Notes
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[1]
Une première version de ce travail a fait l’objet d’une communication, sous le même titre, au colloque organisé par l’association Thélémythe, le 18 mars 2000 à Paris, Palais des Congrès de la Cité des sciences et de l’industrie, à l’occasion du dixième anniversaire de sa fondation, sur le thème : Adolescences : fais ce que voudras ? Je remercie Serge Beaugrand de m’avoir donné l’occasion de poursuivre ma réflexion dans des conditions d’échanges exceptionnelles.
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[2]
Psychiatre, psychanalyste, ancien attaché à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris, Unité de psychiatrie infantile (Pr Bernard Golse), chargé d’enseignement en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université de Poitiers.
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[3]
Les guillemets visent à épingler, d’entrée de jeu, une conception réductrice du pédagogique – qu’aucun théoricien sérieux de la pédagogie ne reprendrait à son compte – conception repoussoir ad hoc qu’il n’est ensuite que trop aisé d’opposer à une conception « pure » de l’analytique. L’emploi fréquent et généreux, dans une telle problématique, des adjectifs substantivés fait soupçonner la régression de la pensée à des catégories métaphysiques, le pédagogique étant alors opposé à l’analytique, un peu à la manière dont les médecins de l’ère pré-scientifique pensaient la constitution physique comme un affrontement entre le sec et l’humide !
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[4]
Sans les reprendre ici dans le détail, on remarquera que ce parti pris tend à passer sous silence, dans les comptes rendus que donnent ces praticiens de leurs expériences cliniques, les circonstances qui ont présidé à l’instauration du cadre thérapeutique (mais aussi les cas où cette instauration s’est avérée impossible). Dès lors, la lecture de quelques comptes rendus isolés, apparemment démonstratifs, tend à accréditer l’idée que la méthode est susceptible d’être généralisée à l’ensemble de la clinique infantile ! On entre alors dans le cercle de l’autojustification de la théorie par la pratique et de la pratique par la théorie, puisque les cas qui échappent à ce parti pris endogéniste, pour ne pas dire solipsiste, de la conduite de la cure ne font l’objet d’aucune évaluation critique. C’est ainsi que Melanie Klein « omet » de préciser, dans son travail inaugural sur Le développement d’un enfant (Conférence à la Société hongroise de psychanalyse, en juillet 1919, publiée inchangée dans Imago, vol. IX, 1921, trad. franç. dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1968, p. 29-89) que « Fritz », l’enfant sur lequel s’étayent ses conceptions du développement psychique et de la pratique analytique avec l’enfant, n’est autre qu’Erich, son dernier fils, et que la « cure » qui est ici rapportée avec force détails est, en fait, une observation psychanalytique menée en famille, sans aucun cadre spatiotemporel qui distinguerait avec une certaine rigueur les moments « d’analyse » proprement dite, les observations directement faites par la mère/analyste dans le cadre familial, ce qui lui a été rapporté par des tiers, enfin les interventions éducatives incontournables de la vie ordinaire. À aucun moment Melanie Klein ne révèle que « la mère » de laquelle elle prétend tenir les informations complémentaires, quand le matériel n’est pas réputé directement recueilli par « l’analyste » n’est autre... qu’elle-même. Il n’est pas anodin de souligner que l’auteur qu’on considère comme la plus attachée à la stricte distinction de l’analyse et du « pédagogique » élabore sa doctrine à partir d’une longue observation dans laquelle ces deux niveaux sont strictement indiscernables. Cependant, la gêne du lecteur informé se trouve redoublée par le déni par lequel l’analyste/mère dissimule cette confusion des registres dans son exposé. Ce secret préservé sur les conditions exactes du cadre de la « cure » est responsable d’un second embarras : l’auteur passe en effet sous silence nombre d’informations historiques qu’on considérerait aujourd’hui comme fondamentales pour la compréhension de la problématique psychopathologique de l’enfant : ainsi du décès de la grand-mère maternelle (la mère de Melanie Klein) vivant au foyer, quand Fritz/Erich était âgé de 4 mois, et dont on sait qu’il a été vécu dans la culpabilité par Melanie Klein ; ainsi encore des graves conflits entre Melanie Klein et son mari, père de Fritz, qui devaient aboutir, alors que la « cure » de celui-ci n’était pas achevée, à la séparation définitive du couple... mais aussi à la séparation du jeune patient avec son frère ainé, Hans, puisque celui-ci sera confié au père.
On voit que, pour le moins, les précautions méthodologiques qui seraient requises d’une discrimination fine entre les facteurs endogènes et exogènes dans la constitution du psychisme, ainsi que dans la problématique psychopathologique, sont ici systématiquement négligées (pour ne pas dire bafouées) et que la surestimation des facteurs purement endogènes, dans la théorie, va de pair, dans la pratique, avec ce qui ressemble bien à un déni systématique de l’implication subjective, théorique, et éducative de la mère/analyste dans le processus. C’est ainsi que Melanie Klein néglige de se demander dans quelle mesure les clivages entre les « objets internes » ne sont pas, largement, déterminés par les conflits, bien réels, entre elle et le père de Fritz/Erich ! Scotomisation d’autant plus grave que si ceux-ci sont patents dans ce qui a pu être reconstruit de la vie familiale par les biographes de Melanie Klein, l’analyste/mère est seule responsable de la conduite de la cure. Dès lors, loin de pouvoir tenir une position de neutralité dans le conflit parental, il est clair que l’autorité de l’analyste vient constamment cautionner les positions de la mère. -
[5]
Freud soutient du reste clairement, dans un texte qui intègre sa propre critique du kleinisme, que « le surmoi de l’enfant ne s’édifie pas, en fait, d’après le modèle des parents mais d’après le surmoi parental ; il se remplit du même contenu, il devient porteur de la tradition, de toutes les valeurs à l’épreuve du temps qui se sont perpétuées de cette manière de génération en génération » [souligné par moi] (La décomposition de la personnalité psychique, in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, 1933, nouv. trad. franç., Gallimard, 1984, p. 93). Voilà qui fait justice aux observations, bien na ïves parce qu’étrangères à l’investigation analytique, avancées par les kleiniens à l’encontre du déterminisme exogène de la constitution du surmoi, sous l’argument que la clinique nous présente fréquemment – ce qui est en effet avéré – des enfants souffrant d’une symptomatologie manifestant une particulière sévérité du surmoi, alors qu’ils bénéficient d’une éducation nullement répressive, prodiguée par des parents particulièrement souples et tolérants ! C’est confondre la réalité observable des attitudes pédagogiques parentales avec leur réalité psychique interne (dont le surmoi est l’un des aspects), laquelle se manifeste par des « messages » largement méconnus de ces derniers et dont la prise en compte suppose une écoute analytique du parent lui-même ! Remarquons, de surcroît, que cette mise au point freudienne fondamentale invite à concevoir la constitution du surmoi du parent sur le même modèle (c’est-à-dire : non pas d’après le modèle de ses propres parents, mais d’après le surmoi parental... et ainsi de suite !). On a là une anticipation, particulièrement précise, des conceptions contemporaines faisant intervenir la notion d’une véritable transmission transgénérationnelle inconsciente : la dimension inconsciente de la transmission des contenus surmo ïques apparentant ceux-ci à ce que N. Abraham et M. Torok ont décrit comme des cryptes, à l’intérieur du psychisme, et se transmettant de génération en génération, sans que ni le transmetteur, ni le récepteur n’en ait conscience – et moins encore l’observateur na ïf (fut-il analyste !) de l’interaction éducative –, ce qui n’empêche pas que ce soit, pour l’essentiel, à l’occasion de la relation éducative que s’opère la transmission, selon des voies que seule une authentique investigation analytique peut éclairer ! Ajoutons encore une « complication » : qu’il y ait transmission des contenus surmo ïques n’implique pas l’absence de transformations par l’enfant de ces contenus ! L’alternative à laquelle on voudrait parfois réduire les choses : soit une transmission à l’identique qui ferait du psychisme infantile le simple « décalque » du psychisme parental, soit une endogenèse radicale, est irrecevable telle quelle. Il y a, bel et bien, à la fois transmission et néogenèse à partir des contenus (messages) transmis : processus complexe, auquel la notion approximative d’interaction ne rend pas justice.
Ça a été le mérite de la relecture par Laplanche de la théorie freudienne de la séduction de préciser les modalités du déterminisme de l’intervention de cette réalité psychique externe (Laplanche dit encore « invasive ») sur la constitution de l’appareil psychique de l’enfant, avec la notion de messages « énigmatiques » et/ou « compromis » (cf. Jean Laplanche, Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, PUF, 1987). -
[6]
Mais l’examen sans parti pris des positions soutenues par les divers « courants » de la psychanalyse des enfants montrerait que celle-ci ne se rencontre pas chez les seuls « kleiniens » ou réputés tels !
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[7]
Remarquablement éditées en français, avec un appareil critique abondant et rigoureux, sous le titre Les controverses Anna Freud - Melanie Klein, 1941-1945, Paris, PUF, 1996.
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[8]
La place manque ici pour justifier une formulation qui gagnerait à être plus longuement argumentée par la discussion des nombreux travaux qui, depuis quelques décennies, ont repris – notamment grâce aux témoignages issus de la clinique infantile et des organisations extra-névrotiques – la difficile question de la genèse de l’appareil psychique.
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[9]
Catherine Millot (1979), Freud anti-pédagogue, La bibliothèque d’Ornicar. Exactement sur le même thème, et en s’appuyant sur le même appareil documentaire, Mireille Cifali a « répondu » à la thèse de Catherine Millot par un livre paru en 1982, Freud pédagogue ? (Inter Éditions) dans lequel elle montre le déni à l’œuvre dans une telle lecture des rapports de la psychanalyse et de l’éducation.
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[10]
Nous en avons la confirmation dans une lettre qu’il adresse, deux ans plus tard, à Joan Rivière, une des élèves éminentes – et souvent porte-parole – de Melanie Klein, dans laquelle il reprend très précisément les thèmes de la préface au livre de August Aichhorn en explicitant cette fois-ci les désaccords avec l’école kleinienne (qu’il a préféré laisser allusifs dans le texte édité). « Nous posons comme préalable que l’enfant est un être pulsionnel avec un moi fragile et un surmoi juste en voie de formation. Chez l’adulte nous travaillons avec l’aide d’un moi affermi. Ferenczi a fait la remarque pleine d’esprit que si Melanie Klein a raison, il n’y a vraiment plus d’enfant. Naturellement, c’est l’expérience qui aura le dernier mot. Jusqu’à présent, ma seule constatation est qu’une analyse sans visée éducative ne fait qu’aggraver l’état de l’enfant » (lettre à Joan Rivière du 9 octobre 1927).
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[11]
Me contentant de renvoyer à la contribution de Jean Laplanche, Buts du processus psychanalytique, dans Entre séduction et inspiration : l’homme, PUF, coll. « Quadrige », 1999, p. 219-242.
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[12]
S. Freud (1933), Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, trad. franç., Éditions Gallimard, 1984. La conférence concernée porte le no XXXI et s’intitule : « La décomposition de la personnalité psychique », p. 80-110.
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[13]
Deux citations, parmi plusieurs dizaines de formules, empruntées à la conférence concernée, pour rendre raison du « coup de force » perpétré par la lecture – et la traduction – lacanienne : « Nous voulons faire du moi, de notre moi le plus personnel, l’objet de cet examen. Mais le peut-on ? Le moi est le sujet au sens le plus propre, comment pourrait-il devenir objet ? Il n’y a pas de doute qu’on peut faire cela. Le moi peut se prendre lui-même comme objet, se traiter comme d’autres objets, s’observer, se critiquer et faire encore dieu sait quoi avec lui-même » (op. cit., p. 82). Et plus loin, s’agissant de l’état conscient : « Nous éprouvons le besoin de réviser fondamentalement notre position sur le problème conscient-inconscient. D’abord, nous sommes enclins à bien diminuer la valeur du critère de l’état conscient, puisqu’il s’est montré si peu sûr. Nous aurions tort [souligné par moi]. Il en va comme de notre vie : elle ne vaut pas grand chose, mais c’est tout ce que nous avons. Sans le flambeau de la qualité du conscient nous serions perdus dans l’obscurité de la psychologie des profondeurs » (ibid., p. 97-98).
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[14]
« Vous devinez facilement quelle aide importante pour la compréhension du comportement social de l’être humain, par exemple pour la compréhension de l’abandon affectif [Verwahrlosung] et peut-être aussi quelles indications pratiques pour l’éducation résultent de la prise en considération du surmoi » (op. cit., p. 94).
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[15]
Thème particulièrement travaillé dans l’ouvrage « testamentaire » de Freud, L’homme Mo ïse et la religion monothéiste, 1939, trad. franç., Gallimard, 1986.
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[16]
Dont la formulation paradigmatique pourrait être épinglée par la métaphore fameuse de Hegel, dans la Préface à la Phénoménologie de l’Esprit, « Le chêne est dans le gland ».
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[17]
« Les meilleurs maîtres sont les vrais homosexuels qui ont réellement cette attitude d’aimable bienveillance envers leurs élèves. Mais si un maître à l’homosexualité réprimée est confronté avec cette exigence, il devient sadique envers ses élèves ; ces maîtres ha ïssent et persécutent les enfants parce qu’ils ont ces “exigences sexuelles”, irritant par là la sexualité des maîtres. Tout comme les homosexuels sont les meilleurs maîtres, les homosexuels refoulés sont les pires et les plus sévères » (Les premiers psychanalystes. Minutes (II) de la Société psychanalytique de Vienne, trad. franç., Paris, Gallimard, 1978, Séance du 20 avril 1910, p. 482-483.
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[18]
S. Ferenczi (1909), Transfert et introjection, trad. franç., in Œuvres complètes.
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[19]
Voir « Quand il devient nécessaire de déplier le dispositif analytique », conférence dans le cadre du IVe Groupe, inédit. Et De la psychanalyse aux psychothérapies : des dispositifs analytiques dépliés, Enfance et psy., 2000, no 12, p. 63-71.
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[20]
Cf. l’article cité note précédente.
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[21]
La théorie de la séduction généralisée est ainsi nécessairement doublée d’une théorie traductive de la constitution de l’appareil psychique. Conception que Laplanche démarque du Freud de la Lettre de l’équinoxe (lettre 52 du 6 décembre 1896, dans la Naissance de la psychanalyse, PUF, 1973, p. 153-160), à ceci près que pour Laplanche, ce ne sont pas les perceptions qui sont supposées devoir être traduites, mais les messages parentaux « compromis » par des significations sexuelles, comme telles intraduisibles par l’enfant. Ce qui donne tout son poids à la formule freudienne : « C’est le défaut de traduction que nous appelons, en clinique, refoulement. »
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[22]
Voir en appendice des Écrits de Lacan le Commentaire parlé de la Verneinung de Freud, par Jean Hyppolite, Le Seuil, 1966, p. 879-887.
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[23]
J. Laplanche (1999), Buts du processus psychanalytique, in Entre séduction et inspiration : l’homme, PUF, coll. « Quadrige », p. 219-242.
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[24]
Qui peut aujourd’hui douter que, autant qu’avec Willem Fliess ou Ferenczi, c’est avec Sophocle, Goethe, Shakespeare et quelques autres que Freud poursuit, tout au long de son existence, son « auto-analyse » interminable !
À Jean Laplanche,
à qui ces réflexions doivent tant.
POSITION DE LA QUESTION
1Les réflexions qui suivent se veulent une contribution au débat, crucial parmi les psychanalystes contemporains, portant sur les variations du dispositif analytique rendues nécessaires par « l’application » de la thérapeutique analytique aux enfants, aux adolescents, voire à certains jeunes adultes dont l’embarras majeur semble renvoyer à une particulière difficulté à accomplir le travail psychique nécessité par la « sortie » de l’adolescence.
2Une façon classique d’aborder ce débat consiste à souligner que le processus thérapeutique et/ou psychanalytique intervient chez l’enfant alors que celui-ci est en cours de « développement ». Cependant, une description du développement psychique, démarquée de façon trop réductrice du modèle du développement neurophysiologique, éclaire mal en quoi celui-ci vient interférer avec le processus psychanalytique. En effet, l’hétérogénéité des déterminismes qui est alors postulée entre les deux processus permet de soutenir la possibilité pratique d’une quasi-indépendance entre le processus analytique et les facteurs de « développement ». L’éducation n’étant pensée, dans cette perspective, que comme un accompagnement, certes nécessaire et plutôt facilitateur d’une évolution normale (si elle est « psychanalytiquement éclairée »), en aucun cas comme intervenant de façon déterminante dans la constitution même de l’appareil psychique. Méthode psychanalytique et attitudes « pédagogiques » sont alors considérées, dans cette perspective théorique, comme deux domaines suffisamment distincts en droit pour permettre dans la pratique une indépendance de fait, le processus psychanalytique étant réputé pouvoir être instauré et se développer dans une relative ignorance des influences éducatives. La recommandation express faite à l’analyste de se désintéresser, autant que possible, de tout souci « pédagogique » [3] étant, dans cette perspective, une règle de méthode fondamentale qui ne va pas sans un certain mépris à l’égard de cette dernière fonction, et une volonté de mise à l’écart de ceux qui en sont les acteurs... au premier rang desquels les parents. C’est ainsi que théorie prioritairement endogène du « développement » psychique, conception de l’éducation comme simple accompagnement et sous-estimation des facteurs exogènes référés à la seule dimension « pédagogique » font système pour aboutir à une représentation de la pratique psychanalytique avec les enfants calquée de très près sur la conduite de la cure avec les adultes névrotiques.
3On reconnaît ici les critiques, désormais bien connues, visant un certain kleinisme radical [4]. S’il n’est pas question de négliger les intéressants développements qu’a permis un tel parti pris entre les mains d’analystes dont le savoir-faire et l’intuition clinique compensaient les excès de l’endogénisme métapsychologique, il semble, avec le recul, que de moins en moins de praticiens tiennent ce « pari » d’une analyse d’enfants strictement calquée sur les principes qui président à l’instauration de la situation psychanalytique avec l’adulte. Pour autant, ce renoncement aux recommandations techniques (issues essentiellement du courant kleinien) visant à une isolation aussi radicale que possible entre le projet analytique et les impératifs « éducatifs » est le plus souvent présenté comme un « assouplissement » presque honteux, nécessité par des circonstances cliniques particulièrement délicates, qui ne remettrait pas en question, d’un point de vue métapsychologique, la stricte indépendance du processus analytique réputé ordonné à la seule réalité psychique et des facteurs « éducatifs » qu’on continue de rejeter du côté de la « réalité ». Par là, une assimilation implicite est faite entre réalité psychique et réalité interne de l’enfant. À l’inverse, une attention aux facteurs exogènes présidant à la constitution de l’appareil psychique et du tableau psychopathologique est soupçonnée de trahir, de la part du psychanalyste, un intérêt coupable à l’égard de « la réalité » !
4Au cours des fréquents débats que nous avons eus avec des collègues sur ces questions controversées, il nous est progressivement apparu que c’est bel et bien cette assimilation entre réalité psychique et réalité interne à l’enfant qu’il fallait remettre en question, non seulement d’un point de vue strictement technique, mais plus fondamentalement d’un point de vue métapsychologique, l’enfant n’étant pas seulement – ce devrait être un truisme de le rappeler – confronté à la réalité physique, matérielle, de l’entourage familial, mais aussi (et surtout) à la réalité psychique (inconsciente autant que consciente) des figures parentales [5] et, plus largement, des adultes tutélaires parfois désignés de façon trop réductrice, surtout depuis Winnicott, par la notion « fourre-tout » d’environnement. À ce titre, assimiler réalité psychique et réalité interne de l’enfant, c’était se donner pour acquis ce qui doit, bien plutôt, être compris comme le résultat du processus présidant à la constitution de l’appareil psychique. Cette pétition de principe nous est dès lors apparue comme la faiblesse théorique fondamentale des conceptions de la psychanalyse de l’enfant héritières du kleinisme [6], et la source des nombreuses apories opposant, de façon tranchée chez l’enfant, le processus analytique et ce qu’on a trop souvent coutume de rejeter sous la catégorie confuse du « pédagogique ».
5Pour dire les choses de façon ramassée, nous soutiendrons volontiers que les Controverses [7] passionnées entre kleiniens et annafreudiens sur « la question pédagogique » apparaissent, rétrospectivement, comme autant de cache-misère d’un différent métapsychologique plus fondamental – trop souvent occulté par la violence et la confusion des affrontements partisans – portant sur la constitution de l’appareil psychique. C’est cette conviction progressivement acquise [8] qui m’a conduit à réexaminer, avec une attention renouvelée, la notion freudienne injustement négligée – en tout cas insuffisamment exploitée, y compris par les courants « exogénistes », héritiers des positions annafreudiennes – de processus éducatif, notion le plus souvent articulée par Freud à celle de la description des conditions de possibilité et des visées du processus analytique lui-même.
PROBLÉMATIQUE FREUDIENNE DU PROCESSUS ÉDUCATIF
6Ce n’est pas le lieu de refaire, une nouvelle fois, l’histoire des intérêts et des espérances, mais aussi des réticences, des embarras et des désillusions de Freud, dans son rapport à la question éducative, absolument indissociable pour lui de celle de l’application de la psychanalyse à l’enfant. Elle a été faite à de nombreuses reprises, dans toute sa complexité si stimulante, y compris dans ses hésitations et ses remords. C’est, en effet, le propre d’une grande pensée de nous instruire aussi par ses fourvoiements. Je pense en particulier aux travaux de Mireille Cifali, historienne, psychanalyste et théoricienne de l’éducation, qui, bénéficiant de sa formation d’historienne, a su montrer le parti pris réducteur de toute une fraction de la communauté psychanalytique, en particulier en France, qui, prenant le contre-pied des illusions des générations précédentes en matière de prophylaxie des troubles mentaux par une pédagogie psychanalytique, s’est ralliée à une attitude de déni radical selon laquelle la psychanalyse n’aurait strictement rien à voir avec la question éducative et la pédagogie. Ceci, au prix de réécrire, de façon pour le moins tendancieuse, l’histoire de la pensée freudienne et celle de la psychanalyse de l’enfant.
7C’est ainsi qu’une analyste d’obédience lacanienne, universitaire scrupuleuse de surcroît, ne craint pas d’intituler une thèse – par ailleurs fort bien documentée – consacrée au rapport de Freud avec la question éducative : Freud anti-pédagogue [9]. Le plus remarquable est que, passée la page de garde, la lecture de son travail réfute l’intitulé « militant ». Mais tout se passe comme si l’identité analytique n’était jamais mieux assurée que lorsqu’elle venait s’étayer sur une contre-identification au « pédagogue » repoussoir !
8Une autre illustration de cette lecture simplificatrice et dénégatrice serait à trouver dans la « réécriture », dans tant d’histoires de la psychanalyse, de l’épisode des Controverses à la Société britannique de psychanalyse entre Anna Freud, Melanie Klein et leurs partisans respectifs. C’est ainsi qu’une certaine vulgate conclut à une « victoire » de la position kleinienne, en sous-entendant que la discrétion freudienne dans le débat (qui a commencé plus de dix ans avant sa mort) tiendrait à ce qu’il aurait reconnu en Melanie Klein la véritable fondatrice de la psychanalyse de l’enfant – les critiques d’Anna Freud étant assimilées à une « déviation pédagogisante » que le fondateur « anti-pédagogue » de la psychanalyse ne pouvait que désavouer. C’est ainsi qu’on peut lire des formules assassines telles que « l’héritière selon le nom et l’héritière selon l’esprit ». Ou encore la boutade fameuse qui, sous couvert d’une fausse symétrie, disqualifie violemment la problématique annafreudienne : « Anna Freud aimait les enfants mais pas la psychanalyse, Melanie Klein aimait la psychanalyse mais pas les enfants. »
9Ces simplifications et ces jugements racoleurs – assez sidérants de la part de spécialistes de la complexité de l’âme humaine – apparaissent comme des symptômes de l’embarras épistémologique et identitaire des psychanalystes, lié à la proximité entre les domaines qu’explore la psychanalyse et ceux de l’éducation. Et on sait que le repli identitaire et le refus de l’autre ne sont jamais aussi virulents que lorsque celui-ci est plus proche ou menace de s’assimiler. Ce n’est pas tant l’autre qui fait peur, que la dangereuse confusion qui naîtrait de l’abolition des différences.
10La problématique de Freud est beaucoup plus paisible et assurée. Et une lecture honnête des textes ne permet pas de déceler le moindre désaccord entre lui et sa fille quant aux questions fondamentales que celle-ci soulève sur le processus éducatif et ses impasses dans le contexte de l’application de la psychanalyse aux enfants. Il faut en prendre son parti : si l’on veut s’attaquer aux objections qu’Anna Freud adresse au kleinisme et à sa sous-estimation des facteurs exogènes, notamment éducatifs, on rencontrera sur son chemin Freud lui-même !
11Aussi devons-nous nous rendre attentifs à l’analogie sur laquelle il revient, en diverses occasions, entre processus analytique et processus éducatif. Là encore, elle est bien souvent discréditée et tenue pour une maladresse d’expression regrettable, symptôme de sa déviation pédagogisante qu’il faudrait imputer à son adhésion rétrograde (pour ne pas dire anti-freudienne !) à l’idéologie autoritaire de son temps. C’est passer un peu vite, tout de même, sur le scandale de la publication des Trois essais sur la théorie sexuelle (1905) qui le met, en quelques mois, au ban de la bonne société viennoise !
12Je propose de renverser cette lecture paresseuse. Plutôt que de soupçonner dans l’intérêt récurrent de Freud pour la problématique de l’éducation un fourvoiement « pédagogisant », je pense qu’on doit au contraire y discerner le souci de fonder une conception proprement psychanalytique du processus éducatif lui-même, entendu comme un processus anthropologique fondamental rendu nécessaire par la faiblesse, chez l’homme, des montages instinctuels et le caractère à la fois anti-vital et anti-social de la pulsion sexuelle, dont Freud démontre précisément, dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, à quel point elle se révèle, chez l’homme, défonctionnalisée. Cette lecture, on le voit, loin de réduire la question éducative à une « application » un peu exotique (qu’on pourrait abandonner à la sous-catégorie, un peu méprisée, des psychanalystes d’enfants), la situe, au contraire, au cœur des principes fondamentaux de la psychanalyse, c’est-à-dire dans sa métapsychologie – laquelle se révèle elle-même porteuse, qu’on le veuille ou non, d’une anthropologie. Ce qui suppose qu’on cesse de la réduire à une technologie pédagogique et qu’on la rapproche – ce que Freud ne cesse de faire – du travail de civilisation (Kulturarbeit) et à la Bildung (la « formation », dans le sens que prend le terme dans l’expression « romans de formation »).
13C’est pourquoi la psychanalyse, sans se prononcer en tant que telle sur le type d’éducation et les valeurs qui doivent être privilégiés (en ce sens la théorie des pulsions apporte bien des arguments en faveur du relativisme culturel), réaffirme cependant la nécessité incontournable d’une éducation. Ce qui la situe clairement en rupture avec toutes les tentations naturalistes, en anthropologie, dont la pensée de Rousseau reste le prototype.
14C’est ainsi qu’il n’y a aucune contradiction à affirmer, comme Freud le fait à diverses reprises, que le psychanalyste doit s’interdire tout « orgueil éducatif » et proposer, d’un autre point de vue, de décrire la cure psychanalytique comme une postéducation. Ce qu’il faut entendre, dans la perspective qui est la mienne, comme la réouverture, dans une situation artificiellement instaurée, du processus éducatif et la remise au travail de ce qui s’est trouvé engagé dans une impasse. C’est en ce sens qu’on peut comprendre la formule, parfois mal comprise, qu’on trouve notamment dans Mo ïse et le monothéisme, qualifiant la névrose d’infantilisme !
15La publication, en 1925, du livre d’August Aichhorn (éducateur viennois, gagné aux conceptions psychanalytiques et ami d’Anna Freud) : Jeunesse à l’abandon, donne à Freud l’occasion, dans une courte préface, de lever certaines ambigu ïtés qui pourraient rester attachées à cette notion de postéducation, par laquelle il lui est arrivé de définir la visée du processus analytique lui-même. « On n’a pas le droit, écrit-il, [ce “on n’a pas le droit” s’adresse directement, nous allons le voir, à Melanie Klein et ses partisans [10]] de se laisser fourvoyer par l’adage au demeurant pleinement justifié, selon lequel la psychanalyse du névrosé adulte est à assimiler à une postéducation de celui-ci. Un enfant, même un enfant dévoyé et à l’abandon, n’est précisément pas encore un névrosé et la postéducation est tout autre chose que l’éducation de ce qui est inachevé. »
16Analogie des processus, remise au travail par le second des impasses du premier, mais, nous allons le voir, distinction radicale des méthodes liée à l’inachèvement de l’appareil psychique, chez l’enfant et l’adolescent, voire chez l’adulte, dans certaines occurrences cliniques que Freud va préciser pour les distinguer précisément de ce qui se passe chez le névrosé. « La possibilité de l’influence exercée par l’analyse repose sur des présupposés bien définis qu’on peut regrouper sous le terme de “situation analytique” ; elle exige que prennent forme certaines structures psychiques, une attitude particulière envers l’analyste. Là où celles-ci manquent, comme chez l’enfant, chez le jeune à l’abandon, en règle générale aussi chez le criminel mené par ses pulsions, il faut faire autre chose que de l’analyse, quelque chose qui ensuite rencontre de nouveau celle-ci dans l’intention. »
17On voit que Freud, à ce moment clé de son parcours, c’est.à.dire après l’élaboration de la deuxième topique, met en question la possibilité d’instaurer une situation psychanalytique stricto sensu préalablement à la différenciation topique de « certaines structures psychiques ». Le contexte n’autorise pas d’ambigu ïté : il ne peut s’agir ici que du moi et des instances idéales. Ce qui signifie que s’il lui est arrivé d’assigner au processus éducatif, dans d’autres contextes, la répression (ou/et la symbolisation) des pulsions (ce sont le plus souvent ces formulations qu’on retient, pour lui reprocher son « autoritarisme »), il souligne ici son rôle majeur dans la constitution et « l’achèvement » de l’appareil psychique. Remarquons, de surcroît, qu’il admet que certaines circonstances puissent entraver durablement cette constitution jusque dans l’âge adulte. Or, c’est dans ces circonstances qu’il préconise de « faire autre chose que de l’analyse ». Mais il faut ici souligner à gros traits : « Quelque chose qui ensuite rencontre l’analyse dans l’intention. »
18Ce qui nous inviterait à nous reporter aux tentatives récurrentes qu’il fait, tout au long de son œuvre, et au fur et à mesure de l’évolution de sa pensée, pour définir – au-delà de la méthode et du dispositif technique – les visées ( « l’intention » ) qu’il assigne au processus psychanalytique lui-même. Je ne vais pas me livrer ici à ce travail de recension [11], me contentant de m’arrêter un instant sur l’ultime et célèbre formulation qu’il en donne dans les Nouvelles Conférences [12] : « Wo Es war, soll Ich werden. »
19Inutile de nous appesantir sur les discussions sophistiquées franco-françaises, initiées par Lacan, sur la façon d’entendre le « Ich » de la formule. Lacan prenant argument de ce que Freud n’a pas, dans cette formule précise, écrit « das Ich », pour y voir l’anticipation de sa propre théorie du sujet et nier qu’il faille entendre ici « le Moi » comme instance, dont on sait qu’il tient à en faire une instance de méconnaissance radicale.
20Toutes ces arguties perdent beaucoup de leur pertinence, pour peu qu’on se reporte au contexte : car la fameuse formule constitue l’avant-dernière phrase d’une conférence tout entière consacrée à ce que Freud nomme la « décomposition de la personnalité psychique » et à la place éminente qu’il entend désormais donner au moi (das Ich) dans sa seconde topique, mais aussi dans les visées de la thérapeutique analytique. La phrase qui précède immédiatement la formule que Lacan a isolée, pour lui faire un sort, traite (je cite) des « efforts thérapeutiques » de la psychanalyse et soutient que leur « intention [on retrouve le terme de la préface du livre d’Aichhorn] est de fortifier le moi, de le rendre plus indépendant du surmoi, d’élargir son champ de perception et de consolider son organisation de sorte qu’il puisse s’approprier de nouveaux morceaux du çà ». La formule fameuse fait immédiatement suite et ne peut être lue que comme un résumé sous forme de « maxime » propre à se graver dans la mémoire [ce qui a du reste remarquablement fonctionné], un peu à la manière de la « moralité » qui conclut habituellement une fable édifiante. Il faut véritablement faire subir au texte freudien une torsion qui dépasse les limites du commentaire honnête pour soutenir, comme le fait Lacan, qu’après trente pages toutes entières dédiées à une apologie de la conscience et du moi [13], dans sa fonction de médiation équilibrant les forces antagonistes du çà et du surmoi, Freud, au moment de prendre congé de son lecteur, ferait surgir soudain, comme un illusionniste un lapin de son chapeau, un « sujet » sensé subvertir le moi et même réputé lui être antagoniste : puisque Lacan ne craint pas d’affirmer que la visée asymptotique de l’analyse serait au contraire de tendre à la dissolution du Moi.
21Mais il ne faut pas manquer d’écouter l’ultime commentaire qui clôt la conférence : « Il s’agit d’un travail de civilisation (Kulturarbeit ; les nouveaux traducteurs disent : travail culturel) un peu comme l’assèchement du Zuyderzee ». Kulturarbeit : On voit qu’ici Freud est au plus près d’assigner à la thérapeutique analytique et à la civilisation (qui chez l’individu se transmet, de son point de vue, par l’éducation) des visées sinon identiques, du moins similaires. Du reste, au cours de la conférence, une allusion très claire est faite au livre d’Aichhorn et à sa propre préface [14]. À ceci près, cependant, que l’analyse se donne pour tâche de corriger certains excès ou certains avatars de l’éducation – ce qui suppose, rappelons-le, que celle-ci ait accompli son œuvre – en particulier lorsqu’un surmoi, inutilement tyrannique, paralyse la souplesse nécessaire du moi et inhibe son ambition conquérante à « s’approprier » de nouveaux territoires, gagnés sur le çà.
22Et sans doute faut-il entendre l’allusion finale au Zuyderzee comme l’avertissement selon lequel ce travail n’est jamais terminé, la « civilisation » rêvant de gagner toujours plus de terrain, de s’étendre au détriment des « pulsions sauvages », la violence des forces inconscientes menaçant sans cesse de déborder les digues. Mise en garde qu’on peut, si l’on veut, entendre en écho à celle de Paul Valéry, au décours de la Grande Guerre : « Nous autres civilisations, nous savons désormais que nous sommes mortelles. »
23Ici s’interrompt notre cheminement en compagnie de Freud. Forcément schématique et, j’en conviens volontiers, orienté par la perspective que j’ai choisie de privilégier. Il visait principalement deux buts :
24— Faire un sort aux protestations idéologiques naguère à la mode, mais dont le vernis commence un peu à s’écailler, selon lesquelles la « subversion freudienne » se situerait en opposition radicale à toute visée éducative (Freud « anti-pédagogue »). S’il s’agit de rappeler son refus de faire de l’analyse le valet du conformisme social, la cause est entendue. Mais on a vu que ce refus n’instrumente pas, pour autant, je ne sais quelle apologie d’un individualisme anarchisant, mais participe d’un progrès dans la vie de l’esprit [15] que Freud pense constamment comme un travail de civilisation. Si donc la psychanalyse ne s’identifie pas à l’éducation, il est faux de prétendre qu’elle entretient avec elle un rapport d’antagonisme radical.
25— Mais je vois aussi, et peut-être surtout, dans ce très bref rappel de la problématique freudienne du processus éducatif, des matériaux en faveur d’une conception de la constitution de l’appareil psychique qui relativise et s’oppose à une conception excessivement endogène de la genèse du psychisme [16] – celle qui inspire la théorie des « stades » libidinaux selon un schéma calqué sur le développement d’une fonction. La référence au processus éducatif en tant qu’il est largement déterminé par les influences provenant de l’extérieur, nous voulons l’entendre comme un remords de Freud, ou comme le retour de ce qui s’est trouvé refoulé, depuis l’abandon de la théorie de la séduction : à savoir la prééminence du facteur exogène non seulement dans l’étiologie de la névrose mais, de façon plus fondamentale encore, dans la genèse du psychisme. Et ce n’est certes pas un hasard si le thème de la séduction trouve à faire retour par l’entremise des soins maternels. Ou encore, par celui de la sévérité excessive de certains maîtres, que Freud impute à la formation réactionnelle d’une homosexualité refoulée [17]. Ici la « séduction » par la sexualité de l’adulte emprunte, d’une paradoxale façon, le visage de la répression.
26Dans l’inou ïe complexité de ce qui est visé à travers la référence au processus éducatif, se conjuguent à la fois la répression des pulsions et son contraire, soit leur éveil précoce par la séduction exercée par les parents ou les maîtres à l’occasion de leurs fonctions éducatives, mais aussi bien l’offre de matériaux culturels participant au travail de symbolisation des pulsions, éveillé par celle-ci.
PROLONGEMENTS
27Ici, il faudrait évoquer les prolongements, dans les théorisations ultérieures et contemporaines, de cette veine « exogéniste » dans la conception de la constitution de l’appareil psychique. Faute de temps, mon survol sera extrêmement schématique, et surtout strictement orienté par le propos qui guide ces réflexions, c’est-à-dire les effets sur la genèse du psychisme et de ses avatars psychopathologiques du processus d’introjection, de ses ratés ou de ses impasses. Enfin, les modifications que ce défaut de l’introjection peut nous suggérer du point de vue de l’instauration de la situation analytique et des dispositifs analysants lorsqu’ils s’adressent à des sujets (enfants, adolescents, ou jeunes adultes) dont la constitution psychique peut être considérée comme incomplètement aboutie. Trois ou quatre noms viennent marquer des jalons pour la réflexion.
Sandor Ferenczi
28Ferenczi d’abord, qui a tant fait pour « faire travailler » Freud quand celui-ci était menacé de se reposer sur certaines certitudes acquises. Chaque fois que nous tentons d’annexer à la thérapeutique analytique des territoires cliniques que nous croyons inexplorés, nous pouvons être assurés qu’il nous a précédés. Un peu dans le désordre, voici une recension de quelques thèmes :
29— L’introjection : Il est l’inventeur de la notion. Si la conception qu’il s’en forge reste un peu imprécise, ce qui doit attirer notre attention est qu’il l’invoque de façon inaugurale à propos du transfert [18] : renversement proprement copernicien. Car proposer de penser le transfert non plus comme une projection sur l’analyste mais comme une propension du patient à introjecter l’espace psychique et certains traits de l’analyste, c’est réintroduire l’altérité au sein même de la situation analytique et dénoncer l’illusion d’une « neutralité » qui ne serait conçue que comme l’écran de projection du cinéma interne de l’analysant. Posture que Ferenczi dénonce comme hypocrisie professionnelle.
30— On comprend dès lors la profonde logique qui le pousse à la réintroduction obstinée du thème de la séduction et du traumatisme psychique. Non plus, non plus seulement, comme un accident médico-légal exceptionnel, mais comme le risque privilégié de toute relation pédagogique (la pédagogie noire). Enfin, comme la conséquence presque fatale de la confusion des langues entre adultes et enfants.
31— Dès lors, Ferenczi n’aura de cesse de traquer, tant dans la situation pédagogique que dans la situation analytique, le retour dénié d’une séduction qui s’ignore, en tant qu’elle viendrait entraver le travail analytique. Du côté de l’analyste, on l’a vu, avec la critique d’une neutralité conçue comme aseptie et hypocrisie professionnelle. Du côté du patient aussi, toujours enclin à utiliser les règles techniques elles-mêmes et l’aveuglement de l’analyste pour renverser le processus. C’est ainsi que, le premier, il repère chez certains patients l’usage d’une fausse association libre ; ou même le détournement paradoxal de la règle d’abstinence pour interrompre le travail associatif. Dès lors, il n’est pas d’expérimentation technique que Ferenczi n’ait inventée pour tenter de faire échec à ces ruses de la séduction et de la résistance, du côté du patient comme de l’analyste : la méthode active mais aussi, a minima, l’usage d’une certaine dimension psychodramatique au sein même de la situation analytique pour faire échec à la tentative de neutralisation affective de la fausse association libre. L’interrogation inlassable, enfin, du contre-transfert, qui devait déboucher sur la proposition héro ïque, quoique profondément piégée, de l’analyse mutuelle.
32Avec le recul, ce qui vient grever l’exploration pionnière de Ferenczi, c’est une conception de la séduction et de ses effets dans la cure qui reste captive de la culpabilité et fait obstacle à la considérer comme une condition véritablement structurale de la constitution de l’appareil psychique. De même, la hâte un peu brouillonne à proposer des réponses techniques, qui finissent par se contredire mutuellement faute d’un principe général d’intelligibilité des variations du dispositif, en fonction des situations cliniques.
33C’est la tentative de se donner un tel principe – probablement encore bien grossier et maladroit – qui m’a fait proposer la théorie du dépliage du dispositif analytique [19]. Celle-ci se voudrait la traduction, dans le domaine de la théorie de la technique, de la nécessité de réintroduire au sein de la métapsychologie une dimension exogéniste et copernicienne, largement négligée par Freud avec l’abandon de la théorie de la séduction – malgré d’évidents retours du refoulé.
Nicolas Abraham et Maria Torok
34Deuxième repère fondamental qui peut, un peu schématiquement, servir de trait d’union entre l’œuvre pionnière de Ferenczi et la refondation de la théorie de la séduction par Jean Laplanche : l’œuvre de Nicolas Abraham et Maria Torok dont la dette à l’égard de Ferenczi est explicite, Abraham et Torok étant les principaux continuateurs, en France, de l’école hongroise.
35En simplifiant évidemment considérablement une problématique foisonnante et pour tirer les choses du côté de la problématique qui m’occupe ici, on pourrait soutenir qu’un axe essentiel de la pensée d’Abraham et Torok tend à prendre au sérieux, aussi bien dans la théorie que dans les conceptions psychopathologiques et la conduite de la cure, le thème ferenczien de l’introjection et de ses impasses.
36Dès lors, Nicolas Abraham et Maria Torok ont été amenés à voir dans la relance du processus d’introjection (travail au demeurant jamais achevé et toujours susceptible d’être mis à mal par les événements traumatiques de la vie) la visée prioritaire du processus psychanalytique. Ceci demanderait de plus longues discussions. Les particularités du travail psychothérapique avec les enfants permettent cependant d’avancer l’hypothèse selon laquelle, dans ce champ, l’essentiel de la visée du psychothérapeute pourrait bien être la relance du processus d’introjection, dont la suffisante efficacité apparaît comme la condition nécessaire du régime associatif de la parole [20]. On voit que les propositions d’Abraham et Torok atténuent dès lors considérablement la spécificité, d’un point de vue métapsychologique, de la visée du travail analytique avec les enfants puisqu’ils retrouvent, au sein même de la psychanalyse des adultes, l’importance du thème de la relance de l’introjection, elle-même étroitement liée à leur théorie de la symbolisation.
Jean Laplanche
37J’en arrive à l’examen de la pensée de Jean Laplanche, envers laquelle ma dette est considérable. Cet auteur a en effet été amené, à partir d’une relecture patiente et obstinée de l’œuvre freudienne, à réhabiliter une théorie « élargie » de la séduction, dont il a montré que l’abandon par Freud a eu la conséquence de précipiter sa pensée dans une dérive solipsiste et ptoléme ïque. Cependant, il montre que ce réputé abandon de la séduction, chez Freud, n’est pas un adieu définitif, mais bien plutôt un refoulement dont des retours (et comme des remords) ne cessent de se manifester, tout au long de l’œuvre freudienne. Ce sont ces retours du refoulé du thème de la séduction qu’il entreprendra de systématiser, pour fonder sur les ruines de la théorie de la séduction « factuelle » ce qu’il propose de désigner comme une théorie de la séduction généralisée. Ce travail, auquel il n’est pas possible de rendre justice en quelques phrases, le conduira à refonder une théorie de la situation analytique elle-même.
38Dans la séduction originaire, Laplanche voit l’effet sur le psychisme de l’enfant des « messages » parentaux « compromis » par la sexualité adulte. Ces messages, verbaux ou non verbaux, accompagnent inconsciemment les soins et les communications ordinaires des parents. Par là, il retrouve, en l’élargissant et le systématisant, le thème freudien de la séduction maternelle à l’occasion des soins donnés à l’enfant et celui, ferenczien, de la confusion des langues entre adultes et enfants.
39Dès lors, Laplanche se représente l’enfant comme occupé à « traduire » ces messages parentaux, qu’il nomme « énigmatiques » ou « compromis ». Cependant, ces messages, du fait des significations sexuelles qui y sont attachées, laissent pour l’enfant un reste intraduisible. L’hypothèse de Laplanche est que l’inconscient de l’enfant est progressivement constitué par ces restes « non traduits » des messages parentaux [21]. La situation de la cure est conçue comme « réitérant », par ses caractéristiques propres, quelque chose de la situation originaire (en particulier du fait de la règle technique de refusement que s’impose, méthodologiquement, le psychanalyste et qui crée une situation dissymétrique), en tant qu’elle induit une réouverture sur l’énigme de l’autre, relançant par là le travail de « traduction » resté en souffrance. L’ensemble du processus aboutit à une reformulation plus rigoureuse du thème de la régression dans la cure comme favorisant le retour du refoulé, lequel ne va jamais sans une réélaboration (ou nouvelle traduction).
40La problématique commune à ces trois pensées, profondément complémentaires, serait à trouver dans une conception « ouverte », c’est-à-dire non solipsiste de la cure analytique réitérant une situation infantile, elle aussi conçue comme largement ouverte sur le psychisme parental. Dès lors, la fonction analysante de la cure est, conjointement, la réouverture du psychisme du patient et la relance d’un processus, dont la symptomatologie témoigne qu’il est, d’une certaine façon, bloqué : qu’on le pense selon la catégorie de l’introjection, chez Abraham et Torok ; ou de celle de la relance de l’activité « traductive », chez Laplanche. Deux notions qui entretiennent entre elles une profonde affinité.
41Cette problématique conduira, dès lors, à distinguer les occurrences cliniques selon que le psychisme du sujet apparaît suffisamment « refermé » (introjection suffisante ; travail de traduction des messages parentaux suffisamment abouti pour avoir créé un inconscient « refoulé » refermé sur lui-même) ou selon que ces processus ont été « débordés », invitant à concevoir l’appareil psychique comme dangereusement « ouvert » et par là menacé par l’irruption de l’autre. De là, des attitudes sensiblement différentes dans la conduite de la cure. Il est permis dès lors de se demander si l’insistance de Freud à distinguer (en désaccord avec Melanie Klein) selon que l’éducation est « achevée » ou « inachevée », ne constitue pas une anticipation des questions que nous travaillons aujourd’hui selon la problématique de l’introjection et de ses échecs – mais aussi de ses débordements traumatiques. C’est, en tout cas, la conception que je m’en fais.
LA TÂCHE PRATIQUE. RÉFLEXIONS SUR LA SORTIE DE L’ADOLESCENCE
42Je voudrais, pour conclure, évoquer quelques modifications de la conduite des cures psychothérapiques qui m’ont été inspirées par les réflexions qui précèdent sur les interférences entre le processus analytique et le processus éducatif. Je m’intéresserai ici non pas tant à l’adolescence proprement dite, qu’au mouvement de sortie de l’adolescence et d’accession à ce que notre culture a désormais tant de peine à penser comme « la maturité ».
43L’adolescence est, par excellence, l’âge des identifications groupales, entre égaux. En jouant un peu sur les mots, on dira qu’elle entretient le rêve insensé d’une société sans âges, tout entière dédiée au culte du même. Temps suspendu, qui cumulerait les avantages de l’irresponsabilité de l’enfance et de la liberté supposée de la maturité.
44Si les adolescents d’aujourd’hui ont tant de peine à sortir de cette zone de stand by (pour parler le franglais des aéroports internationaux qu’ils fréquentent tant), n’est-ce pas aussi parce que cette idéologie du même tend à devenir l’horizon indépassable de notre modernité ? Dont Hannah Arendt, avant bien d’autres, faisait remarquer qu’elle traverse une inquiétante crise de la transmission. On n’a jamais autant parlé d’identification que depuis cette crise sans précédent de l’offre identificatoire. « Sois toi-même », dit désormais l’éducateur paresseux et pressé qui emprunte les jeans de son fils et se fait un point d’honneur de « parler jeune. » Comme me le faisait remarquer, du sien, un jeune homme avec une ironie triste, pas même méchante.
45À l’inverse, la psychanalyse depuis un siècle n’enseigne.t.elle pas que le mouvement du désir qui nous pousse vers l’avenir ne peut se passer d’une réouverture sur l’enfance, faite à la fois d’accueil, d’acceptation lucide et de renoncement interminable. On ne se délivre de la dette qu’en commençant par l’accepter. Mais l’adolescent ne redoute rien tant que de se sentir piégé dans une identification. Sans se douter que c’est à ce moment-là qu’elle le ligote le plus.
46Si tu veux devenir toi-même, rétorque le psychanalyste – tâche infinie ! – commence par accueillir l’autre en toi. Mais peut-être la psychanalyse a-t-elle trop perdu de vue que cet autre interne – que Freud, un peu imprudemment, a nommé l’Inconscient, avant de se le reprocher, sur le tard – était l’héritier de ces autres externes – les adultes – qui ont jadis « accueilli » l’infans. Faisant, du même coup, entrer tout un courant de la psychanalyse dans une absurde opposition entre la « réalité psychique » et la « réalité externe ». Seule la réalité psychique, entend-on répéter comme une antienne, concerne le psychanalyste. L’intérêt pour la « réalité » ne manifesterait jamais que des résistances au travail de la psychanalyse. Or, le grand adolescent ou le jeune adulte traverse le plus souvent une période au cours de laquelle, de lui, de son intériorité, c’est ce dont il ne veut ou ne peut pas parler. Il est bien trop occupé de la réalité, de son absurdité ou de sa cruauté, pour faire retour sur lui. On tend cependant trop souvent à oublier que la « réalité » est aussi composée de la réalité psychique... des autres. Tous ces autres dont l’agitation incohérente et énigmatique vient, dans cette crise de l’introjection, réveiller les énigmes de l’autre interne (l’Inconscient) restées en souffrance.
47Alors commence le ridicule rapport de force. Et on va voir que la résistance n’est pas toujours du côté qu’on croit. « Vous me parlez beaucoup des autres. Et vous, dans tout çà ? », susurre le psychothérapeute. Encore cette relance (parfois seulement sous-entendue) a-t-elle la fraîcheur de la na ïveté et reste-t-elle, le plus souvent, l’apanage de nos jeunes collègues. Le psychanalyste averti (surtout s’il a été élevé dans le kleinisme) dispose de stratégies plus redoutables sur lesquelles je veux m’arrêter, ce qui me permettra de renouer avec mes propos précédents sur l’insuffisance ou le débordement de l’introjection.
48Lorsque la réalité actuelle envahit le discours du patient (et on sait à quel point la chose est fréquente dans les psychothérapies des adolescents), la tentation est de l’interpréter en termes de projection, voire d’identification projective. Et cela d’autant plus que la réalité dénoncée par le sujet est mauvaise. Quelles que soient les précautions et le tact dont on enrobe les formules, le message redondant vise à imputer à la destructivité du sujet, projetée à l’extérieur (qu’il s’agisse du professeur, de l’employeur, ou de la petite amie), la violence psychique dont il dit être l’objet. Interprétation légitime et assez aisément acceptée du sujet, quand l’introjection a accompli son travail de symbolisation. Alors et seulement alors, quelque chose de l’ordre d’une projection secondaire sur la réalité peut être reconnue, voire spontanément évoquée par celui-ci : « J’ai l’impression que je deviens parano ! » Formule assez fréquemment entendue, à notre époque de culture analytique – mais précisément pas dans la bouche de sujets menacés par une authentique potentialité persécutive !
49Or, ce qui est visé avec cette notion d’une insuffisance – ou d’un débordement qui peut fort bien être transitoire – du processus d’introjection me semble extrêmement proche de ce que Lacan a décrit avec la notion de forclusion, manifestant un échec de ce que Freud nomme la Behajung primaire – ou jugement d’attribution. Du reste, dans le commentaire célèbre qu’a donné Jean Hyppolyte du texte de Freud sur La dénégation [22], le jugement d’attribution – la Behajung – est explicitement rapporté à l’action d’introjecter.
50En revanche, il ne me paraît pas recevable de limiter ce mécanisme à la seule structure psychotique, ni sur le plan théorique, ni dans une perspective thérapeutique. À condition de souligner cette restriction, la recommandation de Lacan de s’abstenir d’interpréter la tonalité persécutive, hallucinatoire ou non, que prend la réalité comme une projection sur les objets externes me paraît un acquis fondamental.
51 J’évoquerai ici une situation clinique assez fréquente : plutôt que de nier la violence psychique exercée par tel enseignant ou employeur, en sous-entendant que les plaintes de notre jeune patient traduisent la projection à l’extérieur de sa destructivité interne, on explorera avec lui quels traits spécifiques, précis, du comportement de cet autre, vécu comme persécuteur, sont particulièrement insupportables en ce qu’ils viennent, allusivement, réveiller des expériences traumatiques passées. Loin de passer rapidement sur les scènes et les personnages incriminés – ce qui est la tentation fatale si on les considère comme de simples écrans de projection –, le souci de faire préciser les détails est la seule chance de faire apparaître des associations suffisamment troublantes, pour introduire le sujet à la prise de conscience de la répétition traumatique. La prise en compte de la part inconsciente qu’il prend à la répétition de l’expérience ne pourra être abordée que très progressivement au fur et à mesure du patient travail d’introjection de l’expérience traumatique. C’est ainsi que seront accueillies de façon moins soupçonneuses les expériences relationnelles, de tonalité traumatique, rapportées en séance, dès lors qu’on les comprendra non plus comme des « transferts latéralisés » à dénoncer comme transgressifs, mais comme des « transferts in vivo » inévitables. Ce qui suppose de ne pas nier que les protagonistes dont se plaint le patient prennent leur part dans ce qui leur est imputé. C’est-à-dire qu’on se garde de ne retenir de l’expérience que la seule dimension projective d’une problématique interne. Le modèle heuristique est ici celui du psychodrame : cette stratégie de tolérance à l’égard des transferts in vivo est une façon de préserver, aussi longtemps que nécessaire, le thérapeute de mouvements transférentiels d’une trop grande intensité, lui permettant de préserver sa place interprétante.
52Je pense à un jeune adulte dont la thérapie s’organise autour de la remémoration d’une expérience pédophilique dont il a été victime à l’âge de 7 ou 8 ans. Au cours de sa thérapie, il en vient à exprimer une rage violente et quasi meurtrière à l’égard d’un condisciple et voisin de chambre dont il décrit les comportements machistes, les vantardises sexuelles, les éclats de voix et la vulgarité. Ces descriptions ont d’indéniables accents de vérité. Progressivement, il en vient lui-même à parler spontanément de transfert du pédophile sur son condisciple. Je lui fais remarquer qu’il emploie là un mot bien précis et que jusqu’alors cependant, il m’a épargné de pareilles imputations. Dans un sourire complice, il me répond alors que si j’avais manifesté le moindre trait de ressemblance avec le camarade en question, il n’aurait pas pu me faire confiance et n’aurait pas poursuivi plus de quelques séances.
53Doit-on parler ici de transfert latéralisé, comme certains en auraient peut-être la tentation ? Je n’en vois pas l’intérêt heuristique. Je crois plus juste de retenir la thèse de mon patient : d’une part, il n’a pu travailler avec moi que dans la mesure où certaines particularités de mon style le rassuraient sur le risque d’une répétition. D’autre part, je n’ai pas manqué une occasion, en l’accompagnant dans les récits de son expérience, de lui préciser que j’accordais foi à son témoignage – y compris à la description des comportements de son voisin de chambre – me gardant scrupuleusement de la moindre formulation laissant entendre que j’y voyais une « projection » de sa part. C’est lui qui, à son heure, emploiera spontanément le terme de transfert pour rendre compte de ses violentes démêlées avec son camarade. Au plus fort du conflit (à diverses reprises, ils ont failli en venir aux mains), une interprétation dans ce sens, même allusive, provenant du thérapeute, aurait fait courir le risque d’un transfert persécutif inanalysable. Ici, le respect du transfert in vivo préservait ma place interprétante, de façon analogue à ce qui se passe en psychodrame, dans lequel le meneur de jeu-analyste se fait « représenter » (transfert de transfert) dans le jeu par des thérapeutes auxilliaires, avec le souci de préserver sa fonction interprétante, laquelle suppose un certain « écart » avec la place qui nous est assignée par le transfert.
54L’expérience du psychodrame (figure paradigmatique du dépliage du dispositif analysant) aide le thérapeute, quand il se retrouve en relation duelle, à accueillir la « latéralisation » des transferts, non pas comme des acting-out à dénoncer mais comme une sorte de « psychodrame in vivo » – condition souvent nécessaire, pour ces sujets, au travail d’introjection.
55On dira cependant, non sans raison, que toute expérience n’est pas bonne à faire. En effet si, dans une histoire traumatique, des répétitions traumatiques in vivo sont à peu près inévitables, à l’adolescence, le thérapeute pourra à l’occasion, avec tact, lorsqu’il lui semble que la compulsion de répétition fait courir des dangers disproportionnés au patient, le mettre « paternellement » en garde. Ce qui est tout autre chose que de « dénoncer » l’acting-out comme une projection et une latéralisation, dont le patient se rendrait coupable. Même si le patient ne tient pas compte de la mise en garde et en subit les conséquences, le souvenir ultérieur du souci de le protéger dont le thérapeute aura fait preuve ne fera que consolider la confiance et l’alliance de travail. A contrario, on sait que des patients « agissants » ne manquent pas de nous reprocher, après coup, notre abstention quand telle ou telle expérience tourne mal... quand bien même ils n’auraient tenu aucun compte de nos conseils de modération. Par là, ils expriment l’intuition, reposant sur l’expérience, selon laquelle de graves carences de la contenance, voire un sadisme dénié peuvent fort bien se manifester derrière l’alibi du respect d’une prétendue « neutralité » !
56La réouverture d’une situation traumatique, au cours du travail psychothérapique avec un adolescent dont le processus d’introjection se trouve débordé, suppose de la part du thérapeute énormément de tact. Le souci de se maintenir à une place discrète, potentiellement analysante, ne doit pas signifier ici désimplication ou indifférence.
57On pourrait soutenir, non sans un apparent paradoxe, que le psychothérapeute est d’autant plus le garant du cadre que celui-ci est « déplié » dans la réalité sociale. Dès lors, on ne peut se dissimuler qu’il retrouve, dans ce délicat équilibre, quelque chose de la position parentale : autoriser, avec une authentique bienveillance, les expériences, même quand celles-ci menacent d’être traumatiques, en se gardant de ce que cette « liberté » laissée à la répétition ne vienne pas, elle-même, répéter un défaut de contenance et de sollicitude des figures parentales.
58Entre processus éducatif et processus analytique, les frontières, du point de vue de l’adolescent, ont alors dans la pratique tendance à se brouiller. Raison de plus pour que le thérapeute qui s’engage dans l’aventure emporte avec lui quelques repères métapsychologiques suffisamment fiables.
59La « postéducation » psychanalytique ouvre sur une Kulturarbeit interminable, tant du point de vue du sujet que de la collectivité. Ce qui a fait proposer à Jean Laplanche une conception de la fin de l’analyse [23] qui ne mise plus sur une illusoire dissolution du transfert, mais sur un transfert du transfert analytique sur le domaine culturel (compris comme lieu de réouverture à l’énigme de l’autre). L’histoire du sujet pourrait, dans cette perspective, être pensée comme l’histoire de son ouverture originaire sur l’autre (parent), de ses inévitables mouvements de fermeture (ptoléme ïques) – mais aussi de réouverture : à l’occasion des transferts analytiques comme des rencontres marquantes d’une vie, dont on sait qu’elles sont susceptibles de « relancer » un processus qu’on dit, un peu par antithèse, « auto-analytique » ; maintien de l’ouverture enfin, par la fréquentation du champ culturel comme lieu privilégié de la confrontation à l’énigme de la condition humaine [24].
60Automne 2000
Mots-clés éditeurs : Genèse du psychisme, Processus analytique, Adolescence, Éducation, Introjection
Notes
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[1]
Une première version de ce travail a fait l’objet d’une communication, sous le même titre, au colloque organisé par l’association Thélémythe, le 18 mars 2000 à Paris, Palais des Congrès de la Cité des sciences et de l’industrie, à l’occasion du dixième anniversaire de sa fondation, sur le thème : Adolescences : fais ce que voudras ? Je remercie Serge Beaugrand de m’avoir donné l’occasion de poursuivre ma réflexion dans des conditions d’échanges exceptionnelles.
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Psychiatre, psychanalyste, ancien attaché à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris, Unité de psychiatrie infantile (Pr Bernard Golse), chargé d’enseignement en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université de Poitiers.
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Les guillemets visent à épingler, d’entrée de jeu, une conception réductrice du pédagogique – qu’aucun théoricien sérieux de la pédagogie ne reprendrait à son compte – conception repoussoir ad hoc qu’il n’est ensuite que trop aisé d’opposer à une conception « pure » de l’analytique. L’emploi fréquent et généreux, dans une telle problématique, des adjectifs substantivés fait soupçonner la régression de la pensée à des catégories métaphysiques, le pédagogique étant alors opposé à l’analytique, un peu à la manière dont les médecins de l’ère pré-scientifique pensaient la constitution physique comme un affrontement entre le sec et l’humide !
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Sans les reprendre ici dans le détail, on remarquera que ce parti pris tend à passer sous silence, dans les comptes rendus que donnent ces praticiens de leurs expériences cliniques, les circonstances qui ont présidé à l’instauration du cadre thérapeutique (mais aussi les cas où cette instauration s’est avérée impossible). Dès lors, la lecture de quelques comptes rendus isolés, apparemment démonstratifs, tend à accréditer l’idée que la méthode est susceptible d’être généralisée à l’ensemble de la clinique infantile ! On entre alors dans le cercle de l’autojustification de la théorie par la pratique et de la pratique par la théorie, puisque les cas qui échappent à ce parti pris endogéniste, pour ne pas dire solipsiste, de la conduite de la cure ne font l’objet d’aucune évaluation critique. C’est ainsi que Melanie Klein « omet » de préciser, dans son travail inaugural sur Le développement d’un enfant (Conférence à la Société hongroise de psychanalyse, en juillet 1919, publiée inchangée dans Imago, vol. IX, 1921, trad. franç. dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1968, p. 29-89) que « Fritz », l’enfant sur lequel s’étayent ses conceptions du développement psychique et de la pratique analytique avec l’enfant, n’est autre qu’Erich, son dernier fils, et que la « cure » qui est ici rapportée avec force détails est, en fait, une observation psychanalytique menée en famille, sans aucun cadre spatiotemporel qui distinguerait avec une certaine rigueur les moments « d’analyse » proprement dite, les observations directement faites par la mère/analyste dans le cadre familial, ce qui lui a été rapporté par des tiers, enfin les interventions éducatives incontournables de la vie ordinaire. À aucun moment Melanie Klein ne révèle que « la mère » de laquelle elle prétend tenir les informations complémentaires, quand le matériel n’est pas réputé directement recueilli par « l’analyste » n’est autre... qu’elle-même. Il n’est pas anodin de souligner que l’auteur qu’on considère comme la plus attachée à la stricte distinction de l’analyse et du « pédagogique » élabore sa doctrine à partir d’une longue observation dans laquelle ces deux niveaux sont strictement indiscernables. Cependant, la gêne du lecteur informé se trouve redoublée par le déni par lequel l’analyste/mère dissimule cette confusion des registres dans son exposé. Ce secret préservé sur les conditions exactes du cadre de la « cure » est responsable d’un second embarras : l’auteur passe en effet sous silence nombre d’informations historiques qu’on considérerait aujourd’hui comme fondamentales pour la compréhension de la problématique psychopathologique de l’enfant : ainsi du décès de la grand-mère maternelle (la mère de Melanie Klein) vivant au foyer, quand Fritz/Erich était âgé de 4 mois, et dont on sait qu’il a été vécu dans la culpabilité par Melanie Klein ; ainsi encore des graves conflits entre Melanie Klein et son mari, père de Fritz, qui devaient aboutir, alors que la « cure » de celui-ci n’était pas achevée, à la séparation définitive du couple... mais aussi à la séparation du jeune patient avec son frère ainé, Hans, puisque celui-ci sera confié au père.
On voit que, pour le moins, les précautions méthodologiques qui seraient requises d’une discrimination fine entre les facteurs endogènes et exogènes dans la constitution du psychisme, ainsi que dans la problématique psychopathologique, sont ici systématiquement négligées (pour ne pas dire bafouées) et que la surestimation des facteurs purement endogènes, dans la théorie, va de pair, dans la pratique, avec ce qui ressemble bien à un déni systématique de l’implication subjective, théorique, et éducative de la mère/analyste dans le processus. C’est ainsi que Melanie Klein néglige de se demander dans quelle mesure les clivages entre les « objets internes » ne sont pas, largement, déterminés par les conflits, bien réels, entre elle et le père de Fritz/Erich ! Scotomisation d’autant plus grave que si ceux-ci sont patents dans ce qui a pu être reconstruit de la vie familiale par les biographes de Melanie Klein, l’analyste/mère est seule responsable de la conduite de la cure. Dès lors, loin de pouvoir tenir une position de neutralité dans le conflit parental, il est clair que l’autorité de l’analyste vient constamment cautionner les positions de la mère. -
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Freud soutient du reste clairement, dans un texte qui intègre sa propre critique du kleinisme, que « le surmoi de l’enfant ne s’édifie pas, en fait, d’après le modèle des parents mais d’après le surmoi parental ; il se remplit du même contenu, il devient porteur de la tradition, de toutes les valeurs à l’épreuve du temps qui se sont perpétuées de cette manière de génération en génération » [souligné par moi] (La décomposition de la personnalité psychique, in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, 1933, nouv. trad. franç., Gallimard, 1984, p. 93). Voilà qui fait justice aux observations, bien na ïves parce qu’étrangères à l’investigation analytique, avancées par les kleiniens à l’encontre du déterminisme exogène de la constitution du surmoi, sous l’argument que la clinique nous présente fréquemment – ce qui est en effet avéré – des enfants souffrant d’une symptomatologie manifestant une particulière sévérité du surmoi, alors qu’ils bénéficient d’une éducation nullement répressive, prodiguée par des parents particulièrement souples et tolérants ! C’est confondre la réalité observable des attitudes pédagogiques parentales avec leur réalité psychique interne (dont le surmoi est l’un des aspects), laquelle se manifeste par des « messages » largement méconnus de ces derniers et dont la prise en compte suppose une écoute analytique du parent lui-même ! Remarquons, de surcroît, que cette mise au point freudienne fondamentale invite à concevoir la constitution du surmoi du parent sur le même modèle (c’est-à-dire : non pas d’après le modèle de ses propres parents, mais d’après le surmoi parental... et ainsi de suite !). On a là une anticipation, particulièrement précise, des conceptions contemporaines faisant intervenir la notion d’une véritable transmission transgénérationnelle inconsciente : la dimension inconsciente de la transmission des contenus surmo ïques apparentant ceux-ci à ce que N. Abraham et M. Torok ont décrit comme des cryptes, à l’intérieur du psychisme, et se transmettant de génération en génération, sans que ni le transmetteur, ni le récepteur n’en ait conscience – et moins encore l’observateur na ïf (fut-il analyste !) de l’interaction éducative –, ce qui n’empêche pas que ce soit, pour l’essentiel, à l’occasion de la relation éducative que s’opère la transmission, selon des voies que seule une authentique investigation analytique peut éclairer ! Ajoutons encore une « complication » : qu’il y ait transmission des contenus surmo ïques n’implique pas l’absence de transformations par l’enfant de ces contenus ! L’alternative à laquelle on voudrait parfois réduire les choses : soit une transmission à l’identique qui ferait du psychisme infantile le simple « décalque » du psychisme parental, soit une endogenèse radicale, est irrecevable telle quelle. Il y a, bel et bien, à la fois transmission et néogenèse à partir des contenus (messages) transmis : processus complexe, auquel la notion approximative d’interaction ne rend pas justice.
Ça a été le mérite de la relecture par Laplanche de la théorie freudienne de la séduction de préciser les modalités du déterminisme de l’intervention de cette réalité psychique externe (Laplanche dit encore « invasive ») sur la constitution de l’appareil psychique de l’enfant, avec la notion de messages « énigmatiques » et/ou « compromis » (cf. Jean Laplanche, Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, PUF, 1987). -
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Mais l’examen sans parti pris des positions soutenues par les divers « courants » de la psychanalyse des enfants montrerait que celle-ci ne se rencontre pas chez les seuls « kleiniens » ou réputés tels !
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Remarquablement éditées en français, avec un appareil critique abondant et rigoureux, sous le titre Les controverses Anna Freud - Melanie Klein, 1941-1945, Paris, PUF, 1996.
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La place manque ici pour justifier une formulation qui gagnerait à être plus longuement argumentée par la discussion des nombreux travaux qui, depuis quelques décennies, ont repris – notamment grâce aux témoignages issus de la clinique infantile et des organisations extra-névrotiques – la difficile question de la genèse de l’appareil psychique.
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Catherine Millot (1979), Freud anti-pédagogue, La bibliothèque d’Ornicar. Exactement sur le même thème, et en s’appuyant sur le même appareil documentaire, Mireille Cifali a « répondu » à la thèse de Catherine Millot par un livre paru en 1982, Freud pédagogue ? (Inter Éditions) dans lequel elle montre le déni à l’œuvre dans une telle lecture des rapports de la psychanalyse et de l’éducation.
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Nous en avons la confirmation dans une lettre qu’il adresse, deux ans plus tard, à Joan Rivière, une des élèves éminentes – et souvent porte-parole – de Melanie Klein, dans laquelle il reprend très précisément les thèmes de la préface au livre de August Aichhorn en explicitant cette fois-ci les désaccords avec l’école kleinienne (qu’il a préféré laisser allusifs dans le texte édité). « Nous posons comme préalable que l’enfant est un être pulsionnel avec un moi fragile et un surmoi juste en voie de formation. Chez l’adulte nous travaillons avec l’aide d’un moi affermi. Ferenczi a fait la remarque pleine d’esprit que si Melanie Klein a raison, il n’y a vraiment plus d’enfant. Naturellement, c’est l’expérience qui aura le dernier mot. Jusqu’à présent, ma seule constatation est qu’une analyse sans visée éducative ne fait qu’aggraver l’état de l’enfant » (lettre à Joan Rivière du 9 octobre 1927).
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[11]
Me contentant de renvoyer à la contribution de Jean Laplanche, Buts du processus psychanalytique, dans Entre séduction et inspiration : l’homme, PUF, coll. « Quadrige », 1999, p. 219-242.
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S. Freud (1933), Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, trad. franç., Éditions Gallimard, 1984. La conférence concernée porte le no XXXI et s’intitule : « La décomposition de la personnalité psychique », p. 80-110.
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Deux citations, parmi plusieurs dizaines de formules, empruntées à la conférence concernée, pour rendre raison du « coup de force » perpétré par la lecture – et la traduction – lacanienne : « Nous voulons faire du moi, de notre moi le plus personnel, l’objet de cet examen. Mais le peut-on ? Le moi est le sujet au sens le plus propre, comment pourrait-il devenir objet ? Il n’y a pas de doute qu’on peut faire cela. Le moi peut se prendre lui-même comme objet, se traiter comme d’autres objets, s’observer, se critiquer et faire encore dieu sait quoi avec lui-même » (op. cit., p. 82). Et plus loin, s’agissant de l’état conscient : « Nous éprouvons le besoin de réviser fondamentalement notre position sur le problème conscient-inconscient. D’abord, nous sommes enclins à bien diminuer la valeur du critère de l’état conscient, puisqu’il s’est montré si peu sûr. Nous aurions tort [souligné par moi]. Il en va comme de notre vie : elle ne vaut pas grand chose, mais c’est tout ce que nous avons. Sans le flambeau de la qualité du conscient nous serions perdus dans l’obscurité de la psychologie des profondeurs » (ibid., p. 97-98).
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[14]
« Vous devinez facilement quelle aide importante pour la compréhension du comportement social de l’être humain, par exemple pour la compréhension de l’abandon affectif [Verwahrlosung] et peut-être aussi quelles indications pratiques pour l’éducation résultent de la prise en considération du surmoi » (op. cit., p. 94).
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[15]
Thème particulièrement travaillé dans l’ouvrage « testamentaire » de Freud, L’homme Mo ïse et la religion monothéiste, 1939, trad. franç., Gallimard, 1986.
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[16]
Dont la formulation paradigmatique pourrait être épinglée par la métaphore fameuse de Hegel, dans la Préface à la Phénoménologie de l’Esprit, « Le chêne est dans le gland ».
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[17]
« Les meilleurs maîtres sont les vrais homosexuels qui ont réellement cette attitude d’aimable bienveillance envers leurs élèves. Mais si un maître à l’homosexualité réprimée est confronté avec cette exigence, il devient sadique envers ses élèves ; ces maîtres ha ïssent et persécutent les enfants parce qu’ils ont ces “exigences sexuelles”, irritant par là la sexualité des maîtres. Tout comme les homosexuels sont les meilleurs maîtres, les homosexuels refoulés sont les pires et les plus sévères » (Les premiers psychanalystes. Minutes (II) de la Société psychanalytique de Vienne, trad. franç., Paris, Gallimard, 1978, Séance du 20 avril 1910, p. 482-483.
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[18]
S. Ferenczi (1909), Transfert et introjection, trad. franç., in Œuvres complètes.
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[19]
Voir « Quand il devient nécessaire de déplier le dispositif analytique », conférence dans le cadre du IVe Groupe, inédit. Et De la psychanalyse aux psychothérapies : des dispositifs analytiques dépliés, Enfance et psy., 2000, no 12, p. 63-71.
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[20]
Cf. l’article cité note précédente.
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[21]
La théorie de la séduction généralisée est ainsi nécessairement doublée d’une théorie traductive de la constitution de l’appareil psychique. Conception que Laplanche démarque du Freud de la Lettre de l’équinoxe (lettre 52 du 6 décembre 1896, dans la Naissance de la psychanalyse, PUF, 1973, p. 153-160), à ceci près que pour Laplanche, ce ne sont pas les perceptions qui sont supposées devoir être traduites, mais les messages parentaux « compromis » par des significations sexuelles, comme telles intraduisibles par l’enfant. Ce qui donne tout son poids à la formule freudienne : « C’est le défaut de traduction que nous appelons, en clinique, refoulement. »
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[22]
Voir en appendice des Écrits de Lacan le Commentaire parlé de la Verneinung de Freud, par Jean Hyppolite, Le Seuil, 1966, p. 879-887.
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[23]
J. Laplanche (1999), Buts du processus psychanalytique, in Entre séduction et inspiration : l’homme, PUF, coll. « Quadrige », p. 219-242.
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[24]
Qui peut aujourd’hui douter que, autant qu’avec Willem Fliess ou Ferenczi, c’est avec Sophocle, Goethe, Shakespeare et quelques autres que Freud poursuit, tout au long de son existence, son « auto-analyse » interminable !