Notes
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[1]
Lieu d’information public relatif à la rénovation urbaine installé au cœur du quartier, il héberge l’équipe de la Gestion Urbaine de Proximité.
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[2]
Du moins jusqu’à la mise en œuvre de la rénovation. En effet le Plan de Rénovation Urbaine des Moulins (PRU) prévoit l’ouverture du foncier à de nouveaux bailleurs sociaux.
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[3]
Les guillemets ici indiquent que c’est son appellation indigène : à la fois par les pouvoirs publics mais également par les habitants de la ville. Le paradoxe tient dans le fait que « le quartier des Moulins » est présenté comme appartenant au « quartier Saint-Augustin » par les mêmes acteurs. L’absence de statut électoral et administratif de la portion « quartier » en France en fait un objet aux contours flous et de fait, aux usages très variés (Authier et al., 2007).
Charles : « Ben moi, ça a commencé par des, des lundis matins heu, parce que très tôt j’allais à la Maison du projet [1], […] de l’ordre de la revendication directe et brutale (petit rire) […] Voilà donc c’était quand même plutôt avec une démarche de fin de weekend qui avait été très lourd dans la cité. […] et Christine nous a donné heu […] l’écoute dont on avait vraiment besoin pour pouvoir après croire que c’était vrai : la citoyenneté pouvait exister dans les Moulins ! »
2Les premiers rapports interministériels relatifs à la Politique de la ville en France font mention de la volonté d’associer les « citoyens » au processus d’amélioration de leurs conditions d’habitation. La Politique de la Ville est initiée dans les années 1970, au moment où les pouvoirs publics commencent à prendre conscience de l’importance des difficultés socioéconomiques de certaines zones urbaines dans lesquelles vivent une partie de la population sur le territoire français. C’est une politique interministérielle qui prévoit un travail d’amélioration du bâti souhaitant pallier l’insalubrité et l’inconfort de ces habitations en parallèle d’actions sociales en direction de leurs occupants. Conception urbaniste plutôt fonctionnelle de l’époque, qui semblait répondre à une demande pressante de logements et incarner simultanément un progrès social en sortant des centaines de foyers de conditions de vie déplorables, ces fameux « grands ensembles » sont progressivement devenus les réceptacles des inégalités et maux de la société.
3Construits à la hâte dans les années 1960, ces grands ensembles ont été abandonnés aussi promptement par les pouvoirs publics. La politisation dans les années 1970 et 1980 de manifestations plus ou moins violentes de cette détresse sociale inscrira sur l’agenda politique l’urgence de la situation sociale qui se vit au sein de ces espaces urbains. C’est ainsi qu’est lancée l’Opération Habitat et Vie Sociale (HVS) en 1977 qui recense une cinquantaine de « quartiers » sur lesquels l’intervention publique visera à la fois à l’amélioration du cadre de vie de cette partie de la population et pensera un aménagement de dispositifs participatifs citoyens. Ces politiques semblent alors envisagées dès l’origine comme des dispositifs dont un travail de réaménagement urbain uniquement réalisé sur le bâti serait vain. L’idée pour les pouvoirs publics consiste également en une politisation de ces habitants dans un but de réintégration sociale. La participation citoyenne est déjà appréhendée comme étant un volet indispensable au succès de ces politiques d’intégration. Les plateformes de démocratie participative mises en place dans le cadre de la politique de la ville constituent en effet de véritables espaces de diffusion et de pratique de la norme citoyenne : activée sur le volet de la participation à la chose publique, ici la délibération dans le processus de la décision publique. Il s’agit bien de recréer un lien entre les habitants de ces quartiers populaires et l’autorité politique. L’opportunité de cet exercice citoyen est également appréhendée par les pouvoirs publics comme un moyen de lutter contre l’apathie politique qui toucherait les habitants de ces espaces de relégation sociale (Nabatchi, 2010).
4Ces dispositifs sont plus récemment présentés comme une dynamique de rationalisation de la décision publique qui s’enrichit de l’expertise des usagers. Cette volonté d’inclure dans le processus décisionnel les « savoirs citoyens » (Nez, 2015) semble issue du constat des limites du système représentatif déconnectant les élus et professionnels des usagers et donc des usages des politiques publiques dont ils ont en charge l’élaboration. Le contexte de « crise de la représentation » pousse également les pouvoirs publics à développer autant de mécanismes permettant de pallier le déficit démocratique dont souffrirait, consécutivement à cette crise, la décision politique. Pourtant, certaines études ont permis de révéler que ces instances de démocratie participative constituent plus volontiers des lieux de consultation que de véritables espaces de délibération des politiques publiques (Carrel, 2013). Ces processus participatifs n’apporteraient finalement qu’une légitimité très relative à des décisions publiques prises par des technocrates restant déconnectés des publics visés. La consultation citoyenne aurait alors pour effet supplémentaire - et non négligeable pour le décideur -, d’apaiser, voire d’annihiler toute contestation au projet désormais légitimé par cette participation. Au-delà de la faible influence de cette parole citoyenne sur la décision politique, une opération de sélection du public participant semble entériner, pour certains chercheurs, l’inanité de ces dispositifs dans leur capacité à démocratiser l’action publique. Ils font alors mention d’une « illusion participative » (Monbeig, 2007) en posant littéralement la question : « Peut-on ou veut-on faire participer les habitants des quartiers qualifiés de difficiles au gouvernement de la cité ? »
5L’idée de la présente enquête est de partir à la recherche des « publics réels » de la participation (Blondiaux, 2003) permettant de rendre compte qu’une sélection des habitants peut paradoxalement être entreprise dans le but de sauvegarder la participation des habitants. L’entrée par l’analyse des dynamiques de sélection du public d’une plateforme de démocratie participative, permet de révéler les écarts – et les tensions - entre les objectifs officiels de la Politique de la ville et la façon dont les acteurs locaux investissent et s’accommodent de ce dispositif notamment à l’aune du contexte politique. En effet, la prise en compte du contexte politique nous permet de comprendre comment les acteurs locaux mobilisent cet outil des politiques publiques qui, au contraire de venir concurrencer les représentants dans l’exercice du pouvoir décisionnel, devient une instance relai de leur domination. L’instauration d’un processus de démocratie participative ne semble pas automatiquement permettre la mise en concurrence de la représentation politique.
6Les représentés, dépossédés par le mécanisme de la délégation (Bourdieu, 1984), ne sont pas nécessairement en mesure de retrouver l’exercice de leur pouvoir politique. De surcroît, quand ils entretiennent eux-mêmes ce système de délégation en appréhendant - et de fait, en construisant - cet espace comme un moyen d’accéder aux ressources dont dispose leur représentante élue. Comment démocratiser l’action publique quand le public se révèle incapable de produire autre chose que les mécanismes routinisés d’un système clientéliste, dérive de la représentation politique ? Comment une plateforme de démocratie participative est-elle investie comme un instrument au service de l’entretien de la représentation politique ? Autrement-dit, comment un instrument de démocratie participative permet l’entretien de la délégation du pouvoir politique ? Nous verrons que la difficulté d’instaurer un système participatif sur un territoire où est quasiment institutionnalisé un système clientéliste, met en exergue l’importance de la prise en compte du contexte local dans l’analyse de la mise en œuvre d’une politique publique.
7Après une présentation du terrain et de la démarche méthodologique, nous analyserons dans un premier temps la sélection à l’œuvre dans la constitution de ce public participatif. Nous verrons que les stratégies d’investissements des acteurs locaux semblent attester du degré d’intériorisation du système clientéliste mis en place par l’élue locale sur ce territoire. Dans un second temps, l’analyse des dynamiques d’exclusion et de sélection des participants révèle le combat mené entre des acteurs qui mobilisent cette plateforme pour assoir leur position privilégiée auprès de l’élue, et des acteurs publics qui tentent de sauvegarder la démocratisation du projet participatif en s’employant à une sélection d’acteurs en dehors des réseaux de l’élue afin de lutter contre « […] des années de système clientéliste ! » (Hervé, délégué territorial du Préfet). Toute la difficulté de la lutte contre ce système de domination semble bien résider dans le fait que ce sont les dominés eux-mêmes qui l’entretiennent. Il s’agit bien d’étudier la délicate instauration d’une démarche participative sur un territoire où semble puissamment intégrée la délégation politique. Le calendrier électoral joue ici un rôle central : il semble en effet exacerber les dynamiques respectives des acteurs sur ce territoire.
Terrain et méthodes
8La présente enquête s’appuie sur un travail de terrain de plus de deux ans mené dans le cadre d’une recherche doctorale en cours. Il s’agit d’un véritable suivi ethnographique d’un dispositif participatif, dans l’analyse globale d’une politique publique de rénovation urbaine d’un quartier d’habitat social permettant d’appréhender la participation politique à l’aune de l’action publique. L’analyse du dispositif participatif relève d’une démarche microsociologique focalisée sur les différents acteurs du processus. Ce travail ethnographique mobilise plusieurs méthodes et techniques d’enquête. En premier lieu, il s’agit de mener des sessions d’observations sur tous les évènements et réunions du collectif. Ensuite, est réalisée la passation d’entretiens (majoritairement semi-directifs) : il s’agit au minimum d’un entretien par participant ; l’objectif est surtout d’appréhender au mieux le contexte de l’entretien (que ce soit le moment où l’entretien est réalisé dans la démarche personnelle de participation de l’enquêté, mais également le contexte politique, électoral, l’état d’avancement de la rénovation en cours, etc.) qui conditionne puissamment les pratiques, discours et représentations des enquêtés. Enfin, nous récupérons tout le matériau produit par et pour le collectif. Le suivi de ce dispositif participatif s’inscrit dans la réalisation de la monographie globale du quartier des Moulins : territoire de l’action publique analysée. Tous les noms ont été rendus anonymes à l’exception des personnalités publiques. Il s’agit d’un de nos engagements déontologiques sur ce terrain d’enquête, de surcroît quand celui-ci n’est pas anonymisé. En effet, le matériau nécessaire à la bonne présentation de l’enquête porte puissamment atteinte à l’anonymisation du quartier : il semble difficile de présenter une politique publique de rénovation urbaine sans présenter pleinement les caractéristiques physiques de cet espace urbain. Cette présentation permettant l’identification aisée du quartier, l’anonymisation nous est rapidement apparue comme une entreprise vaine. Il en est de même pour la présentation du contexte politique de ce territoire qui permet son identification aisée pour tout acteur qui possède une connaissance, même très lointaine, de la vie politique locale.
Une élue territoriale incontournable
9Madame Dominique Estrosi-Sassone (Les Républicains - LR) semble incontournable sur ce territoire. En effet, elle exerce une domination de fait sur toutes les sphères et instances de gestion de la vie quotidienne des habitants de ce quartier, en lien avec ses nombreuses casquettes et responsabilités publiques. Elle cumule les statuts d’adjointe au maire de Nice déléguée au logement, à la rénovation urbaine et à la proximité ; de Conseillère départementale (réélue en 2015) ; de Conseillère métropolitaine déléguée et de Sénatrice. Elle est également la Présidente de l’unique bailleur social du quartier [2] : Côte d’Azur Habitat (CAH) ; la Présidente de la Commission logement auprès de la Métropole Nice Cote d’Azur (NCA) – c’est donc elle qui préside la commission d’attribution des logements sociaux ; la Secrétaire générale de la Fédération des offices publics de l’habitat et la Présidente de la mission locale Nice Côte d’Azur.
10C’est également la fille de Jean Sassone, ancien adjoint à la ville de 1977 à 1995, figure locale du « système Médecin » qui a été l’un des soutiens politiques de son ancien mari et actuel maire de la ville : Christian Estrosi ; lui-même ancien Président du Conseil Départemental des Alpes-Maritimes (à l’époque où le projet de rénovation du quartier a été initié), Président de la Métropole NCA et candidat à la Présidence de la Région PACA aux prochaines élections régionales de décembre 2015.
De la périphérie au centre : comment un quartier de relégation sociale devient-il un lieu stratégique d’investissement public ?
11Le quartier des Moulins à Nice est en effet inévitablement devenu un espace d’intervention des pouvoirs publics consécutivement aux projets de croissance de la ville sur la partie ouest de son territoire.
Présentation du « quartier des Moulins » [3]
Initialement composé de 2900 logements sociaux tous propriété exclusive d’un unique bailleur social : Côte d’Azur Habitat, au sein desquels vivaient au plus fort plus de 12 000 habitants, cet espace constitue l’une des zones urbaines les plus denses de la conurbation azuréenne.
Cet immense bâti est en réalité la réunion de deux espaces construits à des temps différents. En effet, une première partie des habitations voit le jour dans les années 1960 et a pour but d’accueillir les rapatriés d’Algérie française, la seconde partie, bâtie dans les années 1970 permettra la fermeture de l’un des derniers bidonvilles français de l’époque : le bidonville de la Digue des Français (situé de l’autre côté du boulevard du même nom ; frontière nord du quartier) et aura pour vocation de sortir ces habitants de conditions de vie désastreuses en accédant à un logement. Depuis sa construction, ce quartier n’a fait l’objet d’aucune intervention des pouvoirs publics et commencera à se dégrader progressivement à partir des années 1970-1980. La fusion de ces deux grands espaces urbains en un seul, entouré de quatre axes de circulation importants et la construction de l’autoroute A8 parachèvera l’enclavement matériel et social de cette zone urbaine.
Le quartier est ainsi classé Zone Urbaine Sensible, Zone d’Education Prioritaire et plus récemment : Zone de Sécurité Prioritaire. Il concentre actuellement plus de 26% de chômage dont un taux très élevé chez les 15-24 ans de l’ordre de près de 40% avec 20% de chômeurs de niveau inférieur au baccalauréat. 40% de non diplômés.
La volonté de développement urbain de la ville de Nice sur sa partie ouest c’est-à-dire la rive du fleuve constituée jusqu’à présent de terres agricoles, a conduit à l’avènement de grands projets sur ce territoire. Des millions d’euros sont investis sur cette aire géographique qui constitue désormais un endroit stratégique pour les pouvoirs publics. Le quartier des Moulins, d’une position périphérique se retrouve désormais aux portes du futur Nice et au centre de projets à envergure nationale comme en atteste l’intervention directe de l’Etat sur ce territoire via l’Opération d’Intérêt National (OIN) « Plaine du Var ». De fait, cela nous permet de comprendre la nécessité pour les pouvoirs publics d’intervenir à la requalification de cet espace de relégation sociale et urbaine. Le projet de rénovation est lancé en 2007, la Convention de l’ANRU signée en 2010, après quoi le PRU 1 des Moulins, lui aussi, est lancé. Ce PRU se décline en plusieurs conventions dont la Gestion Urbaine de Proximité (GUP) qui prévoit la gestion du quotidien des habitants durant les travaux, elle a notamment pour mission de créer une instance de démocratie participative : une « plateforme Habitant […] composée d’habitants […] et de représentants d’associations du quartier (des groupes de travail seront constitués) » (Extrait de la Convention GUP des Moulins).
Des habitants au capital culturel élevé et fortement politisés
12Comme en atteste cet extrait de la convention de GUP, la consultation d’habitants semble donc intégrée à la Politique de la Ville. Nous serions bien sur le registre de « co-construction » de l’action publique avec une modification des modalités d’élaboration des politiques publiques vers un recours aux acteurs citoyens et à leurs « savoirs » (Nez, 2015). Si cela peut être appréhendé comme une réelle forme de démocratisation de l’action publique, le processus des politiques publiques a vu le recours à l’expertise, justement fondé sur des critères de compétences manquant aux citoyens, devenir la règle absolue. Ainsi, travailler avec des habitants provoque quelques difficultés pour les acteurs publics qui doivent apprendre à œuvrer avec des citoyens non rompus à la « grammaire publique » (Talpin, 2006). De fait, cela peut expliquer que l’acteur public opère une certaine sélection – plus ou moins consciente – des acteurs citoyens expliquant la surreprésentation d’habitants au sein du collectif, dotés d’un capital culturel élevé et déjà fortement politisés. La mission de constituer et d’animer ce collectif est assignée à la responsable de la GUP : Christine. Pour ce faire, elle a profité de visites d’habitants venant s’enquérir du PRU ou porter des réclamations à la Maison du projet – faisant ainsi preuve d’un intérêt manifeste pour la chose publique – pour en inviter certains à participer au collectif. C’est par exemple le cas de Charles, dont les propos introduisent cet article.
13Charles est un retraité de 78 ans qui vit depuis plus de 35 ans avec sa femme, retraitée également, dans le même appartement au 17e étage d’une tour au cœur du quartier. Charles est un ancien éducateur, sa femme était aide-scolaire à l’école de la Digue des Français. Ils ont élevé leur fils unique aux Moulins ; âgé d’une trentaine d’année, il est désormais professeur en ZEP dans la région parisienne. Charles se rend souvent à la Maison du projet le lundi matin (comme il l’explique dans l’extrait d’entretien introductif de l’article) pour s’adresser directement aux pouvoirs publics et leur faire mention des heurts qui rythment la vie et surtout les nuits du quartier tous les weekends (incendies de poubelle, rodéos de motos, dégradations, squats…). Charles est un homme blanc, grand et élancé, mesurant près d’un mètre 90, il s’exprime avec un vocabulaire élaboré et souvent par images, avec une voix toujours basse faisant toujours preuve de calme et de retenue. Sa façon de s’exprimer atteste de nombreuses ressources dont disposent Charles, tout comme ses idées et analyses. Nous supposons que le capital culturel de celui-ci a pleinement joué dans son invitation à participer au collectif. Nous pouvons attester de ce capital notamment en prenant pour exemple un extrait d’entretien où il expose son analyse de l’organisation de la Fête des voisins sur le quartier :
« […] Je constate aussi qu’on utilise la Fête des voisins comme un alibi quoi tu vois. Parce que derrière la fête des voisins, y’aura peut-être des articles de journaux où certains se retrouveront bien, mais nous, qui voyons les choses aussi du ras du sol, même si on habite un tout petit peu plus haut, y’a l’absence des hommes dans la cité ! Et ce jour-là, ce sera un vendredi soir et y’aura à la mosquée tous les hommes ! […] Voilà donc y’a pas de prise en compte réelle de la, de la sociologie si tu veux concrète de la cité ! Moi ça, c’est une erreur aussi quand même de la part de toutes ces associations ! Il faut peut-être déplacer la Fête des voisins pour nous les Moulins pour qu’elle soit un jour neutre où y’ait pas d’office religieux qui court-circuite la rencontre possible des voisins de ceux qui veulent ! »
15Ainsi, sur ce quartier, ce n’est pas n’importe quel citoyen lambda qui a été invité à la participation mais bien des habitants, possédant un certain capital culturel et degré de politisation. En effet, ces habitants ont clairement identifié la Maison du projet comme un lieu d’information relatif à la rénovation (plusieurs sessions d’observations dans ce local ont permis de démontrer que la majorité des visites d’habitants était relative à des missions qui ne concernaient en rien la Maison du projet mais plutôt d’autres services publiques (CAF, Mairie, etc.) ; qui de surcroît, se sont emparés de cet espace pour venir s’enquérir de la mise en œuvre de cette politique publique en manifestant un intérêt pour la chose publique. Enfin, ce n’est pas tous ceux qui ont réalisées cette démarche qui se sont vu inviter à participer, Christine choisissait « après discussion » (Christine), les individus qu’elle souhaitait associer au processus. De fait, on entend comment s’opère ici une réelle sélection, plus ou moins consciente de sa part, des acteurs citoyens. On constate bien une surreprésentation d’habitants possédant un fort capital culturel à l’image de Charles et fortement politisés. En effet, la majorité des habitants qui participent viennent surtout en tant que représentant d’association, de parents d’élèves ou sont des militants politiques actifs.
Participer et entretenir le système représentatif
16Au-delà des habitants et des acteurs publics, la majorité des participants sont de représentants d’associations œuvrant sur le quartier. « Qui participe ? Le plus souvent, les procédures de participation sont ouvertes aux résidents, ce qui exclut les populations qui, par exemple, ne font que travailler dans le quartier. Il serait pourtant nécessaire que toutes les personnes intéressées puissent participer. » (Fijalkow, 2013).
17Sur ce terrain, ces acteurs qui œuvrent sur le quartier ont été conviés par la responsable de la GUP qui a invité en priorité les associations avec lesquelles les équipes des pouvoirs publics travaillent. « Si les politiques de participation publiques doivent se comprendre comme des politiques de l’offre, elles ne s’imposent pas pour autant de manière homogène à la population et à ceux qui y prennent part, mais s’inscrivent dans un contexte et dans une rencontre avec des pratiques préexistantes. » (Petit, 2014). C’est pourquoi l’on rencontre tout d’abord l’association Rodène : elle se construit comme le véritable relai des pouvoirs publics en s’emparant activement des espaces et missions notamment ouverts à l’occasion de la rénovation urbaine. Présentée comme le « partenaire principal de la GUP » (Christine) elle a pour objectif non dissimulé de muter en véritable Centre social mais se heurte officiellement au manque de financement public. Depuis l’instauration du collectif, elle est essentiellement représentée par Roger : âgé d’une trentaine d’années, diplômé en sociologie, c’est le responsable de la médiation de nuit, il n’est pas issu du quartier.
18Nourdine, le président de l’association, lui aussi âgé d’une trentaine d’années, a grandi dans le quartier. Il commencera à participer au collectif aux alentours des élections départementales, il est en revanche toujours présent aux évènements du collectif auxquels assiste l’élue. L’association, dans de grandes difficultés financières du fait d’une gestion laxiste de l’ancienne direction, trop régulièrement couverte par l’élue territoriale, fait l’objet d’un redressement judiciaire. Nourdine est un soutien politique de l’élue. Il l’accompagne dans les réunions publiques durant ses campagnes depuis deux ans. Nous le croiserons également lors d’une « réunion privée spécial comoriens » (Aïcha, porte-parole de l’élue) dans un appartement d’une jeune femme issue de la communauté comorienne, organisée un samedi après-midi par la Secrétaire Générale de l’association Rodène, Aïcha, qui est également militante LR ; elle a été la porte-parole de l’élue durant sa dernière campagne électorale pour les départementales. Si la participation de Rodène au collectif semble assez logique au regard des missions qu’elle s’assigne dans sa stratégie de crédibilisation auprès des instances publiques, en revanche, la participation active de Nourdine aux réunions est un phénomène que l’on peut réellement relier à cette crise que traverse l’association. La condamnation de l’association a eu pour effet la nécessité d’une réduction drastique de ses activités et effectifs. Le refus de la CAF d’entretenir une subvention reçue depuis plusieurs années par l’association, à laquelle elle ne pouvait en principe prétendre, constitue un autre signal alarmant pour cette association dans ses rapports avec l’autorité publique. De plus, cette perte de financement atteste d’une certaine prise de distance de l’élue, or la survie de l’association dépend entièrement d’elle. Cette situation délicate pousse Nourdine à se visibiliser au maximum auprès de l’élue pour se constituer comme un acteur et un relai indispensable sur et pour le quartier.
19Une autre association en perte de crédibilité auprès des autorités publiques qui elle aussi semble s’emparer de ce processus comme un moyen de se visibiliser auprès de l’élue pour réactiver son soutien est une association comorienne : Ostracion. Cette association avait eu le puissant soutien de l’élue au moment de sa création. La communauté comorienne étant extrêmement importante sur le quartier des Moulins, il n’est donc pas étonnant que l’élue fasse un réel travail électoral envers celle-ci : expliquant notamment ces fameuses « réunions privées spécial comoriens » en période électorale. De plus c’est dans l’appartement de la nièce d’une des membres du bureau de l’association que s’était déroulée cette réunion politique pour Madame Estrosi. Or, cette association a fait l’objet de nombreuses rumeurs notamment sur le fait que ce serait une association visant au recrutement djihadiste.
« Vue de loin ben c’est une asso comme une autre, (plus bas) bon après y’a des rumeurs, […]
Que ce serait une association musulmane sectaire ! […]
Euh.…En tout cas, les faits c’est qu’ils existent depuis 2008 […] ils ont une activité intense connue de Côte d’Azur Habitat puisque le local a été euh inauguré en grandes pompes par l’élue au Social de la ville de Nice : c’est Madame Estrosi ! Donc on fait pas plus officiel comme inauguration ! Ca c’était en 2013 ! Et ils ont une activité intense depuis septembre 2014 qu’ils exercent en toute illégalité dans le local ! Parce que le local leur a été prêté pour être le siège de l’association mais pas pour recevoir du public, or c’est bourré de monde ! En tout cas pendant les vacances scolaires parce que je l’ai constaté de visu ! Voilà ça fait partie des…freins…pour nous ! A les accompagner ! »
21Malgré l’engagement politique pour l’élue durant la campagne, l’association n’obtiendra pas les subventions souhaitées. À cette période, les deux représentantes, pourtant très investies dans la démarche, font subitement défection en ne se rendant plus aux réunions du collectif. Les autres participants et notamment les représentants publics (comme le délégué du Préfet, le responsable à la politique de la ville ou le représentant de la CAF) ne cacheront pas leur déception vis-à-vis de leur attitude qu’ils analysent comme la résultante directe de ce refus de la part des pouvoirs publics. Ce que l’on peut analyser de l’attitude de ces associations, c’est qu’elles ont investi cette plateforme comme un moyen de se visibiliser auprès de l’élue, d’attester du rôle essentiel de la structure dans l’animation de la vie du quartier. On peut objectiver cela à l’attitude des représentantes d’Ostracion que l’on a vu réapparaitre lors de la réunion de restitution organisée pour présenter les évènements et travaux réalisés par le collectif aux élus. Cette réunion exceptionnelle où étaient présents plus d’une vingtaine de représentants publics (élus et décideurs), a fait suite à l’organisation d’une grande journée de consultation citoyenne organisée par le collectif qui avait, en février 2015, réunie 68 habitants et 11 acteurs associatifs et publics autour du thème « Agir et Vivre ensemble aux Moulins ! Parlons-en ».
22À cette occasion, les représentantes d’Ostracion qui avaient fait défection depuis plusieurs mois déjà, se sont vivement manifestées pour présenter la démarche aux élus. Lors de la réunion de restitution, l’une d’elles s’est puissamment visibilisée, se levant de sa chaise et interpellant directement les élus et notamment Madame Estrosi. Cette attitude, comme celle de Nourdine, semble traduire le degré avec lequel ces acteurs ont intégré la domination de l’élue sur le territoire. En investissant la plateforme participative, non pas comme une instance leur conférant sans truchement l’exercice de prérogatives politiques où ils auraient pu être force de proposition, mais comme un média d’accès à l’élue, ces individus ont eux-mêmes progressivement construit cet espace comme un relai de la représentante politique. De fait c’est bien l’intériorisation puissante de la domination de l’élue et plus largement du système représentatif qui a conduit ces acteurs associatifs à dévier de son usage et vider de sa substance cette plateforme de démocratie participative. Certains acteurs publics tentent simultanément de sauvegarder cette plateforme comme un véritable espace participatif citoyen. Ils luttent « de l’intérieur » en s’ingérant dans la sélection des participants.
Des tentatives de sauvegarde du projet participatif
23Participent également des représentants des pouvoirs publics. Il s’agit du responsable de la Politique de la ville, du représentant de la CAF, du délégué du Préfet pour la Politique de la ville. Certes, cela fait partie de leur mission, mais ces acteurs manifestent un réel intérêt pour la participation citoyenne. Les propos du délégué du Préfet en entretien ne font que confirmer nos observations quant à son investissement au sein du processus participatif.
« C’est vrai que, y’a une forme de philosophie dans la politique de la ville […] tu vois le fait comment on se mélange entre euh, enfin des habitants, des institutionnels, un bailleur et ça nous oblige chacun un petit peu à sortir de notre posture quoi […] […], c’est vraiment apporter un autre regard aux choses, sortir de sa posture, aller vers l’autre, être prêt à tester, à échanger, à échouer euh bon euh je sais, ça, ça me plait ! »
25En effet, le délégué du Préfet est réellement porteur de ce projet, il assiste à toutes les réunions et s’emploie activement à sensibiliser les habitants au fonctionnement des acteurs publics. Sur ce terrain, il agit de concert avec Etienne, le représentant de la CAF, qui lui aussi porte le projet participatif à bout de bras et semble initiateur de dynamiques similaires. Il avait par exemple mis en place « le café des partenaires » ayant pour objectif de réunir les associations du quartier visant à dynamiser le tissu associatif. Cela débordait largement le cadre de ses missions et il n’était d’ailleurs pas soutenu par sa hiérarchie dans cette initiative. Leur implication pour la réussite de la journée de consultation citoyenne s’inscrit dans cette dynamique. Durant cette « Assemblée Plénière », les participants étaient répartis en cinq groupes de débats autour du thème « Agir et Vivre ensemble aux Moulins, parlons-en ! ». Chaque groupe était représenté par un porte-parole. Ces porte-parole, devaient ensuite intégrer le collectif afin de préparer une réunion de restitution de cette journée devant les élus. Or, très rapidement deux de ces porteparole ont été évincés des réunions du collectif. C’est le cas d’Esra. Militante LR d’une trentaine d’années et mère de famille, elle possède un fort capital d’autochtonie (Retière, 2003), puisqu’elle a toujours vécu ainsi que tous les membres de sa famille dans le quartier. Nous pensions de prime abord que les interventions d’Esra sur un registre assez personnel et certaines de ses critiques contre l’association Rodène avaient eu raison de sa participation au groupe.
26En effet, lors de l’Assemblée Plénière, le groupe d’Esra avait remis en question publiquement « l’utilité » de l’association insistant sur « le manque de formation de ses membres » (Constats du groupe Bleu, porte-parole : Esra). Un vif échange à la réunion suivante du collectif entre Esra et Roger empêcha la finalisation de la synthèse des propositions des habitants. Par la suite, la nécessité « d’avancer sur la synthèse » a été le prétexte d’un tri des invitations, le collectif souhaitant se réunir en « petit comité » n’a pas convié ces nouveaux acteurs aux réunions suivantes. La décision a finalement été prise que la restitution devant les élus se ferait sans eux. Nous avions à ce moment-là analysé ce rejet comme démontrant la difficile ouverture d’une plateforme participative à ces apprentis citoyens : « ces nouveaux venus […] Transformant des lieux de discussion et des groupes de travail réels et potentiellement efficaces en réunions désordonnées et stériles, ils ruineraient la crédibilité du processus de concertation. » (Rui et Villechaise-Dupont, 2006). En effet, officiellement c’est bien sous le prétexte du manque de retenu et de l’individualisme d’Esra qu’elle a été évincée du groupe. Il en est de même pour l’autre porte-parole : Edouardo, qui s’exprimait aussi selon le groupe sur un registre personnel et ne semblait pas avoir pleinement saisi les enjeux de cette plateforme.
27Or, en poussant l’analyse nous avons réalisé que ces évictions étaient en fait impulsées par les acteurs publics participants notamment Hervé, et non par les acteurs habitants. En menant des entretiens semi-directifs avec Esra et Edouardo, nous avons découvert leur proximité avec l’élue. Militants LR, ils vivent tous les deux désormais à proximité du quartier dans des logements appartenant à CAH. Edouardo vit dans un duplex vue mer au dernier étage d’un immeuble récemment construit. Dans son salon trône une photographie où il pose sur la terrasse de cet appartement avec sa femme, sa mère, Madame et Monsieur Estrosi. Edouardo vivait aux Moulins depuis 1974. En termes de logement, Esra également bénéficie d’un logement neuf du bailleur à proximité du quartier. De plus, elle travaille directement pour l’élue à la Mission locale. Pourtant ce n’est en réalité qu’après l’entretien mené avec le délégué du Préfet que nous avons réellement compris la dynamique à l’œuvre derrière l’éviction de ces deux acteurs.
28L’entrée par la sélection permet de révéler l’action paradoxale d’un acteur public qui, pour sauvegarder le principe participatif, est allé à l’encontre de l’ouverture démocratique : l’un des principes de toute démarche participative. Car un élément essentiel est que l’action du technicien ne s’effectue pas tant par la lutte directe contre les stratégies et actions de l’élue mais plutôt contre les investissements d’acteurs citoyens qui ont puissamment intégré ce système et qui, selon lui, porte atteinte à la participation des habitants.
« Après c’est une femme de grande qualité (en parlant de Madame Estrosi), mais après si tu veux son système il a une forme de perversité parce que voilà parce que derrière il laisse la place à rien d’autre ! […] Ca, ça freine la participation des habitants ! »
30Ce que l’on peut analyser ici c’est la distance idéologique séparant un technicien de la politique de la ville, imprégné de conceptions acquises dans sa socialisation professionnelle et une élue locale qui assure une domination territoriale via un véritable système clientéliste quasiment institutionnalisé et tellement intégré par les acteurs locaux, qu’il ne « laisse la place à rien d’autre » (Hervé). L’intériorisation de cette domination est perceptible par les dynamiques de ces acteurs qui au lieu de s’emparer de cet espace pour éventuellement tenter de contourner la délégation politique, investissent cette plateforme pour entretenir la domination de la représentante. Plus largement, cela semble indiquer que la participation ne constitue pas une offre homogène, elle est investie différemment et dépend directement des caractéristiques et du contexte politique et social des territoires et des acteurs auxquels elle s’adresse. L’entrée par la mise en œuvre d’une politique publique semble devoir inévitablement prendre en compte le contexte – politique – local dans son analyse au risque d’une explication un peu courte concernant la distance potentielle entre une politique publique telle qu’élaborée et telle qu’appliquée.
31Comme le soulignait déjà Godbout en parlant de l’expérience québécoise, « Au Québec, l’expérience de la participation de ces dernières décennies conduit à une constatation troublante : la participation mène souvent à moins de démocratie, et non à plus de démocratie. » (Godbout, 1991). Sur ce terrain niçois, au vu de l’évolution du collectif il semble de plus en plus difficile que ce processus participatif puisse concurrencer le système mis en place par la représentante. En effet, l’ouverture du groupe ne cesse de se réaliser en direction d’individus qui sont clairement identifiés comme des militants LR. Le climat électoral, des élections départementales aux élections régionales, exacerbe leur activisme : on peut constater qu’ils s’emploient à un investissement actif de toutes les sphères d’animation de la vie sociale et politique du quartier. Ainsi, cette plateforme constitue bien un fort lieu de politisation d’acteurs locaux mais pas nécessairement aux fins initialement envisagées.
Bibliographie
Références / References
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Mots-clés éditeurs : gouvernance urbaine, système représentatif, sélection, politique publique, participation
Mise en ligne 24/12/2015
https://doi.org/10.3917/psud.043.0043Notes
-
[1]
Lieu d’information public relatif à la rénovation urbaine installé au cœur du quartier, il héberge l’équipe de la Gestion Urbaine de Proximité.
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[2]
Du moins jusqu’à la mise en œuvre de la rénovation. En effet le Plan de Rénovation Urbaine des Moulins (PRU) prévoit l’ouverture du foncier à de nouveaux bailleurs sociaux.
-
[3]
Les guillemets ici indiquent que c’est son appellation indigène : à la fois par les pouvoirs publics mais également par les habitants de la ville. Le paradoxe tient dans le fait que « le quartier des Moulins » est présenté comme appartenant au « quartier Saint-Augustin » par les mêmes acteurs. L’absence de statut électoral et administratif de la portion « quartier » en France en fait un objet aux contours flous et de fait, aux usages très variés (Authier et al., 2007).