1Les troubles du comportement alimentaire sont généralement décrits au féminin, pourtant dès 1694 Morton évoque le cas d’un garçon anorexique, fils d’un pasteur de ses amis [49]. Certes, la prévalence de ces pathologies est beaucoup plus importante dans la population féminine même si les statistiques semblent sous-évaluées [58]. En 1979, Bhanji [9] étudia les attitudes comparées des psychiatres et des internistes vis-à-vis de l’anorexie et fut surpris de constater que 40 % des internistes et 25 % des psychiatres pensaient que l’anorexie mentale n’existait pas en tant que telle chez le garçon. Ces pourcentages rendent compte à la fois de la rareté du phénomène et de sa méconnaissance.
2La description des troubles alimentaires en tant qu’entité à part entière n’est apparue qu’en 1970 avec les travaux de Feighner et elle s’est appuyée sur les formes féminines en dépit de descriptions masculines qui restèrent ponctuelles. La caractérisation des différents types de troubles s’est poursuivie jusqu’en 1994 avec l’apparition des critères du DSM-IV [2].
3Comme pour les observations féminines, c’est l’anorexie mentale qui a été le plus étudiée chez les hommes. Pourtant, la pertinence de ce syndrome chez le garçon n’est considérée comme incontestable que depuis une vingtaine d’années. Celas’explique en partie par la part diagnostique faite à l’aménorrhée et en partie par l’évolution supposée de l’anorexie mentale masculine, censée précéder l’éclosion d’une psychose [14].
4Ainsi, pour de nombreux auteurs, deux questions restent posées :
- L’anorexie mentale telle qu’elle a été définie chez les filles existe-t-elle chez les garçons ?
- Si elle existe, est-elle identique à ce que nous observons chez les filles ?
5Notre réflexion s’appuiera sur deux démarches complémentaires. Nous essaierons d’une part de faire le point sur l’anorexie mentale masculine à travers cette double interrogation, à partir de la littérature internationale d’obédience cognitivo-comportementale pour la majorité des articles. D’autre part, nous exposerons notre propre expérience clinique à partir de l’étude des situations de 16 garçons hospitalisés dans notre service avec le diagnostic d’anorexie mentale. Une observation plus détaillée de l’évolution de l’un d’eux illustrera l’intérêt d’un éclairage psychodynamique.
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Vers une description de l’anorexie mentale masculine
6Il s’avère difficile de se faire une idée précise des données épidémiologiques concernant l’anorexie mentale masculine d’après les données de la littérature. Le nombre d’études est en effet très réduit et elles sont d’origine anglo-saxonne pour la plupart d’entre elles. Au niveau de l’incidence, le chiffre moyen de 0,20/100 000 habitants est habituellement retenu [32], [57], [43]. Seul, Lucas et al. (1991) [37] rapportent une incidence à 1,8/100 000 habitants par an. Ce taux d’incidence dix fois plus élevé s’explique par le fait que le mode de recrutement ne se limite pas aux formes nécessitant une hospitalisation, contrairement aux études précédemment citées.
7Par ailleurs, il existe très peu d’études en population générale concernant la prévalence. À notre connaissance, il n’existe que quatre études, centrées sur une population adolescente avec des résultats allant de 0 à 0,09 %. La faible prévalence de l’anorexie mentale masculine rend nécessaire la réalisation d’études sur de vastes échantillons pour rendre compte du phénomène étudié, ce qui rend difficile l’interprétation d’études effectuées sur de petits effectifs. Ainsi des travaux ne dépistent aucun cas d’anorexie mentale masculine. Cependant, cette pathologie apparaîtrait [32] plutôt chez le jeune adulte qu’avant 15 ans.
8À partir de la seule véritable étude en population générale adulte, Woodside [60] a trouvé dans un échantillon représentatif de la population canadienne (N = 9 953) un pourcentage de 1 % de forme complète ou partielle d’anorexie masculine selon le DSM-IV (respectivement 0,16 et 0,76). Ce chiffre paraît très élevé. Nous pouvons cependant supposer que d’avoir pris en compte les formes partielles surestime la prévalence, mais cela indique aussi que la fréquence est probablement habituellement sous-estimée, en raison d’un diagnostic plus difficilement acceptable et repérable.
9Tout comme chez la fille, l’incidence serait en augmentation depuis vingt ans [45]. Il est difficile d’en déterminer les causes : citons une meilleure connaissance du syndrome par les médecins, une progressive indistinction masculin/féminin dans les standards sociaux assortie d’un intérêt croissant pour l’esthétique masculine [29]. Loin de penser que les facteurs socioculturels sont à l’origine des troubles, nous pouvons cependant supposer que ces facteurs modèlent l’expression des difficultés de réaménagements psychiques de l’adolescence. Car c’est bien une pathologie de l’adolescence. Les diverses séries sont relativement homogènes et situe la moyenne entre 16 et 19 ans [21]. L’évolution est le plus souvent longue et l’accès aux soins est tardif, entre un et trois ans après le début des troubles, mais il tend à diminuer dans les études plus récentes. Une obésité prémorbide est souvent présente [27], [48], [13]. Ainsi, avant de débuter une conduite restrictive, les hommes pèsent 25 % de plus que le poids moyen observé dans la population générale [38].
10Dans la population des patients anorexiques masculins, les catégories socioprofessionnelles favorisées sont plus représentées, mais cette observation fait l’objet de controverses. En effet, nous pouvons expliquer en partie le relevé d’une forte prévalence dans les classes les plus aisées par une accessibilité plus facile aux soins médicaux. Par ailleurs, il existe une relation inversée entre le statut économique et social et la perception d’un poids trop important, comme l’ont montré les travaux de Mickalide [40]. Thompson [54] et Andersen [6] signalent la fréquence élevée de l’anorexie chez les danseurs, les mannequins, les lutteurs, les marathoniens, les jockeys ou encore les nageurs, professions ou activités qui ont toutes en commun de maintenir permanente la préoccupation du poids et un certain idéal de la minceur.
11Les principaux facteurs déclenchants décrits sont des expériences de séparation (décès d’un proche, déménagement, départ d’un membre de la famille) ainsi que des périodes de moqueries de l’entourage sur le poids [48]. Les principaux antécédents familiaux trouvés sont l’alcoolisme paternel et les troubles thymiques [48], [13].
12" La conduite anorexique masculine associe restriction alimentaire, hyperactivité physique et plus ou moins fréquemment, selon les études, vomissements et abus de laxatifs. Ces garçons anorexiques ressentent une peur panique de perdre le contrôle de leur poids, le plus souvent associé à une distorsion de l’image de leur corps. " Cette description de Steiger (1989) [51] rallie la totalité des auteurs.
13L’hyperactivité physique est à mettre en rapport avec la peur de grossir, et surtout le dégoût de toute forme de matière grasse. Les garçons anorexiques sont imprégnés d’images masculines de sveltesse, obtenues à grand renfort de musculation et de pratique sportive.
14Les principaux auteurs décrivent l’importance des vomissements et de prise de laxatifs de même que l’association à la symptomatologie anorexique de crises de boulimie (50 % des cas) [42], [28], [11], [48]. Les complications somatiques (anémie, hypotension, ostéoporose) classiquement décrites chez les filles sont également présentes chez les hommes [50], [13], [3].
15La sexualité n’est évoquée par le patient qu’avec difficulté et révèle une grande pauvreté, tant au niveau de l’expérience que des représentations mentales. Les contacts avec le sexe opposé s’avèrent peu fréquents, tandis que la vie fantasmatique est généralement souvent réduite et les hommes anorexiques montrent un degré considérable d’anxiété à l’égard des activités sexuelles [26]. Cette baisse ou inactivité sexuelle est attribuée par certains auteurs à une baisse de la testostérone due à l’amaigrissement, ce qui pourrait correspondre à l’aménorrhée de femmes anorexiques [40]. Cependant, une autre étude conduite par Andersen [6] suggère un taux de testostérone bas préexistant aux manifestations alimentaires.
16La fréquence de l’homosexualité est importante : entre 25 % [25] et 58 % [46], mais ces chiffres sont sujet à des interprétations prudentes. Ce qu’ils indiquent, c’est une difficulté importante chez ces adolescents à faire face au renoncement de la bisexualité et à s’engager vers une identité sexuée. Par ailleurs, Hassan et Tibbets [25] notent un manque notable " d’auto-affirmation de leur masculinité " ou d’identification à d’autres hommes. Ils concluent en parlant de peur de la virilité et de peur du rôle à jouer par rapport à l’autre sexe. Fichter et Daser [20] soulignent également que beaucoup d’hommes de leur échantillon disent avoir préféré étant enfant des jeux mettant en scène un rôle féminin et 20 % auraient préféré être une fille. Plusieurs auteurs ont montré qu’une interrogation sur une possible homosexualité précédait l’installation du trouble jusqu’à 50 % des cas des patients masculins [16], [17], mais ces chiffres ont été contredits par d’autres études en particulier celle de Thompson [54]. Par ailleurs, Herzog [26] a fait l’hypothèse que les hommes homosexuels anorexiques recherchent plus facilement de l’aide que les hommes hétérosexuels pour une maladie " dite de femme ", ce qui biaiserait les études. Enfin, le taux d’insatisfaction à propos de leur corps est plus élevé dans la population homosexuelle [29].
17La majorité des études concluent qu’il n’existe pas de liens entre l’anorexie mentale et les troubles psychotiques. En revanche, il existe fréquemment une comorbidité avec les troubles de l’humeur, les troubles obsessionnels et la consommation de toxique [48], [58]. Pourtant, dans leur étude nationale des dossiers des vétérans américains hospitalisés en 1996 (N = 466 590 hommes), Striegel-Moore et al. [52] confirment l’importance de la comordidité psychiatrique de l’anorexie mentale masculine (92 % des cas) en particulier avec les troubles thymiques, la consommation de toxiques mais aussi la schizophrénie. Cependant, la population étudiée n’étant pas représentative de la population générale, il est difficile de généraliser les résultats. Kearney-Cooke et al. [33] montrent l’association entre l’anorexie mentale chez les garçons et les traits de personnalité dépendante, évitante et passive agressive.
18Sur le plan catamnestique, la famille du patient anorexique n’a guère plus de spécificité que tout autre type de famille [45]. Cependant, Albert et al. [1] décrivent les familles d’anorexiques masculins comme des familles qui semblent souvent " fonctionner sur un mode matriarcal, avec une relation d’interdépendance entre la mère et le fils anorexique ". Quant aux pères, ils voient dans l’anorexie de leur adolescent une protestation contre leur exclusion du système familial et se font souvent les porte-parole de leur fils dont ils pressentent les difficultés d’identité sexuelle.
19Ces adolescents anorexiques ont paru très dépendants de leur mère, comme en témoigne la place particulière qu’ils occupent au sein de la famille et leurs difficultés à établir des relations avec leurs pairs. Bruch [10] insiste sur la particularité des mères à imposer au développement de leur fils leurs propres conceptions au détriment de la personnalité propre de l’enfant et sur les difficultés d’adaptation de ce fils à vivre des situations où il doit faire preuve d’indépendance. Streenivasan [53] décrit " des familles marquées par des difficultés maritales et une hostilité ouverte entre le père et le patient d’une part et d’autre part une surdépendance entre le patient et sa mère ".
20L’appréciation du pronostic est très diverse. Crips et Burns [11] concluent à un pronostic favorable dans 44 % des cas, intermédiaire dans 26 % des cas et mauvais dans 30 % des cas. L’âge élevé au début de la prise en charge [11], l’absence d’activité sexuelle antérieure à la maladie [11], les relations familiales marquées par le non-dit, l’impossibilité d’exprimer ses affects [11], [35], l’investissement social en retrait [47], la durée élevée de la maladie [11] sont des facteurs de mauvais pronostic. En revanche, les capacités à réaménager des investissements extrafamiliaux [11], [31] ainsi qu’une capacité familiale à répondre à une thérapie familiale [11], [23] sont favorables à un meilleur pronostic.
L’anorexie mentale masculine sous l’angle de la comparaison avec les formes féminines
21En 1964, Koupernik [35] avait effectué une revue de la littérature et le sex-ratio variait entre 0 et 1 pour 4 filles. À cette époque, il est vrai, l’accord sur la définition même de l’anorexie n’était pas réalisé. Vandereycken [55], en 1984, à partir des études effectuées entre 1970 et 1980, recense 107 patients masculins dont seuls 38 répondent aux critères de Feighner et retrouve un sex-ratio compris entre 0,6 et 1 garçon pour 10 filles Il est donc classique de retenir le chiffre d’un garçon pour dix filles, mais la seule étude en population générale [58] retrouve des chiffres beaucoup plus élevés : 1 sur 2 en ce qui concerne les formes complètes ou partielles, 1 sur 4 pour les seules formes complètes.
22Margo [38] émet l’hypothèse que la différence de prévalence entre hommes et femmes pourrait s’expliquer par le fait que les hommes sont moins vulnérables que les femmes à développer une anorexie mentale à la fois au niveau biologique (génétique, hormonal), au niveau du développement émotionnel ainsi qu’au niveau de l’impact des facteurs sociaux.
23La distribution des âges de début est semblable chez les garçons et les filles : un petit groupe à début prépubertaire, la majorité à début typique pendant l’adolescence et, rarement, une survenue tardive après l’âge de 20 ans [7]. Pour le garçon comme pour la fille, l’âge de demande de soins se situe en moyenne entre deux et trois ans après le début de la maladie et la durée de traitement semble être la même pour les hommes et les femmes [14]
24En ce qui concernent les facteurs prémorbides, les différentes études ne trouvent pas chez les garçons les antécédents de maltraitance sexuelle que nous connaissons dans la population féminine [34], [58].
25Il existe une plus grande diversité sociale chez les garçons. En particulier, le statut professionnel des pères des jeunes filles anorexiques s’avèrent plus élevé que celui des garçons anorexiques. Le statut professionnel des mères ne semble pas significativement différent, le plus souvent, elles n’ont pas d’activité professionnelle [1]
26S’il ne semble pas y avoir de différence au niveau de la place dans la fratrie ou des événements de vie, les antécédents familiaux du garçon anorexique sont plus fréquents (troubles thymiques, alcoolisme paternel, dépression maternelle), ainsi que l’obésité familiale.
27Les aspects comportementaux plaident pour une similitude entre l’anorexie mentale masculine et féminine, même si les formes anorexiques restrictives pures sont plus rares. Quelques différences existent cependant : les hommes sont plus gros que les femmes au moment de l’installation du trouble, mais ils enregistrent des poids plus bas à certaines périodes de la maladie et en particulier au début de la prise en charge [14]. L’hyperinvestissement intellectuel est moins présent alors que l’hyperactivité physique est au contraire plus fréquente [39]. Les plaintes des hommes au sujet de leur poids, de leur forme corporelle sont assez différentes de celles de femmes anorexiques. En effet, comme l’a montré Andersen [6], ils se plaignent peu du nombre de kilos qu’ils pèsent, de la taille des vêtements qu’ils portent. Ils expriment plutôt un désir de perdre leur " graisse " afin de parvenir à une définition classique de l’homme musclé.
28Reste bien sûr le problème de l’aménorrhée, phénomène on/off dont l’équivalent n’existe pas chez l’homme. La testostérone et la fonction sexuelle diminue graduellement avec l’importance de la dénutrition [6], mais comme chez les filles cette diminution n’est pas liée uniquement à la dénutrition.
29L’étude menée par Herzog et al. [26] compare les hommes et les femmes du point de vue des expériences sexuelles. Les auteurs rapportent que les hommes ont moins d’expériences sexuelles prémorbides que les femmes et qu’ils étaient moins engagés dans une relation affective au moment de l’évaluation. De plus, les hommes ressentent plus d’insatisfaction vis-à-vis de leur identité sexuelle.
30Woodside et al. [60] montrent que l’homosexualité est accrue dans l’échantillon masculin comparé à l’échantillon féminin. Est-il cependant pertinent de comparer deux situations psychopathologiques aussi différentes que l’homosexualité des filles et celle des garçons ? Crisp et Burns [15] contestent ces résultats et ne trouvent aucun élément permettant d’affirmer qu’il existe des problèmes d’identité sexuelle durables et plus importants chez les hommes que chez les femmes. Retenons que dans les deux sexes, se manifestent fréquemment des difficultés d’identifications sexuelles au moment de l’adolescence.
31Beaucoup de cliniciens ont donné à l’anorexie du garçon l’importance d’un symptôme psychotique mais de nombreuses études (Rosman et Minuchin, Dally et Gomez, Basquin et Fortineau, cités par Jeammet [30]) ont montré une évolution similaire dans les deux sexes. Crips et Burns [15] soulignent que dans leur étude comparative, rien ne leur permettait de dire qu’une psychopathologie anormale ou plus sévère était nécessaire pour qu’un homme développe une anorexie.
32Striegel-Moore [52] et Woodside [60] montrent cependant une association entre l’anorexie mentale et la consommation de toxiques (en particuliers l’alcool), ce qui n’est pas habituellement décrit chez les femmes anorexiques [22]. Mais lorsque la dimension boulimique apparaît au premier plan, ces différences hommes/femmes tendent à disparaître.
33Les résultats sont très contradictoires concernant le pronostic et il est difficile de transposer les critères objectifs de guérison des filles aux garçons [23], [48]. La mortalité chez les garçons est moindre dans la plupart des séries, cependant on admet pourtant que le pronostic est identique chez les garçons et les filles [51].
34Le contrat de poids est plus délicat à établir, en particulier en raison de la croissance staturo-pondérale [55]. Le traitement est réputé plus difficile chez les garçons en raison de l’importance des transgressions, mais Andersen [4] rappelle qu’il est sûrement plus difficile d’accepter l’hospitalisation pour un garçon, hospitalisation qui le conduit à être perdu dans un groupe numériquement dominant de filles, surtout si nous retenons l’hypothèse d’un questionnement douloureux autour de l’identité sexuée. D’ailleurs, Woodside [59] ne constate pas de différence entre hommes et femmes dans le suivi des anorexiques au cours d’une prise en charge en hôpital de jour.
35En conclusion, en dehors de l’obésité prémorbide et des préoccupations corporelles centrées sur le muscle, il n’y aurait pas de différences entre les formes masculines et féminines d’anorexie mentale. Qu’en est-il de notre propre expérience ?
CLINIQUE DES GARçONS HOSPITALISéS
36Nous avons accueilli 16 garçons dans notre service entre 1996 et 2002 avec le diagnostic d’anorexie mentale et dans le cadre d’un contrat de poids en deux temps avec une période de séparation. Les situations cliniques, sont assez disparates.
L’âge
37Nous pouvons distinguer deux groupes de patients en fonction de l’âge avec 10 garçons qui ont été hospitalisés pour la première fois après 15 ans et 6 garçons qui l’ont été avant 15 ans, et parmi eux 4 avant 14 ans. Nous verrons plus loin que ce critère d’âge permet de séparer des situations cliniques notablement différentes.
Le poids, le comportement alimentaire, les stratégies de contrôle
38La grande majorité se trouve dans un état proche de la cachexie : 10 ont un BMI (Body Mass Index) 15 (dont 3 13). Les autres ont un BMI compris entre 15 et 17,5. Selon les critères actuels, tous avaient un poids inférieur à 85 % du poids considéré comme normal (DSM-IV) et avaient un BMI 17,5 (DSM-IV + ICD-10).
39Compte tenu de nos critères d’hospitalisation liés à la notion de risque vital sur le plan somatique, il n’est pas possible de retenir le poids comme un repère de différenciation clinique entre les garçons et les filles souffrant d’anorexie mentale. Ces garçons sont amaigris, voire cachectiques. Cet amaigrissement efface incontestablement les différences entre les sexes, mais il est plus facile de considérer que les filles ressemblent aux garçons que l’inverse (pas de seins, pas de fesses, pas de hanches, et parfois trop de poils...). En revanche, quand les garçons reprennent du poids, leur allure tend à se " féminiser " et c’est alors que fréquemment se pose la question d’un trouble de l’identité sexuelle.
40Il nous semble que l’amaigrissement dans les deux sexes contribue à entretenir une indistinction quant à l’identité sexuelle. Les garçons ont comme les filles un trouble de la perception de l’image du corps et leur discours à ce sujet est assez semblable : déni de la maigreur, horreur du mou, du ventre rond, apologie du muscle dur, mais il est plus fréquent que ce trouble tende vers une véritable dysmorphophobie. On peut décrire la même horreur du féminin pour les garçons et pour les filles.
41Ils ont des troubles des conduites alimentaires dont la description en terme comportemental est superposable à ceux des filles. Même tri des aliments, mêmes phobies alimentaires, même dextérité dans la manipulation des aliments, mais le plus souvent la dimension boulimique est au premier plan, parfois massivement masquée par un jeûne total. Les stratégies de contrôle de poids sont les mêmes mais poussées à l’extrême : vomissements, potomanie, usage de diurétiques et de laxatifs...
42La place de l’hyperactivité dans cette stratégie de contrôle est particulièrement importante, valorisant le muscle, et correspondant plus souvent à la pratique d’un sport d’endurance tel que le cyclisme ou le marathon. On pourrait dire que par cet aspect les garçons anorexiques ressemblent aux filles anorexiques qui posent le plus de problèmes aux équipes de soins.
Sexualité, identité sexuelle
43Que dire du troisième élément classique de l’anorexie de la fille : à quoi ressemble l’aménorrhée du garçon ? Faut-il chercher la ressemblance ou l’équivalence dans le dosage des hormones sexuelles ? Il semble que les résultats soient très disparates.
44Comment mesurer de manière à la fois scientifique et respectueuse de la complexité des mécanismes fantasmatiques qui la sous-tendent l’ " absence ou la présence d’érection ". Nous avons le plus grand mal à reconnaître la validité dans ces situations des dispositifs expérimentaux utilisés en sexologie par exemple. Peut-on se fier à l’interrogatoire ? Une réserve tout aussi prudente semble nécessaire pour évaluer l’ " absence de désir ". Désir de qui, de quoi, pour qui pour quoi ? L’aménorrhée a cet avantage de pouvoir être au moins en partie objectivable, mais la sexualité des garçons comme des filles anorexiques est peut-être tout aussi mystérieuse.
45La première différence devrait sauter aux yeux puisque ce sont des garçons et non des filles. Le trouble de l’identité sexuelle souvent retrouvé n’est qu’exceptionnellement une confusion de genre du type transsexualisme. C’est beaucoup plus souvent une difficulté liée à l’intégration des composantes homosexuelles dans le développement de leur sexualité. Il est fréquent que l’intensité des identifications féminines, les effets d’abrasion des différences liés à l’uniformité du comportement, un certain maniérisme traduisant des difficultés identitaires plus profondes et le fait qu’ils soient hospitalisés dans des services spécialisés à forte prédominance féminine accentue cette ressemblance. Mais la plupart revendique leur identité masculine (certaines filles la revendique également).
Facteurs prémorbides, comorbidité, constellation familiale, facteurs socioculturels, antécédents familiaux
46Ces facteurs nous apparaissent différents en fonction de l’âge des patients.
47Parmi les plus jeunes, deux catégories de situations se différencient nettement :
- Trois d’entre eux ont présenté des troubles du développement dans l’enfance, avec un retard pubertaire mais sans retentissement sur le plan cognitif. Leurs familles sont " compliquées " mais le fonctionnement reste le plus souvent dans un registre proche de la névrose. Pour l’un d’entre eux, les mécanismes prévalents apparaissaient dans un registre névrotique obsessionnel. Son père dont il était séparé depuis la petite enfance souffrait depuis sa propre adolescence de troubles psychiatriques avérés ayant nécessité des soins spécialisés, des hospitalisations, notamment pour dépression avec tentative de suicide grave. Ce père présente encore actuellement des troubles des conduites alimentaires de type anorectique. Pour les deux autres, les mécanismes névrotiques paraissent fragiles, laissant place le plus souvent à des passages à l’acte (en particulier suicidaires) où des aménagements pervers se dessinent. Dans ces deux cas, les familles présentent des troubles et des conflits patents. Ces situations cliniques peuvent être aisément comparées aux anorexies mentales féminines que nous rencontrons.
- Les trois autres ont présenté des troubles plus graves du développement précoce, évoquant des processus psychotiques avec des séquelles cognitives, et se présentent donc à l’adolescence comme des dysharmonies psychotiques avec des éléments déficitaires et des troubles du comportement alimentaire qu’il est difficile de rapporter à une " anorexie mentale " classique. Pour l’un d’entre eux, on peut aisément reconstruire des antécédents de psychose précoce de type autistique évoluant à l’adolescence sur un mode dissociatif à peine masqué par un refus alimentaire sous-tendu par des éléments délirants. La pathologie familiale était évidente et très sévère, tout en associant des caractéristiques telles que des troubles alimentaires des parents et des sœurs, et un hyperinvestissement des activités sportives. Pour les deux autres, les troubles précoces de l’enfance évoquent plus une psychose symbiotique avec une évolution déficitaire. Dans ces deux cas, on retrouve une pathologie familiale très lourde (boulimie avec obésité grave de la mère et violence du père dans un cas, où est aussi évoquée la possibilité d’abus sexuels ; alcoolisme et violence du père, dépression grave de la mère, boulimie d’une sœur dans l’autre cas). Les situations familiales de ces enfants sont donc très gravement pathologiques. Certaines filles ont pu nous poser ce genre de problème, mais ne sont pas caractéristiques des anorexies mentales. Ce sont ces cas qui sur le plan de l’investissement intellectuel contrastent avec la description classique des filles.
48Quant aux 10 garçons plus âgés, à l’exception près, ils nous ont tous confrontés à des situations où, sur le plan clinique, les troubles du comportement alimentaire étaient plus organisés autour de la boulimie et des vomissements et associés à d’autres troubles du comportement, notamment la polytoxicomanie et l’alcoolisme. Leur fonctionnement psychique était soit envahi par des processus psychotiques prévalents, soit caractéristiques des états limites, et pour certains déjà organisé sur un mode pervers. Les situations familiales étaient toutes très franchement pathologiques (abandon, alcoolisme, troubles psychiatriques avérés).
- Pour huit d’entre eux, tous confrontés à des situations familiales très désorganisées, les troubles des conduites se sont exprimés depuis l’enfance à partir de situations cliniques évoquant des dysharmonies psychotiques.
- L’un de ces garçons, dont la famille était surtout caractérisée par l’évolution de troubles thymiques avérés du père, présentait un fonctionnement d’allure essentiellement névrotique, mais avec des aménagement pervers concernant essentiellement son comportement alimentaire et sa vie sexuelle.
- L’exception, enfin, concerne un garçon souffrant des séquelles motrices d’une infirmité motrice cérébrale, mais dont le fonctionnement par ailleurs n’était pas caractérisé par ces troubles graves de la personnalité dans une famille pourtant assez perturbée par des conflits importants.
49Tous ces cas se rapprochent, dans notre expérience, de certaines situations de filles présentant des troubles des conduites alimentaires avec une composante boulimique prévalente et pour lesquelles les soins sont tout aussi délicats à mettre en place, en particulier dans le cadre de l’hospitalisation à temps plein. Comme pour celles-ci également, le trouble alimentaire n’est que l’une des expressions d’un mode de fonctionnement addictif dont témoigne la dépendance à différents toxiques : alcool, cannabis, amphétamine. La répétition des tentatives de suicide est aussi plus fréquente.
50Si l’ " anorexie essentielle de la jeune fille " reste encore dans un certain nombre de cas une situation qui semble apparaître à l’adolescence, à partir de la puberté, après une enfance sans troubles apparents, sans troubles mentaux majeurs dans une famille se présentant comme " normale ", celle du jeune homme est incontestablement le plus souvent différente. Existe-t-il donc une " anorexie essentielle du jeune homme " ?
51Que la première consultation soit précoce ou plus tardive, on retrouve dans la grande majorité des cas des signes évidents de souffrance psychique précoce dans le développement de ces enfants. Ces troubles peuvent aller de véritables moments de repli autistique secondairement surmontés au prix d’aménagements pervers ou obsessionnels graves, à d’authentiques dysharmonies d’évolution à versant psychotique et/ou déficitaire, en passant par des expressions psychosomatiques ou par des dépressions sévères de l’enfant. Ces histoires infantiles aboutissent à des tableaux cliniques pouvant aller, à l’adolescence, de la schizophrénie à la mélancolie, à la dépression ou à la névrose obsessionnelle grave, en passant par les nébuleuses des états limites, de la psychopathie, de la perversion ou des dysharmonies. Un très faible nombre peut être considéré comme exempt de troubles mentaux majeurs. Sur le plan familial, les situations sont dans la grande majorité des cas caractérisées par des pathologies lourdes des parents, par des éléments traumatiques majeurs et par des dysfonctionnements familiaux graves.
52Toutes ces différences deviennent des ressemblances si on compare ces garçons à des filles concernées par des troubles graves des conduites alimentaires où la composante boulimique est au premier plan.
53Au total jusque-là, tous ces garçons, bien que concernés par un trouble alimentaire, peuvent difficilement être réunis dans une seule catégorie diagnostique et un petit nombre seulement semble pouvoir être comparé aux filles anorexiques. Ils sont différents les uns des autres et différents des filles. Comment dès lors parler de l’anorexie mentale du garçon comme si cela n’était qu’une forme clinique de l’anorexie de la fille ?
Des hospitalisations différentes, difficultés dans la prise en charge
54Les hospitalisations sont souvent demandées, proposées et organisées en fonction d’une situation symptomatique qui abrase les différences : un amaigrissement et des désordres biologiques qui imposent des soins en urgence en milieu hospitalier. L’indication ne se discute évidemment pas en fonction du sexe. En revanche, l’expérience de l’utilisation du même protocole thérapeutique basé sur la séparation et le contrat de poids permet de souligner une différence considérable : cet outil si efficace pour la majorité des filles se révèle d’un maniement beaucoup plus aléatoire pour les garçons. La grande majorité de ces garçons nous ont, en effet, posé des problèmes difficiles lors des hospitalisations, à la manière des plus difficiles des filles anorexiques que nous avons traitées. En effet, voici un aperçu général des hospitalisations :
- Tous sauf un ont eu besoin de multiples hospitalisations, et le seul qui n’en ait eu qu’une peut être considéré comme n’ayant réglé que très rapidement sur un mode boulimique la question du poids, laissant complètement de côté celle des soins nécessaires pour une très grave pathologie de la personnalité trouvant son origine dans des difficultés psychotiques de l’enfance.
- Sept patients ont dû être réalimentés par sonde, ce qui n’est pas un recours systématique pour notre équipe qui le réserve aux situations de risque vital immédiat. Parmi eux, 3 ont dû être admis en service de réanimation.
- Dix patients au moins ont fugué du service (d’autres ont été rattrapés de justesse).
- Neuf patients ont quitté le service sans atteindre les objectifs du contrat et, parmi eux, quatre sont sortis contre avis médical, deux ont été transférés dans des services de psychiatrie plus contenants, trois ont obtenu que l’équipe abandonne le contrat initial.
- Un garçon a dû être transféré en HDT dans son service de secteur, au-delà du poids de sortie, pour traiter un état mélancolique.
55Notons, à propos des patients du groupe des plus âgés, les particularités des hospitalisations du cas repéré comme une exception : celui qui présentait les séquelles d’une IMC (une hémiplégie) est le seul qui ait bénéficié d’une hospitalisation simple, unique, sans recours à la sonde, sans fugue, mais il semblait plutôt se trouver dans un état dépressif qui a favorablement répondu au traitement.
56Parmi les plus jeunes, les trois garçons atteints de troubles précoces et graves du développement de la personnalité ont certes pu reprendre du poids, mais pas toujours dans le cadre de l’hospitalisation dans notre unité, et surtout voient leur pronostic dépendre essentiellement de la possibilité de traiter leur pathologie principale. Sur les trois autres, qui sont ceux que nous avons finalement considérés comme les plus comparables aux filles anorexiques, un seul a atteint les objectifs fixés par l’hospitalisation. Un a rompu les soins en se maintenant dans un équilibre fragile, alors que l’autre est toujours suivi en ambulatoire dans le même fragile équilibre et avec des troubles inquiétants du comportement (en particulier des tentatives de suicide).
57Ce rapide survol des hospitalisations de ces garçons considérés comme anorexiques ne peut donc que donner un argument de plus pour penser qu’ils sont bien différents des filles anorexiques et que leur hospitalisation est bien différente de la majorité de celles proposées aux filles. La seule comparaison possible pourrait se faire pour certains de ces garçons avec les filles présentant des TCA associant anorexie, boulimie et vomissements (Binge eating / Purging).
Pronostic
58Soulignons, en ce qui concerne le pronostic, que si l’on ne retient comme seul critère que la reprise de poids, on pourrait considérer que tous ont évolué favorablement avec plus ou moins de difficultés. Mais notre satisfaction est beaucoup plus relative si l’on prend en considération l’ensemble de la situation psychopathologique. Cette évaluation nous semble par ailleurs extrêmement délicate.
- Pour les six plus jeunes : l’un, semble évoluer sans difficultés alimentaires et se dégage progressivement de ses contraintes obsessionnelles à la faveur de la poursuite de sa prise en charge (psychothérapie et entretiens familiaux). Un autre est complètement dégagé de ses troubles alimentaires, mais se trouve engagé dans un projet de soins au long cours d’une psychose schizophrénique. Deux sont toujours très entravés dans leur développement par les séquelles de graves dysharmonies d’évolution de l’enfance et peuvent avoir encore des troubles alimentaires. Deux, enfin dégagés du comportement anorexique, souffrent toujours des conséquences d’une grande vulnérabilité narcissique et s’expriment dans la sphère du comportement, sans possibilité d’un suivi cohérent.
- Pour les dix plus âgés : bien que sans nouvelles de quatre d’entre eux, nous ne pouvons que nous inquiéter dans la mesure où ils sont partis dans un mouvement de rupture, ayant basculé dans un comportement boulimique et polytoxicomaniaque, dans le prolongement des troubles graves de leur enfance. Pour trois autres, nous savons qu’ils ont en effet poursuivi leur évolution dans le sens de leur pathologie addictive. En laissant de côté la situation qualifiée d’exception du patient IMC qui va bien, deux autres garçons semblent évoluer favorablement, dans le cadre de suivis psychothérapiques prolongés, mais avec une composante d’aménagements pervers.
Ressemblances comportementales et différences psychopathologiques
59Si on ne prend en considération qu’une description comportementale et même en ce qui concerne l’évolution, il n’existe donc que peu de différences avec l’anorexie mentale des jeunes filles. Mais il faut souligner que très peu de garçons semblent concernés par une forme d’anorexie restrictive pure et qu’ils présentent au contraire, le plus souvent, une anorexie associée à des boulimies et vomissements. Ils posent donc, sur ce plan du comportement et de l’évolution, des problèmes comparables aux filles concernées par ces troubles des conduites alimentaires associant anorexie, boulimie et vomissements.
60La question est de savoir si cette abrasion des différences par le comportement recouvre des situations psychopathologiques comparables. En effet, de la même façon que ce comportement, une fois installé, aboutit à ce que l’on parle d’une " anorexique " et non d’une jeune fille présentant à un moment de son évolution une anorexie, on en arriverait à réduire les garçons à leur comportement et à considérer de manière prévalente ce qui les rend semblables entre eux et aux filles, plutôt que ce qui les différencie les uns des autres et en tant que garçons. La problématique de l’identité est assurément au cœur même des conflits psychiques sous-jacents aux troubles des conduites alimentaires.
61Le traumatisme pubertaire vient ébranler à nouveau les assises narcissiques de cette identité, réactiver les difficultés des différentes étapes du processus de séparation/individuation et mettre au jour les fragilités de l’équilibre entre les investissements objectaux et narcissiques qui apparaissent comme antagoniques. La puberté et ce qu’elle induit de modification dans la nouvelle confrontation à la situation œdipienne, et au sentiment d’incomplétude du sujet, agissent comme un véritable détonateur. Mais il est difficile de considérer que ces enjeux œdipiens soient identiques chez le garçon et chez la fille.
62La question du renoncement à la bisexualité ne peut pas se résoudre de manière identique dans les deux sexes. Les mouvements d’identification féminine mettent les garçons en porte à faux du point de vue de leur identité sexuée. En revanche, les identifications masculines entrent en conflit avec les liens d’attachement à la mère, d’autant que celle-ci vivait souvent l’enfant comme un double consolateur, représentant d’une figure maternelle, et qui donc ne saurait être différencié d’elle-même. En effet, l’avènement de la masculinité ne permet plus la persistance d’un lien fondé sur l’identique.
63À cela s’ajoute que le père n’entre pas ici en scène pour mener contre et avec le fils une lutte étayante et libératoire. Il est souvent lui-même en difficulté par rapport à ses propres repères identificatoires. Le fils se trouve trahi par ce père, qui reste collé aux décisions maternelles ou très à distance, et il se sent agressé par cette mère insaisissable, pour laquelle il sacrifie pourtant sa masculinité.
64Cependant, dans cette difficulté à affronter les conflits liés à la bisexualité psychique, il nous semble que le garçon chercherait à garder du masculin et du féminin plutôt que d’estomper les deux, comme tente de le faire la fille. Il serait davantage en prise avec un désir de bisexuation qu’avec un désir d’asexuation, ne pouvant tout à fait renoncer à son identité masculine.
65Les choix homosexuels pourraient alors traduire la conservation d’une masculinité associée à une demande de satisfaction féminine. À ce propos, on ne saurait se limiter à la seule question des actes ou des comportements pour approfondir cette question de l’homosexualité dans les troubles des conduites alimentaires, tant chez les filles que chez les garçons. Les conduites ou passages à l’acte homosexuels ne sont pas synonymes à cet âge d’un véritable choix d’objet homosexuel, pas plus que leur absence (ou au contraire chez certaines filles boulimiques une compulsion à collectionner des relations hétérosexuelles) ne témoigne d’une orientation définie de la sexualité. Les conduites sexuelles comme les conduites alimentaires peuvent avoir une valeur défensive par rapport aux mouvements pulsionnels inconscients.
66Cette difficulté à traiter de la différence entre les garçons et les filles anorexiques pourrait être un indice du niveau des conflits d’identité ou d’identification mis en jeu dans les pathologies de l’enfance et de l’adolescence. Il semble communément admis et assez simple de différencier dans leur compréhension psychodynamique et dans leur approche psychothérapique, les situations clairement repérées dans un champ névrotique chez le garçon et chez la fille, chez l’homme et chez la femme ; l’hystérie masculine, par exemple, n’est pas identique à l’hystérie féminine. Mais dès qu’un symptôme utilise de manière prévalente une expression par l’acte, ou par le corps, on semble tenté d’abraser les différences, surtout à l’adolescence.
67Quand la pensée ou la parole sont directement et profondément atteintes par les processus psychopathologiques, il semble bien que la question ne se pose plus ; traite-t-on différemment les enfants autistes en fonction de leur sexe ? Inversement, chaque fois que peut se poser, ou que s’impose cette question de la différence des sexes, c’est que l’on émerge de la confusion. L’effort pour percevoir et s’appuyer sur les différences semble plus structurant que la perspective homogénéisante.
68Cet effacement des différences n’est pas sans rapport avec la mode unisexe, avec le mythe non pas de l’égalité mais de la non-différence des sexes et amène aussi à s’interroger, sans nécessairement la remettre en cause, sur les effets de la réintroduction de la mixité dans toutes les institutions où vivent les adolescents et en particulier à l’école. Les phénomènes de groupe observés dans les classes des collèges et des lycées montrent bien la difficulté à admettre, affirmer, faire reconnaître que l’adolescence des filles ne passe sans doute pas au même moment et par les mêmes voies que celles des garçons.
69Ceux qui peuvent s’appuyer sur des bases suffisamment solides pour soutenir leur identité s’accommodent des réponses non différenciées de l’environnement. En revanche, ceux dont les repères sont plus fragiles sont peut-être " aspirés " par ce mouvement d’abrasion des différences. Il nous semble en tout cas que les équipes de soins recevant des adolescents, garçons et filles, ont tout intérêt à penser cette différence fondatrice de l’identité.
Observation de M... (18 ans)
70L’observation plus détaillée de l’évolution de l’un de ces patients et du déroulement des différentes phases de son projet de soins permettra d’illustrer notre propos.
71M... est âgé de 18 ans quand il consulte pour la première fois dans le service. Il est adressé par une psychanalyste à la suite d’une démarche entreprise auprès d’elle en vue d’une psychothérapie. Celle-ci s’inquiétant de la gravité de la situation symptomatique (dénutrition sévère et menaces suicidaires franches) décide de surseoir à toute idée de traitement analytique tant que n’aurait pas eu lieu une consultation dans le service spécialisé vers lequel elle proposait d’orienter la famille, ce qui sera vécu comme un camouflet et un abandon par M... qui d’emblée s’inscrivait lors de cette rencontre dans un transfert massif, brutal et peu différencié.
72Très rapidement, sa situation se dégradant sur le plan somatique, dans un contexte dépressif majeur avec " lâchage de ses défenses anorexiques ", M... doit être hospitalisé en urgence en réanimation médicale, puis transféré dans notre service. Il pèse alors 43 kg pour 1,82 m (BMI = 12,9) et sa kaliémie est à 2,2 mmol/l (du fait de vomissements importants et d’abus de laxatifs). Son état clinique est jugé très préoccupant : pâle, fatigué, des œdèmes remontent jusqu’au tiers de ses membres inférieurs, son cœur est ralenti. Il nécessite donc dans l’immédiat un repos strict et des soins de nursing très intensifs.
Histoire de la " maladie alimentaire "
73Les troubles des conduites alimentaires évoluent depuis plusieurs années, les premières manifestations pouvant être décrites dès l’âge de 11 ans. M... évoque en effet à cette période des préoccupations concernant son poids et l’aspect arrondi de son ventre. Apparaissent alors des comportements de restriction alimentaire, puis très rapidement des crises d’hyperphagie post-prandiale associées à un grignotage permanent, enfin des vomissements et une potomanie. Dès l’âge de 12 ans, M... a commencé à absorber de l’alcool de manière impulsive, " dipsomaniaque ", lors de moments anxio-dépressifs. À ces troubles, s’associent également de façon très précoce la consommation d’anorexigènes et de laxatifs. Il lui arrive même d’avaler du vinaigre dans l’espoir, dit-il, de dissoudre les aliments dans son estomac. La constitution de véritables " crises de boulimie organisées " en dehors des repas est quant à elle relativement récente (à l’âge de 16 ans).
74Mais c’est bien avant ces troubles du comportement alimentaire, et bien avant la puberté que M... a présenté de nombreux et intenses signes de souffrance psychique. En particulier dès l’âge de 3 ans, dans des moments de solitude, où il s’est mis à s’arracher les cheveux ou à se cogner violemment la tête. À différentes reprises, un traitement psychothérapique avait été proposé, notamment à l’âge de 5 ans, puis à 7 ans.
Histoire familiale
75Son histoire familiale particulièrement complexe ne peut être exposée ici que de manière allusive, condensée et incomplète. M... tente d’organiser cette complexité autour du personnage idéalisé du grand-père maternel, fondateur d’un véritable mythe familial, qui est mort cinq mois après sa naissance.
76La conception même et la naissance de ce garçon (premier petit-enfant et premier mâle) se situent dans un contexte d’extrême confusion au sein d’un véritable imbroglio familial où se perdent en particulier les repères entre les générations. C’est dès ce moment et pendant toutes les années de son enfance que M... va être plongé dans une ambiance de grande excitation et d’incohérence du fait de la désorganisation familiale avec des émergences pulsionnelles agressives et sexuelles très peu contenues et élaborées de la part de son entourage, installant l’enfant puis l’adolescent dans un rôle de complément sexuel et narcissique visant à réguler les difficultés personnelles du couple de ses parents et grands-parents.
77Ses parents n’ayant jamais vécu ensemble, il a été ballotté d’un jour à l’autre des bras de sa mère à ceux de son père, mais aussi à ceux de sa grand-mère et de sa tante ou de son oncle, sans aucune différenciation, au fil des conflits de rivalité d’une très grande violence ou des caprices des uns ou des autres. Il en garde le souvenir paradoxal d’avoir été à la fois un enfant " gâté " et de n’avoir pas eu plus d’existence qu’une " poupée de chiffon ". Il se revoit le plus souvent seul, inerte, vide, transbahuté de l’un à l’autre comme un objet. Parmi tous les cadeaux dont il pouvait être abreuvé, il dit n’avoir jamais reçu ce qui pouvait correspondre à son propre désir.
78Chacun de ses parents a connu des moments de grave détresse psychique pour lesquels ils ont dû être soignés, pour le père de manière partielle et inconstante, pour la mère longuement pour des troubles alimentaires. M... semble avoir été très tôt sensible aux variations thymiques de ses parents et de sa grand-mère maternelle, et s’être installé dans une position à la fois sacrificielle et d’objet régulateur indispensable ( " je ne pouvais pas leur en vouloir " " je suis maintenant las d’avoir eu à faire attention à tout " ), le faisant conclure rétrospectivement : " J’étais le cratère entouré de magma. "
79Les deux parents se sont l’un et l’autre mariés postérieurement à sa naissance et ont eu chacun un enfant ; M... a donc une demi-sœur, suivie elle aussi pour des troubles des conduites alimentaires évoluant vers une obésité avérée, ce qui va constituer une source d’excitation et de repoussoir pour M..., et un demi-frère qui, semble-t-il, ne présente pas de grandes difficultés. Notons enfin les suicides de deux cousins à l’adolescence qui témoignent des troubles familiaux sévères tant verticaux qu’horizontaux, et qui vont beaucoup parasiter la psyché de M... lorsque lui-même deviendra adolescent.
80Malgré cette situation complexe, et malgré cette souffrance précoce, M... a pu maintenir une scolarité brillante au point de pouvoir envisager d’intégrer une classe préparatoire s’il obtenait son baccalauréat. Mais c’est justement à la veille de cette échéance et de ce qu’elle pouvait signifier, en cas de réussite, de séparation d’avec ses proches et de nécessaire autonomisation qu’il doit être hospitalisé.
Les hospitalisations
81La première phase de l’hospitalisation doit donc répondre à cette situation d’anorexie mentale grave. Le projet de soins est celui qui est proposé dans ces situations : il est fondé sur un contrat de poids organisé en deux périodes successives de séparation et de retrouvailles.
82La négociation de ce contrat de poids se fait, comme toujours, avec M..., ses deux parents et l’équipe référente. Elle ne présente, au moment de la discussion, aucune difficulté – trop facile... elle ne laisse pas d’inquiéter dans ce qu’elle témoigne du peu d’implication des protagonistes qui s’en remettent totalement au symptôme et au cadre médical pour réguler la distance entre eux : séparation jusqu’à 54 kg (ce qui représente un BMI de 16,3) et sortie possible à partir de 62 kg (BMI de 18,7).
83Cette première hospitalisation va se révéler très difficile et se poursuivre pendant plus de dix mois. Ce sont d’abord les difficultés alimentaires qui vont poser de délicats problèmes : une alternance de prises de poids très rapides suivies immédiatement de pertes tout aussi rapides, puis de longues périodes de stagnation pondérale impose à un moment le recours à une réalimentation par sonde naso-gastrique pendant plusieurs semaines.
84Fait important : ces " sorties " rapides hors de l’enveloppe institutionnelle, même dans le cadre du contrat d’hospitalisation, véritables fuites dans la guérison, révèlent l’absence d’élaboration de la problématique en jeu puisque chaque reprise de contact avec la famille est suivie d’une régression symptomatique et d’effondrement dépressif.
85Mais les difficultés sont aussi liées à l’expression dans le comportement quotidien de troubles graves du développement de la personnalité révélant de très profondes failles narcissiques. Les troubles des mécanismes d’identification sont tels qu’ils soulignent les dysfonctionnements sous-jacents dans la constitution même de l’identité. Les tentatives de M... de s’intégrer au cercle des anorexiques présentes dans le service sont douloureuses et pathétiques, car si fortement mimétiques qu’elles apparaissent inauthentiques, comme désincarnées. Une expression de cette difficulté et de cette avidité est illustrée par une intense relation de collage identificatoire à une jeune fille anorexique longuement hospitalisée et considérée par le groupe des patients et par l’équipe comme l’" égérie " du mouvement de résistance aux soins institutionnels. Des mouvements homosexuels particulièrement affirmés ne révèlent que l’une des facettes d’une difficulté d’identification sexuelle particulièrement complexe.
86À certains moments, on assiste à de véritables mouvements régressifs nous faisant nous interroger sur des éléments de discordance évoquant une personnalité schizo ïde. À d’autres moments, nous sommes sollicités par de profondes désorganisations dépressives à la limite de la mélancolie. La constatation d’une structuration psychique " vacuolaire " en déséquilibre permanent, ne pouvant que se colmater partiellement et peu durablement par des passages à l’acte addictifs (un plein remplissant un vide), s’impose. La dimension d’abandonnisme et de carence est nette. Les tentatives de réponses médicamenteuses voient alterner des prescriptions de neuroleptiques et d’antidépresseurs au gré des évolutions symptomatiques, sans réelle efficacité.
87Des passages à l’acte auto-agressifs, suicidaires, et les " aménagements pervers " de la régression illustrés par les manipulations des aliments ou de la sonde apparaissent comme les seuls recours contre des menaces de désorganisations psychotiques ou de décompensations dépressives. On note, contrairement à ce qui est généralement observé chez bon nombre d’anorexiques féminines, l’absence de manipulation directe des soignants (mensonges, vols, tricherie), comme si l’intense dimension abandonnique et l’appétence affective pour trouver un étayage et une identification l’interdisait.
88Ces manifestations (passages à l’acte et effondrements) sont de fait exacerbées par toutes les variations de la distance relationnelle de la part des différents soignants, par toute situation évoquant soit un risque de perte, soit un trop grand rapprochement et une intrusion.
Post-cure
89Même une fois atteint et dépassé l’objectif du contrat de poids, la sortie se révèle impossible, tant s’est développée en substitution du trouble alimentaire et des autres conduites addictives une relation de dépendance addictive à l’institution, et tant les tentatives de reprises des relations familiales se révèlent déstructurantes. C’est finalement la prolongation des soins dans une institution de post-cure qui est proposée.
90Après plusieurs essais infructueux, M... est donc admis dans une de ces institutions avec un projet " soins-études ". Mais quelques mois plus tard, il doit de nouveau être hospitalisé en urgence à la suite de nombreux passages à l’acte. La symptomatologie a en effet mis en avant les autres dimensions de son fonctionnement addictif global en lien avec la carence affective première : M... multiplie les tentatives de suicide, les alcoolisations impulsives, les crises de boulimie et les achats compulsifs. Il s’est par ailleurs engagé dans des relations homosexuelles agies tumultueuses. Les objets addictifs humains comme non humains apparaissent ainsi peu différenciés, interchangeables et sont " utilisés " dans les situations de manque quasi indifféremment.
91Après cette courte réhospitalisation, M... quitte finalement l’institution de post-cure. Il renonce à poursuivre ses études.
La prise en charge ambulatoire
92Le projet de soins se résume alors à une prise en charge bifocale ambulatoire. Depuis la toute première consultation, le lien avec le psychiatre référent a en effet pu être maintenu et, avant la fin de la première hospitalisation, une psychothérapie a été entreprise avec une thérapeute de notre service.
93Un certain nombre de points permettent donc, à partir de cette observation, d’illustrer les différents chapitres que nous avons abordés :
- L’âge de début : on ne peut parler ici d’un début des troubles à l’adolescence ; c’est vrai pour les troubles alimentaires, contemporains du début de la puberté, mais ils apparaissent avant tout dans une étroite continuité avec les troubles plus précoces de l’enfance, avec les graves perturbations des toutes premières relations, avec la pathologie familiale.
- Sans pouvoir les détailler dans le souci de protéger la confidentialité, on ne peut éluder les " perturbations psychologiques sévères anciennes et actuelles dans le réseau familial " et leur effet délétère sur la construction de l’identité première et sexuée de l’adolescent, d’autant que leur permanence contribue à maintenir celui-ci dans une emprise psychique telle (surmo ïque et idéale) qu’elle lui interdit de facto toute satisfaction en dehors du cercle parental. En particulier l’affirmation homosexuelle, aussi agie soit-elle, semble avant tout un " garde-fou " accepté par le père et mettant à distance la lignée maternelle. D’autre part, l’échec à reprendre une scolarité chez un adolescent disposant de qualités intellectuelles certaines, y compris dans des domaines résonnant avec l’idéal grand-paternel (artistiques), figure chaleureuse et particulièrement malmenée par la famille, semble témoigner d’un appel impossible à cet " ancêtre idéalisé ".
- La description symptomatique, si on se contente du tableau présenté à l’admission, permet de retrouver une situation clinique de cachexie avec des troubles comparables à n’importe quelle anorexie mentale grave d’une fille ou d’un garçon.
- Le trouble de l’identité sexuelle est ici particulièrement évident et aboutit même à un moment de l’évolution à des pratiques homosexuelles, comme c’est le cas dans près de la moitié des cas d’anorexie masculine, selon les données épidémiologiques les plus récentes.
- L’idée même de " comorbidité " trouve ici une illustration caricaturale de son inanité lorsqu’elle n’est pas référée à une structuration psychique précaire instable et en devenir qui étaye tant bien que mal les risques de désorganisations par des passages à l’acte. Une bonne partie du champ de la psychopathologie peut être explorée : troubles thymiques, troubles de la personnalité, aménagements pervers, consommations de toxiques, épisodes de dépersonnalisation, tentatives de suicides...
- Se pose ainsi surtout, selon nous, la question de séquelles de troubles graves du développement précoce de la personnalité et de la constitution de véritables noyaux autistiques.
94Que dire maintenant du pronostic ou de l’évaluation de l’évolution ? M... est sorti de l’hospitalisation avec un poids correspondant à un BMI normal qu’il maintient encore actuellement. Le trouble alimentaire, tant dans son pôle restrictif que compulsif boulimique, a totalement disparu depuis deux ans. Les autres comportements addictifs (alcoolisation, passage à l’acte suicidaire et automutilations) se sont de même estompés au cours du suivi ambulatoire. Il se maintient en équilibre sur un fond de dépression anxieuse et, lorsqu’il cède à des moments de désarroi, plutôt que de retourner l’excitation vers lui dans un processus autocalmant, il " s’en prend aux objets ", comme il le dit, cassant volontiers vases, cendriers, etc. dans des crises de nerfs. Il ne maintient des relations avec son entourage familial que de façon épisodique. Ces capacités de mentalisation et d’élaboration sont étonnamment bonnes dans le contexte de carence décrit préalablement. Ce qui nous interroge sur la qualité du lien paradoxalement maintenu et chaleureux dans un contexte apparemment incohérent et déstructurant.
95Pour autant M... ne parviendra pas à s’engager et à se maintenir dans une activité scolaire après le Bac et exerce actuellement une activité professionnelle très en deçà de ses possibilités, comme si, plus qu’une impossibilité de se construire sur " un vide constitutif ", il était nécessaire pour lui de s’amputer des introjections de qualité de l’enfance qui demeurent source d’excitation majeure. Ainsi, ce qui semble avoir présidé à son développement dans l’enfance est moins une dimension de carence affective qu’un investissement dans le registre de l’emprise avec intrusions excitantes massives qui l’ont certes nourri, mais ne peuvent se maintenir en équilibre dans son appareil psychique et qui imposent à la psyché de la vomir.
CONCLUSION
96L’anorexie mentale masculine est une réalité clinique désormais affirmée à la lueur de l’ensemble des publications. Certes, la prévalence est moindre que dans la population féminine bien que le sex-ratio de 1/10 semble sous-évalué. Sur le plan comportemental et évolutif, il existe peu de différences avec l’anorexie mentale féminine. Cependant, les cas d’anorexie restrictive pure sont rares et les plaintes se situent davantage autour de la musculation. De même, l’hyperactivité physique est plus fréquente.
97Notre expérience clinique en regard de l’étude de la littérature sur ce sujet nous amène à soutenir l’intérêt de différencier les situations des garçons anorexiques aussi bien de celles des filles, que les unes par rapport aux autres. Alors que leur comportement amènerait à effacer toutes les différences, il nous semble important de prendre en compte la diversité des fonctionnements psychiques qui, comme pour les filles, recouvre toute l’étendue du champ de la psychopathologie de l’adolescence. Les études épidémiologiques n’apportent le plus souvent qu’un point de vue très global qui fait ressortir au premier plan les caractéristiques liées au comportement. Il semblerait utile de les compléter par des études cliniques de cas permettant de mieux décrire les nuances du fonctionnement mental.
98Ces hypothèses nécessitent la poursuite des travaux de recherche cliniques et épidémiologiques afin d’améliorer la compréhension de l’anorexie mentale masculine et permettre la conceptualisation d’une aide thérapeutique adaptée aux hommes et surtout à chacun d’entre eux.
99Printemps 2004
RÉFÉRENCES
- [1] Albert E., Mouren M.-C., Dugas M., La famille dans l’anorexie mentale masculine, Neuropsychiatrie de l’enfance, 1984, 32 (5-6), 309-313.
- [2] American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Washington DC, 1991.
- [3] Andersen A. E., Watson T., Schlechte J., Osteoporosis and osteopenia in men with eating disorders, Lancet, 2000, 355, 1967-1968.
- [4] Andersen A. E., Holman J. E., Males with eating disorders : Challenges for treatment and research, Psychopharmacology Bulletin, 1997, 33 (3), 391-397.
- [5] Andersen A. E., Eating disorders in males : Sociocultural norms, clinical course, biomedical factors, and outcome, Advances in the Biosciences, 1993, 90, 95-101.
- [6] Andersen A. E., Diagnosis and treatment of males with eating disorders, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 133-162.
- [7] Andersen A. E., Mickalide A. D., Anorexia nervosa in the male : An underdiagnosed disorder, Psychosomatics, 1983, 24, 1066-1075.
- [8] Basquin M. et Fortineau J., Un cas d’anorexie mentale de la jeune fille.., chez le garçon, in Rev. Intern. Péd., 1979, 90, p. 15-22.
- [9] Bhanji, Sadrudin, Anorexia nervosa : Physician and psychiatrists’ opinions and practice, Journal of Psychosomatic Research, 1979, 23, p. 7-11.
- [10] Bruch H., Les yeux et le ventre : l’obèse, l’anorexique, Paris, Payot, 1978.
- [11] Burns T. et Crips A. H., Primary anorexia nervosa in the male and female, International Journal of Eating Disorders, 1983, 2, p. 5-10.
- [12] Burns T., Crisp A. H., Outcome of anorexia nervosa in males, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 163-186.
- [13] Carlat D. J., Camargo C. A., Herzog D. B., Eating disorders in males : A report on 135 patients, American Journal of Psychiatry, 1997, 148, 1127-1132.
- [14] Chambry J., Corcos M., Guilbaud O., Jeammet P., L’anorexie mentale masculine : réalités et perspectives, Annales de médecine interne, 2002, 153, S3, 1S61-1S67.
- [15] Crisp A. H., Burns T., Primary anorexia nervosa in the male and female : A comparison of clinical features and prognosis, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 77-79.
- [16] Crisp A. H., Toms D. A., Primary anorexia nervosa or weight phobia in the male : Report on 13 cases. British Journal of Psychiatry, 1972, 1, 334-338.
- [17] Dally P., Gommez J., Anorexia nervosa, London, Heinemann, 1979.
- [18] De Azevedo M. H. P., Ferreira C. P., Anorexia nervosa and bulimia : A prevalence study, Acta psychiatrica Scandinivia, 1992, 86, 432-436.
- [19] Edwin D. H., Andersen A. E., Psychometric testing in 76 males with eating disorders, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 116-130.
- [20] Fichter et Daser, Symptomatology, psychosexual development and gender identity in 42 anorexics males, Psychological Medicine, 1987, 17, 409-418.
- [21] Flament M., Rémy B., Les troubles des conduites alimentaires chez le garçon, in A. Braconnier, C. Chiland, M. Choquet, R. Pomadère (eds), Adolescentes, adolescents, psychopathologie différentielle, Paris, Bayard, 1995, p. 92-114.
- [22] Garfinkel P. E., Garner D. M., Anorexia Nervosa : A Multidimensional Perspective, New York, Brunner/Mazel, 1982.
- [23] Hall A., Delahunt J. W. et Ellis P. M., Anorexia nervosa in the male : Clinical features and follow-up of nine patients, Journal of Psychiatric Research, 1985, 2/3, 19, 315-321.
- [24] Hartley P., Self-help groups for people with eating disorders : Is there a place for men ?, in B. Dolan, I. Gitzinger (eds), Why Women ? Gender Issues and Eating Disorders, London, European Council on Eating Disorders, 1991, p. 71-74.
- [25] Hassan M. K. et Tibbets R. W., Primary anorexia (weight phobia) in males, Postgraduate Medical Journal, 1977, 53, 146-151.
- [26] Herzog D. B., Bradburn, I. S., Newman K., Sexuality in males with eating disorders, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 40-53.
- [27] Herzog D., Normann B. et Gordon K., Sexual conflict and eating disorders in 27 males, Amer. Journal of Psychiatry, 1984, 141, 989-990.
- [28] Hsu L. K. G., Outcorne of anorexia nervosa. Review of litterature (1954 to 1978), Arch. Gen. Psychiatry, 1980, 37, 1041-1046.
- [29] Hubscher K., Craig J. (s.d.), Anorexia in men : The forgotten male, wwww. k45. net.
- [30] Jeammet Ph., L’anorexie mentale, Encyclopédie médico-chirurgicale, 1984, 37350 A10-2.
- [31] Jeammet Ph. et al., Le devenir de l’anorexie mentale, Neuropsychiatrie de l’enfance, 1984, 32 (2-3), 97-113.
- [32] Jones D. J., Fox M. M., Badigian H. M., Hutton H. E., Epidemiology of anorexia in Monroe Country, New York, Psychosomatic Medicine, 1980, 42, 551-558.
- [33] Kearney-Cooke A., Steichen-Asch P., Men body image and eating disorders, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 54-74.
- [34] Kinzl J. F., Mangweth B., Traweger C. M., Biebl W., Eating-Disordered behavior in males : The impact of adverse childhood experiences, International Journal of Eating Disorders, 22, 1997, 131-138.
- [35] Koupernik C. et Haguenau M., Anorexie mentale masculine. À propos de deux observations personnelles. Revue de la littérature, Revue de Neuropsychiatrie infantile, 1964, 12 (9), 506-514.
- [36] Lemaire A., Ardaens K., Lepretre J., Racadot A., Buvat-Herbaut M., Buvat J., Gonadal, hormones in male anorexia nervosa, International Journal of Eating Disorders, 1983, 2, 135-144.
- [37] Lucas A. R., Beard C. M., O’Fallon W. M., Kurland L. T., 50 year trends in the incidence of anorexia nervosa in Rochester, Minn. : A population-based study, American Journal of Psychiatry, 1991, 148, 917-922.
- [38] Margo J. L., Male anorexia. The Harvard Medical School Mental Letter, 1988, wwww. mentalhealth. com.
- [39] Margo J. L., Anorexia nervosa in males, a comparison with female patients, British Journal of Psychiatry, 1987, 151, 80-83.
- [40] Mickalide A. D., Sociocultural factors influencing weight among males, in A. E. Andersen (ed.), Males with eating disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 30-39.
- [41] Morande G., Celada J., Casas J. J., Prevalence of eating disorders in a spanish school-age population, Journal of Adolescent Health, 1999, 24, 212-219.
- [42] Morgan H. G. et Russell G. F. M., Value of family background and clinical features as predictor of long-term outcome in anorexia nervosa : Four year follow-up study of 41 patients, Psychological Medicine, 1975, 5, 335-371.
- [43] Nielsen M., The epidemiology of anorexia nervosa in Denmark from 1973 to 1987 : A nationwide register study of psychiatric admissions, Acta Psychiatrica Scandinavia, 1987, 81, 507-514.
- [44] Rastam M., Guilberg C., Garton M., Anorexia nervosa in a Swedish urban region : A population-based study, British Journal of Psychiatry, 1989, 155, 642-646.
- [45] Romeo F., Adolescent boys and anorexia nervosa, Adolescence, 1994, 29, 115, 643-647.
- [46] Schneider J. A. et Agras W. S., Bulimia in males : A matched comparison with females, International Journal of Eating Disorders, 1987, 6, 235-242.
- [47] Selvini M., Paradoxe et contre-paradoxe, Paris, ESF, 1978.
- [48] Sharp C. W. et Clark S. A., Clinical presentation of anorexia nervosa in males : 24 new cases, International Journal of Eating Disorders, 1994, 15 (2), 125-134.
- [49] Silverman J. A., Anorexia nervosa in the male : Early historic cases, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 3-8.
- [50] Siegel J. H., Hardoff D., Golden N. H., Shenker I. R., Medical complications in male adolescents with anorexia nervosa, Journal of Adolescent Health, 1995, 16, 448-453.
- [51] Stieger H., Anorexia nervosa and bulimia in males : Lessons from a low-risk population, Canadian Journal of Psychiatry, 1989, 34, 5, 419-424.
- [52] Stiegel-Moore R. H., Garvin V., Dohm F. A., Rosenheck R. A., Psychiatric comorbidity of eating disorders in men : A national study of hospitalized veterans International, Journal of Eating Disorders, 1999, 25, 399-404.
- [53] Streenivasan V., Anorexia in boys, Canadian Psychiatric Association Journal, 1978, 23, 159-162.
- [54] Thompson C., Men and Eating Disorders, 1996, wwww. mirror-mirror. org.
- [55] Vandereycken W. et Van Den Broucke S., Anorexia nervosa in males. A comparative study of 107 cases reported in the litterature (1970 to 1980), Acta Psychiatr. Scand, 1984, 70, 447-454.
- [56] Whitaker A., Johnson J., Shaffer D., Rapoport J. L., Kalikow K., Walsh B. T., Davies M., Braiman S., Dolinsky A., Uncommon troubles in young people : Prevalence estimates of selected psychiatric disorders in non referred adolescent population, Archives of General Psychiatry, 1990, 47, 487-496.
- [57] Williams P., King M., The " epidemic " of anorexia nervosa : Another medical myth ?, Lancet, 1, 1987, 205-207.
- [58] Wooside D. B., Garfinkel P. E., Lin E., Goering P., Kaplan A. S., Goldbloom D. S., Kennedy S. H., Comparison of men with full or partial eating disorders and women with eating disorders in the community, American Journal of Psychiatry, 2000, 158, 570-574.
- [59] Woodside D. B., Kaplan A. S., Day hospital treatment in males with ating disorders-response and comparison to females, Journal of Psychosomatic Research, 1994, 38, 5, 471-474.
- [60] Woodside D. B., Garner D. M., Rockert W., Garfinkel P. E., Eating disorders in males : Insights from a clinical and psychometric comparison with female patients, in A. E. Andersen (ed.), Males with Eating Disorders, New York, Brunner/Mazel, 1990, p. 100-115.
Mots-clés éditeurs : Identité sexuelle, Anorexie mentale masculine
Date de mise en ligne : 01/04/2007
https://doi.org/10.3917/psye.492.0477