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Article de revue

Du désir à l'acte : les enfants de la procréation médicalement assistée (PMA)

Pages 573 à 599

Notes

  • [1]
    Pédopsychiatre, professeur associée de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Faculté de Médecine, Université d’Athènes.
  • [2]
    Pédopsychiatre-psychanalyste, chef du service de Pédopsychiatrie de l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris) et professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université René-Descartes (Paris-5).
  • [3]
    FIVET : Fécondation in vitro et transfert d’embryons.
  • [4]
    ICSI : Intra-Cytoplasmic Spermatozoid Injection.
  • [5]
    GIFT : Gametes Intra-Fallope Transfert.
  • [6]
    ZIFT : Zygote Intra-Fallope Transfert.

1Le développement des méthodes de la procréation médicalement assistée a donné naissance à des enfants physiquement sains. La question qui a été posée, et qui se pose encore actuellement, concerne la santé psychique de ces enfants, compte tenu des conditions particulières de leur conception et de leur naissance. Les conséquences psychologiques chez l’enfant sont inévitablement liées à l’élaboration du vécu traumatique de la stérilité et des actes médicaux dans le psychisme des parents. L’enfant conçu par procréation médicalement assistée est l’objet d’un grand désir et d’un surinvestissement de la part de ses parents, et il est par ailleurs confronté à la levée ou non du secret concernant les modalités de sa conception.

2Ce travail, qui se fonde sur les données de la littérature, examine le développement émotionnel et cognitif des enfants nés par différentes méthodes de procréation médicalement assistée et étudie la relation avec leurs parents. Certains problèmes psychologiques de ces enfants rencontrés dans la pratique clinique quotidienne sont ensuite mentionnés, et différentes explications étiopathogéniques sont enfin discutées.

3La fécondation in vitro et le transfert des embryons (FIVET [3]), l’injection intracytoplasmique de spermatozo ïdes (ICSI [4]), le transfert des gamètes (GIFT [5]) ou des zygotes (ZIFT [6]), la congélation des embryons, le don de sperme ou des ovules sont des méthodes utilisées de nos jours avec un taux de succès considérable. Les conclusions tirées de la revue de la littérature et les quelques réflexions personnelles se limitent aux enfants conçus par ces méthodes. Les enfants nés de mère porteuse sont exclus de cette étude. En sont également exclus les enfants qui grandissent dans les familles non traditionnelles, par exemple les familles monoparentales où la mère a utilisé le sperme d’un donneur anonyme, ou les familles des lesbiennes dans lesquelles l’enfant est élevé par deux mères avec absence du père. Malgré l’existence de certaines références bibliographiques récentes sur ce sujet, il est évident que son approche psychodynamique est particulièrement compliquée. Pour y parvenir, on doit revisiter des notions théoriques fondamentales comme le stade œdipien, le Nom-du-Père, l’identité et les identifications.

4Nous avons délibérément choisi de nous occuper des enfants conçus par procréation médicalement assistée qui vivent avec les deux parents dans une famille traditionnelle, leur patrimoine génétique provenant de l’un ou des deux parents.

LE DéSIR

5L’enfant naît du désir de ses parents. À quoi correspond ce désir ? Il peut renvoyer à des valeurs universelles comme la conservation de l’espèce, la transmission des biens, matériels et symboliques, l’inscription dans un arbre généalogique. Il peut aussi renvoyer à des valeurs sociales comme la fondation d’une famille, la stabilisation de la relation du couple, la croyance commune que la femme s’épanouit dans la maternité. Des valeurs personnelles, des angoisses et des questions existentielles sont aussi liées au désir d’enfant. La toute-puissance hallucinatoire d’une victoire sur la mort, la continuité du self, les retrouvailles avec l’enfance et les imagos parentales sont également des points cruciaux autour desquels se construit le désir d’enfant.

6Le désir doit être reconnu et incorporé dans la vie du couple avant que l’enfantement devienne possible. Cette reconnaissance est suivie par le projet d’enfant et l’attente. Quand l’attente se prolonge, la médicalisation commence, et elle va conduire le couple sur le chemin long et difficile des examens et des traitements. Dans ce parcours, l’ambivalence est évidente. L’enfant est l’objet du désir qui s’exprime dans la parole. Le corps ne suit pas. Au contraire, il doit se conformer aux techniques et aux rituels (prise de la température chaque matin, rapports sexuels obligatoires à heures et dates fixes) qui n’ont rien à voir avec le désir et la jouissance.

7De nombreux examens et des actes médicaux vont suivre jusqu’à la découverte ou non d’une cause organique de la stérilité. Ce parcours se différencie en fonction de l’histoire personnelle des protagonistes, et il est difficile de le résumer. Il existe quand même un point commun : chaque traitement de stérilité se déroule dans une ambiance rappelant le trauma. Il y a un travail de deuil de l’aptitude à procréer, et d’acceptation nécessaire de la non-réalisation du désir et de l’incapacité à créer une famille d’une façon traditionnelle. En même temps, il y a une certaine excitation, voire une euphorie fondée sur des idées de toute-puissance selon lesquelles la nature va être vaincue, le problème trouvera une solution, l’enfant naîtra. Les deux dimensions alternent, et chaque nouveau cycle de traitement crée de nouveaux espoirs. L’anxiété s’accentue dans la période qui suit la fin du traitement jusqu’aux résultats du test de grossesse. Si les résultats sont négatifs, une nouvelle répétition de la procédure va commencer, de telle façon que la vie du couple n’a plus aucune autonomie et se structure autour des essais de procréation médicalement assistée.

8Dans ce cheminement, les émotions et les représentations s’appauvrissent. L’avancement de la technologie et de la médicalisation ne laisse apparaître aucune autre dimension que celle de la biologie dans la reproduction humaine. La création de la vie se réduit à la question concrète des gamètes, des ovules, des embryons à transfert, fabriqués en laboratoire, tous éléments qui font difficilement l’objet d’investissement affectif ou de représentation mentale élaborée.

LA GROSSESSE

9L’arrivée de la grossesse calme momentanément l’anxiété des futurs parents. Tout de suite après, l’effort pour sa conservation commence. Médicalement, il n’est pas prouvé qu’une grossesse obtenue par des méthodes de procréation médicalement assistée se déroule différemment d’une grossesse obtenue normalement. Malgré tout, elle est considérée comme une " grossesse précieuse ", et la femme enceinte fait tout ce qu’elle peut pour la préserver. Elle limite ses activités, elle s’abstient de toute sexualité, elle reste au lit même s’il n’y a pas de raison pour le faire (par exemple, une hémorragie), elle programme l’accouchement par césarienne.

10Il est évident que le vécu de la future mère durant la grossesse influence ses capacités représentatives et sa relation avec l’enfant qui va naître. Une étude australienne [34] a montré des taux élevés d’anxiété chez les mères par FIV. Il s’agissait d’anxiété pour la survie et l’accouchement d’un bébé sain, mais aussi quant à de futures difficultés durant l’enfance et des craintes de séparation d’avec leur enfant.

11Les mêmes auteurs, dans une autre étude [35], comparent 70 femmes qui ont réussi leur grossesse à l’aide d’insémination artificielle (soit au premier cycle, soit après des efforts répétés) avec d’autres femmes d’un certain âge qui avaient conçu naturellement pour la première fois. Ils constatent que les femmes qui étaient enceintes à l’aide d’insémination artificielle avaient peu de " conversations " avec l’embryon, elles ne cherchaient pas de renseignements sur la grossesse et l’accouchement et ne participaient pas à des groupes pour la préparation de l’accouchement. Les femmes qui avaient réussi une grossesse après des efforts répétés attendaient la naissance d’un bébé " difficile ". Les auteurs pensent que l’anxiété et le comportement évitant des futures mères par FIV a pour but de les protéger des possibles déceptions concernant l’heureux dénouement de la grossesse. Ensuite, la moindre difficulté qui peut apparaître normalement au cours du développement de l’enfant risque alors d’être perçue comme la confirmation des craintes maternelles, et la relation mère/bébé va s’en trouver définitivement gauchie.

LE DéVELOPPEMENT MENTAL ET éMOTIONNEL DE L’ENFANT

12Il est évident que les conditions particulières de la procréation médicalement assistée peuvent influencer l’attitude et le comportement maternel. La question qui nous préoccupe est de savoir si les enfants nés par PMA sont des enfants à risque pour des troubles du développement émotionnel ou cognitif. La revue de la bibliographie [11] [23] [33] ne va pas dans ce sens. Il faut noter que la plupart des études qui sont mentionnées ci-dessous se réfèrent aux enfants de grossesse monovulaire (un seul enfant à chaque grossesse, pas de jumeaux), nés à terme avec un poids de naissance normale.

Le développement mental des enfants

13Dans la bibliographie existante, le développement mental fait l’objet d’études soit en bas âge (12-18 mois), soit à l’âge scolaire.

14Gibson et al. [14] comparent, à l’âge de 12 mois, 65 enfants conçus par FIV avec 68 enfants conçus naturellement. Ils utilisent l’échelle de développement de Bailey et ils ne constatent pas de différences statistiquement significatives entre les deux groupes. Les mêmes résultats sont affichés par l’étude de Brandes et al. [4] qui utilise la même échelle.

15Des différences au niveau du développement cognitif n’apparaissent pas, ni dans une étude française [44] qui utilise le test de Brunet-Lézine, ni dans une étude suédoise [10] portant sur un groupe de 99 enfants nés par FIV et âgés de 33 à 85 mois.

16À l’âge scolaire, une étude israélienne [30] ne retrouve pas non plus de différences au niveau du quotient intellectuel (échelle de Weschler), de la coordination oculo-motrice, de la mémoire visuelle et de la compréhension verbale des enfants nés par FIV, en comparaison des enfants conçus naturellement. Des acquisitions scolaires satisfaisantes sont également constatées chez les enfants nés par FIV, dans l’étude française d’Olivennes et al. [40].

17L’étude de Kelly-Vance et al. [27] compare des jumeaux nés par FIV et des jumeaux de conception naturelle ayant présenté à la naissance des différences quant au temps de gestation et au poids de naissance. Des différences au niveau de la croissance staturo-pondérale sont constatées à l’âge de 24 mois, mais il n’existe aucune différence au niveau du développement mental.

18En ce qui concerne les FIV hétérologues (avec don de sperme), quelques études montrent que les enfants conçus par donation du sperme ont de meilleures compétences au niveau du développement psychomoteur et de l’acquisition de la parole que des enfants d’âge équivalent conçus naturellement [2] [37].

19De son côté, l’étude de Raoul-Duvaz [45] ne constate aucune différence dans le développement psychomoteur de 12 enfants conçus par don d’ovules par rapport à un groupe contrôle.

20Des données contradictoires proviennent toutefois d’études qui concernent des enfants conçus par injection intracytoplasmique de spermatozo ïdes. Bowen et al. [3] comparent 89 enfants conçus par ICSI avec 84 enfants conçus par FIV et 80 enfants conçus naturellement. Les auteurs constatent une augmentation du risque de retard du développement pour les enfants ICSI, mais, en même temps, ils reconnaissent le besoin d’études complémentaires pour confirmer leurs résultats. En effet, ces résultats ne se sont pas reproduits dans une récente étude grecque [42] qui utilise la même méthodologie (échelle de Bailey). Dans cette étude, on compare des enfants aînés, âgés de 12 mois (34 provenant de ICSI et 26 de FIV), avec 29 enfants issus de conception naturelle. Aucune différence n’est apparue quant à leur développement psychomoteur.

Le développement émotionnel des enfants

21De nombreuses études utilisant des méthodes différentes essaient d’évaluer le développement émotionnel des enfants conçus par des méthodes de procréation médicalement assistée.

22Dans l’étude de Colpin et al. [12], les parents d’enfants de 2 ans conçus par FIV ou naturellement ne remarquent pas de différences comportementales. Ces mêmes enfants sont réévalués par leurs parents et leurs maîtres à l’âge de 8-9 ans, et encore une fois on ne constate aucune différence.

23L’étude suédoise [10] aussi ne trouve pas de risque augmenté pour des troubles du comportement chez les enfants de 33 à 85 mois, conçus par FIV.

24McMahon et al. [34] notent que les mères par FIV, en comparaison des femmes devenues mères après une conception naturelle, s’inquiètent plus pour le comportement de leur bébé âgé de 4 mois. Elles pensent que leur bébé a plus de difficultés et plus de comportements négatifs en réponse aux situations de stress. À l’âge de 1 an, les chercheurs ne trouvent pas de différences entre les deux groupes d’enfants en étudiant leur comportement social et leur participation au jeu avec leur mère. Malgré ces constatations objectives, les mères par FIV continuent de croire que leur enfant a plus de problèmes de comportement et un caractère plus difficile que des enfants témoins. Les auteurs concluent que ces croyances sont liées à l’anxiété des mères par FIV en ce qui concerne le développement de leur enfant. Apparemment, les difficultés rencontrées pour la conception de l’enfant ont donc un impact durable, puisque, selon les mères, l’enfant ne peut avoir qu’un caractère très difficile, créant des problèmes et nécessitant beaucoup plus d’efforts pour son maternage.

25La sécurité de l’attachement mère/bébé a été évaluée à l’âge de 12 mois dans un groupe de 65 mères primipares FIV et dans un groupe contrôle de mères ayant conçu naturellement, avec l’utilisation du paradigme de la " situation étrange ". La plupart des enfants FIV (64,6 %) ont montré un attachement sécure et il n’y avait aucune différence statistique avec le groupe contrôle [15].

26Deux autres études [10] [38] évaluent des enfants FIV plus âgés à l’aide des échelles d’Achenbach. Il n’existe aucune indication d’accroissement du risque de difficultés psychologiques chez les enfants nés par FIV en comparaison avec des enfants contrôles de conception naturelle.

27L’étude européenne de Golombok et al. [17] [18] [20] évalue le développement émotionnel des enfants à l’aide de questionnaires standardisés renseignés par les parents et les instituteurs. Les enfants eux-mêmes ont répondu aux questionnaires concernant leur estime d’eux-mêmes et leurs sentiments envers leurs parents. Un pédopsychiatre ne connaissant pas les modes de conception des enfants a effectué un examen clinique. À l’âge de 4-8 ans, aucune différence n’est constatée en ce qui concerne les sentiments positifs des enfants envers leurs parents, l’anxiété de séparation ou d’éventuelles difficultés psychologiques, chez des enfants nés par FIV, des enfants de conception naturelle et des enfants adoptés.

28Une seule étude israélienne [30] rapporte des difficultés psychologiques dans un groupe de 51 enfants nés par FIV, d’âge scolaire. Les instituteurs remarquent des difficultés d’adaptation scolaire et les enfants eux-mêmes cotent plus d’agressivité et de sentiments anxieux et/ou dépressifs. Les plus problématiques sont des garçons et des enfants ayant des parents d’âge avancé.

29En ce qui concerne des enfants provenant de méthodes techniquement plus sophistiquées de PMA, il n’y a pas de données qui permettent de les différencier des enfants nés par FIV ou des enfants conçus naturellement. L’étude de Place et al. [43] ne constate pas de différences au niveau des problèmes émotionnels ou comportementaux chez des enfants conçus par injection intracytoplasmique de spermatozo ïdes (ICSI) en comparaison avec des enfants FIV ou des enfants conçus naturellement.

30Des enfants conçus par don de sperme à l’âge de 6-8 ans [28] ou en follow-up de 4 ans jusqu’à l’adolescence [21] ne présentent pas plus de difficultés psychologiques que des enfants conçus naturellement ou des enfants adoptés. Une autre étude [46] compare 59 enfants conçus par don d’ovules, de l’âge de 6 mois jusqu’à l’âge de 4 ans, avec des enfants du même âge conçus par FIV autologue. Il n’y a pas de différences en ce qui concerne les difficultés du sommeil et de l’alimentation ou les troubles du développement dans les deux groupes. De la même manière, des enfants conçus par don d’ovules [19], âgés de 3-8 ans, ne présentent pas de difficultés psychologiques particulières. En outre, les parents des enfants conçus par don d’ovules expriment moins de soucis et d’inquiétude à propos de leur développement.

31Au total, en accord avec les études existantes, les enfants qui sont nés par des méthodes de procréation médicalement assistée ne présentent pas de problèmes particuliers dans leur développement mental ou émotionnel. Il apparaît également que les enfants issus de FIV hétérologue n’ont pas de conséquences négatives sur le plan du développement mental ou émotionnel, en dépit du manque de lien génétique avec l’un des parents.

LA RELATION PARENTS/ENFANT

32La relation parents/enfants pour les enfants conçus par procréation médicalement assistée soulève une problématique différente selon que leur patrimoine génétique provient d’un (FIV hétérologue) ou des deux (FIV autologue) parents.

FIV autologue

33La plupart des recherches qui étudient la relation parents/enfants conçus par FIV se réfère à la qualité de cette relation, au vécu subjectif des parents, à leur propre évaluation de l’accomplissement de leur rôle parental, et à leur état psychologique. Ces recherches varient en ce qui concerne la méthodologie et l’âge de l’enfant étudié.

34McMahon et al. [36] ne trouvent pas de différences au comportement sensitif observé ou automentionné des mères par FIV envers leur bébé de 4 mois, en comparaison des mères qui ont conçu naturellement. Le comportement des mères n’avait pas changé à l’âge de 12 mois, et les nourrissons ne présentaient pas de différences quant à la sécurité des liens.

35Dans une recherche grecque, Papaligoura et al. [41] étudient les interactions durant le jeu entre les bébés de 21 mois et leur mère. Les sujets sont séparés en trois groupes : mères par FIV, mères qui ont reçu un traitement pour la stérilité sans recourir à la FIV, et mères ayant conçu naturellement. Ils observent des interactions plus riches en qualité et quantité chez les mères ayant vécu la situation de stérilité (FIV ou autre traitement). Ces mères sont plus attentives aux signaux des enfants et les enfants sont plus actifs au jeu.

36Gibson et al. [15] ne trouvent pas de différences dans les interactions durant le jeu avec leur mère chez les bébés âgés de 10-15 mois, conçus par FIV ou naturellement. La plupart des mères FIV (86 %) montraient une grande sensibilité aux signaux de l’enfant et la plupart des enfants (91 %) répondaient à leur mère. Les mères par FIV, dans cette recherche, croient qu’elles ne sont pas de bonnes mères et se jugent très sévèrement dans leur rôle maternel. Au contraire, Van Balen [48] constate que les mères des enfants FIV âgés de 2-4 ans ont davantage confiance dans leur rôle maternel que les mères des enfants conçus naturellement. La divergence des conclusions des deux chercheurs pourrait peut-être s’expliquer par la différence d’âge des enfants. Il semblerait que les préoccupations des mères par FIV durant la grossesse, ou au début de la vie de l’enfant, s’amplifient avec le temps et qu’ensuite ces mères puissent prendre confiance en elles et dans les capacités de l’enfant.

37Gibson et al. [16] font participer les pères à leur recherche. Les pères des bébés de 12 mois conçus par FIV rapportent moins de satisfaction dans leur relation conjugale que les pères des enfants conçus naturellement. Les auteurs supposent que les mères par FIV sont très préoccupées par leur bébé et qu’elles investissent moins dans la relation conjugale.

38La revue de la littérature concernant des enfants plus âgés [33] [49] montre que les parents FIV ont des sentiments positifs et chaleureux envers leurs enfants, et que la qualité de la relation parentale est supérieure à celle des familles qui n’ont pas eu recours à la PMA ou dans des familles adoptantes.

39Dans la recherche européenne, une première partie [18] est consacrée aux familles avec enfants FIV à l’âge préscolaire et scolaire. Il apparaît que les mères FIV sont plus chaleureuses, plus impliquées émotionnellement, et qu’elles ont moins d’anxiété quant à l’accomplissement de leur rôle maternel. En outre, les pères par FIV ont davantage d’interactions avec leurs enfants, et rapportent moins d’anxiété à l’égard de leur développement. Dans la deuxième partie de la recherche [22], les enfants sont suivis jusqu’à l’adolescence. Les parents continuent d’avoir une bonne relation avec eux et une participation émotionnelle importante, mais aussi la surveillance et le contrôle nécessaires à cet âge de la vie.

40Une autre recherche, faite à Taiwan [25], se centre sur la nature des relations entre parents et enfants nés par FIV, d’âge préscolaire et scolaire. La qualité de la relation parentale est considérée comme très satisfaisante, bien que les mères elles-mêmes pensent qu’elles sont hyperprotectrices vis-à-vis de leur enfant. Les instituteurs qui ne sont pas informés des conditions de la conception des enfants trouvent les mères par FIV plus chaleureuses, mais pas plus protectrices ou intervenantes que les mères des enfants conçus naturellement.

41Colpin et Soenen [12] suivent des enfants nés par FIV de l’âge de 2 ans jusqu’à 8-9 ans. Par rapport à des témoins, ils ne constatent pas de différences en ce qui concerne le comportement, le stress et les objectifs parentaux. Ils s’interrogent sur l’influence de la décision des parents de garder le secret ou d’informer l’enfant sur les conditions de sa conception. 75 % des parents avaient opté pour la non-levée du secret. Les parents qui avaient parlé à leur enfant de son mode de conception remarquaient plus des difficultés intériorisées (et les pères, plus de troubles comportementaux) chez l’enfant que les parents qui avaient gardé le secret. Bien que les auteurs concluent qu’il n’y a pas de différences entre les parents par FIV et les parents témoins, il semble que la situation de PMA continue à peser et à influencer la manière dont les parents jugent leurs enfants.

42Au total, la qualité de la relation parents/enfants dans le cas de FIV autologue est satisfaisante, et dans certains cas supérieure à celle observée dans les familles à conception naturelle. On constate toutefois une préoccupation maternelle accrue et un surinvestissement du bébé de la part de la mère, surtout au début de sa vie, ainsi que la perception par les parents d’une plus grande vulnérabilité psychologique de leur enfant.

FIV hétérologue

43Les parents qui ont eu recours aux FIV hétérologues, don de sperme ou d’ovules, se trouvent devant des difficultés particulières qui ont surtout trait à la " levée du secret ". Nos connaissances provenant des familles qui ont adopté des enfants montrent désormais, à l’évidence, que garder le secret pose des problèmes dans le fonctionnement familial, et qu’il y a des conséquences sur le développement émotionnel de l’enfant et sur la formation de son identité. Nous pouvons supposer que les enfants conçus par FIV hétérologue et qui n’ont pas de filiation biologique avec l’un des parents sont dans la même problématique, mais c’est là une piste de recherche qui demanderait à être explorée. L’existence du secret peut transformer les relations des membres de la famille, les diviser entre ceux qui connaissent et ceux qui ne connaissent pas, gauchir la relation de l’enfant envers le parent avec lequel il n’existe pas de lien génétique.

44Les recherches empiriques ne sont pas nombreuses dans ce domaine, compte tenu des difficultés des parents à parler des modalités de conception de leur enfant. Les recherches existantes ne confirment pas ces préoccupations. Au contraire, elles montrent des relations très positives entre parents et enfants conçus par FIV hétérologue.

45Brewaeys [5] [7] examine les caractéristiques des familles qui ont eu recours à l’insémination artificielle par donneur (IAD), ainsi que la nature des relations qui s’y jouent. Dans la plupart des cas, le don de sperme a été considéré par les deux parents comme un choix positif. Les pères pensent que leur relation avec l’enfant ne s’en trouve pas influencée et ils se sentent de " vrais pères ". Il n’existe pas non plus de problèmes particuliers dans la relation du couple. L’auteur conclut que les parents qui ont accepté le don de sperme ont une relation de qualité identique à celle observée dans les familles à conception naturelle et une participation émotionnelle plus souple. Un facteur aggravant est le poids de la marque qui semble influencer, d’une certaine façon, la fonction paternelle. Les pères qui vivent intensément une peur de cette stigmatisation ont des relations moins chaleureuses avec leurs enfants.

46Dans l’étude européenne [18] [21] où les enfants ont été suivis jusqu’à l’adolescence, les mères des enfants conçus par don de sperme étaient plus ouvertes émotionnellement et plus chaleureuses envers eux, tandis que les pères posaient moins de limites et de règles. La crise de l’adolescence durant laquelle l’adolescent cherche son indépendance et présente souvent des troubles du comportement n’a pas perturbé les relations familiales.

47Le don d’ovules est une technique plus récente qui se pratique depuis 1983 [32]. Dans ce cas particulier du manque de lien génétique avec la mère, l’anonymat n’est pas garanti. La donneuse est souvent une amie ou elle appartient à la famille élargie.

48La première étude concernant la relation parents/enfants conçus par don d’ovules a eu lieu en France [45]. Elle concernait des enfants en bas âge, jusqu’à 3 ans, et la relation avec leur mère est jugée excellente. La même " très bonne relation " entre la mère et l’enfant de 3-8 ans conçu par don d’ovules est retrouvée dans l’étude de Golombok et al. [19]. Ils constatent aussi un meilleur état psychologique des membres des familles où il n’existe pas de lien génétique avec la mère. Ces parents montrent moins de stress parental que les parents qui avaient utilisé le don de sperme.

49Au total, il apparaît qu’il existe une bonne relation parents/enfant dans les familles où l’enfant n’a pas de lien génétique avec l’un des deux parents, ce qui montre que les liens biologiques ont sans doute moins d’importance que le désir d’enfant en tant que tel.

LE SECRET DANS LA FIV HÉTÉROLOGUE

50Les parents qui hésitaient à informer leur enfant sur les conditions de sa conception prétendaient qu’ils voulaient protéger l’enfant des conséquences que cette découverte pourrait avoir dans sa vie. De plus, ils ne comprenaient pas la nécessité de dire, ils ne savaient pas comment et quand le dire, et ils avaient peur des réactions de l’enfant. Ils craignaient également que l’enfant n’aime moins le parent concerné, et ils voulaient préserver cette relation et protéger le parent de la stigmatisation de la stérilité [26].

51Il est intéressant de noter que la plupart des parents qui gardent " le secret " envers leur enfant parlent cependant à leurs amis et à d’autres membres de leur famille. Dans l’étude de Dorna et al. [13], 94 % des familles qui avaient utilisé le don de sperme n’avaient pas informé leur enfant, mais 71 % d’entre elles en avaient discuté avec la famille ou des amis.

52Des pourcentages analogues apparaissent dans l’étude de Leiblum et Aviv [29] où les trois quarts des parents n’avaient pas informé leur enfant et n’avaient pas l’intention de le faire, tandis que, dans 85 % de cas, un autre que les parents connaissait " le secret ".

53Brewaeys [5], dans une revue de la littérature concernant les enfants nés par don de sperme, constate que 47 % à 92 % des parents n’ont pas l’intention d’informer l’enfant sur son origine biologique. Même en Suède, où la loi permet aux personnes intéressées de s’informer sur l’identité du donneur, une étude relativement récente [31] montre que seulement 11 % des parents avaient discuté avec leur enfant.

54En Allemagne, une étude comparative [6] montre que la non-levée du secret est liée au don de sperme, et pas aux conditions de la FIV. Les pères, plus que les mères, optaient pour l’anonymat du donneur et pour la non-levée du secret.

55Les mêmes difficultés se rencontrent dans les familles qui ont recours au don d’ovules. Seulement une des 21 familles qui participaient à la recherche de Golombok et al. [19] avait informé l’enfant. De la même manière, aucune des 49 familles finlandaises qui avaient un enfant de 0 à 4 ans conçu par don d’ovules n’avait informé l’enfant [46]. 38 % avait l’intention de le dire, mais quand l’enfant serait plus grand. Pour 8 de ces familles, la donneuse était connue (sœur ou amie), elle rencontrait l’enfant et continuait à avoir de bonnes relations avec la mère.

56Dans ces conditions, les enfants conçus par FIV hétérologue courent le risque d’apprendre par quelqu’un d’autre la vérité sur leur origine biologique et de se sentir blessés et trahis par leurs propres parents. L’enfant ou l’adulte peut aussi apprendre la vérité par hasard lorsqu’un test génétique s’avère nécessaire dans le cadre de pratiques médicales de plus en plus courantes. Cette découverte qui, probablement, ne pourrait plus alors être discutée avec le parent concerné laissera une blessure ouverte et une problématique non résolue.

57Une constatation optimiste provenant de la revue de la littérature de Brewaeys [7] est que les couples qui viennent de commencer un traitement pour la stérilité sont disposés à informer leur futur enfant dans un plus grand nombre de cas que les couples qui ont déjà eu un enfant. Le fait qu’actuellement les parents soient plus ouverts à la possibilité de parler et de lever le secret est également constaté dans une étude récente de Golombok et al. [24]. Il est probable que l’essor et l’utilisation de plus en plus courante des techniques de PMA déculpabilisent les parents et facilitent leur décision d’en discuter avec leur enfant.

58Un autre résultat discutable, qui ressort de l’étude de Nachtigall et al. [39], est que la décision de la levée ou non du secret n’a pas de conséquences sur le lien parental ou sur les relations conjugales. Les auteurs concluent que la non-levée du secret ne peut pas être considérée comme un symptôme de dysfonctionnement familial, mais il resterait encore à évaluer de manière contrôlée les effets de la non-levée du secret.

LES TROUBLES PSYCHOLOGIQUES DES ENFANTS

59En tant que pédopsychiatres, nous apercevons une opposition entre les conclusions rassurantes des recherches empiriques et la problématique des cas que nous rencontrons dans notre pratique clinique.

60La clinique quotidienne nous amène en effet souvent à rencontrer des enfants qui ont des demandes différentes, et l’investigation de leurs antécédents dévoile, alors, les conditions de leur conception. Il y a deux cas de figure. Dans un premier cas, nous nous trouvons devant des parents réticents, qui évitent d’aborder cette problématique, et le clinicien doit alors insister pour obtenir les renseignements nécessaires. Quelquefois, ils s’interrogent sur l’éventualité d’un lien de causalité entre les conditions de conception et le problème présenté par l’enfant. Mais, la plupart du temps, ils semblent faire complètement abstraction de cette éventualité et considèrent l’histoire de la procréation de leur enfant comme quelque chose de totalement indépendant de la situation actuelle. C’est alors la tâche du clinicien de les amener graduellement à sa reconnaissance, en respectant leurs défenses. Dans un deuxième cas, il s’agit de parents envahis par la culpabilité, et qui centrent tout leur discours sur leur vécu de la stérilité et de la PMA. Ils disposent ainsi d’une cause en quelque sorte préfabriquée qui peut servir à tout expliquer. La PMA devient ainsi une cause figée qui risque dès lors de peser lourdement sur l’avenir de l’enfant [1].

61Les troubles présentés par les enfants conçus par PMA peuvent s’exprimer dans tout le domaine de la psychiatrie infantile, et ils ne se différencient pas des troubles habituels présentés par des enfants d’âge analogue conçus naturellement.

62Chez le nourrisson, les troubles concernant les deux principales fonctions de l’alimentation et du sommeil sont largement prépondérants, l’anorexie réactionnelle et les troubles d’endormissement étant les plus souvent rencontrés.

63À l’âge préscolaire, l’angoisse de séparation, les phobies et l’inhibition psychomotrice s’observent surtout chez les enfants ayant des parents anxieux et hyperprotecteurs. Des troubles du développement, surtout ceux du langage, sont également rapportés, mais à un taux qui ne dépasse pas celui de la population générale.

64À l’âge scolaire, les difficultés d’apprentissage souvent accompagnées par des troubles du comportement sont les plus fréquentes. À l’adolescence, on rencontre le plus souvent des adolescents déprimés et inhibés, et moins souvent des adolescents qui expriment leurs difficultés par des passages à l’acte ou des troubles du comportement.

65On le voit, tous les troubles décrits ci-dessus ne sont en rien spécifiques des enfants conçus par PMA, et aucune étude n’a prouvé de causalité linéaire étiopathogénique.

66Dans un grand nombre de cas, enfin, nous rencontrons des enfants conçus par PMA dont les parents sont divorcés. Ils présentent tous les problèmes des enfants du divorce. La question qui se pose est seulement de savoir si la relation conjugale s’est détériorée après le succès de la PMA et la naissance de l’enfant, ou si la mésentente préexistait et se cachait derrière les efforts pour obtenir un enfant.

LES DIFFICULTéS PSYCHOLOGIQUES CHEZ LES PARENTS

67Les recherches empiriques montrent, comme pour les enfants, que la plupart des parents ont surmonté le vécu traumatique lié à la stérilité et aux techniques médicales de la PMA, et qu’ils ont construit des relations saines avec leur enfant. Mais le pédopsychiatre rencontre dans sa pratique quotidienne des parents encore englués dans la problématique de la PMA.

68Chaque famille a sa manière propre de communiquer, et chaque parent a une participation particulière au fonctionnement familial. La parentalité dans le cadre de la PMA, comme dans celui de la conception naturelle, se déroule en fonction de la personnalité de chaque sujet, de la situation qui a donné lieu à la reconnaissance du désir d’enfant, de la relation conjugale et surtout de la relation du parent avec ses propres parents et des conflits non résolus de son enfance.

69Bien que l’approche psychodynamique ne puisse qu’être individuelle, les parents qui ont fait l’expérience de la PMA et qui n’ont pu éviter de transférer leur vécu douloureux à leur enfant appartiennent schématiquement aux catégories suivantes :

1 / Des parents qui n’ont pas pu élaborer leurs émotions et leurs conflits autour de la stérilité

70Il est vrai qu’il est difficile de penser et d’élaborer des expériences et des sentiments lorsqu’on est sous l’emprise de très vives émotions. Les actes médicaux liés à la PMA, dès le moment où la stérilité a pu être diagnostiquée, prennent une allure d’urgence et amènent facilement au passage à l’acte. Les essais itératifs de FIV enferment le couple dans les cycles répétés d’espoir, d’attente et de déception, sans laisser aucune place pour l’élaboration des expériences et de leur représentations.

71Les couples ont aussi à faire face au clivage entre sexualité et procréation. Le mari risque de se sentir exclu du traitement, et c’est alors le gynécologue qui prend la place symbolique du géniteur. Il apparaît ainsi comme une personne très vivement investie, surtout par la femme, tandis que le mari éprouve des sentiments d’impuissance, de rivalité et de dépression [8]. Des conflits émergent dans la relation conjugale, problèmes qui ne se discutent pas aisément. Leur résolution est ajournée et, souvent, les mêmes problèmes ressurgissent après la naissance de l’enfant.

72L’enfant qui naît alors peut être vécu comme une menace narcissique rappelant aux parents la faille initiale et les ramenant sans cesse à la problématique non résolue de leur stérilité.

2 / Des parents qui ont un fonctionnement psychique rigide

73Ils fonctionnent bien dans la réalité, mais ils laissent peu de place à l’émotion, aux rêves et à la fantasmatisation. Ils ont mis toutes leurs forces et ont utilisé tous les moyens possibles pour parvenir à leur but qui était d’obtenir un enfant. De la même façon, ils programment son devenir. Ils ont des ambitions accrues pour lui, et l’enfant doit dès lors les récompenser de leurs efforts. Ils le poussent pour avoir des acquisitions précoces, ils exigent d’excellents résultats scolaires, ils dictent son comportement. Ils sont incapables d’apercevoir l’enfant réel avec ses besoins, ses difficultés, ses impuissances. Le seul enfant qu’ils peuvent en fait prendre en compte, c’est l’enfant imaginaire, héritier de leur propre idéal du moi. Sa naissance leur a en quelque sorte prouvé qu’ils peuvent être vainqueurs, intervenir sur la fatalité et se montrer plus forts que la nature.

74L’enfant souffre sous le poids de l’attente des parents et essaie de toutes ses forces d’être à la hauteur des ambitions parentales. Il paie souvent les frais de la pression d’un idéal impossible à satisfaire.

3 / Des parents anxieux qui sont dominés par le besoin de protection et d’éloignement de tout danger qui pourrait menacer l’enfant

75L’enfant incarne un bien précieux qui a été très difficilement obtenu et son intégrité doit absolument être préservée. Le danger est toujours extérieur à la famille, l’enfant se voit irrationnellement identifié à une personne handicapée, la peur de la stigmatisation et de la levée du secret domine. La surprotection a comme résultat la suppression de l’autonomie de l’enfant, son inhibition émotionnelle et quelquefois psychomotrice. La dépendance est la seule manière possible de nouer des relations familiales. Les problèmes s’aggravent à l’adolescence où l’adolescent se trouve écartelé entre deux tendances : soit accepter la situation de dépendance et reconnaître l’autorité parentale, soit assumer des mouvements de séparation et d’individuation vécus comme destruction et abandon des imagos parentales.

LE QUESTIONNEMENT DU CLINICIEN EN RAPPORT AVEC L’ENFANT

76L’évaluation psychodynamique en clinique pédopsychiatrique cherche à appréhender, au-delà du symptôme, les mécanismes du fonctionnement psychique. Ainsi, pour les enfants conçus par PMA, alors même qu’ils présentent une symptomatologie variée, nous cherchons les axes communs éventuellement définis par les conditions de leur conception autour desquelles se construit leur identité.

77Tout d’abord, nous sommes préoccupés par l’inscription psychique du " secret " ou de sa levée. S’agissait-il d’une FIV autologue ou hétérologue ? L’enfant est-il informé sur les particularités des modalités de sa conception ? Si oui, à quel âge et de quelle manière a-t-il été informé ? Quelles ont été ses réactions ? La situation et ses conséquences sont totalement différentes selon que l’enfant apprend une chose aussi importante par ses parents dans un climat d’entente familiale, ou s’il s’agit d’une découverte liée au hasard ou d’une information donnée par une personne tierce étrangère à la famille. Comment cette information est-elle intégrée dans les théories sexuelles de l’enfant et l’élaboration de son roman familial ?

78Chaque enfant, en fonction de son âge, essaie de répondre à la question de savoir comment naissent les enfants et surtout de résoudre l’énigme de sa propre venue au monde. Ensuite, la formation de son identité se fonde sur les réponses qu’il se donne. Pour les enfants nés naturellement, nous mentionnons la date de naissance. Pour les enfants nés par PMA, nous parlons de la date de conception. Tandis que, normalement, la conception reste à l’écart des représentations, les techniques de la PMA nous amènent à un dépassement de la pensée, à une sorte d’imagerie de la conception. Quelles conséquences peut avoir pour les enfants nés par PMA le fait que certains d’entre eux sont restés en état de vie suspendue sous forme d’embryon congelé pour un temps assez long ? Comment peut-on leur parler de cette différence qui touche, selon certains auteurs, à l’ordre symbolique ? [9] [47].

79Le trauma de la stérilité, en fonction du degré de son élaboration par les parents, peut être transféré à l’enfant. Quelle est l’inscription psychique de ce trauma parental ? Le sentiment d’impuissance ou de perte pourrait marquer les investissements de l’enfant et sa relation avec ses parents.

80Comment l’enfant peut-il répondre au poids de l’attente parentale ? Objet d’un désir absolu, il subit la pression d’un idéal difficile à satisfaire. Tout ce qu’il peut faire ne semble pas suffisant pour récompenser ses parents des efforts qu’ils ont faits pour le faire naître. Il rassemble alors toutes ses forces pour satisfaire les attentes fantasmatiques dont il a été l’objet, et cela dès avant sa naissance. La construction de son self porte alors inévitablement le sceau de son besoin de se situer par rapport aux conditions particulières qui ont marqué sa venue au monde.

CONCLUSIONS

81Au total, les techniques de la PMA ont ouvert une perspective heureuse aux couples qui n’avaient pas la possibilité d’obtenir un enfant.

82De multiples et diverses recherches méthodologiques étudient les conséquences des PMA sur le développement des enfants et sur les relations qu’ils nouent avec leurs parents. Malgré les préoccupations sur ce sujet, les recherches n’ont pas permis d’objectiver de troubles spécifiques, ni même de préciser des facteurs de risque de distorsions du développement émotionnel ou cognitif des enfants concernés. Certaines de ces recherches ont même montré des éléments très positifs quant au développement des enfants et à la relation parents/enfant. Comment pouvons-nous expliquer ces conclusions inattendues ?

83Une première approche implique les problèmes méthodologiques des recherches qui ont été menées. Une explication proposée est que les parents ayant eu recours à la PMA évitent, consciemment ou inconsciemment, d’exprimer des sentiments négatifs ou ambivalents envers l’enfant. Ils savent que le chercheur s’intéresse à eux en raison des conditions particulières de la venue au monde de leur enfant et essaient de faire bonne impression. Ils se prouvent ainsi à eux-mêmes, et ils montrent aux autres, que leurs efforts prolongés valaient la peine et que le résultat les a récompensés. Même si cette hypothèse est plausible, elle ne peut cependant que partiellement expliquer les résultats de ces recherches.

84Une autre interprétation optimiste est que la naissance de l’enfant a pu efficacement guérir le vécu traumatique des parents. L’enfant qui est né à l’aide de la PMA est un être d’emblée désiré et attendu. Il incarne la réalisation du désir et la récompense des efforts. Les parents ont dû attendre longuement pour l’avoir. Il est possible que ce cheminement les a fait mûrir et les a mieux préparés à leur rôle parental. Ils peuvent ainsi construire une meilleure relation avec l’enfant. En outre, les parents par PMA sont souvent plus âgés. Ils ont eu suffisamment de temps pour réaliser leurs ambitions personnelles et professionnelles, et n’ont pas de problèmes financiers pour assurer leur survie quotidienne. La parentalité est une étape nouvelle dans leur vie et ils ont alors la capacité de la vivre pleinement. Ils reconnaissent ainsi davantage la valeur de ce nouvel état et ils investissent plus la relation avec leur enfant. De cette manière, les vécus négatifs de la stérilité sont oubliés et les facteurs déjà mentionnés jouent un rôle protecteur en permettant un fonctionnement familial sain et source de plaisir.

85Malgré les résultats rassurants des recherches empiriques, la pratique clinique nous amène à rencontrer des enfants qui souffrent des conséquences des conditions particulières de leur venue au monde. La non-élaboration par les parents du vécu traumatique de la stérilité et des problèmes qui sont soulevés par la PMA semble être l’élément décisif qui conditionne l’expression des troubles chez l’enfant. Sans prendre une position extrême qui considérerait les PMA comme une cause unique enfermant l’enfant dans un devenir prédestiné, il ne faut pas sous-estimer non plus ses conséquences quant à la formation de l’identité de l’enfant et quant à sa possible participation à l’étiologie de certains troubles psychologiques chez les enfants concernés.

86Sur un plan psychanalytique, il va de soi que le rôle des PMA sur le développement de l’enfant ne peut être conçu qu’au sein d’un modèle polyfactoriel renvoyant au concept freudien de " série complémentaire ". Dans cette perspective, le maniement de la relation avec les parents ayant recours aux PMA se doit donc d’être extrêmement prudent sur le plan éthique, afin de ne pas donner lieu à un processus inacceptable de culpabilisation.

87Il y aurait lieu sans doute d’approfondir les dynamiques différentes du désir d’enfant et du désir de grossesse dans le cadre de ces situations particulières, mais tel n’était pas notre propos, ici. Nous voulions seulement insister sur la revue de la littérature internationale qui permet, aujourd’hui, de penser que le devenir des enfants nés par PMA ne se trouve marqué par la survenue d’aucune difficulté psychologique ou psychopathologique spécifique.

88Hiver 2006

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Mots-clés éditeurs : Relation parentale, Développement de l'enfant, Procréation médicalement assistée

Date de mise en ligne : 01/04/2007

https://doi.org/10.3917/psye.492.0573

Notes

  • [1]
    Pédopsychiatre, professeur associée de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Faculté de Médecine, Université d’Athènes.
  • [2]
    Pédopsychiatre-psychanalyste, chef du service de Pédopsychiatrie de l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris) et professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université René-Descartes (Paris-5).
  • [3]
    FIVET : Fécondation in vitro et transfert d’embryons.
  • [4]
    ICSI : Intra-Cytoplasmic Spermatozoid Injection.
  • [5]
    GIFT : Gametes Intra-Fallope Transfert.
  • [6]
    ZIFT : Zygote Intra-Fallope Transfert.

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