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Article de revue

Attention visuelle et interaction mère/bébé : signaux précoces de la capacité à voir le monde

Pages 549 à 577

English version

INTRODUCTION

1Les aspects du développement et de la constitution si souvent discutés dans les milieux scientifiques exigent, aujourd’hui, l’investigation des phénomènes spécifiques impliqués dans la constitution de l’individu, incluant les processus organiques, psychiques et sociaux et leurs points d’intersection. La connaissance de ces processus pourra faciliter les actions préventives dans les secteurs de la santé, favorisant les interventions précoces sur les troubles possibles du développement et permettant la promotion de la santé mentale et du développement infantile.

2La qualité du contact initial entre parents et bébés est facteur de protection contre les psychopathologies infantiles ; les conditions précaires d’interactions affectives précoces constituent des risques d’abus, d’abandon et de négligence (Svejda, Campos et Emde, 1980). Des risques similaires peuvent être observés chez les bébés sous surveillance intensive néonatale, car cette situation entraîne une séparation brusque de la mère et mobilise différents sentiments dans la famille (Oliveira, 1999 ; Meyer, Zeanah, Boukydis et Lester, 1993).

3L’attention visuelle est soumise aux influences des facteurs endogènes et exogènes et constitue un élément important des processus interactifs. Les capacités d’accoutumance et de discrimination du bébé à une stimulation visuelle sont précoces et chaque fois plus nettes au cours des deux premières semaines postnatales (Montagner, 1993). Ces réponses visuelles du bébé attirent les parents près de lui, principalement quand ils sont le foyer de son attention (Brazelton, 1994). L’observation attentive de la mère envers son bébé est essentielle pour leur relation car, en répondant aux manifestations du bébé, elle assure et favorise son développement (David et Appell, 1973-1996).

4Chaque bébé possède son rythme pour maintenir ce processus interactif. Les bébés très sensibles à diverses stimulations et/ou qui y répondent peu ont besoin de l’assistance des parents ou de leur substitut pour atteindre une relation affective (Zero To Three/National Center of Clinical Infant Programs, 1997). À partir de cette relation affective réelle et significative, le bébé va acquérir la conscience de lui-même (David et Appell, 1973-1996). Durant les années 1970-1980, on a observé que les attitudes intrusives des parents peuvent déterminer des modes de fonctionnement augmentant les difficultés à maintenir l’attention dirigée sur une stimulation (Field, 1979 ; Field, Dempley et Shuman, 1983). La comparaison de la capacité d’attention en présence de stimulations inanimées n’a pas mis en évidence de différences significatives entre des enfants avec naissance à risque et des enfants ne présentant pas un tel risque (Field, Dempley et Shuman, 1983 ; Rose, Feldman et Wallace, 1988).

5L’attention paraît impliquer une relation interpersonnelle, servant de base pour que le bébé accrédite sa propre capacité à regarder et à être regardé. Après l’installation de sa vison binoculaire (entre deux et trois mois de vie), apparaît le visage de sa mère. Objet d’identification primaire, ce visage co ïncide parfaitement avec le champ visuel immédiat du bébé (Ali, 1993). Ainsi, les premières interactions se caractérisent par l’engagement de la dyade mère/bébé dans une relation mue par l’affection et par l’attention. La communication de la dyade, lorsqu’elle est malléable, offrira de nouvelles opportunités interactives (Reddy, Hay, Murray et Trevarthen, 1997). À 2 mois, le bébé est déjà passé par diverses expériences d’échanges affectifs déclenchant des empreintes motrices spécifiques (expression du visage, respiration, appareil buccal), spécialement associées à des émotions, base de la structuration de la mémoire et des représentations (Araújo, Ferreira, Kaefer, Brunstein, Momberger et Knijnik, 2000).

6Lebovici (1987) met l’accent sur le regard comme une des formes principales de communication initiale entre le bébé et la personne privilégiée qui prend soin de lui, la considérant comme le point d’ancrage du développement de chaque enfant. Toutefois, le déroulement de ce contact dépend également de la signification qui est donnée par la mère au regard de son bébé et à la capacité qu’elle possède pour répondre en accord avec le besoin de chacun d’eux. Stern (1992) considère le regard comme une importante voie d’échange social, d’intégration et de différenciation ultérieure entre la mère et le bébé, ce que corroborent les principes de Winnicott (1965-1990) : le visage de la mère et, spécialement, ses yeux facilitent pour le bébé la configuration d’une image de lui-même et l’intégration d’expériences affectives initialement désintriquées. Fraiberg (1987) avance que la découverte des objets humains et inanimés, par la voie des premiers contacts avec la mère, est à l’origine de l’acquisition de la notion de permanence de l’objet et de l’autonomie de mouvements que possèdent les objets. Feldman et Greenbaum (1997) montrent que synchronisation et harmonie maternelles contribuent significativement à la constitution de la capacité symbolique de l’enfant. Des études sur le développement de la vision ont mis en évidence, durant les périodes néonatales précoces, l’existence de différents niveaux de maturation des neurones exerçant une influence sur l’interaction entre les systèmes affectif et cognitif (Bayley, 1993 ; Horowitz, 1992). Tardos (1998) a trouvé des variations dans les formes d’attention manifestées par des bébés de 3 à 12 mois durant une session libre de jeux d’enfants, concluant que l’aptitude à l’attention soutenue ou concentrée est une des composantes importantes des capacités intellectuelles. De fait, l’attention présente trois propriétés : le renforcement des perceptions soumises à l’attention, la sélection des perceptions qui facilitent l’attention et l’accès de l’attention à la conscience (Houzel, 1998).

7Pour capter de nouvelles informations, il est important que le bébé puisse être attentif à chaque nouvelle stimulation sans perdre la capacité de l’explorer adéquatement. L’interaction avec la mère est fondamentale pour que ce mouvement survienne de manière intégrée, donnant du sens à chaque geste, par son attention conjointe avec le bébé autour d’objectifs communs, attendu que l’apprentissage dépend du contexte affectif dans lequel surviennent les premières expériences de contact avec le milieu ambiant externe (Golse, 1998 a, 2000). En outre, le bébé est très capable de transférer des informations reçues d’une source sensorielle à une autre (Golse, 1998 b). Avec cette capacité, l’attention du bébé peut être influencée non seulement par le regard, mais spécialement par l’affection incluse dans chaque geste, parole ou expression faciale de la mère ou de son substitut, car on sait qu’outre l’appareil organique initial, pendant la première année de vie, le bébé compte aussi sur un système de développement réglé à partir de l’interaction établie avec une figure de relation spécifique (Tardos, 1998).

8Intéressés par la relation existant entre affectivité, attention et apprentissage durant l’enfance précoce, Rose, Futterweit et Jankowsky (1999) firent une recherche sur les réponses des bébés aux stimulations visuelles spécifiques, considérant les types d’expressions affectives manifestées sur leur visage et la durée de leurs regards. Ils démontrèrent que, avec l’augmentation de l’âge, la maturation des processus mentaux et l’amplification de la capacité de discrimination allaient de pair avec des manifestations affectives plus nuancées, également associées à l’émergence du langage.

9Pour Golse (2000), l’émergence du langage survient à partir de l’attention visuelle conjointe mère/bébé dirigée vers les objets auxquels, antérieurement, fut assigné un sens symbolique partagé. Cela intervient dès les échanges affectifs précoces, quand la mère supporte le dos de son enfant, facilitant le regard mutuel. Graduellement, le bébé commence à regarder au-delà du visage de la personne qui prend soin de lui jusqu’à ce que lui-même puisse compléter le symbole et émettre le son correspondant à travers le langage verbal.

10La relation entre affectivité et développement est l’objet d’innombrables investigations. Les facteurs environnementaux sont identifiés comme agents modificateurs des structures cérébrales en formation, exerçant une influence marquante sur une telle relation (Schore, 2001). Les études consacrées à l’attention visuelle des bébés s’intéressent également à cette question. En cherchant à éclaircir les répercussions du contact initial avec le milieu sur l’attention et les processus qui s’ensuivent, quelques recherches se sont centrées sur des phénomènes spécifiques. Elles démontrent que les réponses du nouveau-né ne dépendent pas seulement de la stimulation visuelle première mais diffèrent selon son état de satisfaction interne et externe. Un tel état de stimulation et de satisfaction peut influencer le développement ultérieur (Gardner, Lewkowicz, Rose et Karmel, 1986). Les travaux de Bayley (1993) ont montré que la préférence du bébé pour une stimulation nouvelle peut suggérer la propension à l’exploration du milieu. En même temps, l’influence du milieu, et principalement l’interaction avec les parents, est primordiale pour le développement et l’application des capacités d’attention, de discrimination et de mémoire précoces.

11L’attention visuelle a donc été retenue pour notre recherche comme étant un des nombreux facteurs de développement influencés par les aspects interactifs et le milieu, pouvant avoir des répercussions importantes sur le développement du psychisme. Ainsi ont été établies les hypothèses suivantes :

12H1 / Il existe des différences dans l’interaction établie entre mère et bébé né avant terme et entre mère et bébé né à terme ;

13H2 / Il existe des différences entre l’attention visuelle des bébés nés avant terme et l’attention visuelle des bébés nés à terme ;

14H3 / Il existe des différences entre l’interaction mère/bébé présentant des habilités d’attention visuelle et l’interaction mère/bébé ne présentant pas d’habilités d’attention visuelle, indépendamment de la naissance prématurée.

15Dans notre investigation, nous avons inclus l’examen ophtalmologique des bébés ; ce que nous n’avons pas retrouvé dans d’autres travaux, alors que c’est une procédure fondamentale pour l’étude de l’attention et de ses interférences avec le développement psychique. En effet, toute limitation visuelle organique peut impliquer un préjudice dans cette relation, pouvant ainsi modifier les résultats de la recherche et ne pas permettre la vérification correcte des hypothèses.

POPULATION

1645 dyades mère/bébé, rencontrées dans le Service de suivi néonatal ambulatoire d’un Hôpital universitaire de Porto Alegre, participèrent à l’étude. Elles furent réparties en deux groupes : 20 dyades mère/bébé né avant terme (âge de gestation entre 32 semaines complètes et 37 semaines incomplètes), soumis à des soins intensifs néonatals ; 25 dyades mère/bébé né à terme (entre 37 et 42 semaines complètes de gestation), non soumis à des soins intensifs ou intermédiaires néonatals. Ont été exclus de la recherche : les dyades dont les mères avaient un passé de maladie mentale et/ou avaient fait usage de drogues illicites ou pharmaceutiques sans contrôle médical ; les enfants porteurs d’altérations chromosomiques congénitales, de lésions neurologiques du lobe occipital et/ou de pathologies oculaires ; les bébés d’âge inférieur à 52 jours ou supérieur à 68 jours au moment de la collecte d’informations relatives à l’interaction mère/bébé et à l’attention visuelle.

17La sélection des bébés a été faite de la façon suivante : à leur sortie de l’hôpital, un rendez-vous a été fixé à tous les bébés prématurés hospitalisés du mois de mars au mois d’octobre 2000 au sein de l’unité de thérapie intensive de l’hôpital, pour un suivi de leur développement psychologique, pédiatrique et neurologique.

18Le groupe des bébés nés à terme, de son côté, a été recruté dans les chambres voisines du même hôpital et à la même période que l’autre groupe. Une fois par semaine, le même jour, ont été répertoriés sur le registre de la maternité les six derniers bébés nés à terme durant les dernières vingt-quatre heures, qui se trouvaient dans la chambre avec leur mère et ne faisaient l’objet d’aucune remarque clinique. Ces dyades étaient invitées à profiter de l’accompagnement offert par le Service de suivi néonatal ambulatoire, en leur expliquant le fonctionnement de la recherche et en ne leur imposant aucune obligation. Aux mères qui ont accepté l’invitation, a été remis un courrier confirmant ce qui avait été dit verbalement et fixant un rendez-vous environ dix jours après leur sortie de l’hôpital.

19Au début, l’échantillon était composé de 56 dyades. Cependant, selon les critères d’exclusion établis, quelques-unes ont été exclues de la participation à cette recherche. Au sein du groupe des bébés nés avant terme, 20 dyades sur 27 ont été retenues. Parmi les 7 laissées de côté, une a été exclue en raison d’une pathologie oculaire du bébé identifiée lors de l’examen ophtalmologique, puis orientée vers une consultation spécialisée ; 5 se sont présentées en retard pour l’examen des deux mois du bébé, l’âge limite des 68 jours corrigés étant dépassé ; une ne s’est pas présentée à l’examen ophtalmologique.

20Pour le groupe des bébés nés à terme, parmi les 58 dyades rencontrées à la maternité, 29 sont venues à la première visite selon le rendez-vous fixé et 25 ont été maintenues au sein de la recherche. Parmi les dyades exclues de ce groupe, se trouvaient 2 bébés qui dépassaient l’âge limite des 68 jours en raison du non-respect de la date de la visite des deux mois et 2 bébés qui avaient dû subir des traitements après leur recrutement à la maternité.

21En respectant les critères préalablement fixés, se sont maintenues au sein de l’échantillon les dyades dont les mères ont autorisé l’utilisation des données collectées pour les fins de cette recherche, par le truchement d’un contrat de consentement dûment signé.

22Les variables suivantes ont été prises en compte : âge et scolarité des parents, revenu familial, situation conjugale, parité, maladie mentale familiale, usage de l’alcool et/ou du tabac, acceptation de la grossesse, préférence pour le sexe du bébé, type d’accouchement, sexe du bébé et type d’alimentation du bébé au moment de l’évaluation. Les groupes se sont montrés homogènes par rapport à ces variables.

INSTRUMENTS

23Les instruments de collectes d’informations utilisés furent : la fiche de registre du Service contenant les données d’identification et les données démographiques ; l’observation de l’interaction mère/bébé au moyen du Protocole d’observation de l’interaction mère/bébé (0-6 mois) (Schermann, Bohlin et Hagekull, 1997) ; l’évaluation de l’attention visuelle à travers des items sélectionnés de l’échelle Bayley Scales of Infant Development-II (BSID-II) (Bayley, 1993).

24La fiche de registre a été remplie avec les informations obtenues à partir de la fiche d’hospitalisation du bébé et avec les réponses de la mère à l’occasion du premier contact lors de la visite en ambulatoire. Cette fiche a permis, outre la collecte de données démographiques et d’identification, la vérification de la possibilité d’inclusion de chaque sujet au sein de l’échantillon, à mesure qu’a été constatée l’existence ou non de maladie mentale maternelle et d’utilisation de drogues illicites ou de produits pharmaceutiques sans contrôle médical par la mère durant la grossesse.

25Le Protocole d’observation de l’interaction mère/bébé a été utilisé pour mesurer l’interaction établie entre la mère et le bébé. Selon les critères de cet instrument, l’interaction de chaque dyade a été enregistrée durant trois minutes consécutives en situation de face à face, avec une caméra-vidéo fixe placée à une distance d’environ 1 mètre. Ce protocole fait l’inventaire d’aspects se rapportant aux manifestations de comportement de la mère, de l’enfant et de la dyade. Pour chacun des aspects étudiés, une pondération indique l’intensité et la forme du comportement manifesté. Au sein de chaque échelle de points, est décrit le comportement correspondant.

26L’attention visuelle des bébés a été mesurée à partir des 10 points de l’échelle Bayley Scales of Infant Development-II, utilisés spécifiquement pour la vérification de l’attention visuelle à l’âge de 2 mois. Les comportements à observer à chaque âge sont représentés par des questions spécifiques aux différents niveaux du développement. Cette échelle évalue alors trois secteurs de base du développement des enfants âgés de 1 à 42 mois : mental, moteur et comportemental. Chacun de ces secteurs inclut des points concernant les aspects spécifiques du développement infantile. Pour cette recherche, seules les questions destinées à la mesure de l’attention visuelle de bébés de 2 mois ont été utilisées, en considérant l’âge chronologique pour les enfants nés à terme et l’âge corrigé pour ceux qui sont nés avant terme, selon les critères de ladite échelle. L’ensemble des questions utilisées pour mesurer l’attention visuelle, à cet âge, se rapporte à la capacité de suivre une stimulation visuelle et à l’apprentissage visuel. Le total de points de ces questions a été calculé en accord avec les critères de l’échelle pour toutes les questions qui la composent, en considérant les réponses comme manifestes ou non manifestes.

27En plus de cela, tous les bébés ont été soumis auparavant à une évaluation ophtalmologique. Une étude pilote antérieure a permis de vérifier l’adéquation des instruments et de leur pondération pour ce que se propose notre investigation.

PROCÉDURES

28La collecte des données a été réalisée dans un service de suivi néonatal ambulatoire, lieu de référence en néonatologie où tous les bébés sortis de l’unité de thérapie intensive pour nouveau-nés sont suivis de façon régulière par une équipe interdisciplinaire composée de psychologues, de pédiatres, de neurologues, de pneumologues et de spécialistes des maladies infectueuses.

29L’investigation fut orientée sur la tranche d’âge de 2 mois. À cet âge, il existe déjà des indices des futures interactions affectives et de la capacité d’attention visuelle ultérieure (Bayley, 1993). Pour minimiser le risque du biais de recherche dû aux âges de gestations diverses, l’âge chronologique fut utilisé pour les bébés nés à terme et l’âge corrigé pour les bébés nés avant terme (Bayley, 1993 ; Lopes et Lopes, 1999).

30À la première consultation en ambulatoire, approximativement dix jours après l’autorisation de sortie de l’hôpital, les participants des deux groupes ont eu un premier contact avec le secteur de psychologie. Ainsi, les dyades reçurent les explications nécessaires sur la recherche et les mères signèrent le contrat de consentement où étaient inscrites les informations d’identification et de démographie et ont effectué la visite chez l’ophtalmologiste et la visite des deux mois. Les données d’identification ont été soigneusement examinées pour vérifier la possibilité d’inclusion de chaque participant au sein de l’échantillon. Le fonctionnement du Service de suivi néonatal ambulatoire a été à nouveau expliqué. L’examen ophtalmologique détaillé avec l’instrument spécifique a permis le dépistage d’un bébé ayant des symptômes de glaucome congénital qui fut alors envoyé pour recevoir les soins nécessaires, mais fut exclu de l’échantillon. Cet examen s’est effectué avec la collaboration d’un ophtalmologiste ayant l’expérience des enfants petits et qui ne connaissait pas le temps de gestation des enfants qu’il a examinés. L’examen étant réalisé en dehors de l’hôpital, les dyades reçurent une aide financière pour le transport. À la seconde consultation, lorsque le bébé a 2 mois, une observation de l’interaction mère/bébé et une évaluation de l’attention visuelle furent réalisées dans une salle préalablement préparée à cet effet. Les interactions furent enregistrées sur films vidéo durant trois minutes, à l’aide d’une caméra fixe. Pour l’évaluation de l’attention visuelle, il a été procédé conformément aux critères d’administration de l’échelle de Bayley (Bayley, 1993), l’évaluation des items en relation à l’apprentissage visuel a été également enregistrée pour une ponctuation précise. On a tâché de trouver un endroit le plus protégé possible des stimulations externes excessives, tels que bruits, lumière, objets. Afin de garantir le minimum de variation dans les réponses des bébés en fonction de l’âge, les limites inférieure et supérieure à l’âge de 2 mois prévu pour l’expérimentation étaient de plus ou moins huit jours. Pour vérifier si le critère d’âge corrigé pour les bébés nés avant terme et les limites de huit jours étaient adéquats, une analyse statistique a été réalisée qui n’a pas identifié de différence significative dans la moyenne d’âge entre les groupes au moment de la collecte de données.

31Pour l’observation de l’interaction, l’enfant était placé par sa mère en décubitus dorsal sur la table d’examen, celle-ci étant orientée pour qu’elle joue avec le bébé comme elle avait l’habitude de le faire à la maison. En maintenant le bébé dans la position couchée, la mesure de la capacité à suivre une stimulation visuelle à été faite selon les instructions d’administration de l’échelle de Bayley. Ensuite, l’enfant était assis sur les genoux de sa mère, le dos appuyé sur sa poitrine, en position inclinée la plus confortable possible. La situation étant enregistrée en film-vidéo avec une caméra fixe, le foyer optique basé sur les yeux de l’enfant, à une distance d’un mètre, dans le but d’accompagner avec précision ses mouvements oculaires.

32Au moment de la collecte des données par le moyen de l’observation de l’interaction mère/bébé et de l’application des questions de la BSID-II, les bébés devaient être réveillés, avec des couches propres et à mi-temps entre deux repas. Ils ne devaient présenter aucune maladie clinique qui puisse causer un préjudice spécifique à leur état général. Dans le cas où était détecté un quelconque empêchement pour la collecte fiable des données, celle-ci était reportée à une date ultérieure en respectant toujours les limites d’âge déterminées. Il convient de souligner que, à l’occasion de la collecte des données, les mères n’exerçaient pas d’activités professionnelles en dehors du domicile.

33Les observatrices qui cotaient chaque instrument travaillaient à l’aveugle des autres données recueillies durant les autres étapes et ignoraient le groupe auquel appartenait chaque bébé.

RÉSULTATS

L’interaction mère/bébé

34Le test non paramétrique de Mann-Whitney a été utilisé afin d’examiner les différences possibles dans l’interaction établie entre les mères et les bébés des groupes « avant terme » et « à terme ». Dans le tableau 1, on peut voir les résultats qui se rapportent aux items de la mère, démontrant que l’attention générale et l’expression d’affection négative des mères diffèrent, significativement, entre les deux groupes. Les mères du groupe « à terme » se montrent plus attentives aux signaux de leur bébé, exprimant moins d’affection négative que les mères du groupe « avant terme ».

35Tableau 1. — Protocole d’observation
de l’interaction mère/bébé :
items de la mère

Tableau 1

36On observe, toutefois, que les items « Contact visuel » et « Expression d’affection positive » tendent à différer entre les groupes (p = 0,078). Cette différence se manifeste dans la même direction, c’est-à-dire que les mères du groupe « à terme » tendent à établir plus de contact visuel avec leur bébé et à démontrer plus d’affection positive que les mères du groupe « avant terme ».

37Aucun item se rapportant au comportement du bébé durant l’interaction face à face et au comportement de la dyade n’a montré une différence significative entre les groupes étudiés.

L’attention visuelle

38Les résultats qui se rapportent à l’attention visuelle furent groupés en deux ensembles d’items, conformément à ce qui est proposé dans l’instrument d’évaluation : capacité à suivre la stimulation visuelle et apprentissage visuel.

39Le test non paramétrique de Mann-Whitney fut également utilisé pour identifier s’il existait des différences entre l’attention visuelle des bébés « avant terme » et des bébés « à terme ». Aucun des items retenus pour vérifier l’attention visuelle des bébés n’a montré une différence statistique significative entre les groupes étudiés.

Interaction mère/bébé et attention visuelle

40Pour vérifier l’existence de différences entre l’interaction mère/bébé des dyades avec bébés présentant des capacités d’attention visuelle et des dyades avec bébés ne présentant pas ces capacités, les bébés furent comparés du point de vue des comportements interactifs avec leur mère. Un test non paramétrique de Mann-Whitney fut utilisé pour cette analyse statistique.

41Le tableau 2 indique les résultats obtenus à partir de la comparaison entre les bébés qui répondirent et les bébés qui ne répondirent pas aux items de l’attention visuelle, montrant des différences significatives et des tendances en relation avec l’interaction mère/bébé.

42Tableau 2. — Interaction mère/bébé et attention visuelle

Tableau 2

43On peut observer, dans le tableau 2, que l’accompagnement de l’anneau en mouvement d’arc avec les yeux fut l’unique item en relation avec la capacité à suivre une stimulation visuelle qui ait présenté des tendances significatives en relation avec les items d’interaction mère/bébé, combinant le comportement interactif de la mère (sensibilité) avec les comportements interactifs du bébé (bonne humeur et quantité de pleurs). On peut vérifier que les bébés présentant cette habileté ont tendance à avoir des mères plus sensibles, à être de meilleure humeur et à pleurer moins que les bébés qui ne répondirent pas à la même stimulation.

44Les bébés qui discriminent un nouveau modèle visuel montrent à l’évidence, significativement, une plus grande intensité de réponse positive à la communication de la mère, plus de tentatives de contact verbal et/ou physique, plus de bonne humeur et une plus grande quantité de vocalisations, quand ils sont comparés aux bébés qui ne discriminent pas la même stimulation. Parmi les comportements interactifs maternels, l’expression d’affection négative tend à présenter une différence significative quand elle est comparée à l’habileté à discriminer, ce comportement étant plus courant chez les mères des bébés qui manifestent une telle habileté.

45Les comportements interactifs qui tendent à différer ou qui ont différé significativement, quand ils sont comparés à la démonstration de préférence visuelle, révèlent des résultats similaires dans le tableau 2. On peut vérifier dans celui-ci la préférence, pour notre échantillon, de la présentation de différences significatives quant à l’intensité de la réponse positive de la mère et à sa sensibilité, de manière que ces comportements apparaissent plus chez les mères des bébés qui répondirent à la stimulation que chez celles dont les bébés ne répondirent pas. Dans le même sens, le contact corporel de la mère et sa réponse au comportement social du bébé ont montré une différence significative dans la démonstration de préférence visuelle.

46Dans le tableau 2, on peut également voir que les comportements interactifs des bébés tendent à présenter une différence significative quand ils sont comparés à l’habileté de préférence à la nouveauté, car les bébés qui répondirent le plus aux communications maternelles présentèrent plus cette habileté. Les bébés présentant significativement une plus grande quantité de sourires ont répondu à la stimulation visuelle, tandis que les bébés ne répondant pas manifestèrent moins ce comportement.

DISCUSSION

47En écrivant la postface du livre de David et Appell, Loczy ou le maternage insolite, Tardos (1973-1996) souligne deux moments de recherche sur le développement du bébé ; un moment initial montrant la richesse et la variété des voies de développement et un moment actuel qui démontre combien la liberté du bébé dans ses activités et ses jeux influence les processus d’autorégulation de ses énergies et les variations et alternances des divers types d’activités et formes d’attention.

48La présente recherche a examiné les possibles signaux précoces du développement de l’attention visuelle comme un des aspects formateurs de la capacité de relation de l’individu avec le monde qui l’entoure (Reddy, Hay, Murray et Trevarthen, 1997). Des défaillances dans le processus initial d’acquisition des capacités d’attention peuvent se répercuter sur le développement affectif et cognitif (Rose, Futterweit et Jankowski, 1999) ; cela nécessite une meilleure connaissance des facteurs engagés dans de telles défaillances pour des interventions préventives adéquates, comme le suggèrent Kernberg, Weiner et Bardenstein (2000).

49Les comportements spécifiques d’attention visuelle, très tôt après la naissance, ont déjà fait l’objet de certaines recherches mettant en évidence les capacités visuelles précoces et suggérant des manières de les vérifier (Bayley, 1993 ; Paschoalino, 1999 ; Zin, 1999). Ces capacités initiales ne sont pas considérées comme déterminantes pour l’attention visuelle ultérieure, mais sont des signaux de niveaux de développement qui, avec d’autres indices du même ordre, méritent une attention particulière.

50Notre recherche a pris comme sujets des bébés âgés de 2 mois, sachant que, dans le processus de maturation initial, les bébés, durant cette période, montrent déjà des réactions émotionnelles et physiologiques claires en accord avec les stimulations externes qu’ils reçoivent et avec leurs caractéristiques personnelles (Atkinson, 1998 ; Bayley, 1993 ; Bornstein, Slater, Brown, Roberts et Barrett, 1997 ; Brazelton, 1997). Portant sur des bébés nés avant terme et des bébés nés à terme, une correction de l’âge pour les premiers a été nécessaire à l’investigation des facteurs proposés (Serra, 1995). En plus de cela, le contrôle des variables démographiques attesta l’homogénéité de l’échantillon.

51Dans ces conditions, l’hypothèse selon laquelle il existe des différences dans l’interaction établie entre les mères et les bébés nés avant terme et les mères et les bébés nés à terme – pour des bébés âgés de 2 mois – fut partiellement confirmée.

52Il est à noter que les groupes ne se montrèrent pas différents quant aux comportements des bébés et des dyades, mais le furent en ce qui concerne les comportements maternels. Cela suggère que, dans cet échantillon, l’interaction entre les mères et les bébés ne provient pas simplement des limitations organiques que la prématurité peut causer au bébé en tant qu’unique facteur inhibiteur des processus interactifs. Cependant, une plus grande capacité des mères du groupe « à terme » à être attentives aux signaux de leur bébé, tendant à leur montrer plus de tendresse comme forme d’expression d’affection positive à leur égard, a été mise en évidence. La tendance à rechercher plus de contact visuel avec leur bébé et à exprimer moins d’affection négative paraît donc refléter la possibilité de ces mères à regarder plus un bébé qui satisfait quelque chose de leur désir d’enfant idéal, confirmant leur capacité à être mère (Lebovici, 1987). D’autre part, les bébés qui naissent dans de bonnes conditions de santé se conforment à ce qu’on attend des enfants de leur âge et ainsi les mères qui leur sont attentives peuvent mieux prévoir leurs réactions.

53D’autre part, comme l’indiquent Meyer, Zeanah, Boukydis et Lester (1993), les changements cliniques rapides et imprévisibles des bébés nés avant terme avec risque néonatal suscitent une grande anxiété chez les parents, altérant leur responsabilité lorsqu’ils se sentent incompétents pour les protéger comme ils le voudraient. Parallèlement, Brazelton (1994) rappelle l’hypersensibilité aux stimulations auditives et visuelles commune aux bébés nés avant terme, exigeant une adaptation des parents pour la compréhension de leurs signaux. De plus, ces bébés ne correspondent pas à ceux imaginés durant la grossesse, la réalité ne reflète pas les attentes maternelles (Garcia et Polanco, 2000 ; Lebovici, 1987 ; McGrath, Lester et Boukydis, 1993). De même, malgré l’âge corrigé et plus de temps de vie commune extra-utérine, l’image du bébé fragile et la sensation de perte imminente paraissent persister dans l’esprit des mères. Quel que soit le contrôle qu’elles tentent de maintenir sur leurs sentiments de frustration devant le bébé réel qui ne correspond pas au bébé imaginaire, l’expression des affections négatives n’est pas contenue et se reflète dans la relation avec le bébé. Comme le mettent en évidence Meyer et ses collègues (1993), il est nécessaire d’offrir à ces mères des espaces pour faciliter l’expression des sentiments plus douloureux en relation avec la naissance prématurée de leur enfant, de manière à accepter le temps nécessaire pour chaque nouvelle conquête évolutive.

54Dans cette recherche, l’attention visuelle comme l’une de ces conquêtes, essentielle pour le développement individuel et relationnel, se manifeste de manière semblable chez les bébés nés avant terme et chez les bébés du groupe contrôle, à l’âge de 2 mois, respectivement corrigé et chronologique. Il n’existe donc pas de différences significatives de l’attention visuelle chez les bébés nés avant terme et chez les bébés nés à terme de notre échantillon. Cela suggère que la correction de l’âge fut adéquate, offrant la mise en parallèle des niveaux de maturation entre ces bébés et permettant un étalonnage de l’attention visuelle d’égale exigence dans les deux groupes. On peut également supposer que le critère d’exclusion des bébés chez lesquels l’examen ophtalmologique a décelé des pathologies oculaires pouvant porter préjudice à la capacité visuelle attendue pour cette tranche d’âge, a joué un rôle important dans cette étude. Important, non seulement pour la recherche proprement dite, mais principalement pour les bébés qui ont pu bénéficier d’une investigation précoce de leurs problèmes de vision. Au moment de l’évaluation, les bébés du groupe « avant terme » et les bébés du groupe « à terme » ne différaient pas quant au moment évolutif de maturation qu’ils vivaient, possédant des conditions organiques et physiologiques potentielles semblables pour un développement de capacités spécifiques, car il n’y avait pas de bébés à haut risque dans l’échantillon. Cela suppose également la possibilité de manifestation de caractéristiques comportementales semblables dans les deux groupes. Atkinson (1998) rappelle qu’il y a approximativement deux décades, on avait déjà constaté que, à 2 mois d’âge postnatal, le système visuel du bébé démontrait à l’évidence sa maturation. Rose, Feldman et Wallace (1998) avaient également suggéré que, à un âge très précoce, l’attention visuelle se manifestait déjà sous la forme de prémisses de discrimination simple.

55Le développement de ces compétences, cependant, ne paraît pas dépendre seulement de la maturation organique mais également des conditions externes à celle-ci. L’investigation de différences possibles dans l’interaction mère/bébé entre des dyades avec bébés présentant des habiletés d’attention visuelle et des dyades avec bébés ne présentant pas ces habiletés, indépendamment du facteur prématurité, a montré que les comportements maternels spécifiques et certains comportements du bébé se sont manifestés de manière distincte, à l’occasion de l’évaluation. Cela mène à croire que différentes réponses à l’attention visuelle impliquent différentes formes de manifestation de comportements interactifs.

56La réussite aux items de difficulté croissante de l’échelle de Bayley (1993) concernant l’attention visuelle exige un certain degré de maturation cérébrale servant de base aux compétences ultérieures. Indépendamment de tout autre facteur de risque médical néonatal, les bébés émettent des réponses d’attention visuelle différentes selon leurs rythmes propres et en relation avec le milieu, essentiellement avec ceux qui s’occupent d’eux directement (Bornstein et al., 1997 ; Brazelton, 1998 ; Montagner, 1993).

57Le fait de suivre l’anneau en mouvement d’arc en l’accompagnant des yeux – une des tâches les plus complexes – a montré que l’attention subit l’influence tout autant du seuil de sensibilité de chaque bébé aux stimulations externes et internes que des échanges affectifs qu’il établit. La bonne humeur de certains bébés, en même temps que les réponses des mères qui ont compris leurs signaux interactifs, les met en état d’alerte et leur assure une tranquillité suffisante pour regarder au-delà du visage maternel, utilisant le potentiel qu’ils possédaient pour cela. Dans le même temps, les bébés qui pleuraient le plus étaient incapables de répondre à la stimulation, ce qui n’est pas étonnant car la grande quantité de pleurs indique généralement le manque de confort, ainsi qu’une tolérance moindre aux situations de stress, rendant difficile tout degré de concentration.

58L’accoutumance comme première étape dans le processus de l’apprentissage visuel, encore que capacité rudimentaire, suppose des conditions de stockage d’informations importantes, qui pourront générer des apprentissages subséquents (Montagner, 1993 ; Slater, 1997). Partant de la capacité de fixation visuelle (Zin, 1999), le bébé capable de percevoir une stimulation comme familière pourra plus tard la différencier des autres. Cependant, la condition d’accoutumance à une stimulation implique une évolution de l’étape antérieure de fixation. Dans cette perspective, on peut comprendre que les bébés qui recherchent le plus le contact verbal et/ou physique avec leur mère en se maintenant encore focalisés sur elle montrent moins d’habileté pour s’habituer à d’autres stimulations visuelles.

59Au contraire, le même comportement interactif de tentative de contact verbal et/ou physique avec la mère se montre plus présent chez les bébés qui discriminent un nouveau modèle visuel. Néanmoins, ce comportement est apparu chez ces bébés en même temps que d’autres comportements interactifs tels que : une meilleure intensité de réponse positive aux communications de la mère, une meilleure humeur et une plus grande quantité de vocalisations, à la différence de ce qui se passe avec la capacité d’accoutumance. Tous ces comportements interactifs du bébé, ensemble, suggèrent des caractéristiques interactives déjà plus développées avec des attitudes dirigées spécifiquement vers la recherche de contact avec la figure maternelle, donc comme moyen d’émergence de nouvelles ressources. Parallèlement, les mères des bébés qui répondent à la capacité de discrimination ont eu tendance à exprimer plus d’affection négative que les autres. À l’opposé de ce que l’on pourrait imaginer, l’expression de cette espèce d’affection n’a pas limité la capacité de discriminer. La véracité de ces mères dans l’expression de leurs sentiments et de leur mécontentement paraît avoir offert un support pour le discernement de conduites communes et non communes, et par conséquent pour une discrimination des modèles familiers et nouveaux. En plus de l’appareil organique donnant au bébé les conditions pour stocker et comparer des informations, l’interaction avec la mère donne de la consistance à cette capacité et, progressivement, lui permet de découvrir un monde de différences. On a pu observer qu’aucune mère n’a montré de niveaux élevés d’expression d’affection négative et, dans ce cas, la simple présence de ce type d’affection dans l’interaction avec le bébé paraît avoir joué un rôle important dans la formation psychique et dans le développement de celui-ci.

60La préférence visuelle a présenté des différences significatives liées aux comportements de la mère. La recherche de contact avec le bébé, ainsi que la capacité à percevoir et à répondre aux signaux qu’il émet ont été des comportements plus présents chez les mères des bébés qui montrèrent une préférence visuelle atteignant un niveau plus élevé de complexité dans le processus d’attention. Ainsi que le suggère Stern (1992), la capacité perceptive que confère au bébé la condition de transfert des informations d’une modalité sensorielle à une autre, a pour origine le visage humain et ses expressions affectives. Ainsi, les mères qui perçoivent, répondent et expriment le mieux, dans cet échantillon, paraissent avoir offert de meilleures conditions de captation et d’application des informations à leur bébé.

61Dans ce contexte, on déduit que, même dépendant d’une avance de maturation cérébrale, l’intégration de l’habileté à démontrer sa préférence est également le prolongement de l’excitation ambiante, c’est-à-dire la permission inconsciente de la mère, exprimée dans ses actions, pour que le bébé non seulement discrimine le familier du non-familier, mais puisse découvrir et préférer quelque chose de plus complexe. Les attitudes maternelles, dans ce cas, reflètent l’investissement narcissique de la mère du bébé, lui confirmant qu’il est capable de percevoir le monde, possédant une base sur laquelle s’appuyer dans ses explorations : sa propre mère (Ainsworth, 1978 ; Lebovici, 1987 ; Winnicott, 1965-1990) qui l’assiste dans l’organisation de ses perceptions.

62Ainsi, préférer la nouveauté constitue l’étape suivante, dans laquelle le bébé peut démontrer son évolution perceptive. Les bébés de cette étude, qui répondirent aux exigences de cette étape d’évaluation de l’attention visuelle, ont eu tendance à émettre plus de réponses aux communications de la mère et à sourire plus que les autres, suggérant qu’avec un niveau de maturité suffisant et l’ « autorisation » maternelle, ils peuvent exprimer leurs propres sentiments et préférences.

63En prenant pour base les aspects engagés dans la capacité d’attention visuelle, on suppose qu’ils indiquent des potentiels cognitifs à développer et qu’ils mettent en évidence d’importants indices des formes initiales des liens futurs. Si on se reporte aux formulations de Ainsworth (1978, 1982) sur les différents types d’attachement manifestés entre mères et enfants, peut-être peut-on rencontrer des signes précoces de ce type d’attachement dans l’évaluation de l’attention visuelle des bébés de 2 mois qui peuvent déjà être identifiés comme des comportements interactifs parallèles à l’acquisition de nouvelles capacités, avec des degrés distincts d’autonomie selon les bébés étudiés. La mère qui permet à son bébé l’usage des potentialités qu’il possède pour discriminer le familier du non-familier et pour préférer quelque chose qui n’est pas elle-même, tout en étant présente, sera probablement la même mère qui, plus tard, continuera à offrir la sécurité nécessaire pour que le bébé plus âgé, capable de se déplacer de façon indépendante, soit également capable d’explorer son environnement en s’appuyant sur une base sûre, jusqu’à ce qu’il se sente capable d’aller et de venir avec sa propre sécurité.

64Les comportements observables de la mère et du bébé constituent ainsi une importante voie d’accès aux conditions affectives et potentielles du développement. De la même manière, les habiletés d’attention visuelle mettent en évidence, au-delà de la fonction physiologique, la constitution de la possibilité de regarder le monde et de se sentir en faire partie. Ainsi, les indices subtils observés lors des étapes spécifiques du développement peuvent aider à la détection précoce de ce qui compromet l’avenir des autres stades.

65Le fait de stigmatiser la prématurité comme maladie persistante tout au long de la vie de l’enfant doit être démenti, permettant ainsi aux parents des relations plus harmonieuses avec leur enfant prématuré, gardant clairement à l’esprit, en fonction du degré de compromission causé par la naissance précoce, que le bébé peut plus tard égaler le développement des bébés nés à terme.

66Comme pour d’autres, cette étude a ses limites. Si elle a permis l’investigation d’importants aspects interactifs et de développement, ce fut une étude de laboratoire. Il est possible qu’une recherche semblable en milieu naturel aurait pu offrir de nouvelles informations comparatives par le moyen de mesures continues. La taille réduite de l’échantillon pourrait toutefois être augmentée avec plus de temps pour la collecte d’informations et l’inclusion d’un groupe de bébés nés à terme ayant nécessité des soins intensifs néonatals. De plus, on pourrait pousser plus avant l’investigation des facteurs démographiques qui furent collectés à partir des entretiens. Tous ces questionnements et tant d’autres qui peuvent encore venir à l’esprit suggèrent, une fois de plus, que l’univers humain est extrêmement complexe, mais que les réponses à beaucoup de questions peuvent se situer aux marges de la simplicité.

CONCLUSION

67Devant les risques possibles relatifs à une naissance prématurée, tant du développement organique que de la structure psychique de l’individu, la mise en place de programmes d’accompagnement parents/bébé est très importante, non seulement en termes préventifs mais thérapeutiques.

68Cela dit, il est nécessaire que les équipes de santé soient attentives et intègrent les spécialités liées à la santé physique et mentale des nouveau-nés, qu’ils soient à risque ou non. L’intégration de l’ophtalmologie, domaine directement lié à la compréhension des processus visuels, fut fondamentale dans cette recherche, car elle a permis d’écarter la variable de possibles problèmes ophtalmologiques qui auraient invalidé les résultats. De plus, cette intégration spécifique permet d’alerter et de recourir, si nécessaire, à des examens préventifs dans tous les domaines du développement.

69Dans ce contexte, les programmes d’éducation continue aux professionnels de la santé doivent être intensifiés. De cette façon, ces professionnels pourront actualiser leurs possibilités d’actions, sans perdre leur potentiel de sensibilité humaine.

70Remerciements

71Nous remercions Sylvia Nabinger pour sa lecture généreuse et attentive, ainsi que pour sa précieuse contribution et son support inestimable dans la réalisation de cette recherche.

72Nous remercions Bernard Golse pour ses suggestions essentielles depuis le début de cette recherche ainsi que pour sa disponibilité à partager avec nous la littérature spécialisée.

73Printemps 2002

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Mots-clés éditeurs : Interaction mère/bébé, Prématurité, Attention visuelle

https://doi.org/10.3917/psye.462.0549

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