Notes
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[1]
Plusieurs concepts sont utilisés dans la littérature pour qualifier le parti VOX : « droite radicale », « parti populiste de droite » ou « extrême-droite » (Rama et al., 2021).
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[2]
Seule la Principauté des Asturies avait jusqu’ici usé de cette disposition en 2012, ainsi que la Communauté de Madrid en 2021.
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[3]
Entre 1977 et 1995, les partis de droite incluent Alianza Popular/Partido Popular, Centre Démocratique et Social et Union du Centre Démocratique (entre 1977 et 1982), Ciudadanos (depuis 2014), VOX (depuis 2015). Les partis de gauche le PSOE, Izquierda Unida/PCE (Gauche Unie/Parti Communiste Espagnol, jusqu’en 2019), et Podemos à partir de 2014. Les partis nationalistes et régionalistes (pour la comparaison avec le niveau national) ne sont pas pris en compte dans les calculs.
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[4]
L’UPL, créé en 1986 par des anciens politiques du Parti Socialiste Populaire (PSP de Enrique Tierno Galván, maire de Madrid entre 1979 et 1986), de Alianza Popular, du PSOE, et des membres de la société civile léonaise, défendent l’existence d’une communauté autonome propre pour le « pays léonais » (incluant les provinces de Léon, Salamanca et Zamora, seules provinces où le parti se présente aux élections), et séparée de la Castille. Le dirigeant de l’UPL Luis Mariano définit son parti en 2022 comme un « mouvement politique transversal (…) (auquel) peuvent converger des gens de droite et de gauche » (Traduction propre, (Falcón, 2022)).
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[5]
Coalition électorale transpartisane créée en 2018 sur les bases de mobilisations sociales locales, cette plateforme s’est présentée dans la province de Teruel (Aragon) lors des élections générales de novembre 2019 et a obtenu un siège.
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[6]
L’expression « d’Espagne vide » (« España vacía ») fait référence aux territoires ruraux peu denses majoritairement de Castille, d’Andalousie et d’Aragon qui font face aux problèmes de dépeuplement et d’exode rural. L’expression a été popularisée dès 2016 par l’écrivain Sergio del Molino dans un livre au titre éponyme.
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[7]
Les communautés autonomes « historiques » désignent ici les communautés qui disposaient d’un statut d’autonomie propre lors de la Seconde République (1931-1939), et où les partis nationalistes et indépendantistes sont historiquement implantés en Espagne, à savoir, la Catalogne, le Pays Basque (et la Navarre) et la Galice.
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[8]
La coalition « Euskal Herria Bildu, ou EH Bildu » (« Réunir le Pays Basque ») réunit plusieurs petits partis allant du centre-gauche nationaliste basque à la gauche radicale indépendantiste basque dite « abertzale » (traduisible comme « patriote » ou « nationaliste »).
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[9]
La variable d’idéologie auto-déclarée mesure sur l’axe 1-10 l’idéologie où la position 1 est la plus à gauche, et la position 10 la plus à droite. La variable a été recodée comme suit : positions 1 et 2 = « Gauche », positions 3 et 4 = « Centre-gauche », position 5 = « Centre », position 6 et 7 « Centredroit » et positions 8, 9 et 10 = « Droite », et « Ne sait pas », ou « Ne souhaite pas répondre » comme « Ni-ni » sans idéologie.
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[10]
L’enquête post-électorale 3352 du CIS a été réalisée entre le 14 et le 22 février 2022 par entretiens téléphoniques (fixes et mobiles, CATI) sur la base d’un échantillon aléatoire stratifié selon la taille de la commune. Des quotas de genre et d’âge ont été appliqués. La marge d’erreur est de + ou – 1,7 % pour l’ensemble de l’échantillon (N = 3.673).
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[11]
La variable « niveau d’études » correspond au niveau d’études le plus élevé obtenu par la personne interrogée, et a été recodée en 4 catégories : « Sans études et études primaires », « Études secondaires », « Formation professionnelle (FP) » et « Études supérieures ».
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[12]
L’ensemble des pourcentages obtenus n’est pas forcément égal à 100, chaque score obtenu étant arrondi à l’entier supérieur.
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[13]
La catégorie « Autres partis territoriaux » inclut les partis « Por Ávila », « Vía Burgalesa », « Zamora Decide », « España vaciada », « PCAS-TC-RC », « PREPAL », « Coalición El Bierzo » et « Por Zamora ».
1 A la veille de la répétition des élections générales organisées en novembre 2019, les leaders des cinq principaux partis nationaux espagnols s’affrontaient lors d’un débat télévisé de Radio Televisión Española (RTVE). Pedro Sánchez (PSOE, « Parti Socialiste Ouvrier Espagnol », centre-gauche social-démocrate), Pablo Casado (« Parti Populaire », droite conservatrice), Pablo Iglesias (Podemos, « Nous Pouvons », gauche radicale (Ramiro et Gomez, 2017)), Albert Rivera (Ciudadanos, « Citoyens », centre-droit) et Santiago Abascal (VOX, de la droite radicale à l’extrême-droite [1]) se faisaient face. Deux ans et demi plus tard, après les élections autonomiques de Castille-et-León de février 2022, seulement deux d’entre demeuraient à la tête de leur parti, Pedro Sánchez (PSOE), actuel président du Gouvernement ainsi que Santiago Abascal (VOX). Les élections autonomiques de février 2022 en Castille-et-León auront été fatales au président du Parti Populaire, Pablo Casado. Son parti a pourtant terminé premier des élections (31,5 %), mais très loin du pari initial de son leader national d’obtenir une majorité absolue en sièges. Désormais concurrencé par VOX dans tous les scrutins régionaux et dans les sondages, le PP voit, à l’exception de l’Andalousie, son hégémonie contestée à droite dans un contexte de chute brutale du parti Ciudadanos depuis 2019. L’arrivée d’Alberto Núñez Feijóo à la tête du PP, président de la Galice depuis 2009, et le gain de la majorité absolue en Andalousie en juin 2022 nuancent a posteriori le panorama de cette lutte pour l’hégémonie à droite, dans un contexte de luttes internes pour le leadership au sein de VOX.
2 Pourtant, ce renouvellement rapide des leaders des principaux partis politiques se fait dans un contexte plus général de désalignement du système de partis depuis 2011 (Freire et al., 2021) et d’un réalignement électoral à gauche et à droite encore inachevé (Orriols & Cordero, 2016). Le succès rapide des nouveaux partis, tel que Podemos en 2014, de Ciudadanos dès 2015 au niveau national, ou de VOX dès novembre 2018 ont remis en question le « bipartisme limité » dominant depuis la Transition démocratique (1975-1982) (Rama et al., 2021). Outre la remise en question des partis traditionnels de gouvernement, encore limitée en Castille-et-León par rapport à d’autres territoires, ces élections montrent un système partisan de plus en plus fragmenté et organisé autour de deux blocs, de gauche et de droite (parfois qualifié de « bibloquisme fragmenté » (López Aguilar, 2021). Ces élections autonomiques dans une région traditionnellement à droite recouvre ainsi un intérêt particulier dans le cycle électoral incertain que connaît l’Espagne depuis 2014.
3 Dans un premier temps, nous reviendrons sur le contexte de l’annonce de ces élections autonomiques anticipées. Puis, nous nous intéresserons dans une deuxième partie aux raisons de la chute de participation électorale, historiquement faible. Nous mettrons en évidence les résultats de ces élections autonomiques, en nous centrant sur les facteurs du vote pour les deux partis « gagnants » de ces élections : VOX ainsi que la plateforme électorale Soria ¡Ya ! (Soria Maintenant !, parti régionaliste se définissant comme « transversal »). Nous nous intéresserons à la composition de ces électorats, pour comprendre les mouvements de vote à l’œuvre dans la recomposition des droites espagnoles. Nous questionnerons également la nature « transversale » de l’électorat de ces petits partis. Ces élections poursuivent également le mouvement de désalignement électoral commencé en 2011 suite à la crise de 2008, porté par le renouvellement générationnel, notamment par une concentration moindre du vote chez les nouvelles générations, ainsi que la consolidation des petits partis territoriaux et régionalistes. Avec la concentration du vote, nous mesurons l’ensemble des votes exprimés pour les deux partis qui ont rassemblés le plus de voix et de sièges. Dans le cas de l’Espagne, il s’agit des deux partis dits « traditionnels » de gouvernement (PP et PSOE). Pour ce faire, nous nous aiderons de l’enquête post-électorale de ces élections élaborée par le Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS, étude 3352), ainsi que les données agrégées de vote et de participation fournies par le Ministère de l’Intérieur espagnol et les Juntas de Castille-et-León entre 1979 et 2022 pour les élections générales et autonomiques. Enfin, nous mettrons en évidence les conséquences de ce scrutin au niveau national dans le rapport des forces entre gauche et droite, et les possibles scénarios de recomposition du système partisan espagnol.
De Murcie à Madrid, et de Valladolid à Séville
4 Ces élections doivent ainsi être analysées comme une étape dans le réalignement électoral en cours depuis 2014, et une étape du cycle électoral s’achevant par la convocation des élections générales d’ici à la fin de la législature fin 2023. L’annonce d’une motion de censure constructive en mars 2021 menée par l’opposition socialiste avec une partie des élus de Ciudadanos contre le président de la Région de Murcie (PP) allait enclencher un jeu de dominos menant de Madrid (en mai 2021) à Valladolid (capitale de Castille-et-León). Écartée à deux voix près (23 voix contre 21) grâce au vote de deux députés transfuges de Ciudadanos (plus une abstention), la motion de censure de Murcie allait mener à la convocation d’élections autonomiques dans la Communauté de Madrid (CAM) en mai 2021, puis à celles de Castille-et-León en février 2022 et d’Andalousie en juin 2022. La chute du parti de centre-droit Ciudadanos à partir des élections générales de novembre 2019, puis lors des élections au Parlement de Catalogne en février 2021 ont poussé la présidente de la Communauté de Madrid à anticiper des élections. Ces dernières ont été polarisées par deux candidats nationaux autour de slogans antagonistes (« Liberté ou Communisme » pour Díaz-Ayuso pour le PP) et (« Démocratie ou fascisme » pour Pablo Iglesias, alors leader de Podemos) et marquées par une campagne de haute intensité centrée sur la question de la gestion des restrictions liées au Covid-19. A Madrid, à Séville ou à Valladolid, capitale de la région, l’objectif des présidents sortants du PP était de consolider une majorité importante sans dépendre ni de Ciudadanos, ni de VOX, et de consolider leur position hégémonique à droite, dans un contexte de sondages favorables.
5 Quel était donc l’intérêt de convoquer des élections autonomiques anticipées pour son Président sortant, Alfonso Fernández Mañueco (PP) dans l’une des régions les plus à droite d’Espagne, et fief historique d’Alianza Popular puis du PP ? Pour la première fois de l’histoire de la région, son président décidait de convoquer des élections autonomiques de manière anticipée. Jusqu’à la réforme de son statut d’autonomie dans les années 2000, cela n’était pas possible (Mayol, 2010) [2]. Pour des raisons stratégiques internes au PP, ces élections autonomiques ont été pensées comme une nouvelle étape dans la recomposition des partis à droite de l’échiquier politique, divisé depuis 2018 entre Ciudadanos (centre-droit), le Parti Populaire (droite conservatrice) et VOX (de la droite radicale à l’extrême droite (Rama et al., 2021). Depuis 2019, la région était en effet gouvernée pour la première fois de son histoire en coalition entre le Parti Populaire et le parti de centre-droit Ciudadanos (partenaire minoritaire de la coalition). VOX et le Parti Populaire ont eu comme objectif de récupérer lors de ces élections une grande partie de l’électorat du parti de centre-droit, reconfigurant la compétition électorale à droite. La victoire obtenue par Isabel Díaz Ayuso à la CAM, avec le meilleur résultat en voix et en sièges depuis 2011, a, de son côté, ravivé les tensions entre la présidente de la Communauté de Madrid et le leader national du PP, Pablo Casado, davantage sur fond de lutte pour le leadership du parti que pour des divergences idéologiques.
6 Certains observateurs ont prêté l’intention à Pablo Casado de faire convoquer des élections anticipées au président de Castille-et-León, Fernández-Mañueco, un de ses proches, pour voir son leadership renforcé au sein du parti face à Isabel Díaz Ayuso. L’objectif de ces élections anticipées était donc pour le PP de Pablo Casado d’obtenir une large majorité sans devoir dépendre de son exigeant partenaire de gouvernement, Francisco Igea, du parti Ciudadanos, et donc de rééditer le succès obtenu à Madrid par sa rivale interne Ayuso.
7 Trois mois après ces élections autonomiques, le leader Pablo Casado a été contraint à la démission. Remis en question par Isabel Díaz-Ayuso sur l’efficacité de son leadership depuis 2021, cette lutte pour le leadership s’est transformé en guerre interne entre le siège national la présidente de la Communauté Autonome de Madrid (CAM). Cette guerre interne s’est accentuée au lendemain de ce « pari perdu » pour le chef du PP.
8 Quelques jours après les élections, le journal El Confidencial a ainsi révélé des informations accusant Pablo Casado d’avoir mis en place un système d’espionnage illégal de sa rivale Ayuso. Cette dernière, soupçonnée de corruption et de prise illégale d’intérêt et de favoritisme au profit de son frère dans la gestion des marchés publics du matériel sanitaire lors de la crise du Covid, s’est également retrouvée fragilisée dans la course pour le leadership du parti (Olmo, 2022, février, 16). Les deux protagonistes, affaiblis, ont laissé le leadership au puissant président de la Xunta de Galicia (parlement régional de Galice), Alberto Nuñez-Feijóo. Ce changement rapide des leaders des grands partis, suite à plusieurs élections autonomiques, est une des conséquences directes du réalignement inabouti du système partisan espagnol tant au niveau national que dans ses « sous-systèmes politiques » régionaux (Montero et al., 1992). Ces élections autonomiques sont marquées par plusieurs données historiques : plus faible participation de son histoire, plus faible concentration du vote, plus fort vote pour le parti d’extrême-droite VOX dans la région.
Une participation historiquement faible caractéristique d’élections anticipées
9 La participation lors de ces élections autonomiques se situe à son niveau le plus bas depuis l’organisation d’élections autonomiques en Castille-et-León (58,7 %), et baisse de près de 7 points par rapport aux dernières élections autonomiques de mai 2019. Elle suit néanmoins une tendance de long terme de déclin progressif de la participation depuis 2003, où le niveau de participation a baissé à chaque élection autonomique (à l’exception des élections de mai 2019, où la participation est restée stable entre 2015 et 2019). Cette baisse est significative dans une région historiquement légèrement plus participative que le reste de l’Espagne lors des élections générales et autonomiques, comme le montre le graphique 1. Cette baisse peut d’abord s’expliquer par le fait que ces élections autonomiques aient été organisées pour la première fois de manière isolée suite à l’annonce des élections anticipées. En effet, les élections autonomiques en Castille-et-León suivent le calendrier électoral des autres 12 communautés autonomes « non historiques ». Elles sont également souvent organisées en même temps que les élections municipales, voire que les élections européennes, comme en 1987, 1999 ou mai 2019. L’organisation simultanée de plusieurs scrutins « de second ordre » comme des élections autonomiques facilite en effet souvent la mobilisation des électeurs et a tendance à faire augmenter la participation (Blais & Dobrzynska, 1998 ; Font & Ramon-Sumoy, 2000). L’organisation isolée d’élections autonomiques, faute d’enjeux perçus comme importants par les électeurs, ou l’absence de campagne de haute intensité, comme lors de ces élections, font souvent baisser la participation électorale (Blais, 2006). Ces dernières années, ce fait s’est vérifié en Espagne lors de la répétition d’élections générales en juin 2016 (chute de 3 points de la participation par rapport à 2015, de 69 à 66,5 %) et en novembre 2019. Cette chute significative de la participation électorale poursuit une tendance déjà observée lors des élections autonomiques de juin 2020 en Galice (49 %, - 14,8 points), au Pays Basque (50,8 %, - 9,2 points) et en Catalogne (51,3 %, - 25,8 points). Ces trois exemples constituent ainsi pour chacun d’entre eux, et dans le cas de la Castille-et-León, le taux de participation le plus faible lors d’élections autonomiques.
La participation électorale en Castille-et-León lors des élections autonomiques et générales depuis 1977
La participation électorale en Castille-et-León lors des élections autonomiques et générales depuis 1977
Recomposition des droites : survie de Ciudadanos, pari perdu du PP et montée de VOX
10 La reconfiguration de l’espace politique à droite se traduit par une chute brutale du score de Ciudadanos, et une montée inédite de VOX en Castille-et-León lors des élections autonomiques (17,6 %). Le parti d’extrême-droite améliore de 12 points son score par rapport aux élections autonomiques de mai 2019 (+12 points, de 5,6 à 17,6 % en 3 ans). De son côté, le Parti Populaire perd son pari de renouveler une majorité étendue sans dépendre ni de Ciudadanos, ni de VOX. Sur le temps long, le Parti Populaire obtient même son résultat le plus bas de son histoire en Castille-et-León lors d’élections autonomiques, après celui de mai 2019 (31,5 %) et de 1987 (34,9 %). Le PP égale son score de mai 2019, tout en perdant près de 52 000 voix, notamment du fait d’une forte baisse de la participation électorale. Les deux partis traditionnels se partagent la plupart des provinces, à l’exception de Soria, gagné par la plateforme Soria ¡Ya ! (42,7 % dans la province de Soria). Le PP en gagne 4 (Ávila, Salamanca, Segovia et Zamora, contre 2 en mai 2019), tout comme le PSOE (Burgos, León, Palencia, Valladolid). Le vote pour l’ensemble des partis de droite (PP, C’s et Vox) demeure largement surreprésenté, comme à Murcie ou dans la Communauté de Madrid, sans que le vote pour les partis de gauche y soit largement sous-représenté.
11 La région de Castille-et-León vote en effet beaucoup plus pour des partis de droite que le reste de l’Espagne, que ce soit lors d’élections autonomiques ou générales. Comme le montre le graphique 2, cette surreprésentation du vote pour des partis de droite [3] par rapport au niveau national tourne autour de 10 à 15 points depuis 1993, soit légèrement moins que lors des années 1980. La multiplication de l’offre partisane à droite ne fait pas augmenter le total des voix pour les partis de droite. Pourtant, le vote pour les partis de gauche est relativement proche du niveau national. Depuis les élections générales de 1993, l’écart est souvent de moins de 5 points par rapport au niveau des partis de gauche en Espagne.
Les écarts de voix entre les partis de gauche et de droite en Castille-et-León et dans l’ensemble de l’Espagne lors des élections générales depuis 1977
Les écarts de voix entre les partis de gauche et de droite en Castille-et-León et dans l’ensemble de l’Espagne lors des élections générales depuis 1977
Résultats des élections aux Juntas de Castille-et-León 2022, en % des suffrages exprimés, nombre de sièges obtenus, et différences avec les élections autonomiques de 2019 en sièges, et en voix
Parti | Vote (% des suffrages exprimés) et nombre de sièges obtenus | Différence de votes obtenus entre élections autonomiques de 2019 et février 2022 (et différence de sièges). | Différence de voix obtenues en effectifs et en pourcentages des suffrages exprimés par rapport aux élections autonomiques de 2019 |
---|---|---|---|
PP | 31,5 (31) | -0,1 (+2) | - 51 748 (-11,9 %) |
PSOE | 30,0 (28) | -4,8 (-7) | - 114 482 (-23,9 %) |
Ciudadanos | 4,5 (1) | -10,4 (-11) | - 151 134 (-73,4 %) |
VOX | 17,6 (13) | +12,0 (+12) | + 138 937 (+183,5 %) |
Podemos | 5,1 (1) | -2,2 (-1) | - 38 311 (-8,5 %) |
Soria Ya ! | 1,6 (3/5) 42,72 (province de Soria) | Nouveau parti | + 19 385 (nouveau parti) |
Union du Peuple Léonais (UPL) | 4,3 (3/13) 21,3 (province de León) | +2,2 (+2) | + 24 041 (+85,7 %) |
Por Ávila | 1,1 (1/7) | +0,5 (stable) | + 4 420 (+46,7 %) |
Résultats des élections aux Juntas de Castille-et-León 2022, en % des suffrages exprimés, nombre de sièges obtenus, et différences avec les élections autonomiques de 2019 en sièges, et en voix
12 Le PSOE se situe lui comme le parti qui perd le plus de voix entre 2019 et 2022 avec Ciudadanos (-73,4 %). Toujours premier parti d’opposition en Castille-et-León, et premier parti de gauche, le PSOE perd près de 115 000 voix (soit -23,9 % par rapport à 2019), et près de 7 sièges depuis les dernières élections autonomiques. Le parti mené par Luis Tudanca réussit néanmoins à rester à seulement 1,4 point de son rival conservateur, 3 ans après avoir réussi l’exploit historique de devenir le premier parti en nombre de voix en mai 2019 pour la première fois depuis 1983, dans une des régions les plus à droite d’Espagne et fief historique du Parti Populaire (avec Murcie, la Communauté de Madrid et la Galice) (Fernández et al., 2004). Les deux « nouveaux partis » créés en 2014, Podemos (5,1 %) et Ciudadanos (4,5 %), obtiennent leur moins bon résultat depuis leur création dans la région, en parvenant à ne conserver qu’un seul siège chacun. Les deux gagnants de ces élections sont ainsi VOX et Soria ¡Ya ! de par leur dynamique électorale ascendante. Le parti d’extrême-droite bénéficie en grande partie de la chute de Ciudadanos, comme lors des derniers scrutins régionaux en Catalogne en février 2021. VOX profite d’une campagne marquée chez tous les partis de droite par la défense du modèle d’agriculture intensive (incarné par la polémique concernant la création de nouvelles « macro-granjas », sorte de « fermes-usines). Soria ¡Ya ! profite lui d’une campagne plus centrée sur les questions d’exode rural.
13 Le score très élevé de VOX (17,6 %) a permis à son leader national Santiago Abascal de revendiquer dès le soir des résultats le poste de vice-président de la région pour la tête de liste de VOX Juan García-Gallardo. Exigence acceptée par le président sortant Fernández-Mañueco dans le cadre d’un accord de gouvernement entre le PP et VOX signé en mars 2022. Cet accord a ainsi permis l’investiture de Mañueco à 44 voix contre 37 grâce aux voix du PP et de VOX. Il s’agit ainsi de la première communauté autonome où le PP gouverne en coalition avec VOX. Le PP avait jusqu’ici bénéficié du soutien externe de VOX pour l’investiture de ses présidents autonomiques dans la Communauté de Madrid, en Andalousie et dans la Région de Murcie. Cet accord d’investiture assure ainsi une courte majorité absolue (43 procuradores, la majorité absolue étant de 41, sur 81 sièges) à Mañueco, laissant à VOX la présidence des Juntas (parlement régional), la vice-présidence et 3 concejerías (ministères régionaux) majeures sur 10 : celles d’Agriculture et Élevage, de Culture et Tourisme, et d’Industrie et Emploi.
L’affirmation de « la España vaciada »
14 Certains partis territoriaux obtiennent des résultats très importants, notamment par la mobilisation des électorats de droite comme de gauche. Ces partis territoriaux, parfois transpartisans ou « transversaux », comme Soria ¡Ya ! (nouvelle plateforme électorale) ou l’Unión del Pueblo Leonés (Union du Peuple Léonais, parti régionaliste transversal et « catch-all » [4]) obtiennent un succès important dans des provinces peu denses et rurales, sur le modèle de la coalition “Teruel Existe” [5].
15 C’est le cas de Soria ¡Ya ! qui obtient par exemple près de 50,3 % dans la capitale de la province éponyme, et près de 42,3 % dans l’ensemble de la province. La nouvelle plateforme électorale réussit ainsi à obtenir 3 des sièges assignés dans la province malgré les difficultés propres au système électoral pour obtenir des sièges. La circonscription de Soria, qui distribue 5 sièges de manière proportionnelle (à travers la formule d’Hondt), fait partie des provinces « majoritaires » (Penadés et al., 2013) où le seuil d’entrée pour obtenir des sièges est très élevé. La réussite du parti se traduit par le fait d’avoir pu concurrencer des partis traditionnels de gouvernement, le PP et le PSOE, qui ont historiquement bénéficié soit du biais majoritaire, soit du biais conservateur propre à la taille de la circonscription et et à son caractère rural (Penadés et al., 2013).
16 D’autres petits partis faisant parti de l’initiative de « la España vaciada » comme « España vaciada », Vía Burgalesa (5,6 % dans la province de Burgos), Zamora Decide, Por Zamora, obtiennent, au total, des résultats beaucoup plus modestes (autour de 2 % des voix en Castille-et-León en comptant l’ensemble de ces partis) sans pouvoir obtenir de sièges dans les provinces où ils se sont présentés.
17 L’UPL, le parti régionaliste de León, obtient le meilleur résultat de son histoire dans la province de León depuis 1999, avec 21,3 % des suffrages dans la province (3ème parti de la province), et 28,5 % des suffrages exprimés dans la ville de León (1er parti). Le vote pour l’ensemble des partis régionalistes et territoriaux, pour la plupart « transversaux », à l’exception de Por Ávila, est ainsi le plus élevé de l’histoire de la communauté autonome, tant en voix (8,6 % en comptant l’ensemble des petits partis incluant Soria ¡Ya !, l’UPL et Por Ávila), qu’en sièges obtenus (7 en comptant Soria Ya ! (3), l’UPL (3) et Por Ávila (1).
18 Ces résultats confirment des tendances déjà observées depuis 2019. D’une part, des partis régionalistes nouveaux propres à une province émergent rapidement à Teruel et Soria. Ils se positionnement comme des partis « transversaux » sur l’axe gauche-droite en mettant à l’agenda les problématiques d’exode rural, de dépeuplement et d’accès aux services publics dans “d’Espagne vide”, ou “vidée” [6], souvent sur la base de mouvements sociaux. D’autre part, le succès de ce type de partis en Castille-et-León se rapproche du succès des mouvements nationalistes ou indépendantistes déjà existants dans les communautés autonomes « historiques » [7]. Ces partis connaissent des croissances électorales importantes grâce à un renouveau programmatique et des campagnes plutôt marquées à gauche qui ciblent et attirent les nouvelles générations (Rivas-de-Roca, 2021). Ce fut le cas du Bloque Nacionalista Galego (Bloc Nationaliste Galicien, gauche nationaliste galiciennne) lors des élections autonomiques de Galice, ou de la coalition EH Bildu (gauche indépendantiste basque « abertzale » [8]) au Pays Basque en juin 2019. Le succès de l’UPL pourrait correspondre à un troisième cas, celui des partis régionalistes implantés dans certaines communautés autonomes en défense des intérêts et de l’identité propres d’une province. Il se rapprocherait dans ce cas de partis comme le Parti Régionaliste Cantabrais (PRC, parti régionaliste de Cantabrie), souvent difficile à situer politiquement.
19 Les principales inconnues de ce scrutin se trouvent dans le succès des partis en forte croissance électorale, à l’origine du vote pour Soria ¡Ya ! ainsi que pour VOX. Ont-ils mobilisé d’anciens abstentionnistes, attirent-ils des électeurs de toutes les idéologies, notamment dans le cas de la plateforme qui se veut « transpartisane » comme dans le cas de Soria ¡Ya ! ? En l’absence de variable de souvenir de vote lors des dernières élections autonomiques de mai 2019 ou lors des élections générales de novembre 2019 dans l’enquête post-électorale, il est difficile de pouvoir appréhender le profil idéologique de ces électeurs. Néanmoins, en utilisant la variable d’idéologie déclarée par les électeurs (sur une échelle de 1, position la plus à gauche, à 10, position la plus à droite, et en prenant en compte les citoyens qui ne se reconnaissent pas sur cet axe, appelés « ni-ni », pour « ni de gauche, ni de droite »), nous analysons la composition des électorats selon l’idéologie déclarée.
20 La première, c’est que la plateforme Soria ¡Ya ! a bien réussi à attirer des électeurs aux idéologies différentes, et a un vrai caractère « transversal ». Malgré la faiblesse d’effectif dans l’échantillon de cette part de l’électorat (66 cas), Soria ¡Ya ! semble de manière significative rassembler des électorats assez transversaux en termes d’âge, de niveau d’études et d’idéologie.
21 La surreprésentation systématique des citoyens qui se déclarent de gauche dans les enquêtes post-électorales du CIS depuis 2019, critiquée par l’ensemble du monde académique espagnol (Núñez, 2021), nous invite à la prudence dans la description des résultats. Le lien entre vote et idéologie, est de manière logique, très fort, avec un V de Cramer de 0,428. L’électorat de Soria ¡Ya !, comme le montre le graphique 3, est composé à 47 % par des citoyens qui se déclarent de gauche ou du centre-gauche (positions 1 à 4 sur l’axe 1-10), ce qui est supérieur de 12 points à la proportion des citoyens qui se définissent à gauche en Castille-et-León. 28 % des électeurs de Soria ¡Ya ! se positionnent à droite ou au centre-droit (positions 6 à 10 sur l’axe 1-10), ce qui ne représente pas une différence significative par rapport à la proportion de citoyens se positionnant à droite dans la communauté autonome (31 %).
La composition des électorats selon l’idéologie [9] déclarée lors des élections autonomiques de Castille-et-León en 2022
La composition des électorats selon l’idéologie [9] déclarée lors des élections autonomiques de Castille-et-León en 2022
22 Le parti UPL a un profil d’électorat relativement similaire, attirant tant des citoyens de gauche (39 %) que des citoyens que des citoyens de droite (23 %). L’UPL attire relativement moins de personnes qui ne se reconnaissent pas dans le clivage gauche/droite (« ni-ni ») ou « sans idéologie déclarée » (5 %, contre 13 % dans la communauté autonome), mais une proportion plus importante de citoyens qui se placent « au centre » de l’axe 1-10 (position 5).
23 VOX attire quant à lui un électorat très proche du Parti Populaire, composé presque pour moitié de citoyens qui se situent très à droite sur l’échiquier politique, et entre 75 et 80 % qui se situent soit à droite (positions 8-9-10 sur l’axe de 1 à 10), soit au centre-droit (6 et 7 sur l’axe 1-10). Près de 30 % de leur électorat se situent au centre-droit dans des proportions à peu près équivalentes à celles observées au PP.
24 Le lien entre niveau d’études et vote déclaré est beaucoup plus faible, du fait d’un V de Cramer de 0,1376. Comme le montre le graphique 4, Soria ¡Ya ! semble de manière significative rassembler des électorats assez transversaux également selon le niveau d’études : il n’existe pas de différences significatives entre la composition son électorat selon le niveau d’études, et la moyenne des castillans-léonais. Les diplômés du supérieur ne sont pas surreprésentés dans la plupart des électorats, à l’exception des diplômés du supérieur, qui représentent 63 % des électeurs de Ciudadanos (contre 42 % dans la population castillane-léonaise). Le Parti Populaire attire au contraire plus que la moyenne de citoyens sans diplôme ou qui ont un niveau d’études primaires (52 %, contre 40 % dans la communauté autonome), et moins de diplômés du supérieur (36 % contre 42 % en moyenne).
Le profil des électorats en Castille-et-León selon le niveau d’études [11] lors des élections autonomiques (en pourcentages)
Le profil des électorats en Castille-et-León selon le niveau d’études [11] lors des élections autonomiques (en pourcentages)
Un réalignement électoral poussé par la crise de 2008 et le renouvellement générationnel
25 Ce réalignement électoral se traduit de deux manières : par la fragmentation accrue du vote, ainsi que la chute du vote pour les partis traditionnels de gouvernement. La concentration du vote continue de baisser, d’autant plus dans un fief historique du PP. Lors de ces élections autonomiques, l’ensemble des suffrages exprimés pour le PP et le PSOE a atteint son niveau le plus bas dans l’histoire des élections autonomiques dans la région, soit 61,4 %, comme le montre le graphique 5. Le vote pour les partis « nouveaux » ou minoritaires atteint un niveau historique à 34,5 %, dans la continuité d’une tendance commencée entre 2011 et 2015. Cette baisse s’explique par l’augmentation de la défiance politique depuis une dizaine d’années, ainsi qu’une évolution du rapport au vote sous l’effet du renouvellement générationnel. Le vote pour le PP et le PSOE demeure ainsi minoritaire chez les jeunes et les nouvelles générations, notamment chez les moins de 45 ans. Quand on additionne les scores du PP et du PSOE selon l’âge, disponibles dans le tableau 2, 78 % des plus de 65 ans ont voté soit pour le PP, soit pour le PSOE. Chez les moins de 45 ans, le vote pour ces deux partis traditionnels est minoritaire, notamment chez les 25-34 ans (37 %) et chez les 35-44 ans (46%), et dans une moindre mesure, les plus jeunes de moins de 25 ans (50 %).
La concentration du vote en Castille-et-León lors des élections autonomiques entre 1983 et 2022
La concentration du vote en Castille-et-León lors des élections autonomiques entre 1983 et 2022
Le vote pour les différents partis selon la classe d’âge en pourcentages lors des élections autonomiques de Castille-et-León (entre parenthèses, les effectifs) [12] [13]
Description
Partis 18/24 25/34 35/44 45/54 55/64 65+ Total PP 22 % (24) 10 % (18) 16 % (49) 22 % (109) 19 % (99) 36 % (240) 23 % (538) PSOE 27 % (30) 26 % (50) 29 % (91) 31 % (155) 41 % (214) 42 % (283) 36 % (823) Ciudadanos 7 % (8) 6 % (11) 5 % (17) 7 % (34) 6 % (31) 3 % (18) 5 % (119) Podemos 14 % (16) 15 % (29) 11 % (35) 8 % (40) 9 % (45) 4 % (24) 8 % (189) VOX 13 % (14) 22 % (41) 22 % (67) 16 % (78) 12 % (65) 10 % (69) 14 % (334) Soria ¡Ya ! 5 % (5) 3 % (6) 3 % (9) 3 % (14) 4 % (19) 2 % (13) 3 % (66) UPL 7 % (8) 8 % (16) 6 % (19) 6 % (32) 6 % (30) 2 % (13) 5 % (118) Autres partis territoriaux13 5 % (4) 10 % (13) 7 % (20) 7 % (30) 4 % (21) 2 % (11) 5 % (99) Total 100 % (111) 100 % (189) 100 % (310) 100 % (496) 100 % (526) 100 % (674) 100 % (2.306)
26 Ces nouvelles générations, nées après 1978, sont composées d’un nombre accru de « citoyens critiques » (défiants envers la politique institutionnelle, mais intéressés) (Norris, 1999) depuis la crise de 2008 (García-Albacete et al., 2015). Ils ont développé un rapport au vote critique, notamment par un vote plus intermittent et moins tourné vers les partis traditionnels de gouvernement (exception faite du PSOE à partir de 2019) (Bartomeus, 2019). Quand nous associons le vote pour les partis traditionnels avec l’âge, des différences notables et significatives sont observées. Le V de Cramer de 0,2724 montre une relation forte entre les deux variables.
27 L’analyse du vote en fonction de l’âge montre une relation moins forte, mais bien significative lors du scrutin. Le vote pour le Parti Populaire n’est majoritaire que dans la frange des plus de 65 ans (36 %), tout comme pour le PSOE (42 %). Néanmoins, le souvenir de vote pour le PP est largement sous-représenté dans l’enquête post-électorale (23 % dans l’enquête post-électorale, contre 31,45 % lors du vote). Le vote pour le PP baisse ainsi à mesure que l’âge diminue, jusqu’à atteindre 10 % chez les 25-34 ans, et légèrement plus chez les 18-24 ans (22 %). VOX obtient des résultats supérieurs au PP chez les 25-34 ans (22 % contre 10 %) et les 35-44 ans (22 % contre 16 %). Même si le vote pour le PSOE chez les plus de 65 ans est fort, le Parti socialiste demeure le premier parti dans l’ensemble des classes d’âge avec des résultats plus faibles chez les jeunes. Podemos continue à voir son vote surreprésenté chez les moins de 25 ans (14 %) et les 25-34 ans (15 %). Les plus de 65 ans semblent moins voter que les autres classes d’âge pour l’UPL et pour Soria ¡Ya !. Les jeunes votent également légèrement plus que les autres pour l’UPL (7 et 8 % chez les moins de 35 ans), et pour Soria ¡Ya ! (5 % chez les moins de 25 ans), même si les différences ne sont pas forcément significatives au vu des effectifs faibles, comme le montre le tableau 2. La relation entre vote et classe d’âge est en revanche moins intense qu’entre vote pour les partis de gouvernement et classe d’âge, le V de Cramer baissant à 0,1419, traduisant une relation plus modeste mais existante. La fragmentation du vote est ainsi d’autant plus forte chez les nouvelles générations.
Conclusion - des résultats extrapolables au reste de L’Espagne pour la suite du cycle électoral ?
28 Ces élections autonomiques en Castille-y-León, pourtant annoncées comme des « élections de continuité » dans un fief historique du Parti Populaire, ont été marquées par plusieurs résultats historiques qui ont des conséquences nationales. Tout d’abord, par la participation électorale la plus faible de son histoire. D’autre part, par le résultat historiquement bas dans la région des partis traditionnels de gouvernement, PP et PSOE, pourtant toujours hégémoniques à gauche et à droite. Suite aux négociations avec VOX, le parti d’extrême-droite entre également pour la première fois dans un gouvernement de coalition du Parti Populaire. La recomposition des droites espagnoles, marquée par la chute, voire la possible disparition de Ciudadanos et l’essor continu et progressif de VOX laisse le Parti Populaire dans l’incertitude dans son attitude à adopter face à son concurrent d’extrême-droite/de droite radicale. Ce réalignement électoral se traduit également à gauche par un affaiblissement progressif de Podemos depuis 2016. Le parti de gauche radicale retrouve des niveaux comparables aux bons résultats électoraux d’Izquierda Unida (entre 1989 et 1996, autour de 10 %) tant au niveau national qu’autonomique. Le réalignement électoral et la fragmentation électorale profitent plus à des partis territoriaux ou régionalistes sur le modèle de Teruel Existe, tel que l’UPL ou Soria ¡Ya !. Le possible succès de telles initiatives pourrait ainsi inciter d’autres petits partis à se présenter dans des provinces peu denses et rurales touchées par le dépeuplement, comme en Aragon, Estrémadure ou Castille-la-Manche. Un sondage de Socio-Métrica publié pour le journal en ligne El Español projetait en novembre 2021 le gain possible de 15 sièges pour de tels partis territoriaux dans toute l’Espagne. Néanmoins, cette projection semble probablement surestimée au vu des caractéristiques des provinces où se présentent ce type de partis. Le seuil d’entrée pour obtenir un siège rend plus difficile le gain de sièges par rapport à d’autres provinces plus proportionnelles (Penadés et al., 2013). La mesure des intentions de vote pour ces petits partis est d’autant plus difficile du fait de la faiblesse des effectifs et du nombre important de circonscriptions électorales (52). Cette projection peut en revanche représenter un potentiel électoral si ces partis se consolident et continuent à mettre à l’agenda public leurs marqueurs thématiques, à savoir les problématiques de dépeuplement, portées par des mobilisations sociales depuis 2018. L’élection de certains députés issus de ces nouvelles plateformes territoriales pourrait s’avérer décisive dans la construction de futures majorités suite aux prochaines élections générales : soit pour soutenir l’actuelle coalition de gauche PSOE-Podemos, soit pour permettre ou non un gouvernement du PP, ou de coalition entre PP et VOX.
29 La victoire avec la majorité absolue du Parti Populaire lors des élections autonomiques d’Andalousie de juin 2022 permet à ce dernier de gouverner « en solitaire » en Andalousie et sans le soutien parlementaire de VOX. Au moment de l’écriture de ce papier en novembre 2022, les sondages peu favorables pour l’ensemble des partis de la coalition de gouvernement (PSOE et Podemos) pourraient inciter le Président du Gouvernement Pedro Sánchez à mener la législature de quatre ans à son bien jusqu’à fin 2023. Une victoire du Parti Populaire lors des élections générales fin 2023 impliquerait néanmoins un soutien de VOX à travers la participation à une coalition, ou un vote d’investiture de ce dernier, solution qui n’est pas encore envisagée ou ouvertement assumée par les leaders nationaux du Parti Populaire. L’inconnue se situe également dans la place que prendra la Présidente de la CAM Isabel Díaz-Ayuso, dont l’influence est grandissante depuis les élections autonomiques madrilènes de 2021 (García-Lupato, 2021), dans le leadership du Parti Populaire, soit avec l’actuel Président du PP Feijóo, soit comme nouvelle leader du parti conservateur.
Références/References
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- Rama, J., Cordero, G., & Zagórski, P. (2021), « Three Is a Crowd ? Podemos, Ciudadanos, and Vox : The End of Bipartisanship in Spain », Frontiers in Political Science, n°95, vol.3, p.1-16. https://doi.org/10.3389/fpos.2021.688130
- Rama, J., Zanotti, L., Turnbull-Dugarte, S. J., & Santana, A. (2021), VOX : The Rise of the Spanish Populist Radical Right, London, Routledge. https://doi.org/10.4324/9781003049227
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Notes
-
[1]
Plusieurs concepts sont utilisés dans la littérature pour qualifier le parti VOX : « droite radicale », « parti populiste de droite » ou « extrême-droite » (Rama et al., 2021).
-
[2]
Seule la Principauté des Asturies avait jusqu’ici usé de cette disposition en 2012, ainsi que la Communauté de Madrid en 2021.
-
[3]
Entre 1977 et 1995, les partis de droite incluent Alianza Popular/Partido Popular, Centre Démocratique et Social et Union du Centre Démocratique (entre 1977 et 1982), Ciudadanos (depuis 2014), VOX (depuis 2015). Les partis de gauche le PSOE, Izquierda Unida/PCE (Gauche Unie/Parti Communiste Espagnol, jusqu’en 2019), et Podemos à partir de 2014. Les partis nationalistes et régionalistes (pour la comparaison avec le niveau national) ne sont pas pris en compte dans les calculs.
-
[4]
L’UPL, créé en 1986 par des anciens politiques du Parti Socialiste Populaire (PSP de Enrique Tierno Galván, maire de Madrid entre 1979 et 1986), de Alianza Popular, du PSOE, et des membres de la société civile léonaise, défendent l’existence d’une communauté autonome propre pour le « pays léonais » (incluant les provinces de Léon, Salamanca et Zamora, seules provinces où le parti se présente aux élections), et séparée de la Castille. Le dirigeant de l’UPL Luis Mariano définit son parti en 2022 comme un « mouvement politique transversal (…) (auquel) peuvent converger des gens de droite et de gauche » (Traduction propre, (Falcón, 2022)).
-
[5]
Coalition électorale transpartisane créée en 2018 sur les bases de mobilisations sociales locales, cette plateforme s’est présentée dans la province de Teruel (Aragon) lors des élections générales de novembre 2019 et a obtenu un siège.
-
[6]
L’expression « d’Espagne vide » (« España vacía ») fait référence aux territoires ruraux peu denses majoritairement de Castille, d’Andalousie et d’Aragon qui font face aux problèmes de dépeuplement et d’exode rural. L’expression a été popularisée dès 2016 par l’écrivain Sergio del Molino dans un livre au titre éponyme.
-
[7]
Les communautés autonomes « historiques » désignent ici les communautés qui disposaient d’un statut d’autonomie propre lors de la Seconde République (1931-1939), et où les partis nationalistes et indépendantistes sont historiquement implantés en Espagne, à savoir, la Catalogne, le Pays Basque (et la Navarre) et la Galice.
-
[8]
La coalition « Euskal Herria Bildu, ou EH Bildu » (« Réunir le Pays Basque ») réunit plusieurs petits partis allant du centre-gauche nationaliste basque à la gauche radicale indépendantiste basque dite « abertzale » (traduisible comme « patriote » ou « nationaliste »).
-
[9]
La variable d’idéologie auto-déclarée mesure sur l’axe 1-10 l’idéologie où la position 1 est la plus à gauche, et la position 10 la plus à droite. La variable a été recodée comme suit : positions 1 et 2 = « Gauche », positions 3 et 4 = « Centre-gauche », position 5 = « Centre », position 6 et 7 « Centredroit » et positions 8, 9 et 10 = « Droite », et « Ne sait pas », ou « Ne souhaite pas répondre » comme « Ni-ni » sans idéologie.
-
[10]
L’enquête post-électorale 3352 du CIS a été réalisée entre le 14 et le 22 février 2022 par entretiens téléphoniques (fixes et mobiles, CATI) sur la base d’un échantillon aléatoire stratifié selon la taille de la commune. Des quotas de genre et d’âge ont été appliqués. La marge d’erreur est de + ou – 1,7 % pour l’ensemble de l’échantillon (N = 3.673).
-
[11]
La variable « niveau d’études » correspond au niveau d’études le plus élevé obtenu par la personne interrogée, et a été recodée en 4 catégories : « Sans études et études primaires », « Études secondaires », « Formation professionnelle (FP) » et « Études supérieures ».
-
[12]
L’ensemble des pourcentages obtenus n’est pas forcément égal à 100, chaque score obtenu étant arrondi à l’entier supérieur.
-
[13]
La catégorie « Autres partis territoriaux » inclut les partis « Por Ávila », « Vía Burgalesa », « Zamora Decide », « España vaciada », « PCAS-TC-RC », « PREPAL », « Coalición El Bierzo » et « Por Zamora ».