Notes
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Cette percée de la droite dans l’Hérault n’est pas que le résultat mécanique des scores médiocres de la gauche municipale. Elle est également due à l’instauration du suffrage proportionnel, et, pour au moins un siège, à la réactivation
1Observer les élections dans une région comme le Languedoc-Roussillon impose d’en renouveler régulièrement le mode d’analyse. Cela est dû aux transformations qui l’affectent dans sa géographie urbaine comme dans sa démographie. Mais cela est également lié aux progrès de la connaissance que nous en avons, petit à petit, acquise au fil des consultations électorales, et dont cette revue a régulièrement rendu compte (Arpaillange & Cheylan, 1995 ; Alliès et alii, 1998 ; Jourda & Négrier 2005). Ces deux traits – pression des faits et nécessité d’approfondissement – conduisent à revenir sur un territoire tour à tour considéré comme rouge (Sagnes, 1982) dans ses traditions, noir dans ses pulsions protestataires des années 1990 (Négrier, 2001a), puis rose dans ses dernières manifestations régionales.
2Notre point de vue, dans cet article, est de revenir sur un temps relative-ment long de consultations afin de voir en quoi il est difficile d’expliciter un comportement politique qui serait proprement languedocien, tant celui-ci peut varier d’un espace à l’autre, d’une consultation à l’autre. L’incertitude qui frappe une identité politique languedocienne ne conduit cependant pas à considérer comme vaine toute tentative d’inscrire quelque régularité, voire quelque élément de culture politique, au sein même de ce cadre territorial. Plusieurs perspectives, utilisées tour à tour, viendront, au contraire, territoria-liser l’analyse, en tenant compte des résultats d’élections s’étant déroulées entre 1988 et 2008.
3La première se réfère aux deux décennies écoulées, en montrant les chan-gements, assez spectaculaires, qui se sont opérés entre deux scrutins considérés comme témoins : le second tour de l’élection présidentielle de 1988 et celui de 2007. L’analyse que nous en ferons, sciemment globale, conduira à un premier découpage territorial du Languedoc-Roussillon dans son évolution.
4La deuxième se rapporte aux villes de plus de 10 000 habitants, et singulièrement les plus importantes d’entre elles, et cherche à vérifier l’hypothèse d’une relative localisation des trajectoires électorales, en fonction de traits singuliers qui affectent à la fois les communes en question, mais aussi leurs parcours au gré de chaque type d’élection.
5La troisième entrée s’attarde davantage sur les élections municipales de 2008. Souvent présentée comme scrutin intermédiaire, l’élection municipale est censée être sensible aux courants nationaux qui affectent la politique gouvernementale, et se traduire par une tendance à la sanction à l’égard de l’équipe nationale en place, plus qu’à la politique municipale en tant que telle. En 2008, ce phénomène a été particulièrement commenté, à la faveur d’une « vague rose » qui a permis à la gauche de conquérir ou reconquérir des positions, notamment dans les grandes villes. Nous tenterons de montrer que cela n’a pas été le cas en Languedoc-Roussillon, en dépit de certains résultats hautement symboliques.
Le grand chambardement électoral : 1988-2008
6Les élections présidentielles sont de bons scrutins pour analyser les transformations politiques d’un territoire électoral, car ce sont à la fois des élections très fréquentées, et pour lesquelles, notamment au second tour, la partition gauche-droite est tranchée. Au cours de la période 1988-2007, les changements n’ont pas manqué dans la chronique territoriale et politique languedocienne. L’évolution démographique (1,4% par an, depuis 1999, contre 0,6 en France) a profondément modifié la structure urbaine (INSEE, 2006), en confortant l’étalement autour des principales villes, mordant ainsi sur des zones entières de culture viticole (Ministère de l’Agriculture, 2008).
7Les nouvelles populations, fortement attirées par les zones littorales, n’ont pas un profil unique, mais sont au contraire marquées par une certaine dualité : une proportion de ménages âgés, venant prendre leur retraite au sud ; une proportion non négligeable de ménages plus jeunes, moins aisés, arrivant en Languedoc-Roussillon à la faveur d’une mutation, pour la fonction publique, ou de recrutement dans les secteurs du tourisme, du bâtiment ou des nouvelles technologies, les plus dynamiques en termes d’embauche au cours de cette période. À la périurbanisation et à la littoralisation d’une population languedocienne en forte croissance (INSEE, 2007) s’oppose la stabilité voire le déclin des populations de l’arrière-pays. Cette tendance n’est pas totalement homogène au gré des espaces, étant donnée la revitalisation sélective d’un certain arrière-pays, notamment dans certaines zones intermédiaires entre piémont et vallée. Mais elle dessine une évolution très contrastée, dont on peut se demander si elle peut avoir un impact sur les élections. C’est en tout cas l’hypothèse que nous avons formulée.
8Les élections présidentielles et législatives de 2002 avaient marqué une déroute de la gauche, dans une région où le Front national avait fait parmi ses meilleurs scores, renforçant encore sa position entre les deux tours de l’élection présidentielle. On peut constater en comparant les deux cartes suivantes que la médiocrité de ses résultats s’inscrit dans un processus de déclin, régulier et contrasté. On peut ainsi repérer quatre territoires qui se distinguent nettement à l’intérieur du champ régional.
9Le premier est constitué des zones rurales. Dans celles-ci, où la stabilité de la population va de pair avec une plus grande régularité des comportements politiques, la gauche maintient ses positions, là où elle était faible (le nord de la Lozère) comme là où elle était déjà dominante (les bastions ruraux de l’Aude, des Cévennes ou des Pyrénées-Orientales). Si elle n’est pas pour rien dans le maintien d’une hégémonie de la gauche au sein de quatre conseils généraux sur cinq, cette population représente une fraction de plus en plus réduite du corps électoral languedocien.
10La deuxième zone est celle du périurbain. C’est le secteur le plus dyna-mique en termes d’évolution démographique. C’est aussi celui au sein duquel se joue l’identité politique des agglomérations, et donc des nouveaux ter-ritoires de l’action publique. Dans cet espace de la « démocratie du sommeil » (Viard, 2006), où les électeurs habitent mais ne travaillent pas, et privilégient donc les thèmes liés à la résidence contre ceux du travail, l’inversion de comportement politique est nette. La carte montre que dans ces zones qui entourent les principales villes de la région, le vote largement à gauche était une culture dominante, à l’exception du perpignanais, d’une partie du Gard (au sud de Nîmes et à l’ouest d’Avignon) et de la périphérie montpelliéraine. C’est aujourd’hui la quasi-totalité de ce même espace qui bascule dans un vote très favorable à la droite. Ce phénomène se fait même ressentir dans les territoires audois sensibles à l’étalement urbain toulousain.
11La troisième zone est une déclinaison spécifique de la précédente, et concerne le littoral. On sait que celui-ci est l’espace au sein duquel la pression urbaine s’est faite la plus forte. C’est également celui où l’inversion de tendance entre gauche et droite est la plus forte. Lors des précédentes consultations, on avait pu constater certaines résistances à la droitisation générale, notamment dans certains bastions municipaux de gauche, comme Collioure, dans les Pyrénées Orientales. En 2007, le littoral bascule intégralement à droite, à la très légère exception du narbonnais. Après avoir donné ses suffrages, au cours des scrutins antérieurs, au Front national, le littoral, où la thématique sarkozienne et sécuritaire d’une France des propriétaires touche à tous les rêves et à tous les cauchemars de cette population, est devenu une terre de mission pour la gauche aux élections nationales.
12La dernière zone est constituée des villes. Non qu’elles soient homo-gènes dans leur comportement politique, comme on le verra dans la partie suivante. Mais elles sont marquées par une meilleure résistance de la gauche, par rapport à leur environnement littoral et/ou périurbain, à l’exception de Béziers. Le cas de Montpellier en est parfaitement emblématique, puisque à l’occasion des élections législatives, les circonscriptions qui étaient à cheval sur la ville-centre et des communes périurbaines littorales montraient clairement une hégémonie de droite dans ces dernières (avec des scores très élevés) et une forte domination de la gauche dans la première. Évidemment, ce contraste a à voir avec la manière dont la gauche, dans ces villes, est parvenue à faire converger le soutien des couches moyennes intellectuelles et le maintien à gauche des populations des quartiers populaires, lorsque celles-ci ne se sont pas abstenues. Montpellier en est le paradigme en positif, et Béziers l’illustration en négatif. Dans la capitale régionale, ce phénomène croissant pose un problème de fond à la droite, et l’on comprend qu’elle soit tentée, aujourd’hui, de renforcer le niveau d’agglomération (avec l’élection populaire de son président), alors qu’elle s’y est opposée pendant dix ans : il en va de sa capacité à reconquérir la ville, en passant « par les extérieurs ».
Les trajectoires de villes
13Alors qu’un premier niveau d’observation semble inéluctablement marquer le déclin de la gauche languedocienne, en y intégrant même son maintien dans des bastions eux-mêmes en déclin démographique, une deuxième appréhension, elle aussi de moyen terme, permet de nuancer le propos. Cette nuance tient à l’examen, ville par ville, des différences entre scrutins (présidentiel, régional, municipal). Elle tient aussi à la périodisation des ruptures éventuelles de comportement (la « bascule » de la gauche vers la droite, ou réciproquement), et à l’ampleur de ces changements politiques. On peut, en examinant le sort des principales villes de la région, voir à quel point leur électorat continue de différer, ce qui n’est pas pour rien dans la fragmentation que d’aucuns considèrent comme un trait culturel de la politique languedocienne. Signalons d’emblée que les scores étudiés se rapportent au nombre de voix obtenues, et non au pourcentage des suffrages exprimés. Cela permet aussi de mesurer la mobilisation électorale.
Lecture des graphiques :
Abréviations : P=Présidentielle - R=Régionale - M=Municipale
14Le premier cas, à bien des égards exceptionnel dans la région, est celui de Montpellier. Nous partons, en 1988, d’une situation où la gauche et la droite font jeu égal en nombre de voix, dans un contexte d’augmentation déjà sensible de la population. Cette égalité succède à une longue période où la droite dominait au contraire la plupart des scrutins nationaux.
15L’accélération de la croissance démographique coïncide avec un décro-chage progressif de la droite, qui suit certes la même courbe d’évolution liée aux amplitudes de la participation, mais avec un écart qui se creuse. La droite, en particulier, souffre plus que la gauche du déficit de mobilisation, comme on peut le voir de façon éclatante avec l’élection municipale de 2008.
16Dans le cas de Perpignan, qui fait l’objet par ailleurs d’une monographie de Caroline Maury dans ce même numéro, l’évolution de la population est déjà très différente, avec un reflux suivi d’un nouvel essor, à partir de 1999. Surtout, la droite y creuse un écart constant aux élections présidentielles, qui lui permet, même en cas de reflux participatif aux élections municipales, de dominer l’échiquier politique, avec une composante, exceptionnellement élevée, de votes Front national. Les évolutions électorales entre scrutins montrent donc une évolution beaucoup moins nette que dans le cas de Montpellier.
17Carcassonne (et Narbonne, qui ne s’en distingue guère) connaît un essor démographique moins ample, mais de même trajectoire que Montpellier. Cependant, au contraire des villes précédentes, le chassé-croisé entre droite et gauche est permanent, avec une spécificité des élections municipales (et accessoirement des régionales de 1998) qui donnent la préférence à la droite, alors que les élections nationales, ainsi que les régionales de 2004, voient dominer la gauche. Là aussi, la droite souffre plus que la gauche du taux d’abstention de 2008, ce qui explique sa défaite à Narbonne, et l’égalité presque parfaite à Carcassonne. Mais, alors que c’est l’élection municipale de 2001 qui est, à Montpellier et Perpignan, le pire scrutin pour la gauche, c’est l’élection régionale de 1998 qui incarne son étiage bas dans les deux villes de l’Aude, comme d’ailleurs à Mende.
18Dans la préfecture de la Lozère, l’hégémonie de la droite semble n’avoir aucune trêve jusqu’en 2001, dans un contexte d’évolution plus lente de la population (10% en 20 ans environ, contre 20% à Montpellier). L’élection régionale de 1998 y est le point culminant de la droite, mais sans doute aussi son apogée, jusqu’à un retournement historique, en 2008. À Mende, ce n’est pas tant la droite qui perd des voix, globalement (son score est même identique entre 1988 et 2008), que la gauche qui tire, seule, parti de l’essor démogra-phique. Il faut cependant relativiser le « grand retournement mendois » par le fait que c’est le legs des voix centristes, incarnées par Jean-Jacques Delmas, maire sortant Modem, au bénéfice du socialiste Alain Bertrand qui assure, en 2008, le succès à la gauche.
19Enfin, les villes où le Parti communiste a rivalisé avec le Parti socialiste pour l’hégémonie à gauche présentent une situation particulière, assez comparable. Sète, Béziers, Nîmes et Alès ont connu une évolution démographique moins dynamique que la moyenne régionale, quand elle n’est pas contradictoire avec celle-ci, dans les cas d’Alès et Béziers. La gauche, qui devance la droite aux élections présidentielles de 1988, entame alors un déclin spectaculaire, avec un étiage bas alternativement situé aux régionales de 1998 (Sète, Nîmes, Béziers) et aux municipales de 2001 (Alès). L’écart creusé par la droite lui permet d’amortir les élections intermédiaires qui lui sont défavorables (régionales de 1998, de 2004 ; municipales de 2008). Pour ces dernières, le déficit de participation pénalise d’ailleurs plus la gauche que la droite à Alès et Béziers, où ce sont de véritables citadelles électorales qui se sont créés au fil des élections.
20Nous avions opéré, après les élections municipales de 2001, une distinc-tion qualitative entre bastions – où la cohérence d’une hégémonie sociale et politique s’affirme – et fiefs où se construisent de subtiles alchimies entre classes sociales autour d’un leadership politique singulier (Négrier 2001b). On peut aujourd’hui affirmer qu’on est, dans les villes languedociennes, en présence de plusieurs configurations électorales :
- Les villes où une formation l’emporte désormais quel que soit le scru-tin : Montpellier pour la gauche ; Alès, Nîmes, Béziers, Perpignan. Ce sont des bastions.
- Les villes où, lors des élections municipales, l’écart entre camp est supérieur à celui de la plupart des autres scrutins : Sète, Alès, Montpellier, Béziers. Ce sont des fiefs.
- Les villes où l’instabilité du leadership et des écarts de voix peut affecter l’ensemble des élections : Carcassonne, Mende.
21L’intérêt de ce deuxième regard est de montrer le caractère assez fragmenté de l’espace politique régional, avec des trajectoires qui n’épousent ni les mêmes temporalités, ni les mêmes évolutions, ni les mêmes tendances, alors même que ces villes sont, comme les autres, soumises à un certain degré de nationalisation de la vie politique. C’est précisément sur ce point que nous allons développer notre analyse dans la partie suivante, en nous intéressant à une élection seulement : l’élection municipale de 2008.
Les élections municipales : la stabilité paradoxale du Languedoc
22Paradoxalement, alors que tous les indicateurs de changement social se sont accélérés au cours de la plus longue mandature municipale (2001-2008), les résultats des élections municipales traduisent une stabilité dans le rapport de forces. Paradoxalement aussi, alors que les tendances nationales y sont le plus souvent accentuées (participation électorale, radicalisation politique, effet de balancier lors d’alternances nationales), on trouve cette fois une forte atténuation des changements observés à l’échelle nationale, ceux d’une nette « correction » municipale des résultats présidentiel et législatif de 2007, au bénéfice de la gauche. Ce constat implique de recourir à un troisième mode d’observation, et de nous intéresser cette fois à l’évolution de court terme (2007-2008) dans les communes de plus de 3500 habitants. Sur le plan méthodologique, cela est tout sauf aisé, dans la mesure où les communes de plus de 3500 habitants, et notamment les plus petites d’entre elles, disposent de majorités municipales à la couleur politique difficile à repérer, car non revendiquée. Pour l’identifier sûrement, il convient d’examiner d’abord la couleur politique de la ou des liste(s) opposée(s). Et lorsque la droite, ou gauche truste, seule, l’ensemble du spectre électoral, cela se traduit par la présence d’une seule liste (Limoux, Ganges, Saint-Clément de Rivière étaient dans ce cas) dont l’identité ne fait aucun doute. Il est donc souvent possible d’identifier la couleur refoulée par la couleur opposée. Lorsque chacune ces listes se réfugie dans l’abstraction métaphorisée (« ensemble », « tous », « avenir », « en avant », etc…), il convient alors d’observer la stratégie de positionnement du leader de chaque liste à propos des élections cantonales. Le cumul de ces deux dispositifs d’identification ne laisse plus guère de doute sur l’identité politique des adversaires.
23Le Languedoc-Roussillon compte aujourd’hui 132 communes de plus de 3500 habitants, qui constituent notre échantillon. Si l’on raisonne en termes relatifs, en tenant compte du rapport droite-gauche entre la présidentielle de 2007 et la municipale de 2008 (en % des suffrages exprimés), la gauche accomplit des progrès significatifs. Sur 132, elle fait de meilleurs scores dans 90 cas, dont 40 avec plus de 20% de progression. Les exceptions à la règle se situent, comme on peut s’y attendre, dans le littoral et dans le périurbain, en particulier autour de Perpignan. Pourtant, ce résultat ne saurait faire illusion. En nombre de suffrages (avec un taux de participation plus faible), la gauche ne progresse plus que dans 66 communes, dont 47 avec plus de 20%. Aussi ces élections municipales témoignent-elles beaucoup plus de la chute de mobilisation de la droite que d’un regain unilatéral de la gauche régionale. Celui-ci n’est effectif que dans la moitié des communes de plus de 3500 habitants. Un tel constat, basé sur l’analyse des résultats en voix, recoupe assez nettement les enseignements nationaux sur ce scrutin.
24Il n’en est pas de même pour ce qui est de l’évolution du rapport de force politique, basée sur les gains et pertes de communes pour chaque camp. À l’issue des élections municipales de 2001, la droite dominait 71 communes, contre 61 à la gauche. Après celles de 2008, la droite en compte 72 contre 60 pour la gauche. Ces résultats contrastent nettement avec la tendance constatée à l’échelle nationale, où la gauche a largement progressé. On vérifie cette singularité languedocienne à l’occasion des élections sénatoriales de 2008, où l’Aude, le Gard et l’Hérault étaient renouvelables. La droite conquiert 3 sièges de sénateurs (deux dans l’Hérault, un dans l’Aude) alors qu’elle n’y détenait aucun mandat depuis longtemps [1]. Par ailleurs, la relative stabilité en nombre de communes cache un chassé croisé sur 35 d’entre elles. 17 communes passent de droite à gauche, tandis que 18 font le chemin inverse.
Droite et gauche aux élections municipales 2008 en Languedoc-Roussillon
Droite et gauche aux élections municipales 2008 en Languedoc-Roussillon
25Le profil de ces communes n’est pas homogène. 10 communes, sur les 17 où la droite sortante est battue, sont des communes isolées ou des villes-centre (Lodève, Mende, Narbonne). Ce profil est confirmé par le fait que 16 communes sur les 25 où la droite est moins bien élue qu’en 2001 sont également des villes isolées ou des villes-centre (Nîmes, Carcassonne, Vauvert, Lunel). Dans une large majorité de communes périurbaines et/ou littorales, la gauche perd de l’influence (5 cas sur 8) quand elle ne perd pas l’élection (13 cas sur 18).
26La tendance de la gauche à perdre du terrain et/ou les élections dans les communes périurbaines et littorales est donc dominante. Elle n’est pas exclusive de certaines exceptions, sur lesquelles il faudrait se pencher de façon plus précise : Gruissan, dans l’Aude, Toulouges ou Saint-Estève dans les Pyrénées-Orientales, Frontignan ou Cournonterral dans l’Hérault sont des exemples de renforcement de la gauche sortante en « milieu contraire ». Ce sont au moins des communes marquées par la présence à leur tête d’un leader reconnu, jouant sur une pluralité de mandats (une vice-présidence de l’agglomération ou un siège de conseiller général assortis d’une délégation importante, par exemple). Il faudrait, pour les spécifier, examiner la nature de leurs politiques publiques, ce qui excède les limites de cet article. On peut cependant noter à ce propos que la distinction entre communes périurbaines de gauche et de droite est particulièrement difficile à opérer au seul vu de l’action municipale, et par exemple de leur politique de logement. Il existe, naturellement, des villes symboliques d’une vision conservatrice du développement urbain, comme celles du nord de Montpellier, où le taux de logement social est proche du néant. D’autres, beaucoup plus rares, illustrent à leur échelle un autre projet politique, plus ouvert à la diversité des populations et de leurs revenus. Mais dans la grande majorité des cas, les équipes municipales sont plus sensibles aux attentes formulées par la partie la plus influente de leur population, privilégiant la sélectivité de l’accès à leur sol. Il n’est pas dit que la stratégie d’offre de lotissements privés et le rejet corrélatif de toute politique réelle de logement social soient très favorables aux municipalités de gauche qui les expriment pourtant en nombre sur le terrain.
Conclusion
27Ces trois regards sur le Languedoc électoral permettent de se convaincre de l’identité politique très relative de l’ensemble régional. Les quatre zones que nous avons dégagées (l’urbain, le périurbain, le littoral, l’arrière-pays) se comportent de façon relativement spécifique, avec des glissements importants qui affectent, séparément, chacune de ces zones. Parmi elles, avec l’exception montpelliéraine, seul un arrière-pays en déclin démographique reste solidement ancré à gauche. Le basculement à droite de la région, longtemps amorti par l’importance du Front national, est d’autant plus sensible qu’il s’appuie sur les zones de l’expansion démographique : le littoral et les univers périurbains, où le transfert entre les suffrages frontistes et le vote Sarkozy n’a guère souffert d’exception notable, comme s’il n’y avait pas de distinction idéologique fondamentale entre les deux versions de la droite, vu de l’électeur à tout le moins.
28Face à cette réalité, la gauche languedocienne montre de multiples visages de fragmentation. Aux épisodes conflictuels qui ont marqué l’élection législative dans les Pyrénées-Orientales (avec la perte de la 4ème et plus ancienne circonscription de gauche en Languedoc-Roussillon), répond en écho une nouvelle version de la guerre des deux roses en Languedoc-Roussillon, entre le courant urbain, porté par la fédération socialiste et inspiré depuis plus de 30 ans par Georges Frêche, et le courant départementalo-rural, porté par André Vézinhet, son ancien premier adjoint. Cette guerre a éclaté à l’occasion des élections sénatoriales de septembre 2008. Parallèlement, en milieu urbain, le maintien des Verts à un haut niveau et l’essor possible du Nouveau Parti Anticapitaliste se conjuguent pour renforcer le caractère centrifuge de la gauche héraultaise.
29L’Aude présentait, jusqu’à aujourd’hui, un visage singulièrement différent. Comme dans le Gard, l’opposition entre Conseil général et villes était réglée par la différence d’étiquette politique. Avec la conquête par la gauche de Nar-bonne, l’Aude socialiste s’ouvre à une autre configuration.
30Cette fragmentation institutionnelle et partisane, à gauche, risque de pe-ser sur les futures échéances politiques, parmi lesquelles l’élection régionale de 2010. La droite, si elle se prépare à une véritable compétition entre leaders, n’est plus, contrairement à son histoire (Secondy, 2006) traversée des mêmes contradictions internes entre intérêts institutionnels et clivages partisans. Plus homogène idéologiquement et au plan organisationnel, elle est aussi la principale bénéficiaire des transformations démographiques. Pour mieux appréhender le lien entre celles-ci et la nouvelle donne électorale, le recours aux données du recensement, dès 2009, s’avère incontournable.
Bibliographie
Références
- Arpaillange C. & Cheylan J.-P., « Les élections de mars 1992 en Languedoc-Roussillon : entre notabilisation des votes et restructuration du système notabiliaire », Pôle Sud, n° 2, 1995.
- INSEE, Tableaux de l’économie du Languedoc-Roussillon, Montpellier, INSEE, 2006.
- Ministère de l’agriculture, Recensements agricoles 1988-2000 – Base de données AGRESTE, campagnes agricoles 1987-1988 et 1999-2000, 2008.
- INSEE, « Projection de la population à l’horizon 2030 en Languedoc-Roussillon », Repères, n° 9, 2007.
- Alliès P., Baraize F., Cheylan J.-P., Genieys W. & Négrier E., « Les élections régionales de mars 1998 en Languedoc-Roussillon. Une nouvelle singularité languedocienne ? », Pôle Sud, n° 8, 1998.
- Négrier E. (dir.), Les Maîtres du Sud. Géopolitique du Languedoc-Roussillon, Lyon, Golias, 2001a.
- Négrier E., « Les nouveaux fiefs. Les élections municipales de 2001 », Pôle Sud, n°15, 2001b.
- Négrier E. & Jourda M.-T., « Retour sur le non languedocien au Traité Constitutionnel. Le référendum du 29 mai 2005 en Languedoc-Roussillon », Pôle Sud, n°23, 2005.
- Secondy P., La persistance du Midi blanc : L’Hérault, 1789-1962, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2006.
- Sagnes J., Le Midi rouge. Mythe et Réalité, Paris, Anthropos, 1982.
- Viard J., Éloge de la mobilité, Paris, Éditions de l’Aube, 2006.
Mots-clés éditeurs : élections, identité politique régionale, Languedoc-Roussillon
Mise en ligne 24/02/2009
https://doi.org/10.3917/psud.029.0057Notes
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[1]
Cette percée de la droite dans l’Hérault n’est pas que le résultat mécanique des scores médiocres de la gauche municipale. Elle est également due à l’instauration du suffrage proportionnel, et, pour au moins un siège, à la réactivation