Pôle Sud 2006/1 n° 24

Couverture de PSUD_024

Article de revue

Lectures

Pages 157 à 173

Notes

  • [1]
    L’analyse de manuels de politiques publiques comme celui de Gloria Regonini confirment l’impression de cette séparation sous-disciplinaire au sein de la science politique italienne. Cf. Regonini G., Capire le politiche pubbliche, Bologne, Il Mulino, 2001
  • [2]
    Ces projets comportaient une reconversion environnementale (construction de parcs publics, nettoyage des côtes et peu de construction immobilière), touristique (tourisme balnéaire, loisirs culturels, congrès) et autour de la création d’un pôle de recherche et développement. Cf. De Lucia V., Napoli. Cronache urbanistiche (1994-1997), Milan, Baldini & Castoldi, 1998.
  • [3]
    Gribaudi G., Musella L., 1998, « Acteurs et représentations de l’échange politique. Clientélisme et corruption à Naples à travers les enquêtes judiciaires », in Briquet J.-L., Sawicki F. (dir.), Le clientélisme politique dans les sociétés contemporainesParis, P.U.F., 1998, pp. 277-305 ; Brancaccio L., « Stratégie del consenso politico a Bagnoli (1980-1992). La Democrazia Cristiana e il Partito Socialista », in Marletti C. (dir.), Politica e società in Italia, vol.2, Milan, Angeli, 1999.
  • [4]
    Piattoni S. (dir.), Clientelism, Interests, and Democratie Representation. The European Experience in Historical and Comparative Perspective, cambridgen, Cambridge University Press, 2001 ; Briquet J.L., Sawicki F. (dir.), op.cit.
  • [5]
    Dans le prolongement de la théorie de l’électeur rationnel, et des notions de rationalité instrumentale ou d’attentes rationnelles des acteurs, le « contrôle électoral » renvoie aux processus par lesquels les groupes d’électeurs et les partis coordonnent leur action en vue de gagner plus de sièges de députés ou de portefeuilles ministériels.
  • [6]
    Un parti ou un candidat sont « viables » lorsqu’ils sont en mesure d’obtenir un siège.
  • [7]
    La logique de ce résultat de A+1 est une généralisation directe de la thèse de Duverger sur l’entrée dans la compétition de partis dans les circonscriptions uninominales. Si les prévisions des résultats électoraux des partis sont suffisamment claires, les premiers A-1 sièges seront déjà décidés. La seule incertirude et donc la compétition réelle ne porte que sur le dernier siège en jeu. Pour l’emporter, il n’existe normalement que deux compétiteurs viables – le dernier à avoir emporté un siège ou le premier battu présumé. Dans une circonscription uninominale, notre exemple, il y a normalement deux partis ou candidats viables susceptibles d’obtenir le dernier – et seul siège – en jeu (un hypothétique troisième compétiteur sait qu’il n’a pas la possibilité ou qu’il devra se retirer). Par conséquent, nous devons nous attendre à ce qu’un maximum de (A-l)+2 = A+l partis ou candidats viables se le disputent.
  • [8]
    Mike Davis, City of quartz. Los Angeles, capitale du futur, Paris, La découverte, 1997.
  • [9]
    Arnaldo Bagnasco, « La ricerca urbana fra antropologia e sociologia », introduction à l’édition italienne de Ulf Hannerz, Esplorare la città, Bologna, Il Mulino, 1992 ; Arnaldo Bagnasco, Patrick Le Galès, « Les villes européennes comme société et comme acteur », in Arnaldo Bagnasco, Patrick Le Galès (dir.), Villes en Europe, Paris, La Découverte, 1997 ; Alfredo Mela, Sociologia delle città, Roma, Carocci, 1998.
  • [10]
    Jean Petaux, Le changement politique dans le gouvernement local. Le pouvoir municipal à Nantes, Paris, Pedone, 1982.
  • [11]
    Jacques Lagroye, Politique et Société. Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Paris, Pedone, 1973.
  • [12]
    Olivier Borraz, Gouverner une ville. Besanc on 1959-1989, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998.
  • [13]
    Patrick Le Galès, Politique urbaine et développement local, une comparaison franco-britannique, Paris, L’Harmattan, 1993.
  • [14]
    Ce point est exposé de manière très détaillée dans l’ouvrage d’Olivier Borraz sur Besançon.
  • [15]
    Olivier Borraz, « Le gouvernement municipal en France. Un modèle d’intégration en recomposition », Pôle Sud, n° 13, novembre 2000, pp. 11-26.
  • [16]
    Frédérique Matonti (dir.), La démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005.
  • [17]
    On pourrait voir dans Marseille un des exemples de la crise de la démocratie représentative qui trouve dans les villes un de ses principaux terrains d’élection. Sur ce point, cf. Oskar Gabriel, Vincent Hoffmann-Martinot (dir.), Démocraties urbaines, Paris, L’Harmattan, 1999.
  • [18]
    L’exposé classique de cette approche dans sa version « dure » est G. Becker, The Economic Approach to Human Behavior, Chicago, Chicago University Press, 1976.
  • [19]
    Pascal Perrineau et Colette Ysmal, Le Vote de tous les refus : les élections présidentielle et législative de 2002. Paris, Presses de Science Po (Chroniques électorales)) 2003.
    Bruno Cauterès et Vincent Tiberj, « Une Sanction du gouvernement mais pas de l’Europe. Les élections européennes de juin 2004 », Les Cahiers du CEVIPOF, n° 41, 2005.
  • [20]
    Fabienne Greffet, « Le PCF : combattre le déclin par la mutation ? », Les Partis, op. cit., 2001.
  • [21]
    Daniel-Louis Seiler, Partis et familles politiques. Paris, PUF, 1980.
  • [22]
    Pierre Bréchon, Les Partis politiques. Paris, Montchrestien, coll. Clefs-Politique, 1999.
  • [23]
    Christophe Traïni, Les Braconniers de la République : les conflits autour des représentations de la Nature et la politique, Paris, Presses universitaires de France, coll. Politique d’aujourd’hui, 2003.
  • [24]
    Benoît Rihoux, Les Partis politiques : organisations en changement. Le test des écologistes. Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 2001.
  • [25]
    Richard S. Katz and Peter Mair, « Changings Models of Party Organization and Party Democracy : The Emergence of the Cartel Party », Party Politics, I (1) repris dans Peter Mair, Party Systems Change. Approaches and Interpretations. New York, Oxford University Press, 1998.
  • [26]
    Bernard Dolez, « Les « Petits » Partis au regard de la réglementation du financement de la vie publique », Les petits Partis. De la petitesse en politique, Actes du Colloque du Centre de Recherches Administratives, Politiques et sociales (CRAPSIFRESI, CNRS URA 0982), Mars 1996, Annie Laurent et Bruno Villalba (dir.), Paris, L’Harmattan, coll. Logiques Politiques, 1997.
  • [27]
    José Ramon Montero, Mariano Torcal, Richard Gunther, « Les Sentiments antipartis en Europe du Sud », Pôle Sud, n° 20, 2004.
  • [28]
    Isabelle Mandraud, Philippe Ridet, « Partis cherchent militants en CDD, voire virtuels », Le Monde, 23 janvier 2005.
  • [29]
    Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois, Partis politiques et démocratie. Inséparables mais incompatibles ?, Paris, Éd. François-Xavier de Guibert, 2005.
English version

Lucio Laccarino, La rigenerazione Bagnoli : politiche pubbliche e società civile nella Napoli post-industriale, Naples, L’ancora del Mediterraneo, 2005

1À l’instar d’autres villes européennes, Naples a subi dans les années 1980-1990 un processus de grande désindustrialisation et de rénovation urbaine. Le quartier de Bagnoli, situé à la périphérie orientale de Naples, lieu de l’usine sidérugique de l’Ilva-Italsider est l’incarnation et le symbole de ce processus radical de transformation urbaine. L’ancienne usine s’étalant sur presque 2 millions de m2 et employant dans les années 1970 près de 9000 ouvriers, arrête définitivement sa production en 1992. Dix ans plus tard, l’énorme site industriel est libéré de ses infrastructures. Le nouveau leadership municipal de la gauche napolitaine incarné par le maire Antonio Bassolino se trouve donc confronté aux choix de reconstruction de ce territoire. Caractérisé par une tradition industrielle et ouvrière qui remonte au début du xxe siècle, l’ancien site de l’Ilva-Italsider se trouve dans un très beau lieu naturel à fort potentiel de reconversion touristique et balnéaire. Quelle nouvelle vocation donc pour ce quartier ? Quels enjeux et quels acteurs autour de ce processus de grande rénovation urbaine ? Comment ce territoire est-il repensé et réinvesti à la fois par les acteurs locaux et par les poltiques urbaines ?

2Voici certaines des interrogations que Lucio Iaccarino, jeune chercheur napolitain en science politique, s’est posées dans cette intéressante étude sur la renaissance (la rigenerazione) du quartier de Bagnoli. Son parti pris est d’étudier une politique publique de rénovation urbaine à partir de l’analyse des acteurs de la société civile du quartier : prioritairement des acteurs associatifs engagés dans le processus de rénovation de Bagnoli et, de façon secondaire, les acteurs politico-institutionnels. Dans un panorama disciplinaire – celui de la science politique à la fois française et italienne [1] – caractérisé par une séparation croissante entre sociologie politique et étude de l’action publique, le travail de Lucio Iaccarino semble plutôt aller dans le sens inverse : d’une part, à travers une approche bottom up, il se penche sur le processus de construction des politiques publiques ; d’autre part, il accorde de l’importance à une analyse sociologique fine du positionnement social, des parcours et des réseaux relationnels des acteurs associatifs.

3La rigenerazione est le fruit de trois années de recherches de terrain menées dans le quartier de Bagnoli. Il s’est enrichi d’un recueil de documents en provenance des associations et des collectivités locales, une série d’entretiens (70 environ) auprès des membres d’associations, d’hommes politiques et de techniciens parfois trop abondamment cités dans le corps du texte. Lucio Iaccarino a étudié de près le rôle de 26 associations, à partir des parcours socio-professionnels de leurs membres, de leurs activités, de leurs représentations quant à la transformation du quartier, à la construction de réseaux relationnels. Il en ressort l’impression d’un processus de construction de l’action publique fortement conditionné par les stratégies des acteurs associatifs locaux et conséquence d’une faible capacité des institutions publiques (Commune de Naples, Région Campanie et État) de décider de la destination des terrains désaffectés. L’action publique semble être davantage la conséquence de négociations entre les institutions publiques et les acteurs locaux que le résultat d’une planification urbaine bien maîtrisée par la mairie de Naples. En effet, les premiers projets de reconversion apparus déjà en 1993 sous la plume de Vezio De Lucia, adjoint à l’urbanisme de Bassolino [2], ne se sont pas encore concrétisés et ont été à plusieurs reprises remis en question. Quelle place pour les infrastructures touristiques ? Quel équilibre entre le logement habita-tif, l’archéologie industrielle et les technologies de pointe ? Face au retard des institutions dans la réponse à ces questions, les acteurs associatifs se placent et consolident leur présence sur le territoire, nouent des relations entre elles ainsi qu’avec les différents niveaux institutionnels (la mairie d’arrondissement, la municipalité, la région).

4Dans une première partie qui décrit le processus de transformation des lieux, l’auteur analyse le changement de vocation d’un quartier historiquement ouvrier et l’invention d’une nouvelle vocation écologique et environnementale. Il poursuit avec une description configurationnelle des acteurs associatifs du quartier en séparant les trois plus grandes organisations des autres petites associations. Apparaissent ainsi clairement les trois principales protagonistes de la renaissance de Bagnoli : la fondation IDIS, forte de ses 140 salariés, véritable aménageur et protagoniste du développement du territoire. Cette fondation gère la Città della Scienza, musée des sciences et de la technique, abrite une couveuse d’entreprises et s’occupe également de formation professionnelle ; l’association Nesis-Arenile acteur de la requalification des lieux en fonction culturelle et touristique qui a tout particulièrement visé sur le nettoyage des plages et sur la balnéabilité du littoral ; le Circolo Ilva, association regroupant les ex-ouvriers de l’usine dont le but social est l’intégration sociale des personnes défavorisées, les pratiques sociales sportives et qui fonctionne principalement comme lieu d’agrégation des familles des anciens ouvriers. Ces trois acteurs représentent fort bien le champs de lutte pour la redéfinition de la vocation du quartier autour de l’enjeu de la mémoire des lieux et des stratégies d’autolégitimation des associations face aux pouvoirs publics.

5Dans sa partie sur l’istituzione-rete (institution-réseau), Lucio Iaccarino développe sa méthode d’analyse des réseaux en construisant une configuration générale des policy networks et des réseaux relationnels entre les associations. Il distingue entre des relations « étroites » (sur la base de partenariats, de l’accueil de l’activité d’autres associations, de montage de projets communs, d’appartenance multiple de certains membres, etc.) et des relations « distendues » (comportant du conseil, du patronage institutionnel, des relations d’amitiés ou de parenté, etc.) Dans un graphique très parlant (p. 137) il construit un réseau qui met bien en évidence la faiblesse des liens entre les grandes et moyennes associations d’un côté et les petites associations de l’autre. Ces dernières ont plutôt des relations distendues entre elles. D’où la difficulté, au sein du processus de construction de l’action publique, d’une véritable institution-réseau unie face aux pouvoirs publics ainsi que le développement de rapports verticaux au détriment des rapports horizontaux.

6L’ambition du projet de l’auteur est forcément porteuse de quelques limites et lacunes que l’on se doit ici de signaler.

7Tout d’abord, dans un travail qui s’inscrit dans une perspective de gouvernance multi-niveau, les acteurs politiques municipaux et régionaux, mais surtout nationaux sont juste traités en toile de fond et paraissent quasiment marginaux. L’Europe y est de surcroît complètement ignorée. On a donc parfois du mal à voir la manière dont se fait l’emboîtement des échelles dans la décision et la façon dont les acteurs politiques et technocratiques municipaux, régionaux et nationaux s’impliquent dans les politiques de rénovation du quartier. Si le réseau relationnel interassociatif est bien traité, on retrouve trop peu de traces du réseau vertical entre associations locales et les institutions publiques aux différents niveaux.

8Deuxièmement, si les partis politiques – jadis puissants en Italie – ne semblent plus avoir le même rôle qu’auparavant, on ne saisit pas bien comment s’est faite leur transformation sur le territoire. La mutation des pratiques politiques clientélaires et du rôle des anciens chefs de parti que d’autres analyses ont mise en évidence [3], n’est que très peu abordée. Or, il semble peu vraisemblable que la fin de la Démocratie Chrétienne et de la plupart de ses leaders ait laissé le vide dans le « contrôle politique » du territoire et dans les stratégies de réélection des élus. À la lecture de La rigenerazione on peut se demande qu’en t-il des anciens cadres de la DC et du Parti Socialiste Italiens « recyclés » dans la droite locale de Forza Italia, dans Alleanza Nazionale, voire dans les partis composant la coalition de l’Olivier.

9Cette limite de l’analyse de Lucio Iaccarino nous paraît être le reflet d’une aphasie générale de la science politique italienne au sujet du clientélisme politique, mais plus en général des pratiques poltiques et du métier d’élu depuis la fin de la « première république » et la dissolution de la DC. Pourtant, à s’en tenir à certains spécialistes de la question [4], il faut davantage réfléchir en termes de transformation du rôle du clientélisme qu’à son amoindrissement ou à sa disparition. À cela s’ajoute une impossibilité, qui paraît chronique en Italie, de penser aux relations en termes de clientélisme politique lorsque le gouvernement municipal est dans les mains de la gauche. Pourtant, depuis 1993 la mairie de Naples est gouverné par la gauche et depuis 2000 les trois collectivités locales (Commune, Provincia et Région) sont également gérées par la coalition de centre-gauche. Autour d’Antonio Bassolino et de ses alliés centristes, il y a donc depuis 2000 la stabilisation d’un système de pouvoir et de gouvernement qui demanderait des analyses critiques moins complaisantes sur le pouvoir dans la ville.

10Au-delà de ces limites, demeure de toute façon l’intérêt que présente la lecture d’un ouvrage consacré au pouvoir, et aux pouvoirs, dans la ville. Au-delà des Alpes, manque parfois le courage de mener des recherches se souciant moins de la boîte noire de la décision publique et davantage de l’analyse de l’action publique à partir d’acteurs territoriaux qui contribuent à sa construction. L’élément intéressant dans La rigenerazione est que son auteur observe des acteurs qui sont à la fois les protagonistes d’un processus d’action publique et ses destinataires. Les institutions publiques locales (communes, régions) apparaissent sur l’arrière-fond, l’État est très loin, seule la circoscrizione (l’équivalent de la mairie d’arrondissement) semble jouer un rôle et, la plupart du temps se limitant à la médiation entre les différentes associations.

11Cesare Mattina

12Université d’Aix-Marseille I

Olivier Torres La guerre des vins : L’affaire Mondavi Mondialisation et terroirs Paris, Dunod, 2005

13Le livre d’Olivier Torres, maître de conférence en sciences de gestion de l’Université Montpellier III, analyse ici un conflit lié au projet d’installation à Aniane (Hérault) de l’entreprise viticole américaine Mondavi. Ces péripéties, déjà en partie médiatisées par le film Mondovino, sont développées dans un ouvrage qui retrace les différentes composantes de cette stratégie d’aménagement et les contours des oppositions qu’elle a structurées. En 2000, Mondavi souhaite investir à Aniane afin de développer un vignoble haut de gamme. À cette fin, la société obtient de la municipalité la possibilité de défricher partiellement le massif de l’Arboussas pour le planter en vigne. Soutenue par les pouvoirs publics, l’entreprise tente alors d’anticiper toute contestation en élaborant son projet en partenariat avec les milieux naturalistes et les chasseurs. Un an plus tard, Mondavi, face à la virulence des oppositions, préfère surseoir à son projet et abandonner toute implantation dans la région. L’auteur décrit finement les modalités de cette montée en opposition qui ébranle ce projet et aboutit à sa remise en cause.

14L’étude de l’affaire Mondavi est un cas classique de mobilisation environnementale contre un projet d’aménagement. L’auteur restitue finement les différentes facettes de la coalition qui se structure contre Mondavi, dans ses dimensions politiques, sociale, cognitive et économique. Ce faisant, il met en exergue la capacité de ces acteurs, fondamentalement hétérogènes au départ, à forger un registre commun de mobilisation et de contestation. Ce référentiel, porté par un viticulteur de droite et un élu communiste, permet une montée en généralité dont l’intérêt n’est pas tant la reconnaissance institutionnelle des positions défendues que le renforcement de la cohésion interne de la mobilisation et sa médiatisation. Le dernier élément facilitateur de la contestation est l’offre d’aménagement. Paradoxalement, l’échec survient alors que Mondavi avait anticipé la contestation de ce projet. Pour autant, très vite, ce résultat a des effets limités parce que l’entreprise n’a pas intégré l’impact cognitif de son projet sur ce territoire, a mal évalué les types d’opposition développés alors que son partenaire, la municipalité d’Aniane, a commis des erreurs de communication qui ont favorisé le développement d’un climat de suspicion.

15L’originalité de l’ouvrage tient à la démarche de l’auteur. Olivier Torres est un chercheur spécialisé dans la culture gestionnaire des PME. Ses précédents travaux lui avaient permis de mettre en avant l’existence de deux idéaux-types, le modèle corporatiste européen et le modèle libéral américain. Il tente ici de croiser ces résultats avec une sociologie de la contestation. Le lien entre ses deux problématiques est clairement exprimé dans l’ouvrage : (p. 158 et suivantes) : la culture de la rente chez les entrepreneurs français est l’un des nœuds de l’affaire Mondavi. C’est parce qu’il cherche à préserver sa situation de rente — la réussite économique de Daumas-Gassac — qu’Aimé Guibert, son propriétaire s’oppose à l’installation d’un concurrent sur la même niche. Si nous ne tenterons pas ici un débat sur la validité des deux modèles, faute de connaissances en sciences de gestion, nous ne pouvons que nous questionner sur la comparabilité des trois entreprises actrices de cette histoire (la cave coopérative, Daumas-Gassac et Mondavi) dont il n’est pas sûr que l’élément de différentiation soit celui de la culture d’entreprise nationale. L’interrogation est d’autant plus forte que la cave coopérative, in fine, s’allie à Mondavi après l’intervention de la SAFER !

16Plus fondamentalement, le débat posé par l’ouvrage porte sur l’analyse sociologique de cette contestation avancée par l’auteur. Dans ce cadre, il insiste sur deux données : la dimension culturelle de l’opposition et la dimension territoriale de la mobilisation. La première s’inscrirait dans le levier produit par la différence culturelle entre les deux modèles d’entrepreneurs évoquée ci-dessus, relayés par le registre anti-américain et anticapitaliste produit par une partie des opposants. Sans nier la véracité de ces thèmes mobilisateurs, on doit néanmoins constater que l’ouvrage ne permet pas d’évaluer si ce « choc des cultures » est au cœur de la mobilisation ou sa conséquence. Par ailleurs, la surdétermination de cet aspect culturel au détriment des autres dynamiques de mobilisation (environnement, localisme, politique, …) fait que l’ouvrage penche vers un culturalisme insuffisamment justifié.

17La deuxième question abordée est celle de la territorialisation. L’auteur propose ici un concept pour analyser la contestation à Aniane, celui du « toporatisme ». Ce dernier renvoie au corporatisme du lieu et prend comme base le constat que la faible taille d’une commune crée un sentiment de possession plus fort que sur d’autres territoires. La mobilisation y sera d’autant plus exacerbée que le projet est porté par des acteurs exogènes, ce qui renforce le sentiment de dépossession. Cette approche souffre, à nos yeux, de deux critiques. La première est la pertinence d’un modèle dont on ne voit pas la différence avec les théories sociologiques préexistantes concernant le phénomène NIMBY. La seconde est liée à la mobilisation des territoires. De nombreux travaux ont déjà montré que la segmentation territoriale n’est pas forcément le vecteur le plus significatif de mobilisation. Il reste par ailleurs à démontrer que ce sont dans les territoires petits et homogènes que les contestations sont les plus développées. L’ampleur des oppositions aux projets d’aménagement en secteurs urbain ou périurbain tendrait plutôt à démontrer l’inverse. Plus fondamentalement, la limite de l’approche est de surdéterminer les cultures locales et les territoires au détriment des jeux d’acteurs, de leurs capacités de coalisation et de mobilisation. Il est d’autant plus dommage de ne pas les intégrer que l’un des intérêts de l’ouvrage est la description de ces caractéristiques…

18Olivier Dedieu

19Cepel

Josep M. Colomer, como votamos Los sistemas electorales del mundo : pasado, presente y futuro, Barcelone, Gedisa, 2004

20Les systèmes électoraux ont été étudiés pendant des années comme des variables indépendantes, en se focalisant sur leur influence, positive ou négative, sur la création et le développement des partis politiques. Jusqu’à la fin des années 1990, à l’exception des approches de S. Rokkan (1970) et R. Rogowski (1987), on avait à peine prêté attention aux raisons expliquant que certains pays ont des systèmes majoritaires ou proportionnels et pourquoi, parmi ces derniers, certains sont plus ouverts que d’autres. Certes, les systèmes électoraux sont importants pour expliquer comment se développent les systèmes de partis, mais il est ingénu de penser que les élites politiques qui mettent en place ces systèmes ne prennent pas en compte leurs intérêts. Autrement dit, les formes préalables des systèmes de partis doivent être prises en compte dans l’analyse des dispositifs institutionnels mis en place. On se trouve alors confronté à ce que l’on nomme, en méthodologie, un cas d’endogénéité : les valeurs de la variable indépendante ou explicative (le système électoral) découlent de la variable dépendante (le système de partis) au lieu d’être une de ses causes. Avec la parution de l’extraordinaire Making Votes Count de Gary W. Cox au milieu des années 1980, les systèmes électoraux ont commencé à être étudiés, quels que soient leurs origines ou leurs effets, comme le résultat de la réponse des élites politiques et des électeurs aux problèmes de « contrôle [5] » auxquels ils sont confrontés.

21À propos des systèmes électoraux comme variable indépendante, Cox (1997) a démonté que tous les systèmes électoraux ont la même « tolérance » : le nombre maximum de partis « viables [6] » dans une circonscription, dans l’un ou l’autre des trois systèmes électoraux analysés par M. Duverger – majorité simple, majoritaire à deux tours ou représentation proportionnelle – correspond à « l’ampleur de la circonscription » (A), déterminée par le nombre de sièges offerts par circonscription, plus un, soit la règle du A + 1 [7]. La loi de Duverger doit donc se comprendre « simplement » comme une limite supérieure à la fragmentation. En dessous de ce seuil, le nombre de partis dépend de la structure des cleavages et de la demande de partis. Dès lors, les systèmes de partis auront peu de compétiteurs quand il existe peu de cleavages ou que la limite de fragmentation maximale imposée par le système électoral est basse ; mais ils ne compteront beaucoup de compétiteurs que lorsque de nombreux cleavages existent et que, en même temps, le système électoral le permet. L’étude de référence des systèmes électoraux comme variable indépendante est celle de C. Boix (1999). À partir de Rokkan, Boix affirme que la sélection des systèmes électoraux est le résultat des décisions stratégiques des partis au pouvoir, en vue de maximiser leur représentation parlementaire et d’assurer leur contrôle des règles électorales. L’adoption de la représentation proportionnelle est ainsi décrite comme le fruit de l’interaction entre la force des nouveaux partis et la capacité des partis plus anciens (et au pouvoir) à se coordonner et à bloquer le développement de ces nouveaux partis.

22Dans le prolongement de cette nouvelle « tradition » centrée sur les modèles de coordination ou de contrôle, Como Votamos, reprenant quelques chapitres du Handbook of electoral System Choice dirigé par J. Colomer, analyse la sélection des systèmes électoraux comme le résultat des calculs stratégiques des élites politiques. Comme l’affirme de manière imagée J. Colomer, les lois de Duverger y apparaissent « la tête en bas », le nombre de partis expliquant le choix du système électoral et non plus l’inverse.

23Pour Colomer, le choix d’un système électoral dépend du type de vainqueurs et de perdants qu’il doit produire ou, autrement dit, de sa permissivité à l’égard de la prééminence dont bénéficient les partis au pouvoir. Des configurations politiques où il n’y a qu’un parti dominant, ou deux partis en compétition, tendront à adopter des systèmes électoraux restrictifs ou exclusifs (basés sur le principe de la majorité), alors que les scénarii pluralistes avec plusieurs gagnants tendront à adopter des décisions favorables à des formules plus inclusives (comme celles qui fondent les règles de la représentation proportionnelle). Dans cette perspective, le choix des systèmes électoraux suivra ce que Colomer appelle la règle « Micro-Mega » : le grand préfère le petit et le petit préfère le grand. Des grands partis peu nombreux préfèrent des assemblées peu étoffées et des circonscriptions d’ampleur réduite ; de nombreux petits partis préféreront des assemblées nombreuses, avec de grandes circonscriptions.

24L’analyse la plus intéressante et la plus originale de Colomer est son examen de l’évolution des systèmes électoraux. À partir des postulats de son modèle stratégique de design institutionnel, il avance quatre propositions pour en rendre compte :

  1. Les changements de système électoral se produisent plutôt en faveur de formules inclusives qu’exclusives.
  2. Le nombre et la proportion d’élections indirectes et de systèmes électoraux majoritaires devraient diminuer avec le temps, alors que les pays qui adoptent la représentation proportionnelle ne devraient pas l’abandonner de manière significative.
  3. La probabilité de changement d’un système électoral est d’autant plus forte quand le nombre de partis associés à son élaboration était élevé.
  4. La probabilité de changement d’un système électoral est plus forte dès lors que ce système est récent.
Précédé par une excellente présentation de l’origine historique des principales règles et procédures électorales (unanimité, tirage au sort, majoritaire, proportionnel), l’analyse empirique de Colomer teste la portée de ces quatre hypothèses. Les résultats de l’analyse statistique de 289 systèmes électoraux dans 94 pays d’Europe occidentale et orientale, aux États-Unis et en Amérique Latine depuis le xixe siècle et quelques études de cas en Europe et en Amérique confirment ces hypothèses, à l’exception de la dernière. Le livre se conclut par un magnifique appendice dans lequel sont présentées les caractéristiques de tous les systèmes électoraux du monde depuis le xixe siècle.

25À mon avis, l’apport majeur de Colomer ne réside pas dans la présentation des causes de changements des systèmes électoraux, qui avaient déjà été formulés par Boix (1999), mais plutôt dans le développement, à partir de cette dernière, d’une théorie plus générale des logiques d’évolution des règles électorales. Les calculs stratégiques des élites expliquent non seulement l’adoption de la représentation proportionnelle en Europe, mais aussi certains changements dans les systèmes électoraux. Ce point pose cependant problème : à la différence de Boix, Colomer ne démontre pas empiriquement les relations de causalité qu’il évoque. Il observe plutôt si les régularités empiriques mises en évidence coïncident avec les prédictions que fournit son modèle. Nous savons déjà que de nombreuses autres variables peuvent mettre en cause la portée des conclusions auxquelles on arrive en observant ces éventuelles coïncidences. De même, les analyses de cas que réalise Colomer sont trop souvent superficielles pour démontrer de manière sûre la relation de causalité évoquée : les stratégies des acteurs ne sont pas reconstruites, mais plutôt supposées, sur la base d’informations insuffisantes.

26En outre, le retour que Colomer fait sur les hypothèses de Boix n’est totalement original. Il faut évoquer ici aussi les travaux de Blais, Dobrzynska et Indridason (2005), qui soulignent l’importance de la diffusion des idées démocratiques et de la présence de systèmes électoraux à majorité absolue pour rendre compte du changement vers la représentation proportionnelle. Andrews et Jackman (2005) mettent également en cause l’affirmation de Boix à propos de l’incertitude qui entoure les acteurs politiques quand ils doivent sélectionner un système électoral : selon eux, un modèle de décision simple, fondé sur l’expérience du parti le plus important lors des élections précédentes, fonctionne mieux empiriquement. Cusak, Iversen et Soskice (2003), pour leur part, pour qui les partis représentant les classes possédantes (à la droite des socialistes) maintiennent le système majoritaire tant que leurs divisions ne reposent pas uniquement sur des considérations classistes ; dans le cas contraire, ils décident d’introduire la représentation proportionnelle. A. Pénades (2005) enfin, s’est demandé dans quelle mesure les données statistiques utilisées par Boix pouvaient confirmer sa démonstration, en soulignant que l’observation des résultats électoraux locaux ou au niveau des circonscriptions est nécessaire pour analyser les processus de coordination. Mieux, il faudrait selon lui reconstruire avec précision quelles sont les préférences des partis dans chacune des réformes électorales.

27Malgré ces limites, comme l’explique W. Cox dans la présentation du libre de Colomer, « tout spécialiste des systèmes électoraux voudra avoir ce livre dans sa bibliothèque ».

28Ignacio Lago Peñas

29Departamento de ciencia politica,

30Universidad Pompeu Fabra, Barcelona

Michel Peraldi, Michel Samson, Gouverner Marseille Enquête sur les mondes politiques marseillais, Paris, La Découverte, 2005

31L’ambition des auteurs de Gouverner Marseille est double. Il s’agit d’abord d’allier la connaissance encyclopédique du localier – Michel Samson, correspondant du Monde à Marseille – à la capacité de montée en généralité du sociologue – Michel Peraldi, spécialiste de l’urbain et des réseaux de l’économie souterraine en Méditerranée- afin de construire un modèle d’intelligibilité global des formes de gouvernement de Marseille. Largement introduits dans les milieux politiques et intellectuels locaux et se sachant par conséquent « attendus » sur leur production, les auteurs avertissent rapidement (p. 13) que leur ouvrage ne contient nulle révélation mais vise à construire une explication sociologique des fonctionnements politiques de Marseille, traquant les régularités, la manière dont les structures essentielles de la société locale influent sur la manière dont elle est gouvernée. Ensuite, leur objectif est de faire échapper la cité phocéenne au regard distant et méprisant jeté sur elle par les grands médias nationaux autant qu’aux interprétations localistes produites notamment par les acteurs politiques locaux et qui mettent l’accent sur les spécificités de la ville et, ce faisant, sur l’incapacité dans laquelle se trouve nécessairement « l’allogène » de comprendre Marseille. Bref, il s’agit ni plus ni moins de « normaliser », « banaliser » Marseille et ses fonctionnements politiques et sociaux.

32Le pari des auteurs n’est qu’à moitié réussi. D’abord, on peut regretter que le plan de l’ouvrage séparant nettement « le monde politique » traité dans la première partie, et « les acteurs de la ville », autrement dit « la société civile », traitée dans une deuxième, laisse finalement peu de place au croisement des savoir-faire du journaliste et du sociologue et finalement à l’explication du politique par le social, tâche centrale de la sociologie politique. La partie consacrée au monde politique est trop peu sociologisée et la partie consacrée à la société urbaine relève du collage de synthèse des études accumulées sans qu’une vision d’ensemble des logiques de gouvernance de la ville ne s’en dégage au final. Par ailleurs, les auteurs n’arrivent que partiellement à se départir du travers commun à beaucoup de « marseillologues » et qui consiste à retomber dans l’explication particulariste pour défendre une ville injustement affublée d’une « mauvaise réputation ». Ce travers peut notamment s’expliquer par le parti pris de ne pas recourir à la comparaison avec d’autres villes françaises ou européennes, parti pris qui compromet immanquablement l’objectif de banalisation de Marseille. Contrairement à ce que pensent les auteurs, la comparaison ne mène pas systématiquement à documenter le typique ; elle peut conduire aussi à la mise au jour de la triste banalité des phénomènes sociaux et de leur reproduction d’un territoire à l’autre. De manière moins explicite, ce refus d’une mise en regard de la réalité marseillaise avec celles d’autres villes est justifié par le fait que les travaux visant, à l’instar de Mike Davis [8], leur inspirateur, à « traiter ensemble la société locale urbaine et ses formes politiques » est « rare et, en tout cas, sauf erreur de notre part, inédite en France » (sic, p. 20). Même si on peut regretter à la suite des auteurs que les villes soient souvent utilisées comme « terrains » d’études sectorielles plutôt que comme « objet », équations sociales dotées de formes de gouvernance particulières et justifiant, à ce titre, une approche globale [9], il est difficilement tenable d’ignorer les travaux de Jean Petaux sur Nantes [10], Jacques Lagroye sur Bordeaux [11], Olivier Borraz [12] sur Besançon et Patrick Le Galès sur Rennes [13] lorsque l’on a pour ambition de mettre au jour l’ensemble des rapports sociaux qui sous-tendent et participent au gouvernement d’une ville et, surtout, lorsque l’on veut montrer la part de « normalité » dans les formes de gouvernement à Marseille.

33Ce regard trop centré sur Marseille conduit les auteurs à conclure à des spécificités marseillaises sur des aspects qu’une analyse plus approfondie aurait pu permettre de repérer dans d’autres villes. Par exemple, la longue alliance de Gaston Defferre et des socialistes avec les forces politiques de centre-droite (incluant Jean-Claude Gaudin) de 1953 aux élections de 1977 et la constitution d’une nouvelle majorité socialo-communiste, est présentée comme une particularité marseillaise alors qu’elle est le lot de nombreuses villes françaises comme Nantes ou Besançon qui conservent jusque très tard ces attelages politiques « Troisième Force » hérités de la Quatrième République et conçus pour résister à la montée en puissance du PCF [14]. De la même manière, dans un chapitre consacré à la sociologie des acteurs politiques marseillais dans lequel les auteurs font notamment le constat que, comme dans d’autres villes françaises, les « petites bourgeoisies fonctionnaires et libérales » ont succédé au pouvoir aux « bourgeoisies industrielles et commerciales » (p. 39), ils avancent également que la forte présence des « politiques de métier » (p. 38) constitue une particularité de la vie politique marseillaise. Or rien ne permet de penser que les leaders politiques en vue de Paris, Lyon, Lille ou Bordeaux ne répondent pas aux mêmes caractéristiques. En revanche, il est vrai que la forte présence de dynasties familiales d’élus d’extraction sociale souvent modeste, et dont les trajectoires sont richement documentées par les auteurs, est une particularité marseillaise. Une spécificité qui peut sans doute s’expliquer par le fait que la ville a connu à partir des années 1970 un long déclin démographique. Si dans les autres villes françaises, ce déclin a pour partie épargné les bourgeoisies traditionnelles locales et a été compensé par l’afflux de nouvelles classes moyennes diplômées dans les années 1970 et 1980, ce ne fut pas le cas à Marseille où la bourgeoisie traditionnelle comme la nouvelle bourgeoisie liée au développement de l’État-Providence ont privilégié une (ré)-implantation dans l’arrière-pays aixois, ce qui a laissé le champ libre à des familles de « parvenus politiques ». Au final, en décelant des particularismes là où il n’y pas forcément lieu d’en constater, les auteurs n’échappent pas tout à fait au réflexe de mythification de Marseille qu’ils stigmatisent pourtant dans le chapitre 7 (« Des clichés très utiles : Marseille réenchantée ») et qui finit toujours par maintenir la ville dans une sorte de statut exotique dont raffolent les observateurs extérieurs et dans lequel se complaisent – tout en le rejetant – les locaux.

34Malgré ces réserves, l’ouvrage bénéficie toutefois de la connaissance encyclopédique que les deux auteurs ont accumulée sur Marseille et constituera donc une mine d’informations inestimable pour les chercheurs s’attaquant à la ville et à ses formes de gouvernement. Parmi les aspects du gouvernement de la ville sur lesquels le livre apporte des informations et des analyses intéressantes, on s’attardera sur ce que les élus marseillais considèrent comme le « peuple légitime », sur le périmètre des électeurs ciblés par les efforts de fidélisation politique, voire de captation clientéliste. Ce peuple, ce sont les « habitants de la traverse », « petits propriétaires de villas, commerçants, ouvriers à statut, employés de la ville, tout petits notables de leur rue et membres du comité d’intérêt de quartier » (p. 92). Ces habitants ont été socialisés politiquement aux grandes heures du clientélisme politique, à l’époque où la proximité d’un élu était rémunératrice en termes de logement, d’emploi, ou simplement de considération. C’est la proximité de tous les instants entre ces citoyens d’un type particulier, d’une part, et les élus, d’autre part, qui suscite souvent la comparaison entre la politique marseillaise et la politique au village. Une des interlocutrices des auteurs affirme ce que tous les acteurs politiques marseillais reprendraient à leur compte : « Marseille, finalement, c’est un gros village ». Commentaire des auteurs : « Une telle obstination à considérer une ville de 800 000 habitants comme un bourg mérite attention. La phrase sonne comme un vœu des responsables politiques : celui que les habitants soient tous repérables et qu’on puisse les inscrire dans une société facilement maîtrisable. Un vœu pieux puisqu’ils évoluent dans une société urbaine, donc ouverte » (92). Le passage fait fortement écho avec ce qu’écrit Olivier Borraz sur le désalignement entre sphère politique et société urbaine dans les grandes villes [15]. Les sociétés urbaines ne s’organisent plus depuis les années 1970 en groupes homogènes facilement repérables et « encadrables ». Face à la complexification de la structuration sociale des villes, les élus sont souvent contraints de concentrer leurs efforts de fidélisation politique sur des groupes dont ils maîtrisent mieux les formes d’organisation et qui réagissent de manière relativement prévisible au travail politique : ce peuple « blanc » des traverses, des noyaux villageois et des Comités d’intérêts de quartiers en l’occurrence pour Marseille. Ces pratiques ciblées des élus sont, sans nul doute, en partie à l’origine des phénomènes de « démobilisation politique » que la littérature récente de science politique a mis au jour [16]. Mais le plus inquiétant est que les effets de cette démobilisation – en termes d’abstention mais aussi de non-inscription – renforce en retour les élus dans leurs stratégies de concentration de leur travail politique sur des groupes socio-territoriaux circonscrits. Les auteurs indiquent ainsi que « sur 807726 habitants recensés à Marseille en 2001, 411 520 étaient inscrits » sur les listes électorales, soit une grosse moitié de la population. Le nombre de votants effectifs est, quant à lui, engagé dans un processus de baisse tendancielle : 64,79 % en 1989 ; 61,45 % en 1995 ; 54,11 % en 2001 soit 214000 votants pour les élections municipales. Quand on sait que les élections municipales sont organisées en fonction d’un découpage en huit secteurs, on voit que l’effort de mobilisation politique d’un candidat porte rarement sur un périmètre électoral plus grand que 30 000 personnes et qu’il suffit de 15 000 suffrages pour être élus à Marseille [17]. La conclusion des auteurs, bien qu’abrupte, ne manque pas de clairvoyance : « le travail des hommes politiques locaux, qui repose largement sur la capacité à tenir des réseaux, à jouer des relations de clientèle, à créer des relations interpersonnelles, ou à suggérer qu’elles existent, est grandement facilité quand les taux de non-inscrits et d’abstention sont élevés, lorsque la métropole se réduit aux dimensions d’une petite ville ou d’un village » (p. 95).

35Gilles Pinson

36Université Jean Monnet (Saint-Étienne)

Delwit Pascal (dir.), Les partis régionalistes en Europe Des acteurs en développement ?, Bruxelles, Éditions de I’Université de Bruxelles, coll. « Sociologie politique », 2005

37Vingt ans après le « Que Sais-je ? » pionnier de Daniel-Louis Seiler (1982), la littérature de langue française sur les partis régionalistes s’étoffe avec ce livre qui vient compléter le dossier consacré par Pôle Sud dans le numéro dirigé par Marga Gomez-Reino et Romain Pasquier en 2004. Petit à petit, le retard se comble par rapport aux travaux parus en anglais, notamment grâce aux recherches coordonnées par Lieven De Winter depuis le début des années 1990. On ne s’étonnera pas de voir venir le volume ici recensé de Belgique, où la fracture territoriale marque une ligne de clivage très forte, ni de le voir être accueilli dans une collection qui a déjà passé en revue la plupart des familles politiques au cours de ces dernières années. Composé de quatorze chapitres, il peut être scindé en deux parties de longueur inégale.

38La première renvoie aux premiers chapitres à vocation théorique ou comparative. Pascal Delwit pose d’abord, de manière fort utile, les bases de la notion de parti régionaliste (l’existence de la famille, la taille d’ordinaire modeste de ces formations, son caractère fragmenté tant au niveau idéologique qu’organisationnel au plan européen et ses fortunes électorales incertaines). Daniel-Louis Seiler revient ensuite sur la méconnaissance de cet objet dans une revue des classiques de la littérature sur les partis politiques avant se souligner l’apport de Stein Rokkan. À nouveau mis à contribution, Pascal Delwit s’efforce alors de répondre à la question : assiste-t-on à une croissance électorale des partis régionalistes en Europe ? Pour y répondre, il passe en revue les performances, aux élections nationales et régionales, d’un grand nombre de partis (trente-deux dans huit États, mais près de la moitié en Espagne) dans l’après-guerre. On pourra s’étonner ici de certains choix conduisant, dans le cas français, à ne prendre en considération que les cas de l’Alsace et de la Savoie et à ignorer la Corse, la Bretagne, l’Occitanie, le Pays Basque et la Catalogne (sans parler de l’outre-mer) ; de même, on relèvera une erreur de données dans le cas du Parti Sarde d’Action qui, contrairement à ce qui est avancé (pp. 72-73), a bien participé à toutes les consultations électorales de l’Italie républicaine, et n’a donc pas attendu les années 1990 pour se lancer dans la compétition. Sur la forme, on relèvera des petites coquilles : certains partis, suivant les passages, changent de nom (la Ligue Savoisienne devient la Ligue de Savoie) tandis que l’emploi des majuscules est réservé seulement à certains partis (le Vlaams Belang) et pas à d’autres (le « parti national écossais »). Par-delà ces détails, le constat final est cependant d’importance: il n’y a pas de tendance électorale univoque à l’œuvre puisque certains partis sont stables, d’autres gagnent du terrain, d’autres en perdent. Ces premiers chapitres fournissent donc, au total, un cadre général sur la famille régionaliste qui synthétise le cours de la recherche.

39Tous les chapitres suivants constituent un recueil d’études de cas, même si on relève plusieurs chapitres relatifs à des mobilisations transnationales. C’est le cas du très éclairant volet dédié par Peter Lynch à l’Alliance Libre Européenne, aujourd’hui parti politique européen au sens juridique du terme (mais dont l’auteur montre les nombreuses défections dont il souffre tant au niveau de l’adhésion que de l’affiliation au Parlement Européen, enceinte dans lequel les régionalistes sont largement dominés par les écologistes au sein du groupe mixte qu’ils constituent ensemble), de la contribution de Jean-Marie Izquierdo sur le Partido Nacionalista Vasco de part et d’autre des Pyrénées, même si les situations contrastées relevées au nord et au sud sont plus juxtaposées qu’expliquées comparativement, et de celle de Szasz Alpar Zoltan sur les partis représentant la minorité hongroise dans six États d’Europe centrale et orientale. On relève aussi deux chapitres à vocation comparative interrégionale avec celui de Thierry Dominici sur les cas bretons et corses (basé sur une conception plutôt confuse de la notion de clivage) et de Jean-Benoît Pilet sur le Rassemblement Wallon et le Front Démocratique des Francophones. Compte tenu du caractère restreint des travaux de langue française sur cette thématique, on appréciera le caractère informatif des différents volets régionaux abordés, à travers un panel passant notamment en revue les occurrences les plus importantes d’Europe occidentale (Pays Basque et Catalogne en Espagne, Flandres et Wallonie en Belgique, Écosse et Pays de Galles au Royaume-Uni).

40Cependant, les chercheurs un peu familiers de la thématique et intéressés par plus d’un cas pourront déplorer le caractère trop bigarré des articles. Cela tient avant tout à la faible cohésion du volume : chaque chercheur traite en effet son ou ses cas dans une perspective propre, avec une question de recherche particulière et qui n’est pas vraiment celle de savoir si l’on est ou pas confronté à des « acteurs en développement » comme le suggère le sous-titre du volume. Schématiquement, ces chapitres se répartissent entre études descriptives et études d’impact en terme de participation institutionnelle ou de satisfaction de demandes d’action publique. Les premières sont illustrées par le traitement déjà cité du Pays Basque, de la Corse et de la Bretagne, ainsi que de celui de Convergencia i Unio en Catalogne (traité par Pierre Lissot), du Scottish National Party (par David Bell) et de l’Alliance Démocrate Hongroise de Roumanie (par Réka Horvath). Sont présentées les grandes lignes des vicissitudes des mobilisations en s’en tenant aux traits minimaux (voire, dans le cas écossais, à un simple récit d’histoire contemporaine) et, dans les cas basque, catalan et écossais, en faisant une utilisation des plus limitées de la littérature pourtant consistante, suscitée par ces trois cas en Espagne et au Royaume-Uni. Les autres contributions sont, quant à elles, davantage problématisées : Christophe Bouillaud, qui mobilise une bibliographie nourrie, s’efforce de mettre en exergue, de façon originale, l’impact finalement défaillant de la Lega Nord en terme de politiques publiques ; Anwen Elias examine le succès de Plaid Cymru à la première Assemblée nationale du Pays de Galles ; Emilie van Haute traite de la disparition de la Volksunie et Jean-Benoit Pilet du crépuscule du Rassemblement Wallon et le Front Démocratique des Francophones. Toutes ces contributions, qui fournissent des enseignements allant au-delà de la seule famille régionaliste, montrent les difficultés et les risques du succès pour ces formations porteuses d’un projet se voulant alternatif.

41Au terme du livre, tant dans les parties comparatives que dans les volets monographiques, bon nombre de questions attenant à la dynamique de la mobilisation incarnée par ces partis n’auront pas ou peu été abordées : ainsi des traits organisationnels, de la sociologie des militants et, là où il est de quelque importance, des traits de l’électorat ; de même, s’il est plusieurs fois fait mention du fait que le projet régionaliste abrite une grande diversité de nuances idéologiques sur les clivages ne regardant pas la relation centre/périphérie, on ne sait guère de choses sur le contenu concret de ces orientations, la nature exacte des revendications de toutes ces formations et leurs évolutions, ainsi que les rapports qu’elles entretiennent avec les autres forces politiques. Au total, l’impression laissée au lecteur est mitigée face à un ouvrage certes utile du fait du comblement d’un espace éditorial lacunaire, mais inégal en valeur et appelant sans nul doute des recherches ultérieures.

42Christophe Roux

43Chercheur associé au CIR (Paris)

Gilles Massardier, Politiques et actions publiques, Paris, Armand Colin, 2003

44Cet essai critique, déguisé en manuel universitaire, est placé sous le signe du pluralisme méthodologique. Ici se trouve sa force ainsi que sa faiblesse. En proposant un tour d’horizon didactique d’une discipline d’invention récente et aux contours flous, Gilles Massardier évite les deux solutions de facilité typiques du genre. Son livre n’offre ni simplification à outrance ni théorie personnelle présentée sous la guise d’exposition objective. À leur place, il présente un portrait exact de l’état de la discipline, avec toutes ses complications et contradictions. Le résultat est une œuvre d’une rigoureuse honnêteté intellectuelle et d’une très grande utilité pour le lecteur initié. Ce n’est pas un livre pour débutants. Nous y reviendrons.

45Des trois parties du livre, la première et la troisième sont les plus accessibles, bien que pour des raisons inverses, la première traitant presque uniquement de méthode et d’épistémologie et la dernière beaucoup plus directement d’un sujet empirique précis : le fonctionnement de l’Union européenne. Entre les deux, par contre, se trouve une discussion assez difficile à suivre où sont mélangées l’histoire récente de la « pratique » des politiques publiques en France et celle des outils théoriques, français et autres, inventés pour en rendre compte.

46Le titre de la première partie annonce la couleur. Il s’agit « des rationalités en politique publique », rationalités au pluriel dans le texte comme dans les faits. Trois rationalités sont examinées successivement. La première, la plus classique surtout pour l’étudiant formé en droit ou en sociologie, est celle du système social, au sommet duquel se trouve l’État et sa logique d’autorité. Sous cette rubrique Massardier évoque rapidement, presque en passant, l’approche traditionnelle « régalienne » du droit administratif pour se pencher de manière beaucoup plus détaillée sur les contributions théoriques comme pratique des théories systémiques. Bien que réputées dépassées dans le milieu scientifique, Massardier insiste, la notion de la société comme système dont l’État est le régulateur a la vie dure dans l’imaginaire collectif – et médiatique. La presse « sérieuse », nous fait-il remarquer, se trouve souvent « en flagrant délit de perpétuation du schéma stato-centré et systémique. » Une exposition systématique des modèles systémiques de Easton à nos jours ainsi que des avatars successifs du modèle séquentiel, avec ses étapes rassurantes et bien ordonnées menant de la définition du problème à la mise en œuvre de la solution en passant par la mise sur agenda, maintient son utilité, si ce n’est que pour nous mettre en garde contre l’usage abusif de ses versions vulgaires.

47Moins bien connue pour la plupart des lecteurs français, et plus souvent l’objet de polémiques et de caricature, la seconde rationalité abordée est économique. La régulation par le marché est au centre de cette logique, mais il ne s’agit pas toujours d’un marché monétarisé. Au cœur de l’approche dite économique se trouve non pas l’argent, ni même l’échange, mais justement une certaine idée de la rationalité centrée sur l’individualisme méthodologique et le calcul de maximisation. Il est donc important mais insuffisant de considérer les questions proprement « économiques », tel que le problème des biens publics. L’approche économique, et ce livre le souligne avec justesse, cherche à expliquer dans sa totalité le comportement politique et social [18]. Il s’agit bien, donc, d’une rationalité à part entière, et non d’un programme politique ou même d’une idéologie. Entre l’approche par le « système social » et celle par la maximisation individuelle, les différences se situent au niveau axiomatique.

48Cette vérité n’est pas pour nous simplifier la vie quand nous constatons, comme le fait Massardier dans son troisième chapitre, que ces rationalités – et d’autres encore – se trouvent souvent modifiées et « enchevêtrées. » La rationalité économique est « limitée » dans les travaux d’abord de H. Simon et plus tard de J. March et J. Olsen. Le fonctionnement de l’État est démystifié par la sociologie des organisations – sociologie où la méthode économique a sa place. Nouveaux espaces et nouveaux acteurs font de l’action publique une « mosaïque. » Loin des modèles simples et homogènes – qu’ils parviennent de la sociologie systémique ou de l’économie – nous en arrivons au constat qu’une politique publique est, « un ensemble d’actions multiplexes, plus ou moins coordonnées. » (p. 84) Il est évident, en lisant entre les lignes, que c’est justement cette approche qui a la faveur de l’auteur, mais il n’est pas difficile de deviner que c’est ici, justement, que les étudiants commencent à perdre pied.

49La deuxième partie du livre pourrait les aider à se ressaisir à l’aide de « constats empiriques », mais réussit plutôt le contraire. Analysant en même temps l’évolution de l’action publique en France et celle de l’étude de l’action publique les chapitres qui suivent rendent extrêmement difficile toute explication de l’une ou de l’autre. D’un côté, la politique publique passe de « l’ère des technocrates » à « l’errance des technocrates » ; de l’autre, l’étude scientifique des politiques publiques évolue comme nous l’avons vu ci-dessus. Mais quel est, précisément, le lien entre l’un et l’autre de ces phénomènes ?

50Ce lien n’est, en vérité, pas simple et ne fonctionne pas à sens unique. L’action publique est fortement influencée, et depuis longtemps, par le courant analytique dominant du moment. À titre de preuve, des aperçus de cas empiriques (TGV, autoroutes, décentralisations…) défilent ainsi que des résumés de modèles théoriques (échange politique territorialisé, théorie des réseaux, néo-institutionnalisme, …), mais le rythme est trop rapide, l’exposition trop peu profonde, pour faire de la vraie pédagogie. Moins d’exemples, plus approfondis, auraient mieux servi. Gilles Massardier nous propose dans cette deuxième partie plutôt un aide-mémoire pour le chercheur professionnel qu’un manuel.

51La troisième et dernière partie de ce livre, par contre, s’avère d’une grande utilité, et ceci pour plusieurs raisons. Elle traite des politiques publiques « européanisées » et le fait, c’est un premier point en sa faveur, dans le contexte des politiques publiques « ordinaires. » Il n’est pas nécessaire, pour traiter des politiques de l’Union Européenne, d’inventer une nouvelle discipline. Bien au contraire, les politiques communautaires et l’enchevêtrement des niveaux (local, régional, national, supra-national, …) qui en découle, offrent le cadre parfait pour mettre en valeur les rationalités et modèles multiples qui caractérisent la discipline. Cette entrée par les politiques publiques offre un éclairage en fin de compte plus net sur le fonctionnement de l’Union que l’entrée classique par les institutions. L’idéal, mais le livre ne va pas jusque-là, serait de se servir de l’exemple européen pour éclairer et expliquer le niveau national où l’action publique est encore toujours cachée derrière l’écran d’institutions héritées d’un autre siècle.

52On aurait pu espérer une présentation un peu plus cohérente – et surtout une distinction plus marquée entre changement de l’objet empirique et changement de l’outil analytique – mais l’approche éclectique choisie par ce livre ne doit rien au hasard. L’étude des politiques publiques, au moins jusqu’à présent, résiste à la simplification et échappe à la systématisation. Ceux d’entre nous appelés à en faire la pédagogie doivent en tenir compte. L’essai de Gilles Massardier est un reflet fidèle de cette réalité.

53M. Smyrl

54Denver University,

55Chercheur associé au CEPEL

Pierre Bréchon (dir.), Les Partis politiques français, Paris, La Documentation française (Les études), 2005 (1ere éd. 2001)

56Cette nouvelle édition des Partis politiques français ne tranche pas avec la première mouture. Elle s’inscrit dans une continuité intégrant dans la réflexion les derniers et importants soubresauts électoraux de 2002 et de 2004 [19]. Les partis politiques français sont appréhendés notamment en fonction de leurs résultats électoraux. Pour autant le constat de départ est simple : « les partis politiques ont une très mauvaise image dans l’opinion publique » (p. 7). Le but de l’ouvrage l’est également, il s’agit de « présenter les grandes familles politiques qui jouent aujourd’hui un rôle important dans le système politique français » (p. 13).

57Le choix de cette problématique structure l’ouvrage en sept chapitres thématiques rédigés par des « spécialistes de sociologie politique ». Ceux-ci traitent à la fois de la tradition idéologique, de l’évolution des programmes, des formes d’organisations partisanes ainsi que de la sociologie de leurs adhérents et de leurs électorats et bien sûr des résultats électoraux. Par rapport à la première édition, tous les titres de chapitre sont conservés, « les formations d’extrême droite : Front National et Mouvement national républicain » (Gilles Ivaldi), « du RPF au RPR et à l’UMP : la banalisation d’un parti de droite » (Jacques Derville), « entre libéralisme et centrisme » (Stéphanie Abrial), « le Parti socialiste : une position dominante » (Hugues Portelli), « les écologistes à l’heure du pragmatisme » (Bruno Villalba), « l’extrêmegauche : entre permanence et évolutions » (Christine Pina) à l’exception de celui consacré au Parti Communiste Français par Fabienne Greffet, « le PCF : l’inexorable déclin » [20].

58Ce livre n’est pas une série de sept monographies autour de la notion de « famille politique » [21]. Il s’agit d’une étude des « partis politiques dans leur système » comme le met en évidence l’introduction de Pierre Bréchon. Ce sont bien les partis qui sont appréhendés car ils occupent dans notre démocratie les fonctions « programmatique, de structuration de l’opinion politique et de sélection des professionnels de la politique » (p. 12). Face à l’invariant de cette triple fonction, les réponses apportées par les familles politiques diffèrent selon la place qu’elles occupent dans le système. La force de ce livre est la combinaison d’une approche par famille politique (et non par parti politique) et d’une étude du système partisan contemporain. Il s’agit d’une étude du cas français s’inscrivant dans la continuité du manuel sur les Partis politiques de Pierre Bréchon [22].

59Tous les partis politiques, composant les différentes familles politiques, sont ainsi étudiés selon la place qu’ils occupent dans le système électoral depuis les dernières échéances électorales : le Parti socialiste occupe la « place dominante » (détenue par l’U.M.P. de 2002 à 2004), le F.N. est le « parti de la protestation » sans aucun concurrent potentiel sur son terrain électoral comme l’atteste l’échec du M.N.R., l’U.M.P., parti en formation, interroge sur sa réelle nature de « parti unique de la droite » et, de fait, oriente les réflexions sur la place de l’U.D.F., « parti du centre », tandis que les autres familles et partis de gauche paraissent en recomposition (Parti communiste, Les Verts et Extrême Gauche). L’absence de Chasse Pêche Nature et Tradition (C.P.N.T.) peut surprendre au regard des études existantes sur ce phénomène [23].

60Le clivage droite/gauche ne suffit plus pour différencier les organisations politiques les unes des autres face à l’apparition de certaines liées à des thèmes spécifiques (Les Verts ou C.P.N.T.). L’affirmation d’une nouvelle famille politique en l’occurrence la famille écologiste tout comme le lent déclin du Parti communiste démontrent que le système partisan français n’est pas figé. L’étude de Bruno Villalba met en évidence les complexités et la lente structuration de cette famille en parti politique, les Verts. Ce parti politique occupe une place particulière et singulière [24]. Il s’agit d’un parti de gouvernement sans grand effectif, à l’organisation démocratique revendiquée. À travers l’exemple des Verts, c’est toute la méthodologie de l’ouvrage que l’on peut mettre en avant : pour comprendre un parti politique, il faut le situer dans sa famille politique (approche historique), étudier son mode d’organisation (approche structurelle), ses militants et son électorat (approche sociologique). L’évolution de ce dernier, en positif (c’est le cas des Verts) ou en négatif (c’est celui du P.C.) renvoie d’une part à la compétition électorale et d’autre part au système partisan.

61C’est bien cette grille de lecture identique appliquée à tous les partis politiques qui trouve un écho en conclusion : « on peut surtout mettre en valeur ce qui ressort de la lecture de ce livre : les programmes qui permettent de mobiliser les électeurs restent forts différents » (p. 201). Les partis politiques sont bien perçus conformément à l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes (leurs programmes). C’est sans doute là la force de ce livre qui, après avoir analysé la quasi-totalité des forces politiques comptant en France, questionne le système partisan : « Des partis qui ont du mal à recruter » (p. 205) et à faire voter, serions-nous tenter de rajouter.

62Pour Pierre Bréchon, les raisons en sont surtout des « pratiques organisationnelles » dues au financement public de la vie politique et l’apparition du « cartel party » [25]. L’utilisation de la modélisation de Peter Mair est une volonté d’intégrer les recherches françaises en matière de partis politiques dans une réelle perspective comparative tant d’un point de vue empirique que théorique. En effet, il est dommage que la restructuration des modes de financement [26], tout autant que la « colonisation des partis » qui ont pour conséquence une désaffection des partis et non du système de représentation [27] soient seulement des pistes conclusives. Car il est notable que les partis politiques, du moins les principaux partis de gouvernement en France, sont de plus en plus semblables dans leurs pratiques (et non dans leurs programmes) : présidentialisation interne (adaptation au système politique), désaffection militante, et même dans leur proposition de résolution des problèmes en recherchant un nouvel acteur, appelé « adhérent associé » [28].

63Une telle synthèse du système politique français à travers ses familles politiques et surtout ses partis n’est pas aisée à mener à bien. Cette deuxième version complète et confirme la précédente qui, en suivant Marcel Mauss, nous rappelle que le parti politique est un « fait social total » qu’il faut étudier dans toutes ses dimensions et complexités.

64Ce livre n’appartient ni à la littérature antiparti [29]", ni à la littérature, plus prolixe, centrée sur la « militance partisane ». Par son approche globale des « familles politiques », il permet une connaissance précise de l’état des forces politiques de la France (parti par parti) et les appréhende autant dans leur dimension idéologique que systémique et sociologique. Il fait parfaitement écho en cela aux études internationales sur les organisations partisanes tout en préservant les apports de la Science politique française sur les partis politiques.

65Fabien Nicolas,

66CEPEL


Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/psud.024.0157

Notes

  • [1]
    L’analyse de manuels de politiques publiques comme celui de Gloria Regonini confirment l’impression de cette séparation sous-disciplinaire au sein de la science politique italienne. Cf. Regonini G., Capire le politiche pubbliche, Bologne, Il Mulino, 2001
  • [2]
    Ces projets comportaient une reconversion environnementale (construction de parcs publics, nettoyage des côtes et peu de construction immobilière), touristique (tourisme balnéaire, loisirs culturels, congrès) et autour de la création d’un pôle de recherche et développement. Cf. De Lucia V., Napoli. Cronache urbanistiche (1994-1997), Milan, Baldini & Castoldi, 1998.
  • [3]
    Gribaudi G., Musella L., 1998, « Acteurs et représentations de l’échange politique. Clientélisme et corruption à Naples à travers les enquêtes judiciaires », in Briquet J.-L., Sawicki F. (dir.), Le clientélisme politique dans les sociétés contemporainesParis, P.U.F., 1998, pp. 277-305 ; Brancaccio L., « Stratégie del consenso politico a Bagnoli (1980-1992). La Democrazia Cristiana e il Partito Socialista », in Marletti C. (dir.), Politica e società in Italia, vol.2, Milan, Angeli, 1999.
  • [4]
    Piattoni S. (dir.), Clientelism, Interests, and Democratie Representation. The European Experience in Historical and Comparative Perspective, cambridgen, Cambridge University Press, 2001 ; Briquet J.L., Sawicki F. (dir.), op.cit.
  • [5]
    Dans le prolongement de la théorie de l’électeur rationnel, et des notions de rationalité instrumentale ou d’attentes rationnelles des acteurs, le « contrôle électoral » renvoie aux processus par lesquels les groupes d’électeurs et les partis coordonnent leur action en vue de gagner plus de sièges de députés ou de portefeuilles ministériels.
  • [6]
    Un parti ou un candidat sont « viables » lorsqu’ils sont en mesure d’obtenir un siège.
  • [7]
    La logique de ce résultat de A+1 est une généralisation directe de la thèse de Duverger sur l’entrée dans la compétition de partis dans les circonscriptions uninominales. Si les prévisions des résultats électoraux des partis sont suffisamment claires, les premiers A-1 sièges seront déjà décidés. La seule incertirude et donc la compétition réelle ne porte que sur le dernier siège en jeu. Pour l’emporter, il n’existe normalement que deux compétiteurs viables – le dernier à avoir emporté un siège ou le premier battu présumé. Dans une circonscription uninominale, notre exemple, il y a normalement deux partis ou candidats viables susceptibles d’obtenir le dernier – et seul siège – en jeu (un hypothétique troisième compétiteur sait qu’il n’a pas la possibilité ou qu’il devra se retirer). Par conséquent, nous devons nous attendre à ce qu’un maximum de (A-l)+2 = A+l partis ou candidats viables se le disputent.
  • [8]
    Mike Davis, City of quartz. Los Angeles, capitale du futur, Paris, La découverte, 1997.
  • [9]
    Arnaldo Bagnasco, « La ricerca urbana fra antropologia e sociologia », introduction à l’édition italienne de Ulf Hannerz, Esplorare la città, Bologna, Il Mulino, 1992 ; Arnaldo Bagnasco, Patrick Le Galès, « Les villes européennes comme société et comme acteur », in Arnaldo Bagnasco, Patrick Le Galès (dir.), Villes en Europe, Paris, La Découverte, 1997 ; Alfredo Mela, Sociologia delle città, Roma, Carocci, 1998.
  • [10]
    Jean Petaux, Le changement politique dans le gouvernement local. Le pouvoir municipal à Nantes, Paris, Pedone, 1982.
  • [11]
    Jacques Lagroye, Politique et Société. Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Paris, Pedone, 1973.
  • [12]
    Olivier Borraz, Gouverner une ville. Besanc on 1959-1989, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998.
  • [13]
    Patrick Le Galès, Politique urbaine et développement local, une comparaison franco-britannique, Paris, L’Harmattan, 1993.
  • [14]
    Ce point est exposé de manière très détaillée dans l’ouvrage d’Olivier Borraz sur Besançon.
  • [15]
    Olivier Borraz, « Le gouvernement municipal en France. Un modèle d’intégration en recomposition », Pôle Sud, n° 13, novembre 2000, pp. 11-26.
  • [16]
    Frédérique Matonti (dir.), La démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005.
  • [17]
    On pourrait voir dans Marseille un des exemples de la crise de la démocratie représentative qui trouve dans les villes un de ses principaux terrains d’élection. Sur ce point, cf. Oskar Gabriel, Vincent Hoffmann-Martinot (dir.), Démocraties urbaines, Paris, L’Harmattan, 1999.
  • [18]
    L’exposé classique de cette approche dans sa version « dure » est G. Becker, The Economic Approach to Human Behavior, Chicago, Chicago University Press, 1976.
  • [19]
    Pascal Perrineau et Colette Ysmal, Le Vote de tous les refus : les élections présidentielle et législative de 2002. Paris, Presses de Science Po (Chroniques électorales)) 2003.
    Bruno Cauterès et Vincent Tiberj, « Une Sanction du gouvernement mais pas de l’Europe. Les élections européennes de juin 2004 », Les Cahiers du CEVIPOF, n° 41, 2005.
  • [20]
    Fabienne Greffet, « Le PCF : combattre le déclin par la mutation ? », Les Partis, op. cit., 2001.
  • [21]
    Daniel-Louis Seiler, Partis et familles politiques. Paris, PUF, 1980.
  • [22]
    Pierre Bréchon, Les Partis politiques. Paris, Montchrestien, coll. Clefs-Politique, 1999.
  • [23]
    Christophe Traïni, Les Braconniers de la République : les conflits autour des représentations de la Nature et la politique, Paris, Presses universitaires de France, coll. Politique d’aujourd’hui, 2003.
  • [24]
    Benoît Rihoux, Les Partis politiques : organisations en changement. Le test des écologistes. Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 2001.
  • [25]
    Richard S. Katz and Peter Mair, « Changings Models of Party Organization and Party Democracy : The Emergence of the Cartel Party », Party Politics, I (1) repris dans Peter Mair, Party Systems Change. Approaches and Interpretations. New York, Oxford University Press, 1998.
  • [26]
    Bernard Dolez, « Les « Petits » Partis au regard de la réglementation du financement de la vie publique », Les petits Partis. De la petitesse en politique, Actes du Colloque du Centre de Recherches Administratives, Politiques et sociales (CRAPSIFRESI, CNRS URA 0982), Mars 1996, Annie Laurent et Bruno Villalba (dir.), Paris, L’Harmattan, coll. Logiques Politiques, 1997.
  • [27]
    José Ramon Montero, Mariano Torcal, Richard Gunther, « Les Sentiments antipartis en Europe du Sud », Pôle Sud, n° 20, 2004.
  • [28]
    Isabelle Mandraud, Philippe Ridet, « Partis cherchent militants en CDD, voire virtuels », Le Monde, 23 janvier 2005.
  • [29]
    Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois, Partis politiques et démocratie. Inséparables mais incompatibles ?, Paris, Éd. François-Xavier de Guibert, 2005.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.168

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions