Pôle Sud 2022/2 n° 57

Couverture de PSUD_057

Article de revue

Le travail politique des elus locaux face au developpement éolien

Pages 57 à 71

Notes

  • [1]
    Loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l›environnement, JORF n°0160 du 13 juillet 2010.
  • [2]
    Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JORF n°0189 du 18 août 2015.
  • [3]
    RTE, Futurs énergétique 2050, juin 2022.
  • [4]
    C.f. introduction de ce dossier, p. 9-12.
  • [5]
    Ces villageois têtus qui ne baissent pas la garde contre les pales, Voix du Nord, 25 février 2019.
  • [6]
    Alain Méquignon, candidat pour poursuivre l’aménagement du territoire, La Voix du Nord, 25 novembre 2007 ; Pluie d’euros sur les éoliennes du Frugeois, La Voix du Nord, 15 janvier 2006 ; Les éoliennes dans l’air du temps, La Voix du Nord, 30 mai 2004.
  • [7]
    Développement progressif contre coup d’accélérateur, La Voix du Nord, 12 juin 2004.
  • [8]
    La recherche de financements commence pour « Les Chemins du vent », La Voix du Nord, 31 octobre 2004.
  • [9]
    Conseil de la communauté d’agglomération du Pays de Saint-Omer, Séance du jeudi 4 mai 2017, question n° D244-17 Environnement – Maitrise du développement éolien : une stratégie partagée à l’échelle de l’agglomération.
  • [10]
    Entretien avec Gérard Dué, Croisilles, 23 avril 2019.
  • [11]
    Observation de la permanence d’un commissaire enquêteur dans l’Artois, décembre 2019.
  • [12]
    Idem.
  • [13]
    Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand subventionne les opposants aux éoliennes, Le Monde, 19 mai 2022.
  • [14]
    Hauts-de-France : recours des écologistes contre une subvention aux anti-éoliennes, Le Figaro, 20 juin 2022.
  • [15]
    Le département du Pas-de-Calais vent debout contre tout nouveau projet, Les Echos, 10 septembre 2009 ; Dominique Dupilet : « Les éoliennes, ça suffit ! », La Voix du Nord, 9 septembre 2009.
  • [16]
    Le Pas-de-Calais dit halte à la frénésie éolienne !, News Press, 8 septembre 2009.
  • [17]
    Le Pas-de-Calais dit halte à la frénésie éolienne !, News Press, 8 septembre 2009.
  • [18]
    Observatoire régional de l’éolien, consulté le 13 septembre 2022.
  • [19]
    Entretien avec le maire d’une commune du sud de l’Artois, avril 2019.
  • [20]
    Les élus locaux mouillent la chemise contre les éoliennes, Courrier Picard, 3 juillet 2022 ; Ils ont manifesté contre les éoliennes de la Cense, Courrier Picard, 18 décembre 2021 ; Les anti-éoliens séduisent les élus, Courier Picard, 29 avril 2019.
  • [21]
    Observation de la permanence d’un commissaire enquêteur à Lisbourg, 20 février 2021 ; Enquête publique concernant la demande d’’autorisation d’exploiter par la Société Enertrag Ternois Lisbourg un parc éolien composé de 7 aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Lisbourg, Rapport et conclusion du Commissaire enquêteur, mars 2021, p. 50.
  • [22]
    Observation de la permanence d’un commissaire enquêteur dans l’Artois, décembre 2019.
  • [23]
    Registre d’enquête publique relatif au Parc éolien de la Voie des Prêtres 2, p. 27-28.
  • [24]
    Droit de veto des maires sur les éoliennes : Barbara Pompili dénonce « un cadeau empoisonné », Capital, 18 juin 2021 [https://www.capital.fr/economie-politique/droit-de-veto-des-maires-sur-les-eoliennes-barbara-pompili-denonce-un-cadeau-empoisonne-1406925].

Introduction

1 Depuis la loi Grenelle 2 de 2010 [1], les collectivités territoriales sont chargées de planifier la mise en œuvre de la transition énergétique. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) d’août 2015 [2] s’appuie ainsi sur les régions et les intercommunalités pour atteindre les objectifs climatiques européens, grâce aux schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) et aux plans climat air énergie territoriaux (PCAET). La « transition énergétique » apparait alors comme une politique publique fortement territorialisée dans laquelle les acteurs locaux joueraient un rôle central (Chailleux & Hourcade, 2021). La LTECV regroupe toutefois des mesures d’économie d’énergie et d’autres de transformation de la production énergétique. Dans un certain nombre de secteurs, comme les transports ou le logement, qui sont des compétences des collectivités territoriales, ces dernières disposent des capacités pour mettre en œuvre des mesures d’économie d’énergie. Cependant, les politiques publiques de production d’énergie ne témoignent pas d’une évolution des rapports entre l’État central et les institutions locales (Poupeau, 2014) et, en matière de transition énergétique, « le plus déterminant continue de se jouer dans le cadre d’un pouvoir de décision centralisé et d’un marché de l’énergie libéralisé dont les territoires locaux ne possèdent pas les moyens de changer la dynamique, et moins encore les règles. » (Chailleux & Hourcade, 2021, 9).

2 Or, pour atteindre les objectifs climatiques européens, le dernier scénario français de référence publié par le Réseau de transport d’électricité prévoit la multiplication par quatre de la puissance du parc éolien national [3], et donc l’augmentation massive du nombre d’éoliennes implantées. Les élus locaux ont très peu de pouvoir formel pour agir directement sur le développement local de l’éolien, mais ils ne restent pas inactifs sur ce sujet. De plus, l’implantation de parcs éoliens provoque localement des mobilisations fréquentes. Si certain.es élu.es locaux prennent part aux mobilisations (Dechézelles & Olive, 2014), à l’inverse, d’autres sont des entrepreneurs des énergies renouvelables sur "leur" territoire et poussent les collectivités qu’ils administrent à y investir.

3 Cet article interroge ces positions variées des élus locaux face à un développement des énergies renouvelables sur lequel ils ont peu de prise. Il montre ainsi qu’il importe de les comprendre en prenant en compte les processus qui induisent une concentration des éoliennes dans certaines zones, et en intégrant les débats sur l’éolien dans l’histoire de l’évolution des financements alloués par l’Etat aux collectivités territoriales. Pour cela, cet article se focalise sur l’étude du travail politique (Smith, 2019) des élus locaux. En effet, les élu.es sont à la fois des représentant.es et des producteurs d’action publique (Douillet, 2007), et face à des problèmes sur lesquels les élus locaux ne peuvent intervenir directement, il importe de ne pas réduire leur capacité d’action à leur pouvoir décisionnel formel (Le Bart, 2001). Dès lors, observer le travail des élus locaux qui se saisissent du développement éolien sur « leur » territoire permet d’identifier les obstacles auxquels ils se confrontent. L’étude de ce travail politique permet alors d’analyser les effets locaux de la délégation au marché des choix dans la conception et la localisation de la multitude de projets qui mettent œuvre les politiques publiques de développement des énergies. Se faisant, il s’agit ici de questionner la territorialisation [4] des politiques publiques de développement des énergies renouvelables à partir de l’étude de l’implantation des parcs éoliens et de leur régulation.

4 Sur le plan empirique, cet article s’appuie sur une étude du développement de l’éolien dans le Nord et le Pas-de-Calais, débutée en 2019. Il repose sur une première série de dix-sept entretiens semi-directifs réalisés avec des acteurs divers (élus locaux et régionaux, développeurs de projets éoliens, juristes, riverain.es, ornithologues, agents des services instructeurs de l’État) ainsi que sur l’observation ethnographique de sept enquêtes publiques, réalisée entre 2019 et 2021, principalement dans les salles d’attente improvisées dans le couloir des mairies où les personnes venant contribuer à ces enquêtes discutent en attendant d’être reçues par le commissaire enquêteur. Dans sa première partie, ce texte détaille le cadre institutionnel dans lequel les parcs éoliens se multiplient. Les deux parties suivantes analysent ensuite en miroir le travail politique des élus qui cherchent à faire en sorte que leur territoire tire profit des éoliennes (deuxième partie), ou qui se mobilisent eux-mêmes contre ces projets (troisième partie).

Une territorialisation de l’implantation des éoliennes sans acteurs locaux

5 La loi Grenelle II de 2010 instaure que chaque région doit se doter de Schémas régionaux éoliens (SRE) dans lesquels différentes zones de développement éolien (ZDE) sont identifiées. Ces schémas établis par les services préfectoraux et les régions visent à structurer le développement de l’éolien : l’implantation des éoliennes dans une ZDE est alors une condition pour pouvoir bénéficier du tarif d’achat réglementé de l’électricité. Les élus municipaux ont été consultés entre 2009 et 2011 lors de la détermination des ZDE. Toutefois, ces schémas n’ont jamais joué leur rôle planificateur : ils ont été annulés peu après leurs publications par un arrêt du Conseil d’État du 18 décembre 2017, suite à un recours d’une des principales fédérations de collectifs anti-éoliens. Depuis, aucune autre forme de planification de l’éolien n’a été engagée et les conseils municipaux n’ont plus été consultés sur l’inscription territoriale des éoliennes. Les nouveaux projets ne sont désormais plus encadrés que par le statut d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et le choix de la localisation des parcs éoliens est entièrement laissé à l’appréciation des porteurs de projet – les préfets n’interviennent que dans un second temps, pour autoriser ou refuser chaque projet qui leur est soumis. La production industrielle d’électricité est d’abord une affaire privée (Nadaï & Labussière, 2013). Si une minorité de projets sont portés par des collectivités ou des collectifs d’habitant.es, la grande majorité d’entre eux sont des initiatives d’acteurs privés, multinationales de l’énergie ou bureaux d’études créés pour investir ce secteur. Cette délégation de la localisation des éoliennes aux industriels est rarement questionnée. Pourtant, elle joue un rôle déterminant dans la territorialisation du développement éolien.

Des politiques publiques d’encouragement et de régulation

6 L’État intervient dans le développement de l’éolien terrestre de deux manières : en s’immisçant dans la fixation du prix de vente de l’électricité, et en édictant des règles qui encadrent l’inscription territoriale des éoliennes. D’une part, l’État structure nationalement le marché de l’éolien en intervenant dans la fixation du prix d’achat de l’électricité d’origine éolienne. Jusqu’en 2015, ce tarif d’achat est fixé par arrêté de manière à favoriser le développement de ce secteur industriel. Depuis la LTECV de 2015, ce tarif d’achat est déterminé suite à des appels d’offre réguliers. D’autre part, depuis 2011, les éoliennes sont considérées comme des installations classées (ICPE). De ce fait, l’autorisation de tout nouveau parc éolien dépend d’un ensemble de règles afin d’éviter que ces installations ne génèrent trop de désagréments sur leur environnement et sur les activités antérieurement présentes à proximité. En particulier, les éoliennes ne peuvent pas être implantées à moins de 500 mètres d’une habitation. Elles ne peuvent pas non plus être construites à proximité des radars météorologiques, aéronautiques ou militaires, dans des zones de protection de la biodiversité, ou à proximité de sites classés. L’ensemble de ces règles structure la répartition spatiale du développement éolien.

7 Jusqu’en 2017, l’implantation d’un parc éolien est soumise à l’obtention d’un permis de construire délivré par le maire, et d’une autorisation environnementale délivrée par le préfet. Depuis le 1er mars 2017 néanmoins, l’implantation d’un nouveau parc n’est plus soumise qu’à une autorisation environnementale unique qui dispense les industriels de l’obtention d’un permis de construire. Cette réforme destinée à accélérer le développement de l’éolien retire ainsi aux maires une capacité d’agir sur celui-ci. Il ne faut toutefois pas surestimer le pouvoir que conférait aux maires la délivrance de permis de construire. En effet, lorsqu’aucune règle d’aménagement du territoire ne pouvait juridiquement fonder le refus d’accorder un permis de construire, les industriels attaquaient systématiquement les refus de permis de construire au tribunal administratif, le plus souvent avec succès. Le pouvoir du maire était donc essentiellement symbolique. Lorsqu’aujourd’hui le préfet refuse d’autoriser un projet, les industriels attaquent également de manière systématique cette décision devant le tribunal administratif. La réforme de 2017 a pour objectif de réduire le temps d’instruction des projets éoliens. Cependant, elle n’a pas modifié l’encadrement réglementaire des éoliennes et les décisions d’autorisation, ou de refus, reviennent toujours finalement au juge administratif.

Effets locaux de la délégation aux industriels du développement éolien

8 Sur certains plateaux agricoles de larges cultures, venteux et peu peuplés, les différents industriels de l’éolien se livrent une concurrence féroce pour obtenir des baux exclusifs auprès des propriétaires terriens et « maîtriser le foncier » avant leurs concurrents. Le développement de l’éolien par des acteurs industriels en concurrence produit alors une juxtaposition de projets, implantés successivement, sans concertation entre les industriels : la maximisation du nombre d’éoliennes prime souvent sur leur inscription paysagère. L’absence de planification territoriale du développement éolien ne donne aucune prise aux habitant.es pour connaitre le nombre d’éoliennes qui pourraient s’implanter à proximité de leur habitation. Cette imprévisibilité du développement local de l’éolien, et le secret dans lequel les industriels travaillent, contribuent alors fortement au sentiment des riverain.es d’être envahi.es par les éoliennes.

9 La concurrence entre industriels va également parfois à l’encontre de la volonté des élu.es qui cherchent à organiser un développement harmonieux de l’éolien sur « leur » territoire. Ainsi par exemple, jusqu’en 2014, un radar aéronautique sur la base militaire de Cambrai empêche l’implantation d’éoliennes dans un rayon de trente kilomètres autour de celle-ci. Lorsque cette base aérienne ferme, de nombreux industriels se sont rués sur l’espace libéré pour s’y implanter [5]. Devant l’afflux de sollicitations, une intercommunalité située dans cette zone s’est saisie de la question. Elle a concerté les élus municipaux pour savoir lesquels sont favorables à l’implantation d’éoliennes sur leur commune. En parallèle, l’intercommunalité a lancé un appel d’offres afin de sélectionner un industriel qui lui semble apporter le plus de garanties en termes de concertation des habitant.es et de développement paysager harmonieux de l’éolien. Toutefois, entre temps, un autre industriel a conclu des baux avec des propriétaires terriens et implanté un projet au milieu de la zone sélectionnée par l’intercommunalité : il a rendu par-là caduque le projet ayant eu l’assentiment de cette dernière, sans que celle-ci ait la moindre possibilité de faire valoir sa démarche.

10 Cette histoire est exemplaire de la manière dont la contractualisation privée prime sur l’engagement des élus locaux dans le développement de l’éolien et met parfois à mal leurs efforts pour un développement harmonieux et concerté des énergies renouvelables. Sans pouvoir agir sur les projets qui s’implantent sur leur territoire, les élus locaux ne restent cependant pas spectateurs de l’arrivée massive de machines qui transforment le paysage et suscitent des mobilisations locales. L’étude du travail politique de celles et ceux qui s’investissent dans les projets éoliens, ou s’y opposent, montre alors comment ceux-ci se saisissent d’un problème dont ils sont écartés.

Aller chercher l’argent des éoliennes

11 Certains élus locaux ont cherché à maximiser les revenus que génèrent les éoliennes en négociant avec les industriels, ou en poussant les collectivités qu’ils administrent à investir dans l’éolien. Les éoliennes procurent en effet des revenus fiscaux aux collectivités territoriales. Dans des zones rurales où l’implantation d’activités économiques nouvelles est rare, les éoliennes représentent ainsi d’abord, pour les élus, une opportunité financière qui permet aux communes et aux intercommunalités d’agir. Cette opportunité économique est notamment plébiscitée pour compenser la baisse de la dotation générale de fonctionnement attribuée aux communes par l’État (Le Saout, 2017). Les possibilités nouvelles d’agir qu’offrent les éoliennes à des institutions aux budgets particulièrement limités ont amené certains maires à faire de l’éolien un élément central de leur politique de développement local.

Investir dans l’éolien

12 Certains élus locaux se sont fortement mobilisés pour attirer des éoliennes sur le territoire qu’ils administrent. Ainsi, dans le Pas-de-Calais, trois élus locaux ont joué un rôle central dans le développement de l’éolien et ils ont ardemment travaillé pour que les collectivités qu’ils dirigent investissent dans cette industrie.

Tableau 1

Mandats électoraux de trois maires impliqués dans le développement local de l’éolien

Jean-Jacques HilmoineAlain MéquignonGérard Dué
- Elu municipal de Fruges (2 352 habitant.es en 2019) de 1989 à 2001
- Maire de Fruges de 2001 à 2014 puis en 2020
- Président de la communauté de communes de Fruges (15 747 habitant.es en 2018) de 2001 à 2014
- Décédé en 2020
- Adjoint au maire de Bayenghem-lès-Seninghem de 1989 à 1995
- Conseiller municipal de Fauquembergues (961 habitant.es en 2019) de 1995 à 2001
- Maire de Fauquembergues depuis 2001
- Elu à la Communauté de communes du Canton de Fauquembergues (CCCF) depuis 1995, vice-président en 2001, président de 2008 à 2016
- Premier vice-président de la Communauté de commune du Pays de Saint-Omer (Capso, 105 169 habitant.es en 2018) depuis 2016
- Conseiller général depuis 2003
- Maire de Croisilles (1970 habitant.es en 2019) depuis 1995
- Vice-président de la Communauté de communes du Sud-Artois (27 349 habitant.es en 2018) depuis 2013

Mandats électoraux de trois maires impliqués dans le développement local de l’éolien

13 Jean-Jacques Hilmoine, Alain Méquignon et Gérard Dué sont des élus socialistes, tous maires de la commune la plus peuplée dans des EPCI ruraux. Tous les trois siègent également au conseil communautaire et ils y ont assuré des responsabilités. Ces maires ont joué des rôles de précurseurs en cherchant à faciliter le développement de l’éolien au début des années 2000 [6]. Pour cela, tous les trois se sont appuyés sur leur multipositionnalité d’élu municipal et intercommunal, et ils intègrent le développement de l’éolien dans une politique plus large de développement des territoires. En plus d’être la marque d’un engagement en faveur de l’environnement, les éoliennes représentent pour eux un levier économique qui donne aux collectivités une possibilité d’agir. Le parc éolien de Fruges est le plus gros parc éolien de France (70 éoliennes) et le montage du projet entre la communauté de communes et un industriel a débuté en 2001. Ce projet occupe une place centrale dans les bilans que dresse Jean-Jacques Hilmoine lorsqu’il repart en campagne : dans toutes ses communications, il rappelle systématiquement que les retombées économiques des éoliennes ont permis d’implanter différents services (maison de santé, maison de la solidarité et de l’insertion). Pour lui, l’implantation d’éoliennes est « un véritable coup d’accélérateur pour l’économie locale [7] » qui a permis de développer économiquement le territoire tout en créant de nouveaux emplois.

14 Le développement éolien dans le canton de Fauquembergues et dans le Sud Artois a été moins florissant. Au début des années 2000, Alain Méquignon mise également sur l’éolien pour développer économiquement le canton de Fauquembergues. Ce développement doit alors s’appuyer sur la création d’une activité touristique autour des éoliennes grâce à une « Maison du vent » dans laquelle il espère accueillir jusqu’à 70 000 visiteurs et visiteuses par an [8]. 25 éoliennes ont été inaugurées en 2004 en présence du ministre de l’Industrie. Depuis, le vent a tourné et la communauté de communes du Pays de Saint-Omer (Capso) a voté le 4 mai 2017 une résolution qui s’oppose à l’implantation de nouvelles éoliennes sur le territoire de la nouvelle intercommunalité « au regard des efforts déjà réalisés pour le développement éolien sur [le] territoire [9] ». Cette résolution a été portée par Alain Méquignon lui-même.

15 Dans le Sud Artois, malgré le volontarisme de Gérard Dué, aucune éolienne n’a été implantée à Croisilles dont il est maire. En 2013, les communautés de communes du Caudrésis Catésis (59) et du Sud Artois (62) se sont associées pour fonder la société anonyme d’économie mixte locale (SAEML) Eole Sud 59/62 que préside le maire de Croisilles. Néanmoins, suite aux élections municipales de 2015, la communauté de communes du Caudrésis Catésis se retire de la SAEML Eole. Différents parcs éoliens se sont construits dans la communauté de communes du Sud Artois. Néanmoins, le temps de changer les statuts de la SAEML et de déplacer son siège, celle-ci n’a pas pu investir dans ces projets [10]. Depuis 2016, la SAEML s’est associée à Engie pour un projet de quatre éoliennes à Croisilles : l’enquête publique relative à celui-ci doit avoir lieu en 2022.

16 Ces trois maires ont en commun d’avoir exercé plusieurs mandats qu’ils ont cumulé avec un engagement dans l’intercommunalité. Leur engagement en faveur de l’éolien s’intègre dans une politique plus globale de développement des territoires ruraux où ils sont élus. Cependant, malgré les similitudes dans leurs parcours d’élus et dans les motivations de leur engagement en faveur de l’éolien, leur action a eu des effets contrastés. Fruges a très tôt accueilli de nombreuses éoliennes. Les parcs éoliens se sont également multipliés à Fauquembergues et ses alentours ainsi que dans le sud de l’Artois mais ces projets n’ont pas toujours été à l’initiative des collectivités : ces dernières ont perçu des bénéfices économiques moindres de ces projets et la multiplication des éoliennes y a également fait l’objet de contestations locales. Ainsi, dans le sud de l’Artois, les industriels ont été plus rapides que la SAEML pour implanter des éoliennes : le projet dans lequel l’EPCI prévoit d’investir a été déposé en préfecture une dizaine d’années après que les élus locaux ont choisi d’investir dans l’éolien.

Négocier les revenus de l’éolien

17 Une des taxes qui rapporte le plus aux communes dans le cadre des projets éoliens est l’Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER). Celle-ci est versée lorsque l’industriel fait passer les câbles de raccordement électrique des éoliennes au réseau le long des routes communales. Elle est calculée en fonction du nombre de mètres linéaires de câbles suivant ces routes. Un montant minimal est fixé par l’État. Toutefois, il est souvent possible pour les maires de négocier auprès des industriels une majoration du tarif légal. Négocier est alors une manière de monnayer leur soutien. Cependant dans ces négociations, l’asymétrie de ressources peut être grande entre des maires peu habitués à cet exercice et des professionnels dont c’est le métier. De plus, la concurrence entre élus municipaux pour capter les retombées fiscales des éoliennes les isole au moment de négocier avec les industriels.

18 Par exemple, en décembre 2019, lors d’une enquête publique à proximité de Bapaume (62), le maire répète qu’il n’est ni pour ni contre les éoliennes : il veut voir [11]. Il a pris ses fonctions en cours de mandature en janvier 2018, après le décès de son prédécesseur qui a accueilli favorablement ce projet. Conseiller municipal depuis 1965, puis maire de 1982 à 2018, ce dernier était un important propriétaire terrien à la tête d’une grosse exploitation agricole. Trois éoliennes sur les cinq de ce projet devaient être implantées sur ses propres terres. Si les éoliennes enrichissent les collectivités territoriales, leur présence procure aussi d’importants revenus aux propriétaires terriens dont certains siègent parfois au conseil municipal. Une telle situation n’est ni exceptionnelle ni illégale. Toutefois, l’enrichissement personnel de conseillers municipaux contribue à exacerber l’opposition aux éoliennes, et à amoindrir la grandeur (Boltanski & Thévenot, 1991) de la justification écologique du soutien des élus locaux à l’éolien.

19 Lors de cette permanence du commissaire enquêteur, le nouveau maire fait l’éloge du professionnalisme de la secrétaire de mairie puis précise : « Moi, les papiers, c’est pas mon truc. Je suis meilleur avec un marteau et un burin [12] ». Dans le bureau qui sert alors de salle d’attente, il ne montre aucun embarras à saluer et à échanger avec les personnes, dont des élus municipaux de la commune voisine, qui viennent déposer des avis en défaveur du projet et le font savoir. Toutefois, il se montre beaucoup plus tracassé à propos de sa négociation du « prix pour le câble ». Lui a réussi à négocier 1,5€ par mètre linéaire et il est déjà fier de lui car le prix de base fixé par la loi est de 0,75€. Toutefois, il a entendu dire que certains maires auraient négocié 5€. Une personne présente lui fait remarquer qu’il aurait peut-être pu négocier jusqu’à 2€.

20 Ce que montre cet exemple, c’est que ce maire accueille avec flegme le projet éolien et les opposant.es à celui-ci qui viennent contribuer à l’enquête publique. Le projet a été porté par l’ancien maire et il répète qu’il n’a pas d’avis sur la question. En rigolant, il souligne qu’il n’aurait pas dit non si on lui avait proposé une éolienne sur ses terres (« ça aurait doublé ma retraite ») mais il ne cherche à aucun moment à défendre le projet. Cependant, le point qui le tracasse plus est quand il se rend compte qu’il n’a pas été aussi bon négociateur qu’il le croyait. A ce moment, son statut de maire d’une très petite commune rurale (80 habitant.es) face à un industriel habitué à négocier devient particulièrement visible. Ce n’est pas seulement le bénéfice financier de la commune qui en jeu, c’est aussi sa réputation auprès de ses administré.es, du conseil municipal et des élus des communes voisines. Une telle situation illustre ainsi l’isolement des maires, dépourvus de capacité d’agir sur le développement éolien, en particulier dans les très petites communes rurales. Pour les maires, négocier au mieux avec les industriels est une manière de défendre les intérêts de la commune, et ainsi d’asseoir son statut de représentant de ses administré.es.

21 La sociologie politique des mondes ruraux a mis en évidence leur hétérogénéité et l’importance d’arrêter d’appréhender le pouvoir au village comme étant immuable, nécessairement conservateur et marqué par le poids des traditions (Mischi & Renahy, 2008). A l’image de l’ancien maire de l’exemple précédent, la figure du notable n’a pas totalement disparu. Néanmoins, dans les mondes ruraux, les lois Maptam de 2014 puis NOTRe de 2015 ont déplacé le pouvoir local vers les EPCI (Nicolas et al., 2019) et elles ont eu pour effet de faire émerger une classe d’élus locaux multipositionnés au profil de plus en plus technicien, comme ceux qui ont cherché à monter des SAEML pour investir dans l’éolien. De nombreux élus ruraux restent des amateurs, peu outillés techniquement et politiquement pour négocier avec les industriels.

22 Les maires ne disposent pas d’instruments spécifiques pour investir dans l’éolien et ils utilisent le plus souvent pour cela des sociétés d’économie mixte. Par ailleurs, ces maires restent tributaires de la délégation au marché du développement de l’éolien. D’une part, les collectivités territoriales n’ont pas les capacités techniques ni financières de porter seules des projets éoliens sans s’associer à un industriel. D’autre part, la concurrence à laquelle les projets soutenus par les collectivités sont aussi soumis a pour effet d’isoler les élus dans leurs négociations avec les industriels. Face à un déploiement de l’éolien sur lequel ils ont peu de prises, certains élus choisissent par ailleurs de s’opposer à l’implantation d’éoliennes sur « leur » commune.

Prendre le parti des opposant.es

Interpeller l’Etat et soutenir les mobilisations

23 Dans les Hauts-de-France, les projets éoliens sont de plus en plus fréquemment contestés par les riverain.es. La lutte contre l’implantation de nouvelles éoliennes y est un cheval de bataille de Xavier Bertrand (LR) depuis la campagne électorale qui lui a permis de remporter la Région en décembre 2015. Cette position le démarque alors des alliances sortantes entre socialistes et écologistes dans le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie qui se sont largement investies pour encourager l’éolien. L’arrêt du développement éolien est aussi une revendication phare du Rassemblement national. En mai 2022, le conseil régional des Hauts-de-France a voté une subvention de 170 000 € sur trois ans à l’association Stop éoliennes Hauts-de-France, nouvellement créée [13]. Celle-ci a pour objectif de fédérer les dizaines d’associations locales qui contestent différents projets et qui entretiennent jusqu’alors peu de liens entre eux. Cette fédération est présidée par Bénédicte Leclerc de Hauteclocque Coste, arrière-petite fille du maréchal Leclerc, présidente d’une société de gestion de portefeuilles financiers, et chatelaine dans la Somme. Cette subvention a été largement publicisée et les élus écologistes à la Région l’ont contestée devant le juge administratif [14].

24 Les débats locaux sur l’implantation des parcs éoliens sont ainsi largement marqués par le clivage partisan. Les élus locaux qui ont fait de l’investissement dans l’éolien un élément structurant de leur politique de développement local (cf. ci-dessus) ont tous été encartés au Parti socialiste. Toutefois, le poids du clivage n’a pas toujours été aussi fort que depuis que Xavier Bertrand a fait sienne la lutte contre les éoliennes. Ainsi, en 2009, le président socialiste du Conseil général du Pas-de-Calais, Dominique Dupilet, demande un moratoire sur le développement de l’éolien dans ce département [15]. Conseiller général de 1979 à 2015 et député durant trois mandats entre 1978 et 2002, l’élu proteste dans une interview :

25

« S’il est évidemment nécessaire de substituer aux énergies actuelles des énergies renouvelables, le développement de l’éolien pose un vrai problème dans le Pas-de-Calais. Notre département a déjà payé un lourd tribut pour fournir la France en énergie. La conversion du bassin minier est en cours : il a fallu du temps pour y parvenir. Aujourd’hui, il est anormal que les habitants du Pas-de-Calais – qui représentent 2,3% de la population nationale – accueillent 10,67% de la production nationale d’énergie éolienne. La transition vers un autre modèle de développement ne pourra se faire que si elle est équilibrée et ce n’est pas le cas actuellement [16] ».

26 L’appel de D. Dupilet au ministre et au préfet pour un moratoire sur l’éolien dans le Pas-de-Calais est resté lettre morte : le département du Pas-de-Calais accueillait 190 éoliennes en 2009 [17] et il en compte 514 aujourd’hui [18]. Toutefois, comme le souligne Christian Le Bart (2001, 26), même lorsqu’ils n’ont pas les moyens d’agir directement, les élu.es n’ont « pas simplement le droit d’exprimer un point de vue (en démocratie chacun peut s’en prévaloir), mais le pouvoir d’être entendu et même écouté. » Ils et elles ont ainsi un accès facilité à la presse, et pour celles et ceux qui sont les mieux doté.es en ressources, peuvent interpeller les décideurs. Ce pouvoir d’être écouté et entendu leur permet de montrer qu’ils et elles agissent, à défaut de pouvoir influer sur le cours des choses. En effet, même lorsqu’ils arrivent à interpeller directement le préfet, les élus locaux peinent à influer sur le développement éolien. Ainsi, en entretien, le maire d’une commune du sud de l’Artois raconte :

27

On a toujours la possibilité dans la commission environnementale [CDNPS] d’aller voir le préfet. Si aujourd’hui, une commune dit « non », le préfet, il dit non. Après, c’est attaqué au tribunal administratif. […] J’ai vu en réunion le préfet dire « Bon, de toute façon, nous c’est non. Mais je sais que vous [développeur] allez aller au tribunal administratif et que vous allez gagner. » Bon, c’est tout [19]

28 Ce que rapporte ce maire, c’est que le préfet peut se montrer attentif à l’avis des élus municipaux à propos des projets prévus sur leurs communes. Cependant, lui aussi n’a qu’un pouvoir limité de décision : dans la plupart des cas, c’est le tribunal administratif qui décide in fine. Une telle situation montre l’importance de l’encadrement national du développement des énergies renouvelables. En ne donnant aucun moyen aux acteurs locaux d’influer sur les projets qui se mettent en œuvre localement, la régulation nationale du développement éolien donne la possibilité aux industriels d’user du territoire comme d’une ressource (Li, 2014), sans que les habitant.es ou les élus n’aient les moyens d’agir sur celui-ci. Dans les zones où le « gisement de vent » est important, seules les règles relatives à l’implantation des ICPE et la concurrence entre industriels pour l’accès au foncier déterminent alors localement la répartition spatiale des éoliennes.

Contribuer à l’enquête publique

29 De manière similaire à ce qu’observent Stéphanie Dechézelles et Maurice Olive (2014) dans l’Aude et en Ariège, certains élus municipaux des Hauts-de-France se mobilisent davantage, notamment en participant ceints de leur écharpe tricolore aux rassemblements appelés localement [20]. Leur présence légitime ces mobilisations tout en les montrant publiquement comme des représentants des habitant.es qui les ont élus. De plus, comme pour l’ensemble des collectifs locaux qui luttent contre des projets éoliens, le temps de l’enquête publique est le moment privilégié par les élus locaux pour se mobiliser.

30 Les enquêtes publiques sont des procédures routinisées qui se déroulent fréquemment sans que personne n’y contribue (Blatrix, 1996). Néanmoins, lorsqu’elles portent sur des projets particulièrement contestés, elles constituent des moments importants de mobilisation, comme par exemple durant les luttes contre la centrale nucléaire de Plogoff ou le tunnel du Somport. Dans les Hauts-de-France, les enquêtes publiques sur les projets éoliens sont investies par les riverain.es qui s’y opposent. Les collectifs d’opposant.es jouent des rôles déterminants dans la participation aux enquêtes publiques, en les publicisant et invitant les riverain.es à y contribuer. Ils organisent parfois des rassemblements devant la permanence du commissaire ou lui adressent des pétitions. Signe de cette importance des mobilisations durant les enquêtes publiques, début 2021, un commissaire enquêteur, anticipant une éventuelle mobilisation, a préféré prendre les devants en contactant la gendarmerie locale avant les premières permanences afin de s’assurer de sa disponibilité [21]. La centralité du temps de l’enquête publique dans les mobilisations montre que celles-ci sont principalement tournées vers les acteurs décisionnaires, absents, à qui les opposant.es s’adressent indirectement lorsqu’ils viennent livrer leur avis au commissaire enquêteur.

31 L’enquête publique a lieu après l’évaluation administrative du projet et juste avant la décision du préfet. Le projet y est rendu public et un commissaire enquêteur tient des permanences pendant un mois avec une double mission : informer sur le projet et recueillir les contributions de chacun.e (Piéchaczyk, 1998). A partir du dossier de l’industriel, du rapport de l’Autorité environnementale, de l’avis des conseils municipaux des communes avoisinant le projet ainsi que des observations recueillies, le commissaire enquêteur publie un rapport destiné au préfet dans lequel il rend un avis. Pour les élus locaux, l’enquête publique est le moment de se faire entendre comme n’importe quel autre acteur. Ainsi par exemple en décembre 2019, lors d’une enquête publique, le maire, un adjoint et un conseiller municipal d’un village limitrophe sont venus déposer au commissaire enquêteur une pétition contre le projet signée par 65 des 236 habitant.es de la commune [22]. Autre exemple : lors d’une enquête publique à Croisilles et Fontaine-les-Croisilles (62) en novembre 2018, le conseil municipal de Cherisy, commune limitrophe de Fontaine-les-Croisilles a rendu un avis défavorable au projet (6 voix contre, 1 pour, 1 abstention). Deux conseillers municipaux sont aussi venus redire leur opposition à ce projet dans le registre d’enquête. Ils y reprennent les arguments fréquemment avancés par les opposant.es à la multiplication des éoliennes : la forte densité d’éoliennes dans le secteur et l’effet d’« encerclement » qu’il produit chez les riverain.es, tout en précisant bien que leur engagement contre la multiplication des éoliennes n’est pas une prise de position en défaveur de la protection de l’environnement. L’un d’eux note ainsi :

32

« Comment peut-on sacrifier une campagne, un territoire sous couvert d’un projet écologique ? je vous rassure, je suis pour l’écologie mais pas au détriment de notre campagne. Effectivement, nous avons la malchance d’habiter un territoire où les vents sont favorables aux projets éoliens. Est-ce une raison pour saturer notre campagne d’éoliennes ? la réflexion faite par les porteurs de ces projets est stupéfiante… comme le secteur est saturé [d’éoliennes], on peut le saturer d’avantage [23] ! »

33 Il n’y a pas que les élus municipaux des petites communes rurales aux ressources limitées qui contribuent aux enquêtes publiques. Xavier Bertrand fait ainsi systématiquement parvenir une contribution à son nom à l’ensemble des enquêtes publiques sur des projets éoliens dans les Hauts-de-France. Pour un élu, participer à une enquête publique a différents objectifs. Pour les élu.es de petites communes rurales, ayant peu de ressources pour interpeller le préfet, il s’agit de saisir la seule procédure existante pour faire entendre leur avis. Contribuer à l’enquête publique permet également aux élus d’apporter des arguments, là où les avis des conseils municipaux sont toujours très succins. Toutefois, contribuer à ces enquêtes est aussi une manière pour les élus de s’afficher du côté des opposant.es aux éoliennes et de leur électorat. De plus, en l’absence du porteur de projet et du préfet, les commissaires enquêteurs sont les seuls interlocuteurs qu’il est localement possible d’interpeler. La centralité de l’enquête publique met ainsi en exergue que la production d’énergie reste un domaine contrôlé par l’Etat duquel les élus locaux sont écartés. Cette centralité de l’enquête publique dans les mobilisations contre les projets éoliens rend ainsi visible la marginalisation du pouvoir local. Les élus locaux sont du côté du public, pas du côté de l’autorité décisionnaire.

Conclusion

34 A l’automne 2021, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a annoncé des mesures en faveur d’un « développement maîtrisé et responsable de l’éolien ». A cette occasion, elle a notamment précisé que la loi « Climat et résilience » adoptée le 20 juillet 2021 prévoit l’obligation pour les porteurs de projets éoliens d’informer les maires des communes où ils souhaitent implanter un nouveau parc. Jusqu’alors rien ne les obligeait à cela. Cette annonce montre que le fait qu’un maire découvre un projet sur sa commune au moment de son instruction administrative n’est plus acceptable. Néanmoins, aucune capacité d’intervenir directement ne leur est accordée et les maires restent cantonnés dans un rôle d’observateurs, informés. De plus, lorsqu’en juin 2021, en première lecture du projet de loi climat et résilience, les sénateurs et sénatrices ont introduit un amendement conférant aux conseils municipaux un droit de véto sur l’implantation d’éoliennes sur le territoire communal, B. Pompili s’y oppose pour protéger les maires des pressions qu’ils pourraient alors subir et éviter qu’ils soient « pris en otage par certaines associations, par certains groupes [24] ». En refusant d’accorder aux élus locaux la possibilité de participer aux décisions sur les projets éoliens, la ministre réaffirme ici que la production d’énergie doit rester sous le contrôle de l’Etat.

35 L’étude du travail politique des élus locaux qui se saisissent de l’éolien a montré qu’ils ne sont pas les spectateurs passifs de la mise en œuvre d’une politique publique qui impacte le territoire communal et suscite des mobilisations locales. Néanmoins, lorsqu’ils cherchent à faire du développement éolien un pilier de leur politique de développement local, leurs projets subissent la concurrence de ceux des industriels du secteur, et pour essayer d’empêcher un projet, les élus locaux utilisent les mêmes répertoires d’action que les riverain.es. Ainsi, la délégation au marché et la régulation des ICPE structurent le développement de l’éolien, et l’étude du travail politique des élus locaux qui s’y confrontent montre que ceux-ci ne sont pas outillés pour intervenir dans le déploiement des énergies renouvelables. La territorialisation du développement des énergies renouvelables reproduit ainsi l’exclusion des acteurs locaux des décisions sur la production énergétique.

Références/References

  • Blatrix, C. (1996). Vers une « démocratie participative » ? Le cas de l’enquête publique. In Curapp, La Gouvernabilité (p. 299-313). PUF Paris.
  • Boltanski, L., & Thévenot, L. (1991). De la justification. Les économies de la grandeur. Gallimard.
  • Chailleux, S., & Hourcade, R. (2021). Introduction. Politiques locales de l’énergie : Un renouveau sous contraintes. Natures Sciences Sociétés, 29(1), p. 3-12.
  • Dechézelles, S., & Olive, M. (2014). La représentation dans la rue. Analyse comparée de mobilisations d’élus locaux. In A. Mazeaud, Pratiques de la représentation politique (p. 99-114). Presses universitaires de Rennes.
  • Douillet, A.-C. (2007). Les élus et leur territoire. Représentation et action publique dans les dispositifs territorialisés de développement local. Sciences de la société, 71, p. 67-87.
  • Le Bart, C. (2001). Leadership et impuissance décisionnelle. Les élus locaux face à la marée noire de l’Erika. Sciences de la société, 53, p. 25-41.
  • Le Saout, R. (2017). La construction politique du cadre budgétaire contraint des collectivités territoriales. Revue française d’administration publique, 4, p. 747-764.
  • Li, T. M. (2014). What is Land ? Assembling a Resource for Global Investment. Transactions of the Institute of British Geographers, 39(4), p. 589-602.
  • Mischi, J., & Renahy, N. (2008). Pour une sociologie politique des mondes ruraux. Politix, 83(3),p. 9-21.
  • Nadaï, A., & Labussière, O. (2013). L’éolien, une énergie renouvelable épuisable ? in A. Euzen, L. Eymard, & F. Gaill, Le développement durable à découvert (p. 252-253). CNRS Éditions.
  • Nicolas, F., Vignon, S., & Laferté, G. (2019). La fabrique (et le travail) du personnel politique rural. Études rurales, 204, p. 8-20.
  • Piéchaczyk, X. (1998). Les Rôles des commissaires enquêteurs et l’intérêt général. Politix, n° 42(2),p. 93-122.
  • Poupeau, F.-M. (2014). Central-Local Relations in French Energy Policy-Making : Towards a New Pattern of Territorial Governance : Central-Local Relations in French Energy Policy-Making. Environmental Policy and Governance, 24(3), p. 155-168.
  • Smith, A. (2019). Travail politique et changement institutionnel : Une grille d’analyse. Sociologie du travail, 61(1).

Mots-clés éditeurs : élus locaux, éolienne, transition énergétique, monde rural

Date de mise en ligne : 21/12/2022

https://doi.org/10.3917/psud.057.0057

Notes

  • [1]
    Loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l›environnement, JORF n°0160 du 13 juillet 2010.
  • [2]
    Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JORF n°0189 du 18 août 2015.
  • [3]
    RTE, Futurs énergétique 2050, juin 2022.
  • [4]
    C.f. introduction de ce dossier, p. 9-12.
  • [5]
    Ces villageois têtus qui ne baissent pas la garde contre les pales, Voix du Nord, 25 février 2019.
  • [6]
    Alain Méquignon, candidat pour poursuivre l’aménagement du territoire, La Voix du Nord, 25 novembre 2007 ; Pluie d’euros sur les éoliennes du Frugeois, La Voix du Nord, 15 janvier 2006 ; Les éoliennes dans l’air du temps, La Voix du Nord, 30 mai 2004.
  • [7]
    Développement progressif contre coup d’accélérateur, La Voix du Nord, 12 juin 2004.
  • [8]
    La recherche de financements commence pour « Les Chemins du vent », La Voix du Nord, 31 octobre 2004.
  • [9]
    Conseil de la communauté d’agglomération du Pays de Saint-Omer, Séance du jeudi 4 mai 2017, question n° D244-17 Environnement – Maitrise du développement éolien : une stratégie partagée à l’échelle de l’agglomération.
  • [10]
    Entretien avec Gérard Dué, Croisilles, 23 avril 2019.
  • [11]
    Observation de la permanence d’un commissaire enquêteur dans l’Artois, décembre 2019.
  • [12]
    Idem.
  • [13]
    Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand subventionne les opposants aux éoliennes, Le Monde, 19 mai 2022.
  • [14]
    Hauts-de-France : recours des écologistes contre une subvention aux anti-éoliennes, Le Figaro, 20 juin 2022.
  • [15]
    Le département du Pas-de-Calais vent debout contre tout nouveau projet, Les Echos, 10 septembre 2009 ; Dominique Dupilet : « Les éoliennes, ça suffit ! », La Voix du Nord, 9 septembre 2009.
  • [16]
    Le Pas-de-Calais dit halte à la frénésie éolienne !, News Press, 8 septembre 2009.
  • [17]
    Le Pas-de-Calais dit halte à la frénésie éolienne !, News Press, 8 septembre 2009.
  • [18]
    Observatoire régional de l’éolien, consulté le 13 septembre 2022.
  • [19]
    Entretien avec le maire d’une commune du sud de l’Artois, avril 2019.
  • [20]
    Les élus locaux mouillent la chemise contre les éoliennes, Courrier Picard, 3 juillet 2022 ; Ils ont manifesté contre les éoliennes de la Cense, Courrier Picard, 18 décembre 2021 ; Les anti-éoliens séduisent les élus, Courier Picard, 29 avril 2019.
  • [21]
    Observation de la permanence d’un commissaire enquêteur à Lisbourg, 20 février 2021 ; Enquête publique concernant la demande d’’autorisation d’exploiter par la Société Enertrag Ternois Lisbourg un parc éolien composé de 7 aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Lisbourg, Rapport et conclusion du Commissaire enquêteur, mars 2021, p. 50.
  • [22]
    Observation de la permanence d’un commissaire enquêteur dans l’Artois, décembre 2019.
  • [23]
    Registre d’enquête publique relatif au Parc éolien de la Voie des Prêtres 2, p. 27-28.
  • [24]
    Droit de veto des maires sur les éoliennes : Barbara Pompili dénonce « un cadeau empoisonné », Capital, 18 juin 2021 [https://www.capital.fr/economie-politique/droit-de-veto-des-maires-sur-les-eoliennes-barbara-pompili-denonce-un-cadeau-empoisonne-1406925].

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