Notes
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[1]
Cet article a été rédigé à partir d’une communication faite par B. Golse et discutée par S. Eliez dans le cadre du VIIIe Symposium Vaud-Genève de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent organisé par le Service médico-pédagogique (Pr J. Manzano) et le Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des hôpitaux universitaires de Genève (Pr F. Palacio-Espasa) sur le thème : « Psychoses infantiles et troubles envahissants du développement (TEd). Un regard actuel » (Genève, 27 novembre 2004).
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[2]
Pédopsychiatre-psychanalyste. Chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris). Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université René-Descartes (Paris V). Codirecteur du programme de recherche « PILE ».
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[3]
Pédopsychiatre. Chef du Service médico-psychologique de Genève. Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Genève (Suisse).
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[4]
H. Gervais, P. Belin, N. Boddaert, M. Leboyer, A. Coez, I. Sfaello, C. Barthelemy, Y. Samson, M. Zilbovicius (2004), Abnormal cortical voice processing in autism : A fMRI study, Nature Neuroscience, 2004, 7 (8), 801-802.
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[5]
N. Boddaert, N. Chabane, H. Gervais, C. Good, M. Bourgeois, M.-H. Plumet, J.-L. Adrien, J.-B. Poline, A. Cachia, C. Colineaux, C. Barthelemy, M.-C. Mouren-Simeoni, Y. Samson, F. Brunelle, R. Frakowiak, M. Zilbovicius (2004), Superior temporal sulcus abnormalities in childhood autism : A voxel based morphometry MRI study, Neuro-image, 23, 364-369.
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[6]
D’importants sponsoring nous ont été accordés, et nous voulons témoigner, ici, de la générosité particulière des différents partenaires suivants : la filiale française d’EADS (European Aeronautic Defence Space Company), la Société française du radiotéléphone (SFR) et la Fondation Bettencourt-Schueller enfin.
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[7]
Une cellule vidéo de haute technologie a aujourd’hui été installée à l’hôpital Necker-Enfants malades grâce à la collaboration d’Alain Casanova (avec lequel nous travaillons déjà depuis de nombreuses années au sein de la collection multimedia « À l’aube de la vie » dont nous avions été l’un des cofondateurs aux côtés de Serge Lebovici), et plusieurs équipes ont été mises en place dans la perspective de cette recherche : une équipe pour l’analyse des mouvements (tracking des mains et des yeux) sous la direction de M. Milgram dans le cadre du LISIF de Paris VII (Laboratoire d’instruments et systèmes d’Île-de-France), une équipe pour l’analyse des sons sous la direction de X. Rodet dans le cadre de l’IRCAM (Institut de recherche sur la communication et l’acoustique musicale), et une équipe enfin d’analyse statistique des résultats sous la direction de D. Chauveau du MAPMO de l’Université d’Orléans et de J.-C. Dumas du CERMICS de l’École des ponts et chaussées.
1Serge Lebovici avait coutume de dire : « La psychanalyse n’a aucune raison d’avoir peur des avancées actuelles formidables des neurosciences. Elle les attend même avec impatience dans la mesure où ces nouvelles données ne pourront que nous servir de nouvelles portes d’entrée dans notre modèle, nécessairement poly-factoriel, de toute situation psychopathologique. » Il nous semble que le livre de F. Ansermet et P. Magistretti intitulé À chacun son cerveau, que Bertrand Cramer et moi-même avons publié dans la collection dont nous avons la responsabilité au sein des éditions Odile Jacob (Paris, 2004), s’inscrit très précisément dans cette perspective.
2Après quelques rappels sur le concept de « processus autistisant » proposé par J. Hochmann (1990) et la notion de plasticité initiale des troubles autistiques ou apparentés, je souhaiterais surtout évoquer les découvertes récentes en neuro-imagerie qui ont été publiées récemment dans le champ de l’autisme et montrer comment ces nouvelles données peuvent fort bien s’articuler avec une conception psychodynamique de ces pathologies.
PROCESSUS AUTISTISANT ET PLASTICITé INITIALE DES TROUBLES (par Bernard Golse)
3Sans reprendre ici la polémique classique entre les tenants de l’organogenèse exclusive et ceux de la psychogenèse exclusive à propos de l’étiologie de la pathologie autistique, il importe cependant de rappeler que l’autisme infantile a pu, selon les auteurs et selon les époques, être conçu soit en termes de déficit de telle ou telle fonction neuropsychologique (par exemple au niveau du décodage des émotions ou de l’accès à une « théorie de l’esprit »), soit en termes de défense (l’autisme valant comme une organisation défensive envers des angoisses de type archaïque, et comme évitement de l’accès à l’intersubjectivité dont la mise en place douloureuse ou impossible chez les enfants autistes donnerait lieu à des angoisses primitives catastrophiques).
4Outre cette vision défectologique et cette approche psychodynamique, R. Diatkine avait, quant à lui, proposé une autre direction de travail qui transcendait quelque peu l’opposition entre déficit ou défense (sans pour autant la résoudre), en supposant que l’autisme était au fond une stratégie existentielle pathétique dont le but n’était autre que de permettre aux sujets concernés (si tant est que le terme de sujet convienne) de vivre tout en faisant l’économie absolue de toute relation d’objet.
5Lors d’une expertise collective organisée dans le cadre de l’INSERM sur l’état de la santé mentale des enfants en France, la simple évocation de ce point de vue a encore fait véritablement scandale et, avec D. Houzel et Cl. Bursztejn, nous avons tenté de nous faire l’écho, dans cette revue (2003), de l’aspect dogmatique et réducteur de ce type de refus d’ouverture à des hypothèses autres que strictement quantifiables.
Le concept de « processus autistisant »
6Sous ce terme de processus autistisant, J. Hochmann voulait indiquer qu’il existe très probablement, avant l’enkystement autistique, une première période au cours de laquelle les choses sont encore très plastiques et non fixées, et cela quelle que soit l’étiologie incriminée (génétique, cognitive, relationnelle ou mixte). Tout se passe alors comme si les premiers dysfonctionnements interactifs de l’enfant ou de l’adulte venaient perturber l’adéquation des réponses interactives de l’autre avec, très vite, un cercle vicieux à vocation auto-aggravante majeure.
7On voit donc que dans ce modèle qui fait de l’autisme infantile une véritable maladie de l’interaction, peu importe au fond de savoir si le trouble princeps se situe plutôt du côté de l’enfant ou plutôt du côté de l’adulte. Seul compte, en réalité, le fait que c’est toute la spirale interactive qui se trouve alors rapidement gauchie et en souffrance, et seule compte aussi la rapidité de l’intervention thérapeutique car il est sans doute beaucoup plus facile de pouvoir enrayer le processus, en amont de la cristallisation des troubles, pendant cette période de plasticité initiale, que de les faire régresser après que les difficultés se sont figées.
8En tout état de cause, les travaux de Pise illustrent concrètement cette hypothèse puisque à partir de films familiaux, F. Muratori et S. Maestro (2001) ont pu montrer que les enfants appelés à devenir autistes ont en fait des capacités qui se mettent en place dans les trois grands domaines de la communication, de la socialisation et de la proto-symbolisation, contrairement à ce que l’on aurait pu penser jusque-là. Cependant, et à la différence de ce qui se passe pour les enfants sains, pendant les dix-huit premiers mois de la vie, ces aptitudes se mettent en place non pas de manière progressive, homogène et linéaire, mais, au contraire, « en dents de scie » ascendantes, jusqu’au moment du décrochage et de l’extériorisation alors plus ou moins brutale de la pathologie, un peu comme si un certain équilibre venait se rompre par épuisement.
9Ces données sont extrêmement importantes et intéressantes, et cela pour trois raisons au moins. Tout d’abord, cela montre que chez le bébé le risque autistique ne peut jamais s’affirmer à l’issue d’une seule rencontre qui peut être trompeuse et parce que l’attention doit être portée sur la variabilité des compétences. Par ailleurs, ces résultats relativisent énormément la distinction finalement peut-être un peu fallacieuse entre autisme primaire et autisme secondaire, au profit des notions d’autisme « progrédient » et « régrédient » tout à fait congruentes avec le concept de « processus autistisant ». Enfin, cela ouvre une voie à la prévention dont on sait qu’elle est toujours, mais dans ce domaine de l’autisme tout particulièrement, beaucoup plus légitime et éthique que la prédiction aux effets secondaires parfois catastrophiques.
Les enseignements du CHAT (Checklist for Autism in Toddlers)
10À l’aide d’un outil d’évaluation standardisé applicable chez les enfants à partir de l’âge de 18 mois, le CHAT (Checklist for Autism in Toddlers), S. Baron-Cohen et coll. (1992) ont examiné de manière longitudinale une cohorte d’enfants à risque. Ils ont montré la valeur prédictive de trois symptômes : le défaut d’attention conjointe, l’absence de pointage proto-déclaratif et l’absence de jeu de faire-semblant :
11On dispose donc d’une connaissance de plus en plus fine de l’expression très précoce d’une évolution autistique. L’étude de S. Baron-Cohen et coll. montre la bonne valeur prédictive de certains des signes que l’on peut repérer dès l’âge de 18 mois, voire plus tôt. La spécificité du CHAT est satisfaisante, mais sa sensibilité serait seulement de 38 % environ (d’où la possibilité d’un grand nombre de faux négatifs).
12Il est indéniable que cette meilleure connaissance de la sémiologie précoce de l’autisme représente un progrès significatif qui permet, quelles que soient les étiologies envisagées, de mieux repérer les enfants à risque et de leur offrir au plus vite des prises en charge thérapeutiques, pédagogiques et éducatives adaptées. On aide ainsi enfant et parents à échapper au « processus autistisant » que nous venons d’évoquer.
13Peut-on affirmer, pour autant, le diagnostic d’autisme avant l’âge de 30 mois ? Indéniablement, cela est possible dans certains cas qui réunissent l’ensemble des éléments du syndrome autistique bien avant cet âge. Cependant, le plus souvent le tableau est incomplet ou fluctuant, et il n’est pas possible d’écarter soit une simple crise évolutive dans le développement de l’enfant qui sera peut-être sans lendemain, soit plutôt un syndrome dépressif précoce, un état de carence affective ou un retard mental lié à une atteinte cérébrale.
14Aussi est-il prudent de parler seulement d’ « enfants à risque autistique » ou encore, comme l’a suggéré A. Carel (1998), de « syndrome d’évitement relationnel », plutôt que d’énoncer prématurément un diagnostic aussi lourd de conséquences que celui d’ « autisme ». Comme on le voit, il ne s’agit en rien de procéder à une quelconque rétention d’informations face à des parents qui ont le droit de savoir ce que nous pensons de leur enfant, mais seulement de mobiliser sans dramatiser et, surtout, de ne dire que ce que l’on sait, sans enfermer quiconque dans de pseudo-certitudes alors porteuses d’une réelle menace iatrogène.
15Plusieurs équipes se sont lancées dans la mise au point d’un équivalent du CHAT en première année de vie, et les difficultés semblent, ici, encore plus grandes. Peut-être faut-il avoir la modestie, à cette époque de la vie, de savoir seulement repérer, non pas un risque autistique, mais une sorte de plate-forme de vulnérabilité à partir de laquelle peuvent encore se jouer des destins psychologiques ou psychopathologiques fort divers (évolution vers un déficit, une psychose non autistique, une dysharmonie évolutive, voire, parfois, vers une certaine normalisation) pourvu qu’on ne fasse pas peser sur l’enfant et sur ses parents le spectre d’une fatalité autistique et qu’on laisse toute leur place aux effets de rencontre, par définition imprévisibles.
16D’un point de vue psychopathologique, et quelle que soit par ailleurs l’étiologie ou les étiologies de l’autisme, la question demeure de savoir quelle signification l’on peut donner à ces manifestations précoces d’autisme infantile et, dans l’état actuel des choses, c’est seulement l’exploration psychothérapeutique et psychanalytique de ces syndromes qui peut nous renseigner sur ce point bien évidemment essentiel.
17C’est dans le cadre de cette réflexion que se situe, par ailleurs, la délicate question de la distinction entre structures autistiques authentiques et simples mécanismes autistiques susceptibles de pouvoir venir émailler, transitoirement, telle ou telle pathologie d’une autre nature, neuropédiatrique par exemple.
La période de plasticité initiale
18On a longtemps débattu pour savoir s’il y avait lieu ou non de distinguer les autismes primaires des autismes dits secondaires, c’est-à-dire s’extériorisant après une première période normale du développement. La question est difficile car obscurcie de deux manières : d’une part, on peut toujours penser que de petits signes avant-coureurs, trop minimes pour être détectés ou pas encore répertoriés, sont passés inaperçus et font alors courir le risque de parler à tort d’autisme secondaire et, d’autre part, il est toujours possible qu’un déni des parents, voire des professionnels (des pédiatres notamment) aboutisse à une reconstruction idéalisée d’une histoire précoce pourtant déjà pathologique.
19Nous avons vu comment les travaux de l’équipe italienne de P. Pfanner (Pise), animée par F. Muratori et S. Maestro, viennent aujourd’hui donner une sorte d’objectivation expérimentale du concept de « processus autistisant ». L’important est de considérer que cette plasticité clinique initiale renvoie peut-être, de manière sous-jacente, à une plasticité cérébrale, laquelle doit nous inciter à interpréter avec la plus grande précaution possible les résultats de neuro-imagerie dont nous reparlerons plus loin.
20Pour conclure, je rappellerai seulement le souci éthique qui doit animer le dépistage précoce des enfants autistes ou à risque d’évolution autistique, ce qui suppose une formation particulière des personnels impliqués, et par ailleurs l’importance de développer des modalités d’intervention thérapeutiques précoces dont l’efficacité semble aujourd’hui de plus en plus certaine (notamment sur le plan du pronostic cognitif des enfants).
21Ce ne sont pas les pédopsychiatres qui rencontrent en premier les enfants à risque autistique, mais bien plutôt les pédiatres et tous les personnels présents dans les différents lieux d’accueil et de soin des très jeunes enfants (crèches, haltes-garderies, centres de protection maternelle infantile, nourrices agréées, assistantes maternelles...). Toutes ces personnes (ainsi que les étudiants en médecine) doivent donc être progressivement informées et sensibilisées à cette question du dépistage précoce des troubles autistiques. L’objectif central, répétons-le, est un objectif de prévention ciblée, et non pas un objectif de prédiction dont les conséquences peuvent être fort néfastes.
22D’une manière générale, et nous n’y insisterons jamais assez, plus les possibilités de dépistage précoce s’accroissent, plus une formation particulière et spécifique doit être pensée quant à l’éthique du maniement des informations recueillies par les nouvelles techniques de dépistage.
23Enfin, il importe de rappeler que tous les signes de dépistage précoce ne servent de rien si les professionnels concernés n’admettent pas profondément qu’un bébé, même très jeune, peut être déjà très malade. Cette idée nous choque, bien évidemment, mais si nous ne parvenons pas à l’intégrer, alors nous ne pouvons qu’entrer en collusion avec le déni bien compréhensible des parents qui veulent, au moins dans un premier temps, éviter la souffrance de se confronter à la prise de conscience d’une situation dont ils pressentent souvent la gravité.
AUTISME DE KANNER OU AUTISME DE SCANNER... IRM ET AUTISME
À propos des recherches INSERM-CEA d’Orsay (par Bernard Golse)
24Le service de pédopsychiatrie que je dirige, à l’hôpital Necker-Enfants malades, fonctionne désormais comme l’une des cinq unités d’évaluation du Centre ressource autisme Île-de-France (CRAIF) nouvellement créé et, à ce titre, la consultation « Autisme » de mon service (coordonnée par le Dr L. Robel) et l’unité de jour d’évaluation et d’orientation thérapeutique travaillent donc en étroite collaboration avec le service de neuro-imagerie de ce site hospitalo-universitaire (Pr F. Brunelle). Certains des enfants évalués dans mon service font ainsi partie de la cohorte d’enfants étudiés en IRM par M. Zilbovicius et N. Boddaert, chercheurs avec lesquels je me trouve donc en étroite collaboration.
25Cela dit, n’étant pas moi-même neuro-imageur, je ne suis en rien leur porte-parole, mais je voudrais tenter de montrer dans quel raisonnement d’ensemble s’intègrent leurs résultats qui ont défrayé la chronique en 2004 et qui, sans conteste, ont été mal interprétés et exploités de manière excessivement simpliste par les médias et par certains parents d’enfants autistes. Ces résultats de neuro-imagerie fonctionnelle prennent en effet leur place dans une approche conjointe, neuro-biologique et psychopathologique, de la pathologie autistique, approche conjointe qui me semble très spécifique du site Necker-Enfants malades où émerge, à l’heure actuelle – ce dont je me réjouis – un véritable pôle transdisciplinaire autour des troubles du développement neurologique et psychique. Ce pôle regroupe notamment les services de neuropédiatrie (Pr O. Dulac), de génétique humaine (Pr A. Munnich), de pédiatrie métabolique (Dr P. de Lonlay), de neuro-imagerie (Pr F. Brunelle) et le service de pédopsychiatrie enfin que j’ai le plaisir d’animer depuis 2002, après avoir longtemps travaillé à Saint-Vincent-de-Paul.
26Ce que je voudrais faire sentir ici, c’est donc la manière dont ces résultats dans le domaine de la neuro-imagerie peuvent s’intégrer dans notre réflexion sur la psychodynamique des états autistiques, c’est-à-dire faire sentir l’état de la réflexion qui existe actuellement dans notre groupe, quant à l’articulation entre neurosciences et psychanalyse en matière d’autisme infantile. Après avoir présenté les travaux d’IRM fonctionnelle de M. Zilbovicius, N. Boddaert et coll., je dirai donc un mot de notre conception du rôle de la comodalité perceptive du bébé dans le processus d’accès à l’intersubjectivité, avant de conclure, de manière résolument optimiste, sur les avancées formidables de la période actuelle. Je suis, par ailleurs, personnellement persuadé que le fait de ne pas faire une place authentique à la psychanalyse de l’enfant et de ne pas tenir compte des acquis des neurosciences est proprement suicidaire pour la psychanalyse en général, ce que j’essaye, dans la mesure de mes moyens, de faire entendre au sein de l’Association psychanalytique de France.
Deux études IRM 2004 ou l’autisme de scanner
— Rappels préliminaires sur l’IRM fonctionnelle
27Ce n’est pas le lieu de rentrer dans des détails techniques. Disons seulement qu’il s’agit d’une technique non invasive, dérivée de la tomodensitométrie (scanner) et fondée sur la technique de la résonance nucléaire magnétique. Cette technique permet, non seulement de donner une image anatomique de l’organe étudié (comme dans l’IRM dite anatomique), mais aussi de renseigner sur les modifications de volume liées à l’activité de l’organe étudié, modifications de volume essentiellement liées aux variations de débit sanguin qui sont dues à l’état d’activité ou de non-activité des zones impliquées. Au niveau cérébral, l’IRM fonctionnelle (IRMf) peut ainsi permettre d’approcher les modifications des zones motrices cérébrales en cas d’activité motrice, ou les modifications des différentes zones sensorielles cérébrales lors de la réception de tel ou tel flux sensoriel (auditif, visuel...). Il faut savoir cependant que dans l’état actuel des choses, l’IRM cérébrale fonctionnelle ne peut se faire en situation libre puisque la tête du sujet doit être placée dans l’appareil d’IRM, ce qui impose de nombreuses contraintes (être couché, relativement immobile et la tête incluse dans l’appareillage ce qui, bien évidemment, soulève encore de grandes difficultés avec les enfants autistes plus ou moins agités : nécessité de prémédication, voire parfois d’anesthésie générale).
— La reconnaissance de la voix humaine par les sujets autistes adultes [4]
28De récentes études d’IRMf ont montré que le Sillon temporal supérieur (STS) représente, chez les adultes normaux, la zone spécifique dévolue au traitement des signaux vocaux, et l’aire fusiforme (FFA) celle dévolue à la reconnaissance des visages, la reconnaissance de la voix humaine et la reconnaissance des visages constituant, on le sait, deux axes forts des interactions sociales. Le travail cité en référence concerne la comparaison de cinq adultes autistes de sexe masculin (25,8 ± 5,9 ans) avec huit adultes masculins témoins appariés pour l’âge (27,1 ± 2,9 ans) :
29• Le diagnostic d’autisme a été établi selon les critères de l’ADI et du DSM IV.
30• L’appareillage utilisé est un scanner de type 1,5 Tesla Magnetic Resonance.
31• Le protocole consiste en l’écoute passive de deux types d’échantillons sonores (séparés par des intervalles de silence de 10 secondes afin d’éviter tout artefact par contamination) :
32— 21 blocs de sons vocaux (33 % de sons vocaux langagiers, 67 % de sons vocaux non langagiers) ;
33— 21 blocs de sons non vocaux émanant de diverses sources environnementales.
34• Le retour au débit basal (volume de la zone STS) est attendu entre chaque stimulation sonore.
35Les auteurs notent chez les témoins une activation plus importante du STS par les sons vocaux que par les sons non vocaux (P < 0,001), tandis que les sons non vocaux n’activent aucune autre région de manière spécifique par rapport aux sons vocaux.
36Chez les sujets autistes, en revanche :
37— aucune activation du STS chez 4 sujets sur 5 par les sons vocaux, et une activation unilatérale du STS chez 1 sujet ;
38— une activation corticale identique pour les signaux vocaux et non vocaux par rapport au niveau de base (silence) ;
39— un traitement cortical normal des sons non vocaux.
40Les auteurs précisent alors : « D’autres études sont désormais nécessaires pour savoir si ce manque de sensibilité aux sons vocaux est la cause ou la conséquence de l’activation anormale du cortex temporal » (notre traduction).
— Les anomalies du sillon temporal supérieur chez les enfants autistes [5]
41• Les termes de « Voxel-Based Morphometry (VBM) » ou « Whole-brain Voxel-based Morphometry » désigne une analyse mathématique voxel par voxel, avec cumul possible des différentes IRM recueillies dans l’échantillon.
42• Il s’agit d’une étude en IRM statique et non pas fonctionnelle.
43• La technique utilisée est une technique en 3D à haute résolution.
44• Le travail cité en référence consiste en une comparaison de 21 enfants autistes primaires (9,3 ± 2,2 ans) avec 12 enfants témoins (10,8 ± 2,7 ans).
45• Les auteurs notent une diminution significative, chez les enfants autistes, de la concentration de substance grise au niveau du STS (P < 0,05).
46• Ils observent également une diminution significative, chez les enfants autistes, de la substance blanche au niveau du pôle temporal droit et du cervelet (P < 0,05).
47• Ces résultats semblent compatibles avec l’hypothèse d’une hypoperfusion de ces différentes zones chez les enfants autistes.
48D’où deux questions encore irrésolues :
49• Peut-on être autiste sans présenter ces anomalies du STS à l’IRM ?
50• La sortie de l’autisme s’accompagne-t-elle d’une normalisation progressive de la VBM, ou passe-t-elle par des processus de compensation liés à la question de la plasticité cérébrale ?
51Et les auteurs de conclure : « Les aires multimodales du sillon temporal supérieur se trouvent impliquées au plus haut niveau de l’intégration corticale de l’information sensorielle et limbique » (notre traduction).
Intersubjectivité, démantèlement (intersensoriel) et segmentation (intrasensorielle)
52L’idée est alors de montrer que ces résultats de neuro-imagerie ne nous gênent en rien, en tant que pédopsychiatres et psychanalystes d’enfants.
— Notre point de départ : l’autisme comme échec de l’accès à l’intersubjectivité
53Que l’on se réfère à une intersubjectivité primaire donnée d’emblée (C. Trevarthen, 2003) ou à une intersubjectivité seulement secondairement acquise à partir d’une indifférenciation initiale postulée par la plupart des modèles psychanalytiques classiques, ou qu’on se réfère encore à une dynamique progressive permettant à l’intersubjectivité de se stabiliser progressivement à partir de noyaux d’intersubjectivité primaire, dans tous les cas le processus d’accès à l’intersubjectivité peut être compris comme le mouvement de différenciation qui va permettre à l’enfant, un jour, d’éprouver, de ressentir et d’intégrer profondément que soi et l’autre, cela fait deux. Dans cette perspective, l’autisme infantile apparaît toujours comme un échec massif de ce processus d’accès à l’intersubjectivité.
— Le Programme International pour le Langage de l’Enfant (Projet PILE)
54Lors du transfert de notre équipe de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à l’hôpital Necker-Enfants malades, et de la restructuration du service de pédopsychiatrie au sein de ce dernier établissement, un programme de recherche a, en effet, été mis en place sur les précurseurs corporels et comportementaux de l’accès de l’enfant au langage verbal. Ce programme de recherche collaboratif, impliquant notamment des psychanalystes et des mathématiciens, est intitulé PILE (Programme international de recherche sur le langage de l’enfant) et il n’aurait pas pu être pensé, lancé et organisé sans le concours de Valérie Desjardins, psychologue et psychothérapeute, qui en représente la véritable cheville ouvrière [6].
55Il s’agit d’une recherche multiaxiale qui vise notamment à analyser les productions vocales, le regard et les mouvements du bébé quand il se trouve confronté à la parole de l’adulte, en situation dyadique ou triadique [7]. Parmi les différentes hypothèses qui sous-tendent notre recherche et qui donnent lieu à la collecte de résultats préliminaires très stimulants, je voudrais, ici, faire un certain nombre de remarques sur les processus d’attention, de mantèlement/démantèlement, et de segmentation. Les lignes qui suivent renvoient fondamentalement au fait qu’il ne peut pas y avoir de perception statique, ce que les neurophysiologistes nous ont appris depuis longtemps en insistant sur les processus d’habituation propres aux différents récepteurs de la sensorialité : il faut que l’objet à percevoir soit en mouvement pour être perçu, que le mouvement en question soit le fait de l’objet lui-même, ou que ce soit le processus de perception qui donne du mouvement à un objet statique.
56Le concept d’attention. Très en vogue à l’heure actuelle au travers du concept de troubles des processus d’attention dans le cadre de l’hyperactivité (Attention Deficit and Hyperactivity Disorders), ce terme est probablement devenu fort polysémique en fonction des cliniciens ou des chercheurs qui y recourent, parmi lesquels, bien entendu, les cognitivistes et les psychanalystes (depuis S. Freud jusqu’à W. R. Bion). S. Freud, dès 1911, insistait sur le caractère actif de la fonction perceptive, les organes des sens ne recevant pas passivement les informations de l’extérieur, mais allant au contraire au devant d’eux, à l’extrémité des « organes des sens ». Dans ce travail tout à fait pionnier et précurseur, S. Freud soulignait que l’appareil psychique ne peut travailler que sur de petites quantités d’énergie et que, pour ce faire, il a besoin d’aller prélever, de manière cyclique, dans l’environnement de petites quantités d’information (nous dirions aujourd’hui, à la manière du radar, ce qui souligne nettement l’aspect rythmique des processus en jeu). À la lumière des connaissances actuelles, il est tout à fait pensable que la substance réticulée du tronc cérébral puisse participer à ce filtrage périodique des perceptions. En tout cas, toutes les données neurophysiologiques modernes vont, aujourd’hui, dans le sens de cette intuition freudienne d’une dimension fondamentalement active des perceptions, comme en témoigne, par exemple, les travaux sur les oto-émissions provoquées qui montrent bien que le stimulus auditif traité par le cerveau n’est en rien le son externe directement, mais bien le signal sonore homothétique au signal sonore externe et reconstruit, comme en miniature, par la cochlée. Quoi qu’il en soit, sur le fond de ces processus d’attention, c’est l’équilibre entre le couple mantèlement/ démantèlement et les processus de segmentation qui va permettre l’instauration de la comodalité perceptive propre au bébé et, partant, qui vont lui ouvrir la voie de l’intersubjectivité.
57Le concept de démantèlement, décrit par D. Meltzer (1980) à partir de son activité de thérapeute auprès d’enfants autistes et de la reconstruction de leur monde initial qu’il a pu en déduire, désigne un mécanisme qui permet, en effet, à l’enfant de cliver le mode de ses sensations selon l’axe des différentes sensorialités, afin d’échapper au vécu submergeant d’un stimulus sollicitant sinon, d’emblée et de manière permanente, ses cinq sens simultanément (cela étant vraisemblable pour les enfants autistes, mais plausible également pour les bébés normaux dont le fonctionnement passe, on le sait maintenant, par un certain nombre de mécanismes autistiques transitoires). Il s’agit donc d’un processus de type intersensoriel dont l’inverse, le mantèlement, permet, au contraire, à l’enfant de commencer à percevoir qu’il existe une source commune de ses différentes sensations qui lui est extérieure (on pense ici à la tétée comme « situation d’attraction consensuelle maximum » selon D. Meltzer, et comme accès à une perception unidimensionnelle de l’environnement). Mais c’est, bien évidemment, la mise en jeu du couple mantèlement/démantèlement qui s’avère ici essentielle.
58La segmentation permet de ressentir chaque stimulus sensoriel comme un phénomène dynamique et non pas statique, seul ce qui est en mouvement, je viens de le rappeler, pouvant être perçu. Il s’agit donc d’un phénomène intrasensoriel, et non pas intersensoriel comme l’est le couple mantèlement/démantèlement. Mais, nous pouvons supposer ici deux types de segmentation : une segmentation centrale et une segmentation périphérique.
59La segmentation centrale serait celle décrite par S. Freud, et qui a été évoquée ci-dessus à propos de l’attention, en prenant l’image du radar.
60La segmentation périphérique serait pour une part une compétence propre au bébé par le biais de ses différents « sphincters » sensoriels, et pour une part le fruit d’une coconstruction interactive entre l’adulte et le bébé. Le bébé est, en effet, capable de segmenter lui-même ses différents flux sensoriels au niveau de la périphérie de son corps. L’exemple le plus clair est, sans doute, celui du clignement palpébral qui permet une segmentation, aussi rapide soit-elle, de son flux visuel, et l’on sait que certains témoignages d’adultes anciens autistes ont insisté sur la difficulté qui leur était apparue, au moment de l’émergence de leur coquille autistique, pour, en quelque sorte, apprendre à cligner des yeux, chose si naturelle pour les individus sains mais si peu naturelle pour eux. On peut utilement se demander si le cognement des yeux ou le bouchage des oreilles chez certains enfants autistes ou chez certains enfants gravement carencés (dépression anaclitique et hospitalisme de R. Spitz) ne revêtent pas également cette fonction de segmentation périphérique quant à la vision et à l’ouïe. En ce qui concerne les autres modalités sensorielles dépourvues de « sphincter » sensoriel, à savoir le goût, l’odorat et le tact, les choses demeurent plus délicates à conceptualiser, mais les stéréotypies de tapotage, de léchage ou de flairage, rangées par D. Meltzer dans le cadre des processus de démantèlement, peuvent peut-être être conceptualisées dans cette perspective.
61Mais par ailleurs, la segmentation périphérique des différents flux sensoriels peut aussi être le fait de la dynamique des interactions précoces. Nous ne citerons ici que le très intéressant et récent travail de E. Friemel et T. H. Nguyen (2004) qui montre bien l’impact de la qualité des interactions précoces sur les modalités de l’exploration par le bébé de son monde environnant. Quand les interactions sont harmonieuses, il existe une sorte de maturation repérable de ces modalités d’exploration : le premier mois de la vie serait consacré à la fixation du regard du bébé sur des cibles dites, par ces auteurs, « indéterminées » mais qu’on pourrait en fait définir comme rapidement changeantes (soit que le bébé ne fixe pas son regard, soit que le portage de la mère l’incite à changer sans cesse de lieu de focalisation visuelle) ; le deuxième mois de la vie permettrait la fixation visuelle du bébé sur le visage de la mère ; le troisième mois de la vie serait dévolu à la découverte attentive des différents objets extérieurs grâce à une dynamique conjointe des regards du bébé et de la mère, et en appui sur le repérage précédent du visage maternel. Si les interactions sont inadéquates, ou même simplement neutres, cette maturation ne s’observe pas et, dans l’optique de ce travail, on peut sans doute dire que la segmentation visuelle demeure alors chaotique ou anarchique. En ajoutant, bien entendu, que ce qui vaut pour le flux visuel vaut aussi, probablement, pour les autres flux sensoriels.
62Finalement, et c’est là que je voulais en venir, l’équilibre dynamique entre mantèlement/démantèlement et segmentation, qui se joue sur le fond des processus d’attention, paraît donc devoir être considéré comme se situant au cœur même des processus perceptifs, puisque seule une segmentation des différents flux sensoriels selon des rythmes compatibles permet le mantèlement des sensations, et donc l’accès à l’intersubjectivité, et la manière dont le bébé reconnaît la voix et le visage maternels est, ici, probablement centrale et absolument essentielle.
63Inversement, la manière dont la mère parle à son enfant, ou la manière dont elle présente son visage au bébé ferait d’elle comme un « chef d’orchestre » des différentes segmentations sensorielles de son bébé, comme un chef d’orchestre l’aidant à segmenter ses différents flux sensoriels selon des rythmes compatibles et, ce faisant, comme un chef d’orchestre l’aidant au mantèlement (à la comodalisation) de ses sensations, et donc à une avancée progressive vers une intersubjectivité stabilisée. À défaut d’une telle fonction maternelle suffisamment efficace, le bébé ne pourrait alors que se raccrocher à un objet (interne ou externe ?) figé (éventuellement de type autistique ?), soit à un objet entravant simultanément ses processus d’attention, de mantèlement et de segmentation rythmée et, par là, son accès à une comodalité effective.
64Mais le bébé est aussi un merveilleux chef d’orchestre capable de rendre sa mère chef d’orchestre de sa comodalité perceptive, et il y a donc tout à fait place ici pour le concept de « processus autistisant » si bien décrit par J. Hochmann.
65Or, la zone temporale décrite comme anormale au cours des états autistiques (soit le sillon temporal supérieur) par les études en neuro-imagerie dont nous venons de parler serait une zone précisément consacrée à l’organisation comodale des perceptions, ce qui va bien dans le sens de la conception de la pathologie autistique comme entrave à l’accès à l’intersubjectivité, étant entendu que les anomalies retrouvées à l’IRMf peuvent sans doute être tout aussi bien la conséquence d’un fonctionnement hors comodalité perceptive que la cause de celui-ci. Ce à quoi il faut ajouter que les zones cérébrales dévolues à la reconnaissance de la voix et des visages étant proches de sillon temporal supérieur, et en interaction probablement étroite avec celui-ci, on peut imaginer des dysfonctionnements dialectiques entre ces différentes régions pouvant peut-être, selon les cas, se trouver à l’origine de la pathologie autistique ou n’en constituer qu’un maillon intermédiaire de l’extériorisation.
Quelques convergences neuropsychanalytiques semblent ainsi pouvoir être soulignées en guise de conclusion
66• Il n’y a pas d’accès possible à l’intersubjectivité sans comodalité perceptive.
67• Il n’y a pas de comodalité perceptive possible sans la voix de la mère et le visage de la mère comme organisateurs de cette comodalité perceptive (d’où l’impact des dépressions maternelles et de l’expérience du still-face).
68• Le STS semble le lieu d’agencement cérébral de la comodalité perceptive, d’où son importance centrale soit comme lieu de dysfonctionnement primaire, soit comme maillon intermédiaire du fonctionnement autistique.
69• Cette vision des choses offre une sorte de validation expérimentale du « processus autistisant » conceptualisé par J. Hochmann.
70• On sait l’efficacité des antidépresseurs même en cas de dépression exogène réactionnelle, car à fonctionner trop longtemps en régime de deuil, se créent les conditions biochimiques de la dépression. De la même manière, à fonctionner trop longtemps hors comodalité perceptive, peuvent peut-être se créer les conditions cérébrales de l’organisation autistique et, peut-être, les modifications que nous avons vues du STS en IRMf.
COMMENTAIRES, REPRISE ET DéVELOPPEMENTS (par Stephan Eliez)
Remarques générales
71Je retiens des propos de Bernard Golse que c’est la capacité du bébé à extraire les structures en mouvement, les structures rythmiques, les structures temporelles qui l’emporte sur la capacité à repérer les structures fixes. Cela se traduit par l’observation que la captation de l’attention du bébé se fait par le mouvement, le changement de prosodie de la voix, ou encore le rythme de la caresse de la mère.
72Un certain nombre de travaux montrent que le cervelet est altéré très précocement chez le sujet autiste. Or, Richard Ivry (2002) nous montre que le cervelet agit comme un véritable métronome, un synchronisateur de nos fonctions psychiques. Dans ses travaux sur la psychose chez l’adulte, Nancy Andreasen (1998) a vu dans l’altération du cervelet, qui survient beaucoup plus tardivement chez les schizophrènes, une des causes fondamentales du trouble du cours de la pensée. Pour qualifier ce qui serait un déficit de synchronisation psychique, elle a choisi le terme de « dysmétrie cognitive ». Nous reviendrons plus loin sur les autres conséquences possibles d’une perte de la synchronisation perceptive.
73Je suis convaincu que ce sont aujourd’hui les travaux qui explorent avec de nouveaux outils la perception temporelle chez le sujet autiste – tels ceux évoqués par Bernard Golse ou encore ceux entrepris à Genève en collaboration avec le Service médico-pédagogique et le Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent – qui pourront nous instruire et nous permettre de développer notre vision. Nous ne pouvons que prendre acte et remercier Bernard Golse de son effort pour tisser un lien entre psychanalyse et neurosciences.
Recherches récentes
74Dans ce qui semblait un amas confus de données que les recherches en neurosciences sur l’autisme nous ont fournies, quelques notions cruciales pour le clinicien semblent désormais se dégager et, finalement, les observations issues de l’utilisation de nouveaux outils des neurosciences nous permettent d’intégrer de nouvelles connaissances par un mouvement de va-et-vient entre l’expérience de la situation clinique et la compréhension des substrats biologiques, qui nous permettront dans l’avenir de détecter et de traiter plus précocement – j’ai envie d’ajouter plus efficacement – l’autisme et les troubles envahissants du développement. Je voudrais maintenant détailler quelques-unes de ces différentes données.
75L’intérêt porté au cours des dernières années sur les phases précoces du développement clinique pouvant aboutir à un autisme nous a montré que des signes moteurs subtils, des modifications sensorielles, des variations des processus intentionnels, des anomalies du comportement social pouvaient être détectés dès les premiers mois de vie. Ces observations ont conduit les chercheurs en neurosciences et en neuro-imagerie à se pencher sur le développement cérébral précoce, à mettre en lien les connaissances déjà acquises sur les enfants, adolescents et adultes autistes, afin d’esquisser une trajectoire développementale du cerveau de l’enfant autiste, de la naissance à l’âge adulte.
76Les études des neurosciences à partir de l’âge de 2 ans ont fait l’objet de publications. Mais, comme l’autisme n’est pas régulièrement reconnu cliniquement avant l’âge de 2 à 4 ans, il n’existe à ce jour aucune étude en neuro-imagerie entre le moment de la naissance et l’âge de 2 ans. Cependant, nous disposons d’ores et déjà de deux recherches qui suggèrent qu’un processus de modification cérébrale est d’emblée en cours dès les premiers jours de vie. Ces travaux se fondent évidemment sur des données rétrospectives, collectées auprès de bébés qui, pour certains, ont développé un autisme par la suite.
— Recherches sur les neuropeptides cérébraux
77Il faut évoquer ici le travail de Karin Nelson (2001) qui compare le dosage de neuropeptides sur le prélèvement de sang du test de Guthrie effectué dans les premiers jours de vie et archivé pendant une dizaine d’années. Quatre groupes sont employés pour les comparaisons : un groupe d’enfants autistes, un groupe avec retard mental simple, un groupe d’enfants infirmes moteurs cérébraux (IMC) et un groupe contrôle.
78Le choix des neuropeptides mesurés a été déterminé par les caractéristiques neuropathologiques de personnes autistes, parmi lesquelles on relève la diminution du nombre des cellules de Purkinje dans le cervelet, des anomalies de maturation dendritiques et cellulaires dans le tronc cérébral, les olives inférieures, l’hippocampe et l’amygdale.
79Les propeptides que l’on retrouve augmentés à la naissance chez les sujets qui recevront un diagnostic d’autisme quelques années plus tard sont le vasoactive intestinal peptide (VIP), le NT 4/5, le calcitonine gene related peptide (CGRP) et le brain derived neurotrofic factor (BDNF). Ce dernier est un facteur de croissance et de survie des neurones, y compris des cellules de Purkinje. Le VIP est un facteur de régulation du développement cérébral, qui est exprimé dans toutes les couches de la matière grise corticale, ainsi que dans la matière blanche, impliquée dans la neurogenèse et l’astrogenèse.
80Il importe de noter que l’augmentation de ces neuropeptides se retrouve aussi chez les enfants avec retard mental simple, mais pas chez les enfants IMC. Ainsi, si ces anomalies quantitatives des neuropeptides soulignent une altération précoce des processus du développement cérébral, elles ne sont pas spécifiques de la pathologie autistique, et n’ont pas pu être associées à la sévérité des symptômes.
— Données concernant le développement cérébral
81Un travail important documentant des changements précoces du développement cérébral dans les premières années de la vie, est celui d’Éric Courchesne (2003). Pour effectuer ce travail, des mesures longitudinales de l’évolution du périmètre crânien ont été analysées auprès d’enfants avec une pathologie autistique sévère, ainsi que d’enfants avec troubles envahissants du développement. Comparés aux normes pour la population générale, les enfants autistes présentent un périmètre crânien (PC) au 25e percentile à la naissance (donc inférieur à la moyenne) et montrent ensuite une rapide augmentation pour atteindre le 84e percentile entre 6 et 14 mois. Cette même étude suggère également que les enfants qui présentent les caractéristiques autistiques les plus sévères sont également ceux qui ont une augmentation du PC plus importante, ce qui conduit les auteurs à penser que chez les autistes de type sévère « l’hypercroissance » cérébrale pourrait être plus précoce et plus rapide. De plus, le PC à la fin de la première année est étroitement corrélé aux anomalies cérébrales et cérébelleuses volumétriques à 5 ans. L’accélération de la croissance du PC résulte en un PC supérieur à la moyenne, constituant ainsi une manifestation clinique précédant l’apparition de la symptomatologie autistique « classique ».
82À l’âge de 3 ans, 9 enfants autistes sur 10 présenteront une augmentation des régions fronto-temporales en ce qui concerne la matière grise, et fronto-pariétales en ce qui concerne la matière blanche.
83Le cervelet semble suivre un développement différent dans le temps. La matière grise cérébelleuse ne subit pas d’augmentation et le vermis VI-VII est déjà réduit à l’âge de 4 ans (Courchesne, 2001). La matière blanche cérébelleuse est quant à elle excessive, conduisant à l’hypothèse de possibles projections axonales aberrantes dans le cervelet, peut-être dues à la disparition des cellules de Purkinje, qui résulteraient en une réduction persistante du vermis et du cervelet jusqu’à l’âge adulte. Il a également été proposé (Carper, 2000) que l’hypertrophie blanche du cervelet pourrait donner lieu, en conjonction avec la diminution de l’effet inhibiteur des cellules de Purkinje sur les noyaux de la base, à une hypertrophie et à une « hypercroissance » secondaire du lobe frontal.
84Après cette phase d’hypertrophie cérébrale précoce chez l’enfant d’âge scolaire et l’adolescent autistes, on assiste à une stagnation du développement cérébral de matière grise et blanche qui aboutit finalement à l’adolescence et chez l’adulte autiste à une hypotrophie cérébrale, probablement due à des connections axonales réduites, affectant les volumes de matière grise fronto-temporaux (Courchesne, 2001), mais également la structure et l’organisation de la matière blanche en fronto-pariétal (Barnea-Goraly, 2004), d’où une altération possiblement sélective des voies longues interhémisphériques et interlobaires, alors que les connections interlobaires locales seraient, peut-être de façon compensatoire, surrecrutées, aboutissant à une activation anormalement intense et excessivement localisée dans certaines tâches d’attention visuelle (Belmonte, 2004).
85Le processus de croissance excessive, suivi d’atrophie accélérée, semble également s’appliquer à l’amygdale (Schumann, 2004), alors que l’hippocampe est préservé. Cette observation est compatible avec les descriptions de L. Kanner qui notait la capacité des autistes à apprendre la géographie ou à réciter des listes de faits soulignant, dès les premières descriptions cliniques, l’intégrité, voire un potentiel supérieur aux adultes tout venant, de la capacité de mémoire explicite hippocampique dépendante (Caron, 2004).
86Les causes étiopathogéniques de cette trajectoire développementale sont à ce jour encore largement spéculatives. Il n’en reste pas moins que les gènes impliqués dans la régulation de la croissance neuronale (BDVF et VIP par exemple) ou le développement cérébelleux sont des candidats qui méritent d’être soigneusement investigués à l’aide de modèles animaux.
87Les conséquences fonctionnelles possibles liées aux altérations structurelles n’ont été que très partiellement explorées, principalement en raison des contraintes techniques et expérimentales encore imposées aujourd’hui par l’imagerie fonctionnelle de résonance magnétique nucléaire. Nous tenterons ici d’articuler nos réflexions en tenant compte des résultats d’imagerie structurelle, fonctionnelle, des neurosciences cognitives, ainsi que de l’observation clinique.
88L’observation clinique nous montre que c’est la capacité du bébé à extraire les structures en mouvement, les structures rythmiques, les structures temporelles qui l’emporte sur la capacité à repérer les structures fixes. La captation de l’attention du bébé se fait par le mouvement, le changement de prosodie de la voix ou encore le rythme de la caresse de la mère.
— Données concernant le cervelet
89Le cervelet semble altéré très précocement chez le sujet autiste. Un nombre croissant de recherches nous montrent que le cervelet, en plus des fonctions motrices pour lesquelles il est crucial, joue un rôle clé comme coordinateur des différentes fonctions cognitives. Ainsi, de l’intégrité du cervelet dépendraient les mécanismes complexes de la perception du temps sous-jacent, la production de mouvements coordonnés et l’acuité de la perception de durée. C’est en cela que le cervelet agirait comme un véritable métronome, un synchronisateur de nos fonctions psychiques.
90L’altération des mécanismes de perception temporelle des autistes est susceptible d’avoir des conséquences d’envergure sur les apprentissages sensori-moteurs. Les apprentissages conditionnés nécessitent une représentation explicite de la relation temporelle entre les stimuli « conditionnés » et les stimuli « à conditionner » (ou « non conditionnés »), et cela particulièrement pour les stimuli de type aversif (Logue, 1991). Nicholson (2003) propose que le cervelet soit de fait central dans l’automatisation des apprentissages et les apprentissages implicites cruciaux pour la consolidation des aptitudes et des savoirs.
91Dans ses travaux sur la psychose chez l’adulte, Nancy Andreasen a vu dans l’altération du cervelet, qui survient beaucoup plus tardivement chez les schizophrènes, une des causes fondamentales du trouble du cours de la pensée. Pour qualifier ce qui serait un déficit de synchronisation psychique, elle a choisi le terme de « dysmétrie cognitive ». La synchronie ou la fluidité dans la coordination de séquences d’activités motrices ou de pensée est la conséquence de feed-back très rapides entre le cortex cérébral et le cervelet, passant (médiés) par le thalamus. Le substrat anatomique de cette boucle est le circuit cortico-cérébello-thalamico-cortical (CCTC). L’importance pour les fonctions motrices et somato-sensorielles de cette boucle est connue depuis de nombreuses années. Ce n’est cependant que récemment que l’importance de ce circuit a été reconnu pour les fonctions cognitives. Ainsi, la dysmétrie cognitive, perçue par Nancy Andreasen comme le déficit fondamental de la schizophrénie, s’exprimerait dans la discontinuité de la séquence fluide et coordonnée des pensées et des actions. L’altération de la coordination résulterait d’un déficit d’accordage ou de séquençage des composants de l’activité mentale. Ce déficit aurait des conséquences dans les processus cognitifs de pensée (par exemple attention ou mémoire) et peut, d’une certaine façon, être considéré comme un déficit de la fonction de « métasynthèse » ou « métaprocessus ». Le concept de dysmétrie cognitive suggère que les patients qui souffrent de schizophrénie présentent par discoordination psychique des associations aberrantes entre des représentations mentales, une incapacité à distinguer le Soi du non-Soi, ou l’essentiel de l’accessoire. D’autres symptômes psychotiques comme le sentiment de « déjà vu », ou encore le sentiment d’entendre ses pensées à haute voix, résulterait d’un décalage entre percept et cognition, d’une diachronie, d’une perte de synchronie entre le sentir et le penser.
92Chez la personne autiste, ne pourrait-on pas considérer comme une expression plus précoce du déficit du rôle de métronome, de synchronisateur cérébelleux, l’idée de « dysmétrie perceptive » ? La résultante en serait un déficit de synchronie perceptive qui déphaserait le voir, le toucher et l’entendre dans les relations les plus précoces à la mère. La relation ne pourrait alors qu’être vécue sur un mode aléatoire, aberrant et qui finirait par rendre insupportable la simple exposition aux soins ou à la présence de la mère. L’altération de la synchronisation perceptive deviendrait une entrave majeure à l’intersubjectivité, ce qui me semble rejoindre les propositions du programme « PILE » quant aux perturbations de la comodalisation des différents flux sensoriels perceptifs.
93Quelles pourraient être, alors, les autres conséquences évidentes d’une perte de la synchronisation perceptive ? La nouvelle idée de « dysmétrie perceptive » en appelle une autre évoquée plus haut, celle de démantèlement. En effet, le démantèlement permet au bébé présentant une altération cérébelleuse de se protéger du vécu stochastique des cinq modalités sensorielles simultanément.
94Toujours dans la perspective d’une restriction sensorielle, ne peut-on pas considérer la stéréotypie comme une tentative de réintégrer de façon contrôlée, limitée, des modalités perspectives distinctes par une forme d’exercice rythmique ? Ou encore, l’autiste ne s’expose-t-il pas, souvent des heures durant, à la rythmicité d’un objet, roue ou toupie, qui effectue le cycle de girations ou balancements prévisibles ?
95On voit bien le rôle facilitateur que peut jouer la mère attentive et compétente dans l’acquisition de la rythmicité perceptive multimodale. On se retrouve soudain très proche des descriptions de D. W. Winnicott qui voyait dans la dynamique de présence et d’absence de l’expérience intersubjective d’accordage dyadique, la clé de l’ouverture au monde et à l’expérience culturelle.
96K. Pierce (2001) montre que les enfants autistes passent moins de temps dans des activités exploratoires et présentent une augmentation des mouvements stéréotypés qui sont négativement corrélés avec les mesures des lobules VI-VII du vermis cérébelleux.
— Données concernant les processus perceptuels
97S’il est probable que l’atteinte cérébelleuse puisse avoir un rôle central dans l’expression de l’endophénotype et de la clinique autistique, il a aussi été proposé que la croissance corticale excessive, dès les premiers mois de vie, puisse conduire à une maturation corticale aberrante. Cette dysmaturité serait à son tour responsable d’une relocalisation fonctionnelle différente, aberrante.
98Dans cette perspective, une étude d’imagerie fonctionnelle (Schulz, 2000), lors d’une expérience d’identification d’objets et de visages, montre que la région normalement active lors de l’identification de visages, le gyrus fusiforme, est actif pendant la reconnaissance d’objets et que, réciproquement, le gyrus temporal inférieur, actif chez les contrôles lors de la reconnaissance d’objets, est activé par l’identification de visages chez l’autiste. L’individu normal perçoit donc un visage en utilisant des systèmes neurologiques centraux puisque le visage est l’organisateur du sens au début de la vie et qu’il doit sûrement conserver ce rôle toute la vie.
99Pour l’individu normal, la perception d’un objet est une perception neurologique de type périphérique. Cela suggère que les processus perceptifs de visages chez les autistes ressemblent plus à un processus perceptif d’objets chez les contrôles. À ce stade, il est cependant encore trop tôt pour savoir si ces différences correspondent à des « stratégies » perceptives déficitaires chez les sujets autistes, fondées sur des systèmes perceptifs intacts, ou si ces différences reposent sur une altération du gyrus fusiforme et des réseaux neuronaux associés, nécessitant alors une compensation de régions corticales voisines (gyrus temporal inférieur). Cette question reflète la confrontation de deux hypothèses dans la littérature.
100Le premier modèle, appelé celui de l’ « expertise perceptuelle », suggère que les autistes prêteraient moins d’attention aux visages (Klin, 2002) et ne développeraient par conséquent pas les compétences perceptives normales dans ce domaine. Ainsi, la région incriminée, le gyrus fusiforme, développerait une réponse préférentielle aux objets pour lesquels les autistes sont des « experts ». De même, il a été démontré que les ornithologues présentent une hyperactivité du gyrus fusiforme lorsqu’ils regardent des images d’oiseaux. Un expert fonctionne comme un système expert en informatique, ce qui signifie qu’il n’utilise pas une connaissance fondée sur des processus qui s’instaurent dès le début de la vie, mais qu’il utilise au contraire une intelligence renvoyant à un développement de liens très sophistiqués entre des objets. Il est donc, effectivement, facile d’associer le fonctionnement de l’autiste à ce fonctionnement d’expert. Dans ce modèle d’interprétation, l’hyperactivité du gyrus fusiforme chez les autistes serait non pas la cause, mais la conséquence ou le reflet d’une incompétence sociale, résultant à son tour, au long des années, d’une hypostimulation sociale et d’un manque d’attention aux visages.
101Le second modèle propose que le gyrus fusiforme soit un élément constitutif central de ce que l’on pourrait appeler « le cerveau social » ou le « réseau cérébral social ». Les récentes études en imagerie cérébrale ont tenté de définir les composants de ce cerveau social. Parmi ceux-ci, on compte : le cortex orbital et médial préfrontal, l’amygdale et les régions latérales du cortex temporal, et notamment du fameux sillon temporal supérieur (STS).
102Dans une expérience d’une grande élégance, employant des formes géométriques (rond, carré, triangle) en mouvement ayant entre elles, dans un dessin animé, des interactions de type social, R. Schulz (2003) a démontré l’implication centrale d’une partie du gyrus fusiforme recouvrant la région active lors du traitement des visages. Ce réseau cérébral social est distribué, plutôt que modulaire, ce qui explique qu’une lésion à l’une ou l’autre de ces structures ne se traduit pas en autisme. Il a cependant été proposé que, dans ce réseau, le cortex préfrontal, lors d’une tâche d’attribution sociale, soit activé par la théorisation à propos de l’esprit des autres, en référence à son propre vécu dans une situation comparable. L’amygdale a un rôle dans l’émergence de l’affect, attribuant un sens à l’environnement et intervenant dans la création d’associations visuelles avec une récompense qui participerait à l’apprentissage émotionnel. Schulz propose que l’amygdale induise notre intuition sociale, en guidant les interactions sociales non verbales rapides sur la base des expressions faciales et de la gestuelle. Ainsi, la forte coactivation cérébrale observée entre l’amygdale et le gyrus fusiforme pourrait être comprise comme l’amygdale informant le gyrus fusiforme de l’importance de l’événement, la situation sociale, et d’une première analyse perceptive grossière aidant le gyrus fusiforme (et d’autres acteurs du réseau social distribué) à entreprendre une analyse plus détaillée. Dans cette association, le STS-STG est critique pour décoder les présentations visuelles d’actions ou d’interactions sociales (direction des regards, expression gestuelle ou visage traversant des émotions). Schulz observe une association entre le degré d’activation du gyrus fusiforme et la qualité du jugement sur la tâche d’attribution sociale qu’il a créée. Il propose que le gyrus fusiforme participe à l’attribution sémantique des « qualités » sociales (agressif versus amical) du fait que les expériences perceptives avec les visages surviennent durant les situations sociales et que ce sont ces situations sociales qui impliquent un jugement, une attribution de valeur. De ce fait, l’information sur la nature sociale des individus pourrait être archivée, du moins en partie, dans le gyrus fusiforme. Le gyrus fusiforme pourrait également être le lieu d’archivage d’informations générales sur les individus, des métareprésentations sur l’individualité.
103Chez les individus autistes, c’est l’ensemble de ce réseau social, impliquant la perception et la cognition sociales, qui est hypoactif. C’est donc une altération collective d’un réseau distribué qui semble sous-jacent à l’expression de la pathologie autistique. La participation des facteurs génétiques, biologiques et environnementaux qui conduisent au développement d’un réseau cérébral social hypoactif reste encore bien sûr à déterminer.
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Mots-clés éditeurs : Autisme infantile, Processus autistisant, Lobe temporal supérieur, Comodalisation sensorielle, Intersubjectivité, Plasticité
Date de mise en ligne : 06/02/2008
https://doi.org/10.3917/psye.501.0029Notes
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[1]
Cet article a été rédigé à partir d’une communication faite par B. Golse et discutée par S. Eliez dans le cadre du VIIIe Symposium Vaud-Genève de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent organisé par le Service médico-pédagogique (Pr J. Manzano) et le Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des hôpitaux universitaires de Genève (Pr F. Palacio-Espasa) sur le thème : « Psychoses infantiles et troubles envahissants du développement (TEd). Un regard actuel » (Genève, 27 novembre 2004).
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[2]
Pédopsychiatre-psychanalyste. Chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris). Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université René-Descartes (Paris V). Codirecteur du programme de recherche « PILE ».
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[3]
Pédopsychiatre. Chef du Service médico-psychologique de Genève. Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Genève (Suisse).
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[4]
H. Gervais, P. Belin, N. Boddaert, M. Leboyer, A. Coez, I. Sfaello, C. Barthelemy, Y. Samson, M. Zilbovicius (2004), Abnormal cortical voice processing in autism : A fMRI study, Nature Neuroscience, 2004, 7 (8), 801-802.
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[5]
N. Boddaert, N. Chabane, H. Gervais, C. Good, M. Bourgeois, M.-H. Plumet, J.-L. Adrien, J.-B. Poline, A. Cachia, C. Colineaux, C. Barthelemy, M.-C. Mouren-Simeoni, Y. Samson, F. Brunelle, R. Frakowiak, M. Zilbovicius (2004), Superior temporal sulcus abnormalities in childhood autism : A voxel based morphometry MRI study, Neuro-image, 23, 364-369.
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[6]
D’importants sponsoring nous ont été accordés, et nous voulons témoigner, ici, de la générosité particulière des différents partenaires suivants : la filiale française d’EADS (European Aeronautic Defence Space Company), la Société française du radiotéléphone (SFR) et la Fondation Bettencourt-Schueller enfin.
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[7]
Une cellule vidéo de haute technologie a aujourd’hui été installée à l’hôpital Necker-Enfants malades grâce à la collaboration d’Alain Casanova (avec lequel nous travaillons déjà depuis de nombreuses années au sein de la collection multimedia « À l’aube de la vie » dont nous avions été l’un des cofondateurs aux côtés de Serge Lebovici), et plusieurs équipes ont été mises en place dans la perspective de cette recherche : une équipe pour l’analyse des mouvements (tracking des mains et des yeux) sous la direction de M. Milgram dans le cadre du LISIF de Paris VII (Laboratoire d’instruments et systèmes d’Île-de-France), une équipe pour l’analyse des sons sous la direction de X. Rodet dans le cadre de l’IRCAM (Institut de recherche sur la communication et l’acoustique musicale), et une équipe enfin d’analyse statistique des résultats sous la direction de D. Chauveau du MAPMO de l’Université d’Orléans et de J.-C. Dumas du CERMICS de l’École des ponts et chaussées.