Pôle Sud 2004/1 n° 20

Couverture de PSUD_020

Article de revue

Le nationalisme dans la Corse contemporaine

Pages 97 à 112

Notes

  • [1]
    Depuis quelque temps est apparue sur le territoire insulaire une nouvelle forme de violence oscillant entre violence personnelle et violence sociale. Des lieux de cultes ont été les cibles d’actions terroristes perpétrées par des groupuscules proches du milieu nationaliste.
  • [2]
    Depuis 1982, l’île a connu quatre statuts particuliers. Statut Deferre de 1982, Statut Joxe de 1991, Statut Jospin 2002 et enfin depuis novembre 2002, le projet de loi de décentralisation proposée par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, sans parler de l’imbroglio institutionnel survenu après le Référendum consultatif du 6 juillet 2003.
  • [3]
    Entre octobre 1989 et novembre l991, le FLN-C endurera une vague de contestations, de divisions et de dissidences au cœur sa structure décisionnelle. En l’espace d’une année, il se scindera en trois entités politico-militaires : Cuncolta Naziunalista/FLNC Canal Historique, Mouvement Pour l’Autodétermination/FLNC Canal Habituel, et Accolta Naziunalista Corsa/Resistenza. Depuis décembre 1999, les principales fractions ont fusionné et ont adopté le sigle Union des Combattants ou FLNC réunifié. Ces fractions armées ont amorcé une trêve des attentats, cette politique se soldera en novembre 2002 sur une nouvelle fragmentation le FLNC de Novembre 2002. Aujourd’hui, mis à part le FLNC dit de Novembre 2002, l’ensemble des groupes armés constitue la nébuleuse Union des Combattants-FLNC (réunifié). Cette organisation est soumise à une trêve des attentats. Cependant, malgré cette trêve politique décrétée par l’Union des Combattants d’autres groupuscules armés agissent toujours sur le jeu politique ce qui rend de plus en plus difficile l’analyse de ce phénomène de société.
  • [4]
    Paru en 1974
  • [5]
    Ce chiffre est le résultat de l’addition de la coalition nationalisto-autonomiste Corsica Nazione (Cuncolta Naziunale – vitrine légale du FLNC Canal Historique –, Accolta Naziunale Corsa – vitrine légale de Resistenza –, Union du Peuple Corse, Per U Paese et I Verdi Corsi, proches d’A Cuncolta) et le Mouvement pour L’Autodétermination (vitrine légale du FLNC Canal Habituel).
  • [6]
    Ce score représente les résultats globaux obtenus sur les quatre circonscriptions par les mouvances en lices lors de cette élection : Corsica Nazione 13,29 %, MPA 5,86 % et ANC 1,68 %, soit 22873 suffrages sur 109722 exprimés contre 165654 inscrits.
  • [7]
    Arritti décembre 2002.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Mouvement Démocratique d’Emancipation politique et Sociale qui fera 10 % environ aux législatives de 1997.

1La Corse, île de 8 700 km2 peuplée de 270 000 habitants environ, est l’une des régions françaises, auprès de l’opinion, qui souffre le plus de son image composée pour l’essentiel d’un bricolage de lieux communs et de représentations sociales stéréotypées trop souvent sorties de leur contexte. En fait, cette représentation de la société insulaire donnée essentiellement par les mass médias s’est concrétisée après la nuit du 4 et 5 mai 1976 – date d’apparition de la violence nationaliste organisée sous l’égide d’une seule et unique entité politico-militaire structurée : le Front de Libération National de la Corse (FLN-C). Ces distorsions de la réalité masquent la forme patente de cette société insulaire. Société traditionnelle, pour l’essentielle rurale et fortement imprégnée d’une culture qui procède selon Jean-Louis Briquet (1997) "par un processus d’adaptation constante de la tradition à la modernité, qui a permis, dans la longue durée, la reproduction du pouvoir des notables et la continuité du clientélisme.

2Subséquemment, ce phénomène de surmédiatisation entraîne le flétrissement des liens sociaux et politiques d’une société insulaire de plus en plus en proie à l’anomie sociale [1]. Invariablement depuis 1976, l’impact des exactions terroristes auprès de l’opinion repousse toujours un peu plus loin l’île de l’esprit de la République en creusant un fossé d’incompréhension mutuelle. Depuis plus deux décennies de négociation, les mouvements clandestins ont conduit les Gouvernements successifs à proposer divers aménagements institutionnels, qui ont métamorphosé par petites touches le paysage économique, et politique d’une région qui se trouve aujourd’hui érigée en collectivité territoriale [2]. Néanmoins, malgré l’ensemble des avancées institutionnelles de l’île, la prépondérance de la violence sur le jeu politique demeure. Dans la Corse actuelle, la violence contraint les formations partisanes présentes dans le jeu politique à une inertie les retranchant dans une confidentialité politique des plus troublantes. Aussi force est de constater qu’en Corse le phénomène identitaire a la particularité de subsister greffé à l’unique rapport de force qu’entretiennent les factions armées avec les différents gouvernements en place. Dès lors ce mécanisme constitue l’une des principales caractéristiques de la vie politique insulaire.

3De plus, ce rapport à la violence s’est renforcé avec l’assassinat du Préfet de Région Claude Erignac le 9 février 1998 (Dominici 2002). Il est évident que cette action terroriste a eu des effets importants sur le rapport qu’entretient l’État avec cette Région. Mais elle se trouve aussi à l’origine du changement des attitudes partisanes nationalistes que connaissent les deux plus grandes familles nationalistes aujourd’hui. L’assassinat du Préfet survient en période de campagne électorale, plusieurs formations vont rapidement se défaire de l’autorité directe des FLNC(s) [3] pour s’engager sur la voie de la démocratie représentative. Le groupe autonomiste du Parti National de la Corse (PNC) et le groupe Corsica Nazione-lndipindinza (CN-I) se sont réunis le 1er février 2004 afin de s’allier autour d’une plateforme nationalitaire électorale. Lors de l’année 1992-93 ces deux forces politiques avaient obtenu un total de 25 % aux élections régionales de mars 1992 et 20.71 % au premier tour des législatives de 1993. Cependant, aucune ne réussit ni à arrêter la surenchère clandestine née de l’éclatement du FLN-C et ni à juguler la guerre intestine entre les deux FLNC en quête de légitimités politiques. Ce rapprochement entre les deux grandes formations laisse augurer que le monde nationaliste se présentera aux prochaines élections territoriales de mars 2004 comme une force politique d’opposition concurrentielle.

4En raison de la proximité historique, nous essaierons de-rendre compte le plus fidèlement qui soit les changements organisationnels et politiques, tout en essayant de suivre scrupuleusement les quatre axes thématiques qui nous ont été proposés : la sociogenèse du nationalisme corse, son organisation dans la société, son impact électoral et enfin son européanisation politique.

Sociogenèse du nationalisme corse

5Ce qui différencie l’origine de la mouvance ethno-identitaire corse des autres cas existant sur le territoire national est l’approche d’un point de vue strictement juridico-historique (Crettiez Sommier, 2002). En effet, "l’histoire a conféré à l’île de Corse un statut particulier au sein de l’ensemble français, en ce qu’elle est la seule région métropolitaine à s’être constituée en État souverain [Constitution de la Corse de 1755], avant d’être ultérieurement intégrée à la France" (Leca 1981). Cet événement forge les bases de la contestation identitaire corse. C’est sur cette période riche en sémantique que s’élaborent les marqueurs identitaires. Ensuite d’un point de vue chronologique, selon l’historien Fernand Ettori (1981), la revendication identitaire traverse essentiellement quatre phases, qui peuvent être observées comme étant le résultat de crises politiques issues du rapport centre-périphérie. Ce clivage apparaît essentiellement en France "lorsque le processus de mobilisation populaire autour de l’État-nation présente des ratés, on assiste à l’émergence de partis de défense territoriale, autonomistes, fédéralistes ou séparatistes" (Seiler, 1994).

6En l’espèce, la première phase est la période 1769-1896. Elle est marquée par une lente intégration à l’ensemble français et par une opposition culturelle entre italianité et francité. La seconde phase couvre la période 1896-1940. Elle s’ouvre par le retour aux revendications identitaires, orientées sur plusieurs vecteurs ethno-culturels, dont notamment l’histoire spécifique et la langue vernaculaire. Ce courant contestataire était formé en grande partie d’acteurs sociaux et culturels (poètes, écrivains, etc.). Certes peu suivie par la population Corse, son expression politique à cette époque s’articulait autour d’une seule et unique formation politique : le Partitu Corsu d’Azione (Parti Corse d’Action) qui deviendra plus tard le Parti Corse Autonomiste (Yvia-Croce, 1979). Durant cette phase que nous pouvons qualifier de "formation de l’identité partisane autonomiste", le discours politique de certains adhérents corsistes ou Muvristes fut incontestablement influencé par le projet irrédentiste des fascistes italiens (Leca, 1981), Et, c’est logiquement que l’appareil se fragmente entre pro-fascistes et sympathisants d’un ethno-nationalisme régional pour enfin disparaître définitivement après la Libération en novembre 1943 (Nuñez-Seixas, 1998). La troisième phase débute en 1940 et se termine en 1965. Elle se caractérise par une situation de crise et de vide économique, démographique, culturel et politique. Dès lors, un double problème apparaît : résultant pour le premier du contexte international avec la décolonisation, et pour le second dû au contexte national, lié au fait que le centre politique et administratif installe une économie nationale fondée sur des plans d’actions régionaux antinomiques avec les réalités locales. Ce double problème provoquera la quatrième phase. Cette dernière recouvre la période moderne, certains parlent d’une deuxième renaissance de la revendication, passant du régionalisme social et économique à l’autonomisme économique, puis à la lutte de libération nationale.

7À travers cette vision diachronique de la contestation identitaire des Corses, Fernand Ettori (1981) souligne un fait très intéressant. En effet, les vicissitudes de l’histoire de l’ethno-nationalisme de l’entre-deux-guerres expliquent indubitablement le fait que ce ne soit qu’à partir de la fin des années 1960, et sans aucune filiation directe avec cette idéologie, qu’apparaîtront dans le paysage politique insulaire les mouvements autonomistes, puis nationalistes que nous observons toujours aujourd’hui. En outre, ces quatre phases corroborent le fait que l’ethno-nationalisme corse d’aujourd’hui n’est pas à l’origine un ethnicisme politique.

8Enfin, cette analyse de la sociogenèse du nationalisme corse démontre que sa mobilisation sociale épouse les phases de réactions périphériques colportées par le clivage cristallisant la politique de l’aménagement administratif du centre étatique sur l’ensemble du territoire national. Dès lors, nous pouvons conclure ce chapitre en rappelant que d’un point de vue sociétal l’image immarcescible de la société corse demeure ballottée entre aspirations identitaires et fidélité à la citoyenneté républicaine. D’autant que la Corse incarne une société traditionnelle essentiellement rurale, qui rentre difficilement dans la modernité inspirée par l’homogénéisation administrative du territoire national. De fait, d’un indubitable retard économique lié à l’insularité, l’île va être entraînée dans une spirale de violences politiques et sociales dont le point d’orgue irréfragable semble être l’assassinat en février 1998 du Préfet de Région Claude Erignac.

Société régionale et structuration des organisations nationalistes

9Comme nous l’avons souligné, les mouvements ethno-nationalistes ont dû attendre la fin des années 60 pour rentrer dans le paysage politique insulaire. Depuis ils n’ont cessé d’évoluer, de muter, afin de concurrencer les forces politiques classiques et ainsi de se présenter comme étant les défenseurs des intérêts de la périphérie. Aujourd’hui, selon Jean-Louis Briquet (1997), "les mouvements nationalitaires, en Corse comme ailleurs, peuvent être interprétés comme des entreprises de mobilisation contestataires, visant à redéfinir la valeur des ressources politiques à l’intérieur d’un territoire et, par là, à permettre l’entrée dans l’espace politique local d’individus ou de groupes qui en étaient jusqu’alors exclus. La forme et le contenu des revendications nationalitaires en arrivent ainsi à être appréhendés comme le résultat de stratégies de nouveaux entrepreneurs politiques, qui tentent d’imposer des modes de légitimation et des valeurs inédites pour l’action politique, et de fonder leurs prétentions à entrer dans la lutte politique en se présentant comme les détenteurs monopolistiques de ces valeurs et ressources".

10Ce phénomène de politisation des acteurs de la contestation nationalitaire nous permet d’aborder la question de la participation politique nationalitaire dans son environnement. Cet exercice n’est pas simple ensoi car la dimension partisane des nationalistes corses s’anime invariablement autour "[de] deux grandes familles qui ont configuré le nationalisme corse [sur] deux stratégies contradictoires : l’action légale et l’action clandestine" (Molas, 200). Plus concrètement l’action légale est animée par les autonomistes, quant à Faction clandestine elle est l’apanage des mouvements armés indépendantistes et de leurs corollaires. Cette configuration n’a rien d’originale en soi, d’autant que l’on peut l’observer aisément dans toutes les situations européennes, du moins là où perdure une violence ethno-identitaire. En effet, en Corse comme en Irlande du Nord ou en Pays Basque la sphère clandestine procure le moule et la sédimentation historique de la forme-parti nationaliste (Pombeni, 1992). En dépit de ce point de comparaison, le système nationaliste corse est différent des cas européens car bien que fondé sur deux stratégies partisanes contradictoires, l’action clandestine par l’entremise des FLNC(s) prédomine l’espace politique de la mobilisation ethno-identitaire. Jusqu’à l’assassinat du Préfet de Région, la violence politique des FLNC(s) était perçue par une partie de la société insulaire comme légitime si elle restait au-service de la défense de la périphérie et de la sauvegarde des intérêts de l’île. C’est pourquoi en Corse, l’action légale est interdépendante des actions terroristes menées par les factions clandestines à l’encontre de l’État-nation. Elle ne devient importante pour l’ensemble des familles politiques que lors des élections locales (régionales, municipales) et européennes, le reste du temps elle demeure le "pré-carré" des autonomistes qui agissent sur l’échiquier politique comme des partis d’opinions réunissant une poignée de notables délaissée par les partis classiques alors que les partisans de la violence politique revêtent tous les apparats des partis dominants du système. Son côté populaire et d’allure populiste le rapproche des masses. Schématiquement, l’ethnonationalisme corse s’organise autour de ces deux familles constituées par d’un côté les modérés et de l’autre les radicaux soutenant la violence armée.

11Depuis l’émergence du phénomène autonomiste à la fin des années 1960, le Parti National de la Corse filiation directe de l’UPC (Union du Peuple Corse) est la seule formation politique à avoir résisté aux différents changements sociopolitiques. Aussi en 1982 date du premier statut particulier, elle est l’unique organisation partisane à avoir participé à l’ensemble des scrutins (régionaux, législatifs et européens). Cette tendance politique continue malgré la prépondérance de la violence sur le jeu politique, à exercer une certaine influence sur le système politique local en tant que parti tribunitien. Ce trait de caractère partisan est dû au fait que le Parti National de la Corse (PNC), à l’image de l’UPC d’hier, est l’unique appareil ayant un ancrage européen, grâce notamment à sa participation à la structure ALE-Les Verts au Parlement Européen. Dès lors les diverses tendances issues de l’ex. Union du Peuple Corse agencent dans leur fusion le seul parti politique de nature autonomiste qui réponde à la définition d’action légale. Or, depuis 1994, même si cette famille partisane ne domine plus la mouvance ethno-nationaliste contemporaine, elle est le signe d’une longévité partisane des mouvances légalistes. Cette force politique reste composée exclusivement de notables locaux situés hors champ politique. Ce qui nous laisse à penser que cette persistance dans le jeu politique local est liée au fait que les autonomistes ont su se substituer aux anciens mouvements sociaux et surtout ils ont récupéré le rôle tribunitien généralement utilisé par le Parti Communiste. Ce qui fait que cette tendance s’impose comme un groupe d’intérêts structuré autour du projet politique fondé sur le passage à un nationalisme démocratique et sur la fin de la violence armée.

12Aujourd’hui si les modérés sont réunis autour du noyau dur que constitue le PNC, c’est parce qu’ils bénéficient de l’ensemble des ressources acquises lors du truchement de la filiation directe de l’ancienne UPC. En d’autres termes, ce pôle politique se réalise par la juxtaposition des anciens autonomistes qui agissent sur le jeu politique comme des tribuns et les différentes tendances composant les divers groupuscules dissidents des trois formations politiques des FLNC(s).

13À l’origine, l’UPC a été constituée le 17 juillet 1977. Ce mouvement autonomiste entendait rassembler des personnalités de toutes tendances politiques et de toutes les origines professionnelles. Elle fut très tôt placée sous l’égide des frères Slméoni (Max et Edmond) qui furent simultanément les principaux animateurs et les principaux théoriciens. D’un point de vue de la durabilité institutionnelle, l’UPC demeure la plus ancienne formation nationalitaire de l’île. Elle est dans la filiation directe de l’ ARC des années I965-75 qui par son horizontalité doctrinale et son caractère attrape-tout ou interclassiste avait su dominer toute la phase régionaliste impulsée par les socialistes régionalistes du Front Régionaliste Corse (FRC). Moins enfermée par une doctrine révolutionnaire ou marxisante et portée par la force charismatique d’Edmond Siméoni, elle avait la capacité d’être plus présente sur le terrain. Cette horizontalité politique ou caractère apolitique eut, selon les fondateurs, pour objectif de rassurer sur leur intention l’opinion publique et les partis traditionnels. Cette tactique fut échafaudée afin de pouvoir, malgré les divisions, faire adhérer à l’idée d’autonomie interne une plus grande masse militante, et préparer ainsi le creuset d’un grand mouvement légaliste susceptible de concurrencer les partisans liés aux FLNC(s). Néanmoins, n’étant ni de droite ni de gauche, l’UPC est très vite appréhendée par la jeunesse militante comme un parti d’électeur dépouillé de sa base militante et de projet de société. Au niveau des adhérents le parti entend être celui des moyens pour l’accès à la souveraineté du peuple corse. Mais il demeure constitué par des notables (médecins, professeurs, etc.) et, depuis 1994, il n’arrive plus à agréger ni la classe populaire, ni la jeunesse. Pourtant l’UPC entendait œuvrer à l’aboutissement d’une triple revendication fondamentale basée sur l’implantation de la mobilisation identitaire dans le cadre des institutions européennes : la reconnaissance en droit du Peuple Corse, nation d’Europe ; l’accession à des parts croissantes de souveraineté dans le cadre, et sur les modèles de la construction européenne ; l’officialisation de la langue corse sur son territoire.

14Sur le plan de l’enjeu politique et de l’insertion dans la société insulaire, en vingt ans de lutte institutionnelle, les modérés de l’UPC en raison de la perte de plusieurs militants ont été contraints inexorablement de se rapprocher des radicaux qui dominent le paysage politique depuis la crétation du FLNC en proposant des stratégies d’alliances électorales. Pour être crédible auprès de la masse militante que représentent les radicaux proches des clandestins, les autonomistes ont par le biais d’une longue pérégrination idéologique cherché à devenir l’unique parti autonomiste. Aussi, ils s’associeront tout d’abord le 29 janvier 2000 avec les nationalistes légalistes isolés autour d’une structure commune : Scelta Nova-Union du Peuple Corse (Choix Nouveau. SN-UPC) à laquelle se joindra ensuite le 4 mars les dissidents du MPA/FLNC Canal Habituel. Cherchant à étendre son emprise sur la société civile cet appareil SN-UPC n’entend pas être ouvertement nationaliste, mais se réclame plus d’un autonomisme politique moderne, dans le cadre européen, en opposition totale avec la violence clandestine des indépendantistes. Au départ dirigé par François Alfonsi, représentant du mouvement au Parlement Européen au sein du groupe ALE-Les Verts, trésorier et membre de l’exécutif de la confédération inter-régionale Peuples & Régions Solidaires. C’est cette structure qui servira de fondation au PNC en décembre 2002. C’est pourquoi dans les faits la position du PNC est identique aux positions de l’UPC publiée dans le manifeste Autonomia[4]. En quelque sorte le PNC poursuit l’action des autonomistes de l’ARC et de l’UPC’ en se focalisant sur la proposition d’autonomie interne comme catalyseur d’une union politique avec les autres formations nationalitaires. Cette stratégie partisane entendait faire de l’UPC un groupement d’intérêts "non politique" de défense de l’identité périphérique. Le PNC s’inscrit dans cette démarche programmatique et sur ce projet de mobilisation partisane. Depuis le 1er février 2004, cette fusion de modérés légalistes vient de s’unir aux radicaux composés par le binôme CN-I/FLNC-UC pour les élections régionales de mars 2004. Enfin, le PNC à l’instar de l’UPC est aussi l’antenne locale de la Confédération Paysanne et des Verts. À l’intérieur de ce pôle politique, on retrouve aussi les indépendantistes d’A Manca Naziunale (la gauche nationale), d’obédience socialiste et proche de la LCR et de certains mouvements protestataires (Atac, AC !, etc.). Cette organisation est née en 1997 d’une dissidence d’A Cuncolta. Cette formation qui ne bénéficie que d’une toute petite audience auprès de sympathisants nationalistes rejette elle aussi la violence. À l’heure actuelle, elle n’a pas dépassé le cadre de la confidentialité.

Les radicaux

15L’évolution statutaire du système électoral de l’île contraint aussi les groupes clandestins nés du FLNC, à décliner une stratégie d’occupation de l’espace politique et de proposer une alternative politique à leurs actions de violences instrumentales et aux autonomistes.

16En fait, dès que le système électoral permettra l’entrée de ces formations ethno-nationalistes, les appareils héritiers de la clandestinité vont saisir l’opportunité d’étendre l’expression de l’organisation politico-militaire sur trois champs d’investigations : société civile, syndicats et associations culturelles, et luttes électorales. Au départ, ils restent tenus et enclos par la structure clandestine du FLNC. Si, dans les années 1976-1989, les autonomistes avaient gagné du terrain sur l’échiquier politique local, le FLNC de son côté entendait évoluer dans l’espace public selon des logiques structurées d’organisations. Dès lors, en 1986, sous la bannière "Unita Naziunalista" (Unité Nationaliste), les indépendantistes décident d’occuper au même titre que les forces politiques traditionnelles et les autonomistes le jeu politique local. Avec l’éclatement du FLNC en trois branches l’idéologie ethno-nationaliste se formule essentiellement sur ces deux contradictions fonctionnelles, et cependant intrinsèquement liées sur le plan de l’enjeu politique : la légitimité politico-militaire et la représentativité électorale intra-nationaliste (Dominici, 1997).

17Aussi, force est de constater que la multiplicité des mouvements apparus lors des scrutins régionaux et législatifs de 1992 et 1993 et 1997 à travers cette lecture structurelle donne l’impression d’être inhérente aux compétitions internes que rencontre le FLNC dans sa mutation et non le fait de désaccords idéologiques entre différents appareils. Certes plusieurs mouvances apparaissent par capillarité sur l’espace politique lors des divisions internes de l’entité politico-militaire, mais la logique d’un système partisan placé entre les mains de la clandestinité reste inchangée dans les praxis des trois subdivisions du FLNC. Ce rapport permanent à la violence souligne manifestement un point de rupture idéologique avec la volonté d’élaborer un système partisan compétitif. Alors que paradoxalement durant cette période, la représentativité politique des partis nationalitaires pèsera plus de 25 % lors du scrutin régional [5] de 1992 et regroupera 20,84 % [6] des voix aux législatives de 1993. La dimension partisane de la famille radicale contemporaine se fonde sur la légitimité politique qu’offre ce rapport permanent d’opposition et d’attraction entre les légalistes (autonomistes) et les partisans d’une lutte politico-militaire (indépendantistes). Cette compétition interne au système partisan nationalitaire a pour avantage de cadenasser l’espace politique sur une bipolarisation (autonomie interne versus lutte de libération nationale). Ainsi configurées, les deux forces (UPC, FLNC) ou pôles politiques, empêchent toutes infiltrations des autres formations qui pour la plupart restent au stade embryonnaire.

18En outre, suite au tragique 9 février 1998, on observe que la politique répressive des pouvoirs publics survenue suite à l’assassinat du Préfet entraîne une cristallisation du discours partisan sur l’unicité des différentes mouvances politiques (Dominici, 2002). C’est pourquoi elles ont pu se recroqueviller sur un projet politique commun à toutes les tendances : la survie politique de l’idéologie ethno-nationaliste. Rapidement pour pallier les différentes carences de ressources, des alliances organisations partisanes se sont opérées. Cet ensemble va se structurer lors des Comités du Fiumorbu en novembre 1999. L’effet marquant est manifestement le protocole de non-agression qui est conclu en ce mois de novembre 1999 entre les quatorze organisations qui ont répondu présentes à l’appel des adhérents du comité du Fiumorbu. Ensuite, toutes ces tendances proches des organisations violentes se rangèrent autour d’une coalition : UNITA (elle regroupe neuf des quatorze groupes issus de la clandestinité et réunis par le protocole d’accord de non agression signé lors du comité du Fiomorbu). Toutes ces tendances sont proches des FLNC(s), mais elles, n’ont pas toutes la même dimension politique ni la même représentativité sociale. Certaines sont de tailles modestes, alors que les autres sont issues pour la plupart des différentes scissions qui fragmentent les trois blocs du FLNC entre 1991 et 1999. En décembre 1999, les différentes factions armées se rangeront sous le sigle d’union FLNC-Union des Combattant (UC).

19Enfin, concernant la participation politique des indépendantistes, elle est définie et dirigée par les leaders du FLNC-UC. De cette fusion clandestine s’est agencée, en mai 2001, sous le sigle Indipindenza, une nouvelle plate forme représentant les différentes vitrines légales des clandestins du FLNC-UC. Cette organisation entend être le regroupement des partis qui, faute de ressource, n’ont pas su faire face aux conjonctures politiques liées aux différentes dissidences et dissolutions des deux anciennes formations (MPA et ANC) et cela malgré la création d’UNITA. Néanmoins, nous pouvons observer que cette structure partisane est sous la férule du mouvement CN-Cuncolta/FLNC(s). Aujourd’hui tous les appareils indépendantistes naissants sont pour la plupart rapidement absorbés par cette entreprise politique.

20Plus contradictoire est la position de CN. Ce groupe représentant les seuls élus depuis les dernières élections territoriales est contraint d’adopter des positions de plus en plus paradoxales, car bien qu’étant porteur d’un nationalisme d’opposition à l’Assemblée Régionale, CN reste intrinsèquement liée au regroupement Indipindenza et à la violence des FLNC(s) réunifiés.

La participation politique des mouvements contemporains (1982-2002)

21Malgré l’aménagement depuis la première loi de décentralisation d’un système électoral propice aux petits appareils, les partis ethno-nationalistes en France se trouvent placés aux antipodes du paysage politique national. On peut parler à l’image de Paolo Pombéni (1992) "d’un effet conservateur du système d’élection". En Corse, nonobstant les différents statuts particuliers et du système électoral qui en découle, les avancées sociales et politiques de la famille ethno-nationaliste que nous avons observées précédemment ne parviennent pas encore à se traduire en forces politiques effectives dans le système politique local. Les forces politiques représentées par les familles locales se sont transformées en instruments de distribution, des bénéfices et des ressources aux adhérents du groupe. Ce procédé tend sur le plan local (élections municipales, régionales et législatives) à stabiliser les fidélités politiques au clientélisme politique et ce dernier aux partis nationaux. Il a l’avantage d’écarter du pouvoir toute nouvelle formation de type contestataire ou ethno-culturelle.

22En Corse, peut être plus qu’ailleurs, le vote devient un vote de circonstance, d’amitié, voire de clientèle. Dès lors bien que le vote nationaliste existe, il ne représente qu’une facette de la contestation ethno-nationaliste insulaire, car comme l’écrit Pierre Dottelonde (1984) "voter nationaliste ne signifie par obligatoirement être nationaliste et ne pas voter nationaliste n’implique pas forcément une hostilité à l’égard de la revendication nationaliste corse". Aussi, tout en conservant à l’esprit les remarques évoquées ici, nous n’allons tenir compte que des résultats électoraux bruts.

23Ce point de comparaison des familles nationalistes est plus simple à observer. Tout d’abord, nous avons vu qu’afin de ne pas se fossiliser sous l’effet de l’érosion inhérente au changement politique qui érige l’île en collectivité territoriale, les partis politiques d’obédiences nationalistes ont tous été contraints de muter face aux divers changements politiques. L’analyse de la participation politique de ces mouvements consiste non plus à rechercher des pratiques et des représentations partisanes qui tendent à reproduire certaines formes politico-idéologiques spécifiques à l’aire culturelle (identité politique, historicité, langue vernaculaire, etc.), mais à mesurer la participation effective de ces formations partisanes à la lumière des différents scrutins observés (régionaux, législatifs et européens). Afin de distinguer la représentation réelle de la famille nationaliste lors des différents scrutins, nous proposons une lecture croisée entre les autonomistes de l’UPC et de ses filiations et le poids électoral de la famille ethno-nationaliste dans son ensemble. Aussi, le lecteur pourra aisément comparer les autonomistes aux autres formations identitaires.

24Enfin, ce tableau rend compte aussi bien des alliances électorales entre modérés (ex. UPC) et indépendantistes que des soutiens extra-nationalistes comme, par exemple, le soutien à la liste écologiste aux élections européennes de 1999. Nous proposons une analyse au travers de chaque genre de scrutin et puis nous juxtaposerons un autre filtre qui consiste à observer ces différents scrutins en tenant compte des trois périodes qui correspondent directement aux trois changements institutionnels : 1982-92, 1992-97 et 1998-02.

La délimitation des trois lieux de la participation politique nationalitaire

Le vote régional

25Les élections territoriales présentent depuis 1982 un enjeu politique majeur pour la famille nationaliste. Dès lors, unie ou séparée, cette famille semble concurrencer les partis traditionnels car à chaque élection, les nationalitaires ont obtenu de bons scores qui n’ont cessé de croître : 12,7 % en 1982 ; 11,4 % en 1984; 8,9 % en 1986, puis 25 % en 1992 et 20% en 1999.

Le vote national

26Le système électoral des élections législatives n’est pas conçu pour ouvrir des perspectives politiques aux formations ethno-nationalistes. Cependant, les formations corses sont les seules à avoir collecté plus de 2 % lors de chaque participation. Sur le plan local, seule l’élection de 1993 fut significative d’une réalité ethno-nationaliste sur le plan national.

Le vote européen

27Depuis 1981, seule l’Union du Peuple Corse, aujourd’hui le PNC est vraiment tourné sur le Parlement européen. Cette situation est intrinsèquement liée à la position centrale du PNC au cœur de l’organisation ALE. Concernant les radicaux issus des différentes transformations des FLNC(s), nous notons une forte tendance à soutenir les mouvements écologistes gouvernementaux et ceux du Mouvement Ecologiste Indépendant (MEI)

Alliances et cycles électoraux

28De 1986 à 1988-89, on observe une politique d’union entre les réformistes de l’UPC et les radicaux du FLNC originel. Ce fait est aujourd’hui jugé comme étant indiscutable par l’ensemble de la littérature scientifique qui traite de "la question corse". Les chiffres montrent par eux-mêmes que les premiers balbutiements du système partisan nationalitaire se sont réalisés par le rapprochement au sein d’Unita Naziunalista entre autonomistes réformistes et nationalitaire révolutionnaires du FLNC.

29La période 1992-1994 marque la mise en place d’une plate-forme d’union autour de la coalition partisane Corsica Nazione. Cette phase de l’histoire du nationalisme contemporain fut sujette à plusieurs controverses internes aux deux familles concernées, c’est-à-dire l’UPC et le fragment le plus radical de l’éclatement du FLN-C entre 1989 et 1991, le FLNC canal historique/Cuncolta regroupant sous ce sigle la masse militante et la majorité des clandestins partisans de la prédominance de la LLN sur le débat démocratique. La création effective de cette coalition électorale (qui se voulait être, à terme, partisane), fut adoptée par les Verts proches du MEI et des Verts nationaux, l’ANC, l’UPC et la direction d’A Cuncolta réunis pour l’occasion en Assemblée Extraordinaire en décembre 1991. Ce groupement d’intérêt politique fut échafaudé dans le but tactique, non avoué directement, d’annihiler tout espoir de victoire à l’autre fragment du FLNC, le FLNC canal habituel/Mouvement pour l’autodétermination, Ce rapprochement entre les autonomistes et les radicaux du pôle FLNC Canal Historique n’aura qu’une courte durée car l’ANC et l’UPC sortent en démissionnant de la coalition CN. Dès lors Corsica Nazione est entre les mains du jeune avocat Jean-Guy Talamoni, seul cadre du pôle FLNC canal historique/Cuncolta.

30La période qui suit 2002 marque la fusion des tendances réformistes et démocratiques. La date charnière à juin 2002, l’UPC-SN de François Alfonsi sera rejoint par A Mossa Naziunale (Le Mouvement National). Ce dernier sigle fut constitué par des nationalistes dissidents de plusieurs structures distinctes affiliées aux factions armées. Sa direction est placée sous l’égide d’anciens syndicalistes étudiants (notamment Jean-Christophe Angélini et Jean-Félix Acquaviva) et d’une nouvelle génération de militants-cadres partisans d’un nationalisme plus démocratique. Le 7 décembre 2002 la liste Insème pa l’avvenne (ensemble pour l’avenir) obtiendra le meilleur score lors de législatives de 2002 de la liste P & RS, fusionne sous la bannière PNC. Jean-Christophe Angélini est devenu le premier Secrétaire national du PNC, plusieurs cadres de l’UPC-Scelta Nova (dont notamment François Alfonsi) ont été élus à la direction du parti.

Vers une européanisation des stratégies ?

31Avec la construction de l’Union européenne les partis de défenses des périphéries ont revêtu de nouveaux habits idéologiques : fédéralisme, régionalisme européen, souverainisme, etc. Certes le jeu communautaire offre aux forces politiques classiques des possibilités d’alliances, des échanges, des accords et parfois même des rapprochements contre-nature entre les partis politiques traditionnels, mais la manifestation n’est pas aussi évidente pour les partis ethno-nationalistes. Aussi même si l’enjeu fait que certaines formations se constituent en coalition parlementaire ou en comité ce n’est pas confirmé pour les forces politiques identitaires.

32Dès lors, on peut remarquer que la faible représentativité au parlement européen des partis ethno-nationalistes corses (et français en général) ne représente pas les ambitions politiques de ce type de formations partisanes. Si elles rencontrent un retard sur le plan de l’européanisation de leur projet politique cela est dû principalement à deux phénomènes. Tout d’abord, parce que l’apparition du thème européen dans le discours et dans le profil programmatique des différentes organisations ethno-régionalistes français a été tardive. Simplement parce que le système électoral ne laissait aucun espace politique à ce type de formation. En Corse, les régionalistes et les autonomistes n’ont pu dépasser le cadre de groupements d’intérêts et la famille nationaliste ne s’est intéressée à sa représentativité politique qu’à partir de 1986. Deuxièmement, la contestation identitaire corse à l’instar des autres foyers nationaux est axée sur un ressentiment de rejet qui se traduit par une relation paradoxale avec l’État français. De sorte que l’Etat est à la fois l’ennemi et l’interlocuteur unique en tant que détenteur de pouvoirs normatifs qui lui sont contestés en raison des particularismes nationalitaires.

33Néanmoins on peut noter que les organisations ethno-identitaires corses agissent sur deux plans distincts ; le plan institutionnel et non-institutionnel. Sur le plan institutionnel, seule l’UPC depuis 1981 (date de la création de l’Alliance Libre Europe) fait preuve d’un ancrage solide en siégeant notamment au Parlement européen dans le groupe ALE-Démocrates chrétiens-Les Verte et en participant à la confédération Régions & Peuples Solidaires qui a présenté 109 candidats lors des législatives de 2002. De plus, en 1989 l’UPC a même bénéficié avec Max Siméoni d’un siège de parlementaire européen avec l’étiquette ALE-Arc en ciel. Enfin l’UPC fait preuve d’écologisme politique car, en l’espèce, ce mouvement soutient sur le plan national et européen la famille écologiste les Verts.

Tableau 1

Suffrages obtenus pour l’ensemble des listes lors des différentes élections (1982-2002)

Tableau 1

Suffrages obtenus pour l’ensemble des listes lors des différentes élections (1982-2002)

34Aujourd’hui sa filiation directe le PNC participe elle aussi à l’Alliance Libre Européenne (ALE), aux côtés du Scottish National Party, du Parti Nationaliste Basque et d’Eusko Aïkartasuna, du Plaid Cymru, du Bloc Nacional Gallego, etc. De sorte que cette nouvelle formation s’inscrit directement sur la voie ouverte par l’UPC : "Notre politique internationale doit s’intensifier notamment parce qu’elle permet de contourner certains débats franco-français et de gagner en crédibilité vis-à-vis de l’opinion publique. L’ouverture à d’autres nations sans États fait déjà l’objet d’un suivi et d’une réelle coordination [7]".

35Sur le plan légal, l’adhésion de cette structure à l’ALE-Démocrates Chrétiens-les Verts a été définitivement entérinée par l’Assemblée Générale le 15 novembre 2002 à Bruxelles. Il en est de même à propos de la fédération inter-régionale, Régions et Peuples Solidaires (R & PS). Pour le PNC "il s’agit [à terme] pour la Nation corse d’acquérir une représentation directe dans les instances politiques européennes [8]" et de proposer une alternative à l’indépendantisme et ses agents belligènes. En juillet 2003 nous avons posé une série de questions sur cette alliance à François Alfonsi leader de l’ex. UPC. Voici sa réponse concernant l’ancrage européen.

36Sur le plan non institutionnel, seuls les radicaux grâce à CN-I ont démontré lors de la journée internationale des nationalistes organisée à Corté le 5 août 2000 qu’ils étaient eux aussi porteurs d’une dynamique européenne. Le thème des débats était "l’indépendance des peuples en luttes en Europe", CN et son leader Jean-Guy Tala-moni reçurent les félicitations de l’ensemble des partis nationalistes présents, pour l’avancée du traitement politique de la "question corse" avec la ratification du projet de Matignon le 28 juillet 2000 à l’Assemblée Territoriale. Des délégations des mouvements indépendantistes comme le Emgann (Breton proche de l’Armée Révolutionnaire Bretonne), l’EMA (pays basque français), l’Herri Batasuna (pays Basque espagnol), le parti pour la Catalogne (Estat Catala) proche dans sa démarche du PNV, le mouvement nationaliste sarde et le MDES [9] (guyanais) ont toutes reconnu l’avancée politique du mouvement nationaliste corse et l’exemple que ce dernier peut donner aux autres mouvements en luttes en Europe et ailleurs. Ce regroupement partisan se renforce autour de la Confédération des Nations sans État de l’Europe Occidentale (CONSEO). Cette structure est pour l’heure non institutionnelle car elle agrège l’ensemble des partis ethno-nationalistes européens proches des groupuscules armés ou agissant en leur nom sur le jeu politique. Ce groupement transnational des mouvements radicaux est l’unique confédération qui offre certaines prises sur le jeu politique européen à des mouvances qui en raison de leur association directe aux nébuleuses clandestines ne peuvent rentrer dans l’ALE.

37Tout au long de notre propos, nous avons essayé de démontrer qu’avant d’être un objet politique le nationalisme corse contemporain est un phénomène social. Ainsi, le rapport entre vérité et histoire demeure distendu. La violence des nationalistes et l’histoire du mouvement nationaliste contemporain présentent plusieurs contradictions que seule l’observation de ce champ en tant qu’organisation sociale peut dépasser en lui donnant une lecture d’ensemble. Néanmoins, eu égard à l’avancée du nationalisme dans le système politique local, la violence politique garde une certaine légitimité populaire. Ce phénomène d’adhésion demeure et cela malgré les dérives politiques, les tentations affairistes et certains rapprochements entre les groupes armés et le grand banditisme. Les différents discours politiques des nationalistes témoignent qu’au-delà des ruptures entre citoyenneté nationale et identité territoriale qu’a engendrée le tragique assassinat du Préfet de Région, la "question corse" a franchi un cap au cœur même de l’organisation nationaliste. Nous avons essayé de souligner que, malgré le passage à une certaine modernité de l’identité partisane, plusieurs contradictions demeurent, dont notamment la prédominance de la clandestinité sur la lutte institutionnelle et l’apparition d’une politique de la violence oscillant entre actions criminelles et contestations identitaires. Ce rapport permanent à la violence souligne manifestement un point de rupture idéologique avec le système partisan.

38C’est pourquoi, nous avons voulu grossir le trait sur le fait que le système nationalitaire insulaire est en pleine reconstruction structurelle et Idéologique. D’ailleurs, c’est à travers la création d’une force politique solidement institutionnalisée et légitimée par le jeu politique, que les leaderships du PNC et de CN-I entendent dépasser les anciens schémas révolutionnaires des luttes de libération nationale des FLNC(s). Avec le discours d’union des familles partisanes, CN/Indipindenza rejoint la stratégie qui fonde le PNC. Elle tend à l’élaboration d’un pôle politique réunissant plusieurs tendances distinctes, mais associées sur le plan d’un projet de société : l’autonomie Interne. La stratégie est strictement électoraliste car il s’agit de faire intégrer le nationalisme démocratique auprès de l’opinion publique et ainsi réduire le clanisme politique à sa plus faible expression. La tactique est de gagner de nouvelles voix nationalitaires aux élections (européennes, régionales et nationales) et ainsi devenir une force politique. Dès lors, les autonomistes, comme en 1986 et en 1992, se retrouvent associés avec ceux dont ils critiquaient les pratiques et condamnaient les actions, en d’autres termes les indépendantistes du bloc CN-I/FLNC réunifié. Prisonnier de sa faible représentativité électorale, ce parti n’a pas d’autres choix que de chercher à élaborer des alliances partisanes avec les partis traditionnels (et même du côté des nationalitaires les plus radicaux). Pourtant au-delà de ces avancées, la frontière entre violence politique et exaction de droit commun est de plus en plus fine. Face à cette prédominance des violences sur le jeu politique, le nationalisme démocratique paraît mort-né.

39Enfin, le nationalisme Ccorse contemporain a dépassé les limites du phénomène politique pour s’étendre sur la totalité de la vie insulaire. Aujourd’hui, il domine le monde syndical, avec le Syndicat des Travailleurs Corses qui a devancé largement les syndicats nationaux. Il contrôle une partie du domaine économique, en ayant récupéré les Chambres de l’Agriculture et du Commerce et de l’industrie. Enfin, il régente le domaine universitaire car le nouveau Président de l’Université de Corté ne cache pas son attachement au mouvement nationalitaire en s’inscrivant dans la démarche des modérés du PNC. Ce qui nous fait remarquer qu’en Corse, même si l’expression contemporaine du nationalisme est passée d’un phénomène ethno-culturel en marge du système politique local à un conflit de société orchestré par des actions violentes et des exactions terroristes, au-delà des apparences, les groupuscules armés s’accaparent toujours la légitimité du discours identitaire.

Bibliographie

Références

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  • Briquet J.-L., "Les fondements d’une utopie : la contestation nationalitaire en corse", in Bidegaray Ch. (dir.), Europe Occidentale le mirage séparatiste, Paris, Economica, 1997b.
  • Caratini R., La Corse : un Peuple, une histoire, Paris, l’Archipel, 2003.
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  • Crettiez X., Sommier I. (dir.), La France rebelle. Tous les foyers, mouvements et acteurs de la contestation, Paris, Michalon, 2002
  • Dominici Th., "L’après assassinat du Préfet Erignac. Les retombées sur le système nationaliste Corse", Cahiers de la Sécurité Intérieure, n° 47, juin 2002
  • Dominici Th., Le passage de l’identité à l’identité politique dans l’évolution des revendications nationalitaires corses, approche théorique et paradigmatique, mémoire de DEA de Politique comparée, Université de Bordeaux IV, 1997.
  • Dottelonde P. "Pour une nouvelle approche du nationalisme corse : étude sur la diffusion du phénomène dans l’espace insulaire", Espace et idéologie, n° 23, 1984.
  • Ettori F., "Langue et littérature", in Corse, (collectif), Paris, C. Bonneton éditeur, 1981.
  • Leca A., "Les assises idéologiques de l’État National Corse", AFHIP, n° 1, collection d’histoire des idées politiques, actes du 1er Colloque Aix-en-Provence, les 26 et 27 septembre 1981.
  • Leca A., "A Muvra ou le procès de la France par les autonomistes corses (1920-1939)", AFHIP, n° VIII, collection Histoire des Idées Politiques, 1991.
  • Le Roy Ladurie E., Histoire de France des régions, la périphérie française, des origines à nos jours, Paris, Seuil, 2001.
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  • Yvia-Croce Y., Vingt années de corsisme (1920-1939), Ajaccio, Éditions Cyrnos, 1979.
  • Núñez Seixas X. M., Movimientos nacionalistas en Europa (Siglo XX), Madrid, Editorial Síntesis, 1998.

Notes

  • [1]
    Depuis quelque temps est apparue sur le territoire insulaire une nouvelle forme de violence oscillant entre violence personnelle et violence sociale. Des lieux de cultes ont été les cibles d’actions terroristes perpétrées par des groupuscules proches du milieu nationaliste.
  • [2]
    Depuis 1982, l’île a connu quatre statuts particuliers. Statut Deferre de 1982, Statut Joxe de 1991, Statut Jospin 2002 et enfin depuis novembre 2002, le projet de loi de décentralisation proposée par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, sans parler de l’imbroglio institutionnel survenu après le Référendum consultatif du 6 juillet 2003.
  • [3]
    Entre octobre 1989 et novembre l991, le FLN-C endurera une vague de contestations, de divisions et de dissidences au cœur sa structure décisionnelle. En l’espace d’une année, il se scindera en trois entités politico-militaires : Cuncolta Naziunalista/FLNC Canal Historique, Mouvement Pour l’Autodétermination/FLNC Canal Habituel, et Accolta Naziunalista Corsa/Resistenza. Depuis décembre 1999, les principales fractions ont fusionné et ont adopté le sigle Union des Combattants ou FLNC réunifié. Ces fractions armées ont amorcé une trêve des attentats, cette politique se soldera en novembre 2002 sur une nouvelle fragmentation le FLNC de Novembre 2002. Aujourd’hui, mis à part le FLNC dit de Novembre 2002, l’ensemble des groupes armés constitue la nébuleuse Union des Combattants-FLNC (réunifié). Cette organisation est soumise à une trêve des attentats. Cependant, malgré cette trêve politique décrétée par l’Union des Combattants d’autres groupuscules armés agissent toujours sur le jeu politique ce qui rend de plus en plus difficile l’analyse de ce phénomène de société.
  • [4]
    Paru en 1974
  • [5]
    Ce chiffre est le résultat de l’addition de la coalition nationalisto-autonomiste Corsica Nazione (Cuncolta Naziunale – vitrine légale du FLNC Canal Historique –, Accolta Naziunale Corsa – vitrine légale de Resistenza –, Union du Peuple Corse, Per U Paese et I Verdi Corsi, proches d’A Cuncolta) et le Mouvement pour L’Autodétermination (vitrine légale du FLNC Canal Habituel).
  • [6]
    Ce score représente les résultats globaux obtenus sur les quatre circonscriptions par les mouvances en lices lors de cette élection : Corsica Nazione 13,29 %, MPA 5,86 % et ANC 1,68 %, soit 22873 suffrages sur 109722 exprimés contre 165654 inscrits.
  • [7]
    Arritti décembre 2002.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Mouvement Démocratique d’Emancipation politique et Sociale qui fera 10 % environ aux législatives de 1997.
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