Notes
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[1]
C’est le cas de la biodiversité, par exemple, dans la politique nationale en France (Sainteny, 2015).
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[2]
Les PCET incarnent une première génération de Plans climat, rendus obligatoires à partir du 31 décembre 2012 par la loi Grenelle II (2010) pour tout EPCI de plus de 50 000 habitants.
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[3]
La CAPBP est composée de 31 communes qui regroupent une population de 162 000 habitants. À ce titre, elle est soumise à l’obligation réglementaire du PCAET.
-
[4]
Dans le cadre d’une recherche doctorale, ce travail d’observation participante s’est déroulé entre février 2019 et mars 2022 au sein du pôle transition énergétique et écologique de la CAPBP, chargé d’élaborer et de porter le Plan climat de l’agglomération.
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[5]
Ces entretiens ont été conduits auprès d’élus et d’agents de la collectivité entre février 2019 et mars 2022, à Pau et dans les communes de l’agglomération. D’une durée moyenne de 60 minutes, ils ont principalement abordé l’architecture organisationnelle de la CAPBP, les effets du changement climatique sur le territoire, ses impacts sur les domaines d’activité de la collectivité, et l’action de la collectivité en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
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[6]
Par exemple, le préambule de son axe 3 expose que « Le bien-être des habitants de l’agglomération peut être perturbé ou dégradé par le bruit, la qualité de l’air ou les odeurs. […] La qualité de vie est fortement dépendante de la bonne gestion de l’ensemble de ces problématiques. Améliorer en permanence le cadre de vie des habitants, sous tous ces aspects est un des principes adoptés par la Communauté d’Agglomération Pau-Pyrénées et ses partenaires ».
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[7]
Ce constat n’est pas propre aux collectivités locales : par exemple, dans le cas des Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), Le Bourhis et Martinais (2014) ont mis en évidence l’originalité des « formatages administratifs » par lesquels l’administration du développement durable est née au niveau régional.
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[8]
La biodiversité est prise en charge dans une direction sectorielle (« qualité du cadre de vie et de la nature en ville ») distincte de la direction développement durable et déchets qui porte le PCAET.
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[9]
Cette fusion fait suite à la loi NOTRe (Loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République) de 2015, qui élève le seuil de population des intercommunalités de 5 000 à 15 000 habitants. Les communautés de communes Gave et Coteaux et du Miey de Béarn, d’une population inférieure à 15 000 habitants, fusionnent ainsi avec la communauté d’agglomération de Pau au 1e janvier 2017.
-
[10]
François Bayrou est réélu à la mairie de Pau et à la présidence de l’agglomération en 2020.
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[11]
Deux changements de directeurs généraux des services sont intervenus entre 2017 et 2020, entraînant des réorganisations qui n’ont pas affecté la structure administrative générale.
Introduction
1 Si l’environnement apparaît depuis longtemps comme un « laboratoire » (Theys, 2002) pour une prise en charge renouvelée des problèmes publics, les échecs successifs de l’action publique pour répondre à l’urgence écologique et climatique donnent aujourd’hui à ce renouvellement un caractère impératif (Blatrix et al., 2021). Celui-ci se caractérise en particulier par la mise en avant d’une approche transversale des enjeux, via leur diffusion dans l’ensemble des secteurs de l’action publique (Béal, 2016). En outre, du moins en France, cette approche est légitimée par la territorialisation de l’action publique : le territoire, devenu « le lieu de définition des problèmes publics » (Duran, Thoenig, 1996, p.582), favoriserait la mise en place de modalités d’action basées, entre autres, sur la « coopération horizontale » (Jacquier in Faure, Douillet, 2005) entre les différents domaines de compétence d’une collectivité locale. Ainsi la territorialisation, dans sa dimension de désectorisation (Douillet in Faure, Douillet, 2005), s’opposerait au modèle classique de l’administration par lequel l’État définit et priorise des secteurs d’activités qui fondent les politiques publiques que les territoires sont ensuite chargés d’appliquer (Duran, Thoenig, 1996). Ce processus de sectorisation, rappelons-le, est longtemps apparu comme un préalable à l’action publique, permettant de la « penser » et de la « rendre possible » (Halpern, Jacquot, 2015).
2 En France, le Plan Climat Air Énergie Territoire (PCAET) est un instrument typique de la territorialisation de l’action climatique qui suppose et promeut une approche transversale du climat à l’échelle locale. Instauré en 2015 par la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV), son élaboration est obligatoire pour les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants. Elle consiste en la définition d’une stratégie et d’un plan d’action devant se déployer dans chaque domaine de compétences d’une collectivité qui contribue au changement climatique et/ou en subit les impacts. À ce titre, l’instauration du Plan climat cristallise la prise de conscience actuelle, par les pouvoirs publics, de « la nature intrinsèquement transversale et interconnectée du problème climatique » (Aykut, 2020, p.13), alors que sa prise en charge a pendant longtemps été distincte d’autres enjeux [1] pourtant liés et privilégiée à l’échelle globale (Aykut, Dahan, 2015). Ce Plan incarne par ailleurs une certaine conception de la territorialisation : il s’agirait d’une solution nécessaire (Douillet in Boussaguet et al., 2015) à la « crise de la sectorialité » de l’action publique (Muller, 1985) que les problèmes complexes tels que le climat manifestent.
3 Si le problème climatique actualise cette crise, son diagnostic n’est pas inédit, de même que la promotion d’approches transversales pour la résoudre. Les travaux sur l’institutionnalisation de la politique de la ville (Jobert, Damamme, 1995), de la jeunesse (Loncle-Moriceau, 2002 in Fontaine, Hassenteufel, 2002) comme de l’environnement (Muller, 1990 ; Laville, 2010 ; Lascoumes et al., 2014) soulignent depuis longtemps le défi de la prise en charge de problèmes qui transgressent les secteurs. Au niveau de l’État, l’exemple du traitement ministériel de l’environnement est représentatif de ce défi : en 2007, la fusion de plusieurs ministères (L’écologie, l’Équipement et l’Énergie) (Bonnaud, Lascoumes, 2015) permet de rapprocher d’une manière inédite les domaines de l’environnement et de l’économie, historiquement pensés selon un rapport divergent (Zaccaï, 2010). Quinze ans après, leur articulation reste néanmoins peu visible dans l’action ministérielle, dont les avancées perdurent selon une logique de segmentation des problèmes (Villalba, 2021). À l’échelle locale également, l’État met en place des dispositifs censés favoriser une prise en charge transversale des problèmes d’environnement, bien avant les PCAET actuels. Dès les années 2000, la mise en place des Agendas 21 locaux puis des Plans Climat Énergie Territoire (PCET) [2] permet de sensibiliser les collectivités locales aux nouveaux enjeux du développement durable et du climat (Emelianoff, 2005). Toutefois, ces outils leur ont peu permis de s’abstraire des logiques sectorielles qui les structurent : souvent, le développement durable a été réduit à son pilier environnemental dans les Agenda 21 (ibid) et le climat à un problème énergétique dans les PCET (Angot, 2013 ; Bertrand, Richard, 2014). En définitive, la mise en œuvre de la transversalité à l’échelle des territoires reflète à ce stade une « logique de mimétisme » (ibid) par rapport aux écueils observés à l’échelle nationale : si elle est vectrice de changements institutionnels, ceux-ci ne se traduisent pas nécessairement par la désectorisation de l’action publique, disqualifiant dès lors l’opposition théorique entre sectorisation et territorialisation.
4 Au regard de ce constat, la définition de nouveaux Plans climat territoriaux par l’État ne constitue pas non plus une réponse certaine à la sectorisation de l’action publique ; cela même dans le contexte actuel caractérisé par une large reconnaissance du « rôle moteur » (Halpern, 2020) des villes dans l’action climatique et par une « climatisation » de l’action publique (Hrabanski, Montouroy, 2022). Au contraire, les changements institutionnels qu’il induit restent à définir au niveau des modalités d’administration des problèmes publics à l’échelle locale. Ainsi, dans quelle mesure la prise en charge du climat à l’échelle locale participe-t-elle à redéfinir les modalités d’action sectorielles de l’administration ? Que produit-elle en termes de mise en administration du problème climatique et comment le PCAET manifeste-t-il ces changements ? Afin de répondre à ce questionnement, une analyse en termes d’instrumentation de l’action publique nous permet de saisir le PCAET en tant que « traceur » (Lascoumes, 2007) de changement pour comprendre l’imbrication, davantage que l’opposition, entre les logiques de sectorisation et de désectorisation à l’œuvre dans l’institutionnalisation d’une politique climatique locale. Une telle perspective tend à dépasser la « vision pauvre » du changement institutionnel (Bézes, 2009) proposée par les approches classiques. En effet celles-ci, se limitant à identifier les logiques d’inertie et de rupture, invisibilisent certaines dynamiques de changement (ibid) et ne rendent pas compte du rôle des acteurs qui les traversent (Lascoumes, 2014).
5 Pour mener à bien l’analyse, nous formulons deux hypothèses de travail basées sur la relation circulaire entre secteur et politique publique (Muller in Boussaguet, 2019) :
- Nous postulons tout d’abord que les logiques sectorielles à l’œuvre dans l’action publique résistent à la mise en administration du climat et que le PCAET s’inscrit, à cet égard, dans la continuité des dispositifs qui l’ont précédé. Il s’agit alors d’observer comment la politique climatique de l’agglomération paloise se construit à partir d’un secteur en particulier, celui de l’énergie.
- Nous formulons ensuite que pour autant, cette résistance ne neutralise pas toute possibilité de changement dans les modalités d’administration des problèmes publics ; et que ceux-ci apparaissent principalement lors de la mise en œuvre de l’instrument par les acteurs qui s’en saisissent localement. Il s’agit alors d’observer à l’échelle locale comment la mise en œuvre de la politique permet de redéfinir les contours du secteur.
6 Afin de mettre à l’épreuve ces hypothèses, nous avons procédé à l’analyse des mécanismes d’institutionnalisation de la politique climatique de la Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées (CAPBP) [3] au travers de la mise en œuvre de son Plan climat au sein même de la collectivité. Dans ce cadre, notre méthodologie a combiné l’observation participante [4] et la conduite de cinquante-trois entretiens semi-directifs [5] au sein de la structure.
7 Pour guider l’analyse, l’article procède en deux temps : une première partie retrace les modalités par lesquelles l’environnement puis le climat ont été pris en charge au sein de la collectivité, mettant ainsi en évidence une prise en charge du climat par sa sectorisation. Un second temps met en exergue les processus de redéfinition sectorielles à l’œuvre dans l’institutionnalisation de la politique climatique de la collectivité, et tente d’en comprendre les conditions d’apparition ainsi que les modalités.
La mise en administration de l’environnement et du climat au sein d’un EPCI : entre sectorisation, désectorisation et resectorisation des enjeux
L’institutionnalisation de l’action environnementale de la CAPBP : une analyse temporelle des changements organisationnels (1999 – 2014)
8 La mise en administration de l’environnement et du climat au sein de la communauté d’agglomération paloise est marquée par des changements organisationnels successifs depuis sa création, en 1999. Les premières années de la communauté d’agglomération sous la présidence d’André Labarrère marquent le prélude de sa politique environnementale, pilotée au sein d’une direction sectorielle « environnement ». La mise en place de la collecte sélective et du tri des déchets à l’échelle communautaire constitue le fondement de cette politique qui est formalisée en 2006 par la Charte de l’environnement et du développement durable. Si l’intitulé de la charte fait mention du développement durable, c’est bien l’environnement qui est central, pensé comme un ensemble de problématiques dont la gestion doit permettre de préserver la « qualité de vie » [6] des habitants : l’environnement est alors segmenté en différents secteurs (par exemple l’eau, l’énergie ou les déchets) à partir desquels sont définies des actions visant à en réduire les externalités négatives. Cette perspective traduit une vision qui se voulait « moderne » de l’écologie urbaine. Celle-ci a longtemps structuré les politiques municipales, notamment environnementales (Emelianoff, 2001) : l’environnement devient un enjeu urbain au travers d’une somme de problèmes sectoriels à résoudre localement et « dans le présent ». À l’inverse, selon ses promoteurs, sa formulation dans une logique de développement durable impliquerait une recomposition des échelles de réflexion d’un point de vue temporel (du présent au futur) et territorial (du local au global) (Le Fur, 2018), ainsi qu’une approche transversale des enjeux.
9 Au sein de l’EPCI palois, le passage au développement durable intervient plus tardivement, à la suite de l’élection de Martine-Lignières Cassou en 2008 à la présidence de la collectivité. Une réorganisation des services entraîne la création d’une « mission développement durable » rattachée à la direction générale. Le modèle de l’« administration de mission » (Pisani, 1956) est privilégié afin de coordonner l’action des différents services autour de l’objectif commun du développement durable. À l’image de Pau qui lance son Agenda 21 en 2009, différentes collectivités telles qu’Angers (Emelianoff, 2011) ou le Grand Lyon (Hamman, 2012) expérimentent ce modèle pour piloter leur projet. La mission transversale bénéficie en effet d’un positionnement stratégique dans l’organigramme, qui facilite l’accès aux instances de décisions et assure aux agents une rapidité d’action. Toutefois, l’efficacité de la mission tenant principalement à son effet de « court-circuitage des services » (Emelianoff, 2011), son rôle peut être mal perçu par les agents des différents services dont elle vient, de surcroît, remettre en cause les cultures professionnelles. La dimension facilitatrice de la mission se double ainsi d’un « revers de la médaille » que décrit, à Pau, une ancienne agente de la mission :
« Le revers de la médaille, c’est qu’on pouvait être perçus comme les “chouchous”, les donneurs de leçons, les “y a qu’à, faut qu’on” ; […] nous, on voulait avancer, et je pense qu’on a pu avancer parfois trop vite par rapport au reste de la collectivité qui devait changer ses pratiques, revoir ses méthodes. Tout ça demandait plus de temps ».
11 En définitive, cette position surplombante explique à la fois la force et la faiblesse de la mission. D’un côté, sa légitimité résulte d’un choix politique affirmé qui cristallise dans l’organigramme l’inscription de l’institution dans la « ville durable » dont le « souci d’intégration » (Theys, Emelianoff, 2001) des différentes préoccupations – sociales, environnementales, économiques – constitue l’un des fondements. De l’autre, il s’agit d’une structure ad-hoc (Pisani, 1956) qui s’appose à l’organisation sectorielle sans la remettre en question. Sa légitimité reposant sur un mandat politique favorable, elle est donc vulnérable à tout changement d’exécutif. Dans le cas palois, cette vulnérabilité est rapidement éprouvée, puisque la mission est entièrement dissoute en 2014 à la suite de l’élection de François Bayrou à la présidence de la collectivité.
12 Ce changement politique s’accompagne d’une réorganisation des services qui marque la resectorisation de l’environnement au sein d’une direction opérationnelle « développement durable et déchets ». Les effets de cette réorganisation sont multiples : d’une part, les agents du développement durable perdent la légitimité et la dimension facilitatrice de la mission, étant relégués « au fin fond de l’organigramme » selon les termes d’une d’entre eux. D’autre part, cela traduit le faible poids politique accordé à l’environnement, qui fait l’objet d’une reproblématisation : le développement durable est réduit à son seul pilier environnemental, lui-même réduit à la problématique de déchets à partir de laquelle s’était institutionnalisée l’action environnementale de la collectivité. Dans ce contexte, l’Agenda 21 de l’agglomération qui incarnait le projet politique de l’ancienne mandature, n’est plus porté politiquement et le premier PCET ne sera jamais formalisé malgré l’obligation réglementaire de 2012.
La mise en administration du climat : de la structuration d’un « service transition énergétique » à celle d’un « pôle transition énergétique et écologique » (2015-2022)
13 Le changement organisationnel de 2014 cristallise ainsi un mode d’action sectoriel via lequel le problème climatique est pris en charge à partir de 2015, lorsqu’une nouvelle dynamique se crée par la conjugaison de trois facteurs : le retour de l’ancien directeur de la mission développement durable dans la collectivité, qui prend la tête de la direction développement durable et déchets ; la réponse à l’appel à initiatives Territoire à Énergie Positive pour la Croissance Verte (TEPCV) lancé par l’État en 2014 ; et enfin l’urgence légale du Plan climat Air Énergie Territoire (PCAET) dont l’obligation réglementaire est renouvelée et renforcée par la LTECV. Ce contexte favorise le lancement du premier Plan climat de la collectivité, dont l’adoption en 2018 marque la formalisation d’un « service transition énergétique » au sein de la direction. Son identité technique et énergétique est à l’image du Plan dont les actions se définissent d’abord par des projets techniques d’ampleur tels qu’un bus « zéro émission carbone » et un réseau de chaleur urbain. Cet ancrage initial permet au service de se structurer et de renforcer ses moyens humains en capitalisant sur des projets concrets qu’il pilote, comme l’explique un responsable au sein de la direction :
« Avec la concrétisation d’un certain nombre d’actions, comme le RCU [réseau de chaleur urbain], l’idée a été de structurer ça par la création d’un service transition “énergétique” d’abord, qui regroupait les différents chargés de mission et qui avait été placé sous la houlette d’un chef de service arrivé lors du passage en phase opérationnelle du RCU ».
15 Tout en étant valorisable politiquement, ce type de projet permet au service de répondre aux objectifs d’atténuation du Plan climat. La mise en avant de projets répondant à des attentes locales et immédiates est en effet un gage de légitimité depuis longtemps identifié pour mettre en place des politiques environnementales à l’échelle locale (Theys, 2002). Toutefois, cet ancrage énergétique et technique nourrit une « course aux réalisations » (Emelianoff, 2011) contradictoire avec l’action de long terme que suppose le problème climatique. Le Plan climat, relevant d’une démarche d’anticipation (Le Fur, 2018), risque alors de se limiter à une démarche court-termiste de projet. À ce stade, les premières années du service transition énergétique et de son Plan climat cristallisent alors une sectorisation du climat à la fois organisationnelle (au sein d’une direction sectorielle), thématique (problème énergétique) et temporelle (court-termisme), qui constitue paradoxalement une condition et une limite à l’institutionnalisation de l’action climatique de la collectivité.
16 Néanmoins, l’ancrage énergétique et technique du service évolue au fil de sa structuration : il accueille progressivement une dizaine d’agents avant de devenir en 2021 le pôle « transition énergétique et écologique », placé à égalité du pôle déchets dans l’organigramme de la direction. Le changement de statut et de nom cristallise des évolutions dans la manière de concevoir la transition et les champs d’action du service. Celles-ci se matérialisent dans l’organisation du pôle qui se compose en trois grandes cellules articlées autour des démarches de Plan climat et de neutralité carbone (1), des sujets d’agriculture, d’alimentation et d’économie circulaire (2) et des projets d’énergie renouvelable (3). Ainsi, après l’expérience d’une administration « par le haut » du développement durable, le pôle chargé de la transition fonde au contraire sa légitimité sur son statut d’ « administration de gestion » (Muller, 1990) construite à partir d’un secteur (l’énergie). Si la logique transversale de mission privilégiée sous l’ancienne mandature paraît a priori mieux adaptée à l’administration de problèmes transversaux, la logique de gestion n’interdit pas leur prise en charge : dans le cas présent elle favorise, certes par une sectorisation du climat, la légitimation croissante d’un pôle dont l’action va se désectoriser peu à peu. À cet égard, les évolutions organisationnelles de la CAPBP ne font qu’étayer un constat déjà émis dans d’autres agglomérations de taille moyenne : pour l’administration du même enjeu climatique, les modes d’organisation des collectivités se révèlent être très divers (Arnauld De Sartre et al., 2021) [7].
Le poids du travail politique dans la légitimation du pôle transition énergétique et écologique et dans l’institutionnalisation de la politique climatique
17 Dans une organisation sectorielle dont la structure reste inchangée depuis 2014, la légitimation du pôle repose en partie sur le rôle des agents qui le composent et qui l’encadrent. Plus précisément, ce processus de légitimation participe du « travail politique » (Smith, 2019) entrepris par ces agents depuis 2014. Ce sont notamment les responsables du pôle et de sa direction mère qui jouent le rôle de policy entrepreneurs (Kingdon, 2003) auprès de la direction générale et des élus afin d’impulser l’action climatique et d’en imposer l’évidence. À ce titre, leur action s’assimile à une forme de militantisme institutionnel (Politix, 2005), étant des insiders (membres de l’institution) qui promeuvent des sujets d’outsiders (les enjeux climatiques, peu portés dans l’institution). Pour mener ce travail de légitimation, ces acteurs clés s’appuient sur trois instruments principaux qu’ils combinent au profit de leur cause : leur positionnement hiérarchique et leur ancienneté dans la collectivité ; l’ouverture de fenêtres d’opportunités que représentent, en 2015, l’appel à projet TEPCV et l’urgence légale du PCAET ; l’attrait majoritaire des élus pour l’innovation technologique. Ce travail politique induit cependant la problématisation de l’enjeu climatique sous un angle spécifique, celui de l’énergie. Le Plan climat adopté en 2018 formalise ainsi une politique d’atténuation et procède, en outre, par l’agrégation d’actions existantes plutôt que par la définition d’actions inédites. Ce processus d’agrégation favorise la reproduction des logiques sectorielles ayant participé à la problématisation technique de l’enjeu climatique : il subordonne en effet le climat à l’existant plus qu’il ne conduit l’organisation à repenser ses pratiques au travers de l’enjeu. Cette étape, typique de l’élaboration d’un premier Plan climat local (Brédif et al., 2015), permet de constituer les fondements de la politique climatique de la collectivité dont l’institutionnalisation se fait par une technicisation de l’enjeu climatique. Les politiques environnementales souffrant historiquement d’un déficit de légitimité au sein de l’administration (Muller, 1990), la prise en charge du problème climatique au sein du pôle semble incarner une volonté des acteurs de « réussir » la sectorisation (ibid) du climat, à la fois pour faire exister le problème au sein de la collectivité et pour accroître la légitimité du pôle en tant que porteur de la politique climatique.
18 En définitive, l’analyse des modalités de prise en charge de l’environnement et du climat au sein de la CAPBP étaye tout d’abord le constat de la « robustesse du secteur » (Halpern, Jacquot, 2015) face à la mise en administration du climat : même à l’échelle locale, celui-ci fait l’objet d’un processus de sectorisation qui vient façonner la politique climatique de la collectivité. De ce point de vue, la territorialisation se limite ici à un changement d’échelle de la prise en charge des problèmes, sa dimension de désectorisation étant peu prégnante. Néanmoins, l’analyse sur le temps long témoigne également de la diversité des architectures institutionnelles pouvant être mises en place pour l’administration d’enjeux complexes. Présentant des degrés divers de sectorisation et de transversalité, celles-ci manifestent la porosité existante entre logiques sectorielles et transversales de l’action publique, davantage que leur opposition. Ce double constat bat ainsi en brèche l’idée d’une « bonne gouvernance » (Theys, 2002) des problèmes d’environnement, selon laquelle la transversalité mise en œuvre à l’échelle des territoires serait « la » solution au fonctionnement sectoriel de l’action publique. Une telle perspective disqualifie toute forme d’hybridation entre logiques sectorielles et transversales et informe peu de la réalité des configurations locales. Davantage qu’un « dilemme organisationnel » (Brédif et al., 2015), qui impliquerait de choisir entre deux modes d’action distincts (sectoriel ou transversal) la mise en administration du climat constitue donc un « casse-tête organisationnel » dont la résolution n’est pas donnée a priori mais à construire localement au travers de l’imbrication des logiques transversales et sectorielles.
La politique climatique à l’épreuve de sa désectorisation
19 Après avoir mis en évidence l’institutionnalisation de la politique climatique de la CAPBP à partir d’un secteur (l’énergie), d’un instrument (le PCAET) et d’un noyau d’acteurs (le pôle transition énergétique et écologique), ce second temps s’intéresse aux conditions et aux modalités de sa désectorisation. Nous interrogeons ainsi la dialectique existante entre secteur et politique publique (Muller in Boussaguet, 2019) en faisant l’hypothèse que la mise en œuvre de l’action climatique, via l’instrument PCAET et les acteurs qui le portent, contribue à redéfinir les frontières sectorielles au sein desquelles elle a été définie.
Une désectorisation limitée au travers de l’outil PCAET lui-même
20 Au regard de la première génération de Plans climat (les PCET), la deuxième génération (les PCAET) se caractérise par « l’élargissement » à la fois thématique et territorial de leur périmètre d’action (Arnauld De Sartre et al., 2021). L’analyse du cas palois révèle cependant une désectorisation limitée des enjeux climatiques à travers cet outil. Cela s’observe d’abord au niveau des relations interservices, lors de l’élaboration du Plan. En effet, seuls sont impliqués les services proches, dans l’organigramme, du service transition énergétique ainsi que ceux avec lesquels des relations préexistent. Par conséquent, le département technique de la collectivité au sein duquel est porté le Plan climat, est le plus associé à son élaboration : il pilote 77 % des actions contre 3,5 % pour le département social. Pendant la mise en œuvre du Plan, les services impliqués témoignent également de sa faible incidence sur leurs actions respectives. L’exemple du Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) en est représentatif : l’action du Plan climat relative à l’intégration des enjeux énergétiques et climatiques dans le document d’urbanisme est évaluée comme « timide » dans son bilan à mi-parcours réalisé en 2022. L’action définie dans l’objectif de favoriser la transversalité entre les deux plans a donc été peu suivie d’effets, le PLUi évoluant selon les objectifs sectoriels de la direction urbanisme qui le pilote, non pas selon les objectifs globaux du Plan climat. La faible désectorisation du PCAET s’observe ensuite au niveau de la coordination territoriale qu’il est censé favoriser en intégrant les problématiques des communes de l’agglomération. Au sujet des incidences du Plan sur leur commune, le constat des élus est sensiblement le même que celui dressé au niveau des services de la collectivité, comme l’explique l’un d’entre eux :
Le Plan climat n’entraînant pas la mobilisation élargie des services et des élus, la désectorisation qu’il est censé favoriser s’avère paradoxalement peu visible dans les faits. Au contraire, il tend à reproduire une « logique de normalisation technique » (Angot, 2013) déjà identifiée dans les Plans de première génération. Celle-ci, typique du fonctionnement sectoriel de l’action publique, souligne toute la dimension normative de l’instrument (Lascoumes, Simard, 2011), qui limite l’institutionnalisation transversale de l’action climatique. Cependant tout instrument, aussi normatif soit-il, est « socialement produit et activé » (Lascoumes, 2007) par les acteurs qui s’en saisissent. La possibilité d’une redéfinition des frontières sectorielles est donc aussi à rechercher dans l’usage que ceux-ci font de l’outil. Dès lors, la transversalité devient un « produit » du travail politique des acteurs, non pas une « réponse nécessaire » aux limites de l’action publique (Douillet, 2019) qui serait contenue dans le Plan climat.« [Le Plan climat] c’est quelque chose qui est au niveau de l’État, et qui ne nous touche pas, nous. C’est quelque chose qui est loin, ça manque de concrétisation immédiate. Pour moi il n’a eu aucun impact sur ma commune ».
La redéfinition des frontières sectorielles de l’action climatique à travers deux domaines d’action spécifiques : la biodiversité et l’agriculture
21 Dans cette perspective, il s’agit d’analyser la manière dont les metteurs en œuvre du Plan climat s’en saisissent pour redéfinir les frontières sectorielles de l’action climatique. Au niveau des relations interservices, une première tentative de désectorisation est visible dans la démarche de neutralité carbone initiée par la collectivité en 2020 et pilotée par le pôle transition énergétique et écologique. Si l’élaboration du Plan climat avait procédé par l’assemblage d’actions sectorielles, cette nouvelle étape de la politique climatique de l’agglomération s’inscrit dans une approche prospective de la transversalité (Emelianoff, 2011) : en construisant une réflexion partagée, il s’agit de subordonner les enjeux sectoriels à l’objectif commun de neutralité carbone qui devra, à terme, s’ériger en tant que principe référent de l’ensemble des actions de la collectivité. Pour cela, une instance de réflexion est créée (la « green team »), au sein de laquelle des agents de différents services participent à des ateliers d’intelligence collective. Chaque agent, désigné « référent neutralité carbone » au sein de sa direction, est chargé de faire le relais entre la green team et sa direction d’origine. L’apport de cette démarche s’illustre notamment dans l’évolution du traitement des enjeux de biodiversité au sein de la collectivité. En 2021, un Plan biodiversité est adopté dans un contexte organisationnel où le climat et la biodiversité sont séparés au sein de directions distinctes depuis 2014 [8]. Alors que la biodiversité constituait, selon les porteurs de ce Plan, une « grosse faiblesse » du PCAET, l’un d’eux explique qu’ils se sont saisis de la neutralité carbone pour en faire un nouveau champ de l’action climatique de la collectivité :
« Ce travail [sur le Plan biodiversité] est venu se télescoper, en quelque sorte, avec la stratégie neutralité carbone, qui a été une super opportunité. Ça a été l’occasion pour nous de montrer qu’il fallait arrêter ce traitement en silo des problèmes, avec d’un côté la biodiversité, de l’autre le climat ; de montrer qu’il s’agissait des facettes d’un même problème, que tout se nourrissait et que même s’il y avait des plans d’actions qui étaient spécifiques, il fallait que la stratégie, elle, soit englobante ».
23 Cette requalification des frontières sectorielles s’est matérialisée dans deux grands axes du Plan biodiversité (la séquestration du carbone ; les « solutions fondées sur la nature ») qui viennent renforcer les volets atténuation et adaptation du Plan climat en plus d’y intégrer un enjeu auparavant absent. Dans le même temps, ils permettent aux porteurs du Plan biodiversité de faire avancer leur propre agenda en termes de préservation des écosystèmes, comme l’explique à nouveau l’un d’entre eux :
« Nous, on essaye de dire que les écosystèmes présentent un potentiel énorme en matière de séquestration […] mais surtout, [que] prendre soin de ces écosystèmes, c’est se garantir la préservation des stocks de carbone déjà constitués. Parce que malheureusement le réchauffement climatique va fragiliser ces écosystèmes ; et un écosystème fragilisé c’est un écosystème qui relargue du carbone. Donc ça nous éloignerait d’autant plus de l’objectif de neutralité ».
25 Ainsi cet exemple de « climatisation » (Aykut, 2020) révèle que, comme l’ont montré d’autres travaux au sujet de la politique de la ville, un problème (le climat) et les instruments qui lui sont associés (le PCAET, la neutralité carbone) peuvent devenir un « outil symbolique stratégique pour étayer le champ d’intervention d’un [autre] service » (Jobert, Damamme, 1995, p.24). Cet exemple illustre par ailleurs l’évolution du statut du pôle transition énergétique et écologique : s’il s’est construit en tant qu’administration de gestion, le pôle affirme progressivement son rôle d’animateur et de coordinateur d’une action climatique dont il n’est plus le seul opérateur au sein de la collectivité.
26 La redéfinition des frontières sectorielles de l’action climatique est également visible au niveau territorial de l’implication des communes de l’agglomération. En 2017, le Plan climat est élaboré dans un contexte où la fusion entre la communauté d’agglomération de Pau et deux EPCI voisins [9] édifie l’agglomération « Pau Béarn Pyrénées ». Le Plan accorde alors peu de place aux problématiques des communes nouvellement intégrées, à dominante rurale, qui diffèrent de celles des communes du cœur historique de l’agglomération, à dominante urbaine. Néanmoins, les premières années de mise en œuvre du Plan manifestent des évolutions notables : en 2018, un poste dédié à l’accompagnement des communes de l’agglomération sur les sujets énergie-climat est créé au sein de l’ancien service transition énergétique, construisant du lien avec les élus. En 2019, ce rapprochement est renforcé par l’intégration des sujets d’agriculture et d’alimentation au sein du service, ceux-ci étant au cœur des préoccupations de nombreux élus des communes rurales. L’un d’eux, devenu vice-président de l’agglomération en charge de ces sujets, relate ainsi l’intégration de sa commune à la CAPBP :
« On est arrivés [dans l’agglomération] avec une forte connotation agricole ; donc on s’est dit, quel rôle on peut jouer ? Moi j’avais dit à l’époque au directeur général des services et à François Bayrou : “Moi, ma force, c’est l’agriculture, et je veux autant que faire se peut, rester agricole […]. Et ma faiblesse, c’est le renouvellement des agriculteurs.” Donc c’est pour ça qu’on est partis sur la réflexion d’une « Ceinture Verte » en culture maraîchère bio, où on travaille sur [cette question du] renouvellement. […]. C’est du gagnant-gagnant : en tant que vice-président, je participe au développement de l’agglomération, mais j’en récupère aussi des bienfaits sur ma commune ».
28 L’agriculture représente donc un enjeu stratégique à plusieurs égards. Pour la commune, faire valoir sa dimension agricole lui permet de bénéficier de l’appui technique et de l’ingénierie de la collectivité pour le développement de ses projets. Pour le pôle transition énergétique et écologique, l’agriculture contribue à sa légitimation en intégrant un sujet jusqu’alors absent des champs d’action de la collectivité. En outre, cela permet aux acteurs du pôle d’opérer une redéfinition de ses frontières sectorielles à trois niveaux. Tout d’abord le périmètre de son territoire sectoriel est élargi : la définition d’un axe de travail pour favoriser l’accès à une alimentation de qualité pour les publics modestes favorise la transversalité avec un service lointain dans l’organigramme (solidarités et santé), et celle d’un axe sur l’agriculture bas-carbone fait le pont avec un service initialement peu impliqué dans le PCAET (la biodiversité). D’autre part, son périmètre territorial est étendu, l’action climatique se territorialisant par l’implication des problématiques d’élus communaux hors du cœur urbain de l’agglomération. Enfin, cet élargissement est thématique puisque l’agriculture, initialement absente du Plan climat, est intégrée à l’action climatique au travers de sa contribution à l’objectif de neutralité carbone. À l’image de la biodiversité, elle fait ainsi l’objet d’une « climatisation » (Aykut, 2020) qui requalifie l’enjeu sous l’angle du changement climatique.
29 Les exemples de la biodiversité et de l’agriculture témoignent ainsi des « débordements » sectoriels (Bourgeois, 2015) et territoriaux (Mériaux in Faure, Douillet, 2005) formulés par les acteurs participant à la mise en œuvre du Plan climat : sans renverser le cadre sectoriel et vertical fixé par le fonctionnement de l’action publique et par l’instrument, ils parviennent en effet à en faire évoluer les contours afin de désectoriser le climat. Cette action par « débordements » souligne par ailleurs le rôle d’adjuvant du Plan climat dans l’institutionnalisation de la politique climatique locale : s’il participe à son impulsion, ce sont bien les acteurs qui le portent et le mettent en œuvre qui sont les véritables protagonistes d’une institutionnalisation qui procède donc, « par le bas ».
Quel poids du climat dans le renouvellement du fonctionnement interne de la collectivité ?
30 Cela, replacé dans l’histoire institutionnelle de la collectivité, souligne alors le décalage existant entre d’un côté, l’évolution que marque l’inscription de la question climatique sur l’agenda de la collectivité et de l’autre, la logique de statu quo qui caractérise l’institution. En effet, le climat a progressivement acquis une place dans l’action de la collectivité, dont témoignent la montée en légitimité d’un noyau d’acteurs porteur de l’enjeu, la formulation d’un premier Plan climat, ainsi que les débordements sectoriels qu’ils parviennent à produire et que cristallise la démarche prospective de neutralité carbone. Si lors de la réorganisation de 2014, la politique climatique de la collectivité était inexistante, les années écoulées depuis marquent bien son institutionnalisation.
31 Néanmoins, ces évolutions interviennent parallèlement à une logique de statu quo qui caractérise le fonctionnement de la collectivité. En effet, celle-ci n’a pas connu de changement d’exécutif [10] depuis 2014, entérinant un portage politique du climat selon une vision techno-solutionniste du problème. Par là même, les évolutions organisationnelles intervenues depuis 2014 [11] n’ont fait que renforcer un modèle pyramidal d’organisation vecteur d’inertie (Emelianoff, 2011), dans lequel les pratiques sectorielles restent la norme et où la transversalité ne constitue pas un mot d’ordre. Ainsi, l’administration du climat et de l’environnement n’a pas été renouvelée au niveau structurel : la montée en légitimité du pôle transition énergétique et écologique advient dans une direction dont la place au sein du département technique de la collectivité est restée inchangée depuis 2014. Il en va de même pour son nom (« développement durable et déchets »), qui reflète une forme d’immobilisme idéologique dans l’appréhension des enjeux environnemental et climatique.
32 En définitive, si la dernière décennie marque l’institutionnalisation de la politique climatique de la collectivité, elle marque aussi une forme de marginalisation de la question climatique : prise en charge de manière dépolitisée, elle n’est pas devenue structurante de l’action de la collectivité et n’a pas, de fait, induit le renouvellement de ses modes de fonctionnement. Ce paradoxe est révélateur d’une situation où le poids de l’enjeu climatique demeure faible en dépit d’une montée en légitimité des acteurs qui le portent localement, d’un contexte national de généralisation de l’action climatique locale au travers des Plans climat (Arnauld De Sartre et al., 2021) et d’un contexte global où s’intensifie l’urgence climatique. En définitive, le climat, tout comme l’environnement, ne devient pas un « élément perturbateur » (Villalba, 2021) de l’action publique, et cela même à l’échelle locale.
Conclusion
33 Dans un contexte de territorialisation de l’action publique climatique, l’analyse proposée dans cet article a tenté de retracer, dans une perspective temporelle, le processus d’institutionnalisation d’une politique climatique locale au travers des logiques de sectorisation et de désectorisation de l’action publique ; cela afin de comprendre les conditions et les modalités par lesquelles la prise en charge du problème climatique à l’échelle locale participe, ou non, à renouveler les modalités d’administration des problèmes publics.
34 Tout d’abord, l’analyse indique que la territorialisation de l’action climatique n’induit pas de façon évidente le renouvellement des modalités d’administration des problèmes publics. Si elle marque un changement d’échelle de leur prise en charge, elle n’engage pas le passage d’une approche sectorielle à une approche transversale des problèmes. Le modèle sectoriel, bien que diagnostiqué en « crise », semble demeurer un préalable à l’action publique, et cela même si l’instrument PCAET est mis à disposition des collectivités dans une perspective de désectorisation de l’action publique. Nous avons en effet montré que celui-ci, à l’image des dispositifs qui l’ont précédé (Agenda 21, PCET), tend paradoxalement à reproduire les logiques sectorielles qu’il est censé permettre de dépasser, et par là même à techniciser l’enjeu climatique.
35 Néanmoins, l’analyse invite à ne pas lire ce constat de manière univoque. En effet, un regard sur le temps long souligne toute la porosité du modèle sectoriel, dont le maintien en tant que modèle structurant de l’organisation administrative d’une collectivité n’exclut pas l’existence d’architectures institutionnelles diverses qui combinent des logiques sectorielles et transversales dans la mise en administration des problèmes. En outre, cette porosité est d’autant plus prégnante lors de la mise œuvre de l’action climatique, où les frontières sectorielles font l’objet de redéfinitions de la part des acteurs. Ceux-ci apparaissent comme les constructeurs d’une transversalité qui ne leur est pas donnée a priori. Dans cette perspective, la territorialisation apparaît alors comme le lieu de débordements sectoriels et territoriaux qui permettent d’infléchir les contours de la politique climatique locale. Cela participe à une institutionnalisation de la politique par le bas, au travers d’un travail politique déterminant de la part d’acteurs qui se saisissent d’abord sectoriellement de la cause climatique afin d’accroître leur légitimité au fil du temps. C’est alors que le PCAET peut servir d’adjuvant pour les acteurs, lorsqu’ils s’en saisissent comme instrument pour constituer les bases d’une politique climatique locale.
36 Ces observations pointent alors tout le paradoxe de la sectorisation : si elle apparaît comme une condition de l’institutionnalisation de la politique climatique de la collectivité, elle en constitue également sa principale limite. En effet, sectoriser le climat a permis de faire exister la cause climatique au sein de l’institution et d’opérer une montée en légitimité des acteurs qui la portent. Néanmoins, l’ancrage des logiques sectorielles dans le fonctionnement de la collectivité et la vision dépolitisée et technicisée du climat qui en résulte explique en partie la fragilité d’une institutionnalisation dans laquelle les pratiques transversales comme l’enjeu climatique ne deviennent pas structurants dans l’action de la collectivité.
37 À ce stade, le poids du climat dans le renouvellement de l’action publique locale s’avère donc assez faible : la territorialisation de l’action climatique permet aux acteurs locaux d’infléchir les dynamiques sectorielles à l’œuvre au sein d’une collectivité locale, mais leur transformation plus profonde apparaît moins certaine. En définitive, si le contexte actuel d’urgence climatique conduit à un renforcement du poids des collectivités locales dans l’action climatique, on peut se demander quel est le poids que la territorialisation confère localement à l’enjeu climatique.
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Mots-clés éditeurs : politiques climatiques locales, transversalité, institutionnalisation, sectorisation, PCAET
Date de mise en ligne : 21/12/2022
https://doi.org/10.3917/psud.057.0039Notes
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[1]
C’est le cas de la biodiversité, par exemple, dans la politique nationale en France (Sainteny, 2015).
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[2]
Les PCET incarnent une première génération de Plans climat, rendus obligatoires à partir du 31 décembre 2012 par la loi Grenelle II (2010) pour tout EPCI de plus de 50 000 habitants.
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[3]
La CAPBP est composée de 31 communes qui regroupent une population de 162 000 habitants. À ce titre, elle est soumise à l’obligation réglementaire du PCAET.
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[4]
Dans le cadre d’une recherche doctorale, ce travail d’observation participante s’est déroulé entre février 2019 et mars 2022 au sein du pôle transition énergétique et écologique de la CAPBP, chargé d’élaborer et de porter le Plan climat de l’agglomération.
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[5]
Ces entretiens ont été conduits auprès d’élus et d’agents de la collectivité entre février 2019 et mars 2022, à Pau et dans les communes de l’agglomération. D’une durée moyenne de 60 minutes, ils ont principalement abordé l’architecture organisationnelle de la CAPBP, les effets du changement climatique sur le territoire, ses impacts sur les domaines d’activité de la collectivité, et l’action de la collectivité en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
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[6]
Par exemple, le préambule de son axe 3 expose que « Le bien-être des habitants de l’agglomération peut être perturbé ou dégradé par le bruit, la qualité de l’air ou les odeurs. […] La qualité de vie est fortement dépendante de la bonne gestion de l’ensemble de ces problématiques. Améliorer en permanence le cadre de vie des habitants, sous tous ces aspects est un des principes adoptés par la Communauté d’Agglomération Pau-Pyrénées et ses partenaires ».
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[7]
Ce constat n’est pas propre aux collectivités locales : par exemple, dans le cas des Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), Le Bourhis et Martinais (2014) ont mis en évidence l’originalité des « formatages administratifs » par lesquels l’administration du développement durable est née au niveau régional.
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[8]
La biodiversité est prise en charge dans une direction sectorielle (« qualité du cadre de vie et de la nature en ville ») distincte de la direction développement durable et déchets qui porte le PCAET.
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[9]
Cette fusion fait suite à la loi NOTRe (Loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République) de 2015, qui élève le seuil de population des intercommunalités de 5 000 à 15 000 habitants. Les communautés de communes Gave et Coteaux et du Miey de Béarn, d’une population inférieure à 15 000 habitants, fusionnent ainsi avec la communauté d’agglomération de Pau au 1e janvier 2017.
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[10]
François Bayrou est réélu à la mairie de Pau et à la présidence de l’agglomération en 2020.
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[11]
Deux changements de directeurs généraux des services sont intervenus entre 2017 et 2020, entraînant des réorganisations qui n’ont pas affecté la structure administrative générale.