble des conduites » apparaît de ce point de vue prématurée. Si ceux-ci constituent une voie finale commune pour des perturbations développementales de nature très diverses, au même titre peut-être que les syndromes autistiques et schizophréniques, l’entonnoir qui conduit au « trouble des conduites » est probablement plus large encore, et le parcours plus imprévisible. Cette diversité et complexité des processus aboutissant au « trouble des conduites » rend particulièrement difficile l’interprétation des facteurs génétiques, interprétation déjà extrêmement prudente pour les pathologies plus homogènes, comme l’autisme, la schizophrénie ou les troubles de l’humeur.
23La difficulté d’une démarche pronostique en pédopsychiatrie a déjà été soulignée. Plusieurs études ont montré que la continuité entre les organisations psychopathologiques du jeune enfant, de l’enfant puis de l’adulte existe bel et bien mais n’apparaît clairement que pour une démarche rétrospective ; une démarche prospective privilégiera en revanche la discontinuité apparente des évolutions (Cramer et al., 2002). La continuité des organisations psychopathologiques de l’enfance à l’âge adulte est ainsi plus manifeste pour le psychiatre d’adulte que pour le psychiatre d’enfant, du fait de la différence des points de vue, c’est-à-dire d’une différence de méthode. Le pédopsychiatre est confronté à une nosographie protéiforme et mouvante, fluctuante, instable ; sa réalité est dominée par l’apparition, la disparition, la transformation incessantes de la pathologie au cours du développement. L’imprévisibilité domine le champ d’expérience du psychiatre d’enfant. Inversement, d’un point de vue rétrospectif centré sur l’adulte, la continuité apparaît, donnant l’impression qu’une démarche prédictive et préventive est possible dès le plus jeune âge. Nous sommes à nouveau confronté ici à ce qui oppose le point de vue du clinicien, confronté à l’imprévisibilité et à la discontinuité apparente des évolutions, et celui du chercheur qui, à distance de la clinique et dans une autre temporalité, dégage leur continuité invisible. De manière paradoxale, la prédictibilité serait possible surtout rétrospectivement et hors d’une pratique clinique. Si une prévention en pédopsychiatrie est certainement possible, elle risque donc d’être souvent aveugle, c’est-à-dire dissociée de réelles possibilités pronostiques. On peut comprendre le malentendu qui s’installe entre le clinicien inscrit dans le présent de la prise en charge, devenant volontiers militant de l’imprévisibilité, et le chercheur inscrit dans une autre temporalité.
24Cette difficulté pronostique en psychiatrie ne tient pas à une irréductibilité foncière du psychisme à l’observation scientifique : elle tient à sa complexité qui s’illustre notamment dans la notion d’histoire individuelle, et au rôle de l’environnement dans la construction de celle-ci. Les systèmes cardio-vasculaires ou endocriniens de tous les individus sont suffisamment identiques pour que l’on puisse déduire de leur étude des connaissances applicables à tout individu. L’influence de l’environnement sur ces systèmes peut être comprise sur la base d’études expérimentales objectives. Les organisations psychiques de tous les individus sont suffisamment identiques du point de vue de leurs structures génétiques, neurobiologiques et cognitives, pour permettre des généralisations ; cela n’empêche cependant pas que s’organise pour chaque individu une histoire unique. Et l’environnement s’ouvre ici à la complexité de différentes dimensions : relationnelle, c’est-à-dire des processus inter- ou copsychiques, mais aussi groupale familiale, culturelle, sociale, économique et politique. Toute démarche scientifique ou clinique qui nierait cette complexité, et la singularité de chaque histoire individuelle, est vouée à l’échec. Il résulte de cette complexité que nous manquons de connaissances scientifiques suffisantes sur les manifestations précoces de ces pathologies et sur leur organisation au cours du développement de l’enfant et de l’adolescent, pour mettre en place des programmes de prévention basés sur des connaissances vérifiées. Les démarches de prévention continuent donc de reposer sur des principes empiriques tirés de l’expérience pratique, moins par refus des connaissances qu’à défaut de celles-ci.
25La possible prévention de l’entité « trouble des conduites », et le dépistage d’enfants « à risque » pour celle-ci, rencontre une difficulté non spécifique en pédopsychiatrie, mais exacerbée ici par la complexité de l’organisation comportementale en cause, et par le poids dans l’apparition de celle-ci des facteurs environnementaux.
LE « TROUBLE DES CONDUITES » EST-IL UN CONCEPT CLINIQUE ? LES DERIVES ACTUELLES DE LA NOSOGRAPHIE PEDOPSYCHIATRIQUE
26Cependant, la polémique semble avoir été moins liée à cet aspect réellement scientifique de la question, qu’à la nature même de l’entité « trouble des conduites », en tant qu’elle apparaît définie, pour une large part, selon des critères nosographiques insuffisamment pertinents. Ce cas particulier peut ainsi illustrer utilement ce qui est à nos yeux une tendance générale récente de la psychiatrie de l’enfant : une dérive préoccupante de la sémiologie et de la nosographie.
27Cette dérive tient d’abord ici au rôle majeur donné, dans la définition du syndrome, à des critères non médicaux, ici socioculturels. Certes, cette contrainte s’applique par principe à l’ensemble de la psychopathologie. De manière générale, la définition du pathologique en psychopathologie ne prend pas en effet pour critère la notion de norme ni de moyenne, mais celle de « valeur » de la conduite qui sera considérée comme pathologique. Or la « valeur » d’une conduite est sa valeur adaptative, laquelle à ce titre est évidemment fortement dépendante du contexte social, historique et culturel (Canguilhem, 1966 ; Widlöcher, 1994). Toute entité ou « anomalie » psychiatrique ou psychopathologique est définie par le fait qu’elle affecte la « valeur » du comportement et qu’elle perturbe ainsi l’adaptation du sujet à l’environnement humain. Elle apparaît nécessairement coconstruite, selon des gradients variables, par la réalité biologique (qui détermine en partie une organisation ou tendance psychologique et comportementale) et par la réalité environnementale sociale et historique, dans la mesure où cette dernière définit la valeur adaptative de l’anomalie et en codétermine également la constitution et l’évolution. Tel trait de personnalité (par exemple l’impulsivité, l’agressivité ou l’inhibition) pourra ainsi avoir une valeur adaptative dans un certain contexte social ou historique, et en revanche être source de difficultés adaptatives majeures (et donc constituer une entité pathologique) dans un autre.
28Cependant, le poids des critères de définition sociaux apparaît particulièrement massif pour l’entité « trouble des conduites », comparativement à d’autres entités pathologiques. Cette dimension sociale inhérente à toute définition d’une anomalie psychopathologique est ici exacerbée par l’impact de la dimension éducative sur le comportement considéré, et aussi dans la mesure où ce qui caractérise le trouble est précisément et principalement le refus, l’ignorance ou la transgression de règles sociales, ordre et interdit, qui sont des constructions culturelles.
29Bien que cela n’écarte en fait nullement sa dimension neurobiologique, cette caractéristique de l’entité « trouble des conduites » a eu pour effet relativement prévisible de réactiver l’argumentation antipsychiatrique. En effet, la nature composite des troubles mentaux, dont la description est construite à l’interface des modèles de l’organisation biologique et de ceux de l’organisation sociale, a toujours suscité deux tendances antagonistes. L’une tend à exclure les déterminants environnementaux supposés exogènes pour appliquer en psychiatrie un modèle strictement biomédical, en ne retenant que les déterminants biologiques supposés endogènes (c’est le modèle de la « maladie mentale »). L’autre, opposée, voit dans le trouble mental une fausse maladie, en réalité une construction produite par l’organisation sociale et culturelle – une invention de la société et de la science (de la science psychiatrique donc). Si on adopte ce dernier point de vue selon lequel le « trouble des conduites » est principalement une construction socioculturelle, due en particulier aux institutions (psychiatrique, judiciaire, policière...), alors son diagnostic et plus encore son dépistage précoce serait le mécanisme même de sa construction, pour ne pas dire le mécanisme de son invention, processus pervers auquel il faudrait s’opposer de manière militante.
30La psychiatrie fabrique-t-elle donc ses objets ? Sans doute en partie, comme le démontrent les transformations permanentes et volontiers arbitraires de la nosographie. Mais aussi comme toute démarche scientifique traitant de phénomènes aussi complexes que le comportement humain, dont la description et la catégorisation impliquent inévitablement des critères interpersonnels et donc culturels. Nulle part en médecine ailleurs qu’en psychiatrie n’est aussi manifeste le rôle propre du « regard » porté sur l’objet clinique dans la construction de celui-ci, dès l’étape séméiologique. L’identification de la schizophrénie ou de l’autisme repose bien sur le repérage d’anomalies relationnelles dont les critères sont nécessairement culturels et intersubjectifs, à un moindre degré certes mais au même titre que la définition du « trouble des conduites ». L’étrangeté du contact ou le repli autistique, l’hallucination ou le délire se définissent en effet par la violation de règles communes implicites qui organisent le lien social ou le consensus sur une réalité commune. Les psychoses se définissent ainsi par la violation du « sens commun », lequel est à la fois consensus culturel, fait social, et réalité psychologique et biologique (car il est le produit d’opérations mentales qui assurent la constitution et la régulation du lien interpersonnel). C’est en cela que la psychiatrie s’appuie sur plusieurs « sciences fondamentales » : biologie, anthropologie, psychologie, sciences sociales, et même histoire. Sans adhérer à une position antipsychiatrique qui a commis l’erreur de méconnaître la réalité des organisations pathologiques et leur déterminisme biologique (quelle qu’en soit la part), on doit reconnaître le poids particulier d’éléments contextuels dans l’invention de l’objet de la psychiatrie. Celui-ci est en effet le comportement humain et ses anomalies, ce qui implique la prise en compte inévitable, pour les décrire et les comprendre, des différentes dimensions sociales et culturelles qui définissent avec d’autres (biologiques, cérébrales et psychologiques) l’organisation du comportement humain, et contribuent ensemble au processus complexe de sa régulation.
31Le poids important de critères non médicaux dans la construction de l’entité nosographique « trouble des conduites » est cependant particulièrement lourd de conséquences. Peut-on concevoir une démarche préventive, probabiliste et prédictive, pour une entité pathologique qui se caractérise à la fois par sa sensibilité à l’environnement social et par son impact en retour sur celui-ci – quelle prévisibilité est permise par ces relations causales réciproques incessantes ? Une catégorie définie principalement dans la dimension de l’histoire individuelle, c’est-à-dire selon une perspective sociale et anthropologique plutôt que biomédicale, est-elle conciliable avec le principe même d’une prévention médicale ? Ou s’agirait-il plutôt d’une prévention politique ?
32La volonté d’instituer un dépistage précoce et une prévention a ainsi logiquement mis le feu aux poudres, à cause de son corollaire : l’hypothèse d’un déterminisme préétabli et inexorable du devenir de l’individu (et non seulement d’apparition d’une pathologie), hypothèse contraire à diverses exigences éthiques, religieuses ou humanistes. Ces dernières sont par ailleurs de bon sens. Personne ne saurait en effet s’appuyer sur des arguments suffisamment solides pour prédire une histoire individuelle et la constitution d’une personnalité, et donc pour donner des recommandations qui ne soient extrêmement prudentes. Le développement, le devenir ou l’histoire du sujet humain constituent le phénomène le plus complexe qu’il soit donné d’étudier et de comprendre. Nulle part l’écart n’est aussi grand qui sépare les données issues de l’étude épidémiologique de populations ou de groupes et la particularité d’un destin individuel. À l’échelle de l’individu ou du sujet, la complexité prend le visage de l’imprévisibilité.
33La difficulté propre d’assurer une action de prévention en psychiatrie est ici accrue par l’impact de la dimension historique propre à l’individu. Elle l’est aussi par la trop grande hétérogénéité et complexité de l’entité clinique « trouble des conduites ». La prévention ne porte pas ici en effet sur une maladie, mais sur une tendance générale de l’organisation des comportements, entraînant des conséquences sociales telles que le dépistage précoce du « trouble » a été compris, non sans raisons, comme la possible prédiction d’un destin. On défendra alors, non sans raison encore, que l’homme n’obéit pas à un destin quelle qu’en soit la figure : biologique, génétique, social ou culturel, psychologique (modèles du déterminisme psychologique : hypothèses transgénérationnelles, histoire infantile), religieux ou magique...
34Tous les arguments convoqués ici ne sont pas scientifiques ni même rationnels, beaucoup reposent sur des croyances ou convictions. Chacun croit savoir qu’un mot, un regard, un jugement peuvent condamner, qu’une rencontre aux effets incalculables peut à tout moment sceller une vie ou décider d’un changement. Mais reconnaissons aussi que nous rencontrons là une croyance du Moi. Nous nous croyons ou voulons imprédictibles – indépendamment du fait que nous le soyons ou non réellement. Il y a sans doute là un facteur de résistance naturelle à toute démarche scientifique prédictive, même probabiliste et prudente, en psychologie et psychiatrie.
35La seconde conséquence du poids de la définition socioculturelle du « trouble des conduites » concerne l’impact négatif possible du repérage de ces anomalies sur leur propre évolution. C’est, avec la faiblesse des connaissances biomédicales applicables à ces troubles, un des arguments principaux de l’avis critique émis par le CCNE [2]. Il serait nécessaire en effet d’évaluer de manière objective et précise l’impact du repérage du trouble ou du risque (acte diagnostic ou pronostic) sur l’évolution même de l’organisation comportementale, via ses effets sur le sujet même et sur son entourage. La question a été souvent posée en pédopsychiatrie à propos de la dangerosité potentielle du diagnostic de pathologies sévères. On sait aujourd’hui que les modalités de la démarche diagnostique, de la pratique de son annonce, du contexte relationnel, jouent un rôle essentiel, et qu’il n’est pas justifiable de renoncer à la démarche diagnostique sur ce seul argument. Le diagnostic et le pronostic ne peuvent être envisagés pour eux seuls, ils sont des étapes d’une prise de décision préventive ou thérapeutique susceptible de bénéficier au patient. Ils sont justifiés par les actions qu’ils permettent de conduire, et de ce point de vue le diagnostic psychiatrique contemporain ne s’expose pas aux critiques qu’on peut porter à celui du XIXe siècle. Le risque éventuel lié au pronostic et au diagnostic doit être évalué au regard du risque encouru par le fait de ne pas en porter, les risques doivent être contrebalancés par les bénéfices attendus.
36Les critères largement sociaux de définition du « trouble des conduites », à l’interface des champs psychiatrique, social, éducatif et judiciaire, entraînent une autre conséquence : source de confusion entre les pratiques et des identités professionnelles, elle ravive la difficulté habituelle de la psychiatrie à tracer les frontières de son champ légitime. Non seulement celles-ci varient au cours du temps (comme le montre l’extension liée à la notion de santé mentale), mais ces variations sont souvent arbitraires du point de vue scientifique, volontiers dictées par des facteurs historiques, socioculturels et surtout économiques (comme le montre l’exemple de l’autisme ballotté entre médecine ou éducation, psychiatrie – psychose infantile – ou champ du handicap, entre budgets sanitaires ou médico-sociaux).
37Derrière ce problème de définition de l’objet clinique, se profile une question cruciale pour l’identité professionnelle du psychiatre, celle de la frontière du territoire de la psychiatrie et de son autorité au regard des champs connexes des pratiques judiciaire et éducative. Il est intéressant de rappeler que l’objet de la polémique est la dimension psychopathologique des troubles du comportement ayant des conséquence, sociales et judiciaires, problème posé par Bowlby en 1943 [3]. Or, il n’apparaît pas choquant au psychiatre de dégager, comme l’a fait Bowlby avant d’autres, les organisations psychopathologiques sous-jacentes à des comportements transgressifs relevant d’une sanction pénale. Il lui apparaît tout à fait opportun de repérer dans un champ de pratique voisin (social, policier ou judiciaire) des faits relevant de son autorité scientifique et de sa pratique propre. Il s’agit en effet alors d’étendre le champ de la lecture psychopathologique à d’autres territoires et d’y appliquer une pratique clinique, au moins diagnostique. Des objets cliniques psychopathologiques sont repérés dans le champ de pratiques voisines mais étrangères. La psychopathologie y gagne un nouveau champ d’application, sans devoir cependant réviser ses concepts cliniques ni sa théorie.
38Il semble que les résistances suscitées par l’expertise tiennent au fait que s’y profile une démarche inverse : l’objet clinique de la psychiatrie y semble redéfini en fonction de critères extérieurs, d’une terminologie propre au langage policier, judiciaire ou social, qui viennent imposer un remodelage de l’objet de la clinique psychiatrique. La psychopathologie ne découvre pas un territoire en terre étrangère, mais inversement des règles ou termes étrangers viennent redéfinir, sur son territoire propre, ses objets cliniques. La notion même de « trouble des conduites » illustre cette démarche : il ne s’agit pas de permettre une lecture psychopathologique d’objets extérieurs au champ de la psychiatrie (violence, transgression de l’interdit, comportements antisociaux) et ainsi d’étendre le champ d’application de la psychopathologie en respectant sa théorie et son langage (comme l’a permis le concept de psychopathie) ; mais inversement de définir dans le champ de la psychiatrie des objets cliniques sur la seule base d’un langage non psychopathologique, celui des parents, des pédagogues (l’opposition), des juges ou des policiers. On ne s’étonnera pas que ce processus soit perçu par les psychiatres comme une menace pour leur identité et leur pratique. On impose ainsi en effet à la psychiatrie un objet clinique nouveau, défini dans d’autres termes que ceux de son langage propre.
39Bien sûr, il ne s’agit que d’une redéfinition : l’objet clinique est bien l’expression comportementale, dans le champ du respect des règles sociales, de l’autorité et des interdits, d’une organisation psychopathologique sous-jacente dont l’expression comportementale est caractérisée par la violence. Mais il ne faut pas méconnaître pour autant l’importance de cette opération symbolique. Il s’agit bien en effet d’un réductionnisme au sens fort du terme, dans la mesure où le langage de description social ne vient pas s’associer au langage psychopathologique ou le compléter, mais où il prend simplement la place de ce dernier. Des faits sociaux deviennent ainsi des objets cliniques, dans une confusion épistémologique soulignée par les détracteurs du rapport. Rappelons dans le travail de Bowlby la diversité des organisations psychopathologiques qui sous-tendent une même expression comportementale antisociale. Cette diversité interdit évidemment de considérer le trouble du comportement en question comme l’expression symptomatique d’une organisation psychopathologique univoque. Mais, plus encore, elle interdit également de considérer ce trouble du comportement comme une entité nosographique. Or c’est précisément ce tour de passe-passe que réalise l’introduction de l’entité « trouble des conduites » dans la classification des troubles mentaux. En d’autres termes, la notion de « trouble des conduites » ne pose pas de problème tant qu’elle est utilisée par des psychiatres qui réintroduisent automatiquement (souvent implicitement) son contenu psychopathologique, c’est-à-dire les particularités du fonctionnement psychique sous-jacentes au trouble du comportement, qui sont les objets de la clinique psychiatrique. En revanche, si la dimension propre au fonctionnement psychique n’est pas restituée, l’objet est dénaturé et l’on peut s’interroger sur la pertinence de l’ensemble des démarches (explicatives, thérapeutiques, préventives) qui découleront de cette redéfinition de la clinique, c’est-à-dire d’une erreur de perspective initiale.
40Il s’agit bien là d’une tendance générale à créer des catégories nosographiques artificielles selon des critères proprement étrangers à la psychiatrie, et à les introduire sans aucune précaution épistémologique dans la nosographie pédopsychiatrique qui se trouve ainsi radicalement restructurée... ou plutôt déstructurée. On en trouvera facilement d’autres exemples en psychiatrie de l’enfant : l’échec scolaire, l’enfant surdoué, le trouble oppositionnel avec provocation... Quel sens y a-t-il par exemple à définir une catégorie nosographique (l’enfant précoce) sur le seul critère du score au test de QI, alors que le critère pertinent pour l’approche psychiatrique est l’organisation psychopathologique de l’enfant – une grande diversité de ces organisations pouvant ainsi être associées à un QI élevé ?
41Cette dérive des diagnostics – qui n’est d’ailleurs pas propre à la psychiatrie (Smith, 2002) – a des implications pratiques et techniques directes, car en psychiatrie la définition du syndrome ou du symptôme n’est pas gratuite, elle dépend d’une lecture théorique qui inspire une pratique thérapeutique : la démarche diagnostique guide donc la pratique. Or, comment une nosographie définie par des critères étrangers à la psychiatrie (éducatifs, sociaux et volontiers normatifs et moraux [4]) pourrait-elle guider une pratique psychiatrique thérapeutique ? On voit quelles seront les conséquences de cette nouvelle nosographie : elle dictera une pratique non psychiatrique (éducative, rééducative ou pédagogique). Elle menace donc l’identité même de la psychiatrie.
42Contrairement à la notion de trouble de la personnalité, qui confère une intelligibilité aux troubles du comportement par l’hypothèse d’un arrière-plan processuel, celle de trouble des conduites est seulement descriptive, et non explicative ou compréhensive. S’opposent ainsi une clinique que nous définirons comme fonctionnelle, qui rend intelligible le trouble observé et ouvre des perspectives explicatives, et une clinique strictement descriptive. Cette dernière appelle donc en complément nécessaire une dimension psychologique fonctionnelle. De quoi ces troubles (l’agitation, l’agressivité, la violence) sont-ils le signe – signe en lui-même non spécifique ? À défaut de se poser ces questions et donc de réintroduire une dimension explicative physiopathologique sous-jacente, ici psychopathologique, la psychiatrie régresserait à l’état d’une médecine du XVIIe siècle qui considérait la toux ou la fièvre comme des maladies.
43La tendance actuelle, entretenue par le DSM, consiste en particulier à concevoir le symptôme clinique comme l’expression directe d’un processus pathologique, par exemple une anomalie « neuro-développementale ». Pour ce modèle, une relation de cause à effet relie de manière linéaire l’effet premier de facteurs génétiques, puis les anomalies cognitives – facteurs psychologiques constitutionnels de « fragilité » ou « vulnérabilité » – qui en découlent (comme inversement la résilience), et enfin le déclenchement des troubles cliniques comportementaux, sous l’influence de facteurs situationnels environnementaux (événements) interagissant avec ce terrain et jouant un rôle fragilisant, facilitant ou déclencheur. Ce schéma néglige une quatrième variable jugée pourtant longtemps cruciale, qui est la réaction de l’organisation psychique, de la « personnalité » elle-même aux effets sur elle du processus pathologique, réaction dont dépendra également à la fois l’expression clinique (l’intensité et la nature des symptômes) et l’évolution de la pathologie. Ainsi a-t-on insisté par le passé comme plus récemment sur l’importance cruciale de la réaction anxieuse à l’émergence de processus psychotiques chez l’enfant et le jeune adulte (Bender, 1947 ; Escher et al., 2002 ; Grivois, 1995). C’est tenir compte de l’organisation fonctionnelle du psychisme perturbée par le processus pathologique, et de la nature variable de sa réaction à celui-ci.
44Ce point de vue transforme la compréhension du symptôme clinique : il n’est pas nécessairement seulement l’expression directe d’un processus pathologique à base génétique et biologique, mais il peut être à la fois l’expression de ce processus et de la réorganisation psychique qui est produite en réponse à celui-ci. La clinique est à la fois l’expression du déséquilibre, dysfonctionnement ou déficit induits par le processus, et l’expression d’une tentative de réorganisation, de compensation de ceux-ci. La distinction entre l’expression directe du processus pathologique en tant que « primum movens » et les effets indirects de celui-ci dans le fonctionnement psychique est faite, notamment par Bleuler qui distingue dans la schizophrénie symptômes primaires et secondaires, ces derniers relevant d’une forme de psychogenèse, c’est-à-dire de logiques de production liées à l’organisation psychique réagissant au processus.
45Freud adopte un modèle analogue qui fera date, en considérant le délire psychotique comme l’expression d’une « tentative de guérison », c’est-à-dire de réorganisation mentale visant à compenser le trouble premier induit par la psychose (la perte du contact avec la réalité). Mais cette lecture de la clinique n’est en rien propre à la psychanalyse : elle tient seulement compte de ce qui, dans la clinique, relève respectivement d’un désordre ou déficit premier et des tentatives de compensation de celui-ci. Cette lecture est habituelle, par exemple, en neurologie (la confabulation compensatrice observée dans l’amnésie de Korsakoff). Elle introduit en psychiatrie la dimension de l’organisation fonctionnelle psychique ou mentale, vite effacée par un modèle de causalité trop linéaire qui réduirait le symptôme à l’expression exclusive du déficit ou du dysfonctionnement. Or la psychiatrie de l’enfant, contrairement à celle de l’adulte, ne peut évacuer cette dimension qui lui est sans cesse rappelée par la dynamique propre du développement. Tenir compte de la variable développementale, c’est en effet tenir compte, sous la forme de sa transformation diachronique constante, de la variable que constitue l’organisation psychique elle-même, et de ce qu’elle imprime à la construction de la symptomatologie.
46On pourrait donner différents exemples, dans les modélisations psychiatriques modernes, de négligence de la dimension constituée par l’organisation fonctionnelle psychique en tant qu’elle est affectée par le processus pathologique et réagit à celui-ci. Tenir compte de l’organisation psychique a ainsi des conséquences importantes pour la définition de l’environnement. L’événement en particulier (Guyotat et Fedida, 1985), fait environnemental ou situationnel par excellence, ne peut de ce point de vue être défini indépendamment de l’activité mentale qui le représente et lui donne sens, qui l’interprète ou même le construit. Ainsi, dans le modèle dit « stress-vulnérabilité », le stress est défini comme un facteur produit par la situation événementielle, plutôt que comme le produit d’une réaction de l’organisation psychique à une situation.
47Le point crucial est donc la réintroduction d’une lecture psychopathologique fonctionnelle, d’autant plus nécessaire que le champ clinique est dans le cas du « trouble des conduites » particulièrement confus, à la frontière de plusieurs autres champs de pratique. Il s’agit ici de la psychopathologie de l’opposition à l’autorité et à la loi, de la transgression des interdits, de la violence, champ dans lequel les travaux se sont accumulés au cours du siècle dernier. Cette psychopathologie est pluraliste et associe sciences humaines et neurosciences. Le modèle psychanalytique du symptôme n’est pas le seul en effet qui puisse inspirer une clinique fonctionnelle, une psychopathologie cognitive ou neurobiologique le permet aussi mais selon d’autres principes explicatifs.
PRATIQUE CLINIQUE ET REFERENCE NEUROBIOLOGIQUE : CAUSES OU MECANISMES BIOLOGIQUES ?
48Enfin, parce qu’elle a réveillé la classique querelle psychiatrique du déterminisme des pathologies, l’expertise de l’INSERM a nourri autour de la référence biologique une polémique entre tenants de l’inné et de l’acquis, polémique que l’on pouvait penser pourtant aujourd’hui aussi obsolète que le dualisme du corps et de l’esprit. On a pu ainsi voir la notion de déterminisme biologique identifiée au déterminisme génétique, et celui-ci à la théorie de l’hérédité, vieux squelette dans le placard psychiatrique. Contre le spectre du retour de la théorie de l’hérédo-dégénerescence et d’une collusion entre pronostic et prédiction, diagnostic et stigmatisation, soin et répression, s’est élevée avec vigueur la défense d’un déterminisme environnemental, et de l’imprévisibilité de l’histoire individuelle, telle que le clinicien la rencontre.
49L’identité de la psychiatrie française moderne est en effet étroitement liée à la reconnaissance de la part environnementale, individuelle et historique du déterminisme des pathologies, et à la critique des modèles déterministes réducteurs biologiques ou sociaux. La collusion passée entre théorie de l’hérédité et lecture sociopolitique pèse encore aujourd’hui. Pour la théorie de la dégénérescence, nature héréditaire et caractéristiques sociales des troubles mentaux se confondaient dans un même processus explicatif causal. La psychiatrie française s’est constituée en opposant à ce modèle le rôle de l’environnement dans le déterminisme des pathologies, et en s’appuyant sur la psychanalyse convoquée ici (de manière sans doute réductrice) comme théorie du rôle de l’histoire individuelle dans ce déterminisme. Agir sur l’environnement de l’individu, au lieu de le considérer comme le stigmate, le corrélat ou la conséquence inévitables de la pathologie mentale, ou d’en nier l’importance, a été le credo de psychiatres militants, dont l’action a ainsi nécessairement été sociale, institutionnelle et donc politique autant que médicale. La psychiatrie française conserve de cette lutte une méfiance militante à l’égard de toute forme de confusion entre effets et causes (particulièrement à propos des relations entre contexte socioculturel et troubles mentaux), ainsi que de toute possible implication ou interprétation sociale et politique d’un modèle médical. À tort en ce qui concerne la génétique moderne, elle a longtemps vu dans l’application de la génétique à la psychiatrie le danger d’un retour à la théorie de l’hérédité, qui éliminerait le rôle majeur de l’environnement. De même, comme on l’a vu, elle s’est parfois défiée des démarches diagnostiques et pronostiques.
50Il n’existe cependant pas, du point de vue scientifique aujourd’hui, de contradiction entre déterminismes génétique et environnemental, certains gênes (dont l’expression est elle-même modulée par l’environnement) ayant pour fonction de codéterminer la sensibilité à l’environnement, c’est-à-dire (du point de vue clinique) la constitution même de l’environnement événementiel propre du sujet au cours de son histoire, et ce dès les étapes les plus précoces des relations interhumaines. Ces résistances se comprennent donc si on adopte une lecture historique. Subsiste de l’histoire de la psychiatrie française, et du rôle majeur qu’y ont joué la psychanalyse et les sciences humaines (psychologie, anthropologie, sociologie), une opposition artificielle entre celles-ci et les sciences expérimentales objectives, opposition qui a moins de base épistémologique que de raisons historiques et idéologiques. La réconciliation des sciences humaines, dont les sciences cliniques fondées sur l’intersubjectivité comme la psychanalyse, et des sciences expérimentales et objectives est donc l’enjeu majeur de l’évolution de la psychiatrie. De ce point de vue, l’expertise pourrait bien être une occasion manquée de rencontre entre recherche fondamentale et pédopsychiatrie clinique, si elle devait renforcer le rejet des neurosciences et des approches objectives par les cliniciens, et éloigner ceux-ci des chercheurs.
51Les difficultés rencontrées par l’expertise dans l’intégration de la dimension neuroscientifique ne tiennent pas seulement au problème soulevé par la notion de déterminisme génétique et au risque classique de confusion entre causes biologiques et mécanismes biologiques, source de réductionnisme causal. Elles sont aussi liées à la nature du niveau d’explication neuroscientifique convoqué, qui était limité à des processus relativement élémentaires de contrôle et planification du comportement. Les neurosciences ouvrent pourtant des perspectives de recherche prometteuses sur les comportements violents et sur ceux dits « antisociaux », c’est-à-dire sur la transgression ou l’ignorance des lois et interdits. Les neurosciences sociales, issues des premiers travaux sur les cognitions sociales (théorie de l’esprit), impliquent par exemple la compréhension des mécanismes neurocognitifs sous-jacents à l’empathie ou au sens moral. Elles s’articulent ainsi à l’étude plus ancienne des troubles de l’attachement, de l’expérience de sécurité ou d’insécurité, pour offrir un regard neuroscientifique sur le comportement violent, de manière complémentaires de sa lecture clinique. Ces recherches restent encore éloignées de possibles applications de prévention ou thérapeutiques, mais elles définissent un cadre d’importance fondamentale : celui de l’articulation entre neurosciences et psychopathologie clinique, question qui n’est pas à développer ici plus avant (Georgieff, 2007).
CONCLUSION
52Les controverses suscitées par l’expertise, et l’expertise elle-même, peuvent être considérées comme des symptômes révélateurs des difficultés propres de la psychiatrie dans la médecine contemporaine, et dont il faudrait faire l’analyse. Celle-ci repérerait en premier lieu que le terrain choisi par l’INSERM était particulièrement favorable à l’éclosion d’une polémique : une entité clinique insuffisamment fondée autant du point de vue épistémologique que clinique ; entité située à la frontière des champs médical, social, politique et juridique, donc propre à réveiller les débats de l’antipsychiatrie (soigner, surveiller, punir) ; enfin l’exclusion par l’expertise de la littérature clinique psychopathologique nourrie par les sciences dites « humaines », c’est-à-dire non expérimentales et fondées sur la pratique clinique, sur l’intersubjectivité et l’étude du cas. Il en a résulté un affrontement dont les implications politiques et éthiques ont en partie masqué les enjeux importants, pour la psychiatrie, de la démarche de l’INSERM.
53Le développement d’une psychopathologie pluridisciplinaire des comportements violents, objet de réflexion d’importance majeure au carrefour de la psychiatrie, des sciences sociales et du champ judiciaire (R. Tremblay, 2005), constitue un de ces enjeux. Avec la psychanalyse, les neurosciences peuvent contribuer à la compréhension du comportement violent, lui-même saisi dans le cadre de la psychopathologie moderne de l’action, notamment grâce aux travaux menés sur les cognitions sociales et la régulation sociale du comportement.
54Un second enjeu concerne les possibilités de pratiques de prévention en pédopsychiatrie, et leurs limites. Au regard de l’état des connaissances sur le développement de la psychopathologie, de la naissance à l’âge adulte, il apparaît prématuré de fonder une pratique de prévention sur des indices objectifs et sur des logiques prédictives. Force est de constater que la prévention reste, par défaut, largement fondée encore sur l’empirisme. Reste à approfondir une question difficile qui ne peut être escamotée : comment intégrer, malgré cet écart, dans la pratique clinique précoce du jeune enfant, les données des études épidémiologiques et neuroscientifiques, de manière à la fois scientifiquement pertinente et éthique ? On a insisté sur la faiblesse scientifique et les dangers d’une approche prédictive fondée sur des arguments objectifs insuffisants. Mais reconnaissons que le rejet, au nom du respect de la complexité clinique, de toute démarche prédictive ne répond pas mieux à la question posée, et surtout à l’exigence d’agir pour réduire les risques d’évolution péjorative.
55Un troisième enjeu majeur est donc la recherche d’une articulation fonctionnelle entre, d’une part, les pratiques psychiatriques cliniques, diagnostiques et thérapeutiques, dont le savoir reste aujourd’hui largement empirique comme l’a montré Lanteri-Laura (2003), et d’autre part, les connaissances issues des sciences fondamentales. S’il est indiscutable que la psychiatrie doit confronter ses modèles et théories aux sciences expérimentales, que les pratiques cliniques doivent tenir compte des connaissances scientifiques expérimentales et objectives, et doivent évoluer en les intégrant, c’est la modalité de cette intégration qui pose problème. Un travail de rapprochement critique et d’articulation entre sciences cliniques et sciences objectives et expérimentales est particulièrement nécessaire, et pourrait être considéré comme le cœur même de la psychiatrie.
56Cette question est aussi d’ordre épistémologique, dans la mesure où sciences cliniques et sciences expérimentales ne s’inscrivent pas dans les mêmes ordres de description et de compréhension du comportement et du psychisme. Démarche clinique et démarche expérimentale appréhendent cet objet à des niveaux d’organisation radicalement différents. Les approches cliniques portent sur un niveau de complexité spécifique, celui de l’intersubjectivité, de la conscience de soi et d’autrui, sur le plan de l’intentionnalité des conduites ; les neurosciences portent en revanche sur des niveaux d’organisation du comportement radicalement différents : niveaux des processus élémentaires biologiques et cognitifs qui assurent la production et la régulation de la même conduite.
57Les pratiques cliniques interpersonnelles ou intersubjectives produisent ainsi des systèmes de connaissance qui obéissent à des règles propres, et définissent une scientificité dont la nature est distincte de celle des sciences expérimentales. Les pratiques interpersonnelles qui fondent les différentes psychothérapies prennent pour objet l’intentionnalité des conduites. Elles dégagent des règles d’action en rapport avec cet objet propre. Agir au plan de l’intentionnalité suppose de prendre en compte une réalité spécifique, et d’utiliser des modèles de cette réalité. Même si on disposait de connaissances neuroscientifiques infiniment plus étendues qu’aujourd’hui sur les processus neurobiologiques et cognitifs sous.jacents aux pratiques interpersonnelles, par exemple psychothérapiques, il n’est pas certain que ces connaissances auraient un impact direct sur les pratiques, pas plus d’ailleurs que sur les pratiques éducatives, économiques ou politiques. On voit mal aujourd’hui comment la connaissance de la neurophysiologie cérébrale peut faciliter les prises de décision d’un praticien confronté à la souffrance d’un sujet porteur d’un trouble de la personnalité ou d’un risque suicidaire. Ces questions d’ordre technique trouvent leurs réponses dans un savoir-faire clinique, dans la science d’une pratique relationnelle interpersonnelle, dont le contexte est psychologique et social. En revanche, la connaissance des anomalies du fonctionnement biologique et cognitif dont souffre le sujet peut dans certains cas (schizophrénie, autisme, démence) enrichir la pratique clinique, par exemple en aidant à comprendre les limites de cette pratique dans une pathologie donnée, et en invitant à l’adapter en tenant compte des particularités du sujet ; mais ici encore ces connaissances ne peuvent se substituer au savoir clinique, à la science de la pratique, elles la guideront seulement ; car l’une et l’autre lecture ne se situent pas sur un même plan.
58La complexité de l’objet clinique psychiatrique ne peut cependant être opposée au projet des sciences « naturelles » objectives comme un obstacle insurmontable. Elle peut aussi être comprise comme une donnée conjoncturelle, l’expression de la limite actuelle de la connaissance scientifique. La difficulté de l’articulation entre clinique et recherche fondamentale en psychiatrie tient aussi à l’état des connaissances neuroscientifiques, qui ne permettent pas encore une intégration suffisante entre les connaissances cliniques et celles des sciences fondamentales. De ce point de vue, la question n’est peut-être pas propre à la psychiatrie. Toutes les pratiques médicales sont confrontées à la difficulté de relier le niveau de la recherche fondamentale à celui de la pratique clinique, et il n’est pas certain que la situation de la psychiatrie soit radicalement différente de celles d’autres spécialités médicales, même si celles-ci sont plus familiarisées aux principes de l’ “ evidence based medicine ». Mais du fait de la complexité de son objet, la psychiatrie ne dispose pas encore d’une physiologie aussi avancée que celle qui permet ailleurs en médecine d’intégrer les niveaux de connaissances, de l’étude du gène à celle de la biologie moléculaire jusqu’à celle du trouble clinique, et donc aux possibilités de son traitement. La psychiatrie n’a pas encore achevé de construire sa physiologie, physiologie de l’esprit et du comportement. Et il semble bien que cette physiologie soit obligatoirement pluraliste. Si les neurosciences, la neurobiologie et les sciences cognitives tendent à y occuper une place croissante, c’est à côté d’autres champs de recherche et théoriques : psychopathologie et psychanalyse, sociologie et anthropologie, psychologie et philosophie.
59L’articulation entre sciences cliniques, ou sciences de la pratique, et sciences fondamentales à base expérimentale ou quantitative est une charnière essentielle de la psychiatrie contemporaine. Le risque est de voir s’accroître la distance qui sépare déjà de manière inquiétante cliniciens et chercheurs, savoir de terrain et savoir universitaire. Il serait dommage que la tentative de l’INSERM menée à propos du « trouble des conduites » ravive une défiance des pédopsychiatres français à l’égard des sciences non cliniques. Ceux-ci sont en effet déjà confrontés à une difficile alternative : ou bien l’adhésion à une psychiatrie qui se prétend, à tort ou à raison, « scientifique » mais apparaît trop souvent appauvrie et réductrice ; ou bien le rejet des sciences expérimentales, de la quantification et de la recherche objective sur les pratiques, au nom de la défense d’une démarche intellectuelle plus respectueuse de la complexité.
60En effet, l’emploi d’une méthodologie scientifique et de la référence neuroscientifique a été trop souvent et à tort associé jusqu’ici à un appauvrissement de la pratique clinique. La séméiologie pédopsychiatrique moderne tend à se réduire à des listes de symptômes et à être détachée de la dimension fonctionnelle psychopathologique qui lui confère son intelligibilité en en dégageant les logiques sous-jacentes. La nosographie est atomisée, juxtaposant des entités de plus en plus restreintes selon une logique principalement descriptive et déterminée par la prise en compte, dans la description du comportement, de critères (sociaux, éducatifs, normatifs, voire moraux) étrangers à la psychopathologie (TC, TOP...). Du fait des critères choisis pour définir les entités nosographiques, la pratique thérapeutique tend à se réduire à une pratique psychopédagogique ou à de nouvelles formes de rééducation, éloignées du principe d’une action thérapeutique. Le morcellement de la nosographie se fait au détriment d’une lecture dimensionnelle et fonctionnelle. Ignorés par cette nouvelle lecture clinique, les liens fonctionnels qui sous-tendent la diversité des expressions symptomatiques font bien sûr retour d’une manière opaque et massive par la multiplication des « comorbidités » et associations entre les catégories cliniques.
61On comprend que cet amalgame puisse susciter une tendance au rejet, par les cliniciens, des références aux sciences dites « dures » ou à l’approche quantitative. Il peut conduire certains à revendiquer l’empirisme clinique, à faire l’éloge d’une intersubjectivité désincarnée, et finalement à prôner un dualisme ontologique devenu pourtant aujourd’hui insoutenable. Il serait cependant dommage de prendre prétexte des excès du réductionnisme biologique ou expérimentaliste pour rejeter les avancées des neurosciences, pour détacher la psychiatrie de ses assises biomédicales et retarder l’alliance des sciences cliniques psychiatriques et des sciences expérimentales. Ce que nous avons qualifié de dérive nosographique de la pédopsychiatrie (et plus largement de la psychiatrie) ne doit rien en effet à proprement parler aux progrès des neurosciences et des recherches quantifiées qui, comme nous l’avons vu, portent sur un autre plan que celui de la pratique clinique et ne justifient ni une critique radicale des pratiques, ni une mutation de la description clinique. Est en cause en revanche un changement de la référence conceptuelle dominante de la psychiatrie, comme si l’intégration des nouvelles références biologiques et objectives devait s’accompagner d’un abandon des références aux sciences cliniques et « humaines », selon un obscur principe d’antagonisme, peut-être lié au retour d’un dualisme profond qui oppose idée et matière, et à une tendance totalitaire de résistance au pluralisme.
62L’enjeu réel est inverse : il s’agit de se saisir des connaissances nouvelles issues de la recherche expérimentale, des travaux des neurosciences, tout en préservant la richesse des sciences cliniques, et même en l’accroissant. Il n’est plus pertinent d’opposer selon un principe dualiste l’écoute de la subjectivité aux approches expérimentales et objectives. La complexité de l’objet, la subjectivité et l’intersubjectivité, l’intentionnalité, la régulation des conduites les plus complexes, sociales et interpersonnelles, ne justifient pas une rupture avec les neurosciences ou la biologie, au contraire elles ouvrent le champ de recherche le plus passionnant et le plus nécessaire à l’une comme à l’autre. L’enjeu des neurosciences cognitives aujourd’hui est l’étude objective de la subjectivité et de l’intersubjectivité (Georgieff, 2005), la prise en compte de l’histoire individuelle et des aléas des premières relations dans le développement. En cela, les neurosciences s’inscrivent dans la continuité de la démarche psychopathologique qui a joué jusqu’ici, de manière plus ou moins satisfaisante, le rôle de « science fondamentale » de la psychiatrie. La réconciliation des sciences cliniques de l’intersubjectivité, dont la psychanalyse, et des sciences du cerveau, les neurosciences cognitives, est l’enjeu majeur des travaux futurs, et d’elle dépend en grande partie l’avenir de la psychiatrie.
63Pour réduire le clivage actuel qui menace de se développer entre pratique clinique et recherche objective ou expérimentale, les efforts doivent cependant être réciproques. Si on peut espérer un intérêt bienveillant ou même des attentes de la part de cliniciens mieux informés à l’égard des sciences non cliniques, celles-ci, et notamment en recherche expérimentale, ont également une partie du chemin à parcourir.
64En fait, il faut distinguer deux champs dans le cadre général des travaux de recherche référés au même cadre méthodologique et conceptuel des sciences « dures » : celui de la recherche fondamentale appliquée à la pathologie et celui de la recherche fondamentale appliquée aux pratiques ; l’étude des mécanismes neurocognitifs impliqués par les pratiques cliniques et leurs effets, l’évaluation objective des pratiques. Un des facteurs majeurs de clivage entre le monde de la clinique et celui de la recherche en neurosciences tient à la dominance des recherches prenant pour objet la pathologie, et à la pauvreté de la recherche prenant pour objet les pratiques cliniques. Or les connaissances sur les pathologies, issues des neurosciences, présentent encore trop peu d’intérêt pratique direct pour les cliniciens, ont encore trop peu d’impact sur leur pratique, du fait de l’écart actuel entre niveaux de complexité que nous évoquions.
65Pour rapprocher et réconcilier clinique et recherche en psychiatrie, il est nécessaire de développer des recherches en neurosciences et en épidémiologie sur les pratiques elles-mêmes. Les neurosciences doivent s’intéresser aux pratiques cliniques, à leurs mécanismes et à leurs effets. Au même titre que les états pathologiques, les pratiques thérapeutiques impliquent en effet des mécanismes neurobiologiques et cognitifs, la structure et le fonctionnement du cerveau. La connaissance de ce niveau d’organisation peut contribuer à la compréhension des pratiques comme à celle des faits cliniques. On peut fixer différents objectifs à ce type de recherche : mieux comprendre les mécanismes et substrats neurocognitifs des thérapeutiques empiriques, améliorer ou transformer ces pratiques à partir de cette compréhension et aider à développer de nouvelles pratiques adaptées à certaines situations cliniques ou pathologies, au regard des connaissances acquises parallèlement sur les processus neurocognitifs liés aux pathologies.
66En revanche, exclure du champ d’étude les pratiques empiriques, ou vouloir leur substituer prématurément de nouvelles pratiques appauvries, inspirées (ou supposées l’être) des sciences fondamentales, ne peut qu’accentuer encore l’écart. C’est toute la difficulté, et les limites, des « recommandations » proposées par l’expertise. Il faut intégrer les sciences cliniques existantes, dont l’éventail des pratiques psychothérapiques inspirées par la psychanalyse, au champ d’étude des neurosciences et des sciences expérimentales, les prendre elles-mêmes pour objet de recherches objectives, neuroscientifiques expérimentales et théoriques, pour comprendre comment elles fonctionnent et les faire progresser ; et non les critiquer pour leur empirisme ou les récuser au nom du primat de l’expérimentation.
67Ces différents enjeux cernent l’identité d’une psychiatrie contemporaine certes en mutation, mais toujours ancrée au carrefour des sciences humaines et des sciences expérimentales, des sciences de la pratique interpersonnelle et des sciences fondamentales du comportement. La condition d’un enrichissement mutuel est une politique scientifique psychiatrique pluraliste qui encourage les échanges et collaborations entre sciences cliniques et sciences expérimentales ou objectives, entre sciences « dures » et sciences humaines [5], et rééquilibre les influences entre elles, notamment en termes d’autorité scientifique. Tel peut ou doit être le rôle de l’INSERM. Un axe organisateur de cette recherche pluridisciplinaire est, en psychiatrie de l’enfant, le développement. Faut-il rappeler que la psychiatrie de l’enfant a dès son origine en France constitué un creuset où ont été rassemblées les influences de la neuropsychologie, de la pédiatrie, de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychanalyse, des approches éducatives, de la psychologie développementale et des sciences sociales ?
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Mots-clés éditeurs : Recherche, Psychopathologie, Expertise, Trouble des conduites, Pédopsychiatrie
Mise en ligne 25/09/2008
https://doi.org/10.3917/psye.511.0005Notes
-
[1]
Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université Claude-Bernard, Lyon 1 et ITTAC, Centre hospitalier Le Vinatier, Bron.
-
[2]
Comité consultatif national d’éthique.
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[3]
Quarante-quatre jeunes voleurs, leur personnalité et leur vie familiale, trad. franç. in La Psychiatrie de l’enfant, 49, 1, 2006, 7-123.
-
[4]
Cf. la référence au « mensonge » comme précurseurs du « trouble des conduites ».
-
[5]
Cette approximation recouvre une distinction entre sciences cliniques ou de la pratique interhumaine et sciences objectives ou expérimentales. Les premières reposent pleinement sur la subjectivité, les secondes tendent à traiter cette dernière comme une variable négligeable ou un biais à écarter. Ce partage permet de tenir compte d’objets ou champs communs d’étude et d’application, mais souligne l’essentiel de la différence entre les points de vue : la méthode par laquelle l’objet est saisi, compris et théorisé.