Couverture de PSYE_452

Article de revue

L'enfant qui écrit mal.

Ou la difficulté d'accès au symbolique interrogée à travers l'écriture

Pages 333 à 377

Notes

  • [1]
    Psychologue-psychanalyste (SPP). Service de psychologie et psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris 14e.
  • [2]
    Le service est devenu l’Unité de bio-psychopathologie de l’enfant, du service de psychologie et psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, Intersecteur 6 de Paris 14e.
  • [3]
    Le départ de M. Auzias, appelée par ses fonctions à seconder J. de Ajuriaguerra au Collège de France, et la disparition prématurée d’actives collaboratrices telles Denise L’Hériteau et Édith Mignard.
  • [4]
    C’est Marianne Strauss, nous a appris récemment M. Auzias, qui a été l’ « inventeur » de ce qui reste la base du travail thérapeutique : l’utilisation de la trace graphique dans un travail de relaxation.
  • [5]
    Ces thérapies ont été longtemps pratiquées uniquement par des psychologues qui étaient formées à Sainte-Anne, en quelque sorte sur le tas, jusqu’à ce que, il y a maintenant quelques années, une formation soit mise en place officiellement dans le cadre du COPES, l’organisme de formation permanente que dirige le Pr Michel Soulé.
  • [6]
    Cf. le colloque qui a eu lieu au Collège de France en 1988, dont les actes se trouvent dans l’ouvrage Bibliologia 10, sous le titre : « L’écriture : le cerveau, l’œil et la main », sous la direction de Colette Sirat, Jean Irigoin, Emmanuel Poulle, Éditions Brepols-Turnhout, 1990.
  • [7]
    Voir l’article de Michel Lorblanchet dans la revue La Recherche de décembre 1999, remettant en question l’idée d’une évolution de l’art rupestre ainsi que les interprétations qui ont pu en être faites, à la suite de la découverte de la grotte Chauvet en 1994, et des datations des peintures au carbone 14 qui en ont résulté.
  • [8]
    Je fais référence ici au groupe de la SPP (F. Sacco, Marie-Lise Roux...) qui organise les « Rencontres avec les préhistoriens » dans les grottes du Sud-Ouest de la France.
  • [9]
    Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 1995, Les troubles de l’écriture, Marie-Alice Du Pasquier, t. 2, p. 1635-1640. Article situé entre « Les troubles de la parole et du langage », par René Diatkine, et « La pathologie psychosomatique », par Léon Kreisler, dans le chapitre : « L’expression manifeste des troubles et leur compréhension ».
  • [10]
    Voir la présentation de la CFTMEA, par Roger Misès, dans Neuropsychiatrie de l’enfance, 1990, 38, 10-11, 523-539.
  • [11]
    Le livre de G. Pommier, Naissance et renaissance de l’écriture (PUF, 1993), malgré certaines confusions sur ce plan, reste toutefois d’un grand intérêt.
  • [12]
    À part, évidemment, ce que J. Bergès a écrit à partir de son expérience clinique dans le service. Voir L’enfant et la psychanalyse, J. Bergès, G. Balbo, Masson, « Bibliothèque de clinique psychanalytique », 1994.
  • [13]
    Le dessin est utilisé en psychothérapie d’enfant pour ses vertus projectives permettant l’accès aux représentations inconscientes. L’écriture est davantage en charge de véhiculer des représentations conscientes.
  • [14]
    La mère archa ïque dangereuse et pénétrante, celle dont Persée a pu se délivrer grâce à son bouclier-miroir (F. Pasche, L’aporie ou l’angoisse et la première défense contre, Le sens de la psychanalyse, PUF, 1988).
  • [15]
    Si l’on transpose à l’écriture ce qu’Alain Besançon applique, par exemple, à l’art abstrait (cf. L’image interdite, Fayard, 1994).
  • [16]
    Le modèle calligraphique en France est l’anglaise. Introduite au XVIIIe siècle, elle fut imposée comme écriture nationale à la fin du XIXe siècle par Jules Ferry.
  • [17]
    Didier Anzieu parle de Pré-Moi, de Moi-Peau, notion qui s’étaye aussi sur les différentes fonctions de la peau : contenance, limite, communication, inscription de trace...
  • [18]
    Cette position phobique qui ne serait pas sans rappeler « la position phobique centrale », décrite par A. Green, in RFP, 2000, t. LXIV.
English version

1La réflexion dont je vais tenter de rendre compte avait fait l’objet d’une première approche, dans les années 1960, sous l’impulsion de Julian de Ajuriaguerra et René Diatkine. À cette époque, Ajuriaguerra dirigeait le service d’enfants de l’hôpital Henri-Rousselle à Sainte-Anne et mettait en place, avec l’étroite collaboration de René Diatkine et une équipe constituée de médecins, de psychologues et de personnalités diverses, les premières innovations cliniques et thérapeutiques en matière de psychopathologie de l’enfant d’où sont issues, entre autres, faut-il le rappeler, les premières écoles d’orthophonie et de psychomotricité. Le service recevait alors des enfants présentant essentiellement des troubles dits “ instrumentaux ”. Et déjà, Ajuriaguerra avait porté sa réflexion, avec d’autres, sur un trouble qui lui paraissait mériter un intérêt particulier, et qui selon lui ne rentrait pas dans la catégorie des troubles relevant de l’orthophonie ou de la psychomotricité, à savoir la difficulté que présentent certains enfants avec l’écriture, et qui se traduit en général par une “ mauvaise écriture ”. Une recherche avait été mise en place, et les premières bases d’une approche thérapeutique spécifique furent jetées (H. de Gobineau et R. Perron, 1954 ; J. de Ajuriaguerra et al., 1964).

2Dans le même temps, voyait le jour une autre approche thérapeutique à médiation corporelle, la relaxation, plutôt destinée aux adultes. Inspirée des travaux de Schultz sur le training autogène, elle allait s’en différencier dans une orientation de plus en plus psychothérapique, sous l’instigation initiale de Marianne Strauss, Michèle Cahen, Garcia Badaraco entre autres, pour s’élaborer dans un sens plus franchement psychanalytique depuis une vingtaine d’années, en trouvant ses indications dans la sphère de la psychosomatique, des états-limites, des désordres du comportement, avec des cliniciens groupés autour de J.-G. Lemaire, M.-L. Roux, M. Dechaud-Ferbus, F. Sacco..., tandis que Jean Bergès (1974), qui succédait à Ajuriaguerra dans la direction du service [2], mettait au point de son côté, pour les enfants, la relaxation thérapeutique, souvent pratiquée en groupe, la différenciant d’abord davantage, pour sa part, des psychothérapies.

3L’approche des troubles de l’écriture, du fait d’accidents liés à l’histoire du service [3] mais sans doute aussi de la complexité de sa nature qui la situe dans une interface où s’imbriquent de manière très particulière le langage et le corps, a connu dans l’élaboration de sa clinique une gestation relativement longue. Complètement appuyée au départ sur les travaux en cours autour de la relaxation [4], la première mise en forme d’un cadre thérapeutique a été l’œuvre de M. Auzias (J. de Ajuriaguerra, M. Auzias et coll., 1964). Puis, tandis qu’apparaissait avec de plus en plus d’évidence la particularité du fonctionnement psychique de ces enfants, la spécificité de l’approche thérapeutique s’est peu à peu définie dans sa forme psychothérapique [5]. Et il n’est sans doute pas sans intérêt non plus de rappeler que c’est René Diatkine qui, poursuivant à Alfred-Binet le travail commencé à Sainte-Anne, avait proposé, pour désigner cette approche psychothérapeutique spécifique des troubles de l’écriture, le terme de « graphothérapie » (M. Auzias, 1999). Ce terme, nous l’avons conservé malgré ses connotations un peu contestables.

4Il est toutefois évident que pour ce qui est des indications concernant ces enfants qui « écrivent mal », la tentation rééducative reste étonnamment active chez beaucoup de cliniciens, et ces enfants sont encore fréquemment adressés soit en orthophonie, soit en psychomotricité. Parfois aussi, c’est une indication de psychothérapie qui est portée, soit isolément, soit parallèlement à une rééducation.

5Mais l’écriture est coutumière de ces paradoxes, de ces errances, de ces retours en arrière et de ces résistances, toujours porteuse de multiples contradictions qui, il faut en convenir, semblent inscrites dans sa nature même.

6Ainsi, quoi de plus banal, peut-on penser, que mal écrire ! Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir une jolie écriture. Certaines écritures sont même très officiellement qualifiées de vilaines, de difficiles à lire, et ce, sans que leurs auteurs en paraissent outrageusement affectés. Pour d’autres, au contraire, mal écrire paraît être une affaire d’État.

7Question de regard, certes. Mais de quel regard ? Regard de celui qui regarde l’écriture ou de celui qui y est regardé ? Pourquoi, en effet, la main qui écrit se sent-elle selon les cas désinvolte et sûre d’elle, ou tatillonne et soucieuse, ou parfois honteuse de ses productions ?

8Passons sur l’ambigu ïté du terme écriture dans la langue française, qui désigne à la fois la langue et la trace manuellement produite et conforte à plaisir la confusion puisque l’on parlera de « belle écriture » aussi bien pour vanter la qualité d’une œuvre littéraire que pour qualifier le beau tracé d’une missive que l’on apprécie du regard avant de la lire.

9Ambigu ïté que l’on retrouve sur un autre mode dans les attitudes pédagogiques adoptées par rapport à l’apprentissage de l’écriture, qui naviguent entre négligence absolue et exigence aberrante, attitudes aussi persécutrices les unes que les autres pour l’enfant et qui, de surcroît ne sont pas forcément exclusives les unes des autres. Ces attitudes paradoxales n’épargnent pas les cliniciens et les thérapeutes. Sur tous les fronts on est exposé, avec l’écriture, à la démesure, à des contre-attitudes, à des positions de déni. Cela conduisant toujours à formuler à l’enfant des injonctions paradoxales du genre : « L’écriture ce n’est pas important, mais il faut bien écrire. »

10Il est certain que le tracé de l’écriture a accompagné l’homme dans son évolution. C’est l’écriture qui l’a inscrit dans l’Histoire, et les diverses versions de l’inscription du langage, toujours entre image et symbole, qu’il s’agisse des écritures cunéiformes, hiéroglyphiques, idéographiques, alphabétiques, etc. continuent à interroger les chercheurs sur ce qui constitue les arcanes de la pensée et du psychisme humain, ce dont témoignent les disputes que suscite encore leur hiérarchisation, par exemple, parmi les ethnographes [6], ou les interrogations des préhistoriens sur l’interprétation à donner aux premiers signes visibles dans les inscriptions rupestres [7], et les débats que cela suscite avec les psychanalystes [8]. En effet, les différentes formes prises par l’écriture depuis ses origines mettent particulièrement en lumière, dans cet acte qui consiste à figurer des symboles, les liens qui articulent la pulsion au langage au moyen de la représentation. Et je crois que l’on ne peut que souscrire à la proposition de Nicos Nicola ïdis (1993) de voir dans l’écriture alphabétique qui est la nôtre « un des modèles d’expression de la représentation de la pulsion, voire son aboutissement particulièrement fin et compliqué ».

11On trouve peu de mention des troubles de l’écriture proprement dits chez l’enfant dans les écrits cliniques. Il n’existait rien, par exemple, à ce sujet dans la première édition du Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, de S. Lebovici, R. Diatkine, M. Soulé. Ce n’est que dans la deuxième édition qu’un chapitre a été rajouté sur la question (M.-A. Du Pasquier, 1995) [9].

12Mais il est intéressant de constater que dans la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, l’écriture n’est pas du tout mentionnée dans les troubles des fonctions instrumentales où se trouvent les retards et troubles du langage, les bégaiements, les instabilités psychomotrices et les retards et troubles psychomoteurs (c’est-à-dire tous les troubles classiques du langage et de la motricité), mais une mention est faite à la « crampe de l’écrivain » dans la rubrique : « Troubles psychofonctionnels » (8 . 01), lesquels sont placés dans la catégorie générale des « Troubles à expression somatique et/ou comportementale » [10]. Une place qui nous paraît parfaitement juste.

13Nombreux toutefois sont les auteurs qui, traitant de l’écriture, n’en retiennent que le seul aspect langagier, entretenant ainsi la confusion entre trouble de l’écriture et trouble du langage écrit en oubliant que l’écriture est aussi trace [11].

14Dans la littérature analytique, il semble que rien ou presque rien n’ait été écrit très directement sur le sujet [12]. Freud y fait quelques brèves allusions, situant l’écriture plutôt du côté de l’inhibition que du symptôme : dans ce qu’il appelle les inhibitions spécialisées, le moi renoncerait aux fonctions qui lui incombent pour ne pas avoir à procéder à de nouveaux refoulements (1926/1993, p. 6-7).

15Et finalement, pourquoi de nos jours, à l’époque de l’Internet, à l’époque où l’écran règne en maître, s’intéresser encore à l’écriture manuellement produite, dont on prédit la disparition ou la désaffection depuis l’invention de l’imprimerie ? Mais voilà plus de six siècles qu’elle résiste et peut-être même s’affirme.

16Et ils continuent en tout cas à consulter, ces enfants en difficulté avec son tracé, et très souvent pour cette simple raison, sans qu’aucune autre difficulté ne soit invoquée. Ils peuvent nous arriver directement, adressés par l’école, par exemple, ou divers correspondants avertis, et tout neufs d’histoire thérapeutique antérieure. Mais il est également relativement fréquent qu’ils se présentent à nous avec toute une panoplie de prises en charges rééducatives ou/et psychothérapiques, qui ont eu lieu ou sont en cours, qui ont parfois duré plusieurs années, mais qui n’ont pas vraiment réglé le problème. Comme en atteste l’écriture restée en l’état. Et ce sont ces enfants-là, que de ma position de psychologue-psychanalyste j’ai été amenée à recevoir et à suivre en thérapie, qui ont été particulièrement moteurs dans l’intérêt que pouvait susciter la particularité de leur fonctionnement psychique.

17C’est donc à partir de cette expérience clinique que je vais tenter d’exposer le fruit de nos réflexions sur cette difficulté que rencontrent certains enfants, le plus souvent exempts de tout trouble physique ou psychique grave, à transcrire le langage au moyen d’une écriture satisfaisante.

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

18Quelques remarques tout d’abord sur la perplexité dans laquelle ces enfants peuvent plonger les cliniciens les plus avertis et que révèle la manière dont sont couramment formulées les demandes qui nous sont adressées, formulations dont nous tenterons de justifier l’irrecevabilité.

191 / « Que pensez-vous de cette écriture », nous demande-t-on parfois, en nous présentant un texte écrit par l’enfant. On nous met là en position de graphologue qui lit la pathologie dans une écriture, sorte de thérapeute-voyante-extra-lucide. Et évidemment, ce n’est pas notre position. La graphologie qui, depuis l’abbé Michon à la fin du XIXe siècle, s’est posée comme approche du caractère du scripteur révélée à travers son écriture, n’a évidemment pas sa place ici. D’une écriture toute seule, nous, thérapeutes, ne pensons rien. Car, au-delà du constat qui peut être fait de son inadéquation par rapport à une norme, l’écriture ne nous « dit » rien par elle-même. Rien, en particulier, sur la seule chose qui, à nos yeux, mérite que l’on s’y intéresse, à savoir la réalité du malaise de l’enfant engagé dans son inscription, et la forme que prend ce malaise. Et on ne peut que souligner à ce propos l’importance de la première rencontre avec l’enfant dont la visée essentielle est de lui permettre à la fois de prendre conscience de sa souffrance et de pouvoir l’exprimer.

202 / Autre formulation de la demande : « Je vous adresse cet enfant car il faut faire quelque chose pour son écriture, parce que tout le monde s’en plaint. » Ici quelque chose nous est dit de l’ordre de : « À vous d’aider cet enfant à avoir une écriture plus acceptable. » La tâche qui, dans ce cas, nous incombe est de changer l’écriture, c’est-à-dire de la rééduquer. Ce n’est évidemment pas non plus notre position. La difficulté à bien écrire que présentent ces enfants n’est pas de l’ordre d’un trouble déficitaire, ou d’un dysfonctionnement instrumental appelant réparation ou soutien approprié. Elle est plutôt, comme on le verra, révélatrice d’un trouble psychique renvoyant à une organisation psychique particulière qui sera, elle, à prendre en compte dans l’orientation à donner à la thérapie.

213 / Une autre manière de présenter les choses, c’est lorsqu’on nous dit : « L’enfant a un problème d’écriture, dont il se plaint, mais en réalité ce n’est pas seulement l’écriture, il y a de sacrés problèmes par-derrière. » On nous parlera alors de symptôme-écriture, particulièrement investi par l’enfant ou son entourage, et la demande qui nous est adressée est d’aborder les choses « par le symptôme ». À charge à nous alors de faire une psychothérapie, « sous couvert d’écriture », ou d’amener l’enfant, après un temps de travail « sur le symptôme », à pouvoir s’engager dans un autre travail. Ici, l’écriture est utilisée comme prétexte pour un travail qui dès lors n’a plus de nom, et place le thérapeute que nous sommes dans un espace indéfini, pseudothérapeute, pseudorééducateur, dans lequel le transfert perd aussi son contour, sa définition. Or, nous verrons que les « problèmes » qui existent « par-derrière » et qui sont retenus par certains cliniciens comme relevant d’une pathologie dont l’écriture ne serait qu’un artefact, font en réalité partie intrinsèque du tableau clinique des enfants qui écrivent mal. Ces symptômes (classiquement : troubles du comportement, manque de concentration, non-investissement ou hyper-investissement scolaire, maladresse, intolérance à la séparation, manifestations psychosomatiques tels eczéma et asthme, etc.), mis en avant comme plus importants que l’écriture et en tout cas comme symptômes psychiques à part de l’écriture qui, elle, serait considérée comme une chose extrinsèque à la psyché, appartiennent, en fait, à part entière et au même titre que la difficulté à écrire, au mode particulier de fonctionnement qui caractérise la psyché de ces enfants.

22Il est bien évident que nous excluons de ce tableau clinique les désordres de l’écriture qui sont associés à la psychose, ainsi que ceux qui entrent dans le cadre de désorganisations d’origine neurologique, même si l’approche que nous avons eu l’occasion d’en faire nous a toujours beaucoup apporté (A. Covello et coll., 1973 ; M. Stambak et coll., 1964).

23Mais l’expérience nous a bien montré que si un enfant écrit mal, en dehors de toute pathologie physique ou psychique grave, ce n’est pas, comme on l’entend dire encore souvent, parce qu’il est maladroit, ou mal repéré dans l’espace, ou gaucher (Du Pasquier, 1997), ou parce qu’il est instable et peu concentré, etc. En aucun cas, le trouble de l’écriture n’est la simple conséquence d’un dysfonctionnement par ailleurs. Le fait de mal écrire n’est pas davantage en lien avec un trouble du langage écrit, et l’on peut mal écrire et bien orthographier et présenter de très bonnes compétences rédactionnelles. L’apprentissage de l’écriture peut s’être passé sans histoire, c’est-à-dire que ce n’est pas non plus une question de mauvais apprentissage. Par ailleurs, ces enfants présentent en général une adaptation sociale de bon aloi. Il arrive qu’ils manifestent un goût de la connaissance : enfants savants qui éblouissent par leur sérieux et leur savoir. Ils ont également souvent fortement investi le langage et parlent très bien, ce qui les rend certes très séduisants, mais d’autant plus déroutants pour l’entourage pédagogique qui en perd ses repères : comment un enfant aussi à l’aise, voire aussi doué sur tous les plans, peut-il être affublé d’une telle écriture ?

24L’évidence s’impose à nous quotidiennement que l’on peut avoir des difficultés sérieuses avec l’écriture et ne présenter ni trouble du langage écrit, ni trouble de la psychomotricité, ni trouble intellectuel ou cognitif, ni trouble névrotique particulier.

25Qu’est-ce qu’écrire pour un enfant ? Qu’est-ce que mal écrire ? Qui sont ces enfants qui écrivent mal ? Et comment peut-on les aider ?

ÉCRITURE ET GRAPHISME

26Il est important de se départir de la confusion qui s’opère souvent entre écriture et graphisme. L’amalgame graphisme-écriture peut amener à voir dans la qualité du graphisme d’un enfant de maternelle une valeur prédictive de son écriture plus tard. Or il n’en est rien, car si le tracé qui constitue le dessin se situe dans le champ du figuré, avec l’écriture le tracé se déplace dans le champ du symbolisé, et nous verrons que la différence est radicale. Il est d’observation courante qu’il n’existe pas de relation directe entre les capacités au dessin et la qualité d’une écriture. Du reste, les enfants que nous voyons pour leur mauvaise écriture n’ont pas, le plus souvent, de difficulté particulière dans le dessin. On peut très bien dessiner avec une grande aisance, une excellente qualité du trait, une richesse d’invention dans la forme, et devenir, lorsqu’on écrit, maladroit, embrouillé dans les formes, dans l’espace graphique, perdant ses capacités de contrôle, etc. La réciproque est d’observation courante, évidemment, on peut être nul en dessin et écrire parfaitement.

27Toutefois, écrire c’est, malgré tout, tracer et les lettres sont, malgré tout, des formes. L’écriture conserve donc un quelque chose de figuratif que lui vaut sa nature de trace. Le tracé des lettres et le tracé du dessin utilisent en commun le trait et la figuration de formes. Ainsi l’écriture, dans ce qu’elle nécessite d’une organisation symbolique de la lettre, en tant que langage, doit composer avec son destin toujours figuratif et « imageant » que lui vaut sa nature de trace. Mais à la différence du dessin, où ce qui est figuré dans la trace renvoie essentiellement à des images, c’est-à-dire à la représentation de la chose elle-même, dans l’écriture, ce qui est figuré dans la trace ce sont des symboles, les lettres, qui figurent des représentations de mots. Le but de la figuration donc, diffère. Dans le cas du dessin, le trait qui trace reste au service de l’imagé avec toute la charge d’inconscient qui y est véhiculée, tandis que dans la lettre, à travers ce que celle-ci introduit de verbal, le trait se met, en plus, au service de symboles qui le situent dans le registre conscient du langage [13]. On pourrait dire que l’écriture vient saturer de symbolique un tracé qui par nature est figuratif. L’acte d’écrire en devient radicalement différent de l’acte de dessiner. Et l’enfant qui dessine, pour devenir l’enfant qui écrit, devra franchir un pas énorme.

28Qu’est-ce qu’écrire pour un enfant ? Comment définir l’écriture ? L’écriture est une forme de langage, et à ce titre elle est porteuse d’une mission de communication. Elle est également le résultat d’un acte qui engage le corps dans sa motricité et dans sa pulsionnalité. Elle est en quelque sorte passage à l’acte du langage mais aussi œuvre de maîtrise. Elle est une trace qui, par l’appel nécessaire au regard, se pose en miroir de celui qui l’inscrit. L’écriture est tout autant action de publication qu’acte éminemment intime où, au-delà du dire, le sujet se dévoile. Contrairement au langage parlé qui implique la proximité et la présence de l’autre, l’écriture implique la distance et l’absence.

29Ainsi, en tant qu’acte d’inscription du langage, l’écriture mobilise chez l’enfant à la fois sa pulsionnalité et son organisation narcissique engagées et articulées dans une activité symbolique. Elle n’est donc pas simple acquisition d’un savoir. Elle engage l’être dans son entier puisque, langage et pensée incarnée dans la trace, elle accompagne l’évolution du sujet et la révèle. L’écriture grandit avec le sujet, évolue avec lui, vieillit avec lui, se détériore avec lui.

LE CHEMINEMENT DE L’ENFANT VERS L’ÉCRITURE

30L’enfant commence à être capable de tracer graphiquement vers l’âge d’un an environ. Ses premiers tracés sont tout d’abord la simple extériorisation d’une excitation. Ils sont essentiellement sensori-moteurs. Simples projections corporelles, ils n’ont pas pour objectif de représenter quelque chose. Toutefois, rapidement, la capacité de maîtrise grandissante de l’enfant va les organiser de plus en plus dans un registre psychique, car la particularité de l’acte de tracer est en effet de mettre d’emblée en cause la question des limites. Limite de l’espace toujours défini, limites qu’impose le matériau utilisé, limites de la forme recherchée, etc. Et avec la contrainte qu’imposent ces limites-limitations, s’instaure la prise de conscience des différences, au plan perceptif : perceptions visuelles, par exemple, dans la différence entre le dedans et le dehors de la feuille (les dépassements), perceptions cénesthésiques dans l’acte d’appuyer ou d’effleurer (trait fort, trait léger), perceptions sensorielles dans la continuité ou discontinuité du contact avec la feuille, le frottement, etc. Ces expériences sensori-motrices sont évidemment chargées d’un potentiel libidinal. Et dans l’action de tracer, le vécu du corps s’inscrit sur la feuille en même temps qu’il est vécu. Le tracé tient lieu de figuration de ce vécu et offre la perception de toutes ces différenciations, perception qui introduit à la représentation de la différence.

31Ces proto-figurations sont en quelque sorte la figuration métaphorique de ce travail « premier » sur le chemin de l’élaboration de représentations qui vont s’organiser en représentations intérieur/extérieur, sujet/objet, moi/l’autre. Et la valeur « transitionnelle » du trait apparaît d’emblée, production à mi-chemin entre l’objectif et le subjectif, à la fois liée à l’enfant et détachée de lui.

32Et la particularité de la trace qui demeure, permettant à ce que la main a lâché, et perdu en quelque sorte, d’être récupéré dans le même temps par l’œil, cette dynamique de perdre et retrouver, lâcher et reprendre par le jeu combiné de la main et du regard, offre par le caractère ludique qu’elle ne manque pas de prendre pour l’enfant, et qui évoque évidemment le jeu du Fort-Da, un champ très étendu de possibilités élaboratives.

33Ces mouvements élaboratifs qui s’instaurent dans l’acte de tracer ne peuvent que renvoyer à tout ce qui s’est déjà organisé relationnellement à travers le corps, et tout particulièrement à travers le jeu du tonus et de la sensorialité lors des premiers échanges corporels entre la mère et l’enfant. Et on a suffisamment dit le rôle structurant pour le moi de l’enfant de ce « dialogue tonique » préverbal et infra-verbal, et l’importance de ces perceptions toniques dont Wallon a été l’un des premiers à faire la matrice de la représentation psychique. Cette mise en orbite initiale sur la voie de l’identité, qui s’organise à travers les premiers agissements et ressentis corporels des premières relations, s’étaye sur un travail d’interprétation par l’environnement maternel des signaux pulsionnels qu’envoie l’enfant. Rôle de pare-excitation de la mère, travail de mise en sens, mise en sens que cette mère définie comme « suffisamment bonne » par Winnicott fournit à l’enfant à l’aide de mots, à l’aide de symboles donc, au pouvoir à la fois organisateurs et séparateurs. Le mot, donné par la mère d’abord, comme premier tiers, en quelque sorte, fondateur d’un espace de séparation, d’un espace symbolique, sans lequel se maintiendrait, avec le contact et le regard seuls, le lien fusionnel, et confusionnant.

34Dans ces premiers tracés, c’est l’enfant lui-même qui, peu à peu, va trouver un sens. À cette trace projetée sans intentionnalité d’abord, l’enfant va donner des significations. Dans la trace qui est sortie de son geste, il va voir quelque chose. Sorte d’auto-interprétation qui, dans la trace, prend le relais de cette interprétation maternelle primaire. Activité auto-interprétative qui passe ici par le regard.

35C’est avec les yeux, à partir de ce qu’il voit, que l’enfant va trouver un sens à ce qu’il trace. Et de plus en plus l’œil va être présent pour, dans le courant de la deuxième année, intervenir directement dans le tracé. À cet âge, l’œil commence à guider la main. Les tracés quittent le registre purement sensori-moteur, où le visuel n’intervient pas directement, pour devenir des tracés à visée représentative.

36La perception visuelle est ici organisatrice de la représentation. C’est en même temps qu’il commence à voir et à utiliser sa perception visuelle pour ajuster son trait que l’enfant commence aussi à s’intéresser à ce qu’il voit dans son tracé et qu’il peut y projeter une représentation. Ce qui nécessite qu’il soit suffisamment distancié par rapport à sa trace : pouvoir voir sa trace comme capacité à se séparer d’elle. Rôle important de la distanciation que permet le regard dans ce mécanisme d’élaboration des représentations que traduit la trace. Et les élaborations successives de la trace vont devenir révélatrices de la capacité de l’enfant à se séparer. Ce n’est en effet qu’à la condition que l’enfant puisse se séparer de sa trace en la « confiant » à sa perception visuelle, distanciée, que ses tracés pourront s’élaborer progressivement en véritables dessins dans lesquels il pourra se projeter de plus en plus. On voit d’emblée à quel point la persistance des angoisses primitives de séparation peuvent grever l’évolution de la capacité à se projeter dans les tracés. Cette distanciation perceptive n’est jamais totalement atteinte, par exemple, chez l’enfant psychotique.

37La question de la séparation et de la distance est donc particulièrement agissante dans tout tracé, s’organisant autour du visuel-perceptif. Et on évoquerait volontiers ici la conceptualisation de Francis Pasche (1988) concernant la constitution d’une structure protectrice du moi, cette barrière grâce à laquelle l’enfant sort du chaos pulsionnel et fusionnel originaire, qui serait constituée de deux faces : l’une interne, pare-excitante, qui « contient » les tensions pulsionnelles et que fournit la mère, et l’autre, plus externe, qui crée et maintient une distance avec l’autre et avec les projections intrusives de l’autre et qui est constituée par la perception, laquelle permet de sortir de soi, « de sortir des limites spatiales de son propre corps pour aller vers l’objet », et qui instaure la distance, la séparation, qui s’oppose à la fusion, à la vampirisation, à cette pétrification du regard de Méduse qui, elle, enferme le sujet en lui-même [14]. Ne pourrait-on pas dire que le sensori-moteur du trait, organisé dans la maîtrise et la différenciation, serait plutôt, projectivement, du côté de la fonction pare-excitante interne, tandis que le formel du trait, où advient le dessin, organisé avec la perception, en serait la surface plus externe ? Et l’on verra que cette distinction n’est pas inutile en ce qui concerne la thérapie, qui s’appuiera d’abord essentiellement sur la mise en valeur de la fonction de maîtrise et de différenciation du tracé engagé dans la relation transférentielle, mais sans jamais « perdre de vue » le figuré et le regard sur le figuré.

38Il est à noter que cet infléchissement des tracés vers une figurabilité, exprimable par l’enfant, se situe aussi en général dans le courant de la deuxième année. C’est le moment où le langage s’élabore. L’enfant commence à faire des phrases, à organiser grammaticalement son langage et à se nommer, le plus souvent encore à la troisième personne. Ainsi, l’élaboration des premières figurations graphiques perceptibles en tant que figurations, autrement dit dessins, est contemporaine de l’élaboration du langage symbolique en lien direct avec l’élaboration identitaire. Cette première nomination de lui-même reste encore peu différenciée, il est vrai, puisque l’enfant se nomme par son prénom reprenant l’appellation des autres à son endroit. Mais cette nomination de lui par lui à la troisième personne signe malgré tout l’intériorisation d’une distanciation, par étayage sur un discours entendu, perçu. La perception se révèle dans sa fonction à la fois d’étayage et de distanciation comme permettant l’introduction dans l’ordre du symbolique.

39Et c’est là que l’implication du regard dans les tracés – et il n’est plus question ici du visuel – introduit aussi des effets d’image, convoquant inéluctablement l’image intériorisée qui est, bien entendu, une projection parentale. Et dans le tracé, cette question du regard et de l’image devient capitale. Dès qu’il s’élabore dans une figuration, le tracé n’existe que par le regard qui s’y porte, et bien sûr, pour le regard qui s’y porte. Intervient donc aussi, de manière très spécifique, l’importance organisatrice qu’aura eu pour l’enfant le regard-miroir de la mère, avec toutes les implications narcissiques qui, du côté de la mère, s’y trouveront engagées. Et l’on sait bien que l’enfant ne peut s’individuer, constituer son moi en tant qu’être différent, différencié, que si le regard que la mère porte sur lui est suffisamment distancié car habité par un tiers paternel, et que la mère peut momentanément s’absenter et absenter d’elle son enfant, instaurer une distance dans laquelle l’enfant peut aussi commencer à penser l’objet, l’autre, à se représenter l’objet à partir de l’absence, dégagé de l’emprise narcissique. Ce premier travail élaboratif qui constitue les prémisses de toute l’organisation psychique va conduire l’enfant à élaborer le complexe de castration, lequel s’étaye sur la séparation d’avec la mère : l’absence de la mère s’inscrivant dans la psyché comme préfiguration de la castration, donc aussi de la différenciation sexuelle, voie de l’individuation. Et la capacité d’élaborer le complexe de castration s’étayera sur la capacité à se représenter l’absence.

40La trace sera toujours porteuse de cette dynamique narcissique articulée autour du regard. Et chez certains enfants, la suffisamment bonne transformation des tracés imagés (tracés-dessins) en tracés de l’écriture reste problématique, du fait de la persistance de la prépondérance de la valeur narcissique du tracé, métaphorique de l’emprise maternelle passant par le regard. Tout se passe chez eux comme si la mère, l’instance maternelle, restait présente dans le champ de l’écrit, vampirisant le tracé d’un regard chargé d’attentes idéalisées, empêchant, par son trop de présence, que ne s’y intègre la lettre, cet élément symbolique distanciateur. On pourrait dire que, d’une certaine manière, ces enfants gardent dans leur tracé un élément maternel indélébile qui vient saturer le trait, à l’image de ce petit élève de cours préparatoire, fils unique d’une mère qui lui vouait un amour exclusif en l’absence d’un père qui les avait tous deux abandonnés, et qui, alors qu’il savait parfaitement lire, marquait une grande réticence à s’engager dans l’écriture. Il me déclarait savoir quand même écrire son nom et, d’un geste affirmé, il traçait sous mes yeux un vague paraphe, où l’on pouvait à peine distinguer quelques lettres de son prénom. Puis avec une soudaine excitation, il m’annonçait aussitôt qu’il savait aussi écrire « maman ». Et partant alors de la fin de l’arabesque qu’il venait de tracer, il revenait sur elle en suivant au plus près son tracé mais en sens inverse. Et c’est ainsi qu’il écrivait « maman ». Traces de son nom et de celui de sa mère intimement mêlées, voire totalement confondues.

Figure 1

41Car ce tracé qui va se mettre au service de l’écriture, forgé dans le même trait que celui des premiers tracés, des premiers gribouillages, des premiers dessins continue donc, dans cet autre destin qui lui est assigné, à drainer inconsciemment toute une « mémoire » de ces mouvements originaires, dans leurs implications premières, pulsionnelles et narcissiques, et il reste tissé de cette mémoire inconsciente, mémoire des représentations refoulées qui en modèlent la structure. Le trait, par nature, est palimpseste. Une mémoire conservée même si elle est effacée en surface. C’est ce qui fait qu’il n’y a pas deux tracés réalisés par deux auteurs différents qui soient identiques, comme il n’y a pas deux écritures semblables, du reste. C’est ce qu’on peut désigner comme étant le style, propre à chacun. Le style, dans l’écriture aussi, c’est la texture du tracé qui porte la part inconsciente des représentations psychiques, c’est la structure iconique du trait, c’est la part restante d’image, part intime donc, tandis que le dit de l’écriture, à travers la lettre, symbolique, en sera la partie consciente, officielle, universelle. Et l’opposition restera latente dans l’écriture entre le symbole et la représentation, ou la lettre et l’image. Notre écriture alphabétique comporte ainsi fondamentalement en elle un caractère particulièrement iconoclaste [15]. Et l’on pourrait dire, en paraphrasant la formule lacanienne, que, à l’égal du mot qui est meurtre de la chose, la lettre dans le tracé est meurtre de l’image.

42C’est pour cela qu’écrire implique la réussite du refoulement. L’écriture première (imagée) doit être suffisamment effacée pour que l’écriture seconde (symbolique) puisse y apparaître. C’est seulement lorsque la lettre ne signifie plus rien dans sa forme pour l’enfant, c’est-à-dire lorsqu’elle perd pour lui sa valeur d’image, c’est alors seulement qu’elle peut devenir signe langagier. Et les enfants qui restent attachés à la valeur picturale des signes ont du mal à s’accommoder de leur valeur littérale. Les enfants en difficulté avec l’écriture sont de ceux-là.

43La lettre dans l’écriture agit comme un élément étranger à l’enfant qu’il doit intégrer dans son tracé. Venue d’ailleurs, elle impose son extraterritorialité psychique. Élément tiers, elle introduit ainsi la loi dans le tracé, elle introduit le tracé à la loi. Accepter la règle calligraphique est une condition nécessaire pour accéder à une « bonne » écriture. Et la règle calligraphique exige que chaque lettre soit suffisamment conforme au modèle [16], et de plus qu’elle soit écrite convenablement, c’est-à-dire en tenant compte de sa forme, de sa place et de la place des autres. Si la lettre se maintient pour l’enfant à l’état de corps étranger inassimilable, il n’en appliquera pas les règles, il n’adviendra pas vraiment à l’écriture. Le dépassement de l’angoisse de castration que sous-tend une organisation œdipienne suffisamment structurée est ici indispensable. C’est bien à la bonne résolution de son complexe d’Œdipe que l’enfant est confronté avec l’écriture. Pas de bonne écriture sans bonne résolution du complexe d’Œdipe et pas de bonne résolution du complexe d’Œdipe sans dégagement suffisant de la problématique narcissique primaire.

LE PASSAGE À L’ÉCRITURE

44Lors de l’apprentissage de l’écriture, le tracé des lettres conserve, chez tout enfant, pendant un certain temps une forte imprégnation de l’image. Bien qu’il en ait acquis la signification linguistique et qu’il sache, par exemple, reconnaître dans le tracé du « a » la lettre « a », l’enfant n’en persiste pas moins à tracer cette lettre comme un dessin, c’est-à-dire comme un ensemble constitué de fragments accolés.

Figure 2

45Ainsi le « a » restera, dans sa main, un rond suivi d’un trait incurvé, le « m » une succession de cannes ou de ponts, ce qui, du reste, est souvent favorisé, et donc pas toujours à bon escient, par l’éducateur. Car il est nécessaire que, dans son tracé, l’enfant dégage la lettre de sa facture de dessin pour lui donner totalement son statut de lettre, de symbole. Cette transformation de la lettre-dessin en lettre-symbole s’opère lorsque l’enfant abandonne la fragmentation pour tracer la lettre d’un seul mouvement, c’est-à-dire lorsque la lettre acquiert son unité. De lettre fragmentaire, elle devient lettre unitaire. Alors seulement elle acquiert, dans la main de l’enfant, le statut de symbole ; alors seulement l’enfant introduit vraiment dans son tracé l’ordre du verbe. Le tracé n’est plus un seul tracé-image, il est devenu un tracé-langage. Ce cap est généralement franchi vers 7-8 ans (Du Pasquier, 1995).

46Mais avec cette reconversion graphique d’une forme-image en forme-verbale, c’est aussi du son, de la phonétique, qui va entrer avec la lettre dans le tracé. Cette question du passage du figuré au phonétique est capitale dans l’évolution de l’écriture de l’enfant. Les rapports du visuel à l’auditif constituent la question centrale de l’écrit. Freud (1923) l’évoque dans « Le moi et le ça », quand il insiste sur le fait que le visuel est négligeable dans l’écrit. « La lecture, dit-il, introduit du visuel dans les représentations verbales et ces éléments visuels on peut les négliger car ils sont secondaires. » C’est-à-dire qu’ils doivent devenir secondaires. Freud dira également que le mot écrit est un reste mnésique du mot entendu. C’est bien dire que c’est l’auditif, le phonétique qui doit prévaloir sur le visuel du tracé écrit. C’est ce qui se passe quand le passage s’effectue de la lettre-dessin à la lettre-symbole.

47Mais quand l’enfant apprend à écrire et que le langage doit passer de l’oral à l’écrit, autrement dit de la bouche à la main, il doit toutefois s’opérer une transformation de l’auditif au visuel via le tracé. À ce moment-là, le langage doit quitter la bouche qui le parle pour la main qui le trace. Une étape qui est de taille, car elle engage une nécessaire transformation de l’économie pulsionnelle, l’écriture introduisant dans l’espace langagier des données nouvelles, essentiellement de l’ordre de la distanciation et du déplacement. Le verbe, quand il devient écriture, doit quitter son oralité première et abandonner ainsi son origine axiale pour passer à la main, plus distale et donc plus éloignée topographiquement dans l’espace corporel. Et la nécessité de maîtrise assignée à cette main sous l’empire de la vue l’inscrit dans le registre de l’analité. Dans l’écriture, l’oralité (du vocal) doit composer avec l’analité (du manuel).

48C’est ainsi qu’au moment d’écrire, la bouche qui parle doit se taire pour laisser agir la main qui trace. Le vide de la bouche est une condition de la prise en main du langage écrit, comme le vide du sein a fait place aux mots quand l’enfant a commencé à parler et alors à se détacher de sa mère (Abraham et Torok, 1978). C’est quand la main peut tracer les lettres dans le silence que l’enfant commence vraiment à écrire, en ne gardant que le souvenir auditif du mot. Ce passage de la bouche à la main qu’effectue le langage quand il devient écrit est éloignement, détachement, à l’égal de ce qui se passe dans le passage du sein aux mots. Toutefois, si l’enfant franchit certes une étape dans la séparation d’avec sa mère quand il commence à parler, il n’en demeure pas moins que dans le langage verbal l’oral persiste par la bouche et la nécessaire proximité, c’est-à-dire la nécessaire présence de l’autre. On parle toujours à quelqu’un qui est là présent et qui entend. Avec l’écriture, qui s’adresse toujours à l’absent, une étape de plus est franchie dans ce cheminement vers la séparation et l’autonomisation. Évidemment, la capacité d’être seul est ici sollicitée.

49Dans la suite de son évolution, l’enfant prend de plus en plus de distance par rapport au tracé de son écriture. Il ne regarde plus son écriture mais ce qu’il écrit, c’est-à-dire ce qui s’y dit. Et ce détachement du regard est contemporain de ce que l’on pourrait appeler un égal détachement du corps. L’investissement totalitaire du débutant qui écrit avec tout son corps s’amenuise. Au terme des trois ou quatre ans qui suivent les débuts de l’apprentissage, l’enfant n’écrit plus que du bout du bras. On peut dire, en pointant le paradoxe, que s’engager dans l’écriture ne peut se faire qu’ « à corps perdu ». « Ma main écrit toute seule », se prennent parfois à dire les enfants de 9-10 ans, l’âge des jolies écritures calligraphiques que nous avons appelé « la période de latence de l’écriture ».

Figure 3

50La dynamique surmo ïque convoquée par la lettre a composé avec les implications pulsionnelles et narcissiques que continue à maintenir la trace.

51Puis, petit à petit, l’écriture va devenir automatique.

Figure 4

52Par la suite, le tracé de l’écriture va se personnaliser, c’est-à-dire s’éloigner du modèle imposé, prendre de la distance vis-à-vis de ce modèle, une distance nécessairement mesurée, bien sûr, puisque l’écriture doit rester lisible.

Figure 5

53Et le résultat sera d’autant plus heureux, c’est-à-dire l’écriture d’autant plus réussie, personnelle et aisée, que la règle aura été bien intégrée. L’écriture devient alors vraiment instrumentale, elle joue pleinement sa fonction d’outil langagier. Détachement de l’image, détachement de la voix, détachement d’un trop de corps, pour une écriture fluide, distanciée, tracée du bout de la main.

54Ainsi, pour s’approprier et maîtriser véritablement l’écriture, l’enfant ne peut faire l’économie de bien des renoncements dialectisés autour de la problématique du lien et de la séparation. Le passage à la lettre exige en effet que l’enfant soit capable de faire le deuil de ce que le tracé a été. Introduire la lettre signe un véritable mouvement d’introjection (Abraham et Torok, 1972), car avec la lettre s’inscrit la perte qu’elle véhicule, le poids d’absence qu’elle porte, la distance par rapport à l’objet qu’elle implique, et la distance qu’elle implique tout autant par rapport au sujet d’avant, à ce que le sujet était et qu’il n’est plus. L’écriture, qui est toujours signature, porte inexorablement en elle les traces des changements internes du sujet. Miroir impitoyable, elle inscrit le temps.

L’ENFANT QUI ÉCRIT MAL

55Les enfants qui « écrivent mal » n’ont pas effacé de leur trait la première écriture, cette proto-écriture pulsionnelle, indifférenciée et porteuse d’imaginaire. La transformation du tracé imagé en tracé symbolique ne s’est pas tout à fait accomplie. Quelque chose de l’ordre de la perte n’a pas été totalement « avalé » par eux. L’écriture ne s’est pas suffisamment dégagée de ses attaches originaires. Elle reste, en quelque sorte, un pseudo-symbole « incorporé » dans de l’image, en un processus qui tente de la maintenir « à l’identique » de ce qui existait auparavant.

56Que nous montre, en effet, l’écriture de ces enfants ? Essentiellement des lettres mal faites, mal formées, déformées. Cette lettre, l’enfant la malmène, comme une étrangère, une intruse, en un refus de lui accorder son appartenance symbolique. Dans la main rebelle de l’enfant, la lettre ne devient pas une entité à part entière, une lettre en soi. Elle continue à être tracée par petits bouts, retouchée, suspendue, cassée, parfois inachevée. Ou encore tracée comme à regret avec une extrême lenteur. Les agencements des lettres entre elles et les ligatures qui les relient pour former des mots sont mal faits. Les liens sont déficients : lettres collées les unes aux autres, voire enchevêtrées, ou trop isolées, distribuées en tout cas de manière anarchique sur la ligne et dans la page. D’où l’allure désordonnée et en général désagréable au regard, de l’écriture. Le mot n’arrive pas à être un tout, un ensemble que l’on peut appréhender d’un seul coup d’œil.

Figure 6

57Quant à l’implication du corps, elle reste excessive, sous forme de tension, raideur et crispation, présence maintenue d’une participation corporelle globale et indifférenciée. Un corps resté totalitaire dans sa participation à l’écriture, un négatif en quelque sorte de ce qui se passe chez les enfants dont la main écrit toute seule. Ici la transformation qui doit aboutir au tracé symbolique, distancié et automatisé, garant d’une suffisamment bonne écriture, ne s’est pas faite.

58Or ces enfants n’ont par ailleurs aucun problème avec les symboles linguistiques ou autres. En particulier, ils lisent souvent très bien. C’est seulement quand il s’agit d’écrire que surgit la difficulté, quand ils doivent prendre à leur propre compte l’écrit et faire passer de leur propre main leur tracé-image au tracé-mot. C’est dans ce passage-là que ces enfants se trouvent en difficulté. C’est donc au moment où, d’une part, leur bouche doit laisser place à leur main pour parler et celle-ci, d’autre part, introduire dans le visuel du tracé l’auditif du verbe, abandonner donc l’exclusive de l’oralité dans le rapport à l’autre et chasser du tracé de l’écrit l’exclusive de la part d’image dont il était jusque-là porteur dans un étroit rapport à soi.

59On pourrait dire que chez ces enfants, l’oral n’arrive pas à passer à la main. Le verbal ne passe pas la main. Dans leur écriture, l’oralité du verbe persiste à garder une place prépondérante qui met à mal la maîtrise de la transcription graphique. Ainsi ces enfants sont-ils coutumiers d’accompagner leur texte écrit de l’équivalent oral, ils parlent le texte, ou ils s’interrompent pour se livrer à des commentaires variés, ils parlent au lieu d’écrire, ou encore ils conservent pendant l’écriture des syncinésies buccales. La bouche est toujours là et l’oral continue à investir abusivement la place, interdisant à la main d’opérer tranquillement la reconversion du tracé-image au tracé-langage. Tout se passe comme si l’enfant résistait de tout son corps à ce passage, tendu dans une manœuvre acharnée de rétention dont l’enjeu est de ne pas lâcher l’écriture, ne pas la laisser advenir tranquillement en tant que telle. Une dynamique tensionnelle qui évoque la crampe. Mais une crampe qui, dans son allure rétentionnelle, nous parait toutefois se situer moins comme défense anale que comme tentative d’éviter ou plutôt dénier la nécessité de ce passage obligé, en même temps qu’elle révèle la souffrance que recouvre cette posture défensive.

60À quel renoncement, donc, ne sont pas parvenus ces enfants, quel rêve « fou » entendent-ils « main-tenir » ? Il est intéressant de rappeler à ce propos l’analogie que Freud, dans L’interprétation des rêves, établit entre le rêve et l’écriture, comparant le rêve plutôt à un système d’écriture qu’à une langue, l’interprétation du rêve étant, dit-il, « analogue au déchiffrement d’une écriture figurative, hiéroglyphique », du fait précisément de cette part d’image que conserve ce type d’écriture. L’écriture de ces enfants, ou plus exactement leur difficulté à accéder à une écriture suffisamment aboutie, ne serait-elle pas révélatrice d’un maintien chez eux de quelque chose dans leur fonctionnement mental qui resterait dans l’ordre du figurable, une part de rêve conservée à tout prix et qui viendrait oblitérer ou empêcher l’accès à une représentation ? Ne pas renoncer à un rêve, tel cet adolescent venu consulter à la demande de ses professeurs exaspérés devant l’illisibilité persistante de l’écriture de cet excellent élève, particulièrement brillant à l’oral. « Quand j’écris, me dit-il, je ne peux être que Rimbaud, le plus grand des poètes, et comme je sais que je ne peux pas être Rimbaud, je n’écris pas bien, ce qui me laisse toujours la possibilité de continuer à croire que je peux être Rimbaud. » Maintien d’une illusion de toute-puissance, donc, qui est là pour tenter de se dispenser du deuil nécessaire. Ne rien perdre et surtout refuser de savoir le vrai sens de la perte, « celui qui ferait qu’en le sachant on serait autre » (Abraham et Torok, ibid). Il s’agit bien pour ces enfants de ne pas être autre, ne pas changer. « Il ne veut pas grandir », nous dit-on souvent, ou encore : « il aimerait réussir mais à condition de ne faire aucun effort, magiquement ».

61Ainsi, avec cette écriture qui reste approximative, hors lettre symbolique en quelque sorte, l’enfant, dans le champ relationnel de l’écriture, entend bien rester en marge. Il connaît la lettre, il la lit parfaitement bien, mais il ne peut pas la faire sienne, il ne la reconnaît pas, en une sorte de désaveu de reconnaissance dans lequel son image de toute-puissance est engagée.

62Et les comportements que présentent habituellement ces enfants, et qui leur sont finalement assez spécifiques, nous paraissent bien illustratifs à cet égard. Des comportements qui sont en général présentés par l’entourage comme des traits de caractère dont la valeur de signes révélateurs d’une souffrance n’est souvent pas perçue.

63Ces enfants cherchent généralement à éviter la confrontation aux réalités qui, toujours pour eux synonymes de contrainte, mettent à mal leur position mégalomaniaque. Ils veulent réussir mais ne sont pas disposés à s’en donner les moyens. Souvent mauvais joueurs, ils préfèrent ne pas jouer du tout plutôt que prendre le risque de perdre. Ainsi évitent-ils souvent la compétition physique, ou bien s’affrontent aux autres de manière inadéquate (pouvant se trouver en position de bouc émissaire, par exemple). Il arrive aussi qu’ils affrontent de manière inadéquate l’environnement et sont alors réputés maladroits (ils se heurtent aux objets, ils « ratent la marche », comme en une négation des obstacles, et peuvent se blesser). Malgré les apparences, ce sont souvent des solitaires car leurs liens relationnels se jouent sur le mode du trop proche, étouffant, ou trop distant, ou les deux à la fois, en un ajustement qui maintient en tout cas des zones de confusion dans lesquelles ils ne peuvent qu’avoir du mal à se situer, à trouver une place (amis avec tout le monde ils n’ont pas véritablement d’amis, par exemple). Ils présentent une sensibilité particulièrement aiguë à toutes les modalités d’attachement comme de séparation. Ces enfants si bavards, si brillants verbalement, si à l’aise dans le maniement de la langue, se révèlent souvent étonnamment pauvres lorsqu’il est question de parler d’eux-mêmes, de leurs émotions, de leurs sensations, voire de leurs perceptions corporelles, et leurs affects brouillés par des mécanismes de clivage, condensation, évitement, paraissent sans définition précise.

64L’écriture s’inscrit comme une révélation projective de ces confusions, de ces paradoxes. Et la crampe qui souvent érige le bras, le poignet, les épaules, tout en maintenant le corps dans une gangue d’indifférenciation où muscles et articulations en se tétanisant se confondent, paraît comme la métaphore corporelle de la résistance à ce qu’advienne une représentation psychique définissant leur malaise. « J’aimerais bien avoir des pouvoirs magiques, me disait un jeune enfant, pour pouvoir tout faire bouger avec ma tête et hop !, ça écrirait ». Et ce « ça », c’était clair, n’était pas « je »...

65C’est pour cette raison que le premier acte thérapeutique consistera, lors de la première rencontre avec l’enfant, à tenter de faire surgir une première ébauche de ce « je », c’est-à-dire de faire prendre conscience à l’enfant de sa tension corporelle et ce que cette tension « recouvre » de malaise, voire de souffrance.

66Ainsi la première rencontre avec Max. Il a 12 ans, il est en 5e et ses professeurs, agacés, exaspérés puis inquiets, et unanimes lors d’un récent conseil de classe, ont décidé d’inciter ses parents à consulter pour son écriture. Celle-ci, de l’avis de tous, est illisible, l’aspect en est brouillon et désordre, elle est de surcroît très lente et l’enfant n’arrive pas à terminer son travail dans les temps. Cette écriture « déplorable » et notamment « sa main toute tordue » ont certes déjà fait l’objet de remarques dans les années antérieures et suscité étonnement et perplexité de la part des enseignants, mais les capacités intellectuelles de l’enfant toujours reconnues et appréciées en ont minimisé l’impact. On lui « pardonne » son écriture et le garçon poursuit une scolarité tout à fait brillante dans un bon lycée parisien. Une consultation en CMPP a cependant déjà eu lieu en fin du primaire mais les cliniciens consultés n’ont pas jugé utile d’entreprendre quoi que ce soit pour cet enfant doué et apparemment à l’aise sur tous les plans, à l’exception de la seule écriture. Un enfant qui se présente comme « sans histoire ». D’où les conclusions retenues par les parents : « Ça s’arrangera avec le temps. » Or le temps n’arrangeait rien.

67J’apprendrai cependant au cours de l’entretien avec les parents que Max est un enfant « plutôt intellectuel que physique ». Relativement peu sportif, il préfère lire et il est grand lecteur. Il est peu enclin à affronter les autres, déteste toute forme de compétition et s’il a des amis, en réalité ses relations sont plutôt ombrageuses et exclusives. Mais les parents, pourtant présents tous les deux, manifestent indéniablement des difficultés à parler de leur enfant spontanément. L’entretien tourne à l’inventaire anamnestique au décours duquel je vais apprendre qu’à la naissance de cet enfant unique, une malformation cardiaque lui a valu plusieurs semaines d’hospitalisation. Mais aucun commentaire n’accompagne cette information et la mère s’empresse seulement d’ajouter, devant ce qu’elle perçoit comme une invite de ma part à en dire plus, que de ce côté-là tout est rentré dans l’ordre, et actuellement la santé de Max est excellente. Si une certaine émotion est perceptible, aucune formulation d’affect ne semble possible. Ces parents qui semblent très présents et participants (ils sont venus tous les deux et proclament être prêts à tout faire pour leur enfant) paraissent tout autant très à distance, très « opératoires ». Leur récit, celui de la mère, en fait, car le père intervient peu, demeure factuel. Une seule chose semble « affecter » ces parents, c’est l’écriture. Elle est, insistent-ils, « la seule ombre au tableau ».

68Lorsque je vois Max seul, la version qu’il va donner quant à lui de ses difficultés rejoint tout d’abord entièrement celle de ses parents. Tout va bien hormis l’écriture. Celle-ci, dit-il avec humour, a tous les défauts : elle est illisible, elle est lente, elle est sale, et donc « de ce côté-là, ce n’est pas vraiment brillant ! ». De toute évidence, Max fait une présentation bien rôdée de sa situation, reprenant des mots sans doute cent fois entendus. Et s’emparant de la feuille de papier placée devant lui, avec un clin d’œil malicieux à mon endroit, il ponctue ses dires en écrivant une phrase : « Je n’aime pas écrire. »

69Je saisis alors l’occasion, puisqu’il s’aventure de lui-même sur la voie de l’écriture, pour l’inviter à en écrire davantage. Viendra alors la deuxième phrase : « J’aime lire. » Et Max semble bien décidé à s’en tenir là. Préférant de toute évidence le verbe qu’il utilise avec brio, il cherche à m’entraîner dans une conversation scintillante d’intelligence et d’esprit, bien décidé à faire diversion et m’attirer dans les rêts d’une séduction dont il savoure les effets. Je dois faire preuve d’une certaine fermeté pour le ramener à l’écriture, ces quelques mots écrits à la hâte me paraissant nettement insuffisants pour m’apporter les éléments nécessaires à l’appréciation de ce qui, chez lui, fait achoppement.

70Dans les quelques lignes qu’il écrira ensuite sous ma dictée, je constate que dans une écriture globalement irrégulière les lettres sont mal formées, certaines sont comme suspendues ou inachevées : des lettres qui ne sont pas tout à fait parvenues au statut de lettres. Quant au mouvement du bras qui écrit, l’élan semble en être sans cesse brisé, la progression de la main sur la ligne est saccadée, comme soumise aux impulsions contradictoires d’un geste où s’affrontent à la fois l’emballement et l’excès de retenue.

Figure 7

71Mais ce qui est surtout frappant, c’est la tension corporelle : le bras est entièrement crispé, les articulations raidies. Le resserrement de plus en plus insistant des doigts sur le stylo évoque un cramponnement, tandis que le coude se soulève légèrement et que l’épaule droite remonte. La crispation qui s’accentue au fur et à mesure que l’enfant écrit évoque un corps dont le trop de présence fait fonction de résistance. Après quelques lignes, Max s’arrête, en soupirant et en secouant sa main, sans rien dire, puis reprend l’écriture de son texte. Invité alors à s’exprimer sur ce qui se passe pour lui dans ces moments où il s’interrompt, Max explique que l’écriture le fatigue. Questionné sur ce qu’il ressent alors, il regarde sa main. « Je transpire », constate-t-il, tandis qu’il essuie sa paume sur sa manche : « Ça m’oblige à m’arrêter souvent car le stylo glisse entre mes doigts. » Encouragé à poursuivre, il finit par préciser qu’en fait il a mal quand il écrit. Il se prend alors le poignet de la main gauche, expliquant que la douleur s’installe d’abord là, puis elle gagne l’avant-bras, remonte dans le bras jusqu’à atteindre l’épaule. De toute évidence, Max découvre toutes ces perceptions et ce vécu corporel dans le même temps qu’il m’en donne la description.

72Et c’est là un point important à souligner. Car c’est au moment où, sur notre sollicitation, l’enfant se met à porter attention à son corps et à ce qui se passe en lui qu’il semble découvrir son malaise. S’étayant, en quelque sorte, sur l’intérêt que nous manifestons pour ces signes corporels de souffrance qui sont visibles dans le malaise et la tension, et que nous lui renvoyons par des mots, des interrogations ( « Que se passe-t-il là ? », « Que ressens-tu ? » ), il semble y porter attention à son tour, et lorsque Max se met à se palper le bras à la recherche des point précis où la douleur se fait sentir, c’est de toute évidence la première fois qu’il en prend vraiment conscience et qu’il remarque ces manifestations douloureuses qui accompagnent chez lui l’inscription de l’écriture. Il met un vécu corporel, et des mots, sur ce qui n’était jusque-là, pour lui, qu’une réticence à écrire.

73Et tandis qu’il évoque et précise son malaise, son corps lâche soudain la tension qui le tenait en quelque sorte érigé dans la raideur et semble s’affaisser. L’enfant faraud du début de l’examen change d’apparence. Et une nuance de découragement s’inscrit dans son sourire lorsqu’il poursuit : « Plus je m’applique, plus je me crispe, plus j’ai du mal, et mal. »

74Une modification tout à fait notable s’est donc opérée dans l’attitude de Max par rapport à sa difficulté. La posture de fanfaronnade affichée dans le premier contact a cédé. Son humour, masque de son malaise, et qui était bien là pour lui en épargner toute prise de conscience, laisse place à une attitude beaucoup plus attentive à lui-même et plus authentique. Et c’est la survenue, dans cette première rencontre thérapeutique, de la perception d’un vécu corporel douloureux qui a pu faire ouverture en quelque sorte à une prise de conscience d’une réalité douloureuse et qui, elle, lui appartient.

75Cette reconnaissance par l’enfant de sa souffrance, et la prise à son propre compte de cette souffrance, représente le premier travail indispensable pour la poursuite d’un engagement thérapeutique avec ces enfants. C’est différent en effet de dire « j’ai » une mauvaise écriture, l’écriture étant présentée comme un élément extérieur à soi, détaché de soi, un élément mauvais qu’on apporte sur un plateau avec l’injonction : « occupez-vous-en ! », et de dire : « Je souffre quand j’écris, peut-on faire quelque chose, puis-je avec votre aide faire quelque chose pour que ça change ? » Autrement dit, exprimer une demande, c’est-à-dire reconnaître d’abord que l’on souffre. Et ce passage, ici, par le corps, par la perception par l’enfant de l’existence d’un corps qui est dans le malaise, la souffrance, voire la douleur, est la première étape d’un cheminement dans lequel le thérapeute accompagnera l’enfant dans un corps-à-corps thérapeutique, élaboratif.

76C’est ainsi que Max, après avoir pu dire de manière authentique son désir d’être aidé pour le mal-être qui surgissait en lui dès lors qu’il se trouvait en situation d’écrire (on était loin évidemment de l’idée de « rééduquer » son écriture, comme cela lui avait été proposé jusque-là), me lançait, avec un petit sourire : « En fait, j’aimerais avoir une très belle écriture, j’aimerais avoir une main d’or. » Il laissait sourdre là soudain « l’autre côté de la médaille », le verso du « de ce côté-là ce n’est pas brillant », sous forme d’une immense aspiration à quelque chose comme un idéal d’écriture : l’écriture, je m’en désintéresse, je ne veux pas la voir, mais j’aimerais qu’elle me soit donnée, toute faite dans mes doigts, et merveilleuse. Le « drame » de ces enfants est bien dans cette position paradoxale où l’aspiration à l’idéal âprement forgé dans la tentative d’évitement de la représentation de la castration est sans cesse en bute avec l’incontournable « réel » du corps.

77On pourrait dire que le passage à la latence de l’écriture, ces enfants ne l’ont pas fait. La main reste fermée en poing sur le crayon qu’elle tient à pleine paume comme pour malmener l’écriture, avec rage, la rage narcissique de la crampe. La main crispée comme métaphore du moi « dont le rêve est d’être un poing immobile refermé sur l’objet » (P. Gantheret, cité par P. Denis, 1992). La crampe ne serait-elle pas tentative de gérer les angoisses primitives, mais en renvoyant à l’indicible de la souffrance narcissique, cette souffrance blanche, sans mot, sans les mots, d’avant les mots ? Et la tentative de ces enfants de maintenir la lettre comme à l’état de fétiche puisque, tout en étant connue, elle est niée par un tracé qui reste chez eux du côté du dessin, ne renverrait-elle pas à un mécanisme de défense, inscrit dans le corps même de l’écriture, contre l’angoisse de la perte de l’objet primaire ?

78Car ce que nous montrent toujours aussi ces enfants, c’est que lorsque leur tension « lâche », comme nous l’a montré Max, ils s’effondrent. Ils s’effondrent corporellement parlant, et psychiquement parlant, et souvent alors dans le silence. Quand ils ne sont plus soutenus par l’écran de leur verbe et tenus par le carcan musculaire de leur crispation qui tient lieu de déni de perception interne, ces enfants ne tiennent plus. Comme si la trame psychique que préfigure le tonus, ce moi premier corporel [17] dans sa fonction très primitive de charpente du moi, c’est-à-dire de matériau fondateur des contenus psychiques, était chez eux mal constitué, fragile.

79Tout se passe comme si ces enfants, lorsqu’ils s’engagent dans cet acte d’écrire qui concrétise lien et séparation, rejouaient au plan même de leur corps une expérience très primaire de chutes momentanées du tonus vital liées à des désinvestissements ou des excès momentanés d’investissements très précoces de la part de l’entourage maternel ; investissement défectueux donc, qui a pu être accentué ou même provoqué de manière circonstancielle, comme cela s’est sans doute produit pour Max du fait de son départ dans la vie difficile et inquiétant. Dans un entourage qui peut être à la fois trop présent et absent, un pare-excitation suffisamment solide n’a pu se constituer pour l’enfant.

80On peut penser que la persistance, de ce fait, d’une relation restée trop narcissique à l’objet n’a pas permis à l’organisation de l’instance surmo ïque d’évoluer de manière tout à fait satisfaisante jusqu’au niveau œdipien et ambivalentiel. Le surmoi reste alors trop confondu avec l’idéal du moi. Ces enfants se structurent non pas sur le mode surmo ïque en référence au surmoi interdicteur œdipien, mais sur le mode d’une soumission à un idéal du moi qui, tentant d’esquiver l’interdit œdipien, bute sur un autre, plus intransigeant, plus féroce encore et plus persécuteur, car leur image y est impliquée, une image qui reste un « reflet » des projections narcissiques des parents. Et dans ce mode de structuration psychique, les limites forcément troubles du reflet de l’image n’apportent pas la sécurité interne que peut apporter la rencontre-butoir de l’interdit œdipien et elles définissent donc avec moins d’assurance les contours du moi.

81Il est évident que la question de la séparation dans son lien à la représentation de la perte et de l’absence est chez ces enfants au premier plan. Leur capacité à mentaliser l’absence, à se représenter l’absence est insuffisante et l’inquiète recherche de la présence permanente de l’objet introduit un trouble dans la différenciation moi-l’autre. « Je me suis interrogé, me disait un jeune patient après plusieurs années de thérapie, sur la différence entre “tenir à” et “tenir bon”. » Et il ajoutait : « Tout me fait mal. C’est comme si je mettais ma main sur une plaque chauffante qui me brûle, mais je ne peux la lâcher, car lâcher c’est perdre. » Il n’est pas rare de se trouver confronté avec ces enfants à une sorte de dépression essentielle, dépression anobjectale, cette forme de dépression qui s’oppose à une vraie dépression qui, elle, suppose la représentation de la perte de l’objet (maternel) et en permet le deuil (A. Green, 1980).

82Mais il arrive que ces enfants soient l’objet de surgissements pulsionnels sous forme de débordements soudains, d’explosions émotionnelles brutales, à l’état brut, faits de violences ou désespérances d’allure « hémorragique ». Il ne s’agit pas de retour de refoulé, ce qui impliquerait que la structure psychique refoulante, le préconscient, soit bien constituée dans sa fonction de liaisons entre affects et représentation à travers le langage, mais plutôt de « lâchage », signant précisément la défaillance de la barrière du préconscient dans son rôle de filtre.

83C’est ainsi que la difficulté à bien écrire nous parait trouver sa juste place dans la catégorie des troubles d’origine narcissique que l’on a qualifiés de présymboliques (J. Mac Dougall, 1989), car touchant les fondements même de l’appareil psychique, troubles révélateurs donc d’un dysfonctionnement très archa ïque qui, dans une évolution psychique relativement satisfaisante chez ces enfants, se serait maintenu à l’intérieur de leur psyché, modulant de manière particulière leurs investissements relationnels.

QUE VA-T-IL EN ÊTRE DE LA THÉRAPIE ?

84Précisons tout d’abord que dans notre tentative de conceptualisation de l’approche thérapeutique, les théorisations de l’école psychosomatique de Paris nous ont beaucoup aidés compte tenu de l’indéniable connotation somatique de la crampe ; mais nous nous sommes surtout référés aux théorisations actuelles autour des états limites et plus particulièrement aux travaux de Roger Misès (1990) sur les pathologies limites de l’enfance, ainsi qu’aux théorisations récentes sur les psychothérapies de relaxation (M. L. Roux, M. Dechaud-Ferbus, 1993).

85Nous avons toujours été menés, dans nos recherches pour élaborer une approche thérapeutique en adéquation avec la structure psychique de ces enfants, par un questionnement insistant autour de la particularité du transfert dans lequel ils s’engagent. Guidés par les avatars de notre contre-transfert, nous avons dû réinterroger notre pratique analytique en la revisitant à la lumière des connaissances que nous avons acquises sur l’installation de la capacité à écrire de l’enfant à partir de l’observation d’enfants normaux ou d’enfants névrosés, d’enfants psychotiques, ou encore d’enfants dysharmoniques ou déficitaires, ainsi que d’adultes. Et tandis que nous arrivions à mieux cerner peu à peu ce qui caractérise le fonctionnement psychique de ces enfants en mal d’écrire, nous avons tenté de préciser les contours d’un cadre thérapeutique en cohérence avec les constatations que nous apportait notre expérience clinique.

86La dynamique du travail va ainsi prendre appui sur une relation transférentielle de type particulier, car le travail psychique qui va s’effectuer sera moins un travail de décondensation des formations psychiques qu’un travail de décondensation des formations pré-psychiques. Le moyen thérapeutique sera donc l’association, certes, mais à un niveau très primaire, très archa ïque, travail qui devra tenir compte des difficultés de ces patients à associer. Et la recherche de construction de liens intra-psychiques devra tout d’abord passer par le renforcement du pare-excitation et l’amenuisement des mécanismes de clivage.

87C’est ainsi que nous avons gardé certains éléments du cadre proposé initialement par l’équipe d’Ajuriaguerra, mais en orientant le travail dans un sens plus délibérément psychanalytique. On peut définir notre approche comme une psychothérapie utilisant la médiation du corps engagé dans des tracés projectifs. Le cadre dans lequel se développe la dynamique de ce travail est celui de la psychothérapie de relaxation. Le setting en est toutefois différent et ressemble davantage à celui d’une psychothérapie classique en ce sens que l’enfant est assis à une table, face au thérapeute. Sur la table, une simple feuille, mais très grande, vaste espace de projection entre l’enfant et le thérapeute, et des pastels que l’on introduit dans un porte-mine approprié. C’est tout. L’enfant est invité à se laisser aller à produire « le plus librement possible » des tracés sur cette grande feuille en étant attentif à ce qui se passe à ce moment-là dans son corps. Sur la feuille, c’est le tracé qui fait l’objet essentiel du travail. Il n’est question ni de dessiner, ni évidemment d’écrire. Ces tracés ne sont pas du dessin, ils ne sont pas de l’écriture, c’est-à-dire qu’ils n’inscrivent ni des représentations ni du langage. En excluant l’écriture et le dessin, c’est avec le corps même de l’enfant, en lien transférentiel avec le corps et le regard du thérapeute, que s’élabore le travail. Et c’est autour du corps engagé dans ce trait primaire que nous travaillons, toujours renvoyés à la valeur incontournablement projective de cette trace en prise directe avec le tonus. Et le thérapeute devra accompagner les destins pulsionnels de ce trait, projection du moi corporel, et ses cheminements élaboratifs dans la dynamique de la relation transférentielle.

88Il s’agit donc essentiellement, à l’aide de mise au jour d’associations très simples – aussi bien entre les différentes parties du corps qui, dans la crampe, sont confondues dans le raidissement, qu’entre la texture d’une trace et le mouvement émotionnel qui la forge par exemple – de repérer et constituer des liens, à la frontière du psyché-soma tout autant que psychiques, dans une recherche de mobilisation d’affects et de représentations. Le thérapeute se situe en position d’étayage identificatoire et propose à l’enfant des « énoncés interprétatifs » (P. Castoriadis-Aulagnier, 1975) de ce qu’il perçoit des messages que lui adresse transférentiellement le corps de l’enfant, à l’aide de ses propres mouvements contre-transférentiels passant par son propre corps et son regard.

89Ce travail sur les liens se fait, bien sûr, au moyen des mots qui seront porteurs de liens signifiants. Rôle de « porte-parole » du thérapeute dont les mots viennent signifier des liens et non pas interpréter des contenus. Et nous insistons pour souligner qu’il s’agit là d’un travail d’élaboration qui s’appuie non pas sur des interprétations de contenus psychiques, comme dans une psychothérapie psychanalytique classique, mais sur des associations interprétatives qui tendent à promouvoir des contenus psychiques.

90Et pour illustrer ce travail, j’ai choisi de relater quelques séquences de la thérapie de Tom, un jeune garçon de 10 ans venu consulter à Sainte-Anne pour des difficultés anciennes et persistantes en écriture.

Figure 8

91Une tentative de psychothérapie quelques mois auparavant s’était vite interrompue du fait de l’opposition de l’enfant. Un suivi antérieur en psychomotricité avait eu lieu pendant environ deux ans. L’enfant présentait quelques difficultés d’adaptation scolaire, pour des raisons essentiellement d’ordre comportemental où entraient autant l’inhibition que les débordements sous formes de colères violentes. On avait aussi parlé d’une importante phobie du toucher dans son jeune âge.

92Au cours du premier entretien Tom, malgré son apparente distance par rapport à son symptôme, avait toutefois pu me dire : « Je me crispe quand j’écris, c’est fatigant... ce serait bien si j’arrivais à écrire mieux, mais je n’y arrive pas, car j’ai trop de pression dans la main. » Et il avait manifesté une adhésion qui semblait réelle au travail de graphothérapie que je lui proposais.

93Dans les premières séances, Tom est donc invité, selon le cadre décrit précédemment, à produire un tracé par de simples mouvements circulaires et répétitifs du bras posé sur le grand papier, à la recherche du geste le plus libre possible. Longtemps, pour Tom, il s’agira là d’une tâche impossible. Malgré une apparente « bonne volonté » et une évidente adhésion au cadre de travail qui lui est proposé, l’expression « le corps n’y est pas » convient parfaitement pour décrire l’extraordinaire incapacité de son corps à s’y mettre, alors que verbalement, au contraire, abondent les protestations d’allégeance, sous forme de « oui d’accord » à toute proposition, intervention, aide. Son bras paraît être dans l’incapacité de se poser, d’entrer en contact avec la feuille et reste dressé, cependant que la pointe du pastel semble au contraire vouloir pénétrer à toute force dans la feuille. Le rythme de son mouvement est anarchique, tantôt précipité, tantôt exagérément ralenti. Le tracé reste parfois précis dans la continuité, parfois s’égare et déborde la feuille. Le trait peut être rageur ou totalement déliquescent et ténu. L’investissement du corps est tout en discontinuité, discordances, ruptures, à travers lesquelles on ne peut guère repérer une quelconque manifestation comportementale qui serait liée à la situation, à la relation. Singulièrement malmenée contre-transférentiellement par cet enfant qui m’en met plein la vue de son monde intérieur cahotique dans des tracés anarchiques, je me sens désarmée car privée de toute possibilité d’intervention visant une élaboration signifiante de ces agissements et réalisations qui paraissent dénués de tout sens. Je me sens comme expulsée, n’existant pas, mise à l’écart autant sur le plan représentatif que transférentiel.

94Pourtant, Tom me sollicite incessamment. Comme incapable de se résoudre à réaliser seul des tracés, il m’appelle à l’aide et avec insistance me tend le pastel pour que je trace d’abord pour lui. Mais la trace que je lui offre ainsi comme étayage afin qu’il s’y appuie, il s’efforcera en général de ne pas la suivre. Trace maternelle appelée et refusée qui renvoie à l’ancienne phobie du toucher de Tom, dont sa crampe actuelle n’est sans doute que la répétition, condensation de la dialectique du toucher pour se fondre et se confondre et toucher pour résister, attaquer, mais sans que nul lien symbolique ne vienne nouer ces deux mouvements contradictoires (Freud, 1926). Et cette demande réitérée et rejetée condense à la fois la recherche d’un pare-excitation, d’un dispositif où les limites sont posées, structurantes au plan du moi, et la recherche d’un surmoi archa ïque, à attaquer car inassumable au plan de l’économie pulsionnelle.

95Ainsi disposé ni à s’opposer ni à complaire, Tom semble rester étranger à lui-même comme à l’autre, pour ne pas perdre ou se perdre, parfaitement sourd aussi aux signaux que renvoie son corps révélateurs de son malaise. Pendant longtemps, toute invite de ma part à sentir quelque chose dans son corps et de son corps, à percevoir une quelconque différence tonique, par exemple, selon les moments où il appuie ou bien effleure, ne reçoit aucun écho. Tom ne sent rien. Son corps reste totalement indifférencié et comme totalement désaffecté.

96Le transfert se maintient également sur un mode distant et confus, qu’authentifie, du reste, l’usage du « on » pour se désigner lui-même, me désigner, nous désigner lui et moi dans une parfaite indistinction. « On » qu’il va aussi employer lorsqu’il évoquera sa mère, son père étant présenté comme lointain ou absent, volontairement exclu, en tout cas, de sa relation avec sa mère. Ainsi Tom prétendra-t-il que, bien que vivant tous sous le même toit, il n’a jamais vu ses parents ensemble car, précise-t-il, son père dispute toujours sa mère, « mais il ne la touche pas, heureusement, c’est seulement avec des mots » !... Confusion comme sans cesse activée dans la représentation des liens qui pourraient organiser un fantasme de scène primitive...

97Les séances se déroulent autour d’un lent travail sur les perceptions corporelles en lien avec leur traduction graphique. Un travail sur les différences et les différenciations autant au plan des segments corporels engagés dans les tracés qu’au plan des qualités perceptives du tracé résultant et visualisables sur la feuille.

98Progressivement, certaines différenciations apparaissent dans l’espace tumultueux des tracés, organisant des esquisses de formes repérables après-coup. Je me hasarde parfois à l’interroger sur ce qu’il perçoit, lui, de ces possibles surgissements figuratifs : « Ça ressemble à quelque chose ?... tu y vois quelque chose, tu penses à quelque chose ? » À ces questionnements dont la formulation est intentionnellement variée, la réponse tombe, elle, immuable : « Rien, absolument rien, ce que je fais ne ressemble à rien et ne me fait penser à rien. » Et qu’il ne soit pas dit que cela puisse évoquer quelque chose, semble alors m’asséner Tom, avec parfois même une certaine brusquerie, tandis que son regard esquive la feuille, un regard qui part « ailleurs ». Ailleurs par rapport à ce qui pourrait prendre sens et introduire quelque représentation psychique dans ces productions qu’il entend bien laisser là, coupées de lui aussitôt que produites et immédiatement désaffectées, rendues insensées. Tout aussi insensé paraît alors le projet de vouloir y trouver sens. Si son corps commence à sentir ce que révèlent ces différences qui apparaissent dans les tracés, les productions de son corps restent encore pour lui bien inertes. La trace demeure une sorte de projection à l’état libre. Le mouvement de récupération par la mentalisation qui se produit habituellement n’a pas lieu ici, l’acting restant à l’état d’acting out, hors psyché.

99Peu à peu, toutefois, quelques avancées perceptives associées à une prudente libidinalisation des agirs corporels deviennent possibles. Tom se laisse aller à sentir un peu la sensorialité et la pulsionnalité de son corps. Il devient alors capable de m’entendre lorsque je lui propose d’établir un rapport entre certains de ses agissements dans ses tracés et ce que je peux percevoir de leur équivalent pulsionnel – par exemple, lorsqu’il dépasse largement les contours de la feuille ou appuie jusqu’à écraser la pointe de son instrument – et ce qu’il pourrait me signifier là de son désir de s’opposer à ce qu’il perçoit peut-être comme une exigence de ma part. Ainsi pourra-t-il un jour associer lui-même sur la crainte de ses propres mouvements agressifs et exprimer son « horreur » des bagarres en récréation, le justifiant par un souci de ne pas se laisser aller à la démesure « car si on ne se retient pas, jusqu’où irait-on ? ». Dans le même temps, il se met à marquer d’un trait les contours de la feuille en en suivant soigneusement la périphérie et, dans cet espace qu’il a ainsi constitué lui-même, il réalise ses tracés. L’idée d’un contour, et donc d’une séparation et aussi de limites protectrices, commence peu à peu à s’élaborer.

100Tom vient toujours à ses séances avec régularité et ponctualité, fidélité pourrait-on dire. Un jour, à ma grande surprise, il est absent, une absence non annoncée. À la séance suivante, spontanément il en parle. Il vient d’apprendre, me dit-il, que la semaine dernière son accompagnatrice n’a pu venir le chercher pour le conduire à sa séance, d’où son absence. Malgré mes sollicitations, Tom se refuse à tout autre commentaire. Il ne peut rien dire de plus. J’interviens alors et parle en mon nom : « Je t’ai attendu, et ne sachant pas la raison de ton absence, je me suis posé des questions. ». « Oui, reprend Tom, quand on attend et qu’on ne sait pas on se pose des questions. Moi aussi je me suis demandé si... (il hésite puis choisit la formule impersonnelle), Mme Du Pasquier n’était pas malade, ou si elle avait une urgence. » Je reprends, négligeant le contenu soudain plus clairement transférentiel de la remarque : « Oui, on pense à l’autre quand il n’est pas là. Tu as pensé à moi parce que je n’étais pas là. L’absence, ça permet de penser. » Écartant en effet ce qui dans l’énoncé de Tom renvoyait à une possible défaillance de ma part, dans la maladie (attaque de l’objet, sans doute, mais tout autant accession à la soudaine possibilité d’une représentation de la fragilité de l’objet interne), j’ai spontanément choisi de ne retenir et mettre en avant que la positivité de cette survenue d’une pensée consciente me concernant, pointant par là, non pas la teneur du mouvement transférentiel, mais la capacité même d’accéder à un tel mouvement représentatif. Plutôt, en effet, que de risquer de violenter l’enfant par une élucidation du transfert, il m’est apparu préférable de mettre l’accent sur l’internalisation d’un processus psychique plutôt que sur le contenu même du mouvement psychique, soulignant par là à l’enfant sa capacité de prise en compte de son fonctionnement psychique. Mise au jour, en quelque sorte (ou mise en mouvement), de la psyché dans la dynamique relationnelle qui nous liait. Un « fond » pour le pourtour préalablement esquissé, et qui définissait un espace-écran de projection où semblaient pouvoir commencer à se dessiner quelques figures de cette scène que nous pouvions soudain jouer à deux.

101Tom, en réponse à mon propos, opine de la tête en souriant. Puis il s’empare d’un pastel et, sur la feuille, trace de sa propre initiative plusieurs arcs de cercle qui s’entrecroisent. Et, contrairement à son habitude, il regarde ce qu’il vient de tracer, en silence. Un silence suspendu qui révèle une mobilisation intérieure. Tom pense. Je risque une question : « Cela semble te faire penser à quelque chose ? » Un mot tombe alors en guise de réponse : « Un trou ». Un peu « médusée », je répète : « Un trou ». « Le trou », reprend alors Tom en désignant sur son tracé le point de croisement des arcs, là où c’est plein, là où il y a contact. Et, le plus tranquillement du monde, il prend l’initiative de retourner la feuille et, avec un plaisir évident, il trace de nouveaux arcs entrecroisés, déplaçant la feuille, variant la couleur des traits, mobilisant comme jamais tous les segments de son bras. « Ça fait danser le crayon », commente-t-il encore, en jouant du balancement de sa main autour de son poignet et du rythme des va-et-vient de son avant-bras. Puis il ajoute, en observant le résultat sur la feuille : « On peut voir une fourche, avec tous ces barrements (croisements). » Et avec un rire étouffé il conclut : « C’est la fourche prisonnière. » Figuration graphique qui condense donc les limites, les contraintes, les interdits, au moment même où s’ébauche, autour de la survenue d’une représentation mentale assumée, une libération de la parole tandis que se révèle une soudaine liberté corporelle, associée à la reconnaissance d’un plaisir. Une perception a pu avoir lieu à partir d’un mouvement transférentiel, renvoyant à une représentation mentale à laquelle elle semble aussi avoir donné accès.

102Ainsi, la possibilité qui m’avait été offerte par le « trou » d’une séance de désigner la fonction représentative de l’absence avait permis, mieux sans doute qu’une allusion directe, de dévoiler un mouvement transférentiel, de pointer un contact relationnel qui avait pu se métaphoriser sur le papier en une figuration, celle de plusieurs lignes différenciées mais se croisant en un point, tandis que la détente corporelle dans le même mouvement marquait un certain abandon du processus défensif, laissant le passage à un processus de psychisation, et le langage qui venait à la rescousse trouvait ici sa vraie place pour symboliser avec des mots une représentation.

103Mais cette représentation, le trou, première advenue chez Tom au cours de ce travail, l’est au lieu même de la figuration du plein et du lien. Représentation psychique en négatif de ce lien. Là où ça fait lien, Tom voit un trou. Hallucination à la place de la perception. Divorce entre le figuré, du côté de la représentation de chose, et le symbolisé, du côté de la représentation de mots. Là où il y a lieu de voir, il hallucine, refusant la perception. Comme il refuse dans la perception de la lettre sa valeur symbolique, c’est-à-dire séparatrice. Le croisement des traits symbolise ici l’incontournable de l’autre, et donc de la différence, le point de contact circonscrit dans le temps par rapport à la fusion intemporelle dans sa durée, au même titre que le mot présente des scansions par rapport à l’infini de la vocalisation, au même titre que la lettre est définie par rapport à l’indéfini du dessin ou de l’image.

104Hallucination en négatif qui serait révélatrice du désinvestissement, affectif aussi bien que représentatif ? Meurtre psychique de l’objet, dit André Green, accompli sans haine. Identification au trou laissé par le désinvestissement dont l’objet serait responsable, et non à l’objet, et qui marque évidemment l’échec de l’expérience de séparation individuante. Le mot « barrement », survenu curieusement aussi à la place de croisement, dans l’explication de Tom, n’en apporte-t-il pas confirmation ?

105Ainsi, le travail accompli jusque-là, si ténu soit-il, avait sans doute permis au jeune garçon, à l’occasion de cette expérience d’absence, de se dégager de la précipitation dans une répétition inaffectée qui lui était coutumière, et qui prenait la forme de ce « rien » qu’il proférait automatiquement en réponse à ma question sur sa compétence à penser. Ce rien était devenu trou. Passage du vide au manque. Le désarroi dépressif qui perçait dans cette nouvelle formulation marquait aussi l’ébauche d’une dynamisation psychique et la survenue possible d’un mouvement psychique plus plein, justement, plus habité pulsionnellement et affectivement et représentativement : la danse du crayon, la fourche prisonnière. Survenue, certes encore timide, d’un fantasme de scène primitive plus habité libidinalement, dans le champ transférentiel.

106Au cours des séances suivantes, Tom s’est mis à réaliser des tracés, souvent repris de tracés précédemment réalisés avec mon aide, mais tout seul cette fois. Il trace sans moi, ma présence n’étant ni sollicitée ni gênante, tranquillement, comme l’enfant capable de jouer tout seul en présence de sa mère (Winnicott, 1963).

107Par la suite, il figurera sur le papier des formes isolées entremêlées et colorées, qu’il superpose ludiquement. Et plus tard il en arrivera à fermer les yeux, laissant sa main inscrire d’elle-même des traces, hors de son regard. Une main qui se met à tracer toute seule ? Il confie ainsi à son corps, aux perception corporelles seules, le soin de produire ces tracés. Moins terrorisé, donc, par un vécu pulsionnel ressenti jusque-là comme inquiétant et dangereux car possiblement sans limite, il peut du même coup s’affranchir de ce regard surmo ïque ou trop porteur d’attentes idéalisées qui ne pouvait qu’inhiber auparavant toutes ses tentatives de production.

108Et j’évoquerai une autre séance dans les temps qui ont suivi. Une deuxième rupture s’est produite dans la succession de nos rencontres, un nouvel empêchement de l’accompagnatrice. Tom souligne la répétition avec, cette fois, un léger agacement dans la voix. Il reprend ses tracés, tentant de laisser aller sa main librement et soudain s’arrête. Avisant dans les traits entremêlés une forme triangulaire il s’exclame : « Mais c’est un A ! » « A » majuscule, certes, symbole isolé, posé là en majesté. Forme totémique qui n’est pas encore cette lettre prête à constituer le mot et donc à s’y perdre (M.-A. Du Pasquier, 1995), mais lettre, toutefois, et à valeur au moins transitionnelle car, tout en maintenant un statut de forme, elle introduit dans notre espace transférentiel graphique, en même temps qu’une figuration triangulaire œdipienne, une symbolique langagière. Et cette figuration d’une lettre, Tom l’a fait surgir de ses tracés, il l’a vue et il me l’a montrée. Cette prise en compte de sa capacité propre à inscrire un symbole, à s’inscrire symboliquement en passant par son corps, ne serait-elle pas l’équivalent d’un véritable mouvement d’introjection où s’ouvre le champ de sa capacité d’assumer distance et séparation avec l’amenuisement de la position phobique [18] ?

109Accéder à la capacité de tracer seul en présence du thérapeute une trace qui lui appartienne à part entière, parce que dégagée d’implications trop chargées narcissiquement et portant de ce fait une valeur symbolique parce que relationnelle, c’est sans doute là le sens de ce travail thérapeutique.

110Il n’est pas question évidemment dans cette thérapie de chercher à réaliser de beaux tracés, ni de beaux dessins, et pas davantage une belle écriture. En général, l’écriture qui prenait au départ une place si bruyante disparaît de la scène, on n’en parle plus. C’est-à-dire qu’elle s’est mise à fonctionner. Mais elle ne fait pas du tout partie de l’espace thérapeutique. Le dessin n’y participe pas davantage. Il est même radicalement exclu de ces tracés qui restent au plus près du corps, car il s’agit bien d’éviter avec ces enfants, en ayant recours au dessin, le saut trop facile pour eux dans des formations imaginaires défensives souvent empruntées (copains, TV, films, livres) avec lesquelles ils s’enlisent dans une fantasmatique extrêmement primaire et morcelée, qui entretient le clivage, évite les liens, perpétue un vécu corporel asymbolique car souvent non possiblement repris dans un langage articulé.

111Le processus thérapeutique particulier qui s’instaure dans ce cadre très défini, et qui doit être fermement maintenu, permet au trait de se symboliser, c’est-à-dire de devenir un représentant corporel signifiant, reprenant le sens premier du « simbolon », cette part coupée de l’autre part et qui permet de reconnaître l’autre et de s’associer. Le symbole n’existe que dans son lien à l’autre partie, comme le trait n’a de sens que dans son lien à un corps vivant, c’est-à-dire déjà symbolique car habité de sens, d’un sens donné par une sensorialité vive, c’est-à-dire perçue et reconnue.

112Freud (1929), dans Malaise dans la civilisation, qualifiait l’écriture de « langage de l’absent ». Ne pas arriver à bien écrire, c’est avoir beaucoup de mal à parler ce langage-là. Car écrire, c’est parler à quelqu’un qui n’est pas là comme s’il était là. Seul l’enfant capable de jouer seul en présence de sa mère deviendra capable d’écrire à l’autre absent comme s’il était là. Et seul cet enfant-là saura suffisamment bien écrire.

113Automne 2001

Bibliographie

RÉFÉRENCES

  • Abraham N., Torok M. (1972), Introjecte-incorporer. Deuil et mélancolie, Destins du cannibalisme, NRF, no 6.
  • Abraham N., Torok M. (1978), Deuil ou mélancolie, L’écorce et le noyau, Aubier-Flammarion.
  • Ajuriaguerra J. de (1970), Manuel de psychiatrie de l’enfant, Paris, Masson.
  • Ajuriaguerra J. de, Auzias M., Coumes F., Denner A., Lavondes-Monod V., Perron R., Stambak M. (1964), L’écriture de l’enfant, Paris, Neuchaâtel, Delachaux & Niestlé.
  • Anzieu D. (1985), Le Moi-peau, Paris, Dunod.
  • Aulagnier P. (1975), La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé, Paris, PUF.
  • Auzias M. (1999), Hic et nunc. En hommage à René Diatkine, Éolution psychiatrique, 64, 411-423.
  • Barande I. (1968), Le vu et l’entendu dans la cure, Revue française de psychanalyse, XXXII, 1, 67-96.
  • Barthes R. (1972), Le degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil.
  • Bergès J., Balbo G. (1994), L’enfant et la psychanalyse, Paris, Masson.
  • Bergès J., Bounes M. (1974), La relaxation thérapeutique chez l’enfant, Paris, Masson.
  • Bounes M. (1985-1986), Test de Rorschach avant et après traitement de relaxation chez l’enfant, Bulletin de psychologie, XXXIX, no 376 (11-15), 651-654.
  • Besançon A. (1994), L’image interdite, Paris, Fayard.
  • Dechaud-Ferbus M., Roux M.-L., Sacco F. (1994), Les destins du corps, Toulouse, Érès.
  • Covello A., Mignard E., Du Pasquier M.-A., L’Hériteau D. (1973), Blessure organique et blessure narcissique, La psychiatrie de l’enfant, XVI, 2, 381-466.
  • Dejours C. (1989), Recherches psychanalytiques sur le corps, Paris, Payot.
  • Denis P. (1992), Emprise et théorie des pulsions, Bulletin de la société psychanalytique de Paris, no 23, janvier 1992.
  • Diatkine R. (1984), Agression et violence, Revue française de psychanalyse, XLVIII, 4, 937-946.
  • Duparc F. (1998), L’élaboration, L’esprit du temps, 1998.
  • Du Pasquier - Grall M.-A. (1990), L’évolution de l’écriture : point de vue clinique, in L’écriture, le cerveau, l’œil et la main (Actes du Colloque international du CNRS, Collège de France, Paris, mai 1988), Brépols-Turnhot, 1990.
  • Du Pasquier M.-A. (1992), L’écriture entre langage et trace, Psychologie médicale, 24, 14.
  • Du Pasquier M.-A. (1995), Les troubles de l’écriture, Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, t. 2, p. 1635-1640.
  • Du Pasquier M.-A. (1995), Écrire : de la trace à la lettre et de la lettre au mot, Progrès en pédiatrie, 11, Paris, Doin Éditeurs.
  • Du Pasquier-Grall M.-A. (1997), Gauchers, ne soyez plus contrariés, Hachette, « Psycho ».
  • Dupeu J.-M. (1993), La représentance dans la clinique psychanalytique de l’enfant, in Dire : entre corps et langage (B. Golse, C. Bursztejn), Paris, Masson.
  • Enriquez M. (1978), L’indicible et l’écriture, Topique, no 21, 1978.
  • Février J. (1995), Histoire de l’écriture, Paris, Payot.
  • Fraenkel B. (1992), La signature, genèse d’un signe, NRF, Paris, Gallimard.
  • Freud S. (1900), L’Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967.
  • Freud S. (1912), Totem et tabou, Paris, Payot, 1973.
  • Freud S. (1926), Inhibition, symptôme, angoisse, Paris, PUF, « Quadrige », 1993.
  • Freud S. (1927), Le fétichisme, in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1982, 6e éd., 133-138.
  • Freud S. (1923), Le moi et le ça, in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, 219-262.
  • Freud S. (1929), Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971.
  • Gobineau H. de, Perron R. (1954), Génétique de l’écriture et étude de la personnalité, Neuchâtel et Paris, Delachaux & Niestlé.
  • Golse B., Bursztejn C. (1993), Dire : entre corps et langage, Paris, Masson.
  • Green A. (1980), La mère morte, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 222-253.
  • Green A. (1998), La folie privée, NRF, Gallimard, 1998.
  • Green A. (2000), La position phobique centrale : ou un modèle de l’association libre, Revue française de psychanalyse, LXIV, 3, 743-771.
  • Kreisler L., Fain M., Soulé M. (1974), L’enfant et son corps, Paris, PUF.
  • Lebovici S. (1960), La relation objectale chez l’enfant, La psychiatrie de l’enfant, III, 1, 143-227.
  • Lebovici S. (1994), L’homme dans le bébé, Revue française de psychanalyse, LVIII, 3, 661-680.
  • Lemaire J.-G. (1964), La relaxation, Paris, Payot.
  • Leroi-Gouran A. (1965), Le geste et la parole, Paris, Albin Michel.
  • Luquet P. (1982), Structure du fantasme et du symbole et niveau d’interprétation, Revue française de psychanalyse, XLVI, 2, 401-406.
  • Lurçat L (1983), Le graphisme et l’écriture chez l’enfant, Revue française de pédagogie, no 65.
  • McDougall J. (1989), Théâtres du corps, Paris, Gallimard.
  • Marty P. (1980), L’ordre psychosomatique, Paris, Payot.
  • Marty P., Fain M. (1955), Importance du rôle de la motricité dans la relation d’objet, Revue française de psychanalyse, XIX, 1 et 2, 205-322.
  • Misès R. (1990), Les pathologies limites de l’enfance, Paris, PUF.
  • Misès R. (1990), Présentation de la CFTMEA, Neuropsychiatrie de l’enfance, 38, 10-11, 523-539.
  • M’Uzan M. de (1970), Le même et l’identique, Revue française de psychanalyse, XXXIV, 3, 441-451.
  • Nicola ïdis N. (1993), La force perceptive de la représentation de la pulsion, Paris, PUF.
  • Pasche F. (1998), Le sens de la psychanalyse, Paris, PUF.
  • Perron-Borelli M., Perron R. (1987), Fantasme et action, Revue française de psychanalyse, LI, 2, 539-637.
  • Perron R. (1985), Genèse de la personne, Paris, PUF.
  • Pinol-Douriez M. (1984), Bébé agi, bébé actif, Paris, PUF.
  • Pommier G. (1993), Naissance et renaissance de l’écriture, Paris, PUF.
  • Roux M.-L., Dechaud-Ferbus M. (1993), Le corps dans la psyché, Paris, L’Harmattan.
  • Sirat C., Irigoin J., Poulle E. (1990), L’écriture, le cerveau, l’œil et la main, Bibliogia, vol. 10, Brepols-Turnhout.
  • Stambak M., L’Hériteau D., Auzias M., Bergès J., Ajuriaguerra J. de (1964), Les dyspraxies de l’enfant, La psychiatrie de l’enfant, VII, 2, 381-496.
  • Stoloff J.-C. (1997), Les pathologies de l’identification, Paris, Dunod.
  • Tisseron S. (1985), Tintin et le psychanalyste, Paris, Aubier-Archimbaud.
  • Vernant J.-P. (1985), Mythe et pensée chez les grecs. Du double à l’image, Éd. La Découverte.
  • Wallon H. (1945), Les origines de la pensée chez l’enfant, Paris, PUF, 1989.
  • Winnicott D. W. (1963), Élaboration de la capacité de solitude, in Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1983, 31-42.
  • Winnicott D. W. (1971), Jeu et réalité, l’espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975.

Mots-clés éditeurs : Écriture, Symbolisation, Liens, Regard, Corps, Trace

Mise en ligne 01/10/2006

https://doi.org/10.3917/psye.452.0333

Notes

  • [1]
    Psychologue-psychanalyste (SPP). Service de psychologie et psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris 14e.
  • [2]
    Le service est devenu l’Unité de bio-psychopathologie de l’enfant, du service de psychologie et psychiatrie de l’enfant et l’adolescent, Intersecteur 6 de Paris 14e.
  • [3]
    Le départ de M. Auzias, appelée par ses fonctions à seconder J. de Ajuriaguerra au Collège de France, et la disparition prématurée d’actives collaboratrices telles Denise L’Hériteau et Édith Mignard.
  • [4]
    C’est Marianne Strauss, nous a appris récemment M. Auzias, qui a été l’ « inventeur » de ce qui reste la base du travail thérapeutique : l’utilisation de la trace graphique dans un travail de relaxation.
  • [5]
    Ces thérapies ont été longtemps pratiquées uniquement par des psychologues qui étaient formées à Sainte-Anne, en quelque sorte sur le tas, jusqu’à ce que, il y a maintenant quelques années, une formation soit mise en place officiellement dans le cadre du COPES, l’organisme de formation permanente que dirige le Pr Michel Soulé.
  • [6]
    Cf. le colloque qui a eu lieu au Collège de France en 1988, dont les actes se trouvent dans l’ouvrage Bibliologia 10, sous le titre : « L’écriture : le cerveau, l’œil et la main », sous la direction de Colette Sirat, Jean Irigoin, Emmanuel Poulle, Éditions Brepols-Turnhout, 1990.
  • [7]
    Voir l’article de Michel Lorblanchet dans la revue La Recherche de décembre 1999, remettant en question l’idée d’une évolution de l’art rupestre ainsi que les interprétations qui ont pu en être faites, à la suite de la découverte de la grotte Chauvet en 1994, et des datations des peintures au carbone 14 qui en ont résulté.
  • [8]
    Je fais référence ici au groupe de la SPP (F. Sacco, Marie-Lise Roux...) qui organise les « Rencontres avec les préhistoriens » dans les grottes du Sud-Ouest de la France.
  • [9]
    Nouveau Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 1995, Les troubles de l’écriture, Marie-Alice Du Pasquier, t. 2, p. 1635-1640. Article situé entre « Les troubles de la parole et du langage », par René Diatkine, et « La pathologie psychosomatique », par Léon Kreisler, dans le chapitre : « L’expression manifeste des troubles et leur compréhension ».
  • [10]
    Voir la présentation de la CFTMEA, par Roger Misès, dans Neuropsychiatrie de l’enfance, 1990, 38, 10-11, 523-539.
  • [11]
    Le livre de G. Pommier, Naissance et renaissance de l’écriture (PUF, 1993), malgré certaines confusions sur ce plan, reste toutefois d’un grand intérêt.
  • [12]
    À part, évidemment, ce que J. Bergès a écrit à partir de son expérience clinique dans le service. Voir L’enfant et la psychanalyse, J. Bergès, G. Balbo, Masson, « Bibliothèque de clinique psychanalytique », 1994.
  • [13]
    Le dessin est utilisé en psychothérapie d’enfant pour ses vertus projectives permettant l’accès aux représentations inconscientes. L’écriture est davantage en charge de véhiculer des représentations conscientes.
  • [14]
    La mère archa ïque dangereuse et pénétrante, celle dont Persée a pu se délivrer grâce à son bouclier-miroir (F. Pasche, L’aporie ou l’angoisse et la première défense contre, Le sens de la psychanalyse, PUF, 1988).
  • [15]
    Si l’on transpose à l’écriture ce qu’Alain Besançon applique, par exemple, à l’art abstrait (cf. L’image interdite, Fayard, 1994).
  • [16]
    Le modèle calligraphique en France est l’anglaise. Introduite au XVIIIe siècle, elle fut imposée comme écriture nationale à la fin du XIXe siècle par Jules Ferry.
  • [17]
    Didier Anzieu parle de Pré-Moi, de Moi-Peau, notion qui s’étaye aussi sur les différentes fonctions de la peau : contenance, limite, communication, inscription de trace...
  • [18]
    Cette position phobique qui ne serait pas sans rappeler « la position phobique centrale », décrite par A. Green, in RFP, 2000, t. LXIV.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions