« Dans nos rapports avec ceux que nous aimons, il y a un grand nombre de problèmes dont nous ajournons la méditation parce que l’édification de la vie commune presse davantage ; et plus tard, une fois figés dans la forme que nous avons choisie, nous ne pouvons plus rien voir autrement qu’à travers cette forme. »
1Les équipes des lieux d’accueil de la petite enfance préoccupées par l’évolution d’un bébé, ses signes de souffrance, sont parfois confrontées au silence des parents en réponse à leurs inquiétudes. De même, les professionnels (auxiliaires, éducatrices, puéricultrices, pédiatres, psychologues) peuvent être sidérés, incapables de prendre acte des symptômes typiques du premier âge ou des interrogations anxieuses formulées par les parents. Dans un cas comme dans l’autre, tout se passe comme si ces signaux de détresse se heurtaient à une apparente insensibilité de la part des protagonistes.
2Actuellement, si les réseaux d’aide en matière de soins précoces tendent à mieux s’organiser, les difficultés de dépistage et d’orientation en amont demeurent. Les retards de diagnostic signent l’insuffisance de moyens précoces, préventifs et thérapeutiques. Notre propos est de réfléchir aux mécanismes qui pérennisent et organisent la sidération diagnostique et thérapeutique ; ainsi que l’infléchissement et la mobilisation de leurs conséquences. Si l’évaluation clinique est trop tardive, il devient improbable de les lever, même par des soins intensifs. Une fixation péjorative à des troubles de la personnalité risque d’advenir.
3Au sein du dispositif de prévention et de soins précoces dont on dispose en France, le rôle des psychologues est essentiel dans les lieux d’accueil de la petite enfance ; leur travail en réseau avec la PMI, les CMP, CMPP et les autres services de soins, mérite aussi d’être souligné. Nous mettrons l’accent sur ce qui se joue dans ces lieux d’accueil au niveau des processus défensifs face au bébé, qui s’articulent à l’intrafamilial et à l’intra-institutionnel, en tentant de décrypter les répétitions qui les traversent.
4Les différents modes de garde existant actuellement se distinguent en deux groupes, ceux de type collectif public ou privé (les crèches collectives, familiales ou parentales, les haltes-garderies et les jardins d’enfants) et ceux de type individuel (assistantes maternelles). Quelle que soit la configuration choisie par les parents, il y a toujours passage de l’enfant de la sphère familiale à une sphère plus large, professionnelle et sociale. Cette dernière a considérablement évolué au cours des dernières décennies, se diversifiant en même temps que le rôle des femmes dans la société. La qualité de l’environnement proposé aux enfants, la notion d’accueil de ceux-ci et de leurs parents sont devenus des objectifs prioritaires au-delà de la dimension hygiéniste et de la protection somatique de l’enfant qui ont dominé dans les établissements jusqu’au milieu des années 1970 (B. Pierrehumbert, 1992).
5De ce point de vue, la finalité première de la garde de l’enfant ne fait plus écran à la fonction éducative, préventive et relationnelle de l’accueil. Peu à peu, les personnels des lieux d’accueil apprennent à sortir de l’anonymat et à défendre leur statut paramédical d’auxiliaires de puériculture, de puéricultrices, ou leur statut socio-éducatif d’éducatrices de jeunes enfants. Mais, depuis l’allaitement mercenaire du XVIIIe siècle, il est étonnant de remarquer qu’une matrice mythique culturelle produit encore des représentations méprisantes faisant barrage à une véritable reconnaissance de leur statut professionnel. De nombreux parents, des responsables administratifs dévalorisent ces professionnels en les considérant à peine plus que des « bonnes d’enfants ». En continuant à parler de cette profession où l’action est traditionnellement mise en avant comme « bonne à tout faire » (Y. Verdier, 1979), on oblitère toute autre dimension en dehors de cette caricature abrupte de la fonction féminine et maternelle.
6Dans l’accueil du tout-petit par les professionnels, se déploie pourtant une meilleure prise en compte des manifestations somatiques et émotionnelles des bébés. Les professionnels sont de plus attentifs au développement psychique des bébés ainsi qu’à leur propre rôle interactif pour faciliter ce développement. Ils souhaitent mieux comprendre les types et la qualité des relations qu’ils nouent avec les bébés qui leur sont précocement confiés.
7La fonction de garde des établissements s’élargit pour servir aussi à l’étayage de la parentalité. Ainsi accueille-t-on de plus en plus de familles monoparentales, d’enfants ou de parents présentant un handicap, de parents ayant des difficultés sociales ou psychologiques... Cette aide à la parentalité a définitivement transformé ces lieux jadis aseptisés et neutres en de véritables plates-formes de secours parentale et infantile. Ce mouvement s’accentue car il est subordonné aux bouleversements sociaux et culturels (A. Norvez, 1990). Il y a une vingtaine d’années, les couples se séparaient plutôt à l’entrée de leur enfant en maternelle ; actuellement, il n’est pas rare de voir les couples se défaire à l’entrée en crèche du bébé, voire même avant la naissance.
8Les établissements de la petite enfance servent de réceptacle à de multiples problèmes : divorces pathologiques, violences conjugales, précarité sociale, situations de carence ou déracinement culturel, isolement affectif, dépressions, deuils, maladies ou handicaps. L’idéalisation antérieure qui entourait ces lieux, havres de paix et de tranquillité, est donc battue en brèche par ces facteurs historiques, sociaux, économiques, politiques ou événementiels mieux repérés actuellement.
9Quels types d’aide psychologique peuvent être requis quand des inquiétudes émergent de la part des professionnels ou des parents, à propos de signes de souffrance physique et affective d’un bébé ? Les psychologues cliniciens intervenant depuis plus d’une trentaine d’années dans ces différentes structures d’accueil prennent davantage en compte l’aspect polyfactoriel de la souffrance du bébé, des parents et des professionnels.
10Le travail d’équipe qui s’organise dans ces lieux d’accueil implique différents interlocuteurs. Deux d’entre eux se distinguent dans le champ de la « prévention médico-sociale » : le pédiatre et le psychologue. Encore faut-il préciser que de nombreux départements ou municipalités n’envisagent pas l’utilité de l’intervention des psychologues, leur présence n’étant pas requise dans les décrets officiels. Malgré l’ampleur des problématiques rencontrées, la dimension « médico-sociale » de la réglementation continue d’exclure toute dimension psychique. Ainsi peut-on rappeler qu’aucun professionnel des secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, ni aucun psychologue n’est consulté ou présent lors des commissions d’attribution des places pour les enfants aux côtés des politiques, du service social et de la puéricultrice de secteur, des directrices d’établissements et du médecin de la PMI. Comme l’indiquent S. Giampino (1989) et D. Delouvin (1997), on peut considérer que le bien-fondé de l’intervention des psychologues continue d’être interrogé depuis plusieurs décennies. Cette résistance institutionnelle qui perdure est sous-tendue par les mécanismes que nous allons tenter d’éclairer.
11La spécificité du travail du psychologue dans les lieux d’accueil de la petite enfance a déjà été détaillée à plusieurs reprises (O. Brunet et coll., 1960 ; D. Rapoport, 1964 ; D. Rapoport, M.-C. Chopy, 1979 ; D. Candilis, 1988 ; P. Mauvais, 1995). L’intervention du psychologue concerne en premier lieu les professionnels, qu’il s’agisse de réunions institutionnelles ou d’entretiens individuels avec le personnel. Sans revenir dans le détail sur le travail institutionnel que recouvre l’intervention du psychologue, sur lequel D. Mellier (2000) a apporté une intéressante contribution, nous soulignons l’effort d’accompagnement du personnel pour une meilleure compréhension des enfants, des parents ainsi que de leurs relations. L’amélioration de la continuité et de l’attention portée aux bébés a permis un meilleur exercice de la fonction professionnelle différenciée de la fonction parentale. Ayant en charge la santé psychique des enfants accueillis et leur bien-être, le psychologue s’intéresse aussi aux multiples facettes de la dynamique institutionnelle et familiale influençant leur développement. Il a le souci d’interventions permettant un meilleur ajustement des réponses des professionnels aux bébés accueillis, ainsi qu’à leurs parents. Il initie des entretiens familiaux dont la valeur mobilisatrice est certaine ; soit pour résoudre des moments difficiles en dégageant les parents d’impasses relationnelles, soit pour amorcer et conduire une orientation et des soins précoces. Contrairement au milieu scolaire où les orientations vers les CMPP ou les CMP peuvent être directives, les établissements de la petite enfance disposent d’une riche diversité d’interventions pour soutenir les soins.
12Le psychologue, conscient de son temps de présence trop étriqué dans la crèche pour qu’il soit possible d’y instaurer un travail suffisamment intensif et durable, a la conviction qu’il faut différencier les espaces de prévention et de soins. Il doit être vigilant quant aux limites de ses interventions, bien qu’il n’en dénie pas la portée immédiate tant vis-à-vis du bébé que des parents. Il prend soigneusement en compte la temporalité du cadre de ses rencontres avec les familles. Il nous importe ainsi de présenter son rôle « charnière » en matière de partenariat et d’orientation avec les services psychologiques ou psychiatriques extérieurs. C’est grâce à la qualité de l’alliance qu’il aura su nouer avec les parents et les professionnels, en étayant leur intérêt pour une meilleure compréhension et une meilleure élaboration de la conflictualité organisant leur relation avec le bébé, qu’il pourra en sécurité les adresser dans les services spécialisés.
REPÉRAGE DES MÉCANISMES DE DÉFENSE
Processus à l’œuvre chez les parents
13Parfois, l’état de souffrance de l’enfant pourra être reconnu conjointement dans un juste discernement parents/ professionnels. Mais pour se protéger, il arrive que les adultes impliqués dans la reconnaissance des troubles refusent leur propre perception. Dans un mouvement massif de contrôle : « cela ne peut être vrai », ils en dénient non seulement la gravité mais aussi l’origine affective. Parfois le mécanisme ne conduit pas à l’aveuglement total, ils tentent de se protéger car ils se sentent trop mis en cause. Nous ne sommes pas ici dans un registre d’indifférence, mais bien plutôt dans un refus de l’impact de leur culpabilité et de leur responsabilité induit inévitablement par la souffrance de l’enfant.
14L’entrée en crèche du bébé est un temps significatif pour repérer ce type de mécanismes, puisqu’il concerne l’aménagement des angoisses de séparation tant pour le bébé que pour les parents. Nombreux sont les parents qui relativisent, banalisent les conséquences de l’arrivée de leur enfant dans un nouveau lieu de vie parmi des personnes inconnues. De même, il n’est pas rare de voir des parents entrer dans une section de bébés, confier leur enfant aux bras d’une auxiliaire, l’informer de son état de santé en faisant abstraction des autres bébés pleurant ou hurlant autour d’eux. Ils se focalisent uniquement sur leur enfant sans prendre en compte, par exemple, qu’un autre en pleurs s’agrippe à l’auxiliaire au moment des transmissions verbales entre adultes.
15Fréquentes sont les réticences parentales vis-à-vis de la période dite d’ « adaptation », susceptible de permettre à l’enfant et ses parents de découvrir les locaux et les professionnels. Elles se manifestent par exemple par un refus poli, par la procuration donnée à une baby-sitter ou à des grands-parents, ou par l’affirmation que l’enfant « ne s’apercevra de rien », qu’il « n’en a pas besoin »... Il est encore fréquent de voir les parents disparaître sans dire au revoir pour que « l’enfant ne pleure pas... ne s’en rende pas compte ». Il est vraisemblable que ces processus soient renforcés lors de l’entrée en crèche, par le mythe actuel des bienfaits de la « socialisation précoce ». Ce mythe émane-t-il d’idéologies culturelles ou est-il établi sur la base d’une complicité idéalisée parents/professionnels ? Les prétendus bienfaits de la vie collective sont confondus aussi avec l’accès à l’autonomie. Le mythe des compétences précoces du bébé s’impose, alors qu’il est exigé de lui bien au-delà de ses possibilités. Ces mythes entravent aujourd’hui les nécessaires aménagements de la séparation, pourtant essentiels afin de prévenir l’impact des ruptures relationnelles et les discontinuités que doit affronter le bébé (E. Binet, C. Gueguen 2006).
16Les récentes théories éducatives prônent elles-mêmes l’accès à l’illusion d’une autonomie précoce. La dimension positive de la vie en collectivité semble l’emporter au mépris de la dynamique séparation-différenciation. S’agit-il pour des parents d’atténuer les émotions dont ils se sentent coupables du fait de la séparation d’avec leur enfant ?
17Les refus parentaux opposés aux invitations à se rendre dans la collectivité reflètent une dénégation de la séparation trop vivement perçue comme une perte. Pourtant, des mères semblent retenir leurs émotions à fleur de peau. Elles s’efforcent à une indifférence qui peut induire les professionnels en erreur. Elles ne souhaitent pas exposer leur intimité à tout va et ont besoin, tout en gardant leur quant à soi, de nouer une relation de confiance qui ne passe pas toujours par la manifestation directe de leurs émotions. L’empathie intuitive des personnels de crèche est précieuse pour faire la distinction entre une mesure de prudence et de bon aloi et une véritable impossibilité de connaître les tourments de la séparation. A contrario, des parents préconisent des conduites éducatives rigides. Ils interdisent par exemple anxieusement certains aliments ou les dosent. Ils bannissent aussi l’usage de la tétine sans faire le lien avec leur propre consommation de tabac ou d’alcool ou d’autres toxiques.
18Il se peut qu’un des deux parents dévoile l’aveuglement de l’autre. Telle la description incisive d’une mère évoquant le père « fuyant » ou « autiste » ; à l’inverse, le père décrit son épouse « indifférente » ou « brutale » avec l’enfant. Des critiques disqualifiantes peuvent se croiser.
Évoquant avec émotion les difficultés familiales lors d’un entretien d’inscription en crèche, une mère accepte de rencontrer le psychologue au moment de l’adaptation de sa fille âgée de 4 mois. Elle relate des événements récents douloureux : son mari a voulu la quitter quelques jours après la naissance de leur fille. Cette décision l’a précipitée dans une dépression sévère. Devant cette détresse, une psychologue à la maternité est intervenue. Le père a refusé l’entretien, affirmant que sa fille aura « des parents séparés comme tant d’autres ». Il semble ne pas ressentir la souffrance de son épouse et de son enfant. Il garde le silence sur ses propres difficultés : titulaire d’un doctorat, éloigné de son pays d’origine, il n’a qu’un emploi subalterne. Nous comprenons qu’il s’efforce lui-même de maintenir sa dépression à distance.
19Ce cas est exemplaire de situations où les charges émotionnelles au cœur de conflits profonds paraissent inaccessibles derrière une façade d’apparente normalité.
20Lorsque la non-reconnaissance de l’impact violent de la séparation intervient à l’entrée de l’enfant en crèche, il est intéressant d’observer souvent sa répétition après des congés d’été lorsque l’enfant est replacé sans transition parmi ses pairs pour une journée complète après plusieurs semaines d’absence. L’organisation défensive parentale est aussi à son acmé pour occulter la souffrance de l’enfant quand le passage de la section des bébés à la section des moyens se fait sans ménagement.
Une petite fille de 2 ans et demi est accueillie depuis l’âge de 9 mois une journée et demie par semaine en halte-garderie. Jusque-là, aucun problème de comportement n’a été observé, elle joue, participe aux activités avec les autres enfants. Mais depuis trois semaines elle reste immobile, assise sans rien faire. Pleurant très souvent lors de la séparation, elle se calme au bout d’un long moment, mais elle passe parfois l’ensemble de la matinée ou de l’après-midi à sangloter en demeurant inconsolable. Interrogée à plusieurs reprises, la mère répond ne rien remarquer à la maison. Les auxiliaires inquiètes proposent un entretien avec le psychologue. Il ne sera accepté par la mère que l’avant-veille du départ de sa fille. Il révèle des discours maternels paradoxaux. Elle dénie toute souffrance chez son enfant, mais dit que celle-ci « s’ennuie à cause d’un manque d’activité, tout s’arrangera en maternelle ». Dans la suite de l’entretien, il apparaît que, depuis peu, la mère se sert de menaces d’abandon pour se faire obéir. Il s’avère qu’elle a été fréquemment et longtemps séparée de sa propre mère, laissée à ses grands-parents précisément au même âge. Elle a vécu le divorce de ses parents dans un contexte particulièrement violent. Après ces confidences, elle peut alors s’inquiéter de la souffrance de son enfant.
21Nous retrouverons le même type de contradictions dans les conduites des parents vis-à-vis des objets transitionnels. Alors que certains y sont attachés anxieusement, quelquefois encore plus que leur enfant, d’autres ne l’évoquent même pas. D’autres parents se refusent à l’introduire, comme si l’enfant n’avait pas besoin de se consoler en leur absence.
22Dans certaines situations, le couple parental ne peut ni voir, ni entendre les difficultés, ni en parler ouvertement. Chacun perçoit a minima la souffrance de l’enfant, mais cette perception fugace n’est pas prise en compte. En comparaison avec les autres enfants, ils ne parviennent pas à reconnaître la douloureuse singularité qui existe avec eux. Ce type de fonctionnement qui régit la famille (P. Marty et coll., 1963) comporte une altération de la conscience de soi. Comme enferrés dans une croyance inaltérable en un état aconflictuel de leur jeune enfant, les parents ne peuvent reconnaître la vie psychique et les émotions de leur bébé.
Plusieurs auxiliaires d’une halte-garderie sont de plus en plus alertées par l’aggravation de l’état d’un enfant sur une quinzaine de jours. Âgé de 2 ans et demi, il n’a jusque-là pas manifesté d’angoisse particulière au moment de la séparation. Or, depuis deux semaines, il ne cesse de pleurer, inconsolable une longue partie de la journée. Il refuse de manger, de boire, et enfin de jouer. Lors des retrouvailles, les parents affirment ne pas constater le même comportement à la maison. Manifestement gênés, ils tentent de minimiser les troubles. La mère affirme que « ça va s’arranger », elle dit avoir une formation de psychologue alors qu’il n’en est rien. Cette parole mensongère sidère le personnel présent. Sa problématique narcissique serait-elle endiguée défensivement par le refuge derrière une prétendue profession ?
23Les remparts édifiés par les parents pour protéger leur narcissisme sont le reflet des enjeux de la séparation et du devenir des conflits et des affects qui y sont associés. Nos interrogations portent maintenant sur la problématique que ces enjeux de séparation suscitent chez les professionnels.
Processus à l’œuvre chez les professionnels
24Le déni de la souffrance de séparation chez les parents est observé parfois avec la même intensité chez les auxiliaires et les puéricultrices. Historiquement, les anciennes se souviennent de leurs premières années d’exercice lorsque les enfants étaient déshabillés à leur entrée en crèche, « lâchés » lors de leur première journée sans aucune adaptation.
25Actuellement, beaucoup de professionnels se sont engagés dans des protocoles d’accueil de plus en plus réfléchis pour personnaliser non seulement l’ajustement de chaque enfant à eux (référente unique au moment de l’adaptation et/ou organisation des échanges-transmissions singuliers et réguliers) mais également celui de chaque parent. Ces adaptations mutuelles permettent aussi l’accordage des différents protagonistes entre eux. Ils se sentent investis d’une responsabilité quant à la qualité de l’alliance faite avec les parents pour qu’ils puissent en sécurité confier leur enfant. Ils se questionnent régulièrement sur les processus relationnels à instaurer, tant vis-à-vis de l’enfant que des parents. Ils considèrent leur fonction comme partie prenante du développement des enfants et peuvent être reconnus comme partageant des missions éducatives avec les parents.
26Il est de plus en plus fréquent de considérer la « socialisation en crèche » comme un simple atout éducatif. Toutefois, comme l’a souligné juste à propos P. Mauvais (2003), socialisation et vie collective n’ont pas forcément partie liée. De ce point de vue, on constate actuellement une tendance à conférer aux structures d’accueil un label de qualité du seul fait qu’elles feraient œuvre de socialisation. Cette socialisation fortement réclamée pourrait occulter de manière opératoire l’impact de l’angoisse de séparation.
27Comme pour les parents, on retrouve bien souvent au-delà de l’idéal de « l’adaptation de l’enfant », l’évitement de la souffrance de séparation. Quelques professionnels essaient de se convaincre que seuls l’enfant et les parents sont concernés par les conflits au cœur de ces ruptures quotidiennes. D’autres ne sont pas dupes de l’intensité du travail nécessaire : professionnel, institutionnel, voire personnel. Le repérage des rythmes du bébé, inscrit sur un diagramme commun à compléter par les parents à la maison, en est un exemple concret. Ce support d’échanges peut permettre le partage de l’attention au bébé et être l’objet d’une rencontre de qualité avec les parents, mais il peut aussi se figer de manière fonctionnelle, dogmatique, voire être l’objet de jugements négatifs à l’égard des parents.
28Il faut aussi nous interroger sur le refus persistant de certains lieux d’accueil à accepter des bébés « grandis ». Ce refus est imprégné d’une théorie psychologique plus ou moins imposée ; rumeur fréquemment invoquée et qui s’énoncerait ainsi : « L’enfant entre 9 et 12 mois est affecté de l’angoisse de l’étranger, reconnaissant sa mère comme une personne totale, il ne peut que projeter le mauvais sur autrui... » Pour nous, plus le bébé avance en âge, plus il est en mesure d’exprimer de façon lisible, parfois bruyante, son opposition à quitter une mère précieusement investie. Sa protestation vigoureuse témoigne plutôt de la qualité de son attachement à sa mère avant de faire confiance à de nouveaux adultes qu’il peut pourtant découvrir progressivement avec sécurité et curiosité.
Caroline entre en crèche à 14 mois, elle a été allaitée par sa mère jusqu’à l’âge de 9 mois et a déjà fait une « grève de la faim » temporaire lors du sevrage ; la mère n’en a pas été étonnée en raison de leur intense attachement mutuel. Caroline tyrannisait sa mère bien empêtrée dans un dévouement excessif. À l’entrée à la crèche, elle reproduit le même mode de protestation prévisible. La mère est assez curieuse des réactions des professionnels qui ne s’en laissent pas compter et n’organisent aucun forçage. Caroline manifeste par ailleurs une curiosité évidente à l’égard du nouveau lieu, des enfants et des adultes. Elle sait organiser un lien privilégié avec une auxiliaire. Le refus alimentaire perdure, quasiment complet après quinze jours d’adaptation, l’embonpoint de Caroline ne s’en ressent pas ! Tous s’inquiètent, mais son auxiliaire l’accompagnera fermement à table avec succès après lui avoir dit sur un ton d’autorité emphatique : « Désolée, mais les seins de maman ne s’accrochent pas ici au portemanteau comme ta doudoune. » Caroline accepte alors de s’alimenter.
29Un bébé plus jeune peut vivre à 3 mois la séparation comme un arrachement qui le laisse impuissant. Il se soumet souvent passivement et ne peut répondre que par des troubles fonctionnels ou somatiques : rhinite, otite, eczéma, ou se réfugie dans le sommeil ou développe une insomnie silencieuse.
Lila est âgée de 4 mois et demi lorsque sa mère l’accompagne pour l’adaptation en crèche. Sa mère se montre d’emblée ambivalente. Elle a déjà reculé cette adaptation de quatre semaines, Lila refusant obstinément le passage au biberon. Madame continue à lui donner le sein matin et soir, elle confie le service biberon aux professionnels. Lila le refuse, quels qu’en soient la tétine, le contenu, lait maternel ou lait maternisé. Elle reste trop vigilante durant toute les heures passées à la crèche. Lila et sa mère plongent le personnel dans une totale impuissance, pourtant Lila ne maigrit pas et continue à faire ses nuits à la maison. Mère et enfant sont adressées à une consultation où Madame prend conscience de l’arrachement brutal à sa propre mère hospitalisée pendant plusieurs mois pour un syndrome puerpéral. Lila se montre rapidement une enfant assez dégagée de l’ambivalence maternelle et prend avec elle ses premiers repas à la cuillère. Finalement, elle acceptera le biberon tendu par l’auxiliaire qui chantonne « tout est bon, tout est bon ». Avait-elle l’intuition que sa mère venait d’évoquer le « mauvais » concernant sa propre mère ?
30Ainsi, chaque rencontre parents/professionnels au moment de l’adaptation révèle-t-elle l’aisance plus ou moins grande des adultes quant à leur propre problématique d’angoisse de perte. Ils ne sont pourtant pas confrontés aux mêmes phénomènes. Certains vivent la culpabilité de se représenter comme des parents abandonnants, au travers des douleurs de dessaisissement de leur bébé. Bébé devenu trésor avec lequel ils vivent des moments intenses de satisfaction. On ne peut d’ailleurs que regretter l’entrée habituelle si précoce de bébés aussi jeunes, avec lesquels les parents viennent tout juste d’établir un accordage harmonieux après plusieurs semaines d’incertitude le plus souvent. L’établissement d’une confiance parentale suffisante en elle-même, confirmée par le bébé, est toute récente et potentiellement fragilisable.
31Les professionnels sont quant à eux plus ou moins consciemment obligés de prendre en compte les conséquences psychiques d’appropriation d’enfants d’autrui (rivalité, fantasme de rapt). Incapables de s’identifier alors au bébé, ils sont insensibles à ses manifestations émotionnelles intenses. Ils organisent pour y faire face des blindages serrés ou des évitements phobiques.
32Il s’agit donc d’intégrer ce qui se joue autour de l’absence. Les professionnels doivent pourtant assumer la fonction d’exécutants de la séparation. Ils cherchent aussi à se défendre de leurs émotions. En somme, les symptômes risquent d’être vécus comme une persécution par les parents ou le personnel des équipes. Ils les renvoient à leur culpabilité de ne pouvoir y remédier immédiatement. Cette culpabilité peut susciter une conflictualisation rapide entre les protagonistes.
33En effet, à supposer qu’un parent accepte de se séparer de son enfant et de déléguer les soins à un tiers, encore faut-il qu’il soit convaincu de l’innocuité physique et affective de cette délégation dans la relation actuelle à son bébé. Mais la résurgence de traumatismes infantiles enfouis aggrave souvent les craintes d’un parent. Plus que d’être privé de son enfant, il en redoute les représailles.
34Il semble aussi qu’un contrat implicite perdure dans les lieux d’accueil, une sorte de garantie donnée aux parents qu’ils retrouveront leur enfant comme ils l’ont laissé, avec la certitude que celui-ci n’a pas souffert. Ainsi, tout signe de souffrance, lié ou non à la séparation, peut être gommé, banalisé, faute de quoi l’équilibre existant entre les adultes est rompu.
Au décours de la dernière semaine de crèche avant son départ définitif, un enfant de 3 ans se fait une profonde entaille hémorragique à la langue en chutant. La mère appelée au téléphone pour venir accompagner son enfant à l’hôpital se désiste, alléguant d’un ton calme qu’elle ne peut quitter son travail. Le père mettra une heure et demie pour arriver. Deux semaines auparavant, le psychologue de la crèche avait entendu des parents une scène analogue quand l’enfant était âgé d’un an : au cours d’une amygdalectomie, la mère s’était absentée contre l’avis des soignants, l’enfant hurlant de douleur.
35La survenue de traumatismes antérieurs, par exemple d’épisodes médicaux particulièrement éprouvants, constitue parfois une difficulté pour les équipes à prendre en compte les ruptures dans le passé de l’enfant ; elles semblent ne pouvoir se focaliser que sur l’instant présent. La séparation qui correspond à l’entrée dans la crèche, la difficulté pour l’enfant d’intégrer de nouveaux repères spatiaux, temporels et affectifs, est là minorée par les professionnels ; comme si un accueil soigneux et préparé pouvait éviter que ne se renouvellent des traumatismes antérieurs. Le plus souvent, l’entrée de l’enfant en collectivité n’est pas appréhendée, ni mentalisée comme pouvant réactualiser une rupture préexistante. Des propos fréquemment entendus sont : « c’était avant », « on n’a pas à ennuyer les parents avec ça », « on n’a pas à provoquer une demande ». L’incapacité à prendre en compte des traumatismes antérieurs et la fragilité sous-jacente concourent pourtant à une réédition potentielle dans le lieu d’accueil des expériences passées d’insécurité et de détresse.
36La place laissée en crèche aux objets transitionnels des enfants est également un indicateur quant au degré de déni par rapport à l’angoisse de séparation. Ainsi observe-t-on des établissements où les enfants peuvent en disposer librement, les parents étant régulièrement invités à le confier à l’enfant pendant sa journée à la crèche. Dans d’autres lieux, les objets transitionnels sont confisqués, cantonnés dans un coffre, voire accessibles à certains horaires seulement. Cette maîtrise de l’objet transitionnel par les adultes ne sert-elle pas à masquer l’événement traumatique dans une économie antidépressive ?
37Que les parents se présentent anxieux ou détendus lors de la séparation liée à l’entrée en crèche de leur bébé, la rapidité avec laquelle le déni surgit présage un important déséquilibre face à l’épreuve. Ce désordre peut ne pas forcément suffire pour qu’ils demandent du secours. Il peut se manifester par un refus massif d’échange, un retrait silencieux ou des manifestations bruyantes à tout propos. Incitant à symboliser, la démarche du clinicien peut alors déclencher un refus massif d’échange sur le sujet.
38Ce même type de fantasmes, dans leurs aspects défensifs, émergera quand il s’agira de partager l’enfant avec d’autres professionnels qui peuvent être alors vécus comme des intrus effractant une intimité plus ou moins culpabilisée. L’observation des enfants dans leur section par le psychologue en est une démonstration. Si, pour le clinicien venu du dehors, il est rapidement évident que tel ou tel enfant est en situation de détresse ou de souffrance, l’auxiliaire confrontée simultanément au même enfant peut en revanche se réfugier dans la banalisation. Un sentiment d’étrangeté saisit l’observateur lorsqu’une situation de danger évidente perçue par lui n’est pas reconnue.
39La tentation est grande d’instaurer une collusion ou une alliance des parents et des professionnels pour banaliser les signes d’appel des bébés. Au cours des échanges parents/professionnels, chacun se retranche dans des propos monotones ou litaniques : « il ou elle va bien », colmatant une éventuelle inquiétude de part et d’autre. À propos de l’évolution même de l’enfant évaluée en équipe, se répète en écho des parents la déclaration stéréotypée : « tout va bien ». Cette alliance protège les adultes de difficultés de communication qui seraient pourtant l’indice majeur des souffrances de l’enfant.
40Les phénomènes de déni/clivage dépassent souvent le cadre intrafamilial. Ils s’étendent aux institutions de la petite enfance qui courent le risque d’établir une complicité, voire de devenir « auxiliaires » du déni parental.
41En général, de manière défensive, la famille et/ou l’institution tentent d’organiser un régime aconflictuel. Pour ne pas engager des conflits sous-jacents, chaque protagoniste se replie sur une position d’évitement dans un consensus régressif. Plusieurs questions en découlent : comment s’organise cette fixation régressive à l’état de non-conflit, ce chevauchement entre l’intrapsychique des parents et des professionnels ? Quels obstacles névrotiques, traumatiques ou pervers peuvent être à l’origine de cette mise à distance de toute souffrance ? Comment mobiliser les affects des adultes derrière cette forme de retranchement énigmatique ?
42Tenter de répondre avec prudence à l’ensemble de ces questions permettrait d’analyser et de contourner les obstacles à la prévention et aux soins précoces. L’étude de ces processus défensifs massifs pourrait aider les professionnels, les parents et l’enfant à se dégager de leur isolement, de leur impuissance et de leur culpabilité.
LE PSYCHOLOGUE ET SES THÉORIES
« La réalité est la moins saisissable des vérités. »
43Le psychologue possède des théories. Comment peut-il les considérer attentivement pour mieux les utiliser ? Quels mécanismes et processus lui paraissent rendre compte des aménagements défensifs mis en œuvre par les parents et les professionnels ?
44Nous souhaitons ici nous intéresser spécifiquement à deux types de mécanismes principaux chez les parents qui visent à désavouer ou à récuser la souffrance du bébé : le déni et la dénégation. Ces deux mécanismes sous-tendent les clivages parents/bébé, professionnels/bébé, parents/professionnels, et perturbent l’alliance au sein de ces relations triadiques et leur régulation, de façon plus ou moins souple. De ces clivages résultent des dysfonctionnements qui vont du plus mobilisable au plus massif et même au plus enkysté.
Théorie du clivage et de la dénégation
45En développant à plusieurs reprises dans son œuvre la notion de déni (Verleugnung, traduit également par désaveu), S. Freud prit bien soin de la différencier du refoulement (Verdrängung) et de la dénégation (Verneinung). Comme B. Penot (1989) l’a longuement exposé, la conscience ne se défait pas des représentations par le déni, elle en retire seulement le sens. La pensée comme toute fantasmatisation est réprimée au passage de ces représentations, laissant un sentiment d’étrangeté (S. Freud, 1919). Une économie psychique est recherchée en évitant qu’à une représentation ne s’associe une signification. Ce défaut de mentalisation plonge le sujet dans une incapacité à considérer messages, observations, propos gênants... Il en résulte une mise en échec de ce que J. Cournut (2000) appelle le système « représentation-affect-refoulement-symbolisation ». Dans le refoulement, c’est davantage l’affect que la représentation qui est déporté. Le déni aboutit à un détachement partiel ou à une perte de la conscience de la réalité que S. Freud (1938) appelle clivage du Moi, sous-entendant le registre pathologique de la psychose. Ce clivage sert en fait à préserver la force du Moi face à des motions pulsionnelles inconciliables. Pourtant, même si l’intégrité du Moi n’est pas respectée, l’intérêt économique du déni se révèle provisoirement garanti.
46Dans la dénégation, la réalité et ses composantes externes et internes sont bien perçues, mais il existe une véritable défense contre une reconnaissance complète de celles-ci. C. Chiland (1975) a particulièrement bien montré comment S. Freud (1925) caractérise cette négation de la vérité avec une levée partielle du refoulement : « Cela ne peut être vrai. » C’est donc l’acceptation qui fait défaut, tout du moins est investi libidinalement ce qui est perçu comme en adéquation avec le principe de plaisir ; le reste est rejeté, mis de côté.
47Les manifestations de rejet de la réalité (S. Freud 1908, 1909) du champ de la conscience sont variées et leur ontogenèse incertaine. L’exemple princeps retenu par S. Freud est celui du petit garçon qui refuse de reconnaître l’absence de pénis chez la fille. La réalité est alors source d’un déplaisir lié à un manque : la castration qui devient une représentation intolérable. Par cette forme d’évitement, le garçon maintient une forme de perception constante et unitaire luttant contre une angoisse inconsciente qui deviendra le complexe de castration. Il se préserve de la pensée d’avoir à prendre en compte la question insupportable du manque chez l’autre, et donc du conflit qu’engendrerait un risque pour lui-même.
48Préforme de l’angoisse de castration, antérieure au déni d’absence du pénis, l’angoisse de séparation, de perte d’amour (Liebesverlust, S. Freud, 1938) d’avec la mère serait à l’œuvre. Les adultes, parents ou professionnels, sont régis par la méconnaissance de cette angoisse, voire son expulsion en particulier dans les lieux d’accueil de la petite enfance. Il s’agit de manifestation de déni ou de dénégation d’absence liées aux difficultés de sa mentalisation.
49De ce point de vue, il est intéressant de rapprocher ces descriptions métapsychologiques de celles de J. Bowlby (1980) concernant l’ « exclusion défensive ». Décrivant la fonction adaptative réglant les comportements d’attachement au cours des premières années, il postule qu’un enfant confronté à des situations qui mettent en scène une figure d’attachement menaçante, réelle ou fantasmatique, peut l’exclure de sa conscience. Par le biais de l’ « exclusion défensive », il parvient à cliver les perceptions, sentiments ou pensées risquant d’interférer avec ses modèles internes. C’est un véritable mécanisme de défense dont Bowlby retrouve la trace chez des patients adultes en thérapie lorsqu’ils relatent des expériences passées dont on perçoit le caractère inadéquat, faussé. Ainsi, nous formulons l’hypothèse que le déni chez les parents ou les professionnels pourrait être une forme de régression à cet état d’exclusion mentale dès lors que leurs modèles internes d’attachement sont attaqués, menacés.
50Dans une autre mesure, on pourrait considérer que le déni dans l’activité interactionnelle fantasmatique parents/nourrisson au cours de la période pré- ou postnatale est tout à fait normal, transitoire. Ce que D. W. Winnicott a appelé la « préoccupation maternelle primaire » (1956), avec ses illusions/anticipations créatrices, n’est-ce pas une tentative précoce et temporaire de mise à distance de toute conflictualité parentale vis-à-vis du bébé ? Cet état déjouerait momentanément les angoisses tant aux niveaux anaclitique qu’œdipien.
51Au fil des nombreuses situations cliniques observées dans les lieux d’accueil de la petite enfance, nous nous écartons de la conception traditionnelle du déni qui fait le lit de la psychose. En fonction des gradients d’altération du Moi par ces processus, nous nous sommes trouvés soit dans une atypicité clinique – pathologie limite, narcissique (R. Roussillon, 1999), en secteur (B. Cramer, F. Palacio-Espasa, 1993) – soit, à l’extrême, mais beaucoup plus rarement, dans la psychose constituée.
52Dans de nombreuses observations, les divers gradients de déni se sont trouvés mêlés aux divers gradients de dénégation. Des mouvements de bascule peuvent se produire de l’un à l’autre. Ces couplages déni/dénégation mettent en évidence le registre interactif au cœur de ces mécanismes de défense.
53Nos interrogations portent tout au long de cet article sur le déroulement temporel de ces mécanismes, leurs variantes, leurs conséquences, en sachant qu’ils n’affectent jamais la totalité de la personnalité mais un secteur, à un moment donné. Il s’agit alors d’examiner leur impact dans les familles comme dans les institutions et de se questionner sur l’existence d’une possible dynamique interactive du déni. Il existe des mécanismes défensifs de type narcissique si réactifs qu’ils aboutissent à un rejet fragmentaire ou complet de la réalité, maintenant autant que faire se peut un état de quiétude relative ; mais aussi différents types d’éclipses psychiques, partielles ou totales, sévissant chez les parents et conjointement chez les professionnels.
54Nettement moins pathologiques et plus aisément mobilisables au niveau du refoulement, certains types de dénégation cités précédemment illustrent un mécanisme de défense, dont le contenu est plus souvent névrotique.
55Le démenti des signes de souffrances du bébé sert de protection à des angoisses plus ou moins primaires liées à un vécu de séparation fantasmatique ou réel trop intense pouvant conduire à la mort psychique. C’est l’enfant qui devient le dépositaire des investissements narcissiques et pulsionnels jusqu’alors attachés aux objets internes des adultes. Que ce soit chez les parents ou les professionnels, le déni initialement circonscrit dans leur espace intrapsychique finit par diffuser dans l’espace interpersonnel de la relation à l’enfant. Cette position défensive qui touche au champ des perceptions internes éconduit l’activité perceptive et obère l’activité représentationnelle. La défaillance identificatoire des parents atrophie leurs propres mécanismes perceptifs émotionnels et intellectuels, affectant les potentialités de développement de l’enfant à ces mêmes niveaux.
56On est en droit de s’interroger sur le rôle du déni ou de la dénégation des adultes dans toute la psychogenèse ou toute la psychopathogenèse de l’enfant.
57La préservation de l’intégrité narcissique, selon l’explication de S. Freud (1936), prédomine dans le déni. Un exemple de parade contre un sentiment d’impuissance ressort de sa lettre à R. Rolland dans laquelle il décrit la réaction de déni du roi Boabdil qui refuse de reconnaître la chute de sa ville en considérant « la nouvelle comme non arrivée », allant même jusqu’à tuer le messager « pour démontrer l’intégrité de son pouvoir ».
58Notre expérience suggère que le déni dans ses manifestations cliniques auprès des tout-petits ne touche pas tous les secteurs du fonctionnement psychique des adultes. Son activité peut être temporaire, intermittente, à éclipses avec des phases de latence et d’inactivité. On peut alors se demander si les parents ou les professionnels ne réagissent pas, chacun à leur manière, sous l’effet de cette nécessité défensive primaire, guidés de différentes façons par des motions narcissiques infantiles. S. Freud (1914) avait souligné leur reviviscence à l’occasion de la naissance d’un enfant, naissance qui peut perturber chez le parent sa perception de la réalité. L’enfant joue alors un rôle vicariant du narcissisme parental, sa venue au monde réactive les pulsions libidinales et leurs conflits, elle met en œuvre d’anciens mécanismes de défense pour les répéter mais aussi peut-être pour les dissoudre...
59En décrivant le développement des névroses traumatiques, S. Freud (1923) a souligné combien les représentations marquées par le déni s’exposent à devenir traumatiques puisque la fonction symbolique y fait défaut, tout comme la fonction historisante du tiers. Le caractère répétitif du déni conduit à une compulsion de répétition. Il est aussi possible, comme l’indique B. Penot (1989), que « l’effacement des liaisons symboliques » renforce et entretienne la pression traumatique au contact de la réalité ; la perception, la compréhension et le traitement de l’événement traumatique ne peuvent être assimilés psychiquement. Il faut ajouter que l’organisation pathologique du déni ne peut se restreindre à une étiologie traumatique externe. Comme S. Freud (1927, 1933) l’a décrit, on ne peut sous-estimer la dimension économique due à l’accumulation de tensions internes.
60Dans notre contexte spécifique des crèches, se superposent et se conjuguent des phénomènes familiaux, transgénérationnels, institutionnels, sociologiques, qui concourent à l’établissement de dénis. Nous allons en recenser les plus importants chez les parents et les professionnels pour mieux tenter de les comprendre. Il apparaît d’emblée que c’est leur synergie plus ou moins grande qui confère au déni et à la dénégation un ancrage plus ou moins durable ou plus ou moins fixé. Néanmoins, l’analyse de chacun des facteurs contextuels révèle un travail psychique non abouti en raison de résurgences ou de réédition de la toute-puissance infantile omnipotente.
61La dépression parentale inévitable lors de la séparation d’avec le bébé contribue à l’instauration d’un climat de carences dans l’apport de représentations fournies à l’enfant. Ces carences facilitent une dépression narcissique chez lui. Une transmission traumatique intervient, l’enfant devient le réceptacle d’une surcharge émotionnelle où le jeu des identifications négatives est prégnant. Le bébé, porteur de la toute-puissance que ses parents ont projeté sur lui, perd en quelque sorte son intégrité. Les parents ne peuvent entendre ni reconnaître cette atteinte narcissique, souvent rejetée hors psyché, sans représentation possible (E. Binet et coll., 2000).
62Parmi les représentations projetées sur un enfant qui participent au déni et au clivage, prédominent celles qui sont démesurément positives tant vis-à-vis d’elles-mêmes que de leur bébé. Cette déformation nourrit la conviction que tous les besoins de l’enfant sont satisfaits, « qu’il ne manque de rien ». Les adultes sont ainsi soumis aux exigences de leur idéal du moi, avec la garantie de se sentir aimés eux-mêmes.
63Quand la réalité s’avère décevante, pour parer à toute remise en cause personnelle, un phénomène de projection expulse sur l’extérieur les raisons de la souffrance de leur enfant : « C’est la faute de la collectivité », et pour les professionnels : « C’est la faute des parents. » Ces projections croisées permettent d’éviter ou de nier la situation conflictuelle et d’atténuer les sentiments de culpabilité.
64Cette observation se retrouve dans les cas où des parents trop anxieux pour leur propre devenir affectif sont dans l’incapacité de percevoir ce qui se passe chez leur enfant. Leur méconnaissance ne concerne pas seulement les signes de souffrance de l’enfant, mais quelquefois l’ensemble de son développement. Dans l’assomption périlleuse de leur parentalité, ils délèguent l’ensemble de leurs responsabilités à de multiples suppléants se relayant jour après jour, parfois nuit après nuit. Ces délégations successives de la charge éducative et l’éloignement d’avec leur enfant renforcent en quelque sorte l’illusion qu’ils gardent de leur propre compétence.
65En poursuivant notre hypothèse, il est possible de considérer ces parents comme régis par l’emprise de leurs propres imagos parentales. L’emprise grand-parentale conduit à l’évitement de toute situation conflictuelle sur le plan transgénérationnel. Le rapport masochiste à ces imagos implique un positionnement des parents doublement sacrificiel : d’une part en raison de l’annulation de critiques à l’endroit de leurs propres parents, d’autre part en raison du renoncement plus ou moins marqué à leur enfant. En miroir, ils investissent sur le même mode identificatoire les professionnels.
66Ils évitent ainsi tout décodage des signaux et des indices émis pas le corps, le comportement et les affects de leur enfant ; avec l’impossibilité de leur donner sens. Ils laissent à d’autres cette mission non initiée par eux. Par exemple, l’expression des pleurs d’un bébé, ses tensions, nécessitent, au-delà d’une aptitude sensorielle, un décodage par l’adulte. Intégrer, comprendre ces signaux sonores, posturaux suppose de l’empathie. Celle-ci s’appuie à la fois sur la propre histoire de l’adulte, mais aussi sur les souvenirs et les affects qui sont rattachés aux processus identificatoires, aux modalités d’investissements libidinaux et narcissiques dont il a hérité. Par le déni, l’adulte est incapable d’attribuer à ce qu’il perçoit un sens hérité de son passé. Son champ perceptuel s’organise sur la mise à distance d’une réalité interne non représentable. L’accès aux représentations du monde de l’autre est impossible, tout comme il est dans l’incapacité de se représenter son propre monde interne. Dans l’ontogenèse du déni, l’aptitude qu’a l’humain à répondre aux demandes, aux affects et aux pensées de l’autre est profondément altérée (B. Cyrulnik, 1997). Dans la confusion entre espace familial et espace collectif – « mais à la maison il est... » –, il existe aussi une inaptitude à concevoir le temps et l’espace comme comportant des perspectives distinctes les unes des autres.
67De la même manière, le déni peut affecter la reconnaissance de la douleur physique d’un enfant, sa réalité somatique. Ainsi certains parents conduisent leur enfant malade à la crèche, sans avoir pris soin de consulter un médecin, ou oublient de préciser et/ou de donner un éventuel traitement. Il existe une impossible adéquation entre les signes pathologiques réels et leur symbolisation par la psyché des parents. L’enfant souffrant est récusé par les imagos parentales, refoulées ou déniées, selon l’hypothèse de R. Debray (1987). Il n’y a plus de possibilité de gérer l’intensité et la propagation des tensions grâce au refoulement. Les adultes ne perçoivent pas la souffrance de l’enfant, celui-ci se trouve maintenu dans une situation traumatique évocatrice d’une souffrance parentale jamais élaborée (P. Gutton, 1983). La maladie de l’enfant pourrait alors être considérée comme le résultat d’une pseudo-construction projective parentale, vide.
68La tension et la souffrance vécues par les adultes peuvent être artificiellement amoindries ou masquées sous l’influence d’une médication psychotrope. L’hypothèse d’un « déni médicamenté » s’est imposée à nous au contact de parents ou professionnels prenant compulsivement un traitement anti-dépresseur ou anxiolytique. Ces personnes apparaissent comme anesthésiées, éloignées de leurs affects. Le sentiment étrange et répétitif de rencontrer des adultes pas nécessairement opposants, mais réellement à distance de la réalité douloureuse des enfants s’impose. Lorsqu’un contact est repris avec les mêmes personnes après interruption de leur traitement, elles apparaissent alors comme ayant recouvré le relief de leurs affects.
69Une certaine compulsion à médicamenter les bébés eux-mêmes (reflux œsophago-gastrique, troubles du sommeil...) tiendrait du même phénomène : masquer de manière excessive l’inconfort, la souffrance. Le sens psychique sous-jacent des symptômes est encore occulté.
Maintien à tout prix d’identifications à des objets infantiles idéalisés
70Dans cette hypothèse, il s’agit de neutraliser les propres souffrances de l’enfant ancien à l’intérieur du parent. L’enfant actuel est alors identifié inconsciemment à la partie du parent en détresse, celle qui n’a pas été reconnue. Le rejeton (du refoulé ?) est vécu comme un persécuteur, ses signaux de souffrance sont perçus comme une agression, voire un harcèlement, lointain écho de ce dont les parents ont eu à souffrir eux-mêmes enfants. Cette souffrance, resurgie du passé à travers leur enfant, est un appel à une fonction parentale, maternante ou paternante sécurisante ; celle qui a fait défaut précisément pendant l’enfance du parent.
71Le rejet inconscient du parent à l’encontre du petit induit une surprotection, contre-investissement de l’agressivité et de la culpabilité qui en découlent ; avec une hostilité vis-à-vis des professionnels, empêchant toute intervention du pédiatre ou du psychologue. Tous deux sont perçus comme des intrus qui menacent de réveiller des angoisses sous-jacentes, inaccessibles et masquées par des positions défensives narcissiques.
72Ces parents s’opposent massivement à toute évocation de leur passé infantile. La moindre interpellation à ce propos par un tiers est vécue sur un mode disqualifiant, invasif. Des interventions extérieures s’opposent au besoin de maintenir hors de la conscience un sentiment de malaise qui réveille la honte. Aussi répondent-ils généralement à une proposition de rencontre avec un psychologue par la négative, justifiant : « Mon enfant est normal. » Si toutefois une rencontre est acceptée, elle se fait le plus souvent dans l’urgence afin d’obtenir un conseil immédiat et d’emblée efficace. Le parent exprime sa vision déconflictualisée de l’infans qui semble se rattacher à un narcissisme tout-puissant. En s’identifiant à l’omnipotence présupposée de son enfant, il tente de la rééditer pour lui-même, entraînant parfois les professionnels dans cette même toute-puissance narcissique.
73Certains parents ayant perdu brutalement et précocement cette toute-puissance infantile dans des conditions traumatiques transmettent fantasmatiquement par délégation leur omnipotence à l’enfant, manière malgré tout de la sauvegarder. Il s’agirait de « faire l’économie de la mortification fondamentale de l’impuissance infantile et du caractère indépassable de la frustration œdipienne » (B. Cramer, F. Palacio-Espasa, 1993). L’enfant devient porteur de l’idéal du Moi parental, situations décrites par J. Manzano, F. Palacio Espasa et N. Zilkha (1999) et définies sous l’expression de « scénarios narcissiques de la parentalité ». Cette stratégie inconsciente de survalorisation narcissique renforce la dépendance mutuelle. Par fragilité narcissique, le parent entretient la dépendance de l’enfant inhérente à son immaturité. Saisi dans un scénario fantasmatique, chacun se fige dans une néoténie narcissique infirmant la vulnérabilité de la configuration psychique familiale.
74Ainsi, toute souffrance faisant écho à des traumatismes anciens, où l’impuissance a été particulièrement mortifiante, induit une mise en cause du sentiment de cohésion interne. La répétition traumatique parentale fait effraction dans la psyché de l’enfant, sans que le parent en ait véritablement conscience (A. Mijola, 1986). Les traumatismes narcissiques de l’enfance ont effondré l’aspect dynamique positif du narcissisme parental.
75La forme la plus commune du déni blinde une défense narcissique pathologique : les parents restent collés à l’enfant dans une position fusionnelle triomphante. Ce type de relation anaclitique empêche toute reconnaissance d’émotion douloureuse et tout accès au soin dans l’immédiat. Consulter impliquerait de devoir renoncer à ce mode de défense pour aborder les affects dépressifs sous-jacents. L’enfant, support de projections idéalisées, ne peut exister qu’en tant qu’ « enfant heureux, bien dans sa peau, n’ayant aucun problème » (disait un père). Reconnaître la souffrance de l’infans fait resurgir le narcissisme blessé des parents. Le déni par l’idéalisation permet d’éviter l’effondrement narcissique.
76Face à une menace d’effondrement, de démembrement, la lutte interne pour réprimer tout affect se déploie. Douloureusement renvoyés à une dépendance et un désarroi profonds, les adultes ne veulent pas revivre cette désillusion que D. W. Winnicott (1954) a décrit au cours de la petite enfance. Face à la pression traumatique, les phénomènes transitionnels sont partiellement abrasés avec le risque d’un passage instantané entre l’illusion et la désillusion. L’angoisse de castration se superpose alors aux déflagrations traumatiques effritant et affaiblissant le Moi. Cela explique certaines réactions thérapeutiques négatives par la nature particulièrement tenace du commerce de certains sujets avec leurs objets infantiles. De ce point de vue, l’on peut comprendre que des parents ainsi prisonniers cherchent à régler leur problème « tous seuls », dans l’évitement.
77Cet isolement les protège de la réédition d’une épreuve dénarcissisante du passé, au point de contester les problèmes de l’enfant (K. Abraham, N. Torok, 1978). Ici, la castration est vectorisée par les symptômes infantiles et s’établit sur le sentiment de perte actuelle de l’enfant merveilleux devenu défaillant. Plus le parent s’est senti dévalorisé, abandonné dans son enfance, plus il a idéalisé ses parents pour ne pas éprouver l’agressivité ou la haine. Ainsi, l’impossible perception par ces parents des manifestations de souffrance d’un enfant accueilli dans un lieu de garde s’explique par la forte angoisse abandonnique à laquelle eux-mêmes sont soumis et par la répression impitoyable de leurs sentiments négatifs à l’égard de leurs parents. Cette angoisse les renvoie, bien avant leur culpabilité d’abandonner leur enfant dans ce lieu, à l’impossibilité de s’en détacher ; et sans doute, aussi, à l’impossibilité de penser que leur enfant puisse se détacher d’eux comme ils n’ont pu se détacher de leurs parents. Cette angoisse concerne la scène traumatique de la perte, scène qui s’organise à partir du sentiment d’abandon des adultes pendant leur enfance et qui réveillerait leur révolte s’ils n’idéalisaient pas leurs propres parents. Ce mécanisme est particulièrement massif pour verrouiller les vécus émotionnels de négligences, de carences, de deuil au cours d’expériences fantasmatiques ou réelles, surtout dans le contexte d’une transmission transgénérationnelle de déportations, crimes de guerre, actes terroristes.
Lutte contre des pulsions agressives
78Le déni peut apparaître au moment où les pulsions agressives s’expriment chez l’enfant. Elles font ressentir aux adultes des angoisses liées à des expériences passées non élaborées effrayantes ou dévastatrices. Ici, l’agressivité comme la haine ou la jalousie dissimulent un danger d’invasion, de destruction de soi.
79Des comportements momentanés et transitoires lors du développement de l’enfant sont aussi incompris ou mal interprétés par les adultes. Par exemple, lorsqu’il s’agit de réaction de rage de l’enfant à la suite d’une séparation ou lors de retrouvailles, mais surtout quand l’enfant voulant affirmer son autonomie se confronte à son inévitable dépendance. Souvent, les situations d’enfant qui mordent, griffent et frappent leurs congénères sont ainsi mal appréhendées. Les conflits ouverts entre parents et professionnels ne permettent pas de donner du sens aux comportements de l’enfant. Chez les adultes prédomine la mise à distance de la répercussion conflictuelle, des fantasmes agressifs, destructifs et de rivalité, avec des sentiments de culpabilité associés. Pour reprendre une expression de Fairbairn (1958), chacun réagit sur le mode d’un repli sur soi narcissique, enfermé dans un monde clos. Ainsi pouvons-nous saisir le même niveau d’incompréhension des manifestations habituelles d’hostilité chez les adolescents qui produit actuellement tant de caricatures de la délinquance.
80Parfois, les passages à l’acte agressif de leur enfant sont valorisés par les parents comme manifestation de leur propre révolte infantile, ce qui explique bien souvent leur absence de réaction lorsqu’ils sont témoins de celle-ci chez leur propre enfant. Le conflit occulté porte encore sur la remise en cause des identifications jusque-là perçues comme idéales ou redoutées. Il peut s’agir de préserver une idéalisation défensive des grands-parents, avec refoulement de la haine envers eux. L’adulte nie l’agressivité de l’enfant contre lui et celle qu’il ressent contre l’enfant, l’autre parent ou contre les grands-parents. La conflictualité interactive nécessaire au développement de l’infans s’annule ; elle se déplace dans les relations avec les professionnels, et plus tard sur « la société ».
81Les parents démunis, inhibés, ne peuvent poser de limites à leur enfant. Ils deviennent victimes, au même titre que les autres enfants de la crèche, de l’hégémonie de leur rejeton. Le jeu des identifications gèle toute capacité de lutte contre l’impuissance infantile, c’est la démission et la renonciation masochiste qui l’emportent. Deux mécanismes y aboutissent, apparemment antagonistes mais non exclusifs l’un de l’autre. Ils peuvent toutefois coexister ou se succéder rapidement. Quand il s’agit de maintenir à tout prix des imagos parentales ou grand-parentales valorisées, le déni l’emporte. Quand le refoulement de la haine vis-à-vis des grands-parents, la culpabilité à se reconnaître impuissant dominent, on assiste alors à la validation non dénuée de perversité du principe d’agressivité contre autrui. Quand le refoulement de la haine vis-à-vis des grands-parents s’est accompli, prédomine alors une dénégation teintée de formules banalisantes. Le parent trop responsable excuse en permanence l’enfant.
Se référant à une croyance surprenante, une mère justifie répétitivement le comportement auto ou hétéro-agressif de son fils par : « le vent l’énerve ». Une auxiliaire répond qu’il n’y a pas de vent dans la crèche, ce que la mère n’entend jamais.
82Cette interprétation particulièrement inadaptée des signaux de son enfant souligne le manque de souplesse psychique maternelle. Selon I. Hellman (1990), certaines mères pourraient être « contraintes de dénier la réalité afin de réduire leur culpabilité. Par conséquent, les enfants ne se sentent autorisés à connaître la réalité et à éprouver des sentiments réels que dans la mesure où cela est tolérable à leur mère ».
83Dans le cas d’une filiation marquée par l’adoption, le viol, l’inceste, le crime ou l’établissement d’un secret familial, le risque est grand qu’un enfant finisse par ressentir une dissociation profonde : l’enfant s’identifie aux représentations des détenteurs du secret ; il est vecteur d’une autre identité. Les enfants agressifs tentent d’attaquer le déni des adultes à l’aune de leur propre désir d’être reconnus pleinement. Le déni de cette agressivité par les parents servirait au maintien du secret.
84In fine, les processus défensifs parentaux trouvent leur origine au travers soit d’une transmission intergénérationnelle (le déni est généré par la contamination d’un ou plusieurs autres dénis contemporains), soit d’une transmission transgénérationnelle (le déni actuel se trouve généré par des reconductions successives sur plusieurs générations d’un déni ancien).
85Sur le plan intergénérationnel, il peut s’agir d’une utilisation complice d’un propos tenu par un tiers extérieur (médecin de famille, autre parent, ami, etc.) vis-à-vis de l’enfant ou d’un autre membre de la fratrie. L’interlocuteur cité vient servir l’aveuglement des parents en fabriquant un credo, certifié médicalement : « Mon pédiatre m’a dit que tout allait bien. » Par exemple, les troubles du sommeil d’un enfant sont banalisés par un praticien sur le mode : « Votre enfant va très bien, ce sont seulement ses dents qui le font souffrir en ce moment », dans une situation où les parents décrivent a minima un sommeil perturbé depuis la naissance. Les parents mieux écoutés et compris s’épuiseraient moins et consulteraient plus facilement.
86Des parents peu présents lors des accompagnements de leur enfant âgé d’un an se voient alertés par une directrice de crèche vis-à-vis de ses difficultés d’endormissement. Sans en paraître affectés, ils répondent : « Ce n’est pas grave, l’aînée a fait la même chose pendant deux ans et se réveillait tous les matins en pleurant. »
87Dans la perspective d’un déterminisme transgénérationnel, il se peut aussi que le parent soit lui-même porteur d’un déni dont il a été victime enfant. S’est organisée ainsi la répétition d’un ancien mode défectueux de relation d’objet, sorte de calcification à l’intérieur du psychisme. L’exemple suivant l’illustre à travers une situation d’inceste maintenu secret.
Nous entendons parler pour la première fois d’Hervé lorsqu’il est âgé de 8 mois. Il se trouve dans la section des bébés d’une crèche collective depuis l’âge de 4 mois. Rapidement, les auxiliaires préviennent la directrice que ce bébé a tendance à se masturber, surtout au moment de la sieste.
88Il n’inquiète que par ce symptôme. Une spécificité apparaît vite quant à sa masturbation. Celle-ci n’intervient plus seulement au moment de la sieste. Les auxiliaires remarquent qu’il se masturbe maintenant de façon exclusive, dès qu’il peut attraper la chaussure de l’une d’entre elles. Différentes observations du psychologue ne permettent pas de vérifier le déroulement de ce scénario, à la stupéfaction des auxiliaires. On note l’utilisation de deux tétines et d’un ours en peluche qu’il investit entre la première et la deuxième année.
Aucune difficulté n’est notée avec les parents. Ils sont discrets et posent peu de questions. Le père et la mère viennent alternativement l’accompagner.
À 28 mois, cette masturbation compulsive se confirme par sa fréquence et sa durée, mais jamais en présence du psychologue. Il devient alors fort probable qu’elle n’est pas seulement un mouvement auto-érotique. Il a appris à se servir lui-même dans une malle à déguisements où se trouvent des chaussures. Sa chevelure fait dire aux auxiliaires qu’il s’agit d’une « coiffure de fille ». Déroutées par la fréquence et l’intensité de cette masturbation, les auxiliaires finissent par l’évoquer avec la mère. Celle-ci les surprend par sa réponse : « Il fait aussi des galipettes à la maison. » Le père formule un constat d’impuissance : « Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? » Quand sa mère arrive, Hervé est en train de se masturber allongé sur le sol ; elle reste sans réaction, s’assoit et attend en affectant de ne pas le voir.
À l’activité auto-érotique d’Hervé viennent s’ajouter des passages à l’acte agressifs fréquents, notamment des griffures. Il commence également à lever la main sur les adultes. Les parents annulent plusieurs propositions de rendez-vous.
Le premier entretien est tendu : réticents et sur la défensive, ils sont pressés et ne souhaitent pas s’appesantir. L’agressivité récente d’Hervé n’est pas prise en compte, mais justifiée par la présence d’enfants plus agressifs que lui dans sa section. La mère affirme qu’elle n’a aucun souci avec son fils. Son mari confirme ses dénégations, mais il s’en dissocie ensuite en parlant des « câlins ». Lorsque les multiples épisodes de masturbation sont rappelés, ils ironisent et banalisent ses « galipettes ». Ils laissent Hervé se masturber librement quels que soient le lieu et le moment. La mère mentionne pourtant avoir caché l’enfant derrière le sofa quand elle recevait des visites. Les parents ne voient pas la nécessité de limiter cette masturbation.
Lorsque le psychologue anticipe l’avenir d’Hervé, en particulier l’adolescence, la mère pleure silencieusement sans que le père ne réagisse. Face à ce jaillissement émotionnel, un silence s’instaure que personne n’ose rompre.
Lors de l’entretien suivant où seul le père vient, il exprime sa colère et accuse la crèche de s’être si longtemps tue. Il évoque pourtant « quelque chose de douloureux » pour son épouse, réactualisé par les propos du clinicien. Simultanément, il banalise la masturbation de son fils, un cousin du même âge se masturbe depuis l’âge de 1 an. Il révèle pourtant l’inceste entre le grand-père maternel, la mère d’Hervé et sa sœur.
Après le décès de ce grand-père, les deux femmes n’ont jamais révélé leur passé. Néanmoins, la sœur de la mère aurait pleuré quand elle a su qu’elle attendait un fils. Le mari comprend la souffrance de sa femme et rapporte la crainte qu’elle a exprimée : son fils risquerait de devenir un homme qui abuserait ses enfants. C’est lui qui l’aidera à consulter.
89Cet exemple est significatif à plus d’un titre. La non-prise en compte de la masturbation précoce d’Hervé a renforcé la chape de plomb autour d’un secret, protégeant ainsi son dévoilement et l’impensé familial. Hervé mettait-il en scène corporellement le traumatisme maternel ? Le symptôme présent chez le cousin renforce cette hypothèse. Le clinicien comprend aussi la surchauffe excitatoire associée au secret maintenu par les femmes – mère, tante et professionnelles. Le père et le psychologue contribuent à l’arrêt du symptôme puis à l’amorce de son éclaircissement. On peut comprendre l’aveuglement de la mère (N. Daladier, 1979) face à la masturbation de son fils comme une lutte pour ne pas percevoir ses propres désirs incestueux.
90Par rapport à la transmission mortifère du traumatisme de l’inceste d’une génération à l’autre, on pourrait évoquer le renforcement du déni par la culpabilité vampirique que décrit P. Wilgowicz (1991). L’ombre du grand-père s’étend sur les projections maternelles afin de lutter contre le désir/crainte d’avoir engendré à nouveau un abuseur. Le déni de la masturbation vise à rendre énigmatique les projections à la génération suivante, encryptant l’impensé familial.
91Dans certaines situations, l’ampleur de la souffrance est telle qu’elle suscite une impossibilité à la reconnaître et à l’accepter. Le déni, mécanisme de défense archaïque, infiltre la perception des adultes confrontés aux troubles de l’infans.
Chez les professionnels
« Le groupe ne semble connaître que deux techniques d’autoconservation : attaquer ou fuir [...] mais il serait vraisemblable de dire que le groupe se réunit pour attaquer et pour fuir autant que pour se conserver [...]. »
92Le maintien à des identifications à des objets idéalisés ou à des représentations d’enfant idéalisé peut se retrouver chez les professionnels, soit pour leur propre compte, soit dans l’idéalisation de leur pratique et de leur institution. Ainsi, la plupart des directrices de crèche habitent sur le lieu même de leur activité professionnelle, y associant leur espace intime. La même illusion idéalisante permet encore que les enfants des professionnels soient accueillis dans le même établissement que celui où leurs parents exercent. L’annulation de la séparation et les angoisses de pertes inhérentes à celle-ci ne permettent pas son élaboration.
93On pourrait s’interroger sur ce qui conduit ces professionnels à leur choix de métier – ainsi qu’à leurs motivations inconscientes pour travailler dans le domaine de la petite enfance (M. Lemay, 2000). Il ne s’agit pas ici de développer au plan individuel cette question, pas plus qu’il ne serait efficace de le faire dans la pratique du psychologue en crèche.
94Pourtant, l’incapacité temporaire des auxiliaires à communiquer leurs hésitations, à partager leurs doutes, peut provenir de dépressions masquées ou réactionnelles à des deuils affectant leur estime de soi. Certaines se vivent comme subalternes et peuvent induire des disqualifications par les parents ; elles entretiennent en boucle leur désarroi de ne pas y arriver, de ne pas être compétentes. En d’autres termes, le frein mu par la dénégation pérennise leur sentiment de ne pouvoir venir en aide aux familles, elles qui sont en première ligne, « surexposées ». Ainsi, toute prise en compte de la souffrance infantile ou parentale devient difficile. D’autres, au contraire, exercent leur empathie par une écoute attentive ou savent répondre à des parents angoissés par des conseils a minima. D’autres, moins expertes, se retranchent frileusement derrière le mot d’ordre : « Il ne faut pas tout psychiatriser. » Dans une équipe au sein de laquelle aucune intervention de psychologue n’a eu lieu jusqu’alors, les auxiliaires s’expriment ainsi : « Jusqu’à votre arrivée, on ne se posait pas de question. On voyait bien que pour un enfant ça n’allait pas, mais on n’allait pas plus loin. On a pu parler, cela nous a soulagé et nous constatons avec satisfaction que l’enfant va mieux. » Ici, dans l’histoire institutionnelle transgénérationnelle, le pacte reconductible du silence est maintenant rompu. Cette rupture peut toutefois impliquer une relative perte d’identité temporaire chez certains membres du personnel, elle met en cause les lois antérieures qui régissaient le groupe.
95Toute réorganisation groupale déclenche des angoisses liées à une perte d’identité chez les membres qui le constitue. L’homéostasie antérieure préserve chaque membre du groupe en renforçant la fonction protectrice de bon nombre de dénis. L’accumulation des silences épargne à la fois chacun individuellement et permet l’économie de toute remise en cause institutionnelle. Lors d’expériences traumatiques, en particulier dans les situations de maltraitance, la loi du silence l’emporte préservant l’équilibre du groupe.
96Ainsi, même chez les professionnels, le déni peut donc avoir une fonction protectrice pour limiter le risque d’envahissement dépressif face à un passé personnel ou institutionnel qui demeure en suspens, ténébreux, rarement identifié. Ces difficultés continuent bien souvent de fragiliser leur confiance dans leur propre capacité soignante et éducative. La dimension des racines du déni et de la dénégation qu’ils peuvent vivre en tant que professionnels influence de manière plus ou moins fixée leurs propres perceptions.
Par exemple, une auxiliaire à qui le psychologue fait remarquer le regard particulièrement triste et figé d’un enfant répond sur un ton banalisant de manière lapidaire : « C’est sa nature ! Il est tout le temps comme ça. » S’entendant parler, l’auxiliaire prend conscience pourtant de la fixité de ce regard et du mal-être de l’enfant. Cette levée partielle de sa cécité psychique ouvre à une reconnaissance de la souffrance silencieuse exprimée.
97Les exemples de ce type sont multiples. Un enfant ne s’endort dans son lit qu’après vingt minutes de pleurs, « mais il fait la même chose chez lui ! » ; on apprend alors que la mère a été hospitalisée quelques mois plus tôt pour dépression et que le père se plaint d’insomnies sévères.
98Lors d’une réunion sur le thème du sommeil des enfants, est évoquée l’absence de couvertures ou de draps dans les lits des bébés. L’intervention d’une coordinatrice puéricultrice les avait fait disparaître par mesure de sécurité « pour que les enfants ne s’étouffent pas » (la campagne de prévention concernant la mort subite du nourrisson battait son plein). Des fantasmes de mort d’enfant sont évoqués ; jusque-là aucun professionnel, ni aucun parent curieusement, n’avait osé remettre en cause cette décision arbitraire privant les bébés de chaleur corporelle durant les mois d’hiver. Cette dénégation des besoins des bébés révèle-t-elle un sadisme inconscient alors que leur protection est mise en avant ? À un niveau plus archaïque, peut-on évoquer des vœux de maltraitance ou de mort inconscients ?
99S’il s’agit pour les parents d’éviter à tout prix de reconnaître leur enfant comme abandonné et de se sentir eux-mêmes comme abandonnants, les professionnels sont soumis au même type de processus lorsqu’ils doivent quitter les enfants qui s’endorment. Ils ont l’expérience de bébés qui fuient dans le sommeil pour se protéger d’angoisses face à des pertes d’objet insupportables, mais ils se sentent eux-mêmes démunis pour parvenir à établir une relation vivante avec eux. Il leur est alors utile de ne pas entrer en résonance avec les mécanismes défensifs des bébés privés de ressources pour élaborer la perte. Les professionnels pressentent pourtant la nécessité de nuancer leur propos lorsqu’ils restituent cette hypersomnie aux parents, dans le soin de ne pas majorer leur désarroi.
100Dans les cas d’enfants sortant d’une hospitalisation, et faute d’avoir pu désamorcer à temps les tensions héritées des rencontres avec les membres de l’équipe soignante à l’hôpital, nous avons constaté avec quelle facilité ces clivages se déplacent sur l’équipe de la crèche, et comment ils se fixent souvent sur une auxiliaire. Or, il apparaît qu’en prévenant les effets morbides de l’absence d’anticipation (en travaillant à la fois avec les équipes et les parents), une décompensation dépressive secondaire du groupe enfant/parent/soignant peut être évitée.
101Tout se passe comme si l’histoire familiale passée et actuelle dans sa connotation traumatique ne pouvait être prise en compte. D’où un credo candide évoquant la dépression souriante qui revient comme un refrain presque identique semaine après semaine : « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. »
102« La fuite désengage chacun de ses propres responsabilités, la mentalité du groupe permet à un individu d’exprimer ses pensées de manières anonymes tout en constituant l’obstacle principal à ce qu’il désire atteindre en adhérant à un groupe » (D. Anzieu, 1972). Chaque professionnel est tenté d’entrer dans la banalisation qui instaure un décalage entre ce qu’il ressent de l’enfant et ce qu’il en exprime. Repris par des mécanismes de défense primaire, il organise un temps répétitif oscillant cyclique.
103Il existe aussi des points aveugles dans la psyché des professionnels qui reconduisent parfois l’évitement de la mise au jour et de la mentalisation de situations transgressives au regard de la loi. Ainsi, en miroir de l’aveuglement parental à la souffrance de l’enfant, sévit le déni au sein du personnel. Les mêmes processus de sidération existent cette fois-ci au sein des équipes, animées par la « communauté du déni ». Fréquentes sont les conjonctures où la question délicate du statut de témoin de maltraitance – institutionnelle ou parentale – est ainsi posée.
Pour exemple, lors d’une visite d’une section de bébés, citons notre étonnement face à une auxiliaire au visage tuméfié, présentant de multiples traces d’ecchymoses. Elle interpelle le psychologue en lui demandant de ne pas s’inquiéter. Elle est tombée chez elle et dit aller beaucoup mieux. Quelques instants plus tard, portant un bébé dans ses bras, elle en heurte un autre à ses pieds et manque perdre l’équilibre.
Une tension règne dans la section, bien que les bébés soient particulièrement calmes. Ils observent dans leur transat en silence les adultes présents. En échangeant avec les autres auxiliaires de la section, nous apprenons que cette auxiliaire est revenue travailler depuis cinq jours, en l’absence de l’avis de la directrice. Les récits de son retour sont teintés d’effroi : « J’ai eu un haut-le-cœur en la voyant arriver », « J’ai cru que j’allais me sentir mal ». Cette chute inexpliquée suivie d’une courte observation aux urgences n’a abouti qu’à deux jours d’arrêt maladie. Voulant à tout prix reprendre son activité professionnelle, elle refuse de rester chez elle avec son mari « malade ». À son retour, elle refuse d’enlever les lunettes de soleil qu’elle porte toute la journée.
La pédiatre ne peut discuter avec elle, ni mentionner l’impact traumatique des blessures qui la défigurent. La banalisation de son état s’impose après l’effroi. Aucun professionnel n’a pu tenir compte des perceptions et des vécus émotionnels des bébés au contact de cette auxiliaire ; nul n’a anticipé les réactions des parents, ni envisagé l’image qu’une professionnelle dans cet état présente de l’institution aux parents.
104Il faut aussi nous interroger sur le mouvement groupal qui institue le silence lors de maltraitances de professionnels à l’encontre des bébés, ainsi qu’à celles des professionnels entre eux. Celui-ci scelle des alliances et un accordage destructeur entre auteur et témoins de violences ; il révèle une complicité perverse à l’intérieur du groupe des professionnels qui relèguent en arrière-plan les souffrances de l’enfant. Par protection défensive, les adultes s’octroient la priorité, comme pour se fédérer dans cette loi du silence.
Valérie, une petite fille de 10 mois, est accueillie en crèche avec un diagnostic d’hématome sous-dural à la suite d’une chute à son domicile. Lors d’un scanner de contrôle, un épanchement récent est mis au jour. Les professionnels de la section, interrogés par les parents inquiets, déclarent ignorer la raison de ce nouvel hématome. Une auxiliaire rompt le secret et informe la directrice d’une chute dans les heures précédant le scanner, chute provoquée par un geste brusque d’une auxiliaire excédée par les pleurs de cette enfant. À la suite de cette première révélation, d’autres maltraitances physiques de la part de cette même professionnelle pourront être dévoilées concernant d’autres enfants (épaule luxée, morsure d’un enfant au bras et autres agressions).
105Enfin, des stratégies de maintien du silence sont également mises en acte par des rituels de distribution de cadeaux, tant des parents aux professionnels que des professionnels aux enfants. Ces actes concrets font taire les désaccords pressentis lors de réunions d’équipe ; la sidération ou la perplexité qui en résultent sont à interroger. Le plaisir pour les professionnels d’être reconnus et appréciés dans leurs fonctions fait obstacle alors à tout questionnement. Le gain narcissique occulte les conflits sous-jacents. De même, le plaisir immédiat d’un enfant lors de la réception d’un cadeau peut annuler temporairement ses conflits de développement engagés avec les adultes. « Ce type de sauvegarde narcissique conduit à des dénis/dénégations de l’ambivalence inhérente à toute relation humaine. Cette sauvegarde isolée pourrait conduire à une véritable triade narcissique parents/enfants/professionnels » (B. Grunberger, 1960).
106Obéissant à l’appel d’un mot d’ordre inconscient, seul l’enfant parfait serait alors pris en compte au croisement des identifications des divers protagonistes. Ces différents courants identificatoires conflictuels s’immobiliseraient mutuellement et des symptômes de souffrance évidents chez un enfant seraient minorés ou interprétés sur un mode parcellaire. Il s’agirait d’un mécanisme de défense extrême interactif : la sommation tripartite des dénis des protagonistes.
107Nous pouvons supposer que le déni a pour fonction de maintenir l’idéal narcissique de la famille ou de l’institution. Si la réalité va à l’encontre de l’idéal du Moi d’un parent ou d’un professionnel, le déni préserve cette composante de l’idéal du Moi des attaques de la réalité actuelle.
108L’effacement ainsi généré oscille entre refus massif ou ambivalence. Il explique pour nous aussi bien la collusion parents/professionnels que les clivages entre eux. Dans les cas où le déni prédomine, l’exploration clinique se révèle impossible d’emblée. Du déni conjoint résulte une incapacité à demander de l’aide, à supporter des interrogations et toute remise en cause. L’idéalisation par l’adulte recouvre une sidération, voire un vide des processus de pensée où le clinicien cherche à introduire du sens.
109Le psychologue peut se trouver confronté à des phénomènes d’illusion groupale qui ancrent le mythe d’une institution idéalisée. Les idéalisations croisées parents/professionnels entretiennent ce mythe et la parabole d’un état aconflictuel des bébés et des jeunes enfants, et permettent de résister ainsi à toute discontinuité.
110L’intervention sur ce type de régime économique pourrait engager un mouvement évolutif de maturation. Le psychologue, en prenant garde de ménager le narcissisme des personnes (parents, professionnels), peut les aider à amorcer avec le temps l’abord de la conflictualisation sous-jacente. Encore faut-il que le clinicien, notamment en cas de violences institutionnelles, ne vienne pas surajouter son déni au déni groupal institutionnel et/ou familial.
111Chaque crèche comme toute institution a sa dynamique groupale propre. Reconnaître ou non la souffrance des enfants dépend du traitement des effets de groupe et de la structuration de l’institution par rapport à la place clairement définie des fonctions de chaque catégorie de professionnels. Devant le danger d’être exposé individuellement, la tentation est grande soit de se déresponsabiliser dans l’anonymat, soit de se dissoudre dans un collectif « unitaire, soudé et suturé ». Comme l’a souligné R. Kaës (1972), l’illusion groupale fonctionne « dans une vision phallique du groupe sur le mode unitaire du phallus : chacun l’est en même temps que l’autre, chacun est indéfiniment assuré d’être inaltérable et inaliénable ».
112L’autonomie – différenciation de chacun – est bien évidemment liée aux modes de structuration du groupe et en particulier selon la place imaginaire et fantasmatique qu’occupent les cadres dans leurs fonctions. Idéalisés et tout-puissants, ils ne permettront pas la confrontation individuelle des professionnels aux souffrances de l’enfant ; ils faciliteront l’aveuglement et l’évitement parental. Les blessures sous-jacentes ravivées par un tel type de gestion institutionnelle remettraient trop en cause parents et professionnels, majorant ainsi leurs processus défensifs et altérant la communication entre parents et professionnels proches du bébé.
113Toute remise en cause de la position narcissique des leaders (représentant le Moi idéal) renforce les identifications primaires, narcissiques et phalliques et induit les professionnels à se situer comme enfants martyrisés ou victimes. Ainsi, la place du psychologue dans l’institution continue d’être éminemment délicate et fragile. Les représentations qu’il se forge de l’équilibre cadres/auxiliaires influence profondément sa manière de se situer et de réfléchir dans les groupes de travail. Ses représentations doivent pourtant être souples, flexibles et évolutives, faute de quoi chaque « clan » voudra l’incorporer comme une arme disqualifiant l’une ou l’autre instance. Le psychologue travaille à l’interface des différents groupes, il n’est pas lui-même à l’abri, lorsqu’il se sent menacé ou nié, de renforcer ses identifications primaires narcissiques et de prendre part aux conflits et aux clivages. Régulateur des émotions du groupe, il doit en connaître les mécanismes, tant de destructivité, de culpabilité et d’illusion : « L’adulte qui veut entrer en contact avec la vie affective du groupe affronte une tâche aussi formidable que celle qu’affronte le nourrisson dans ses efforts pour établir une relation au sein maternel » (W. Bion, 1961). Le psychologue doit garder l’espoir que sa présence réflexive et élaborative dynamisera le groupe, mais comme Bion l’a rajouté : « L’espoir ne peut persister que s’il demeure à l’état d’espoir. »
LE PSYCHOLOGUE DE CRÈCHE À L’ARTICULATION DEDANS/DEHORS DES SOINS
« Il n’est pas agréable de se l’avouer, mais cela ne sert à rien de le nier. »
114Dans les lieux d’accueil de la petite enfance, les psychologues se trouvent en position délicate pour sensibiliser certains parents à l’opportunité d’accepter une orientation vers un lieu de soin pour des consultations thérapeutiques. Pour autant, la neutralité n’est pas une position longtemps tenable au regard d’une situation d’enfant en souffrance ou en danger. Comme l’indiquent M. et M. E. Laufer (1989), avec les adolescents, l’abstinence thérapeutique risque de confirmer des parents ou des professionnels dans leur désespoir plus ou moins conscient.
115Les symptômes de l’enfant, le fait qu’ils ne soient pas toujours pris en compte par les adultes et les échanges interactifs qu’ils induisent, impliquent inévitablement des effets intra-psychiques chez celui-ci. Quelle peut être son activité identificatoire face à des parents ou des adultes chargés de s’occuper de lui qui ne perçoivent pas dans un mouvement empathique sa souffrance (H. Kohut, 1974) ? Ce vide représentationnel, ce défaut d’investissement libidinal, ce manque de fonction contenante, leurs effets cumulatifs, ne risquent-ils pas de laisser l’enfant dans une solitude où l’existence de sa vie psychique est mise à mal ? Que deviennent ses potentialités et son activité identificatoire ? Quelles implications vont avoir ces climats défensifs rejetants, voire hostiles, des adultes sur le symbolisme du bébé (B. Golse, 1990) ?
116Les symptômes de l’enfant n’interpellent pas la partie la plus adulte des parents, ils aboutissent implicitement à une reviviscence de plaintes émanant de leurs vécus infantiles conflictuels. La manifestation de leur transfert ou de leur pré-transfert (J. Manzano et coll., 1999) projeté sur le bébé se réactualise dans l’abord thérapeutique. Ce transfert se caractérise par le mode de relation d’objet préobjectale qu’ils ont eux-mêmes vécu (abandon, discontinuité, hostilité, etc.). Le plus souvent, il se traduit par des motions hostiles ou par l’évitement des conflits. En s’attachant à une pratique inquisitrice, le clinicien risquerait d’imploser les mécanismes défensifs, ce qui reviendrait à anéantir toute chance d’inverser le processus pathologique en cours. La question de causalité du mal-être de l’enfant est dépourvue de sens immédiat pour les parents ou les professionnels envahis par la culpabilité. Intervenir sans attaquer ni l’enfant idéal imaginaire qu’ils portent en eux et qui les conforte narcissiquement, ni l’image idéale parentale qu’ils tentent de préserver en eux, est une démarche clinique subtile.
117Il se peut aussi qu’un parent puisse interpeller le clinicien sur un mode quasi magique, dans une idéalisation massive de sa fonction. Il cherche ainsi la toute-puissance du clinicien pour établir avec lui une relation complice gratifiante. Le parent exige alors une guérison immédiate de l’enfant, sans entrevoir le nécessaire processus d’élaboration de sa propre détresse. Cette pseudo-sujétion au pouvoir du consultant peut se fixer et constituer un facteur d’échec important. Ces parents cherchent inconsciemment à éviter de revivre les douleurs du passé, de sorte qu’ils exercent des pressions insistantes sur leur interlocuteur dans le but de les cliver ou de les neutraliser, quitte à démontrer même rageusement qu’ils ne peuvent être aidés. Ainsi avons-nous eu l’occasion de rencontrer une mère convaincue qu’en un seul entretien les insomnies de sa fille disparaîtraient. Ce prétransfert trompeusement positif signe des projections idéalisées analogiques à celles qui existent dans ses interactions avec l’enfant. La résistance tenace à reconnaître la gravité de deuils à répétition, de traumatismes actuels ou anciens, infiltre insidieusement ce type de transfert idéalisé.
118Il arrive aussi que des parents demandent à prendre conseil auprès du psychologue de crèche. Toutefois, ces demandes semblent paradoxales. Ainsi, des parents évoquent des phobies à l’approche d’escaliers chez leur enfant grandi, ils demandent comment réagir sans pouvoir se questionner eux-mêmes. D’autres illustrations concernent les enfants affectés par des troubles du sommeil, qui se réveillent la nuit en hurlant ou qui dorment en geignant, les parents nous interpellent : « Mais les autres enfants le font aussi n’est-ce pas ? » Le trouble est reconnu, mais sa dimension affective est rejetée, minimisée.
119Il existe des situations cliniques dans lesquelles les parents ne parviennent pas à prendre en compte la douleur de leur enfant, trop occupés par leur détresse conjugale. Éteindre la souffrance de l’enfant est une défense – un système tampon – aménagée contre une blessure narcissique qui risquerait de dévaloriser totalement l’un ou l’autre parent, d’ouvrir en quelque sorte la porte à l’affect dépressif. Les défenses parentales contre la souffrance et la dépression, reflets de leur histoire infantile, aboutissent dans un premier temps à une impossibilité radicale à prendre en compte la réalité des signaux de détresse de leur propre enfant. Pourtant, ces positions peuvent s’assouplir et aboutir à une reconnaissance progressive de la pathologie de l’enfant. Une mère inquiète de l’impact des violences conjugales alors qu’un certain nombre d’étapes sur un plan juridique et thérapeutique avaient été déjà amorcées a pu secondairement manifester un intérêt propre à ses enfants.
Mme D... rencontre le psychologue de la crèche au sujet de son fils âgé de 23 mois « inquiète de n’observer aucun trouble psychologique », tandis que le fils aîné âgé de 5 ans manifeste des difficultés, affirmant qu’il aurait « préféré ne jamais sortir du ventre (maternel) et n’avoir jamais connu son père ». Un climat de violences conjugales ininterrompues se déploie depuis six ans, à l’insu de l’entourage familial, jusqu’à l’intervention récente de la police. Le père prend conscience du risque de rupture avec sa femme et accepte une série de médiations familiales. La mère sollicite l’appui d’une association de protection de femmes battues. Elle prend conscience de la caducité des représentations idylliques de sa vie de couple, reconnaît les adultères réitérés de son époux. Elle se remémore son « aveuglement » passé sur la violence du mari et ses propres illusions sur l’arrêt de ces violences. De manière confuse, elle évoque la probabilité d’une souffrance des enfants, réactionnelle aux problèmes du couple, qu’elle attribuait jusqu’alors à des causes extérieures. Elle exprime sa culpabilité de n’avoir pas réagi plus tôt, paralysée par son affectivité momentanément appauvrie. Le premier déni de la violence de son époux en cachait d’autres : le déni de sa propre détresse et de celle des enfants. Elle associe sur son désir de fuir le domicile conjugal et s’inquiète du devenir de ses enfants.
120Cet exemple illustre la malléabilité du déni, dont la prise de conscience et la levée permettent l’accès à des sentiments d’étrangeté et de culpabilité mobilisateur. Une surcharge conflictuelle avait jusque-là gelé toute capacité de penser, y compris penser la souffrance des enfants. La consultation ici permet ainsi d’atténuer la mordacité des dénis.
121En cas de maladie somatique grave ainsi que dans les pathologies addictives (alcool, toxicomanies), il n’est pas étonnant de constater l’association du déni de la pathologie parentale au déni de la pathologie de l’enfant. Il y a une diffusion du désaveu sur les troubles infantiles. Les professionnels se heurtent à des barrages lorsqu’ils mentionnent une maladie somatique comme une otite, une bronchite.
Simon, fils unique âgé de 18 mois, souffre régulièrement d’otites. Son père est atteint d’un cancer intestinal récidivant lorsque nous sommes informés de l’attitude de repli de l’enfant. Le cancer a débuté pendant la grossesse de sa femme, nécessitant une nouvelle hospitalisation en urgence la semaine même de la naissance de Simon, sidérant toute la famille. C’est précisément au moment où le père attend une hospitalisation que l’enfant revient à la crèche dans l’heure qui suit un examen invasif de ses oreilles, à l’étonnement de l’équipe d’auxiliaires. Le psychologue aide à faire le lien avec la pathologie grave du père.
122Mais il arrive aussi que le déni portant sur les troubles d’un enfant soit l’écho d’un déni plus profond et ancien. Cette réplication du déni « sur » l’enfant apparaît lorsqu’un des parents, par exemple enlisé dans un deuil pathologique, projette inconsciemment sur l’enfant des aspects d’un membre de la famille disparu. B. Cramer et F. Palacio-Espasa (1993) ont particulièrement éclairé ce type de pathologie du deuil. Ils donnent un exemple où une petite fille présentait des troubles du sommeil contribuant au déni du deuil de sa mère à l’égard de son propre père (la mère allait réveiller son enfant la nuit, envahie par la culpabilité d’avoir souhaité la mort de son père handicapé). L’enfant et ses troubles servent de bouclier protecteur contre le conflit d’ambivalence ingérable concernant son père mourant.
123Nos contre-attitudes permettent-elles vraiment de répondre de façon adéquate aux besoins des parents ? Ne renforcent-elles pas aussi l’hostilité des professionnels à comprendre les difficultés rencontrées par les parents ? Le psychologue clinicien doit là encore non seulement tenir compte du narcissisme parental, mais également du contexte narcissique institutionnel et de l’empathie de chaque professionnel alors qu’il se sent démuni parfois personnellement. Sans cette attention et ce tact, ses interventions peuvent échouer, être contrecarrées par des obstacles qu’il n’avait pas anticipés. Tâche ardue psychiquement, ce d’autant que le temps qui lui est imparti est compté. Son narcissisme est parfois mis à rude épreuve, ce qui nécessite d’être un professionnel compétent et chevronné. La non-prise en compte de ces différents niveaux permet de mieux comprendre l’importante déperdition constatée après l’adresse ou lors du suivi thérapeutique des familles à l’extérieur. Ces échecs s’expliqueraient aussi par un manque de transition, de lien.
124On peut effectivement s’interroger sur cette notion de lien si ténu et si difficile à établir à la fois avec les parents, avec les professionnels du lieu d’accueil et les partenaires de soin (PMI, CMPP). Au sein d’une équipe, le clinicien doit nécessairement permettre que s’articule ce triple travail de liaison, avec la famille, l’institution, les partenaires. Comme l’ont exposé S. Stoléru et M. Moralès-Huet (1989), cette démarche initiée est souvent l’unique possibilité de dévoiler une demande parentale jusque-là « masquée et inarticulée ». De par sa place professionnelle, le psychologue en crèche, à la charnière entre le dedans et le dehors, est exposé aux contre-attitudes négatives. Pour les parents et les professionnels, le psychologue risque de devenir narcissiquement menaçant. Sans compréhension préalable de leurs angoisses, il pourrait alimenter lui-même les angoisses de séparation, de castration. Confondu avec des imagos parentales, il jouerait un rôle surmoïque, celui d’un expert omniscient, un juge qui relèverait leurs erreurs. Ainsi, le parent idéal serait mis à rude épreuve. Il n’est donc pas question d’occuper une simple place d’évaluateur, mais celle d’un professionnel présent, engagé dans une relation empathique avec les familles. Rendre les parents accessibles à un processus de soin, engager les prémices d’une alliance thérapeutique nécessite beaucoup de délicatesse tant dans le registre narcissique que de la culpabilité. Il s’agit avant tout de ne pas renforcer, de ne pas confirmer leurs insuffisances, mais de souligner la complémentarité nécessaire.
Au cours des premières journées d’adaptation d’une petite fille en crèche âgée de 8 mois, adoptée à 5 mois, le psychologue avait été sollicité en raison d’un isolement et d’une tristesse marquée de la mère. Lors de ce premier entretien, la présence du père est évoquée sous forme interrogative, la mère répond qu’il ne viendra jamais à la crèche. Dans un premier temps, elle rationalise ce fait par la situation professionnelle périlleuse de l’époux (dépôt de bilan), le rendant indisponible. Dans un second temps, elle évoque une première grossesse interrompue à six mois de gestation, quelques années plus tôt. C’était une période de conflit conjugal au cours de laquelle l’époux avait connu strictement les mêmes difficultés professionnelles. Après l’interruption de cette grossesse, les liens antécédemment menacés entre époux se seraient normalisés permettant des démarches d’adoption. L’état dépressif maternel s’améliore après qu’elle eut pris conscience des bouleversements émotionnels chez le père.
125La première tâche du psychologue est d’incarner ou de faire revivre des images parentales secourables. Cela permettra de sensibiliser les familles à un travail d’élaboration, malgré leur autarcie narcissique (B. Grunberger, 1960). L’enfant n’est pas encore totalement dégagé de ce rôle de support de contenus difficilement représentables dans la vie psychique de ses parents. Pour sortir de cette impasse intrapsychique, l’objectif de diminuer les contraintes projectives parentales pesant sur lui nécessite de renforcer l’insight parental et leur confiance en eux-mêmes (N. Stern-Bruschweiler, D. N. Stern, 1989).
126Dans une impasse, l’activité fantasmatique, les représentations mentales parentales semblent abrasées. L’intervention thérapeutique consiste à fournir aux parents ou aux professionnels des représentations mentales en quelque sorte prothétiques ou étayantes qui dégagent l’enfant à la fois du vide et de l’impact négatif des projections sur lui.
127Malgré la vigilance du personnel, souvent à l’origine de l’intervention du psychologue, des mouvements défensifs plus difficiles encore à contenir, avec leurs projections persécutoires, se déploient parfois chez les professionnels. Nous faisons référence aux situations si complexes et si traumatiques pour les professionnels eux-mêmes de cas d’enfants en danger, maltraités par leurs parents et qui peuvent induire le même type de comportement chez les professionnels. Quelques initiatives pour élaborer en équipe ces aspects douloureux peuvent être perçues puis occultées. L’amélioration des relations professionnels/enfants et de l’enfant lui-même permet d’évoquer dans l’après-coup les émois douloureux ressentis par les professionnels. La liberté d’expression autorisée par le supérieur hiérarchique facilite grandement la préservation d’une bonne estime professionnelle, même quand l’auxiliaire doit faire face à des aspects difficilement gérables.
128Dans ces conditions, susciter un entretien clinique avec des parents par l’intermédiaire des professionnels est une entrée en matière tout aussi importante que le contenu de l’entretien lui-même. Pour les parents, la proposition de rendez-vous à l’initiative du clinicien n’a de sens que s’ils se sentent libres de l’accepter ou de la repousser. Établir une aire intermédiaire temporaire est parfois nécessaire : venir – accepter ou ne pas venir – ne pas accepter. Dans cette maîtrise, les parents cherchent à faire vivre au consultant leur problématique en le confrontant à l’isolement. Il se peut aussi qu’il s’agisse d’un moyen de vérifier la continuité de l’investissement pour prévenir tout risque d’abandon ou de rupture. Cette attitude d’attente sert alors à développer un rapport de confiance qui leur procure l’expérience de ne pas être seuls ou oubliés (S. Fraiberg, 1980).
129La première étape de l’entretien psychologique consiste à clarifier cette ambivalence, en aidant les parents à supporter les inévitables affects qui y sont liés. Il s’agit de reconnaître, de concourir à lever partiellement les affects réprimés, des moins aux plus violents. Dans un espace de confidentialité, c’est une fois exprimée l’ambivalence que d’autres sentiments pourront apparaître. Leur reformulation, sans interprétation, permet souvent une nette clarification des sentiments exprimés. En effet, dans ce type de rencontres, toute démarche interprétative est généralement contre-indiquée d’emblée. Il s’agit de réfléchir ensemble dans un jeu d’identifications subtiles pour ensuite élaborer les projections.
130Dans ces situations complexes, le piège serait de tenir compte à titre personnel des critiques et jugements transférentiels. Les propos négatifs ne le visent pas lui-même, mais contrecarrent un changement potentiel. Ils sont à la mesure de la fragilité et de la souffrance spécifique des parents en échec. Les accusations que les parents redoutent de voir porter sur eux signent leur impuissance ou leur culpabilité. L’investissement du psychologue est ainsi filtré par la psychopathologie de chaque parent et par son organisation fantasmatique sous-jacente. Les premières rencontres doivent donc servir d’enveloppement thérapeutique, intégrant ces défenses sans les nommer. Elles sont parfois l’occasion d’un moment régressif au sens où, d’après D. W. Winnicott (1954, 1963), émerge une valeur thérapeutique en laissant « une partie ouverte vers les sentiments de la petite enfance » initiant une possible symbolisation.
131Certains parents viennent rencontrer le psychologue uniquement pour demander la confirmation de la bonne santé de leur enfant. Face à cette défense, un piège serait d’amorcer le dialogue en énonçant rapidement les difficultés révélées dans la crèche. La tentation serait grande de se substituer aux parents jugés incapables, en leur donnant des conseils qu’ils semblent demander ou en répondant à leur souhait de réparation magique. Le professionnel est assimilé à un témoin gênant qu’il faut réduire au silence. De solides mécanismes protecteurs s’installent, prêts à tenir à distance un débordement des contenus pulsionnels, débordement qui serait facilité par une interprétation prématurée. Cette erreur scellerait l’échec d’un processus thérapeutique entraînant un refus de parler ou une absence de poursuite des entretiens. L’impuissance parentale est ravivée tant que le déni n’a pas été levé. Les aléas du temps d’élaboration et de maturation des parents doivent être soigneusement et prudemment pris en compte. En ce sens, notre première évaluation doit servir à évaluer la capacité parentale « à remettre en cause des noyaux conflictuels enkystés » (M. R. Colucci 1995). Favoriser une attention conjointe, en soutenant progressivement les parents dans leur propre observation et compréhension de leur enfant, demeure notre principal objectif.
132L’élaboration progressive de la conflictualité qui inclut leur enfant facilite dans un second temps les processus de différenciation des parents. Souvent cette élaboration n’est possible qu’après une confirmation narcissique. Cette valorisation narcissique les encourage à affronter la conflictualité sans qu’elle soit ressentie à nouveau de façon blessante, insécurisante. Ainsi se développe la capacité d’investissement dans une relation thérapeutique (W. R. Bion, 1962) en favorisant ce que D. Stern (2000) appelle des « moments d’émergence ». Nous pouvons alors aider les parents à anticiper les bénéfices d’un travail extérieur à l’établissement, comme porteur de changements dont leur enfant et eux-mêmes pourront bénéficier.
133Le clinicien doit-il donc se recentrer sur les parents, sur l’enfant, sur leur interaction problématique ou sur les trois en même temps ? Peu à peu, les parents perçoivent l’impasse relationnelle sans qu’ils se sentent anéantis. Il leur est difficile de passer d’un état de pseudo-indépendance à un relatif état de dépendance, provisoire, ressenti comme sécurisant. Dans notre expérience, une façon d’intégrer leurs mécanismes de défense ou de les contourner est d’établir une alliance contractuelle avec eux sur les données d’une intervention brève mais intensive, telle que F. Palacio-Espasa et J. Manzano (1982) la décrivent. La nature des identifications projectives dans leur aspect contraignant rend parfois difficile leur contenance. Servir de réceptacle à ces identifications projectives parentales qui attisent en nous rejet, abandon ou renoncement, est un temps premier souvent complexe. Il nécessite un difficile travail contre-transférentiel.
134Il s’agit d’aider la mère et le père à investir la curiosité de son propre fonctionnement, qui induira la compréhension de celui de l’enfant. Ainsi se libère l’acceptation jusque-là immobilisée de l’existence des difficultés. En ce sens, la fonction du psychologue est empathique. Cette occasion d’élaboration permet ainsi de réfléchir à l’aspect secourable du parent, décrit par D. W. Winnicott (1967) : « Si je fais suffisamment bien cette tâche, le patient trouvera son propre soi, sera capable d’exister et de se sentir réel. » Il convient à ce propos de souligner que le soutien des instances encourageantes au sein du moi n’est possible que par une mise en représentation des éléments traumatiques de leurs affects pour conduire à une symbolisation mobilisatrice.
135Quel intérêt y a-t-il alors à vouloir interpeller des parents qui ne demandent rien ? Cette proposition émanant de l’institution est génératrice de tensions émotionnelles. Elle ouvre pourtant à des interrogations parentales inédites. En ce sens, une proposition de rencontre peut devenir un facteur de déséquilibre positif. Elle introduit inévitablement au conflit sous-jacent : indépendance - dépendance, toute-puissance - impuissance.
136Tout professionnel doit pouvoir admettre que l’absence de demande qui caractérise ce type de situation est le signal d’une vulnérabilité et d’une souffrance qui ne permet pas qu’une demande d’aide s’exprime. La révélation dans l’intimité d’affects éprouvants réveille le désir de comprendre qui contrebalance malaise et angoisse. Il s’agit donc d’œuvrer à une possible réorganisation des défenses des parents pour permettre le passage de l’éprouvé à l’affect puis à la remise en pensée. Ce travail de guidance, répétons-le, n’est supportable qu’une fois restaurée l’assise narcissique qui a fait défaut aux parents ; pour ce faire, le psychologue et les professionnels de crèche doivent représenter des personnages bienveillants valorisant la vie psychique et ses conflits. De même, les consultants doivent poursuivre avec empathie ce travail qui permet de lier les expériences engrammées de déplaisir pour une plus-value du plaisir à penser.
CONCLUSION
« La condition humaine est telle que, si on ne se donne pas comme règle des règles un optimisme invincible, aussitôt le plus noir pessimisme est le vrai. »
137Nous considérons que les processus défensifs face aux souffrances des bébés concourent parfois, en apparence, à une pseudo-harmonisation des relations entre adultes face à l’incompréhension dans laquelle nous plonge l’immaturité du bébé. Il s’avère indispensable, dans une large mesure lors de l’établissement des liens parents/bébé à l’œuvre, de tenir compte des aléas de l’instauration de la parentalité. Toutefois, en tant que mécanismes de défense, le déni ou la dénégation peuvent signer chez les parents ou chez les professionnels une rupture dans leur propre développement émotionnel, voire l’expression de leur désorganisation pathologique lorsqu’ils sont trop prégnants et répétitifs. Ces fermetures défensives aboutissent alors à des agirs qui tentent de colmater l’angoisse. Aussi est-il essentiel de créer des solutions pour rendre possible l’émergence de vécus et de fantasmes ingérables et impensables.
138L’ampleur de ces mécanismes de déni ou de dénégation dans les lieux de la petite enfance serait-elle la partie émergée de l’iceberg, là où adultes (parents et professionnels) et enfants se heurtent à la difficulté initiale insurmontable que représente l’accomplissement de la séparation inévitablement traumatique ? Il nous semble qu’il s’agit d’un véritable enjeu de société, au sens où des déterminants sociaux et économiques induisent aussi ces dénégations ou ces dénis massifs, certainement en lien avec les signaux d’alerte négligés des troubles précoces du tout-petit.
139Seule une dose homéopathique de remise en question peut-elle être supportée par l’institution ? La bonne conscience du saupoudrage psychologique actuel, lorsqu’il existe, reconduit la loi du silence et inscrit la répétition des pathologies traumatiques familiales et institutionnelles. Pourtant, à la lumière des exemples étudiés, il apparaît que seule l’acceptation progressive d’un appui véritablement préventif peut conduire à cette élaboration collective, sans harceler ni blâmer les parents, l’enfant ou les professionnels.
140Le déni ou la dénégation peuvent s’amender à l’occasion d’une intervention psychologique in situ, à condition que cette intervention ne fasse pas effraction dans le système d’investissement et de défense façonné et conservé par les adultes jusque-là. L’objectif est de permettre aux parents d’accepter et d’assimiler leur propre souffrance, qui rejaillit sur leur enfant, et de les réconcilier avec eux-mêmes. Les parents peuvent commencer à opérer une mutation de leurs clivages dysfonctionnels initiaux, en clivages fonctionnels (Bayle, 1989). En développant cette capacité de s’accepter tels qu’ils sont avec leur propre conflictualité, ils deviennent accessibles à une démarche thérapeutique plus approfondie et profitable extra muros lorsqu’elle s’avère nécessaire.
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Mots-clés éditeurs : Crèche, Mécanismes de défense primaire, Petite enfance, Prévention, Soins précoces
Mise en ligne 06/02/2008
https://doi.org/10.3917/psye.501.0205