1Comme de nombreuses grandes villes des pays émergents, Istanbul a connu une croissance explosive. Depuis les années 1980 celle-ci s’accompagne d’une profonde transformation politique voulue par des gouvernements de tendance libérale, et accélérée depuis l’arrivée des partis islamistes au pouvoir d’abord au niveau municipal et ensuite au niveau national, à savoir respectivement le Parti de la Prospérité et le Parti de Justice et Développement (AKP). Cette politique a pour fin annoncée la réémergence d’Istanbul comme « cité mondiale » attirant le capital international. Notre hypothèse est que longtemps les habitants des quartiers précaires ont pu influencer la structure du champ urbain à l’aide des relations clientélaires, mais maintenant la dynamique s’est retournée et le clientélisme sert désormais de support à la pédagogie politique du parti dominant, facilitant le transfert de la rente foncière vers l’État et les grandes entreprises. Dans le présent article, nous examinons cette hypothèse dans le cas de Şahintepe, un quartier précaire de l’arrondissement de Başakşehir.
Transformation urbaine et clientélisme
2L’évolution de la politique urbaine à Istanbul depuis le milieu du xxe siècle suit une tendance qui se retrouve dans de nombreuses autres grandes villes. Dans un premier temps, l’explosion de la population, due à l’exode rural, est traitée avant tout par des politiques populistes dont le but est d’assurer à moindre coût la paix sociale, tout en exploitant la nouvelle population urbaine comme source de main d’œuvre et de consommation au service de la croissance économique nationale. La recherche en géographie urbaine fait état d’un double tournant autour des années 1980. Le premier élément de ce tournant, c’est la relative autonomisation par rapport au cadre national des très grandes villes, en concurrence de plus en plus directe les unes avec les autres dans l’économie mondialisée (Keyder & Oncü, 1994).
3À cette autonomisation s’ajoute, ici comme ailleurs, un « tournant » libéral. Pour les « villes globales » en devenir, ceci se traduit par la fin du populisme, remplacé par des politiques orientées vers l’économie de l’offre ciblant le capital international : amélioration des infrastructures, renouvellement technologique et attraction de main-d’œuvre plus qualifiée, reléguant les travailleurs non qualifiés au secteur À cette précaire première et informel. période néolibérale, marquée par un recul de l’État, succède selon certains observateurs une seconde phase, elle aussi libérale dans ses grandes tendances mais incorporant un certain retour de la puissance publique. Ainsi selon Peck et Tickell (2002), la priorité du développement a plus changé uniquement suite à un du changement « retrait de l ‘État institutionnel » (roll-back) et organisationnel. pour laisser place Il libre ne s’agit aux forces marchandes, typique É de la première période libérale, mais également d’un certain retour de l’État (roll-out). Cette nouvelle gestion du local par laquelle la ville elle-même « acquit les caractéristique de l’entreprise privée notamment le profit, la publicité, la créativité, et la prise de risque » (Hull & Hubbard, 1998, p. 2) a été désignée « ville entrepreneuriale » (Harvey, 1989).
4Pour Page (1995) les « villes entrepreneuriales » et les grands projets que leurs dirigeants favorisent (grands équipements, mise en valeur du patrimoine, évènements sportifs ou culturels) peuvent être à la base d’une régénération politique centrée sur un sens partagé de l’identité civique. De manière semblable, Pasotti (2010) explore l’évolution de la ville comme marque (« political branding ») au service des ambitions politiques d’une équipe dirigeante mais aussi d’un renouveau de la politique citoyenne. Elle en conclut que le passage à l’élection directe des maires métropolitains permet une autonomisation de la ville par rapport aux partis politiques et à leurs pratiques clientélaires. En suscitant des émotions comme l’espoir, la fierté et la confiance parmi les électeurs, ceux-ci réussissent à s’identifier personnellement avec les principes d’autorité et de bonne gouvernance. En privilégiant des projets visibles et d’une utilité évidente, par exemple les transports publics, ils soutiennent la mobilisation dans le contexte des élections directes.
5D’autres courants d’analyse adoptent une posture plus critique. Pour de nombreux chercheurs de tendance néo marxiste, cette transformation urbaine doit être perçue essentiellement comme un projet de classe hégémonique qui abime la démocratie et le véritable soutien populaire, en misant sur des relations privilégiées avec les porteurs de capitaux internationaux. Etroitement associées à cette posture, on rencontre ici des politiques qui visent à encadrer les populations précaires, perçues comme réfractaires au nouvel ordre (Peck & Tickell, 2002). Les politiques urbaines rendues possibles par la démobilisation des couches populaires donnent généralement lieu à la réorganisation spatiale de la ville en augmentant et en isolant les zones de pauvreté et d’inégalité. (Harvey, 2005). Pour Swyngedouw et al., (2002) la constitution d’une coalition lançant de « nouveaux projets urbains » peut engendrer des relations de type clientélistes, mais celles-ci se forment à l’intérieur même de la coalition. Nous sommes donc très loin du modèle de gouvernement populiste par clientélisme évoqué par Auyéro (2000) et dans le cas turc par Öncü (1988) et Keyder (2005). Sur ce point précis, ces visions critiques rejoignent celle de Pasotti (2010) qui, elle aussi, voit dans la défaite de mécanismes politiques urbains, la fin du clientélisme comme instrument de contrôle des classes populaires. Nos recherches à Istanbul suggèrent que ces conclusions sont quelque peu prématurées.
6Un premier indice indirect allant dans ce sens émerge de l’analyse de Roy (2005, pp. 148-149) qui fait remarquer que la dichotomie formel/informel occulte la réalité des politiques urbaines, car l’informalité est un « type distinct de marché » et le produit de l’action des autorités publiques. La formalisation ne peut donc être considérée comme l’imposition du marché ou du pouvoir étatique là où auparavant ils n’existaient pas. Pour en revenir au clientélisme, rien ne permet d’affirmer que s’il faisait partie des normes politiques et morales de la période « informelle », il disparaîtrait avec la « formalisation ». Ses modalités et ses effets, par contre, peuvent évoluer. C’est avant tout cet élément que nous cherchons à explorer dans le cas turc.
Istanbul : ville entrepreneuriale ?
7Dans les premières années de la république turque, le départ en masse de la population chrétienne, laisse l’État en possession d’un important patrimoine foncier urbain. Considéré comme une prise de la guerre d’indépendance, celui-ci n’est pas ouvert au marché. Face à l’exode rural dès les années 1940, l’État préfère accorder une tolérance de fait à l’occupation irrégulière du terrain. (Keyder, 1999) Suite à l’épuisement du terrain public vacant proche du centre urbain, une nouvelle période de « lotissements pirates » (Öncü, 1988, p. 47) commence dans les années 1970. Ceux-ci s’établissent sur des terrains agricoles privés, rachetés par des spéculateurs qui les divisent et les revendent au prix de marché aux immigrants. Cette évolution n’est pas propre à la Turquie ; des cas semblables se retrouvent en Italie ou bien encore en Amérique latine ; (Roy, 2005). Şahintepe, le quartier où se déroule notre enquête, en est un exemple.
8Avec l’intervention militaire de 1980, la Turquie connaît la transition d’une politique économique de substitution des importations à une économie de marché orientée vers l’exportation. Un élément important dans ce tournant, c’est la politique qui cherche à transformer, par voie d’amnisties successives, des zones de logements irréguliers, désignées – qu’elle qu’en soit leur origine comme gecekondu « posé dans la nuit » – en propriétés commercialisables, en accord avec la vision suggérée à cette époque par la banque mondiale et le FMI. Les fondements de cette approche ont été apportés par De Sotto (1989, 2000) qui suggère que le problème de la pauvreté puisse être surmonté par l’intégration des pauvres au marché du fait notamment de la légalisation des titres de propriété. Selon ce point de vue, la légalisation de la propriété ouvre l’accès au système bancaire et compense la diminution des salaires par le partage de la rente de situation sur les propriétés légalisées. Bien que les amnisties se soient arrêtées après les années 1980, la tolérance à l’égard des quartiers irréguliers, quant à elle, perdurera jusqu’au milieu des années 1990. En effet, malgré certaines démolitions, il n’y a pas de politique systématique visant à l’éradication du logement irrégulier. Au contraire, l’usage de l’électricité et de l’eau devient légal pour ces zones. (Türkün, 2014).
9Considérées dans leur ensemble, les politiques populistes des années 1950-80 et le libéralisme qui leur fait suite peuvent être interprétés comme un échange informel mais effectif du droit d’occupation – bien que cette reconnaissance ne soit pas nécessairement durable et ne crée qu’une légitimité momentanée susceptible d’être remise en cause suite aux changements politiques (Pérouse 2008) – en contrepartie d’un soutien politique et de la paix sociale. Öncü (1988, pp. 44-45) note que les partis politiques de toute cette époque, empêchés par des interventions militaires répétées de développer des bases stables en tant que représentants des intérêts sociaux, trouvent dans le clientélisme un moyen de créer un rapport personnalisé avec l’électorat populaire. Pour les autorités publiques, la non application ciblée des lois et règlements fonciers représente un « budget » quasi inépuisable, y compris lors des crises budgétaires qui réduisent les ressources disponibles pour les distributions matérielles typiques des mécanismes politiques urbains. C’est ainsi que des vagues successives d’immigrants ont pu s’installer sur des terres publiques ou des terrains agricoles inconstructibles, événement qui s’inscrit au départ dans une illégalité tolérée et, plus tard, légalisé par des amnisties et des plans de zonage rétroactifs (Keyder & Öncü, 1994, p. 396). Ce mouvement permet aux premiers habitants de profiter du « type distinct de marché » (Roy, 2005, p. 149) représenté par le secteur précaire s’inscrivant dans la dynamique désignée par Işık et Pınarcıoğlu (2001) comme « pauvreté à tour de rôle ». La possession, même juridiquement douteuse, permet à certains habitants de quartiers précaires de profiter des tolérances et amnisties pour améliorer leurs biens, transformant des gecekondu en apartkondu, c’est-à-dire en petits immeubles auto-construits devenant source de revenus et pouvant à terme être capitalisés par la revente informelle, mais effective à de nouveaux arrivants (Bugra, 1998, p. 311), le tout transformant, au moins provisoirement, un droit d’occupation en rente de situation foncière.
10L’élection à la mairie d’Istanbul de Tayyip Erdoğan en 1994 annonce la fin de cette époque ; un nouveau regard se porte désormais sur les quartiers précaires et sur la ville. L’accession en 2002 au plan national du même homme à la tête du parti nouvellement créé, AKP, renforce ce mouvement. À la politique de retrait de l’État, se substitue un retour en force de l’autorité publique – le « roll – back » évoqué par Peck et Tickell (2002). Cette vision nouvelle, on la constate à travers une série de réformes ayant pour but d’institutionnaliser la structure du marché de l’immobilier. Le modèle des coopératives de construction est pratiquement abandonné, remplacé en général par un système de partage des revenus dans lequel l’agence nationale du logement social (TOKI) produit des ensembles d’immeubles sur les terrains qu’elle contrôle, en partenariat avec des grands groupes privés. (Türkün, Aslan & Şen, 2014, p. 62) Une loi permettant le principe de l’hypothèque rentre en vigueur. La construction de gecekondu est, pour la première fois, définie comme crime passable de cinq ans de prison (Kuyucu & Ünsal, 2010, p. 1484). Des lois adoptées à cette époque élargissent le pouvoir des municipalités et permettent la transformation de zones désignées comme « culturelles » ainsi que la désignation des zones à risques sismiques particuliers, tandis que d’autres zones sont considérées comme devant être laissées en réserve pour reloger des populations déplacées par les premières. La condition de réciprocité bilatérale est éliminée pour l’achat de biens fonciers par les étrangers. Au cœur de cette vision, en conformité avec le modèle de la « nouvelle politique urbaine » internationale, (Swyngedouw et al., 2002), on trouve ici de très importants projets urbains tels que la réalisation d’un troisième pont, d’un tunnel traversant le Bosphore et du Canal Istanbul qui devrait un jour remplacer ce dernier comme voie maritime principale.
11Pour Pérouse (2013) cet ensemble de réformes est l’« un des fondements du projet de promotion d’Istanbul sur le marché international de l’immobilier résidentiel et commercial, de la finance et du tourisme ». Pour parvenir à ce but, la formalisation du régime de propriété semble incontournable. Roy (2005) nous ayant mis en garde contre l’association trop facile d’informalité avec absence de l’État, il s’agit d’être tout aussi prudent dans l’identification de la formalisation avec la légalité, et encore plus avec l’équité. Kuyucu (2014, p. 620) démontre que toute formalisation ne peut que s’appuyer sur – et pérenniser – les ambigüités et inégalités héritées de la période du « régime flexible de propriété ». Ces constats invitent à une remise en scène du rôle des habitants des quartiers précaires, qui seraient ni les heureux bénéficiaires du nouveau civisme analysé par Pasotti (2009), ni les victimes passives et, somme toute, invisibles des analyses néo marxistes.
12Un début d’explication provient du constat que cette posture nouvelle engendre également une nouvelle génération de programmes sociaux sous l’influence des politiques néolibérales (Eder, 2010). Cette approche est innovante dans la mesure où les municipalités peuvent travailler dans le cadre de partenariats public-privés pour assurer des responsabilités nouvelles dans les services sociaux. Cet « état de l’aide sociale » (Eder, 2010) augmente réellement le pouvoir politique des municipalités en s’adaptant aux demandes changeantes. Restent à considérer les effets de cette évolution. Doğan (2007) évoque la notion de « publicité précaire » et constate que la transformation du soutien social en « bienfaisance », souvent sous-traitée, entretient ou même renforce la précarité des classes populaires et les rend impuissantes face aux politiques de transformation libérales. Karaman (2013) souligne le lien entre programme économique et contexte religieux. Il note la place légitime dans l’Islam de la notion d’aumônes et la manière dont le rôle renforcé du parti dominant dans la distribution de celles-ci accroit en même temps un sentiment d’insécurité et de dette morale chez les habitants des quartiers précaires, en diminuant sensiblement leur tendance à résister à ses politiques. Notre étude de cas nous permet de confirmer en partie mais aussi de dépasser ces hypothèses. Nous pouvons observer en particulier l’usage des aides sociales, non pas seulement pour créer réciprocité et obligation morale, mais aussi comme support à une pédagogie politique dont le but serait d’encourager l’appropriation par les habitants des idées et pratiques soutenant le projet de transformation urbaine de l’AKP.
Le nouveau clientélisme au service de la transformation urbaine
13Un exemple de « lotissement pirate » établi à la fin des années 1970 sur des terrains privés, Şahintepe a connu avec un certain retard l’effet des transformations politiques évoquées ci-dessus. Les habitants y détenaient des titres de propriété de type rural (hisseli tapu) : copropriété en indivision d’une grande parcelle ne donnant ni droit de construire, ni preuve de résidence. Dans un contexte de tolérance associée à une absence de services ou d’infrastructures publiques, c’est par marchandages successifs avec des dirigeants municipaux, ou autres personnes politiquement ou économiquement influentes, que le quartier prend forme. L’année 2009 marque un tournant important dans son destin. Le partage de la rente de situation par le biais des tolérances se trouve remis en cause à l’époque des élections de cette année-là qui donne la victoire électorale à l’AKP à Başakşehir, municipalité d’arrondissement nouvellement créée en 2008. S’en suit alors une succession d’évènements troubles :
- La décision de l’ancienne municipalité de Küçükçekmece de démolir des maisons nouvellement construites sans permission à Şahintepe et Güvercintepe (le quartier précaire voisin) donne lieu à une première confrontation le 3 février 2009 ; la police est lapidée par les manifestants et réplique par des gaz lacrymogènes.
- Un mois avant les élections du 29 mars, une tolérance de fait est mise en place ; une vague de constructions en résulte. (MazlumDer, 2009).
- Une fois les élections passées, la nouvelle municipalité de Başakşehir intervient de nouveau à Güvercintepe le 14 mai 2009 mais, en fin de compte, les nouvelles constructions sont laissées en place.
- Bien que le quartier ne soit pas démoli, toutes constructions et réparations sont désormais interdites sans la permission de la municipalité. Les maisons construites après 2005 n’ont accès ni à l’électricité, ni à l’eau.
- Un nouveau plan local d’aménagement annoncé par la municipalité en 2011 prévoit des titres de propriété collectifs ne donnant pas de droits individuels de construction et amputant de 42 % chaque parcelle pour « usage public ».
- Şahintepe est désigné comme faisant partie de la « zone de développement de réserve » en décembre 2012, suite à la loi sur la transformation des zones à risques de catastrophes. La loi destine ces zones à l’éventuel relogement des habitants des « zones à risques sismiques » et y interdit, en principe, toute autre nouvelle construction.
- La municipalité procède néanmoins en 2013 à la distribution de titres selon le plan de 2011 – en principe suspendu par la décision ministérielle de 2012.
14À l’incertitude ambiante, se rajoute le fait que l’AKP a acquis la réputation d’un parti agissant contre les quartiers précaires et leurs habitants en raison de sa politique de « transformation » qui se traduit par la destruction de quelques 11543 logements dans les quartiers de gecekondu (Kuyucu & Ünsal, 2010), suivie de l’expulsion de leurs résidents ; certains quartiers proches de Şahintepe, comme Ayazma, ont subi ce sort. Dans l’absence de connaissances claires et précises à ce sujet, des rumeurs diverses courent sur l’avenir du quartier. Sur le terrain, les représentants des autorités publiques donnent des explications différentes créant une situation dont la notion de « travail de la confusion » (Auyero & Swistun, 2008) rend bien compte. Cette confusion est aggravée par un contexte où l’on assiste à la dégradation des rapports entre groupes sociaux et religieux à l’intérieur du quartier. Si les origines de cette situation demeurent floues, de nombreux entretiens évoquent un changement d’ambiance autour de 2010 qui, du point de vue subjectif des habitants, rendrait désormais impossible toute mobilisation spontanée comme celles de 2009.
15Les habitants, pour leur part, doivent néanmoins faire de leur mieux pour comprendre ce qui va leur arriver et en tirer les conséquences. Dans ces conditions, une évaluation informée et objective de la situation menant à un éventuel choix fondé sur des informations complètes et correctes, est impossible. Nos observations de terrain entre 2009 et 2014 font néanmoins apparaître un changement dans la vision qu’ont les habitants de l’avenir de leur quartier. De plus en plus, dans leur esprit, le modèle des quartiers devient celui produit par le système de partage de revenus entre TOKI et les grandes entreprises privées. L’exemple particulier de la marque Avrupa Konutları « Logements d’Europe » est souvent évoqué. Dans les faits, il n’est pas du tout certain que le quartier soit transformé sur ce modèle et, encore moins, que si cela se produisait, les habitants actuels puissent en profiter. Il ne s’en suit pas que les habitants soient nécessairement « irrationnels » dans leurs croyances, mais la question des bases sur lesquelles ils fondent leur action ne peut être évitée. Dans une situation où il n’est pas possible de décider par ses propres moyens « que faire ? », pour la simple et bonne raison qu’aucune réponse acceptable n’existe à la question « que croire ? », une stratégie évidente est de se retourner vers une source d’autorité perçue comme digne de confiance. Pour savoir « que croire » les habitants de Şahintepe doivent préalablement décider « qui croire » ou, peut-être plus exactement, en qui faire confiance. Tilly (2005, p. 12) parle de la confiance dans ce sens comme d’une relation au sein de laquelle certains acceptent de confier à d’autres des résultats importants, les plaçant en cas de malfaçon, en situation de risques d’erreurs ou d’échec. À la confiance donc est associée l’appréciation subjective du risque. Auyero et Swistun (2008, pp. 374-375) suggèrent que, face à la perception du risque et du danger potentiel, « la connaissance des acteurs de leur milieu, à un moment et en un lieu donnés, est le résultat conjugué de l’histoire de ce lieu, des routines et interactions de ces habitants et des relations de pouvoir dans lesquelles ils se trouvent ». Ces éléments, à leurs tours, quand nous les appliquons au cas de Şahintepe, nous ramènent au rôle joué par les « routines et interactions » des habitants mais aussi à des « situations de pouvoir » dans lesquelles ils se trouvent : par le clientélisme d’une part, et l’ancrage social et politique de l’AKP de l’autre.
16La profonde pénétration sociale de l’AKP provient du fait que le parti conserve une structure dense de réseaux militants, hérité de l’époque durant laquelle les partis islamistes en Turquie ne pouvaient pas compter sur un accès libre aux canaux officiels d’information et de soutien matériel – et risquaient, bien au contraire, l’interdiction. Selon White (2007, p. 56) l’action dans les années 1990 du parti du bien-être (Refah Partisi), était fondée sur une pratique politique quotidienne, désignée comme « politique vernaculaire » basée sur les valeurs, les relations et les réseaux locaux, personnels et communautaires en rapport avec la politique nationale. Ceci implique un engagement dans les réseaux de proximité, autour des valeurs et normes locales. Cette pratique politique quotidienne, forgée lorsqu’il était dans l’opposition, fournit au parti désormais au pouvoir de nombreux porte-paroles, particulièrement bien placés et considérés par les habitants comme dignes de respect, justement parce que ses militants sont respectueux des normes et valeurs des habitants. Un élément important de cet ancrage est l’image du parti comme promoteur et protecteur de la vie religieuse. Si l’AKP a, en grande partie, neutralisé l’extrémisme islamiste en absorbant les radicaux dans la structure du parti et en les intégrant dans une société de marché, (Tuğal, 2009), il encourage néanmoins « l’islamisation » de la vie quotidienne (Karaman, 2013 ; Kaya, 2015) et en retire des avantages indéniables que nous avons constatés sous la forme de nombreuses expressions spontanées de remerciements et de louanges de la part des habitants, heureux de pouvoir faire chez eux des réunions de lecture du Coran « sans fermer les volets », de porter sans crainte le voile dans la rue, ou encore de constater que « maintenant les enfants apprennent les prières ». Ce renouveau de la vie religieuse montre bien l’attention que porte l’AKP à la dimension morale de la politique, mais cela n’empêche pas qu’il passe avant tout par l’assistance matérielle directe et indirecte : aide de la municipalité aux mosquées et écoles coraniques, collaboration du parti avec des confréries et des fondations caritatives sunnites. Il est donc indissociable d’une politique plus vaste de soutien matériel à la vie quotidienne, politique qui transforme le nouveau modèle de politique sociale néolibéral (Eder, 2010) en arme électorale redoutable.
17Au cœur de ce dispositif dans l’arrondissement de Başakşehir se trouve un élément tout droit sorti de la fabrique des politiques sociales néolibérales. Il s’agit d’une carte de payement informatisée, fournie en fonction des besoins des familles les plus démunies, et utilisable dans certains commerces du quartier. La carte se recharge par tranche de 200 livres turques avec une fréquence qui va de mensuelle, pour les familles dont le revenu par personne est inférieur à un sixième du salaire minimum, à annuelle quant les revenus sont égaux à la moitié du salaire minimum. Dans la logique de la « ville entrepreneuriale », cette carte est vue comme un exemple de service public efficace et de technologie au service des citoyens. Fournie uniquement aux femmes, elle renforce leur rôle à l’intérieur de la cellule familiale. Elle rentre également dans la logique libérale en incitant les habitants à participer à la vie commerciale du quartier, achetant à prix coutant plutôt que de recevoir des aides en nature. Elle sert à suivre dans le détail les choix de consommation des habitants, information qui peut être donnée aux commerces et à leurs fournisseurs. L’importance de cet instrument de politique sociale, néanmoins, ne peut être pleinement appréciée sans prendre en compte des éléments supplémentaires qui relèvent d’une tout autre logique. En impliquant les commerces autant que les consommateurs, ce système s’inscrit dans ce que Buğra (2009) désigne comme « l’économie politique de l’aumône », liant les uns et les autres dans une relation où le parti dominant occupe une place centrale. De manière encore plus directe, les militantes du parti servent de relais à cette politique municipale qui évalue les besoins et aide les femmes à constituer des dossiers de demande. La frontière entre parti et municipalité, entre politique « officielle » et « officieuse » (Briquet, 1998) n’en est rendue que plus floue, et une politique en principe universaliste devient de fait un bien particulier donnant potentiellement lieu à un sentiment de reconnaissance et d’obligation de la part de l’électeur transformé en client (Padioleau, 1982, p. 212).
18Prises dans leur ensemble, toutes ces actions ont une double importance. Tout d’abord, elles contribuent à la création de ce que Banégas (1998) désigne un « régime de subjectivité ». Le parti est enchâssé dans l’« économie morale » du quartier créant un contexte dans lequel les échanges clientélistes sont publiquement – sinon juridiquement – acceptables : « officieux », dans ce cas, ne signifie pas répréhensible. (Briquet, 1998) Dans la construction de l’image positive du parti, il est donc possible de rattacher son rôle officieux aux actions civiques de la municipalité qu’il domine (provision de biens collectifs à l’échelle du quartier) dans un ensemble global d’une « politique du faire » (Goirand, 1998). Cette action de faire est indissociable de l’approche par la « résolution de problème » développée par Auyero (1999 ; 2000, p. 58) qu’il définit ainsi : « L’action quotidienne de courtiers politiques et les pratiques et perspectives des clients, mais surtout les réseaux qui les lient entre eux – réseaux dont l’existence et l’importance reposent sur la résolution de problèmes ». Nous avons souvent constaté que le parti trouve des solutions officieuses aux problèmes de la vie quotidienne. À titre d’exemple, bien que la loi interdisant l’accès à l’eau et à l’électricité pour les constructions informelles ait été faite par le gouvernement de l’AKP, une solution au problème du branchement de l’eau a été trouvée par le parti lorsqu’il met en place un système de compteur d’eau informel, grâce auquel les clients « officieux » sont approvisionnés par leurs voisins « officiels » et règlent entre eux les frais de consommation.
19L’anecdote souligne un second élément, l’émergence du parti lui-même comme patron prédominant au détriment des patrons individuels ou collectifs d’une autre époque. Dans un régime qui se rapproche du « clientélisme bureaucratisé » (Hopkins, 2006), c’est l’AKP en tant qu’institution, et non plus tel ou tel individu, qui est considérée comme étant à l’origine des solutions et des ressources. Les militants du parti, très actifs dans la distribution des aides sociales provenant soit directement de l’AKP ou de la municipalité, soit de fondations caritatives étroitement liées à celles-ci, agissent et sont perçus comme des agents et non pas eux-mêmes des patrons. Bien au contraire, c’est l’étiquette AKP qui devient la condition essentielle de l’influence. L’AKP donne désormais aux groupes, qui n’étaient pas encore organisés en association, les moyens de le faire, et les établit comme intermédiaires pour son action dans le quartier en leur fournissant directement des ressources. Les réseaux de clientèles sont ainsi reconfigurés et concentrés sur le parti. Sayari (2011, p. 92) généralise ces observations, notant que l’action de l’AKP remplace, à son grand avantage électoral, les anciens réseaux du clientélisme vertical par des relations horizontales issues en même temps d’une tradition d’entraide, déjà exploitée par ses précurseurs islamistes (White, 2007), et de distribution particulariste de ressources par l’organisation du parti.
20Dans ce contexte, rendre service au quartier et distribuer des aides matérielles doivent être envisagés dans la perspective de « pédagogie politique » (Padioleau, 1982, p. 215). Faire quelque chose sert avant tout à l’apprentissage des catégories idéologiques et normatives. Dans le cas « du Parti Communiste en France, Padioleau, (1982, p. 215) constate que « l’allocation de ces biens s’inscrit ainsi dans une démarche que nous qualifierons de pédagogie politique. En ce sens, le parti s’efforce de l’englober dans une rationalité normative […] beaucoup plus vaste ». En effet, contrairement aux « machines politiques urbaines » des USA, (Bonnet, 2010, p. 10), l’AKP est tout sauf « indifférente » à la politique au sens du contenu de l’action publique. L’action clientéliste, et la pédagogie politique qu’elle facilite, sont explicitement au service d’un programme précis, concret et censé se réaliser à court terme. Il s’agit bien du programme de transformation urbaine dont il était question ci-dessus, et de la création d’un consensus actif autour de celui-ci. Les militants du parti saisissent toute occasion d’évoquer les transformations et leurs avantages. Le Canal Istanbul, en particulier, est mis en avant en même temps comme moteur économique qui entrainera une augmentation spectaculaire de la valeur foncière du quartier et comme objet de fierté nationale. Le sentiment induit par ces discours se rapproche de la fierté civique invoquée par Passoti (2010) mais avec un élément supplémentaire d’intérêt économique. Ce dernier, néanmoins, n’est pas sans ambigüité ; cette transformation profitera-t-elle aux habitants actuels ? Eux-mêmes n’en sont pas certains, mais le changement dans le discours ambiant entre 2009 et 2014 est frappant : de mobilisation contre la démolition, il est passé à l’espoir d’habiter un quartier modernisé et embelli. Si l’inquiétude persiste sur les prix d’achat des nouveaux logements, la simple défense de l’existant ne semble plus être au cœur du débat. Quand les habitants réclament « justice » ils entendent par là un bon prix pour leurs maisons actuelles.
21La nouvelle logique est celle d’une « politique de compensation » (Roy, 2009) plutôt que de confrontation.
Conclusion
22Les politiques du gouvernement actuel se traduisent par une reconfiguration des réseaux de clientèles en faveur du parti au pouvoir et de ses représentants locaux. La politique urbaine « officielle » visant la transformation urbaine néolibérale ne peut pas réussir sans le soutien de cette politique « officieuse » de réseaux et clientèles. Les deux ont une relation symbiotique, bien illustrée par le double usage de la carte de soutien – intégrer la municipalité dans les réseaux entrepreneuriaux internationaux, mais aussi renforcer les liens clientélistes entre habitants et parti. Par analogie avec la notion d’« apprentissage de la démocratie » (Briquet, 1998), le clientélisme peut être considéré ici comme élément d’un apprentissage de la négociation autour d’une « politique de compensation » (Roy, 2009) proposée par le gouvernement. Loin d’être incompatible avec une politique de transformation urbaine d’inspiration néolibérale, le clientélisme « bureaucratisé » lui est ainsi indispensable. Dans la situation d’incertitude où se trouvent les habitants, la technicisation de l’allocation des ressources, qui va de pair avec l’ancrage social et la capacité de mobilisation du parti, transforme à travers la pédagogie politique une situation contestataire en consensus élargi. Il ne s’agit donc pas, comme le soutient une partie de la littérature sur la politique urbaine, de la fin du clientélisme. Nous observons par contre sa profonde transformation et l’influence de celle-ci sur la répartition des avantages économiques.
23Dans le cadre de l’évolution de la politique urbaine, les enseignements à retirer de cette situation nous amènent à une conclusion quelque peu en décalage avec les courants dominants de la politique urbaine, d’une part, et de l’analyse critique du libéralisme de l’autre. Le bilan principal des tournants politiques successifs, liés à la transformation urbaine du grand Istanbul, n’est ni la fin du clientélisme, ni celle de la politique sociale. L’un comme l’autre survit sous forme transformée, mais renforcée – tout autant pour les ressources qui y sont consacrées que pour son efficacité électorale. Ce qui a changé, c’est, d’une part, le rapport entre ces deux politiques et, d’autre part, le partage de la plus value foncière. En effet, l’ancien modèle dans lequel la tolérance d’un régime informel de propriété servait aux gouvernements successifs tout autant de politique sociale indirecte que de ressource pour les échanges clientélistes, avait comme résultat d’assurer, à une part au moins de la population des quartiers précaires, l’accès à l’enrichissement par la propriété. C’était la dynamique de la « pauvreté à tour de rôle » mise en avant par Işık et Pınarcıoğlu (2001).
24La nouvelle politique sociale, par contre, décrite en général par Eder (2010) et dont nous avons analysé le fonctionnement dans un cas précis, a un effet différent. Il en résulte un nouveau clientélisme sous le contrôle quasi exclusif du parti au pouvoir, réunissant dans le rôle de patron institutionnalisé : parti et municipalité, et servant avant tout d’instrument de pédagogie politique. Le contenu de celle-ci est clair : les possibilités d’enrichissement par la propriété ne passent plus comme auparavant par la transformation d’habitant précaire en auto-entrepreneur du bâtiment et de l’immobilier, mais dans l’acceptation par ce dernier d’un régime foncier dominé par les grands projets d’urbanisme menés par une agence de l’État (TOKI) en partenariat avec les grandes entreprises privées.
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Mots-clés éditeurs : transformation urbaine, clientélisme, Turquie, AKP, néolibéralisme
Date de mise en ligne : 20/07/2015
https://doi.org/10.3917/psud.042.0029