Notes
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[1]
L’organisation Gestoras Pro Amnistía (Amnistiaren Aldeko Batzordeak) fondée en 1976 avait pour objectif de lutter pour la libération des prisonniers de l’ETA, ainsi qu’en défense de leurs intérêts et de ceux de leurs familles. Elle fut interdite en 2001, de même que le groupe Askatasuna qui lui avait succédé en 2002.
-
[2]
Amaiur a obtenu 7 députés lors des élections législatives du 20 novembre 2011, devenant la première force politique abertzale et dépassant le PSOE en Navarre à travers la coalition Nafarroa Bai.
-
[3]
En termes hobbesiens, la représentation est productrice d’unification collective : l’existence du souverain, seul représentant du peuple, fait exister celui-ci en tant que peuple (Hobbes, 2000 [1651]).
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[4]
On peut citer à titre d’exemple le propos d’Arnaldo Otegi qui déclara le 21 décembre 2005 lors de la cérémonie d’hommage public au militant de l’ETA décédé, José Miguel Beñaran (« Argala ») : « La gauche abertzale réunie ici est l’Euskal Herria, et c’est le futur de ce peuple », une synecdoque commode pour occulter la négation de la majorité du « peuple » basque (Casquete, 2010, p. 36).
-
[5]
Plus de 750 membres de l’ETA sont prisonniers en Espagne, en France et dans d’autres pays, pour un nombre estimé en 2013 de 150 militants encore actifs (CSPB, 2013).
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[6]
Hobbes ou Locke distinguent classiquement la « violence » et la « force » : « la force serait l’usage légitime de la coercition physique, et la violence serait l’usage illégitime de la coercition civile » (Zimmerman, 1983, p. 12). Mais comme le rappelle bien Philippe Braud, la distinction force légale/violence illégitime « creuse un fossé de légitimité entre l’usage institutionnalisé de la contrainte au service de l’ordre politique et les usages protestataires » (1993, p. 17).
-
[7]
Tedd Gurr définit quant à lui la violence politique comme « toute attaque collective lancée à l’intérieur d’une communauté politique, dirigée contre le régime politique, ses acteurs – les groupes politiques en compétition aussi bien que les représentants du pouvoir en place – ou ses politiques » (1970, pp. 3-4). Pour une critique des définitions, voir (Sommier, 2008b).
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[8]
Avec Isabelle Sommier, on peut ainsi considérer que plus qu’un groupe « terroriste », l’ETA a surtout cherché à exercer une « violence totale », entendue comme l’« exercice d’une violence aveugle à forte résonance spectaculaire frappant la population civile, suivant le principe de disjonction entre « victimes » (« non-combattants » et « innocents ») et « cible » (le pouvoir politique) (2000 ; 2008a, p. 17).
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[9]
Ces « cadres d’interprétation » décomposent les différents principes d’organisation qui structurent le discours de légitimation d’un mouvement » (ibid., 1992, p. 13). Ils permettent de « donner un sens aux événements, d’organiser l’expérience et de guider l’action, qu’elle soit individuelle ou collective » (Snow et. al., 1986, pp. 464-481).
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[10]
Tomás de Zumalacárregui y de Imaz (1788-1835) fut un général espagnol qui joua un rôle fondamental dans les guerres carlistes. Son personnage est particulièrement intéressant pour notre propos dans la mesure où il est désormais vénéré par le nationalisme radical (en tant que précurseur du mouvement de libération nationale et défenseur des fors), bien qu’il ait été célébré dans le passé par le carlisme comme figure du « traditionalisme » et résistant aux réformes libérales du début du xixe siècle, et même par le franquisme comme « précurseur du Mouvement National » (Casquete, 2009, pp. 136-137).
-
[11]
Communiqué de l’ETA, publié dans Egin, 21 mai 1980, cité in (Dominguez Irribaren, 2000, p. 328).
-
[12]
Par souci de véracité historique, il convient de noter ici que les actions de l’ETA firent 45 victimes de 1968 à 1975, s’intensifièrent après le retour à la démocratie (360 victimes de 1976 à 1983), puis connurent une diminution lente mais progressive, 275 de 1984 à 1991, 129 de 1992 à 2001, 20 de 2002 à 2010.
-
[13]
En 1974, l’accroissement des attentats aboutit à la scission de l’ETA en deux branches : (i) « l’ETA militaire » ou l’ETA(m), composée principalement d’exilés au Pays basque français qui considéraient que l’ETA devait être une organisation armée subordonnée à la direction idéologique de l’Alternativa Koordinadora Abertzale Sozialista (Alternativa KAS) ; (ii) « l’ETA politicomilitaire » ou l’ETA (p-m), composée surtout de militants vivant au Pays basque espagnol et qui considéraient que la lutte politique et la lutte armée devait être promue par la même organisation. En 1976 lors de sa VIIe Assemblée, l’ETA (p-m) privilégia la voie politique, subordonna la voie militaire à celle-ci et intégra la coalition nationaliste de gauche Euskadiko Ezkerra, alors que dans le mouvement inverse, en 1977, ses commandos spéciaux (bereziak) rejoignirent l’ETA(m). En 1978, la coalition Herri Batasuna, (considérée comme le bras politique de l’ETA(m) car elle refusa systématiquement de condamner la violence), fut formée par 4 partis : Herri Alderdi Sozialista Iraultzailea (Parti socialiste révolutionnaire populaire, HASI), Langile Abertzaleen Iraultzarako Alderdia (Parti révolutionnaire des travailleurs patriotes, LAIA), Euskal Sozialista Biltzarrea (Assemblée socialiste basque, ESB) et l’ANV. Dans la même mouvance se situaient les Gestoras Pro-Amnistía, le syndicat Langile Abertzaleen Batzordeak (LAB), le mouvement de jeunesse Jarrai (ensuite Haika et Segi), ainsi que l’Alternativa KAS. L’ETA (p-m) disparut en 1982 lors de l’amnistie gouvernementale et suite à la renonciation de ses membres à la violence politique.
-
[14]
Il est à noter qu’en juin 1937, l’armée républicaine du nord comptait alors un total d’environ 40.000 hommes, soit 81 bataillons, dont 37 nationalistes (28 PNV, 4 ANV, 3 ELA-STV, 2 Euzko Mendigoizale Batza) et 44 issus d’organisations républicaines ou ouvrières (14 PSOE-UGT, 9 Jeunesses Socialistes, 8 PCE, 7 CNT, 5 Gauche républicaine, et 1 Union républicaine) (De Pablo 2003, p. 121). Il apparaît ainsi clairement que non seulement les nationalistes étaient minoritaires, mais que les combattants de l’ANV l’étaient encore plus. De même, comme le souligne Bartolomé Bennassar, « il est peu probable que le souci, a priori étrange, de conserver l’identité politique des combattants, ait favorisé l’unité de commandement et d’action », ce qui va dans le sens de la thèse de la fragmentation croissante de la lutte (2004, pp. 203-204). C’est notamment ce que considérait le Président Manuel Azaña lorsqu’il déclara dans son journal du 31 mai 1937 : « Les nationalistes ne se battent pas pour la cause de la République, mais pour l’autonomie ou la semi-indépendance. Avec cette façon de penser, il est très probable que si Bilbao chute, et que le gouvernement autonome et le territoire basque sont perdus, les combattants disent que leur mission et leurs motifs de guerre sont terminés » cité in Casquete (2009, p. 141).
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[15]
Certains historiens mettent en effet en avant l’idée d’une structure bicéphale des troupes loyales au gouvernement autonome du Pays basque, les forces sous le commandement de l’armée républicaine du nord d’une part, et les bataillons nationalistes d’autre part, principalement du PNV mais aussi de l’ANV, qui constituaient « une armée dans l’armée basque » selon De la Granja (2003, p. 225 ; Núñez Seixas, 2006, p. 362).
-
[16]
La fête a été célébrée à la fin du mois de juin en 1991 et en 1997, mais aussi quelquefois lors du second dimanche de juillet, soulignant une fois de plus la malléabilité du calendrier nationaliste au gré des circonstances.
-
[17]
Source, site du PNV, [http://txorierri.eaj-pnv.eu/esp], consulté le 15 août 2013.
-
[18]
À l’occasion du Bizkargi Eguna de 2013, l’organisation Euskal Herriko Antifaxista Taldea écrivait ainsi sur son blog en référence aux gudaris : « Le meilleur hommage que nous pouvons leur rendre est de récupérer les idées pour lesquelles ils moururent il y a 76 ans et continuer la lutte » ; « Lutter contre le fascisme d’hier et d’aujourd’hui » ; ou encore, « Ils ont tout donné il y a 76 ans, maintenant c’est notre tour. Mémoire, dignité et lutte. Pas d’oubli, pas de pardon ! », [http://sareantifaxista.blogspot.fr/2013/05/bizkargi-eguna-luchando-contra-el.html], consulté le 12 septembre 2013.
-
[19]
« La Audiencia Nacional prohíbe el “Bizkargi Eguna” de Larrabetzu », EITB, radio-télévision basque, 5 avril 2013.
-
[20]
Tant l’affiche du document 2 que les photos du document 3 ont été constituées à partir du blog militant, [http://blogak.com/ajuriagogeaskoa/bizkargitik], consulté le 30 juin 2013.
-
[21]
Cf. [http://www.flickr.com/photos/larrabetzutik/sets], [http://larrabetzutik.org/2008/04/23/bizkargi-eguna-2008], consultés le 16 juin 2011.
-
[22]
El Correo, « Las celebraciones del Albertia Eguna », 10 juillet 2001.
-
[23]
El Correo, « ANV y el Bizkargi Eguna », 13 juillet 1998.
-
[24]
Miren Legorburu « Cientos de personas se reúnen para homenajear a los gudaris en el Albertia Eguna », El Correo, 15 juillet 2005.
-
[25]
Pour l’affiche de 2006, [http://etengabe.blogsome.com], et celle de 2010, [http://trapagaranaurrera.blogspot.com/2010], consulté le 21 juin 2011.
-
[26]
« EAE-ANV convierte Albertia en espejo de dos épocas y una misma lucha », Gara, 12 juin 2006.
-
[27]
« ANV anuncia los actos del Albertia Eguna », Gara, 10 juin 2006.
-
[28]
« Tensión en el último adiós a Pako Gallaga, miembro de ANV », Gara, 5 août 2007.
-
[29]
Photos consultables publiquement sur le site [http://flickrhivemind.net/tags/bizkargi,gudariak/Timeline], consulté le 25 septembre 2013. Les personnes ont été floutées par l’auteur.
Introduction : le nationalisme basque radical comme mouvement social
1Les travaux sur le nationalisme radical s’intéressent surtout à l’idéologie, à l’organisation et à la stratégie des organisations indépendantistes (Domínguez Iribarren, 1998 ; Elorza et al., 2002). Dans le cas basque, il convient de différencier : (i) la branche militaire, l’Euskadi Ta Askatasuna (ETA, « Pays Basque et Liberté ») ; (ii) la branche politique de la gauche abertzale (« patriote ») incarnée par Herri Batasuna (HB ou « Batasuna » ci-après) de 1978 à 2003, et désormais par Euskal Herria Bildu (au Pays basque) et Amaiur (au niveau national) ; (iii) et enfin, le nationalisme modéré du Partido Nacionalista Vasco (PNV) qui vise l’indépendance mais ne refuse pas l’autonomie régionale. Mais le nationalisme basque ne se limite pas aux organisations politiques qui le représentent : il constitue d’abord un mouvement social, à savoir « un ensemble de réseaux informels d’organisations collectives et d’acteurs individuels qui partagent des valeurs, se mobilisent autour d’enjeux conflictuels et ont recours à différentes formes de protestation » (Neveu, 2011, p. 7). À travers l’étude de l’utilisation politique du sigle de l’ANV et de la réinterprétation du sens des cérémonies mémorielles du Bizkargi et de l’Albertia Eguna, cet article est une contribution à l’analyse des logiques de reproduction sociale du nationalisme basque « radical », considéré comme tel en ce qu’il légitime – ou pour le moins ne condamne pas – l’usage de la violence politique, et développe un programme « révolutionnaire » qui « cherche à attaquer le pouvoir d’État suivant une idéologie de changement social radical » (Sommier, 2008a, p. 19).
2Les frontières séparant la légitimation, le soutien implicite ou le rejet de la violence demeurent toutefois poreuses, comme l’ont montré les trajectoires ambigües de Batasuna et de l’Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV, ci-après « ANV ») jusqu’à leurs interdictions en 2008. Le rôle des herriko tabernas, ces bars où se réunissent les sympathisants abertzales, dans le recrutement militant, ou celui des associations pro-amnisties qui militent pour que les membres de l’ETA soient considérés comme des « prisonniers politiques », illustrent à des degrés divers des volontés de légitimation de la violence [1]. Les campagnes clandestines d’affichage de photos de membres de l’ETA, considérées par la loi comme des « apologies du terrorisme » ; l’usage de la kale borroka, la lutte de rue, pour médiatiser et « rendre réel » des affrontements avec la police et l’État ; ou les funérailles et commémorations en l’honneur des « martyrs » de la cause nationaliste, sont autant d’exemples où l’indépendantisme flirte d’une manière ou d’une autre avec la légitimation de la violence (Van den Broek, 2004, pp. 714-736 ; Aretxaga, 1988). Mais depuis le cessez-le-feu de l’ETA en janvier 2011, l’évolution inverse est aussi observable : Eusko Alkartasuna (EA), qui condamne la violence et incarne un indépendantisme social-démocrate depuis 1987, a ainsi attiré deux autres formations (Aralar et Alternatiba) vers l’indépendantisme démocratique et le rejet de la violence dans la coalition Amaiur [2].
3Peu de travaux portent sur le versant plus subjectif et symbolique des modalités de légitimation de la violence dans la reproduction sociale du nationalisme basque (Casquete, 2009). En s’appuyant sur l’utilisation politique de la mémoire des gudaris (« soldats ») de l’ANV, de même que sur les festivités populaires du Bizkargi et de l’Albertia Eguna et la symbolique de leurs affiches, cet article propose une analyse socio-historique exploratoire du détournement par le nationalisme radical du sens historique associé à ces commémorations. Comment et à travers quels usages symboliques les nationalistes radicaux célèbrent-ils la mémoire des combattants de la guerre civile ? Quelles sont les fonctions de ces célébrations ? La thèse de cet article est que la célébration de la mémoire des combattants de la guerre civile joue le rôle d’un mythe historique fondateur utilisé afin de pérenniser la radicalité et la cohésion du groupe social nationaliste, tout en maintenant une certaine ambiguïté vis-à-vis de l’usage de la violence. Notre propos se scinde en quatre temps complémentaires.
4La première partie présente le cadre théorique et les trois hypothèses de l’analyse sur la fonction identitaire des célébrations, leur rôle dans la légitimation de la violence et la création d’une mémoire historique alternative. La deuxième partie souligne le rôle méconnu de l’ANV dans la légitimation historique du nationalisme radical et la création d’un lien symbolique entre les gudaris d’hier et les « combattants » d’aujourd’hui. La troisième partie retrace les origines historiques et le déroulement des festivités du Bizkargi et de l’Albertia Eguna, et la quatrième partie se focalise sur la symbolique et l’utilisation politique de la mémoire sur les affiches de ces festivités. La conclusion discute les apports de l’étude sur le rôle des facteurs symboliques dans la reproduction sociale du nationalisme.
La reproduction sociale du nationalisme basque radical : un cadre d’analyse
5La thèse de cet article est que la célébration de la mémoire des combattants de la guerre civile constitue un mythe historique fondateur utilisé afin de pérenniser la radicalité et de légitimer la violence politique tout en facilitant la cohésion du mouvement social nationaliste radical. Trois dimensions analytiques complémentaires méritent ici d’être précisées : les logiques de création et de maintien d’une identité collective radicale ; la légitimation de la violence ; et les usages sociaux de la mémoire.
Mobilisations nationalistes et identité collective
6Dans l’explication du recours aux festivités historiques et aux figures des gudaris, le paradigme identitaire possède une portée explicative en ce qu’il renvoie à « des mobilisations sans buts matériels, à forte dimension expressive, qui s’expliquent par l’existence ‘d’incitations de solidarité’ permettant à un individu de se rattacher à une collectivité de référence lors d’une mobilisation et de renforcer son identité en conformant une partie de ses actes avec ses valeurs » (Hassenteufel, 1991, pp. 5-27 ; 1993, pp. 101). L’une des hypothèses de cet article est ainsi que les célébrations mémorielles nationalistes permettent la construction d’une identité collective, à savoir d’« une définition partagée, construite et négociée par l’activation répétée des interrelations entre les individus, d’un champ d’opportunités et de contraintes offerts par l’action collective » (Melucci, 1989, pp. 793).
7Les célébrations du Bizkargi et de l’Albertia Eguna ont en effet une dimension symbolique : elles concrétisent l’existence du groupe nationaliste radical et marquent son aspiration à la reconnaissance sociale [3]. En représentant les gudaris et les membres de l’ETA en martyrs historiques, les célébrations et les tracts nationalistes instituent des représentants et facilitent la construction d’un groupe social unifié de représentés. La symbolique de la représentation participe de la construction de l’identité collective, puisque l’existence du représentant condense et fonde celle du groupe [4]. Dans ces moments de communion, la création de l’identité collective du nationalisme radical « n’est pas seulement une ressource instrumentale pour créer des solidarités de groupe, mais est aussi une fin en soi, un achèvement culturel » (Fillieule, 1993, p. 40).
Contraintes structurelles et opportunités politiques : de la difficulté à légitimer la violence
8Notre deuxième hypothèse est que les célébrations mémorielles du nationalisme radical permettent le maintien d’une ambigüité à l’égard de l’usage de la violence politique et facilitent donc sa légitimation. La théorie de la mobilisation des ressources considère que « la structure des opportunités contraint le comportement des mouvements sociaux » (Kitschelt, 1991, p. 334). L’effort de formulation des tensions nationalistes avec l’État espagnol est donc pris dans un système de contrainte lié aux lois antiterroristes et à la répression [5]. Puisque la violence politique est réprouvée par la culture dominante et que l’État espagnol et les médias renvoient une image négative et illégitime du nationalisme basque radical, la violence est requalifiée et revalorisée au sein de ce groupe social suivant un processus de « retournement de stigmate », comme une réponse défensive à la violence d’État (Goffman, 2011 [1975]). Les théories de l’apprentissage rappellent que la violence est « un comportement appris qui est tendanciellement exclu ou favorablement accueilli suivant les cultures et les sous-cultures » (Sommier, 2008a, p. 12). Dans la mesure où « l’engagement dans l’action collective n’est pas réductible à un calcul rationnel mais procède par identification », la diffusion de justifications historiques, normatives et instrumentales facilite la légitimation de la violence (Pizzorno, 1990, p. 79 ; Gurr, 1970).
9Suivant sa définition la moins normative, la violence peut être définie comme « un comportement visant à infliger des blessures aux personnes ou des dommages aux biens » (Gurr, 1969, p. 443) [6]. La violence politique caractérise « les actes violents qui ont une signification politique, c’est-à-dire qui modifient la conduite des protagonistes dans une situation de négociation qui a des conséquences pour le système social » (Nieburg, 1969, p. 13) [7]. Olivier Filieule a montré que les logiques médiatiques peuvent « transformer la carrière des mouvements sociaux en contribuant à leur ascension ou en les discréditant » (1993, p. 31). En tant que « mouvement contre-culturel » stigmatisé par les autorités politiques et les médias, le nationalisme basque radical cherche à accroître sa légitimité et à justifier l’usage de son répertoire d’actions non-conventionnelles (Duyvendak, 1997, p. 67) [8]. La théorie de la mobilisation des ressources suggère que « les groupes disposant de peu de moyens d’accès à l’agenda politique et/ou en position de déclin social ont plus souvent recours à l’action collective » (Fillieule, 1997, p. 152). Citant le cas basque, Filieule souligna que plus un groupe social est « minoritaire (en termes de puissance sociale) », plus la propension de recourir à la violence augmente « car ces groupes ne craignent pas de se couper d’une “base” déjà inexistante ou unanimement d’accord sur la stratégie à mettre en œuvre » (Ibid., p. 153). Ted Gurr a aussi montré que la conduite agressive de certains groupes sociaux en déclin constitue la réponse à une « frustration relative », à savoir la perception subjective (et non une situation objective) d’une différence entre des attentes et l’évaluation d’une situation sociopolitique (1970). L’absence de concessions, de solution négociée et un sentiment exacerbé d’injustice, facilitent le passage à la violence qui joue une fonction idéologique de « réarmement moral » pour les groupes touchés dans leur existence même, dans leur légitimité : « en rendant réel l’affrontement, la violence dramatise une situation comme injuste et conteste les représentations dominantes en termes de fatalité » (Montlibert, 1989, p. 122).
Usages sociaux de la mémoire et communication persuasive
10Enfin, notre troisième hypothèse est que le recours à la figure des gudaris par les radicaux joue un rôle fondamental dans le « détournement de sens » des célébrations de la mémoire des combattants de la guerre civile, créé un lien générationnel fictif entre les gudaris d’hier et les membres de l’ETA d’aujourd’hui, et facilite donc la légitimation de l’engagement collectif. Par « détournement de sens », nous entendons « la génération et la diffusion d’une contre-histoire » de la lutte indépendantiste (Klandermans, 1991, pp. 17-46). En effet, pour légitimer sa cause, « il faut que le mouvement sache la mettre en scène » à travers un travail de manipulation symbolique propre à renforcer l’engagement militant (Mercier, 1993, p. 256). C’est en ce sens que la mémoire des anciens combattants de la guerre civile constitue une « ressource politique » pour le nationalisme radical dans la mesure où sa réappropriation participe de la légitimation du maintien d’une stratégie de résistance et de lutte armée. Replacer l’« engagement exemplaire des membres de l’ETA » dans la « longue durée » et l’histoire du nationalisme basque permet ainsi de revaloriser cet engagement controversé et de lui apporter une reconnaissance sociale (Braudel, 1985, pp. 44-61).
11Ces « usages sociaux » de la mémoire participent ainsi à la communication persuasive du nationalisme basque radical : en effet, lorsque les valeurs et les buts défendus par un groupe social minoritaire sont antithétiques de ceux défendus par la société, il est essentiel pour le groupe considéré de formuler de nouveaux « cadres d’interprétation », de « répandre de nouvelles valeurs opposées à l’idéologie dominante » (« frame transformation ») (Gamson, 1992) [9]. Ces cadres d’interprétation permettent ainsi d’« influencer la réalité perçue et de renforcer la persuasion des individus, un déterminant clé de la participation » (Klandermans, 1984, p. 584). Le nationalisme basque radical fonde ainsi son discours sur un « cadre d’injustice » présentant l’action de l’État espagnol à l’égard du peuple basque comme inique et violente, ce qui justifierait donc le recours à des modes d’action non conformes aux lois de cet État. Il requalifie l’identité des membres de l’ETA comme les successeurs des gudaris de la guerre civile, comme des « combattants de la liberté ».
Pour une approche socio-historique des commémorations et des affiches politiques nationalistes
12D’un point de vue méthodologique, cet article propose une analyse socio-historique exploratoire des commémorations et des affiches politiques du nationalisme basque radical. D’abord, une commémoration est « une cérémonie officielle organisée pour conserver la conscience nationale d’un événement de l’histoire collective et servir d’exemple et de modèle » (Nora, 1997b, p. 25). En commémorant la mémoire des gudaris de la guerre civile, le Bizkargi et l’Albertia Eguna contribuent à célébrer le souvenir de ce que Pierre Nora considère comme des « hommes-mémoire » qui structurent la transmission de la mémoire collective nationaliste (1997a, p. 15). S’interroger, par l’analyse de la genèse de ces commémorations, sur les manières avec lesquelles le nationalisme radical cherche à utiliser la figure historique des gudaris afin de légitimer la violence politique, renvoie ainsi à l’analyse des processus de « concurrence mémorielle » (Grandjean & Jamin, 2011). En détournant le sens historique originel que le PNV avait donné aux festivités du Bizkargi et de l’Albertia Eguna, les nationalistes radicaux s’inscrivent dans un processus de concurrence mémorielle, qui implique que « des groupes attachant des significations différentes à un même événement se disputent pour obtenir le monopole d’un lieu de mémoire » (Esquerre & Truc, 2011, p. 7).
13De plus, les affiches politiques demeurent peu étudiées en science politique ou elles conservent encore le « statut dévalorisé de l’illustration » (Favre, 1991, p. 245). Quelques travaux, de Michel Offerlé sur l’iconographie du suffrage universel ou de Pierre Lefébure sur la réception de la contestation syndicale à travers les dessins de presse, attestent pourtant de l’intérêt de reconsidérer les images et les affiches en tant que supports d’authentiques actes de communication politique (Offerlé, 2001, pp. 108-130 ; Lefébure, 2001, pp. 77-90). Comme le souligne Alexandre Dézé, on ne saurait comprendre les affiches politiques que du point de vue de leur matérialité, sans analyser « le contenu de leur message et les conditions sociales de leur production » (2001, p. 313). Une approche socio-historique des affiches politiques du nationalisme basque radical permet de réintroduire dans l’analyse des éléments traditionnellement peu étudiés. À travers l’exemple des affiches de convocation du Bizkargi et de l’Albertia Eguna, cet article se focalisera ainsi non seulement sur leurs « actants », mais aussi sur ce qui se joue dans l’interaction entre les « acteurs » que sont les émetteurs et les récepteurs, en l’occurrence l’ANV (et les Gestoras pro-amnistía) et leurs publics.
Le nationalisme radical et la recherche de légitimité historique : l’exemple de l’ANV
14Les nationalistes radicaux développent une stratégie de communication politique afin de justifier la lutte d’aujourd’hui en la présentant comme la continuité du combat des soldats basques de la guerre civile. La symbolique fut présente dès la fondation de l’ETA à Deva en 1958, suite à l’expulsion de membres du groupe Euzko Gaztedi Indarra (EGI), les jeunesses du PNV, et leur fusion avec le groupe d’étudiants Ekin fondé en 1952 (Jauregui, 1981, pp. 5-10). Stratégiquement, afin de forger l’idée que l’organisation continuait la lutte « historique » du nationalisme basque, le nom « ETA » fut utilisé pour la première fois le 31 juillet 1959, le jour même du 64e anniversaire de la fondation du PNV par Sabino Arana en 1885. L’ETA appela à la lutte armée afin d’obtenir l’indépendance de l’« Euskal Herria » (le Pays Basque français et espagnol), déclarant « reprendre le flambeau de ceux qui moururent en 1936-1937 pour notre indépendance et continuer le chemin » (VVAA, 1979, p. 502). Ainsi, dans l’interprétation de la mouvance nationaliste radicale, comme le justifie l’historien et ancien dirigeant de Batasuna José María Lorenzo Espinosa, « la violence n’est pas quelque chose de conjoncturel ou qui est apparue lors de notre génération. Nous l’avons héritée des époques antérieures. Elle s’est transmise sous diverses formes depuis plus d’un siècle » (1996, p. 276).
15La première action violente de l’ETA le 18 juillet 1961 fut empreinte d’une symbolique de résistance à la célébration de la « mémoire officielle » : il s’agissait de faire dérailler un train de volontaires franquistes voyageant vers Saint-Sébastien afin de « commémorer » le début de la guerre civile (Sanchez, 2010, p. 156). L’exaltation de la figure du gudari trouve son origine lors de la Ière Assemblée de l’ETA qui fut célébrée dans le monastère de Belloc en France en mai 1962. Plusieurs principes furent décidés : mettre en avant les « grands événements de l’histoire basque comme autant de bornes d’un processus de construction nationale » ; réviser la conception intégriste originelle de Sabino Arana « en valorisant la langue basque » plus que la « race » ; affirmer le caractère non-confessionnel de l’organisation et son idéologie révolutionnaire, socialiste et indépendantiste (Alcedo, 1996, pp. 24-25).
16Lors de la Ve Assemblée (1966-67), la « culture » et donc la réappropriation de l’histoire, fut considérée comme l’un des quatre « fronts » (avec les fronts politique, militaire et économique), devant permettre à l’organisation de poursuivre ses objectifs (Elorza et. al., 2002, p. 45). Depuis lors, cette posture défendant une continuité entre les actions contemporaines de l’ETA et la lutte des gudaris historiques des xixe et xxe siècles constitue une constante du discours nationaliste radical : « L’ETA n’existait pas il y a 150 ans, ni même il y a 44 ans. Mais de nombreux précédents existèrent comme Zumalacárreguil [10], le curé Sainte-Croix et même le PNV qui, durant les deux guerres carlistes et en 1936, prirent fermement les armes » [11].
17L’ETA recevait initialement l’appui d’une partie de l’opinion espagnole, qui la considérait comme une opposition au franquisme. L’opération « Ogro » qui permit d’assassiner Luis Carrero Blanco le 20 décembre 1973, accéléra la déliquescence du régime (Tusell, 1993, pp. 4-7). Pour autant, à rebours de la condamnation de la violence par le PNV dès 1964, l’ETA intensifia celle-ci à partir de 1978 une fois la démocratie réinstaurée ; ce qui lui fit perdre progressivement l’appui de l’opinion publique (De Pablo et. al., 1998, p. 141) [12]. Depuis la transition, le nationalisme radical mène toutefois une lutte symbolique, pas seulement pour justifier sa cause et sa stratégie envers l’opinion publique, mais aussi afin de disputer au nationalisme modéré du PNV, la légitimité de la continuité de la lutte historique du nationalisme basque. Afin de ne pas laisser le champ libre à l’ETA militaire, l’ETA politico-militaire approuva la création de la coalition HB en 1978, dont elle chercha à influencer la ligne politique, tout en utilisant la légitimité historique que conférait le parti ANV à la coalition (Fernandez Soldevilla, 2010, pp. 71-103) [13].
18Dans la tentative d’établir des liens historiques dans la légitimation ouverte ou implicite de la violence, le rôle central de l’ANV depuis la transition doit être souligné, alors même qu’il s’agit d’une formation pourtant paradoxalement méconnue. La dérive radicale de ce parti l’a en effet conduit à être utilisé par HB afin d’établir un pont entre les gudaris de la guerre civile et les combattants de l’ETA, en s’appuyant sur le statut dont il hérita de la guerre, celui d’un parti nationaliste démocratique « historique » concurrent du PNV. L’ANV a été instrumentalisée par les radicaux depuis 1978, ces derniers utilisant sa légitimité historique afin d’obtenir la légalisation de la coalition HB. Historiquement, l’ANV fut fondée le 30 novembre 1930 suite à une scission de l’aile gauche du PNV. L’alliance est apparue de nouveau lors de la transition, connaissant une dérive radicale qui conduisit à son interdiction par le Tribunal Suprême le 16 septembre 2008 pour avoir joué le rôle de « couverture » du nationalisme radical lors des élections municipales de 2006 suite à l’interdiction de Batasuna.
19L’ANV était initialement un parti de gauche, républicain et indépendantiste qui émergea suite au Manifeste de Saint-André signé par Tomás Bilbao, Justo Gárate, Anacleto Ortueta et Luis Urrengoetxea, qui s’opposèrent à la réunification du PNV à la suite de l’Assemblée de Vergara du 16 novembre 1930, puisque celui-ci était alors divisé depuis 1921 entre l’autonomisme incarné par la Comunión Nacionalista Vasca et l’indépendantisme d’Aberri. Les militants de l’ANV contestaient le cléricalisme, le confessionnalisme et le positionnement de centre-droit du PNV (Renobales, 2005, pp. 17-20). Ils défendaient la laïcité, ce qui amena le parti à rejeter le statut d’Estella du 14 juin 1931 qui avait souligné l’influence des carlistes navarrais, tout en se présentant comme des sociaux-démocrates dans leurs quotidiens Acción Nacionalista (1932-33) puis Tierra Vasca (1933-37) édités à Bilbao. Indépendantiste, l’ANV souligna néanmoins son pacifisme, son caractère démocrate et son attachement à la Constitution en s’alliant aux républicains et aux socialistes afin d’obtenir un statut d’autonomie, tout en participant au premier gouvernement basque durant la IIe République.
20L’ANV constitua un exemple typique de « nationalisme hétérodoxe » prônant clairement l’indépendance, mais suivant une politique possibiliste qui l’amena à intégrer le Front Populaire et à approuver le statut d’autonomie d’octobre 1936 : le choix des moyens pacifiques et du respect de la Constitution républicaine, conduisit le parti à rejeter avec le PNV la proposition du groupe radical Jagi-Jagi de former un front commun indépendantiste (De la Granja et Fernández Soldevilla, 2012, pp. 195-219). Pour autant, contrairement à l’engagement timoré du PNV, l’ANV s’engagea clairement en faveur de la République et de l’autonomie basque durant la guerre civile : quatre bataillons de gudaris d’ANV (environ 2500 soldats, dont 400 périrent) luttèrent vaillamment au sein de l’Armée basque, notamment lors de la bataille de Villareal autour du mont Albertia. Contrairement aux troupes et aux ministres du PNV, les gudaris d’ANV ne se rendirent pas suite à la chute du Pays basque, si bien que Tomás Bilbao remplaça Manuel Irujo en 1938 dans le gouvernement basque en exil et qu’ANV fut « la force nationaliste la plus touchée par la guerre », mais aussi celle qui en sortit avec le plus de légitimité (Vargas Alonso, 2002, p. 546). L’ANV fut ensuite proscrite par la dictature et fit partie de l’ensemble des gouvernements basques en exil jusqu’en 1979.
21Lors de sa sortie de la clandestinité en 1977, l’ANV chercha à tirer profit de sa légitimité historique en tant qu’organisation indépendantiste « résistante » durant la guerre civile, mais le parti demeurait inconnu des nouvelles générations nationalistes, de telle sorte que ses difficultés face à l’hégémonie retrouvée du PNV (l’ANV obtint seulement 1 % des voix lors des élections de 1977), engendrèrent sa radicalisation. Son intégration à HB en 1978 symbolisa la prise de pouvoir des militants de l’intérieur dirigés par Josu Aizpurua sur Gonzalo Nárdiz et les dirigeants historiques du parti en exil. La « nouvelle ANV » intégra HB, une coalition qui ne condamna pas ouvertement la violence, et au sein de laquelle elle demeura très minoritaire sans parvenir à influencer sa ligne politique. La « légitimité historique » de l’ANV fut utilisée par HB et ses organisations successives afin d’obtenir leurs légalisations malgré des positions ambigües sur le recours à la lutte armée : malgré l’évidence des divergences historiques, le sigle de l’ANV et son indépendantisme démocratique passé permirent de maintenir un lien historique et émotionnel fictif entre la nouvelle gauche abertzale et les gudaris nationalistes de l’ANV qui luttèrent au côté de la IIe République. Le positionnement socialiste radical de « la nouvelle ANV », son ambigüité sur l’usage de la violence et son rejet des alliances avec d’autres forces tels que les socialistes, n’avaient pourtant rien à voir avec la posture social-démocrate, le respect de la Constitution, l’usage de la violence uniquement contre le soulèvement autoritaire et l’alliance avec les forces républicaines et socialistes de l’« ANV historique » sous la IIe République.
22C’est en cela que le rôle de l’ANV a été central dans l’affirmation d’un lien historique symbolique, puisque les radicaux ont abondamment utilisé l’image d’une continuité entre les gudaris de l’« ANV historique » de la guerre civile et les combattants de l’ETA, présentés comme les nouveaux gudaris d’aujourd’hui. Au-delà de la faiblesse de ses résultats électoraux et de sa base militante, ce petit parti a joué un rôle essentiel, même si le positionnement de la « nouvelle ANV » n’a évidemment rien à voir avec celui de l’« ANV historique ». D’une part, l’histoire et le sigle de l’ANV ont constitué une « ressource politique » qui a permis au nationalisme radical d’entrer en confrontation avec le nationalisme du PNV pour l’appropriation du passé. D’autre part, l’ANV a offert un antécédent légitime dans la lutte armée aux radicaux d’aujourd’hui, étant utilisée à ses dépens comme « couverture » à la légitimation de la violence et à la sacralisation des figures des combattants de l’ETA au nom d’un prétendu héritage.
Les origines historiques et le déroulement des festivités du Bizkargi et de l’Albertia Eguna : 1937 et les gudaris de la guerre civile
23Les deux fêtes du Bizkargi Eguna et de l’Albertia Eguna, constituent un point d’entrée intéressant pour considérer les détournements mémoriels opérés par le nationalisme radical. La mémoire joue en effet un rôle central dans le processus de formation d’une identité et d’« invention des traditions d’un groupe social » (Hobsbawn & Ranger, 2006 [1983], p. 15). Dans le cas basque, la mémoire du massacre de Guernica (26 avril 1937), constitue le symbole de la répression brutale entreprise par ce qui deviendra l’État dictatorial espagnol de 1939 à 1975 (Raento & Watson, 2000, pp. 707-736). Le Bizkargi et l’Albertia Eguna commémoraient à l’origine la mémoire des gudaris basques morts lors de la guerre civile et la défense du territoire face à l’insurrection franquiste. Ces fêtes constituent donc des célébrations « basques » dans le sens où, bien que les nationalistes – tant modérés que radicaux – y soient les plus attachés, elles font partie de l’histoire politique du Pays basque. Ces deux dates historiques jouaient donc initialement un rôle intégrateur dans la société basque, tout en demeurant dépersonnalisées puisqu’elles célèbrent les résistants basques en général, sans établir le culte de personnalités particulières.
24L’intérêt de l’étude de ces deux festivités est lié au fait que les radicaux ont détourné leurs significations originelles : la célébration des « gudaris d’hier » qui ont fait allégeance à la IIe République et résisté à la dictature franquiste, est mise sur le même plan que la célébration des « combattants d’aujourd’hui », les membres de l’ETA, qui lutteraient pour la même cause nationaliste face à l’oppression de l’État espagnol.
25Parallèlement aux manifestations ou à la lutte de rue (« kale borroka »), les festivités nationalistes, tout comme les funérailles (ou les anniversaires de la mort) de militants historiques, jouent le rôle intégrateur de « rituels politiques de résistance » (Del Valle, 1994, p. 23). Les membres de l’ETA sont assimilés aux résistants nationalistes antifranquistes dans une même tentative de réécriture de l’histoire que celle qui voudrait assimiler la « nouvelle ANV » à l’« ANV historique ». La réappropriation des festivités du Bizkargi et de l’Albertia Eguna traduit une tentative de détournement de l’histoire afin d’utiliser la remémoration des gudaris d’hier pour justifier le culte aux membres de l’ETA décédés dans des actions violentes, en les présentant comme autant de « compatriotes morts violemment dans le processus de libération national » (Zabalza, 2000, p. 14).
26Le Bizkargi Eguna est célébré chaque année le 3 mai ou le dimanche postérieur sur le mont Bizkargi près du village de Larrabetzu dans la province de Vizcaya. Il s’agit de la commémoration d’une bataille qui vit s’affronter les gudaris nationalistes et les troupes républicaines qui formaient l’Armée basque contre les requetés (miliciens carlistes navarrais) de la Comunión Tradicionalista aidés par l’aviation allemande, avant que les troupes franquistes conquièrent Bilbao le 19 juin 1937, symbolisant la dissolution du gouvernement autonome. La Navarre constituait alors « la province espagnole la plus enthousiaste en faveur de la rébellion » franquiste, la droite ayant obtenu 69,7 % des voix lors des élections de 1936 (Candano, 2006, p. 32). Environ 120 soldats loyaux à la cause républicaine perdirent la vie durant cette bataille, étant encerclés par les troupes franquistes malgré leur repli stratégique dans le maquis du mont Bizkargil [14]. Aujourd’hui encore, l’historiographie diverge quant à la question de savoir si les gudaris voulaient réellement défendre la cause de la République ou s’ils se mobilisèrent uniquement dans la défense de leurs intérêts nationalistes.
27Alors que certains auteurs considèrent que les nationalistes défendirent activement la République, d’autres évoquent un engagement partiel. Santiago De Pablo considère que les nationalistes modérés du PNV montrèrent « peu d’enthousiasme pour la République », là où Xosé-Manoel Nuñez Seixas défend que les nationalistes « luttaient seulement pour la liberté de l’Euskadi » (De Pablo, 2003, p. 117 ; Nuñez Seixas, 2006, p. 55). Malgré un enthousiasme relatif pour la République et une préférence pour l’indépendance, la loyauté des gudaris nationalistes à l’égard de la IIe République fait néanmoins consensus. À partir du moment où la déroute militaire fut quasiment certaine, un clivage apparut toutefois entre les gudaris du PNV qui se rendirent pour la plupart, et ceux de l’ANV dont beaucoup continuèrent la lutte. C’est sur cette fondation historique, quoique souvent contestée, que le nationalisme radical tente de contester l’hégémonie du PNV quant à la réappropriation du passé et à sa représentativité de la frange « résistante » du nationalisme [15].
28La seconde fête populaire liée à la guerre civile est constituée par l’Albertia Eguna, qui est désormais célébrée tant par les nationalistes modérés que radicaux lors du premier dimanche de juillet, et qui commémore les affrontements de la « bataille de Villareal » qui eurent lieu entre le 30 novembre (par ailleurs la date anniversaire de la formation de l’ANV en 1930), et le 24 décembre 1936 autour du mont Albertia et du village de Villareal en Álava (Salgado, 2007) [16]. La célébration de l’Albertia Eguna fut transférée au mois de juillet par le PNV suite à la transition en raison du climat et pour une cause de commodité, ce qui souligne bien la malléabilité des reconstructions historiques. Villareal se situait sur une zone stratégique pour le contrôle du chemin de fer en direction de Paris, mais aussi des trois routes conduisant à Vitoria-Gasteiz depuis Bilbao, Durango et Mondragon (Casquete, 2009, p. 142).
29L’État-major du Gouvernement basque dirigé par José Antonio Aguirre (PNV) depuis sa constitution le 7 octobre 1936 (suite à l’approbation du statut d’autonomie le 1 octobre), et le chef de l’État-major de l’Armée républicaine du nord, Francisco Ciutat, mirent en œuvre une offensive qui mobilisa 15000 hommes regroupés en 29 bataillons, mais qui se solda par un échec : les 700 soldats rebelles d’Álava dirigés par le colonel Camilo Alonso Vega reçurent le soutien décisif de 7000 phalangistes venus de Madrid, de requetés et de mercenaires marocains qui inversèrent l’équilibre initial des forces (ibid., p. 143). Les combats engendrèrent environ 1000 morts et 3300 blessés du côté des républicains et des nationalistes basques, ce qui força leur repli au profit des troupes franquistes et qui symbolisa le début de la fin du gouvernement basque autonome et de la République, qui culmina finalement avec la chute de Bilbao le 19 juin 1937 (Salgado, 2007, p. 207). Plus précisément, c’est la mort de 300 résistants, tous membres du bataillon Euzko Indarra de l’ANV, dans la pinède de Bechina sur le mont Albertia lui-même, qui constitue l’antécédent historique dont les nationalistes radicaux cherchent à entretenir la mémoire (ibid., 2007, p. 194).
30Peu à peu, au fil des années, les deux courants « modéré » et « radical » du nationalisme basque ont célébré leurs propres festivités avec leurs propres rituels et participants. En cohérence avec la fonction qu’il s’est assignée de « pilier intégrateur » de la société basque depuis la transition, le PNV s’est contenté d’organiser des fêtes populaires en célébrant la mémoire des résistants basques, mais aussi en utilisant les chants et le folklore traditionnel afin de s’ouvrir à la société et d’élargir sa base militante, notamment auprès des jeunes et des non-bascophones (Petithomme, 2009, pp. 103-128). De fait, étant donné que la bataille de Bizkargi a eu lieu dans les premières semaines de mai 1937, le PNV a d’abord « calé » la célébration du Bizkargi Eguna à quelques jours près de la fête patronale et du pèlerinage traditionnel en l’honneur de la Sainte-Croix (2 mai), afin de mieux faire confluer les deux festivités. Mais illustrant une fois encore un usage politique du calendrier mémoriel, on observe que l’Albertia Eguna de 2011 a eu lieu le 23 avril et celui de 2013, le 30 mars, en raison de la volonté du PNV de célébrer cette festivité « avant » les nationalistes radicaux et de se désolidariser de leurs célébrations en mai.
31Le document 1 ci-dessous, qui présente les affiches de convocation du Bizkargi Eguna par le PNV de 2011 et de 2013, montre bien cette neutralité des choix iconographiques, qui traduit une volonté d’ouverture à la société basque dans son ensemble, en donnant l’image d’une fête « populaire » avant tout [17]. L’affiche de 2011 est ainsi une simple photo d’une commémoration antérieure où l’on voit le sigle de l’EAJ-PNV, la chapelle, les participants, le mont, l’« ikurriña » (le drapeau basque) et le programme très court (10h-13h) de la commémoration. L’affiche de 2013 est un dessin en vert principalement, qui met en avant les mêmes éléments, sans inclure de personnages ou de participants particuliers. On note donc la très grande sobriété de ces affiches, leur caractère dépersonnalisé, la volonté de mettre l’accent sur le côté « populaire » de cette fête, et de s’adresser à un large public, d’où le choix d’écrire les slogans et programmes en castillan et en basque. La commémoration se déroule en quatre phases selon un programme clair et prévisible : (i) une marche jusqu’au mont ; (ii) une messe célébrée en mémoire des gudaris ; (iii) un apéritif champêtre durant lequel résonnent quelques chants et musiques traditionnelles basques ; (iv) et le hissage de l’« ikurriña » suivi d’une minute de silence. Le fait que les deux moments centraux de la cérémonie (la messe et le hissage du drapeau) ne soient pas des actes purement « nationalistes » est tout à fait significatif. L’accent est mis sur des éléments consensuels (l’attachement au drapeau et à l’identité basque) ou majoritaires au sein de la société basque et du PNV (l’attachement aux valeurs catholiques).
Affiches de convocation du Bizkargi Eguna par le PNV, 2011 et 2013
Affiches de convocation du Bizkargi Eguna par le PNV, 2011 et 2013
32Au contraire, au fur et à mesure que les activités de l’ETA et la répression se sont intensifiées, la célébration de ces festivités par le nationalisme radical est devenue de moins en moins publique. De fait depuis 2007, il est quasiment impossible d’y participer sans passer par le réseau militant radical. Le lieu exact des célébrations n’est pas rendu public, étant toujours défini au dernier moment pour éviter la surveillance policière. Contrairement au PNV qui choisit des plaines facilement accessibles, les radicaux se réunissent dans des clairières en moyenne montagne après une randonnée, ce qui permet tant de rendre plus difficile l’accès « physique » aux célébrations, que d’exercer un contrôle social sur les éventuels « indics » ou « mouchards » par le jeu des questionnements et des interrelations au point de rencontre et durant la marche.
33Ainsi, pour reprendre l’expression de Piven et Cloward, les célébrations mémorielles du Bizkargi et de l’Albertia Eguna par le nationalisme radical « se situent ‘en dehors de la politique normale’ et se définissent même ‘contre la politique normale’, au sens où les gens transgressent les règles définissant les modes autorisés de l’action politique » (1991, p. 437). Les participants de ces festivités se réunissent en effet clandestinement et légitiment la violence à travers des prises de parole d’ex-prisonniers de l’ETA ou de membres de leurs familles. Dans des formules souvent ambigües, des militants des Gestoras pro Amnistía, de l’ANV, de Segi ou de différents avatars de la mouvance radicale, exaltent la lutte armée, revendiquent « la liberté des prisonniers politiques » et « la fin de la violence d’État » [18]. Cette tendance n’est pas seulement valable pour les célébrations de 2006 à 2011 étudiées ci-dessous, mais aussi pour les célébrations les plus récentes : l’Audience nationale espagnole a ainsi interdit le Bizkargi Eguna de 2013 convoqué par l’organisation Enai au motif qu’il allait servir à « l’apologie du terrorisme des morts de l’ETA » [19].
34L’affiche du Bizkargi Eguna interdit de 2013 (document 2) illustre ainsi une symbolique tout à fait différente de celle des affiches du PNV [20]. L’affiche est très sombre avec seulement trois couleurs (rouge, noir et blanc) et met en scène un gudari armé en noir, qui semble prêt à partir au combat. Il arbore la « txapela » le béret traditionnel basque, mais aussi un masque avec deux trous pour les yeux, qui rappelle typiquement les masques des membres de l’ETA, à l’exception que ces derniers sont généralement en blanc. Ce gudari condense ainsi deux figures en lui-même : il évoque les combattants d’hier qu’il s’agit de célébrer, mais aussi les combattants masqués de l’ETA d’aujourd’hui. Son arme pointe vers l’étoile rouge à cinq branches, symbole du communisme et du socialisme, comme pour mieux signifer que la lutte armée de ce gudari n’est pas vaine, puisqu’elle a pour objectif l’indépendance du Pays basque et la consécration du socialisme révolutionnaire. La présentation du programme est elle-même équivoque : certes, elles distingue le programme du matin (« goizean »), de celui de l’après-midi (« arratsaldean ») ; mais l’ajout du mot « herrien » (« peuple ») donne aussi « Goizean herrien », à savoir « les gens du matin ». Etant donné que les couleurs de l’affiche donne une image de crépuscule (le gudari se trouve clairement dans la nuit, mais la couleur bleue s’éclaircit en haut à droite de l’affiche), comme pour signifier le lever du soleil, cette référence a priori banale aux « gens du matin » référe en fait tant au programme et aux participants qui viendront en matinée, qu’aux gens qui, comme le gudari, se lève pour aller combattre. Le slogan « Borrokarako jaio gara », « nous sommes nés pour combattre » illustre enfin cette rhétorique de résistance et de combat.
Affiche du Bizkargi Eguna de 2013
Affiche du Bizkargi Eguna de 2013
35De plus, on observe que le programme est beaucoup plus long et complet que celui du PNV (10h contre 3h) : il commence par un pot (« potea »), puis par un déjeuner (« bazkarie ») dont il est précisé que l’heure exacte dépend de la finalisation des chants (« bakotzak berea, ostean kantaldie »). D’emblée, la priorité en termes organisationnels est donnée aux chants patriotiques tels que la marche funèbre Guernica, l’Agur Jaunak ou encore l’Eusko Gudariak, qui étaient initialement partagés par le nationalisme modéré, mais que le nationalisme radical s’est complétement appropriés. Jesùs Casquete note ainsi que ces chants constituent « des éléments de cohésion de la sous-communauté nationaliste radicale, des facteurs d’intégration et de maintien d’une identité collective distincte » (2009, p. 113).
36La marche (« Gorantza i gon », « Montez-i ») ne vient qu’après ces moments initiaux de convivialité et de communion. La commémoration se poursuit par la prise de photos géantes (« argazki erradoia »), puis par des sports populaires (« herrri kirol rallya »). Le temps fort de la festivité ne vient que dans la soirée et demeure défini en termes vagues, les « événements heureux » (« ekitaldia oatean alai ») puis « les hommages » (« erromeria »). Alors que la cérémonie de l’Albertia Eguna du PNV tourne autour de la messe et du hissage du drapeau, le Bizkargi Eguna des radicaux trouve en fait son dénouement sur la scène dressée par les organisateurs où se succèdent les discours d’anciens résistants, de militants et de familles des membres de l’ETA qui rendent hommage aux gudaris d’hier et d’aujourd’hui (document 3). Sur la photo à gauche, prise lors du Bizkargi Eguna de 2008, on distingue bien au fond les photos des « martyrs » de l’ETA morts pour la cause nationaliste, dont la mémoire est honorée lors des célébrations au même titre que celle des gudaris de la guerre civile.
Photos des discours militants et de la mise en scène des « martyrs »
Photos des discours militants et de la mise en scène des « martyrs »
Des gudaris d’hier à ceux d’aujourd’hui : exemples de détournements mémoriels
37À travers les affiches du « journal-mural » Gora, placardées clandestinement dans les rues du Pays basque de 1977 à 1992, les Gestoras pro-amnistía et HB (avec l’ANV en son sein), ont vite compris le « potentiel mobilisateur » de références à la mémoire de la guerre civile. Chafee a bien montré comment « les affiches et l’art de rue jouent un rôle central dans la stratégie de communication alternative du nationalisme basque » (1988, p. 568). Plus globalement, un « calendrier commémoratif » alternatif a été formé par les nationalistes radicaux afin d’intégrer la célébration des funérailles de certains « martyrs » historiques de l’ETA, par exemple, José Miguel Beñaran, Santiago Brouard et Josu Muguruza). Le Bizkargi Eguna commença à être célébré clandestinement à l’initiative du PNV à partir du milieu des années 1960, mais depuis les années 1980, l’initiative de cette célébration lui a échappé pour revenir au nationalisme radical, aux Gestoras pro-amnistía jusqu’à leur interdiction en 2001, directement à l’ANV jusqu’en 2008 puis à d’autres groupes de cette mouvance.
38Cette partie s’appuie notamment – mais pas exclusivement – sur la « symbolique des couleurs » afin de dégager des éléments d’interprétation des affiches militantes. La « symbolique des couleurs » est « l’étude de l’impact des différentes couleurs en tant que symboles, créant des systèmes permettant de signifier et d’exercer une influence sur des faits historique, sociologique ou psychologique » (Mollard-Desfour, 2000, p. 5). Ainsi, pour les anthropologues Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, « les couleurs ne sont jamais là par hasard, elles véhiculent des sens cachés, des codes, des tabous ou des préjugés » (2005, p. 9).
39Le document 4 présente les affiches de convocation du Bizkargi Eguna de 2007, de 2008 et de 2011 [21]. Sur les tracts de 2007 et de 2008, on observe des gudaris en armes arborant la txapela : ces combattants anonymes montent la garde au pied d’un mont particulièrement vert (sur l’original en couleur), symbolisant l’espérance et le nouveau printemps auxquels leur lutte indépendantiste permet d’aspirer (tract 2007) ; ils participent activement à l’offensive contre l’État oppresseur, qui est symbolisée à travers leurs élans et leurs poings levés qui font aussi référence à la lutte antifasciste (2008). La situation de guerre justifiant la lutte armée est rappelée par les barbelés (2007, 2008). La couleur noire (2008, 2011) symbolise la situation de deuil lié à l’oppression postulée, la mort en sacrifice pour la cause indépendantiste, la révolte nécessaire comme dans la symbolique anarchiste, la puissance des gudaris étant attestée par leurs ossatures (2008). L’usage du rouge en arrière-plan symbolise enfin le sang versé par l’ennemi, le feu nécessaire à la bataille indépendantiste (2008, 2011), mais aussi le cœur des gudaris dotés d’un instinct de conquête.
Affiches de convocation du Bizkargi Eguna, 2007, 2008 et 2011
Affiches de convocation du Bizkargi Eguna, 2007, 2008 et 2011
40Le slogan « Omenaldirik onena garaipena ! Independentzia eta sozialismoa » (2007) qui signifie « Le meilleur hommage, la victoire ! Indépendance et socialisme », établit un lien clair entre les combattants d’hier et d’aujourd’hui, dont les luttes seraient liées par le socialisme et l’indépendantisme. Le terme « hommage » réfère au passé et à la remémoration nécessaire, là où celui de « victoire » suggère la perpétuation de la lutte. Le tract de 2008 célèbre l’appartenance commune des combattants passés, présents et futurs. Il stipule « Gu sortu qinen enbor beretik sortuko dira besteak. Gora atzo, gaur eta biharko gudariak », qui signifie « Du même tronc duquel nous sommes nés, naîtrons les autres. Les gudaris, debout hier, aujourd’hui et demain », postulant une filiation entre les nationalistes de la guerre civile et les combattants d’aujourd’hui. Le slogan « Atzoko eta gaurko gudarien omenez » (2011) signifie de même « en hommage aux gudaris d’hier et d’aujourd’hui », illustrant la volonté de faire partager une même dévotion aux gudaris de l’ANV et aux membres de l’ETA. L’usage de trois photos (2011) qui présentent des gudaris réfugiés dans le maquis (à gauche) et blessés (à droite), met en scène le caractère historique d’une lutte dont les combattants payeraient un lourd tribut pour la défense de la souveraineté basque. L’ensemble de ces symboles sont mis en avant pour jouer le rôle de « fondement du lien social » dans la « construction sociale des mémoires individuelles » (Halbwachs, 1994, p. 6). Ils donnent à voir l’existence d’une « connexion psychologique entre les générations » de la constellation nationaliste radicale, en forgeant des éléments historiques intégrateurs favorisant la reproduction et la persistance de ce groupe social (Simmel, 1898, p. 668). Ces affiches illustrent bien la volonté des radicaux d’« identifier des figures héroïques qui sont fonctionnelles pour la sous-communauté nationaliste afin d’intégrer ses adeptes et de préserver ses frontières identitaires » (Casquete, 2009, p. 139).
41Alors que le Bizkargi Eguna fut convoqué par les associations pro-amnistie, c’est l’ANV qui a joué un rôle fondamental dans la commémoration de l’Albertia Eguna, dont la première célébration eut lieu en 1978. En 1980, les anciens gudaris de l’ANV se mirent d’accord pour célébrer l’Albertia Eguna le 14 septembre pour des raisons purement pratiques liées à la chaleur estivale, mais le PNV décida ensuite de « transférer » celle-ci lors du second dimanche de juillet : ce processus souligne bien le caractère « politique » des usages de la mémoire. De plus, selon Jesús Casquete, les trois premières commémorations célébrèrent les gudaris « historiques » de l’ANV, là où les rencontres postérieures introduisirent peu à peu le culte aux combattants de l’ETA, soulignant une volonté de réécriture de l’histoire au profit de la justification de la violence d’une certaine frange du nationalisme radical (Casquete, 2009, p. 146). Comme le défend un membre de cette mouvance, « l’Albertia Eguna constitue un point de ralliement pour les défenseurs de la cause basque, un socle commun du mouvement de libération nationale, un marqueur d’appartenance entre les soldats d’hier et les militants d’aujourd’hui » [22]. La mémoire des gudaris historiques est ainsi progressivement devenue un simple prétexte afin de poursuivre un objectif distinct, à savoir la célébration de la dévotion des militants de l’ETA et l’appel à la continuité de la lutte. Ainsi, selon un militant de l’ANV, « entretenir la mémoire des gudaris morts lors de la guerre civile est fondamental. Cela permet de rappeler aux militants d’aujourd’hui que la cause basque s’inscrit dans un temps long qui requiert une perpétuation des sacrifices et de la lutte » [23].
42Comme pour le Bizkargi Eguna, le détournement de la signification originelle de l’Albertia Eguna s’inscrit dans une volonté de relativiser la lutte violente menée par l’ETA en la dotant d’une pseudo-légitimité historique. Il s’agit d’utiliser ces festivités comme des tribunes politiques afin de présenter les membres de l’ETA comme des « successeurs » des gudaris historiques et des « exemples » à suivre par les jeunes générations. Miren Legorburu, l’une des dirigeantes de l’ANV, développa clairement ce type d’argument lors de l’Albertia Eguna de 2005 : « la gauche patriote lutte depuis 80 ans contre le fascisme, comme le montrent les 300 militants de l’ANV qui moururent en luttant à Albertia. La victoire de Franco mit en marche une machine fasciste, qui a survécu à la mort du chef des fascistes, mais le peuple basque n’a pas avalé la transition et le piège autonomiste, et il continua à résister. (…) Grâce au travail de trente années, la majorité de la société basque reconnaît aujourd’hui la nécessité d’un changement de cadre. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’unir les stratégies des indépendantistes afin de réussir à atteindre un cadre démocratique qui assure la survie d’Euskal Herria » [24]. Elle sous-entend que la démocratie contemporaine ne vaut pas beaucoup mieux que la dictature franquiste, appelant à l’union à savoir une plus grande intégration des branches politique et militaire de la gauche abertzale, et légitimant indirectement l’ETA comme un acteur à part entière du processus politique.
43L’affiche de l’Albertia Eguna de 2006 évoque la continuité historique de la lutte : le slogan « Atzo eta gaurko gudarien alde ! Independentzia » signifie ainsi « Pour les gudaris d’hier et d’aujourd’hui ! Indépendance » [25]. Le quotidien indépendantiste Gara présenta d’ailleurs la convocation de l’Albertia Eguna de 2006 sous le titre « L’ANV convertit Albertia en miroir de deux époques et d’une même lutte » [26]. Sur l’affiche de 2006, l’anagramme de l’ANV en basque (EAE-ANV) associé au lauburu en bas à gauche, la croix basque, donne l’image de gudaris de la guerre civile qui seraient exclusivement issus des rangs de l’ANV. Ce tract constitue une véritable imposture historique, puisqu’il présente quatre combattantes en position de tirs qui auraient lutté durant la guerre. En réalité, seules quelques femmes des milices anarchistes et du Partido Obrero de Unificación Marxista (POUM) participèrent aux combats. Les exemples de gudaris féminins furent exceptionnels. Les femmes jouèrent surtout un rôle dans les tâches d’organisation et de ravitaillement, suivant les consignes des organisations politiques. Dans son ouvrage sur les femmes républicaines durant la guerre, Mary Nash conclut à ce propos que « la milicienne n’était pas représentative de la résistance féminine durant la guerre civile » (Nash, 1999, p. 155).
44Cependant, les femmes jouèrent et jouent toujours un rôle plus important au sein de l’ETA (Hamilton, 2007). Elles demeurent très minoritaires dans les commandos « au nom de l’effectivité de la cause », mais sont présentes dans les fonctions organisationnelles (Ness, 2005, p. 373). Même si la proportion de femmes au sein de l’ETA est restée stable lors des années 1990 avant de décliner depuis 2000, le groupe dirigeant a toujours été dominé par des hommes, hormis lors de l’épisode « Yoyes » (Reinares, 2004, p. 468). La « mémoire de la violence », qu’elle soit effective ou reconstruite, joue un rôle central dans la justification de l’engagement militant. Par l’affiche de 2006, on voit donc bien comment, au-delà d’une réalité historique contraire, les radicaux ont cherché à féminiser la lutte armée afin de s’adresser symboliquement à des recrues féminines potentielles.
45Le même type de symbolique apparaît sur l’affiche de 2010, qui présente un combattant potentiel d’aujourd’hui au premier plan, dont l’image est dédoublée pour suggérer la possible prolifération de nombreux combattants, et qui se trouve superposée à une photo en noir et blanc des gudaris d’hier brandissant l’ikurriña. Cette superposition entre le passé et le présent s’accompagne d’un fond jaune symbolisant l’idéalisme et la lumière qu’ouvre la lutte indépendantiste, un combat auquel l’ANV aurait été associée depuis ses origines. Le slogan « Independentzia. Oroimen historikoa berreskuratzen », « Indépendance. Récupérer la mémoire historique », s’adresse autant aux PNV, en revalorisant le rôle historique de l’ANV dans la lutte indépendantiste, qu’il ne développe l’idée d’une indépendance inéluctable ancrée dans l’histoire.
Affiches de l’Albertia Eguna de 2006 et de 2010
Affiches de l’Albertia Eguna de 2006 et de 2010
46Enfin, la place dédiée aux membres de l’ETA lors de ces festivités, par des déclarations de proches, de militants ou d’ex-prisonniers, souligne bien les usages ambigus de celles-ci par le nationalisme radical. En 2006, l’« etarra » Jon Etxeandia (emprisonné de 1983 à 2001), intervint au cours de l’Albertia Eguna avec une dirigeante de l’ANV, en déclarant vouloir « rendre hommage tant aux gudaris basques qui moururent en défendant la légalité républicaine, qu’à toutes les personnes qui sont mortes au cours de ces décennies pour avoir défendu l’indépendance et le socialisme de l’Euskal Herria » [27]. L’hommage rendu à Pako Gallaga lors de l’Albertia de 2006 est aussi éloquent. Militant historique de l’ANV, il est décédé le 5 août 2005 à 75 ans. Ses cendres furent répandues près d’un arbre du mont Albertia : cet acte symbolique fut présenté comme l’hommage à la mort d’un « fils et d’un père de gudaris », puisque son père avait combattu durant la guerre civile et que son fils Jabi Gallaga, membre de l’ETA, est emprisonné depuis 1997. La célébration de sa mort fut mise en scène en déclarant que ses cendres forgeront les racines de nouveaux arbres qui perpétueront la renaissance et le « tronc commun » entre les gudaris d’hier et d’aujourd’hui [28]. Le document 6 ci-dessous est encore plus éloquent, puisqu’il montre tout simplement le hissage de l’affiche du symbole et du slogan de l’ETA (« Bietan jarrai », « continuer dans les deux voies ») sur la chapelle du mont Bizkargi lors des festivités de 2008 [29].
Affiche du symbole de l’ETA lors du Bizkargi Eguna de 2008
Affiche du symbole de l’ETA lors du Bizkargi Eguna de 2008
Conclusion : les fonctions sociales et politiques de la commémoration des gudaris
47Ainsi, comment et à travers quels usages symboliques les nationalistes radicaux célèbrent-ils la mémoire des combattants de la guerre civile ? L’analyse des origines historiques de deux fêtes basques traditionnelles a permis de souligner comment le nationalisme radical a cherché à détourner les significations originelles de celles-ci : la célébration des gudaris de la guerre civile a été peu à peu détournée au profit du culte aux combattants de l’ETA. L’usage de la dénomination même de l’ANV a joué un rôle symbolique central dans l’invention d’une continuité historique de la cause indépendantiste et d’un unanimisme résistant, même si comme nous l’avons vu, la résistance des militants du PNV fut mitigée. La référence à l’ANV a facilité la création d’un lien idéologique entre l’« ANV historique » et la « nouvelle ANV », et d’un lien symbolique entre les combattants d’hier et d’aujourd’hui, même si ces liens sont en fait inexistants, tant le respect de la légalité républicaine, le positionnement social-démocrate et la politique d’alliances avec les républicains et les socialistes de l’« ANV historique », divergent de la tendance à la légitimation de la violence, du positionnement marxiste-léniniste et du choix d’un front indépendantiste indépendant privilégié par la « nouvelle ANV ». Les nationalistes radicaux ont ainsi cherché à « renverser le stigmate » qui leur est apposé en présentant leur cause comme étant juste, située du côté de la morale et de la légitimité historique (Goffman, 2001).
48Au final, quelles sont les fonctions de ces célébrations pour la constellation nationaliste radicale ? Il est possible de dégager cinq fonctions principales. La célébration et le détournement de la mémoire des combattants de la guerre civile permettent d’abord de requalifier le rôle des militants de l’ETA, en les présentant comme les défenseurs d’un mouvement de libération nationale ancré dans l’histoire, et comme des « résistants » et des « prisonniers politiques » lorsqu’ils sont emprisonnés. Cela justifierait d’honorer leurs mémoires sur le même plan que celle des gudaris de la guerre civile. La célébration de la mémoire des combattants joue donc indirectement un rôle dans la légitimation de la violence contemporaine des membres de l’ETA. Elle invite à une reconnaissance du rôle joué par l’organisation dans la lutte indépendantiste, tout en légitimant sa place dans une possible négociation sur le statut politique du Pays Basque.
49En deuxième lieu, la célébration de la mémoire des combattants joue une fonction interne au sein de la constellation nationaliste, en permettant aux radicaux de contester l’hégémonie du PNV pour la réappropriation du passé, et en présentant le rôle des gudaris de l’ANV et des membres de l’ETA comme plus déterminant que celui des militants du PNV dans la lutte indépendantiste.
50Troisièmement, la célébration de la mémoire des combattants joue une fonction de transmission générationnelle, comme l’illustre bien l’exemple de Pako Gallaga dont le décès fut célébré comme celui d’un « fils et père de gudaris » : la filiation symbolique entre les soldats de la guerre civile et les membres de l’ETA d’aujourd’hui permet de créer des « mythes fondateurs » qui jouent le rôle de marqueurs d’appartenance à une même communauté entre les générations. Les commémorations mémorielles annuelles jouent ainsi le rôle de « rites de passage » qui médiatisent et qui renforcent une identité indépendantiste partagée.
51Quatrièmement, la célébration de la mémoire des combattants présente une fonction plus immédiate liée au recrutement potentiel de nouveaux militants. En s’adressant aux femmes comme l’illustre l’affiche de l’Albertia Eguna de 2006, les radicaux s’adressent aux jeunes afin de les inviter à suivre le chemin de leurs prédécesseurs célébrés comme des héros de la cause nationaliste. La reconnaissance offerte par la communauté à ses combattants permet de donner du sens à un possible engagement individuel. La mémoire est ainsi utilisée dans sa fonction mobilisatrice, comme un appel à la continuation de la lutte : l’« invention » d’une mémoire commune permet ainsi de renforcer le socle légitimateur et « les déterminants individuels de l’engagement et de la participation » au sein du mouvement nationaliste radical (Favre, 1982, p. 123).
52Enfin, la mémoire des combattants joue une fonction politique, car elle est utilisée comme un prétexte historique afin de justifier un positionnement politique controversé, à savoir la légitimation de la violence ou de ceux qui l’ont exercée. Ces usages symboliques et politiques des figures des combattants sont donc cruciaux en ce qu’ils remplissent des rôles d’intégration, de légitimation et de reconnaissance visant à assurer la pérennité et la reproduction sociale du nationalisme radical.
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Mots-clés éditeurs : violence politique, Pays basque, mémoire, iconographie, nationalisme radical
Date de mise en ligne : 20/07/2015
https://doi.org/10.3917/psud.042.0105Notes
-
[1]
L’organisation Gestoras Pro Amnistía (Amnistiaren Aldeko Batzordeak) fondée en 1976 avait pour objectif de lutter pour la libération des prisonniers de l’ETA, ainsi qu’en défense de leurs intérêts et de ceux de leurs familles. Elle fut interdite en 2001, de même que le groupe Askatasuna qui lui avait succédé en 2002.
-
[2]
Amaiur a obtenu 7 députés lors des élections législatives du 20 novembre 2011, devenant la première force politique abertzale et dépassant le PSOE en Navarre à travers la coalition Nafarroa Bai.
-
[3]
En termes hobbesiens, la représentation est productrice d’unification collective : l’existence du souverain, seul représentant du peuple, fait exister celui-ci en tant que peuple (Hobbes, 2000 [1651]).
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[4]
On peut citer à titre d’exemple le propos d’Arnaldo Otegi qui déclara le 21 décembre 2005 lors de la cérémonie d’hommage public au militant de l’ETA décédé, José Miguel Beñaran (« Argala ») : « La gauche abertzale réunie ici est l’Euskal Herria, et c’est le futur de ce peuple », une synecdoque commode pour occulter la négation de la majorité du « peuple » basque (Casquete, 2010, p. 36).
-
[5]
Plus de 750 membres de l’ETA sont prisonniers en Espagne, en France et dans d’autres pays, pour un nombre estimé en 2013 de 150 militants encore actifs (CSPB, 2013).
-
[6]
Hobbes ou Locke distinguent classiquement la « violence » et la « force » : « la force serait l’usage légitime de la coercition physique, et la violence serait l’usage illégitime de la coercition civile » (Zimmerman, 1983, p. 12). Mais comme le rappelle bien Philippe Braud, la distinction force légale/violence illégitime « creuse un fossé de légitimité entre l’usage institutionnalisé de la contrainte au service de l’ordre politique et les usages protestataires » (1993, p. 17).
-
[7]
Tedd Gurr définit quant à lui la violence politique comme « toute attaque collective lancée à l’intérieur d’une communauté politique, dirigée contre le régime politique, ses acteurs – les groupes politiques en compétition aussi bien que les représentants du pouvoir en place – ou ses politiques » (1970, pp. 3-4). Pour une critique des définitions, voir (Sommier, 2008b).
-
[8]
Avec Isabelle Sommier, on peut ainsi considérer que plus qu’un groupe « terroriste », l’ETA a surtout cherché à exercer une « violence totale », entendue comme l’« exercice d’une violence aveugle à forte résonance spectaculaire frappant la population civile, suivant le principe de disjonction entre « victimes » (« non-combattants » et « innocents ») et « cible » (le pouvoir politique) (2000 ; 2008a, p. 17).
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[9]
Ces « cadres d’interprétation » décomposent les différents principes d’organisation qui structurent le discours de légitimation d’un mouvement » (ibid., 1992, p. 13). Ils permettent de « donner un sens aux événements, d’organiser l’expérience et de guider l’action, qu’elle soit individuelle ou collective » (Snow et. al., 1986, pp. 464-481).
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[10]
Tomás de Zumalacárregui y de Imaz (1788-1835) fut un général espagnol qui joua un rôle fondamental dans les guerres carlistes. Son personnage est particulièrement intéressant pour notre propos dans la mesure où il est désormais vénéré par le nationalisme radical (en tant que précurseur du mouvement de libération nationale et défenseur des fors), bien qu’il ait été célébré dans le passé par le carlisme comme figure du « traditionalisme » et résistant aux réformes libérales du début du xixe siècle, et même par le franquisme comme « précurseur du Mouvement National » (Casquete, 2009, pp. 136-137).
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[11]
Communiqué de l’ETA, publié dans Egin, 21 mai 1980, cité in (Dominguez Irribaren, 2000, p. 328).
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[12]
Par souci de véracité historique, il convient de noter ici que les actions de l’ETA firent 45 victimes de 1968 à 1975, s’intensifièrent après le retour à la démocratie (360 victimes de 1976 à 1983), puis connurent une diminution lente mais progressive, 275 de 1984 à 1991, 129 de 1992 à 2001, 20 de 2002 à 2010.
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[13]
En 1974, l’accroissement des attentats aboutit à la scission de l’ETA en deux branches : (i) « l’ETA militaire » ou l’ETA(m), composée principalement d’exilés au Pays basque français qui considéraient que l’ETA devait être une organisation armée subordonnée à la direction idéologique de l’Alternativa Koordinadora Abertzale Sozialista (Alternativa KAS) ; (ii) « l’ETA politicomilitaire » ou l’ETA (p-m), composée surtout de militants vivant au Pays basque espagnol et qui considéraient que la lutte politique et la lutte armée devait être promue par la même organisation. En 1976 lors de sa VIIe Assemblée, l’ETA (p-m) privilégia la voie politique, subordonna la voie militaire à celle-ci et intégra la coalition nationaliste de gauche Euskadiko Ezkerra, alors que dans le mouvement inverse, en 1977, ses commandos spéciaux (bereziak) rejoignirent l’ETA(m). En 1978, la coalition Herri Batasuna, (considérée comme le bras politique de l’ETA(m) car elle refusa systématiquement de condamner la violence), fut formée par 4 partis : Herri Alderdi Sozialista Iraultzailea (Parti socialiste révolutionnaire populaire, HASI), Langile Abertzaleen Iraultzarako Alderdia (Parti révolutionnaire des travailleurs patriotes, LAIA), Euskal Sozialista Biltzarrea (Assemblée socialiste basque, ESB) et l’ANV. Dans la même mouvance se situaient les Gestoras Pro-Amnistía, le syndicat Langile Abertzaleen Batzordeak (LAB), le mouvement de jeunesse Jarrai (ensuite Haika et Segi), ainsi que l’Alternativa KAS. L’ETA (p-m) disparut en 1982 lors de l’amnistie gouvernementale et suite à la renonciation de ses membres à la violence politique.
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[14]
Il est à noter qu’en juin 1937, l’armée républicaine du nord comptait alors un total d’environ 40.000 hommes, soit 81 bataillons, dont 37 nationalistes (28 PNV, 4 ANV, 3 ELA-STV, 2 Euzko Mendigoizale Batza) et 44 issus d’organisations républicaines ou ouvrières (14 PSOE-UGT, 9 Jeunesses Socialistes, 8 PCE, 7 CNT, 5 Gauche républicaine, et 1 Union républicaine) (De Pablo 2003, p. 121). Il apparaît ainsi clairement que non seulement les nationalistes étaient minoritaires, mais que les combattants de l’ANV l’étaient encore plus. De même, comme le souligne Bartolomé Bennassar, « il est peu probable que le souci, a priori étrange, de conserver l’identité politique des combattants, ait favorisé l’unité de commandement et d’action », ce qui va dans le sens de la thèse de la fragmentation croissante de la lutte (2004, pp. 203-204). C’est notamment ce que considérait le Président Manuel Azaña lorsqu’il déclara dans son journal du 31 mai 1937 : « Les nationalistes ne se battent pas pour la cause de la République, mais pour l’autonomie ou la semi-indépendance. Avec cette façon de penser, il est très probable que si Bilbao chute, et que le gouvernement autonome et le territoire basque sont perdus, les combattants disent que leur mission et leurs motifs de guerre sont terminés » cité in Casquete (2009, p. 141).
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[15]
Certains historiens mettent en effet en avant l’idée d’une structure bicéphale des troupes loyales au gouvernement autonome du Pays basque, les forces sous le commandement de l’armée républicaine du nord d’une part, et les bataillons nationalistes d’autre part, principalement du PNV mais aussi de l’ANV, qui constituaient « une armée dans l’armée basque » selon De la Granja (2003, p. 225 ; Núñez Seixas, 2006, p. 362).
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[16]
La fête a été célébrée à la fin du mois de juin en 1991 et en 1997, mais aussi quelquefois lors du second dimanche de juillet, soulignant une fois de plus la malléabilité du calendrier nationaliste au gré des circonstances.
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[17]
Source, site du PNV, [http://txorierri.eaj-pnv.eu/esp], consulté le 15 août 2013.
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[18]
À l’occasion du Bizkargi Eguna de 2013, l’organisation Euskal Herriko Antifaxista Taldea écrivait ainsi sur son blog en référence aux gudaris : « Le meilleur hommage que nous pouvons leur rendre est de récupérer les idées pour lesquelles ils moururent il y a 76 ans et continuer la lutte » ; « Lutter contre le fascisme d’hier et d’aujourd’hui » ; ou encore, « Ils ont tout donné il y a 76 ans, maintenant c’est notre tour. Mémoire, dignité et lutte. Pas d’oubli, pas de pardon ! », [http://sareantifaxista.blogspot.fr/2013/05/bizkargi-eguna-luchando-contra-el.html], consulté le 12 septembre 2013.
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[19]
« La Audiencia Nacional prohíbe el “Bizkargi Eguna” de Larrabetzu », EITB, radio-télévision basque, 5 avril 2013.
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[20]
Tant l’affiche du document 2 que les photos du document 3 ont été constituées à partir du blog militant, [http://blogak.com/ajuriagogeaskoa/bizkargitik], consulté le 30 juin 2013.
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[21]
Cf. [http://www.flickr.com/photos/larrabetzutik/sets], [http://larrabetzutik.org/2008/04/23/bizkargi-eguna-2008], consultés le 16 juin 2011.
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[22]
El Correo, « Las celebraciones del Albertia Eguna », 10 juillet 2001.
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[23]
El Correo, « ANV y el Bizkargi Eguna », 13 juillet 1998.
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[24]
Miren Legorburu « Cientos de personas se reúnen para homenajear a los gudaris en el Albertia Eguna », El Correo, 15 juillet 2005.
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[25]
Pour l’affiche de 2006, [http://etengabe.blogsome.com], et celle de 2010, [http://trapagaranaurrera.blogspot.com/2010], consulté le 21 juin 2011.
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[26]
« EAE-ANV convierte Albertia en espejo de dos épocas y una misma lucha », Gara, 12 juin 2006.
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[27]
« ANV anuncia los actos del Albertia Eguna », Gara, 10 juin 2006.
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[28]
« Tensión en el último adiós a Pako Gallaga, miembro de ANV », Gara, 5 août 2007.
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[29]
Photos consultables publiquement sur le site [http://flickrhivemind.net/tags/bizkargi,gudariak/Timeline], consulté le 25 septembre 2013. Les personnes ont été floutées par l’auteur.